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mardi, 30 octobre 2012

MA PETITE HISTOIRE DE LA CURIOSITE (4)

Pensée du jour : « La femme est naturelle, c'est-à-dire abominable ».

 

CHARLES BAUDELAIRE

 

 

Longtemps considéré comme un gouffre obscur où la déesse Raison serait tombée après l’antiquité, et comme une parenthèse refermée à la « Renaissance », c’est précisément le méprisé moyen âge (6ème au 15ème siècle) qui a rendu possible cette dernière, à travers un énorme travail de brassage des connaissances, et leur constante et patiente mise à jour.

 

 

C’est probablement autour de l’an 1000 (j’ai oublié la date et l’heure exactes, pardonnez-moi) que fut fabriquée la première horloge mécanique. Et l’horloge de l’humanité ne s’est jamais arrêtée dans un hypothétique « moyen âge » saisi dans une hypothétique glaciation, dont la Renaissance aurait constitué le dégel.

 

 

Au contraire, même, pourrait-on dire. C’est le moyen âge qui a établi, en Europe, les bases du monde moderne, celui que nous connaissons. Et parmi ces bases, au premier rang, la CURIOSITÉ. C’est même la principale condition : l’envie de savoir (en vérité) est passée devant le devoir de croire (en foi). Les psys ont une variante de la chose avec la « pulsion scopique ». Vous voyez que, finalement et malgré les détours, je n’ai pas lâché mon fil de départ. Mais il fallait bien tout ça.

 

 

Il se trouve que la curiosité est une spécificité EUROPÉENNE.  Je parle de la curiosité comme point structurant d’une culture collective, pas comme aventure individuelle. Aucun continent ne s’est intéressé aux autres continents autant que l’Europe.

 

 

Bon, c’est sûr, on va me sortir l’Arabe IBN BATTUTA (1304-1377), surnommé le « voyageur de l’Islam » (environ 120.000 kilomètres parcourus en trois décennies dans les quatre points cardinaux), ZHANG QIAN ou ZHENG HE pour les Chinois, quelques autres. Mais cela reste des exceptions, et surtout, ils n’ont pas fondé des dynasties, une industrie, un commerce, des colonies. Disons-le : une nouvelle civilisation. Qui allait englober, dominer et faire disparaître toutes les autres.

 

 

L’Europe est le continent de la CURIOSITÉ. De la découverte, de l’exploration. Disons-le : de la découverte et de l’appropriation du monde sous toutes ses formes. L’appropriation la plus égoïste, la plus intolérante et la plus prédatrice. Et en même temps, la plus enthousiasmante pour l’esprit et la plus invraisemblablement créatrice.

 

 

Ce n’est pas ailleurs qu’en Europe, en effet, qu’ont été inventés, mis au point et perfectionnés les outils dont l’humanité tout entière se sert encore aujourd’hui dans la connaissance qu’elle a acquise du monde. Ce n’est pas ailleurs qu’en Europe que sont nées toutes les sciences, sciences exactes comme sciences humaines. Or les sciences, telles qu’elles existent, sont le fruit de la curiosité.

 

 

Le scientifique ne se demande pas : « A quoi ça sert ? », mais : « Comment ça marche ? ». C’est le philosophe qui se demande à quoi ça sert. Et de toute façon, il arrive toujours après coup, quand les choses sont faites. Quand les carottes sont cuites.

 

 

Il y a deux philosophes : celui qui explique ce qui est (ça veut dire traduire l’évidence actuelle en langage incompréhensible, pour qu’on croie qu’il découvre et que c’est trop compliqué pour le pékin moyen), et celui qui décrit ce qui pourrait être (l’utopiste qui veut améliorer l’humanité, dût-elle disparaître, genre LENINE ou POL POT). Je schématise.

 

 

Du scientifique, en revanche, il en est venu comme si ça pleuvait. Remarquez, on pourrait en dire autant des philosophes : des « abstracteurs de quinte essence » (RABELAIS) ont fait crouler des flots d’obscurité pour expliquer le monde à leur manière. Pendant que les penseurs pensaient, les scientifiques, bien aidés en cela par les ingénieurs, modifiaient en profondeur les conditions de l’existence humaine, changeaient en permanence les données des philosophes, qui dans la course, ont toujours été loin derrière.

 

 

Certains se demandent même aujourd’hui s’il est encore possible de penser le monde. Et l’Europe, dès le 17ème siècle, s’est mise à faire tourner la machine scientifique à plein régime. Et quand je dis « machine », c’est au sens propre.

 

 

Car avec la machine, l’Europe a rompu avec une histoire humaine vieille de quatre-vingts siècles : l’homme est allé plus vite que lui-même, plus haut que lui-même, plus fort que lui-même. On a appelé ça, dans un élan d’enthousiasme juvénile, les « Jeux Olympiques ». Vous savez, le désormais sacro-saint « citius, altius, fortius ». Moi j’appelle ça le DOPAGE.

 

 

Prenez-le comme vous voulez, mais aller plus vite, plus haut et plus fort que soi, c’est impossible sans une machine. Le dopage est cette machine. Voyez la « Course des dix mille milles » du Surmâle, d’ALFRED JARRY, avec la « perpetual motion food », ou « potion magique ». Monsieur LANCE ARMSTRONG a appliqué à la lettre les règles de la civilisation de la machine : la triche avec la nature. L’homme a commencé à tricher avec lui-même quand il a inventé les machines. BAUDELAIRE aurait-il pu imaginer le règne des machines ? Ses conséquences ?

 

 

Voilà que je me dis que j’étais parti pour faire l’éloge de la CURIOSITÉ, et que je retombe sur la malédiction technique. Comment se fait-ce ?

 

 

Voilà ce que je me demande, moi.

 

 

A suivre.

 

 

lundi, 29 octobre 2012

MA PETITE HISTOIRE DE LA CURIOSITE (3)

Pensée du jour : « Si toutefois nous consentons à en référer simplement au fait visible, à l'expérience de tous les âges et à la Gazette des Tribunaux, nous verrons que la nature n'enseigne rien, ou presque rien, c'est-à-dire qu'elle contraint l'homme à dormir, à boire à manger, et à se garantir, tant bien que mal, contre les hostilités de l'atmosphère. C'est elle aussi qui pousse l'homme à tuer son semblable, à le manger, à le séquestrer, à le torturer ; car sitôt que nous sortons de l'ordre des nécessités et des besoins pour entrer dans celui du luxe et des plaisirs, nous voyons que la nature ne peut conseiller que le crime ».

 

CHARLES BAUDELAIRE

 

 

Résumé : l’homme a renoncé au rôle confortable et sûr de caniche de Dieu nourri-logé-blanchi comme un coq-en-pâte dans son paradis terrestre, à l'oeil et aux frais de la princesse, pour affronter l’angoisse et les incertitudes procurées par la liberté. Bien lui en a pris : sans perdre tout de son animalité primordiale, il a été promu créateur de son propre monde.

 

 

L’homme actuel ? Les anthropologues, au carbone 14, le datent d’environ 100.000 ans avant nous (marge d’erreur de quelques milliers d’années quand même). C’est en effet de là que date la première TOMBE. La première fois que l’homme, au décès de son semblable, l’enfouit sous un peu de terre. La première fois que l’homme, aux yeux de son semblable, apparaît comme une personne.

 

 

Ce qui rend possible la première tombe, appelons ça la conscience de soi (et conscience de l’autre). Comment c’est venu ? Personne n’en sait rien. Sans doute un ensemble : le pouce opposable aux autres doigts (habileté manuelle), la descente du larynx (langage articulé), l’accroissement du cerveau vers l’arrière (accès à la pensée abstraite), la station debout (alias bipédie), une histoire d’angle occipital, etc.

 

 

Notons en passant que la station debout propulse l’appareil génital du mâle sur le devant du corps, et qu’au contraire, elle fait disparaître au regard celui de la femelle, qui change dès lors de statut. Et que, dans l’un et l’autre cas, elle situe le sexe dans la partie basse du corps, la tête constituant le sommet de celui-ci. Toujours est-il que l’évolution a donné à l’homme l’autorisation de façonner le monde dans lequel il vit. Je veux dire : les moyens de l’inventer.

 

 

Bon, on ne va pas rabâcher l’accélération du mouvement, depuis le feu (autour de – 400.000, mais c’est controversé) jusqu’aux Romains ; le passage du nomadisme à la sédentarité ; d’une économie de prédation (chasse, cueillette) à une économie de subsistance (agriculture, élevage = réserves de nourriture). Mais ce qui est étonnant, c’est que l’invention humaine semble s’être arrêtée : au 18ème siècle, les gens ne vivaient pas très différemment de l’antiquité romaine. En particulier, la vitesse est restée celle de l’homme (à pied ou à cheval). Impossible d’aller plus vite. Impossible de faire plus que la simple force humaine

 

 

Certes, il y eut des inventions : l’éolipyle d’HERON D’ALEXANDRIE (sans lendemain pendant deux millénaires), la poudre à canon, quelques autres. Mais en gros, l’humanité a vécu au même rythme, du néolithique jusqu’au 18ème siècle. Il y a eu la constante amélioration des techniques existantes, le raffinement des manières, le progrès de la civilisation, l’adoucissement des conditions de vie (il ne faut pas exagérer : famines, pestes, …). Ce qui n'est déjà pas mal, certes, mais c'est tout.

 

 

La première guerre eut lieu au néolithique (– 10.000 jusqu’à l’invention de l’écriture = – 4.000). C’est-à-dire quand il y eut des greniers, du bétail, les premières cités, c’est-à-dire des objets, des denrées et des lieux suscitant la convoitise. Bref : des richesses accumulées. Et la possibilité de se procurer le vital sans trop se fatiguer, en le prenant chez le voisin, quitte à tuer celui-ci. L’esclavage remonte sans doute à la même époque : la guerre procurait cette main d’œuvre bon marché, alors pourquoi se priver ?

 

 

Et si la condition faite à l’homme par la nature n’a guère évolué, depuis les origines jusqu’au siècle des Lumières, on le doit très probablement aux religions, aux prêtres, ainsi qu’aux rois qu’ils servaient. Il faut les comprendre : rien n’est plus désagréable que le provisoire, quand on détient le pouvoir, car ça le précarise. En le sacralisant, on le rend immuable, intangible. L’idée de Dieu est fort utile à qui gouverne, car elle lui confère la légitimité. Elle est une garantie, sinon d’éternité, du moins de durée. Quelle belle trouvaille, la « royauté de droit divin » !

 

 

C’est ainsi que la religion, adossée à la hiérarchie sociale et politique (« hiérarchie », en grec, signifie « ordre sacré »), a empêché toute innovation autre que celles qui ne faisaient courir aucun risque au principe d’autorité. Le progrès technique a donc été entravé, parce qu’il représentait pour elles un danger potentiel. C’est la religion qui a décrété que : « La curiosité est un vilain défaut » (j'y reviens). Il faut se soumettre. Il faut admettre l’état existant des choses, c’est-à-dire l’ordre social tel qu’il se présente, en même temps que tous les discours qui le présentent comme tel.

 

 

Le cas le plus célèbre de curiosité dangereuse, celui que tout le monde connaît bien chez nous, est évidemment celui de GALILEO GALILEI, qui attaquait simultanément tout ce que l’Europe comptait d’aristotéliciens et de chrétiens. Cela faisait beaucoup pour un seul homme, et il a bien failli y laisser la peau. Son crime ? Nier le géocentrisme et prôner l’héliocentrisme.

 

 

On les comprend, les faillis bourreaux : ça faisait brutalement tomber l’humanité de son piédestal. Pensez, elle n’était plus le centre du monde ! Du coup, l’ordre du monde tel que défini par les prêtres et les rois passait illico à la trappe ! Un véritable attentat contre tout principe d’autorité. Tous les discours servis au bon peuple depuis toujours ? Balayés.

 

 

Qu’est-ce qui reste d’une autorité, quand elle est mise en doute ? Rien. Et en France, il a fallu moins de deux siècles, après l’épisode GALILÉE (les années 1610), pour foutre par terre l’autorité de l’Eglise et la tête du Roi. Les curés avaient raison d'avoir peur de la science. Alors c’est vrai que la curiosité n’a pas attendu GALILÉE pour se manifester, et qu’il est lui-même un point d’aboutissement (en même temps qu’il révolutionne la vision traditionnelle du monde).

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

A suivre.

 

 

dimanche, 28 octobre 2012

MA PETITE HISTOIRE DE LA CURIOSITE (2)

Pensée du jour : « La femme est bien dans son droit, et même elle accomplit une sorte de devoir en s'appliquant à paraître magique et surnaturelle ; il faut qu'elle étonne, qu'elle charme ; idole, elle doit se dorer pour être adorée ».

 

CHARLES BAUDELAIRE

 

Résumé : il y a dans toute curiosité une insoumission à l’ordre du monde et à une autorité suprême (Jéhovah, Dieu, Allah, le Cosmos, ...), et le curieux est un contrevenant, immanquablement chassé du paradis de l’obéissance. Dès lors, il est obligé de se battre dans l’espoir de reconstituer le bonheur perdu. C’est ce qu’on appelle la liberté (voir l’extraordinaire chapitre des Frères Karamazov consacré au « Grand Inquisiteur »). 

 

Mais si l’on fait abstraction de la circonstance somme toute extérieure que constitue le serpent de la Genèse (le principe du Mal qui s’oppose à celui du Bien), comment expliquer la naissance de la curiosité ? Satan est une trouvaille trop commode pour expliquer quoi que ce soit, je trouve. Pourquoi Adam et Eve abandonneraient-ils le confort absolu où Dieu les a placés dans un endroit où le temps ne passe pas ? Je me dis qu’il faut au moins un début de raison, non ? 

 

Cela dit, l’image que je me fais d’un tel paradis a quelque chose à voir avec le règne animal. Ne faut-il pas être un complet abruti (je parle d’aujourd’hui) pour considérer le jardin d’Eden comme un paradis perdu ? Si Adam et Eve avaient été de bons chiens (domestiques, n’exagérons pas), ils auraient léché le nez de leur seigneur et maître quand celui-ci posait un sucre sur leur truffe pour qu’ils le chopent au commandement. Dieu ne voulait que des chiens domestiqués.

 

Il s’est donc passé quelque chose. Mais quoi ? L’animalité, c’est sûr que l’homme s’en est un peu extrait, et qu’il a tenté, tant que faire se peut, de couper les ponts. D’ailleurs, ceux qui suivent un peu l’actualité peuvent se rendre compte que les débats sur le « genre » (il faut savoir que le « genre » a remplacé définitivement le « sexe », notion reconnue par tous les savantasses un peu vieillotte et même carrément dépassée), tellement à la mode aujourd’hui, tournent finalement autour de ce qu’il reste d’animalité dans l’humanité.  

 

Dit autrement : autour de ce qu’il reste de « nature » dans la « culture ». Le « sexe » est naturel, exclusivement naturel. Alors que le « genre » est culturel, exclusivement culturel. Il est universitairement et médiatiquement dangereux aujourd’hui de risquer d’être considéré comme un visqueux « essentialiste » : vous êtes impitoyablement classé sur le rayon marqué « has been ».

 

 

Cette « vérité », c’est SIMONE DE BEAUVOIR qui l’a instaurée : dans sa doctrine, en effet, « on ne naît pas femme, on le devient ». Phrase devenue le chef d’œuvre indéboulonnable des trouvailles du féminisme actuel. Le dogme par excellence. Et l’escroquerie du siècle : l’être humain, qu’est-ce qu’il fait d’autre, femme ou homme, que devenir humain ?  

 

Je suis désolé pour la fondatrice du désastreux féminisme moderne, mais il faudrait dire : « On ne naît pas HUMAIN, on le devient ». Et qu'on ne me baratine pas sur le "moment historique". Ce n’est pas pour rien qu’il faut 18 ans pour devenir majeur. La phrase de BEAUVOIR est ce qu’on appelle, en rhétorique, un « truisme ». Et c’est là-dessus que pétaradent les « Chiennes de garde » et autres « Collectif la barbe ». 

 

 

C’est sûrement une jolie formule, « on ne naît pas femme, on le devient », mais c’est quand même une magnifique imposture, en même temps qu’une belle saloperie. Qui sert à renvoyer le bon sens dans l’archéologie, voire la paléontologie du savoir, comme un morceau de la mâchoire de Lucy. C’est vrai, une femme ne naît pas femme : elle naît juste avec un sexe fendu, au lieu de la tige qui pousse aux garçons. 

 

« Essentialiste », c’est l’équivalent moderne de la « vipère lubrique » des procès staliniens, le mot étant à prendre pour une accusation, « essence » étant synonyme de « nature ». Les « genristes » voudraient bien que l’homme soit le seul être vivant qui se fabrique entièrement lui-même. Ils ont une foi inébranlable dans un invraisemblable idéal de la liberté humaine. On peut voir exposé ce genre de problématique dans Les Particules élémentaires, de MICHEL HOUELLEBECQ.

 

 

Pour le « genriste », qu’on se le dise, le désir donne un droit. Phrase à méditer : le désir donne le droit. Quel droit ? « Tout est possible, tout est réalisable », disait une publicité pour une compagnie d'assurances. Droit à l'enfant, au mariage « pour tous » (délicieuse trouvaille pour faire avaler du n'importe quoi), à mourir dans la dignité, etc. On n'imagine pas l'énormité du gisement des « droits » qui attendent juste d'être mis au jour et correctement exploités.

 

Je me suis laissé embarquer dans ma digression. Je reviens au paradis. Pour qu’Adam et Eve aient tous deux l’ardent désir de croquer dans le fruit de l’arbre de la connaissance, il a quand même fallu autre chose que ce fantasme de serpent. Et moi, je finis par me demander si ce désir n’est pas venu du fait que le premier homme et la première femme n’avaient en fin de compte qu’une confiance limitée dans leur Créateur. On les comprend un peu, à la réflexion. Car je me dis que l’absolu de l’intégrité de la pureté de la divinité de Dieu, quand on observe le monde terrestre, il ne saute pas aux yeux.  

 

Je veux dire que, dans l’esprit des premiers homme et femme, il s’est glissé comme un léger doute. Peut-être une sourde inquiétude. Quelque chose comme une question. Bon, je crois que maintenant, on peut laisser tomber Dieu, Adam, Eve et le paradis terrestre. C’était juste un détour pour introduire ce point d’interrogation. On peut maintenant s’en passer.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

A suivre.

 

vendredi, 26 octobre 2012

BOBY LAPOINTE EST VIVANT

Pensée du jour : « Un homme qui ne boit que de l'eau a quelque chose à cacher à ses semblables ».

 

CHARLES BAUDELAIRE

 

 

Tout le monde connaît BOBY LAPOINTE. Ne serait-ce que pour l’avoir entendu à la radio. Le malheur, c’est que les deux chansons qui reviennent immanquablement sur les ondes hertziennes sont toujours les mêmes : Aragon et Castille et Framboise. Ajoutons La Peinture à l’huile. Vous en voyez d’autres ? Moi pas. Ou alors, à la rigueur, dans des émissions exclusivement consacrées à la « bonne chanson » ou à l’ami LAPOINTE en personne. JACQUES ERWAN, HELENE HAZERA ou PHILIPPE MEYER lui ont fait une place, c’est sûr, mais en dehors ? Franchement ? Si peu que rien.

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Vous savez pourquoi ? Parce que BOBY LAPOINTE est l’auteur de chansons « difficiles ». Un auteur « à texte » de chansons « à texte ». Qui ne s’écoutent pas comme les rengaines sentimentales du tout-venant commercial, sempiternel et sans cesse du pareil au même. C’est vrai qu’il faut suivre. Car chez LAPOINTE, ce sont les acrobaties verbales qui font la joie de l’élite des connaisseurs.

 

 

Une élite dont les membres se reconnaissent au surgissement, au détour d’une conversation, de formules du genre : « Ô ma Lydie, tu hantes Mes rudes rêves au lit » (Aubade à Lydie en do). C’est vrai qu’accéder au mystère (allez, je vous le livre : « Ô ma Lydie tu hantes  Mes rues de Rivoli ») suppose d’avoir été initié et, pour le moins, d’avoir suivi l’apprentissage.

 

 

Le mien, d’apprentissage, a commencé assez tôt. J’habitais chez mes parents, rendez-vous compte. Sans ça, je n’aurais jamais pu voir apparaître à la télévision, faute d’avoir jamais eu en ma possession un tel appareil,  cet hurluberlu à tête d’ahuri jouisseur qui venait chanter dans je ne sais plus quelle émission (le « Discorama » de DENISE GLASER ?), un de ses meilleurs textes (à mon sens) : Saucisson de cheval.

 

 

J’atterrissais sur une planète inconnue. Disons que ça a fait « tilt » (comme on disait du temps du « flipper » et autres « babasses »). Un tilt aidé par les "uuuuuuuu" que BOBY LAPOINTE poussait entre deux strophes, censés figurer un hennissement.

 

 

Imaginez un type impassible, un genre de BUSTER KEATON, mais dans la chanson, avec le même genre de jeu de scène et de mimiques : autrement dit, néant. BOBY LAPOINTE est un bloc, qui articule les paroles, mais qui ne fait rigoureusement aucun effort de séduction. C’est trop lui demander. Il est filmé debout, immobile. Et quand arrive la dernière strophe, il s’assied sur le tabouret placé là, toujours impassible : « Je désirais m’achoir (de ch’val), et tu m’amenas au (de ch’val) canapé en rotin (de ch’val) » (ne comptez pas sur moi pour traduire, je l’ai dit, il faut suivre).

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L’Aubade à Lydie en do (voir ci-dessus) est un petit chef d’œuvre grivois : « Au p’tit matin après une escapade, Elle se dévêt en dansant avec grâce Sans remarquer qu’un vieux voyeur en face Fait "glot-glot" avec sa glotte Qui tressaute Lorsque saute la culotte Que Lydie ôte ». C’est sûr que, si on n’est pas sensible au jeu avec les mots, tout ça tombe à plat. Personnellement, je trouve que « Lydie ôte » (prononcer vite en ôtant l’accent sur le o) reste une référence, de même que le « Lydie aussi » terminal.

 

 

La pauvre Lydie a des tantes qui la poussent à épouser son soupirant, mais « c’est vrai que c’est faux de croire que les tantes acculent leur nièce à cette union ridicule ». Je ne déteste pas « tantes acculent ». Ajoutons, pour faire bonne mesure « la fleur d’amour qui le mettait en transes, Napolitaine aux yeux de firmament … ». Et puis « j’aime mieux les yeux rares de Lydia que le curare de Lucrèce Borgia ». Un « curare » comme celui-là, décrypté comme il faut, j’en reprendrais bien une louche.

 

 

Le début de Marcelle est tonitruant : « Elle a l’œil vif, la fesse fraîche et le sein arrogant, L’autre sein, l’autre œil et l’autre fesse itou également ». Je n’y peux rien, je ris. Les ambiguïtés de Comprend qui peut sont savoureuses : « Il sait de quoi j’ai envie Il n’est pas si bête, Il sait que c’est de son vi-Goureux corps d’athlète », « C’est comme s’il avait devi-Né ce dont j’ai envie. Je dirais même qu’il a si vi-Goureux appétit Que je jurerais parfois qu’il a divi-Nement Fait tout ce qu’il faut faire pour mon con-Tentement ». Là je vous aide.

 

 

J’espère que c’est clair. Tiens, en prime : « J’aime son heu-reux caractère ». Et là, pas besoin de triturer l’orthographe, la liaison suffit. J’admets qu’il faut avoir l’esprit mal tourné. Mais c’est pareil dans la contrepèterie : il faut avoir un minimum de vocabulaire, disons, « convivial ». Ça vous va ?

 

 

Une personne prénommée J. aimait particulièrement : « Mon père est marinier dans cette péniche. Ma mère dit : "La paix niche dans ce mari niais". Ma mère est habile, Mais ma bile est amère, Car mon père et ses verres Ont les pieds fragiles ». Je l’approuve « de deux ouïes », pour m’exprimer comme La Maman des poissons. Je l’approuve aussi pour From two to two to two two, et sans hésitation : « De deux heures moins deux à deux heures deux ». Soit dit sans parti pris outrancier, le monsieur est inimitable.

 

 

Tiens, prenez le Tube de toilette : « J’apprécie quand de toi l’aide Me soutient cela va beau-Coup plus vite c’est bien la vé-Rité, ça nous le savons ». Devinette : dans le dessin, petit ami, retrouve un « gant de toilette », un « lavabo », un « lavé », un « savon ». Toute la chanson est comme ça. Appelons ça des « à-peu-près ». La fontaine à jeu de mots se met à couler après la phrase : « Le dernier mot qui t’a servi était "ponds-je" ». « Serviette éponge » est le premier.

 

 

Andréa c’est toi (« entre et assieds-toi ») mérite un détour. L’Ami Zantrop vaut un voyage : « C’est notre ami Zantrop ». Un arrêt respectueux avec inclinaison du haut du corps devant le Saucisson de cheval n° 2 : « Dans notre petit home (de ch’val) J’ai vu c’est infâme (de ch’val) Ma belle-mère de Grasse (près de Nice) Et vot’père de Houilles (en banlieue) ». Il y aurait encore à dire de T’as pas t’as pas tout dit, de Ta Katie t’a quitté, du Papa du papa (qui s’achève sur : « Yvan-Sévère-Aimé Bossac de Noyau Depêche ».

 

 

Il faudrait s’arrêter un instant sur L’Hélicon : « Eh bien y a ton amie Elie, Qui n’est pas très intelligent, Si tu veux, va jouer avec lui. – Non maman c’est pas ça le vrai instrument, Moi je veux jouer de l’hélicon ». Deux instants pour assimiler et goûter les innombrables (et inextricables) allitérations et assonances de Méli-mélodie.

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Il est évident qu’il faudrait faire plus long pour faire le tour (et encore !). Mais je ne voudrais pas finir cet hommage au grand BOBY LAPOINTE (« Est-ce plus loin de Pézenas, je ne sais pas »), sans citer un de mes refrains préférés, celui de Je suis Né au Chili :

 

« Et je veux rendre à ma façon grâce à votre graisse à masser.

Votre saindoux pour le corps c’est ce que mes vers pour l’âme sont.

De tout ce qu’à ma peau me fîtes, combien fus-je épaté de fois !

Combien à vous qui m’épatâtes mon bon petit cœur confit doit ! ».

 

Il y a ici de quoi se régaler, pour qui sait lire entre les mots.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

jeudi, 25 octobre 2012

BALZAC 3

Pensée du jour : « Pascal a dit : "Douter de Dieu, c'est y croire". De même, une femme ne se débat que quand elle est prise ».

 

HONORÉ DE BALZAC

 

 

BALZAC a donc "pissé de la copie" pour payer ce qu’il devait à ses créanciers. Mais il faut être juste : EUGENE SUE, à la même époque, eut plus de succès, tout en pissant comme lui l’épisode quotidien de son feuilleton pour le journal. Mais franchement, est-ce que vous avez mis le nez dans Les Mystères de Paris ? Si je voulais comparer, je dirais que c’est la dispute des poissonnières des Halles en face des plaidoiries de PERICLÈS devant les juges d’Athènes. Dit autrement : le nez dans la bouse du géotrupe stercoraire comparé au vol plané du grand oiseau d’altitude.

 

Pisser de la copie comme BALZAC ? Qui aujourd’hui serait assez fou pour ne pas signer le contrat ? C’est sûr que Le Père Goriot, considéré par beaucoup comme le chef d’œuvre, à cause du concentré qu’il représente, ne fut pas écrit en trois nuits, mais il fut achevé au château de Saché, chez monsieur DE MARGONNE, par un BALZAC vissé à la table éclairée par une fenêtre donnant sur une belle allée d’arbres centenaires. Le nombre de litres de café très fort absorbés pour la circonstance n'a jamais été précisé.

 

Il faut visiter Saché, un gros manoir plutôt qu’un vrai château. Enfin si, quand même un château, quand je revois la photo prise en 1983. Un beau jardin, un drôle de mur aveugle en plein sud. L’intérieur, j’ai oublié, sauf deux détails : la chambre qu’occupait BALZAC quand il y séjournait, petite, soigneusement reconstituée, y compris la cafetière sur la table, avec vue sur les arbres centenaires ; et la bibliothèque amoureusement et méthodiquement rassemblée par PAUL METADIER, avec tout ce qui a paru sur HONORÉ depuis sa mort en 1850. Et je peux vous dire qu'il en faut, des mètres de rayon. Un seul mot : impressionnant !

 

C’est vrai que, quand vous avez vu la chambre de Saché, vous vous demandez de quelle source secrète un homme ordinaire peut faire émerger un tel torrent d’inspiration. Et surtout, peindre le tableau (forcément incomplet, mais essayez de faire le dixième de ça, vous) d’une société entière, dans sa diversité et sa multiplicité. Son baroque et ses difformités, si vous voulez. Et vous vous dites qu’il était tout, sauf un homme ordinaire.

 

Finalement, le problème de BALZAC, je me demande s’il n’est pas de ne pas avoir, vu l’époque et les mœurs du temps, trouvé un mécène. Et je me demande même, au cas où il l’aurait trouvé, le mécène, si son œuvre aurait été ce Niagara qui emporte tout. Et si BALZAC n’a pas été obligé d’être un génie, simplement parce qu’il devait payer ses fins de mois. 

 

L’idée est assez idiote, parce que si ça se passait comme ça, il y aurait pléthore de génies sur la Terre. Aux obsèques (je pense au nom de Gobseck, l’usurier), au ministre qui lui disait : « C’était un homme distingué », VICTOR HUGO eut la dignité de répondre : « C’était un génie ». Rien n’autorise à penser qu’il en fût jaloux, pensez : nul n’aurait eu l’idée saugrenue de lui disputer la couronne de « géant des Lettres » qui ornait son front à l'époque. Le « géant » pouvait bien reconnaître, à présent qu’il était mort, l’existence d’un « Hercule des Lettres ». HUGO, de trois ans plus jeune, a encore trente-cinq ans devant lui. La vie est injuste.

 

Reste que la vie de BALZAC a consisté à courir. Avec un optimisme rétrospectivement pathétique : dans son esprit, demain devait lui apporter fortune, gloire et prospérité. Et stabilité. Ce n'est pas le moins étrange. Il n'a jamais eu ni la première, ni la troisième, ni la dernière. Quant à la gloire, il en a eu maint témoignage en se déplaçant en Europe : il était rarement incognito. Il a couru pendant cinquante et un ans. Il n'avait pas fini sa cathédrale romanesque, mais il n'aurait pas pu faire un pas de plus. Le récit de sa fin serre le coeur. 

 

Comme ma mémoire ressemble à un noyau de cerise, comparée à l'énorme citrouille qui a servi de réservoir à BALZAC, je n’ai pas tout retenu de La Comédie humaine. Loin de là. Le premier récit qui me revient, est une nouvelle de 1830, El Verdugo (en espagnol : le bourreau). Je la conseille aux parents qui aimeraient bien amener leur jeune babouin, réfractaire à la lecture, à s’y mettre. C'est par elle que le virus balzacien m'a contaminé et ne m'a plus lâché. Maladie heureusement incurable. 

 

Ça se passe pendant la guerre d’Espagne. Le commandant Victor Marchand occupe avec ses hommes le château du marquis de Léganès. Grand seigneur, "Grand" d’Espagne, Léganès a accueilli le détachement français courtoisement, ce qui ne l’empêche pas de jeter contre les soldats une bande armée qui les extermine. Tous, sauf Victor Marchand, que la fille du marquis, qui l'a regardé toute la soirée, prévient pour qu’il s’enfuie. 

 

Le général G…t…r une fois prévenu, la vengeance se prépare. Le débarquement anglais ayant échoué par précipitation, les Français occupent le pays, fusillent deux cents Espagnols, s’installent au château. Le général fait dresser sur la terrasse autant de potences qu’il y a de prisonniers dans la salle où, la veille, se tenait un bal joyeux. Marchand transmet à son chef le vœu formulé par Léganès d’avoir l’honneur traditionnel de voir la famille décapitée plutôt que pendue. 

 

« Soit, dit le général ». Après quoi, il ajoute : « Je laisse sa fortune et la vie à celui de ses fils qui remplira l’office de bourreau. Allez, et ne m’en parlez plus ». Bien sûr, le clou de cette nouvelle tragique et spectaculaire est la décapitation, par Juanito, l’aîné de la famille, de ses propres parents et de ses frères et sœurs, y compris la belle Clara, pour laquelle Victor Marchand en pinçait.

 

Et BALZAC le comprend, le pauvre, car elle a une chevelure noire et la taille souple : « C’était une véritable Espagnole : elle avait le teint espagnol, les yeux espagnols, de longs cils recourbés, et une prunelle plus noire que ne l’est l’aile d’un corbeau ». Oui, je sais, ça fait cliché. Mais à l'époque ? Pour un peu, BALZAC se verrait bien à la place de son personnage. Et je crois bien qu'il y a là un des grands secrets de ce que les savants analystes qualifient d' « effet de réel » : l'auteur est capable de s'identifier à tous ses personnages. Successivement. Quelle prouesse mentale et stylistique ! 

 

La scène proprement dite de l’exécution est expédiée en une page absolument magistrale d'intensité, de sobriété et de sombre grandeur : pour BALZAC, voilà comment doit se comporter un véritable aristocrate. Le nom ne doit pas s’éteindre. Et le père s’adresse à son fils horrifié par la tâche inhumaine : « Juanito, je te l’ordonne ». 

 

Et devant cent notables de la ville, qui ont été amenés sous les potences auxquelles les domestiques ont été pendus, Juanito coupe la tête de sa sœur (« Allons, Juanito, dit-elle d’un son de voix profond. »), puis celles du petit Manuel, de Mariquita, de son père (« Maintenant, marquis, frappe sans peur, tu es sans reproche », c'est presque une phrase destinée à "faire formule").

 

Quand sa mère s’approche : « Elle m’a nourri ! s’écria-t-il », elle comprend qu’il ne pourra jamais. Alors elle se précipite du haut de la terrasse, « et alla se fendre la tête sur les rochers. Un cri d’admiration s’éleva. Juanito était tombé évanoui ». Le roi d’Espagne décerne à ce dernier « le titre d’El Verdugo, comme titre de noblesse ». Dévoré par le chagrin, Juanito, marquis de Léganès, attend « que la naissance d’un second fils lui donne le droit de rejoindre les ombres qui l’accompagnent incessamment ».

Alors c’est sûr, cette veine héroïque, dramatique, intense et cruelle fait figure d'exception, dans la production de BALZAC. Mais vous comprenez que, ayant commencé (entre autres) par cette histoire, l’ado que je fus ait eu envie de plonger le nez dans cet océan que constitue La Comédie humaine. Je n'ai pas eu à le regretter. Je lui dois bien des choses. Respect à vous, monsieur DE BALZAC.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

mercredi, 24 octobre 2012

BALZAC 2

Pensée du jour : « Quand Mannekenpis, Karachi ».

 

PROVERBE UZVARECHE

 

Variante uzvaro-bachkir : « Quand Saint-Sulpice, Mammamouchi ».

 

 

Ce qui hallucine aussi, dans la biographie de BALZAC (par exemple celle d’ANDRÉ MAUROIS, Prométhée ou la vie de Balzac, Hachette, 1965), c’est son énorme capacité à graver dans son disque dur, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, un décor des rives du Cher (Le Lys dans la vallée), les coulisses de la vie bourgeoise dans la ville d’Issoudun (La Rabouilleuse), les aléas industriels d’une imprimerie à Angoulême (David Séchard dans les Illusions), bref : une multitude de décors, de situations et de personnages qui lui farcissent la tête, comme autant de tiroirs qu'il n'aura qu'à ouvrir pour les en tirer pour rendre les mouvements de la vie dans ses livres.

 

Il porte en lui toute une société, dans sa diversité et sa multiplicité. C'est lui qui le dit. Et il faut le croire : les preuves sont là. Même si l'universitaire PIERRE BARBÉRIS (Le Monde de Balzac, Arthaud, 1973) relativise l'expression "toute une société". Il montre (démontre) que BALZAC s'intéresse tout particulièrement à l'aristocratie et à la bourgeoisie, ce qui fait déjà pas mal de monde. Il montre aussi que le peuple (le petit) est à peu près absent de La Comédie humaine. Moi, si je dis qu'il fallait bien laisser des sujets à EMILE ZOLA, vous serez d'accord avec moi, non ? 

 

Ce qui fascine par ailleurs, c’est que, mort à l’âge de 51 ans, il a eu moins de 20 ans pour écrire toute son œuvre : il a trente ans quand il publie Les Chouans, son premier « grand livre ». Il en a 48 quand il publie les derniers, La Cousine Bette, Le Cousin Pons, Le Député d’Arcis (inachevé). Ne parlons pas des innombrables lettres écrites quotidiennement. 

 

Mais c’est un travailleur prodigieux. Il épuise rapidement ceux qui se hasardent à lui servir de secrétaires. Aucun de ceux qu’il aura embauchés (dont JULES SANDEAU, un temps compagnon d’AURORE DUDEVANT, dite GEORGE SAND) ne résista longtemps au rythme inhumain que lui faisait subir BALZAC, qui se faisait réveiller à minuit pour travailler les 18 heures que la veille lui laissait. Pas tous les jours, j’imagine. Ce qui explique sans doute quelque peu sa fin précoce, compte non tenu des quantités astronomiques de café qu’il eu le temps d’absorber. 

 

Mais quand on regarde la vie de BALZAC, tout, absolument tout est étonnant. Lui qui n’est pas beau, à proprement parler, avec son corps rond et son nez bizarre, a eu toute sa vie l’art de mettre dans sa poche, puis dans son lit, les femmes qui lui plaisaient. 

 

A commencer par LAURE DE BERNY, respectable mère de famille de vingt-deux ans son aînée, et qui finit par céder à ses ardeurs. Bien lui en a pris : elle se révèlera une conseillère hors-pair dans le travail et la maturation de l’écrivain. Pas la peine de compter ses conquêtes féminines. Bon, c’est vrai qu’avec la duchesse de CASTRIES, il est tombé sur un bec : il ne faut pas exagérer. 

 

Après BALZAC et les femmes, BALZAC et l’argent. Ce qu’il désirait le plus âprement, c’était de faire fortune. Malheureusement, il n’avait pas la bosse des affaires, c’est le moins qu’on puisse dire. S’agit-il d’investir dans une imprimerie ? Banco. Mais comme il n’a jamais un sou devant lui, il emprunte. Quand l’entreprise se casse la figure, il a deux fois des dettes. S’agit-il d’investir dans des mines d’argent en Sardaigne ? Quand il s’avise de donner suite, c’est trop tard. Des actions dans les chemins de fer du Nord ? Elles baissent inexorablement. 

 

C’est sûr qu’en imagination, il a bâti des fortunes pharaoniques. A l’arrivée, les dettes s’accumulent. Il a les créanciers aux trousses. Il loue même (je crois que c’est à Passy) une maison qui s’ouvre sur deux rues différentes, au cas où. Et il n’est pas impossible que, s’il a écrit pour le théâtre (six pièces au total), c’est dans la perspective de se refaire un compte en banque présentable (il paraît que ce n’était pas faux). 

 

Ce qui est sûr, c’est que BALZAC a gagné des fortunes. Mais un vrai paquet de fric, tel qu’on n’en a pas idée. Ce qui est sûr, c’est qu’il aurait pu devenir riche, au sens où on l’entendait dans la classe à laquelle il appartenait, et plus encore dans celle à laquelle il voulait accéder. Et le pathétique, dans la vie de BALZAC, il se situe, à mon sentiment, exactement là. 

 

Parce que son problème, c’est quand même qu’il a laissé à son épouse polonaise des ardoises à foison, qu’elle semble avoir réglées (sur sa fortune personnelle) jusqu’au dernier centime. Mais le raisonnement de l’auteur se tenait. Il se disait : j’ai besoin des capitaux d’untel et untel. Je vais les convier à un repas pour en discuter. Si je veux leur donner envie d’investir, je ne peux pas faire le pingre. Soyons royal ! Et BALZAC, en cette matière, fut toujours royal. Mais jamais sur fonds propres. Toujours à crédit. 

 

Parce que l’un des mystères les plus hermétiques de la vie de BALZAC est là : plus le temps a passé, plus la vitesse s’est accélérée, et plus les dettes se sont accumulées. Quelle énigme, quand même ! C’est sûr que, s’agissant du luxe, il n’a jamais lésiné. Et il en connaissait un rayon, le bougre. Il se faisait faire des cannes à pommeau incrusté de pierreries, au point qu’il était connu pour ça dans les gazettes. 

 

Et le luxe, il voulait vivre dedans. Meubles, tableaux, tentures, tapis, vases précieux, rien n’avait de secret pour lui. Et tout ce qui coûtait le plus cher était bon. Il acheta même chez un antiquaire une commode ayant appartenu à MARIE DE MEDICIS. Peut-être l’a-t-il cru. Il achetait donc, à tout va, avant d’avoir l’argent pour payer. Ce qui renvoyait après tout à un chapitre de RABELAIS, auteur qu’il affectionnait particulièrement : « Eloge des debteurs et emprunteurs ». 

 

Et comment payait-il ses dettes ? En PISSANT DE LA COPIE. Aussi net et aussi brutal que ça. Je n’y peux rien. La Comédie humaine ? C’est tombé de la plume d’un tâcheron qui était obligé de pisser de la copie pour payer ses dettes. Surtout que plusieurs de ses bouquins, selon les mœurs du temps, lui furent achetés avant qu’ils fussent écrits. BALZAC, qu’on se le dise, est un homme du projet. Un homme qui se projette sans cesse dans le futur. Un futur forcément radieux et reposé. Mais HONORÉ DE BALZAC, qu’on se le dise, ne s’est jamais reposé.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

A suivre.

mardi, 23 octobre 2012

BALZAC 1

Pensée du jour : « Toutes les colombes sont des Robespierre à plumes blanches ».

 

HONORÉ DE BALZAC

 

 

Il signa HORACE DE SAINT-AUBIN ces livres qu’on appelle aujourd’hui « romans de jeunesse ». Il devait tenir à la particule, parce que, dans son vrai nom, il s’est tellement peu fait à son absence qu’il a voulu à toute force l’ajouter. Son vrai nom ? HONORÉ BALZAC. Qui, aujourd’hui, songerait à l’en priver, de sa particule imaginaire ? 

 

HONORÉ DE BALZAC, donc. Mon premier contact avec ce monument de la littérature, je ne dis pas « française », mais universelle, remonte à mon adolescence, lorsque mon père se mit à acheter pour moi, mois après mois, chacun des 37 volumes qui constituent l’édition du Cercle du Bibliophile. Cette édition ne vaut certes pas celle, beaucoup plus scientifique (et beaucoup plus chère !), donnée par le Club de l’Honnête Homme, à peu près à la même époque. Mais enfin, je m’en contentais. Il y avait l’essentiel : le texte. 

 

Ce qui a sauvé BALZAC à mes yeux, c’est de n’être jamais devenu un objet d’étude au lycée. Il a évité le grand tort qu’on fait subir aux grands auteurs de tenter de les expliquer en classe. Il a évité le total discrédit injustement tombé sur CORNEILLE, dont monsieur LAMBOLLET avait eu l’idée lumineuse de nous faire étudier la pièce Cinna. CORNEILLE ne s’en est pas remis. C’est un tort, je sais, mais que faire ? 

 

Quelle idée, aussi, de faire travailler des gamins de douze ans (c’était en cinquième) sur une œuvre éminemment politique (le sujet : la clémence d’Auguste envers un comploteur) ? 

 

On ne dira jamais assez combien, à quelques exceptions près, l’enseignement de la littérature tel qu’il était pratiqué, je veux dire : en vue d’obtenir une note au baccalauréat, est un des moyens de dégoûter les jeunes de la littérature. Comment leur donner le goût de la lecture ? Je le déclare solennellement : je n’en sais fichtre rien ! Quant à moi, je l'ai gardé, cultivé, développé. 

 

BALZAC fut donc sauvé. VICTOR HUGO aurait pu l’être aussi. C’est certain, il y a Notre-Dame de Paris, Les Misérables, Quatrevingt-treize. Oui, il y a le fleuve poétique (« Ce que dit la bouche d'ombre », c'est dans Les Contemplations : « Tout vit, tout est plein d'âme »). Mais il fait aussi exprès de se rendre insupportable. Car il y a aussi l’enflure, le déluge des images (« le pâtre promontoire au chapeau de nuée »), et puis il y a le culte, que dis-je, l’idolâtrie de l’antithèse (vous savez, dans Ruy Blas, le « ver de terre amoureux d’une étoile »). 

 

Bon, c’est vrai, HUGO emprunte ce goût du contraste violent au CHATEAUBRIAND des Mémoires d’outre-tombe. Mais ce qui reste mesuré chez celui-ci, HUGO en fait un Everest. Et puis CHATEAUBRIAND, toujours dans les Mémoires, consent à la simplicité du style quand il s’agit de décrire la nature et de raconter son passage du Saint-Gothard. HUGO n’est jamais modeste. J’exagère, je sais. Alors disons qu'il l'est rarement. 

 

C’est donc sans y être obligé que j’ai lu toute La Comédie humaine, ou presque. J’ai commencé à faiblir quand sont sortis les volumes contenant les Contes drolatiques, des pastiches bien corsés et bien verts de la langue baroque de RABELAIS et BEROALDE DE VERVILLE, dans la veine des Fabliaux du moyen âge (curés pécheurs jamais repentis, adultères joyeux, …). Quant au théâtre et aux romans de jeunesse, s’il me reste un jour du temps, pourquoi pas ? 

 

La Comédie humaine, c’est déjà un morceau respectable en soi. Je n’ai pas vu le temps passer. Les Illusions perdues ? C’est passé comme un rêve. Rubempré, « plus léger qu’un bouchon [qui dansait] sur les flots », ballotté au gré des D’Arthez et des Lousteau. 

 

Ah, du côté des femmes, Rubempré qui erre de la Bargeton à la Coralie, puis de La Torpille à la Maufrigneuse et à la Sérizy (mais ça, c’est dans Splendeurs et misères des courtisanes) ! On suit. Et on erre en sa compagnie, de la province profonde d’où il essaie de s’arracher jusqu’à son terrible suicide obscur (réussi, celui-là) à la Conciergerie, et des rêveries poétiques en compagnie de David Séchard aux sombres machination en compagnie de Carlos Herrera (alias Vautrin). 

 

Les deux grands BALZAC qui apparaissent dans La Comédie humaine, c’est bien sûr Rubempré et Rastignac. Je ne m’attarderai pas sur le fameux « A nous deux maintenant ! », que ce dernier lance au Paris illuminé qu’il voit du haut du Père Lachaise, où il vient d’être obligé d’emprunter pour payer les fossoyeurs qui ont enterré le père Goriot. Les filles de celui-ci ont eu l’obligeance d’envoyer leurs voitures (vides mais armoriées) à l’enterrement. 

 

On pressent la suite de la carrière d’Eugène dans la dernière phrase du livre (je parle du Père Goriot) : « Et pour premier acte de défi qu’il portait à la Société, Rastignac alla dîner chez madame de Nucingen ». Nuncingen, c’est le banquier dont BALZAC prend soin de rendre l’accent alsacien dans la graphie. Et dont la femme sera la maîtresse de Rastignac. Mais c’est vrai, Rastignac est moins sympathique et pitoyable que Rubempré. Ce dernier a trop besoin d’être aimé. Et Rastignac est trop cynique. 

 

Pourquoi je dis « les deux grands BALZAC » ? Est-ce que ce n’est pas évident ? Rastignac et Rubempré sont des émanations de BALZAC. Mais autant (non, bien davantage) que De Marsay, Maxime de Trailles, voire le dévoué et lucide avoué Derville. D’autres. 

 

N’y a-t-il pas encore de lui dans le banquier Nucingen, le calculateur et spéculateur sans scrupule ? Dans Birotteau, l’entrepreneur patient et honnête qui se fait plumer quand il veut changer d’échelle ? Ce qui hallucine, c’est la capacité de BALZAC à doter tous ses personnages de quelque part de lui-même, selon les aspirations ou les calculs qu’il a besoin de mettre en action.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

A suivre.

lundi, 22 octobre 2012

PETIT RETOUR EN ARRIERE

Pensée du jour : « Presque tous les désirs des pauvres sont punis de prison ».

 

LOUIS-FERDINAND CELINE

 

On ne se rappelle déjà plus ce qu'on a fait il y a six mois (enfin presque, on ne va pas chipoter). Mais si, HOLLANDE, le Parti Socialiste et toute la fièvre du « changement c'est maintenant».

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On ne se rappelle déjà plus qu'on était content de ne plus voir la trombine de SARKOZY dans tous les coins des plateaux de télévision et des couvertures de magazines, et de ne plus entendre la voix pleine de certitude et de volontarisme de NICOLAS. Six mois que nous n'entendons plus le matamore déclarer : « Vous allez voir ce que vous allez voir».

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AVANT LE PREMIER TOUR ...

 

Et qu'on a vu qu'on n'a rien vu. Et c'est tellement vrai qu'on n'a toujours rien vu que ça commence à se savoir, et même à se voir. Vous dire que je l'avais bien prévu, ce serait paraître prétentieux, n'est-ce pas : ça ne se fait pas. Et pourtant si, je l'avais vu, du fond de mon bocal viscéralement abstentionniste.

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... ET APRES !

 

Je le savais, qu'après les sévices infligés au "Service Public à la Française" par le grand éradicateur du Bien Commun, on allait voir ce qu'on est en train de voir, c'est-à-dire rien.

 

Pour une raison relativement connue et banale, mais qui me semble cruciale : sans même parler de tous les lobbies qui s'en donnent à coeur joie autour des ministres, dans les couloirs de l'Assemblée Nationale, du Sénat et des Institutions Européennes, on le sait, que les politiques n'ont plus guère de pouvoir sur la réalité.

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AVANT LE DEUXIEME TOUR ...

 

On le sait, que ce ne sont plus les forces politiques des sociétés qui gouvernent le monde, mais que les leviers de commande sont fermement détenus par les forces économiques, au premier rang desquelles viennent les forces financières. Cela fait déjà quelque temps que ce n'est plus le politique qui organise la vie des sociétés. HANNAH ARENDT, pour qui l'action politique était le summum de la civilisation humaine, doit se retourner dans sa tombe.

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... ET APRES !

 

Je le savais, que tout ce qui sortait de la bouche de SARKOZY était de la parade musculaire et que tout ce qui sortait de la bouche de HOLLANDE était du bluff. Mais tout ça, ça relevait du « A chacun son style ! », et de rien d'autre. La "com" de SARKOZY reposait sur le muscle. Celle de HOLLANDE sur le verbe. Pour agir sur les esprits, ça change peut-être beaucoup. Pour agir sur la réalité, cela ne change pas un iota.

 

Voilà ce que je dis, moi.  

 

 

dimanche, 21 octobre 2012

PENSEE DU JOUR

LA PENSEE DU JOUR ?

LA VOICI : « ARF ! ARF ! »

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PEINTURE PARIETALE RETROUVEE DANS LA GROTTE "METRO CHÂTELET-DIRECTION CASSIOPEE" (bien connue des paléontologues CHRISTIN et MEZIERES).

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A ceux qui se demanderaient pourquoi la ci-dessus créature vaguement canine émet l'onomatopée telle qu'elle apparaît, et non sous la forme qu'elle revêt normalement sous nos climats, je veux dire en France, je veux dire : « Ouah ! Ouah ! », je répondrai qu'il faut en accuser les Grands-Bretons, plus généralement les Anglo-Saxons, et FRANK ZAPPA en particulier - qui n'a au reste rien de précisément Grand-Breton.

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On trouve en effet cette transcription d'un bruit dans le langage (c'est une définition), dans une chanson du disque Apostrophe ('). Plus précisément dans « Stink foot ». Pour ceux qui auraient besoin d'une traduction, le texte de la chanson parle d'une maladie pas tout à fait imaginaire nommée "bromidrose", connue pour le vif désagrément qu'elle procure à l'entourage du malade.

 

Et plus exactement à l'orifice olfactif du dit entourage. Pour faire bref, disons qu'on peut traduire "stink foot" par "pied qui pue". Et c'est la girl friend qui dit à son copain qu'il pourrait se laver les pieds. Tout ça sous le fallacieux prétexte qu'elle allègue : « Your stink foot puts a hurt on my nose». On ne saurait mieux dire : ton pied puant pose une blessure sur mon nez.

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SOLE, GOTLIB, DISTER, CELEBRANT LE PIED DE ZAPPA DANS FLUIDE GLACIAL

 

Notons que le chien de la chanson a ceci de particulier qu'il parle. Et non seulement qu'il parle, mais qu'il semble accéder sans difficulté aux sphères éthérées de la pensée abstraite : « (This is a dog talkin' now) What is your conceptual continuity. Well, I told him right then (Fido said) It should be easy to see The crux of the biscuit is the Apostrophe (') ».

 

Je dois dire que, si je ne suis guère convaincu par les tentatives de FRANK ZAPPA en matière de "grande musique" (tentatives marquées par AARON COPLAND ou CHARLES IVES), je vote sans réserve pour tout ce qu'il a produit avec les « Mothers of invention ». Et plus généralement dans le domaine de la pop-rock (Chunga's revenge, Over nite sensation, Zoot allures, Bongo fury, Sheik yerbouti, Joe's garage, j'arrête).

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BONGO FURY (A DROITE ? MAIS ENFIN, C'EST CAPTAIN BEEFHEART !)

 

J'étais même allé l'écouter un soir où il donnait son spectacle au Palais des Sports. Belle ambiance, musique tirée au cordeau (ZAPPA n'aime guère les imprécisions). La place était chère (j'ai oublié). D'autant plus chère qu'après l'heure (soixante minutes montre en main) de musique, le groupe se retire. Et pas question de revenir, quel que soit l'état de la salle. Sans tomber dans les dégoulinades interminables de fin de concert de JACQUES HIGELIN, j'avais modérément apprécié cet aspect "prestation professionnelle".  

 

Voilà ce que je dis, moi. 

 

samedi, 20 octobre 2012

MONUMORTS QUI ME TOUCHENT

Pensée du jour : « Tout chrétien sans héroïsme est un porc ».

 

LEON BLOY

 

 

Parmi les 36.000 monuments aux morts de la guerre de 1914-1918, on peut en distinguer trois sortes : ceux qui touchent le passant, ceux qui restent neutres, ceux qui sont ridicules. Je parle de leur aspect. Car entendons-nous bien, TOUS les monuments aux morts touchent, et pour une raison évidente : ils portent les noms des morts.

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PLOZEVET 29

A ce sujet, je trouve incompréhensible que la cérémonie du 11 novembre revête encore de nos jours un uniforme militaire (avec drapeaux, anciens combattants, bérets rouges, trompette éventuelle ...). Car les jeunes hommes de la commune qui ont laissé leur vie dans la boucherie étaient des CIVILS, des paysans pour la plupart. Et "paysan", c'est d'une certaine manière la quintessence du civil. Rien n'est plus impropre au militaire que le métier de paysan.

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PONT-CROIX 29

C’est d’ailleurs pour ça que l’on a gravé leurs noms sur les flancs du monument communal (rural, pour la plupart). Je suis, encore aujourd'hui, impressionné par l’invraisemblable liste de ceux que le premier suicide de l’Europe a retranchés du nombre des vivants. Et je maintiens que le plus bel hommage qu'on pourrait leur rendre, plutôt que la sempiternelle sonnerie « Aux morts», que tout le monde écoute en attendant la fin, serait de lire tous les noms gravés. Et ça aurait une autre gueule. Encore une effort, monsieur le Maire !

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PLOUHINEC 29

Esthétiquement, la plupart des monuments sont neutres : un simple obélisque. L’obélisque est la façon la plus courante (ne disons pas la plus banale) dont les vivants ont rendu hommage aux morts de la Grande Guerre.

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DAGNEUX 01 

Sans doute parce qu’il était la moins coûteuse des solutions, surtout dans les toutes petites communes (quoiqu’une loi de 1920 ait autorisé les subventions publiques). Beaucoup se sont contentées d’une simple plaque apposée soit sur la croix du cimetière, soit sur le mur de la mairie, soit dans l’église.

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TENCE 43

Soyons clair : les monuments que j’estime ridicules sont ceux qui exaltent l’héroïsme du combattant, soit par la grandiloquence de la stature prêtée au poilu, soit par l’ardeur guerrière et l’attitude triomphante du soldat qui part la fleur au fusil (façon : « Gais et contents, nous marchions triomphants … », « A Berlin ! »).

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LA CHAPELLE SOUS ROUGEMONT 90 

Franchement quand je lis, sous la plume de CHARLES PEGUY :

 

« Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle,

Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre.

Heureux ceux qui sont morts pour quatre coins de terre,

Heureux ceux qui sont morts d’une mort solennelle. »,

 

je mesure l'insondable fossé (intellectuel, moral, historique, …) qui me sépare de lui. Son excuse, c'est qu'il a mis son poème en pratique (il est mort au combat, à Villeroy, le 5 septembre 1914). Chapeau, monsieur PEGUY. Et respect !

 

 

C’est vrai qu’à son époque, le mot « patrie » avait encore du sens, et qu’il fallait la grandeur (intellectuelle, morale, …) d’un ROMAIN ROLLAND pour refuser d'être sensible à l’appel au sacrifice de soi pour le salut de la terre de ses pères : « Un Français doit vivre pour elle, Pour elle un Français doit mourir », chantait-on alors.

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BIAS 40 

Une autre variété de monuments ridicules se caractérise par l’emphase insupportable des allégories mises en scène, parmi lesquelles la Marianne casquée ou l’Ange rédempteur, ou par l’effort de reconstitution de la tranchée, comme Ville-en-Tardenois l’a fait.

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VILLE EN TARDENOIS 51

(notez le "crapouillot") 

Ces monuments perpétuent un mythe national, une idéologie devenue haïssable : « Vous avez bien fait de donner votre sang et votre vie pour votre patrie. Vous avez bien fait de mourir : voyez comme nous honorons votre mémoire ». Je me demande d’ailleurs si l’horrible guerre de 14-18 n’est pas pour quelque chose dans la dévaluation de l’idée de nation, dont je parlais précédemment.

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PLEHEDEL 22 

Certains diront évidemment qu’il faut comprendre autrement ces monuments, et proclameront : « C’est à vous que nous devons la vie ». Ce n’est pas faux, et je ne peux pas leur donner tort. C’est vrai qu’aujourd’hui, nous voyons les choses avec le recul de l’histoire, et que c’est tout le 20èmesiècle qui peut nous paraître frappé d’absurdité et balayé par des horreurs innombrables et sans nom.

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CAMPAN 65

J'ai préféré néanmoins m’attarder aujourd’hui sur des monuments qui laissent d'abord s’exprimer le deuil, la plainte, la lamentation de ceux qui restent (plutôt celles, d’ailleurs, ce qui s’explique bien sûr très rationnellement) sur les disparus et les absents. A cet égard, parmi les monuments aux morts de la Grande Guerre qui me touchent le plus, regardez ci-dessous.

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MONTFAUCON 43 HAUTE-LOIRE

(2 "BOUCHET", 2 "BOYER", 2 "CORNUT", 3 "DELEAGE", 2 "ESCOFFIER")

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

PS : du même GASTON DINTRAT (mort en 1964), et de la même inspiration, le monument de Joyeuse (07) :

JOYEUSE 07.jpg

 

 

 

 

vendredi, 19 octobre 2012

L'AVENIR DE L'IDENTITE NATIONALE

Pensée du jour : « Malheur à celui qui n'a pas mendié ! Il n'y a rien de plus grand que de mendier. Dieu mendie. Les anges mendient. Les rois, les prophètes et les Saints mendient ».

 

LEON BLOY

 

 

Ceci est la dernière note sur le sujet.

 

 

J’étais donc parti, le 14 octobre, sur une question d’une gravité philosophique qui n’a certainement échappé à personne : « Qu’est-ce que l’identité nationale ? ». Je répondais intrépidement : « sentiment d’appartenance » et « exigence de différenciation ». C’était mes deux idées de départ. Ce qui m’intéresse dans ces deux notions, c’est qu’elles marchent aussi bien au niveau individuel que national.

 

 

L’individu est un entrecroisement proprement inextricable de critères d’appartenance et de critères de différenciation (nom, prénom, date et lieu de naissance, profession, adresse, etc.). La nation, c’est un peu pareil. A ce titre, la caractéristique principale de toute identité, c’est qu’elle se compose de données tout à fait indénombrables. Je dirais même « inépuisables ». Chercher à définir l’un ou l’autre de façon exhaustive est voué à l’échec. Et je trouve ça rassurant : la part de mystère de tout ce qui se rattache au vivant, en quelque sorte.

 

 

Maintenant, la question qui vient est : « Qu’est-ce qu’on fait de tout ça ? ». Je veux dire : de  quel côté va-t-on tirer la question ? Beaucoup de problèmes du monde actuel en découlent. Ne parlons pas des Kurdes, peuple à cheval sur quatre Etats (le cas des Basques est analogue). Ne parlons pas des Ouïghours, peuple musulman égaré en Chine (mais aussi, que sont-ils allés faire dans cette galère ?).

 

 

Ne parlons pas des Ecossais, qui sont en train de préparer leur sécession de la couronne britannique. Ne parlons pas des Flamands ou des Slovaques. Ne parlons pas des Catalans, qui vivent sur un trou financier, mais que ça n’empêche pas de réclamer l’indépendance de la province. Et qui abolissent la corrida parce qu’ils la considèrent comme espagnole. Au fait, jusqu’où va la Catalogne, au nord de la frontière ? Perpignan ? Narbonne ? Je ne me rappelle plus où commencent les panneaux routiers bilingues.

 

 

Le point de départ de l’identité, c’est au total deux affirmations : « Nous sommes ce que nous sommes » (appartenance) et « Nous ne sommes pas ce que nous ne sommes pas » (différenciation). Ce qui veut dire : « Nous ne sommes pas ce que vous êtes ». Ça a l’air très bête, dit comme ça (deux atroces tautologies, pour ceux que ça intéresse), mais ça tient la route. Qui peut dire où se situe le point d’équilibre ? Y a-t-il seulement un point d’équilibre ? Ce qui est sûr, c’est qu’on peut choisir de tirer sur l’un ou sur l’autre des deux fils.

 

 

Si vous tirez le fil de l’appartenance, nul doute que vous englobez. Quoi ? Ce n’est pas le problème. Le problème, de ce côté-là, c’est que, plus vous englobez, plus vous risquez d’aller vers un ensemble hétérogène, au point, éventuellement, de passer par-dessus des différences irréductibles.

 

 

C’est ce qui s’est passé pour l’Empire Romain à l’époque de TRAJAN (53-117) : la plus grande extension, avant le démembrement (la "décadence"). C’est de l’ordre de la dénégation, du refoulement, de l’angélisme : prêcher à toute force, à genoux et les mains jointes, que l’unité règne. Par exemple, qu’est-ce qui est à l’œuvre, quand un blanc, dans une rue française, se fait traiter de « fromage blanc », ou pire, de « sale Français » ?

 

 

Si vous tirez le fil de la différenciation, nul doute que vous accusez l’épaisseur du trait qui sépare. ANDERS BERING BREIVIK, le Norvégien massacreur, a tiré ce fil-là (et tiré sur tous ceux qui militent pour une appartenance toujours plus grande, je veux parler d’une certaine gôche métissante à tout crin, vous savez, la tarte à la crème de tout ce qui se veut et se prétend « sans frontières »).

 

 

Il y a un début d’hostilité dans le simple fait d’exalter sa propre différence (la revendication dite « identitaire » : « Je ne suis pas ce que tu es », « Nous ne sommes pas ce que les autres sont », étrangère, pour l'instant, à toute idée de supériorité de "je" ou "nous" sur "tu" ou "les autres").

 

 

Le point extrême de la différenciation, c’est évidemment le concept de « pureté de la race », avec toutes les implications qu’on a pu observer dans l’histoire du 20ème siècle. L’autre point extrême, qu’on pourrait appeler « la grande appartenance », ou « tout est dans tout (et réciproquement) », c’est ce qui a été baptisé du noble nom de « métissage ».

 

 

Le grand laboratoire grandeur nature de la pureté de la race, c’est, comme chacun sait,  l’Allemagne hitlérienne. Pas besoin d’épiloguer. Le grand laboratoire grandeur nature du métissage se trouve, quant à lui, en Amérique latine, sorte de concentré de tous les continents. L’Argentine n’a-t-elle pas eu un président nommé NESTOR KIRCHNER (nom germanique) ? Le Pérou, en 1990, a élu au même poste ALBERTO FUJIMORI (nom japonais). L'actuel Bolivien EVO MORALES AYMA (nom amérindien) est d’origine Aymara. Toute l’onomastique latino-américaine reflète ce qui a bouillonné dans ce chaudron.

 

 

Le problème de l’identité nationale française, tel qu’il se pose aujourd’hui, est là. Qu’elle se dilue, cela ne fait guère de doute. On peut faire pousser dans son jardinet les reliques que l’on veut. Mais à propos de l’identité nationale française, cela s’en va, si j’ose dire, par « en haut » et par « en bas ».

 

 

Par en haut, c’est évidemment toute la supranationalité qui tend à s’imposer aux membres de l’Union Européenne en général, à la France en particulier. Par en bas, c’est ce qui nous vient à la fois de la double nationalité (un petit peu) et du regroupement familial (très beaucoup). Ajoutons, pour faire bonne mesure, la naturalisation, et le million de nouveaux citoyens, qu'elle ajoute aux Français tous les 11 ans environ (à peu près 85.000 par an).

 

 

Qu’est-ce qui domine la scène, sur ce plateau ? Difficile à dire. D’un côté, vous avez JEAN-FRANÇOIS COPÉ (et une forte partie de l’UMP) qui parle de « racisme anti-blanc », et qui dénonce le fait d’arracher à un collégien (une collégienne ?) son pain au chocolat, sous prétexte qu’on est en ramadan. Visiblement, le monsieur en question tire sur le fil de la différenciation et privilégie l’aspect identitaire. Et c'est vrai que le laïciste que je suis réagit très mal à l'irruption du religieux (fortement teinté de politique) dans notre espace public.

 

 

De l’autre côté, vous avez FRANÇOIS HOLLANDE (et tout le Parti Socialiste, en plus de quelques gauchistes et chrétiens sociaux au grand cœur) qui, en tant qu’universaliste et « porteur de valeurs », propose d’accorder le droit de vote aux étrangers dans les élections locales.

 

 

Vous avez RESF (réseau « éducation sans frontières ») et autres associations humanistes, qui luttent contre les centres de rétention, l’expulsion des enfants d’immigrés scolarisés, le sort fait aux sans-papiers. Soit dit en passant, ce sont les mêmes qui s’apprêtent à défaire l’institution du mariage en l’ouvrant aux homosexuels, sous prétexte d’ « égalité ». C’est vraiment bizarre, ce que c’est devenu, « être de gauche » : éliminer à toute force tout ce qui différencie, hiérarchise, distingue, "discrimine".

 

 

 

Il me semble que c’est dans Les Origines du totalitarisme (Gallimard « Quarto », 2002) que HANNAH ARENDT déclare que l’époque de l’impérialisme (= déversement de capitaux et de populations européens superflus sur le reste du monde, environ 1850-1900) est celle du déclin des Etats-nations. Peut-être a-t-elle tort, après tout. Mais est-ce bien sûr ?

 

 

Ce qui est sûr, en revanche, c’est que les capitaux sont en train d’achever la planète, et que les populations sont de plus en plus superflues. Alors, dans ce magma, vous pensez, l’identité nationale française ! …

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

FIN

 

 

mercredi, 17 octobre 2012

L'EURO ET L'IDENTITE NATIONALE

Pensée du jour : « Peu d'oeuvres donne beaucoup d'amour-propre, beaucoup de travail donne infiniment de modestie ».

 

HONORÉ DE BALZAC

 

 

Je serais assez tenté d’accuser les hauts responsables de la France (principalement politiques, mais aussi médiatiques) d’avoir sciemment laissé tomber en déshérence les notions de nation et d’identité nationale. Tenté aussi d’attribuer à cette déréliction volontaire la floraison d’un mouvement comme le Front National, dont l’essentiel de la doctrine se résume d’ailleurs à la nation (« préférence nationale », « souveraineté nationale », et deux ou trois autres babioles, gadgets et bricoles).

 

 

Je vais vous dire, si la nation avait été portée par les grandes voix politiques, LE PEN serait resté le borgne qui faisait 3 ou 4 % aux élections. A cet égard, le fait qu’il doive son ascension électorale au machiavélisme tactique de FRANÇOIS MITTERRAND, en dit long sur le « sens de l’Etat » dont celui-ci a fait preuve.

 

 

Mais ça en dit long aussi sur son patriotisme : la redoutable bête politique qu’il fut a mis la France au service de son ambition et de sa carrière. CHARLES DE GAULLE a fait le contraire, avec un certain orgueil et une certaine classe, faisons-lui au moins ce crédit, en mettant son ambition et sa carrière au service de la France. DE GAULLE aurait fait un excellent homme d'Etat sous l'Ancien Régime.

 

 

Pour POMPIDOU et GISCARD, qui lui ont succédé, la nation française n’était pas encore une faribole, mais déjà plus tout à fait une priorité, perdant alors en netteté. Et la façon dont les politiques actuels se réfèrent aujourd’hui à « nos valeurs » a quelque chose de profondément obscène.

 

 

Et je n’oublierai pas que, sur la photo présidentielle (prise par l’estimable RAYMOND DEPARDON), le drapeau français, en toile de fond, partage l’espace avec le drapeau européen. Le message est clair : le drapeau tricolore n’occupe plus que la moitié du lit.

 

 

D’ailleurs, je ne sais pas si vous avez remarqué, mais vu comme sont présentées les trois couleurs, ça devient le drapeau des Pays Bas. Le gag n’est sans doute pas volontaire. Pendant ce temps, le drapeau azur à étoiles d’or, vous pouvez le tourner dans tous les sens, ce sera toujours le même cercle vicieux.

 

 

Et toujours à propos d’Europe, mais avant de passer à autre chose, parlons donc de l’euro. Qui a fait l’euro ? Et pourquoi ? Comment s’est passé l’abandon des monnaies nationales ? Le Franc ? Dissous dans la grande marmite européenne. Le premier franc ? Il a été battu (de « battre monnaie ») en 1360. Et je dis que le franc entrait pour beaucoup dans la définition de l’identité nationale française. Et l’abandon du franc nous renvoie toute notre histoire à la figure, aujourd’hui que l’euro coule.

 

 

Vous savez ce que ça veut dire, « franc » ? Comme il fallait payer la rançon de JEAN LE BON prisonnier des Anglais, on a appelé la monnaie qui l’a fait sortir de sa prison du nom de « liberté ». Regardez en France, le nombre de villes qui portent « franc » dans leur nom. Regardez le nombre d’expressions de notre langue : « franc-jeu, franc-maçon, franco de port, franc-parler, franc-tireur, … ». « Franc », ça veut dire « libre ».

 

 

La part d’identité nationale française que nous devions à cette monnaie qui nous était spécifique, a été purement et simplement jetée à la poubelle, au nom d’un pur et simple PARI fait au début des années 1990 par FRANÇOIS MITTERRAND, une grande fusion de toutes les identités nationales dans une identité supranationale. Sauf que la monnaie ne suffit pas à faire une identité. Or le reste (identité politique) n’a pas suivi. Ou précédé.

 

 

Ce n’est pas pour rien que JEAN-PIERRE CHEVENEMENT, dans La France est-elle finie ? (Fayard, 2011), a parlé du « pari pascalien » de MITTERRAND, au début des années 1990. Le « pari » de PASCAL, si je me souviens bien, se formule à peu près comme ceci : « Pariez sur l’existence de Dieu. De toute façon, ça ne vous coûte rien et, si Dieu existe, ça vous rapportera la vie éternelle ». Je résume. Le gros lot, quoi. Zéro de mise, en quelque sorte, pour un jackpot infini. Mais un jackpot supposé. Remplacez Dieu par l'euro, l'équation reste la même.

 

 

Le fond du jackpot, les Grecs sont en train de le toucher (du doigt, de la langue et du reste). Mais en somme, ils n’avaient qu’à ne pas parier comme des fous. C’est vrai qu’ils se sont fait prêter par « Dieu », en masse, de la vie éternelle anticipée, « à profiter de suite » en quelque sorte. Ils n’avaient pas le temps d’attendre. Ils ont inversé les termes du pari. Et ils ont bouffé le jackpot avant d’avoir trouvé les bons numéros. Bien fait pour eux. Le problème, c’est que d’autres risquent de suivre.

 

 

Personnellement, je n’aimerais pas que ça nous arrive.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

mardi, 16 octobre 2012

VOUS AVEZ DIT IDENTITE NATIONALE ?

Pensée du jour : « C'est en flattant les hommes et les peuples qu'on les perd ».

LEON BOITEL (cité par ROLAND THEVENET, L'Esprit canut, n°18)

 

 

Ceux qui ont suivi les deux notes précédentes ont sans doute deviné où je voulais en venir en abordant la question de l’identité nationale. C’est entendu, NICOLAS SARKOZY, en lançant son soi-disant débat, a voulu faire un coup médiatique : de la « com », comme on a pris l’habitude de dire et d’entendre, quand il s’agit de propagande politique. Quelques vagues violentes pendant une dizaine de jours, et tout retomba dans le silence. Qui n’aurait pas dû être seulement troublé.

 

L’identité nationale, c’est donc quelque chose de très difficile à caractériser. Mais c’est aussi quelque chose de très fort, qui atteint des profondeurs insoupçonnées. Il n’y a qu’à voir les éclats auxquels le « débat » a donné lieu. Je fais abstraction des efforts du Front National pour récupérer à son profit toute cette énergie mise en œuvre, singulièrement pour attirer les troupes mouvantes de l’UMP sur son terrain. Tiens, au fait, où ça en est, le rapprochement ?

 

Définir l’identité nationale de la France ? Un pari stupide. Si je reprends le bien modeste propos d’hier à propos de l’identité individuelle (tout ce qu’on a hérité et vécu, toutes les personnes rencontrées, bref, toute une vie), la France est une espèce de monument qui porte la marque de tout ce qu’elle a été, fait et vécu au cours de son histoire. Ce qui fait l’identité nationale de la France, c’est son passé. Tout son passé. Maintenant, allez vous débrouiller avec ça. Comment voulez-vous ?

 

Parce que s’il avait fallu accorder la nationalité française à ceux qui portent effectivement l'intégralité de ce bagage, il y aurait eu dans l’histoire entre cinq Français un quart et dix Français et demi. Guère plus. Pour qu’il y ait nation, il faut davantage.

 

La nation, si vous regardez ce que dit le Robert : « Groupe humain, généralement assez vaste, qui se caractérise par la conscience de son unité et la volonté de vivre en commun ». Dieu du ciel ! Quelle précision ! Quel sens de l’observation ! M’enfin, comme dirait Gaston Lagaffe, c’est mieux que rien : conscience d’une unité, volonté de vivre ensemble. Certes, il ne parle pas directement de l’identité, mais de la nation.

 

Il faut aborder, je crois, les choses autrement. Et je reviens à mes dadas : l’appartenance et la différenciation. A quelle idée de la France ont le sentiment d’appartenir ceux qui vivent sur son sol ? Combien ont le sentiment d’être Français ? Le moins qu’on puisse dire, c’est que, si ce sentiment existe, il est mitigé. Et ce n’est pas le défilé du 14 juillet ou les cérémonies du 11 novembre qui y changent quoi que ce soit : ce qui est sur le papier diffère de ce qu’il y a dans les cœurs. Appelons-le le "sentiment national".

 

Et qu’est-ce qu’il y a dans les cœurs ? Difficile à dire. Les facteurs de perturbation n’ont pas manqué. A commencer par l’Europe. Que devient une nation, quand elle doit se fondre dans l’ensemble plus vaste, quand cette fusion n’est pas voulue du fond du cœur par les populations qui la peuplent ? Réponse : la fusion se fera sans elles, par-dessus leurs têtes, au mépris de leurs désirs, et sans leur donner le temps de désirer quoi que ce soit. Et s’il leur prend de dire « non », on leur mettra au cul (cf. 2005).

 

On fera des « Traités », on signera des accords entre gouvernements, on s’entendra entre dirigeants : parce qu’un certain nombre de gens très compétents, très intelligents ont décidé que c’est bon pour les peuples. Et basta !

 

Tout ça parce que des bureaucrates passés par des ENA quelconques ont conclu à la nécessité d’administrer, au gré des lubies du fanatisme libéral (la « concurrence libre et non faussée »), les centaines de millions de gens que les hasards de l’histoire et l’arbitraire de leur formation avaient placées en leur pouvoir. Et décrété : « Il faut faire l’Europe », en tapant des pieds et en allumant leur briquet. Une variante, sans doute, de ce qu’on appelle le « concert des nations ».

 

Mais y a-t-il une « nation européenne » ? La réponse est évidemment négative. Il n’y a pas de nation européenne. Toujours est-il que le matraquage de « l’idée européenne » a forcément fait des dégâts dans les esprits sur la notion qu’ils avaient de la « nation française », vous ne croyez pas ? Il y a de la dilution dans l’air. Encore, tant qu’on s’est contenté de six ou dix Etats membres, chaque Etat pouvait encore se considérer comme un individu, mais VINGT-SEPT !!!!

 

Diluée, la nation française. Dissoute, l’identité nationale française. Délayé, le "sentiment national". Regardez ce qui s’est passé après la chute du mur entre Tchéquie et Slovaquie, regardez l’éclatement de la Yougoslavie. Regardez maintenant ce qui se passe entre la Catalogne et l’Espagne, entre la Flandre et la Belgique. Ajoutons l'Ecosse et la Grande-Bretagne, pour faire bonne mesure.

 

Qu’est-ce qu’ils disent, tous ces gens ? Ils disent tous : « Nous voulons être nous-mêmes ». C'est ça, le sentiment national. Un peu le même qui anime les Longevernes et les Velrans dans La Guerre des boutons. Je ne vois pas d'inconvénient à appeler ça du "repli sur soi".

 

En France, les revendications régionalistes émanent de quelques allumés : personne, à part quelques Corses ou quelques Basques, ne réclame l’indépendance. Cela devrait vouloir dire que tout le monde adhère à l’identité nationale française. Or, face à la dilution européenne, les médias laissent s’exprimer avec condescendance et apitoiement quelques illuminés qu’ils appellent dédaigneusement  « souverainistes », mais ceux-ci restent marginaux (NICOLAS DUPONT-AIGNAN), si l’on excepte le Front National.

 

Cette absence de sursaut collectif signifie, je crois bien, que l’identité nationale française est déjà salement diluée. Le sentiment national est d’ores et déjà, majoritairement, perdu. Tout au moins – s’il existe encore, présent et vivace –, il est globalement inaudible. Sans doute on le fait taire, qui sait ? Car il a suffi qu’un ludion politique (NICOLAS SARKOZY) lui offre une tribune, à l’occasion des « débats » sur l’identité nationale française, pour qu’une bourrasque imprévue se mette à souffler.

 

Vous ne trouvez pas ça étrange ? On s’est rendu compte à cette occasion, que quelque chose était à vif, comme une plaie, mais maintenu délibérément hors-champ. Par qui ? Qui la défend, l'identité nationale française ? Des hauts responsables ? Vous n'y êtes pas. Juste des gens qui n'ont pas la parole. Rappelez-vous, les promoteurs de ces débats, tout d'un coup effarés et effrayés par le monstre qu’ils avaient eux-mêmes suscité. Et la tribune des « débats » mis en scène par SARKOZY s’est écroulée.

 

On ne m’enlèvera pas de l’idée qu’au quotidien, la population française vit, pense, s’exprime, mais qu’on fait peser sur cette vie, cette pensée et cette expression la loi d’un tabou radical. Le « on » serait à creuser. En attendant, je suis frappé par le fait que des groupes qui se font appeler « identitaires » soient automatiquement classés à l’extrême-droite (sous-entendu, c’est ba-caca, méchant et compagnie), pour ne pas dire chez les fascistes et autres nazis. Cela en dit long. Qui a associé l'idée de « repli » à ce qui est identitaire ?

 

Cela veut dire, si je comprends bien, qu'être soi-même, c'est avoir peur du monde extérieur ? C'est évidemment un mensonge : tous ces gens malintentionnés confondent à plaisir « être soi-même » et « se replier sur soi-même » (voir ci-dessus). Cela tombe sous le sens.

 

Voilà ce que je dis, moi.

lundi, 15 octobre 2012

SAINT AUGUSTIN ET L'IDENTITE NATIONALE

Pensée du jour : « Je me suis souvent repenti d'avoir parlé, rarement de m'être tu ».

 

SAINT ARSÈNE, anachorète (mort le 19 juillet 412)

 

 

Cette histoire d’identité nationale me fait penser à un passage de SAINT AUGUSTIN, qu’on trouve au Livre onzième des Confessions : « Qu’est-ce que le temps ? ». Il est bon, ici, de se référer à l’ancre de miséricorde (quel beau nom !) que représente ce texte. « Ce mot, quand nous le prononçons, nous en avons à coup sûr l’intelligence, et de même quand nous l’entendons prononcer par d’autres. Eh bien le temps, c’est quoi donc ? N’y a-t-il personne à me poser la question, je sais. Que, sur une question, je veuille l’expliquer, je ne sais plus ». L’identité nationale, c'est pareil : tant que personne ne vous demande rien, tout va très bien, madame la marquise. Posez la question ? Tout d’un coup, c’est la guerre.

 

 

 

Vous sortez votre carte, un point c'est tout. Et qu'est-ce qu'il en reste, de votre personne, sur le rectangle plastifié sévèrement concocté par la préfecture (franchement, ma photo, j'ai l'impression de sortir de l'identité judiciaire ; c'est d'ailleurs ce mot de "judiciaire" qui me pose un problème sur la définition de l'individu) ?

 

 

 

En quelque sorte, on pourrait dire que plus on creuse la question, moins on a des chances d'avoir la réponse. Allusion à une variante d'un adage célèbre, qui permet de comprendre l'intitulé de ma note d'hier : « L'identité nationale, c'est comme la confiture, moins on en a, plus on l'étale ». Oui, je sais, ça vaut ce que ça vaut.  

 

 

Il y a quelque chose de proprement génial dans la façon de SAINT AUGUSTIN de formuler la question. Comme dit MAX-POL FOUCHET dans un joli texte (je cite de mémoire) : « Saisir un papillon entre les doigts, c’est le détruire ». Il faut accepter que le papillon vive en dehors de nous pour qu'il reste un papillon. Pour qu’il ne finisse pas épinglé dans une boîte ou écrasé entre les pages d’un livre. Autrement dit : laisser la question sans réponse, pour laisser l'identité intacte.

 

 

Comme si la leçon, c'était ne pas poser la question "qui va là ?". Tu veux saisir le vivant, en croyant que tu en jouiras mieux, et tu finis comme un médecin légiste pratiquant une autopsie : il te reste un cadavre. Tiens, quel est le dingue qui a récupéré le cerveau d'EINSTEIN, qu'il a conservé dans le formol ? Ah oui, le docteur HARVEY. Il est bien avancé, le con ! Ah, on y a trouvé ensuite un grand nombre d' « astrocytes » et une proportion élevée de « cellules gliales » ? La « scissure de Sylvius » a une drôle d'inclinaison ?  Et alors ? Ça vous explique le génie de l'homme ?

 

 

C’est sûr que si je me contente d’exister, je n’ai aucun mal, jusqu’à ce que mort s’ensuive. Tant que je vis comme un pétoncle (et pourtant, sait-on ?). Mais dès que j’essaie de m’efforcer de m’élever sur l’échelle des vivants, forcément, ça se complique. L’identité nationale, c’est pareil.

 

 

Regardez juste un individu, quand il se met à se demander : « Qui suis-je ? D’où viens-je ? Où vais-je ? Où courge ? Dans quelle étagère ? », et les abîmes de réflexion du verre d’eau trouble dans lequel il se noie. PIERRE DAC avait coutume de répondre : « En ce qui me concerne personnellement, je suis moi, je viens de chez moi, et j’y retourne ». Il y a des philosophies plus complexes, n’en doutons pas. Les rayons des bibliothèques savantes sont encombrés des kilomètres de réponses que beaucoup de cerveaux fumants (fumeux ?) y ont déposées.

 

 

Remarquez, il en est de même pour la nation : plus on cherche, moins on trouve. Moi je vais vous dire, comme je suis un peu simplet, j’ai besoin, soit qu’on m’explique longtemps, soit que je m’y mette, en me disant qu’on n’est jamais si bien servi que par soi-même. Commençons donc, si vous le voulez bien, par moi.

 

 

Enfin moi, je veux dire quelqu’un, n’importe qui, disons un individu. Regardons simplement (!) la carte d’identité : tu as ton nom, et puis tu as ton prénom. Avec ça, tu comprends tout, je te jure. Par ton nom de famille, tu te rattaches au groupe de tous ceux qui portent le même. Par ton prénom, tu te distingues. Et tu peux regarder tous les détails qu’il y avait autrefois sur la carte d’identité : date de naissance, lieu de naissance, signe particulier, etc…

 

 

Date de naissance ? Tu te rattaches (tu t’inscris dans une lignée) et tu te distingues (tu es le seul à être né ce jour-là). Lieu de naissance ? Tu te rattaches (ce qu’on appelle les racines ?) et tu te distingues (Lyon a un proverbe : « Tout le monde peuvent pas être de Lyon : il en faut ben d'un peu partout »). Signe particulier ? Tu te distingues (ou pas : « Signe particulier : néant »).

 

 

Je viens d'entendre STEPHANE ROZÈS (le ravi de la crèche qui croquait dans le fromage des sondages, et qui s'est promu penseur politique, ça fait aussi loufoque que FRANÇOIS HOLLANDE en président) tenir un raisonnement analogue au sujet de l'Europe : « Qu'est-ce qui rassemble les Européens ? Qu'est-ce qui les distingue du reste du monde ? ». Bravo coco !

 

 

Pour faire bref, l’identité personnelle, c’est un ensemble complexe de données, d’ « items » (c’est comme ça qu’il faut dire, c’est de l’anglais), les uns qui te rattachent, les autres qui te distinguent. L’appartenance et la différenciation. Mon esprit simpliste ne sort pas de là.

 

 

Un individu, c’est exactement ça : un ensemble d’éléments d’appartenance et de différenciation. Un tissu avec la continuité des fils de chaîne traversés par la succession des fils de trame. Tu le prends fil par fil : plus de tissu. Ne parlons pas des ciseaux. Dit autrement, l'individu est composé d'une infinité de traits verticaux et de traits horizontaux qui se croisent. Appartenance et différenciation.  Il est tissé de l'ensemble (radicalement indémêlable) de tout ce qu'il hérite, de tout ce qu'il fait, de tous ceux qu'il croise, etc.

 

 

On ne fait jamais la somme : on n’est pas dans l’arithmétique. Un individu, ça ne se calcule pas. La somme et l’arithmétique, c’est juste bon pour un système BERTILLON, le système anthropométrique, dont la seule finalité, à bien y réfléchir, est de nature POLICIÈRE : on ne peut pas se permettre de ne pas retrouver un coupable, s’il est passé entre les mains d’un commissariat musclé.

 

 

C'est la police qui accumule les traces de tous les individus qui lui tombent entre les pattes. Le prélèvement ADN actuel, qui accompagne toute garde à vue (800.000 par an, on croit rêver), n’est qu’un corollaire de cette logique de flicage de toute la population. Je note que l’individu (« libre et égal en droits » à tous les autres) n'est pas défini de la même manière par la Constitution ou par le Code de Procédure Pénale. C’est une curiosité. Mais après tout, je ne suis pas juriste.

 

 

L’individu n’est donc pas la somme des informations que la police a réunies sur lui. C’est une bonne chose. Pensez, si tel était le cas, il n’y aurait aucun besoin des tribunaux, il n’y aurait pas d’individualisation des peines, il n’y aurait que des ordinateurs. C’est un peu ce en quoi NICOLAS SARKOZY a tenté de transformer l’institution judiciaire (avec le système des « peines planchers » pour les récidivistes, système qui décervelle le juge et en fait un robot).

 

 

Aussi longtemps que rendre la justice consistera à organiser la rencontre, en partie imprévisible, entre, d’une part, les trois acteurs de l’institution (juge, procureur, avocat) et d'autre part un individu, j’aurai foi en l’espèce humaine. L’individu, que ceci soit dit une fois pour toutes, dépasse la somme des données qui le caractérisent. Cette phrase résume, en quelque sorte et sans me vanter, toute la philosophie humaniste.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.


 

dimanche, 14 octobre 2012

LA CONFITURE D'IDENTITE NATIONALE

Pensée du jour : « Monsieur presbyte cherche dame myope pour échange de vues ».

 

PIERRE DAC

 

 

Je ne sais pas si vous avez déjà traversé la Suisse sans payer la sacro-sainte vignette à la frontière pour avoir le droit de laisser les pneus de votre voiture fouler au pied de la lettre le bitume des autoroutes helvétiques. Cela m’est bien sûr arrivé. Mais quelquefois, il m’a pris de musarder du sud-ouest (Genève) au nord-est (Constance, « Konstanz », et Schaffouse, « Schaffhausen ») par les routes secondaires.

 

 

Eh bien, un des aspects les plus frappants de la Suisse ainsi traversée, en dehors du spectaculaire arbre fruitier (du poirier, me semble-t-il, principalement) qui pousse accroché à certaines façades, et que le propriétaire taillera amoureusement toute sa vie, c’est, jusque dans les villages perdus et tranquilles, le très patriote et national drapeau rouge à croix blanche qui trône au milieu d’innombrables jardins.

 

 

Vous allez me dire qu’on voit ça aussi aux Etats-Unis, en particulier après le 11 septembre 2001, qui a provoqué un Niagara de « star spangled banners » à toutes les sauces. Certes, il règne aux Etats-Unis un patriotisme et une fierté nationale : voir l’épaule gauche d’ARMSTRONG, ALDRIN et COLLINS sur la rabâchée photo prise avant le départ, et le drapeau planté sur la Lune.

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Mais on ne m’enlèvera pas de l’idée que ce patriotisme-là découle d’une intense propagande d’Etat, et disons-le, d’un bourrage de crâne au marteau-pilon, principalement destinés à unifier un peuple terriblement hétérogène (Indiens, Européens, Noirs, Espagnols, Asiatiques, Martiens, …), donc soumis à des forces centrifuges. Le procédé est efficace.

 

 

Rien de tel en Suisse. Je ne suis pas sûr que le gouvernement de Berne exige des citoyens qu’ils fassent des plantations de drapeaux du pays dans leur jardin. Où je veux en venir ? A cette idée simple : l’identité nationale, c’est exactement ça. Sans crispation, sans vantardise, sans prosélytisme, sans propagande, ces Suisses-là, en plantant leur drapeau bien visible devant leur maison, disent : « Nous sommes ce que nous sommes. Nous n’avons jamais colonisé personne. Et la réciproque est vraie ». Ils ont raison, l’identité nationale, ça commence par : « Nous sommes ce que nous sommes ».

 

 

Tout le monde se souvient du grand « débat » lancé naguère par NICOLAS SARKOZY sur l’identité nationale, n’est-ce pas ? Comme d’habitude, il avait besoin de monter sa énième mayonnaise médiatique. Le « débat » avait assez vite viré au déballage de xénophobie et de haine, au point qu’assez rapidement, ordre avait été donné de le mettre en veilleuse, de noyer le poisson et de poser vite fait un couvercle sur la marmite.

 

 

De quoi s’agit-il ? Pour le savoir, j’ai fait comme Jérémie Victor Opdebec, vous connaissez sûrement le garnement : « Eh bien quand il était enfant, Il montrait à tous les passants Son CUrieux esprit compétent ». Devenu inventeur, il se demande comment faire, pour que le linge, une fois sur l’étendage, ne soit pas emporté par le vent : « Et dès lors dans sa tête, Obsession qui l’inquiète. Le pincer ? Le pincer ? Puis un jour, il avait trouvé ». Tout le monde a reconnu les paroles que FRANCIS BLANCHE a collées sur la 5ème symphonie de BEETHOVEN, pour célébrer l’immortelle invention de la pince à linge. 

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Identité Nationale, vous avez dit ? Là on entre tout de suite dans le dur. Il faudrait savoir ce que c’est qu’une nation, et rien que ça, ce n’est pas de la tarte. Sur le papier, c’est certain : la France a des frontières stables depuis presque cent ans. Sur le papier, la France a une langue, même si on peut déplorer que, sous l’influence des réseaux électroniques antisociaux, des médias prosternés devant la vulgarité et de la promotion du langage djeunz, celle-ci tend à « évoluer », et, pour dire vrai, à se "simplifier" de plus en plus pour permettre aux illettrés de dire qu’ils la maîtrisent.

 

 

Sur le papier, la France a une Constitution, que le monde entier lui envie (et lui emprunte), et même des Sages, qui veillent à ce que les lois y soient conformes et qui se voient poser plein de « QPC »  par des citoyens qui, disons au hasard, haïssent la corrida. Heureusement, les Sages décident qu'elle est constitutionnelle. Sur le papier, la France a des institutions, Justice, Armée, Police, Santé, Instruction Publique, etc. Sur le papier, la France dispose de procédures démocratiques pour désigner un gouvernement légitime.

 

 

Bref, sur le papier, tout se passe bien : « La France joue sa partition dans le concert des nations ». La phrase fait partie du vocabulaire basique de la langue de bois. Maintenant, si on va voir un peu dans les profondeurs de la réalité, qu’est-ce qu’on observe ? Je vais vous dire : c’est là que les Athéniens s’atteignirent et que les Perses se percèrent. Certes, sur le papier, la nation existe, mais dans les têtes et dans les cœurs, j'ai l'impression qu'elle a disparu corps et biens. Alors dans ces conditions, l’identité nationale, comment voulez-vous vous y retrouver ? Moi je donne ma langue au chat dans la gorge du Tarn (et Garonne, tant que j'y suis).

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

A suivre.

 

 

samedi, 13 octobre 2012

NID DE GUÊPES

Pensée du jour : « Les personnes qui désirent n'avoir aucun renseignement sur tel ou tel sujet n'offrant pour elles aucun intérêt, peuvent continuer à ne rien nous demander, soit par lettre, soit par téléphone ».

 

ANDRÉ ISAAC, dit PIERRE DAC

 

 

Avant de poursuivre mon modeste propos sur un insecte incommodant, je tiens à dire que, parmi les films nuls qu'il m'a hélas été donné de voir dans ma vie, celui qui porte le titre Nid de guêpes, d'un certain FLORENT-EMILIO SIRI (2002), arrive dans les tout premiers. On y voit, en particulier, des centaines de bandits albanais (si !!! à croire que l'Albanie envahit la France !!!), surgis de nulle part et munis de lunettes de vision nocturne, attaquer un improbable entrepôt de la banlieue de Strasbourg, où un improbable parrain de la mafia albanaise est prisonnier d'improbables flics. L'improbable SAMY NACERI meurt à la fin, heureusement.

 

 

La guêpe est donc une personne désagréable. Son regard est aussi noir que les mèches de la chevelure qu’elle laisse tomber transversalement sur son dos, alternativement noir soutenu et blond canari, coiffure qui l’oblige tous les matins à une longue station devant son miroir. Mais, malgré un certain nombre de tares (dont nous reparlerons peut-être), l’observateur impartial est obligé de lui reconnaître quelques mérites, et cela dans des domaines divers.

 

 

Reconnaissons tout d’abord que c’est un animal fascinant. Y compris, la chose gagne à être connue, au sein du règne animal. Beaucoup de syrphes ressemblent en effet à des guêpes, sans doute pour se donner des airs. Pour pouvoir, le soir, le coude sur le zinc, en buvant le pastaga, se vanter de foutre la trouille à tout le monde. Mais c'est rien que du faux : ils n'ont ni dard, ni tarière. Prenez, tiens, au hasard, parasyrphus lineola, episyrphus balteatus, dasysyrphus venustus ou meliscaeva cinctella, je mets quiconque au défi de s’y reconnaître au premier coup d’œil. On dirait des vraies. Mensonge : on ne risque rien.

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PARASYRPHUS LINEOLA

 

Car les syrphes ne sont pas des hyménoptères, mais des diptères, autant dire des mouches. Or, de même que les mousses tiquent, on sait que seules quelques mouches piquent, tel le taon, qui n’aime pas seulement les peaux mouillées quand on sort d'une piscine voisine d'un pré où paissent des vaches.

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EPISYRPHUS BALTEATUS

 

Je ne veux pas ici la ramener et faire mon intéressant, mais l’hyménoptère, de deux choses l’une, est « porte-aiguillon » ou « térébrant ». Ce que ne saurait être la mouche, qui ne possède qu’une trompe, éventuellement aiguë, qui lui permet alors de vider un autre insecte de sa substance, voire de sucer le sang d’un vertébré.

 

 

A ce propos, pour qui connaît un peu la vraie vie de la campagne, c’est un spectacle instructif et pitoyable de voir tout d’un coup Blanchette, parmi les vaches qu’on est en train de surveiller, qui part en courant, furieuse, la queue crispée en l'air, parce qu’un taon s’est glissé dans ses parties tendres, et qu’il en profite honteusement et goulûment. C’est ce qu’on appelle, au sens propre, « prendre la mouche ». Je n'invente rien, évidemment. Mon expérience, comme on le voit, n’est pas seulement – ni même essentiellement – militaire (voir note précédente).

 

 

Revenons aux hyménoptères « porte-aiguillon » en général, et à la guêpe en particulier. Aux yeux de l’humain, le jaune et le noir qui alternent, quand ça se passe sur le dos d’un insecte volant, ça veut dire la guêpe, au moins dans l’esprit de celui qui risque de la subir. Bien à tort, pour qui a un peu d'oreille : comment peut-on confondre, je vous le demande, la noble tuyère de la guêpe avec le vulgaire pot d'échappement d'une simple mouche ?

 

 

Mais qui est vraiment à l’écoute des insectes, de nos jours, quand il est en train de savourer sa tartine à la confiture de mûre ? Déjà que, accroché au « tonal binaire amplifié boumboum » qui lui parvient de son cerveau désormais électronique MP3, qu’il porte à la ceinture, le piéton ordinaire a du mal à s’écouter lui-même …

 

 

 

Ajoutons que le vol des syrphes n’a pas grand-chose à voir avec celui des guêpes, avec cette aptitude quasi-gyroscopique de maintenir le corps orienté vers La Mecque, alors que les vespidés ne craignent pas l’acrobatie et n'hésitent pas à orienter leurs cinq prières quotidiennes vers les quatre points cardinaux.

 

 

Un insecte fascinant, donc, disais-je. Rien que pour construire ses maisons, l’homme lui-même pourrait en prendre de la graine. Les parois extérieures ? Essayez de produire, au moyen de vos mandibules, une espèce de carton rêche : je voudrais vous y voir. Vous en avez rêvé ? La guêpe l’a fait. Une sorte de papier fort de couleur grise, qui se présente en bandelettes qui s’enroulent autour d’un centre. Voilà, vous avez le mur extérieur.

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1 - QUELQUES-UNES SE DEMANDENT CE QUI S'EST PASSÉ 

Le centre, parlons-en : une galette d'à peine vingt centimètres de diamètre, bombée au milieu, aplatie sur les bords, un peu comme le disque à lancer. Sauf que là, l’épaisseur est occupée par des alvéoles hexagonales (comme chez leurs cousines abeilles), où sont engraissées les générations futures. Il peut y avoir plusieurs étages. Ici on en voit trois.

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Fascinant j’ai dit, fascinant je maintiens : chez la guêpe, on fait tout, le matériau de construction, l’architecture, l’urbanisme. Un insecte qui maîtrise et contrôle, pour ainsi dire, toute la chaîne verticale de production, y compris la finition. Impeccable, évidemment. Jamais une réclamation.

 

 

Le problème de la guêpe, avec son génie de la construction, c’est qu’elle est parfois saisie de la folie des grandeurs. Je vous explique. Elle suspend, en règle générale, le nid collectif à une sommité inaccessible au commun des mortels, mettons qu'il est accroché au toit du hangar de la « cour des osiers ». Aussi longtemps qu’elle n’est pas saisie par l’ « ubris » (la démesure, que redoutaient les anciens Grecs, ça a bien changé), la maison suspendue résiste à tout.

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3 - ON VOIT LE TRACTEUR, LES OSIERS, LA FONTAINE. L'ESSENTIEL, QUOI.

 

Mais il arrive (défaut dans les moyens d’accrochage ? trop d’étages ?) que tout lâche, et que le nid se retrouve par terre, dans la poussière. Alors là, on peut le dire, c’est panique à bord. Il y a de la guêpe affolée partout, dans tous les sens, on ne sait pas sur qui ça va tomber. Et je peux vous dire qu'on n’hésite pas longtemps.

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4 - IL Y A BIEN TROIS ETAGES

On va chercher un peu de mazout, on revient, on verse, on met le feu. Pas besoin d’appeler les pompiers. On s’occupe de tout. La sécurité avant tout, aurait dit SARKOZY en pareille situation. Il a sûrement  prononcé cette phrase, n'en doutons pas : il a tout dit et tout fait. C'est pas une preuve ? 

 

 

L’incendie n’est guère spectaculaire : c’est le résultat qui compte. Tout le monde contemple avidement la scène, soulagé. On a sûrement échappé à quelque chose de terrible. L’homme n’a pas seulement des idées. Quand il s’agit de détruire, il a les moyens de les mettre en œuvre. Avions-nous le choix ? Non : c’était les guêpes ou nous. Nous avons choisi. Je ne regrette rien. C’est une grande leçon de survie en milieu hostile.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

vendredi, 12 octobre 2012

LA GUÊPE : L'AVENIR DE L'HOMME ?

Pensée du jour : « Fait divers : trois banquiers attaquent un gangster et lui dérobent sa sacoche ».

 

ANDRÉ ISAAC, dit PIERRE DAC

 

***

 

Tout le monde a été, sinon piqué, du moins embêté par des guêpes, au moment de manger sa tartine grillée, couverte d’une couche de beurre dissimulée sous la confiture de mûre, sur une belle terrasse aérée, encore à l’ombre des heures tièdes et matinales d’un été finissant.

 

Si ce n’était pas sur cette terrasse, c’était dans le camping hospitalier de Champagny-le-haut, assis dans le fauteuil en tissu posé juste à la sortie du terrier de l’hermine entrevue au réveil, au moment où la vessie commence à tirer le signal d’alarme du lever, et qu’il faut se résoudre à sortir de la tente, après en avoir actionné la fermeture éclair à la musique si caractéristique des aubes couvertes de rosée. Ceux qui ont campé à Champagny-le-haut me comprendront. 

 

La guêpe arrive aux meilleurs d’entre nous. Rien de plus agaçant, si vous voulez mon avis, quand c’est sur la confiture de mûre dans laquelle je m’apprête à mordre. Attention, je ne parle pas de n’importe quelle guêpe. Rien à voir avec une sournoise guêpe fouisseuse, vous savez, cette ammophile des sables (ci-contre) qui, non contente de paralyser d’un coup d’aiguillon quelque chenille glabre, se donne un mal de chien pour la traîner jusqu’au trou qu’elle a creusé dans la terre pour la donner en pâture à ses larves. Non.

 

Précisons, avant de poursuivre notre offensive, qu’il ne faut pas confondre l’ammophile des sables avec la cruelle rhysse persuasive femelle (ci-contre), le plus grand des ichneumons, dont l’ovipositeur est long comme un jour sans pain, parce qu’il sert à déposer, après usage de cette perceuse intégrée, des œufs sur les larves de sirex, que ses longues antennes lui servent à détecter. Dernière précision encourageante : le femelle de l'ichneumon proprement dit (le suspiciosus), pour sa part, préfère enfoncer ses oeufs, carrément, dans le corps de quelque papillon de nuit, pour être sûr que la larve pourra se nourrir de son intérieur, le moment venu. Le papillon de nuit est délectable au palais de la larve d'ichneumon. 

 

Comme je dis toujours, le monde naturel gagne à être connu dans ses moindres détails. Car cela suffit à en dégoûter intensément. On se demande, après ça, pourquoi l’homme s’est éloigné de la nature : mais bon sang, c’est la nature elle-même qui ne veut pas de l’homme ! L’homme, après tout, n’a fait, depuis l'aube des temps, que se défendre contre une agression manifeste. L'homme est le seul être vivant à avoir trouvé les moyens de s'opposer à tous ses prédateurs possibles. 

 

Aujourd'hui, après tant de millénaires de PEUR (voir FRANÇOIS TERRASSON, La Peur de la nature, éditions Sang de la terre, 1988), l'humanité se venge enfin, ce n'est pas trop tôt, et n'aura de cesse que lorsque mort se sera enfin ensuivie, au soulagement de tous. Mort de qui ? On verra bien. 

 

Je ne parle pas non plus du frelon (vespa crabro), dont j'eus, un jour d'inadvertance, la bonté d'emporter un exemplaire piqué sous le pied, à travers la chaussette (quelle idée, aussi, de marcher en chaussettes !), pour le plus grand plaisir des quelques spectateurs qui m'ont vu ce jour-là danser comme un Sioux autour du poteau de torture, sauf que le poteau et la torture, c'était moi.

 

 

Je parle ici de la banale guêpe, de l’obsédante guêpe, de l’horripilante guêpe des fins d'été, en un mot de la vespula vulgaris L. (le "L." renvoie au père de la taxonomie chère au cœur des poètes de la nature que sont les botanistes, mais aussi les entomologistes : le Suédois CARL VON LINNÉ).

 

On ne rappellera qu’en passant, tant cette chronique se soucie d’exactitude et de science, que le scooter fabriqué par Piaggio n’a été surnommé « Vespa » (= guêpe, en italien) qu’à cause de l’horripilation sonore qui sortait de son pot d’échappement, et qui véhiculait, d'une oreille à l'autre, sa piqûre douloureuse. Sans jamais perdre son dard.

 

Ma grand-mère avait coutume d’enduire de confiture le goulot d’une bouteille à moitié remplie d’eau. Elle la posait sur le muret de la terrasse mentionnée ci-dessus, et attendait. C’était très efficace : à la fin de la journée, les guêpes formaient une couche de plusieurs centimètres au fond de la bouteille. 

 

Je me suis longtemps demandé si le flacon se contentait de capturer la gourmandise des guêpes passant à proximité, ou s’il jouait les appâts pour tout ce que la gent vespidée comptait d’individus à des kilomètres à la ronde. Je n’ai pas la réponse. C’était – c’est le cas de le dire – une « recette de grand-mère ». 

 

Mais je peux redire ici la recette que j’ai moi-même mise au point pour me débarrasser des insectes en général, et des guêpes en particulier, que je trouvais dans ma chambre de la « petite maison » le soir. Prenez une bombe insecticide en état de marche, une bougie et une allumette. Après avoir usé de cette dernière pour allumer la précédente, saisissez la bombe dans la main droite (je m’adresse aux droitiers, que les gauchistes ne m’en veuillent pas), le bougeoir dans la gauche. Vous avez votre lance-flammes.

 

Intercalez à présent la bougie entre la guêpe égarée sur le mur en plâtre bleu et votre lance-flamme – à distance respectable, mais pas trop loin cependant. D’un index efficace, pulvérisateur et exterminateur, envoyez la purée dans la bonne direction : résultat garanti. C'est un trépas sans souffrance pour l'animal. Le présent témoignage est la vivante preuve qu'on peut survivre à cette méthode, que je déconseille formellement, cela va sans dire, on ne sait jamais. 

 

Il est vrai que, plus tard, j'ai su qu'un ange veillait sur moi, et qu'un talisman me garantissait contre tout ce qui aurait dû me détruire s’il y avait une justice. J'en ai eu la preuve le jour où le Capitaine MARCHISET, du 5ème GALAT (bientôt GALREG) basé à Corbas (69), inscrivit dans mon livret militaire le jugement suivant : « Dangereux. A surveiller. A toujours su éviter les gros ennuis ». Authentique. L’ange gardien, jusqu’à ce jour, a toujours bien fait son métier de veiller sur le mauvais sujet. 

 

J’ai pris connaissance de ce jugement à Bourg-Saint-Maurice, grâce à la complicité d’un agent des forces de dissolution nationale, après ma mutation disciplinaire au 7ème BCA, tout ça parce que le capitaine MARCHISET, qui avait des lectures éclectiques, avait vu mon nom dans la revue trotskiste Rouge, qui avait publié un complément aux premières signatures de je ne sais plus quel appel antimilitariste. Ce n’était pas le bon temps, ça non. 

 

Tout ça pour parler de guêpes ? Mais tu exagères, blogueur ! « Peut-être, mais pas sûr », rétorqué-je. Eh oui, chacun ses piqûres (de rappel). 

 

Voilà ce que je dis, moi. 

 

Dès demain, je reprends ma quête de la vespula vulgaris L., je le jure sur la tête de Saint Bardamu, voyageur, dont la fête tombe aujourd’hui, 5, absolu de l’an 140 de l’ère ’pataphysique (la Saint René tombe tous les 12 novembre de l’ère vulgaire). On ne plaisante pas avec les choses sérieuses.

mardi, 09 octobre 2012

VAS-Y COPé !!!!

Pensée du jour : « Les lois sont des toiles d'araignée à travers lesquelles passent les grosses mouches et où restent les petites ».

 

MONTESQUIEU

(ce pourrait être un proverbe bantou)

 

 

LE PAIN AU CHOCOLAT ET LE RAMADAN

(fable édifiante et didactique).

 

 

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Je n’aime certes pas, d’une manière générale, l’arrivisme vorace, le carriérisme confortable, la cuisine immangeable que concoctent inlassablement les guignols qui nous gouvernent, et en particulier les amuse-gueule que JEAN-FRANÇOIS COPÉ jette par jeu aux charognards de presse, quand ce renard aux dents longues a fini son repas dans le poulailler national.

 

 

Ce qu’il y a de public chez cet homme est certainement assez antipathique. Pour une raison évidente : ayant bien compris l’époque, il a jeté aux orties les oripeaux inutiles d’une doctrine politique quelle qu’elle soit. Pour lui, ceux qui ont des idées politiques sont soit des imbéciles, soit des menteurs. BALZAC et ZOLA notaient déjà que le sac aux grandes idées était un ballon de baudruche. Et que la seule idée vraiment politique (ou réelle) était la voracité extrême des gens habités par le goût du pouvoir.

 

 

Jusque-là, je ne saurais le désapprouver totalement : l'humanité a fait le tour complet des idées politiques possibles, et retour. Mais ce que je réprouve, en revanche, c'est la gnaque "décomplexée" : trop visiblement, il veut le pouvoir. Et ce seul fait rend l'individu méprisable. Vouloir régner, a-t-on seulement idée ? Lui ? Plus besoin de masque : le pouvoir nu, le pouvoir en soi, le pouvoir pour soi. Pas le pouvoir pour façonner le monde. Je veux le pouvoir pour l'exercer. N'est pas NAPOLÉON qui veut.

 

 

Pendant que l'homme de gôche agite comme un étendard la baudruche de ses idées, l'homme de drwate brandit comme un drapeau le mirage de ses fantasmes. Une minute de silence, s'il vous plaît, en vous inclinant devant cette phrase.

 

 

 

HOLLANDE, sous son babil papelard et vaguement cagot, n'a pas agi autrement. Il aurait pu être élevé chez les bons Pères (c'est peut-être le cas, je n'ai pas vérifié). COPÉ a déjà l'air satisfait, mais encore  gourmand de celui qui détient un pouvoir, mais qui n'a pas encore atteint le sommet.

 

 

Rappelez-vous CHIRAC en 1995, cet extraordinaire contentement de père Bidochon quand il a enfin pu s'affaisser dans le fauteuil présidentiel : « Putain, j'y suis arrivé, finalement ! ». Finie, l'ambition. Il était comblé. A quoi servirait encore de désirer ? Il a pu donner libre cours à son absence de vision poltique. COPÉ, il n'a pas encore une tête de père Bidochon. Il a encore des perspectives.

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Tout ce que COPÉ juge à même de l’amener à bon port est donc bon à prendre. Oh, le petit a de qui tenir : NICOLAS SARKOZY, en son temps, a procédé de même (non, pas de photo de lui, il a épuisé son stock des unes de magazines pour au moins deux cent trente-huit ans quatre mois vingt-deux jours trois heures et trente sept minutes (je vous fais grâce des secondes) !). Ne lui doit-on pas une publicité gratuite et spectaculaire pour une marque célèbre de nettoyeurs haute pression ? Peut-être le meilleur et le plus historique de ses apports.

 

 

L’élève souhaitant arriver au même but que le maître, il pense savoir à qui il doit s’adresser pour susciter l’adhésion du plus grand nombre. Il sait aussi qui aura l'impression d'avoir reçu la gifle de son propos insultant sur la joue droite de son intellect formaté : cette perspective le réjouit au plus haut point. C’est la stratégie de toute bonne publicité : « Dites du mal de MOI, dites du bien de MOI, pourvu que vous parliez de MOI ». C'est ça qui fait vendre.

 

 

C’est ce que les journalistes (ci-dessus évoqués en des termes moins neutres) appellent « l’art de se placer au centre du débat ». NICOLAS SARKOZY, en son temps, a dépensé beaucoup d'énergie (et de "brain storming" de son staff) à tirer cette grosse ficelle (instituteur contre curé, magistrats "petits pois" laxistes, et tant d'autres), pas toujours à bon escient, il faut bien dire, car même le staff peut errer.

 

 

L’effet est garanti : la fourmilière entre en ébullition (tant pis pour la cohérence des images ; et puis tout de même, n’y a-t-il pas, à la surface de la fourmilière bousculée le même friselis (approchez l'oreille, c'est flagrant) qu’à celle de l’eau qui ne va pas tarder à bouillir ? Ceux qui un jour ont botté une fourmilière me comprendront).

 

 

En l’occurrence, puisqu'il est question de pain au chocolat et de ramadan,  toutes les âmes vertueuses des associations antiracistes, au premier rang desquelles le chœur des « indignés » de SOS Racisme, ont entonné le refrain qui les fait jouir et vibrer, en même temps que l'estomac de ces âmes angéliques se soulevait.

 

 

N'oublions pas HARLEM DESIR, nouveau pilote ectoplasmique du bateau ivre du PS. Qui surnommera monsieur DESIR le "Hollandais flottant" (hommage au commandant du navire, qui flotte à présent dans ses vêtements), par allusion à Der fliegende Holländer, de RICHARD WAGNER ? Certainement pas moi, pensez.

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Pour condamner le "pain au chocolat du ramadan" de JEAN-FRANÇOIS COPÉ, deux mots coulaient comme une bave de la lippe de la pauvre larbine désignée comme porte-voix par SOS Racisme : « Propos stigmatisants ». Elle en ajoutait parfois un troisième :  « clivants ». Ces gens pourraient faire un effort pour enrichir leur vocabulaire, que diable ! Je leur propose de commencer dès maintenant.

 

 

Sans passer toutefois en revue la longue liste des synonymes, il y a quelque profit à y puiser, par exemple et entre autres « anathématiser, incriminer, jeter la pierre, diffamer, clouer au pilori ». Le pilori est d’autant plus seyant que plus personne n’en a vu depuis 1789, qui l’avait interdit, et que 1848 a aboli le « carcan », qui l’avait remplacé.

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Pauvre larbine ! Elle est bien dévouée ! Et vous avez deviné pourquoi le sang de SOS Racisme n'a fait qu’un tour ? Mais c’est exactement pour la même raison qu’on a tout fait, au moment de l’affaire MOHAMED MERA, pour accréditer la thèse de crimes fascistes, avant de se rendre à l’évidence : l'auteur des crimes était bien un Mohamed, et pas un Aubierge, un Tiburce ou un Frédéric.

 

 

Et le motif djihadiste a crevé l'écran. En même temps qu'a été confirmée, accessoirement, l'importation chez nous du conflit israélo-palestinien (mais il y avait déjà eu KHALED KELKAL). Il ne faut pas heurter les Arabes établis en France. Nous sommes prévenus.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

A suivre.

 

 

dimanche, 07 octobre 2012

DE LA PROFONDEUR DU REFLET

Pensée du jour : « Et encore, qu'il y a une grande différence entre une statue et une photographie ; c'est que presque toujours, le modèle qui a servi à faire la statue ne veut pas et ne peut pas être reconnu, tandis que la photographie nous représente une personne vivante, que l'on peut avoir, ou tout au moins voir pour de l'argent, et qui est à vendre ou à louer des pieds à la tête.

          Ainsi, la photographie donne publiquement la preuve qu'une personne humaine peut être avilie, le savoir, et, néanmoins, sourire ».

 

ALAIN 

 

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Je ne suis pas photographe. Je prends seulement des photos. Comme tout le monde. Il m’arrive, de loin en loin, de réussir un portrait à peu près potable. Il y a déjà quelque temps, je me suis pris de passion pour les reflets.

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Attention, pas le reflet de bas étage, le reflet bas de gamme, le reflet de solderie. Non, moi, je veux le reflet d’élite, le reflet compliqué, le reflet savant. Or il faut le savoir, pour un esprit simple comme le mien, le reflet savant est compliqué à trouver. Je ne joue pas sur les mots : c’est vrai.

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QUATRE NIVEAUX DE GRILLE, QUI DIT MIEUX ?

(vous pouvez vérifier)

Le reflet, chez moi, ç’a été une crise. Mettons que ça a duré un an, à tout casser. Un an à écumer les vitrines de la ville, les paradoxes et les énigmes visuels qu’elles offraient. Creuser l'idée du reflet m'a donné l'occasion d'amener au jour, au sein même de la platitude du réel, quelque chose d'une part mystérieuse ayant à voir avec le rêve. C'est du moins ce qui m'a intéressé, dans l'affaire.

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 Car on ne se doute pas des mille-feuilles optiques proposés, au regard de qui veut bien les percevoir, par les sites dont regorge le centre-ville marchand des grandes cités.

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Le reflet a commencé assez bêtement, place des Jacobins, quand j’ai repéré un toutou à sa mémère (voir tout en haut) derrière la porte d’un magasin. Je me suis dit que je tenais une piste : ce chien traversé par les lignes des joints du carrelage, ça m’a plu. Alors j'ai continué.

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VOUS AVEZ DÉJÀ ASSISTÉ A UN LEVER DES SOLEILS ?

(le troisième, il faut vouloir le voir)

La suite n’a été qu’une histoire de marche à pied, je dirai même d’errance, de jour comme de nuit, par beau temps comme par temps gris. Avec des succès divers. J'ai la faiblesse de penser que quelques clichés au moins ne sont pas trop ratés, quant au regard (ne parlons pas de la technique).

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Ce ne sont donc pas des photos de photographe : je ne suis qu'un utlisateur de la technique, je me suis contenté de marcher, de regarder, de m’arrêter et d’appuyer sur le bouton. Je n’ai pas cherché à « faire œuvre », et pour cause. Quant à introduire des trucages, encore eût-il fallu que je le pusse. J’ai juste essayé de creuser dans le tas de réel que j'avais jusque-là regardé sans voir (ou vu sans regarder).

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KIOSQUE PLACE BELLECOUR

(avant les travaux)

 

Du coup, le réel se revêt d'une pellicule énigmatique, sur laquelle viennent s'aplatir toutes les strates de la profondeur de champ (augmentée comme par magie de tout ce qui se situe en arrière de l'objectif), mieux que si on écrasait un insecte entre deux plaques de verre pour observer le résultat au microscope. L'intérieur du lieu fait irruption dans l'extérieur, et inversement. Une synthèse de la complexité, quoi.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Il y aura une suite. A demain.

 

 

 

 

vendredi, 05 octobre 2012

REVENIR AU BEL CANTO ?

Pensée du jour : « Si les élections permettaient vraiment de changer les choses, il y a longtemps qu'elles auraient été interdites ».

BERTOLT BRECHT

 

 

Qu’est-ce que je reproche, principalement, à la « musique contemporaine » ? Pourquoi, en fin de compte, me suis-je détourné de la création la plus actuelle, dont j’ai si longtemps été un adepte ô combien fidèle, voire exalté, et que, pour cette raison, je connais assez bien ? C’est très simple : je lui reproche de ne plus pouvoir être chantée par n’importe qui, n’importe où, dans la rue, dans la voiture, sous la douche. Une musique produite par un corps humain.

 

 

J’en ai tiré un enseignement, qui ne vaut certes que ce qu’il vaut, mais qui vaut aussi tout ce qu’il vaut : ce qui n’est pas CHANTABLE en dehors d’un "bac + 12" obtenu au Conservatoire Supérieur, même adoubé par les pairs, même validé par l’institution, même décrété par les autorités médiatiques, n’est pas de la musique humaine. C’était devenu pour moi une conviction. J’en ai fait un principe. Ai-je tort ? C'est possible.

 

 

Je me suis dit un jour que c’était bizarre, en définitive. Quoi, pendant tant de siècles, des gens extrêmement savants ont composé de la musique dans l’unique but de procurer du plaisir à ceux qui devaient l’écouter ? De leur flatter l'oreille ? Et puis un jour l’artiste, promu chercheur scientifique, a décidé, du fond de ce qui était devenu son laboratoire, que l’auditeur devait désormais se plier à sa volonté à lui ? Au nom du Progrès ? Au nom de l’Histoire (qui forcément avance, comme on sait) ?

 

 

Et ne venez pas me rappeler que BEETHOVEN avait déjà fait le coup (« Est-ce que je me soucie de vos boyaux de chat, quand l'inspiration me visite ? », lançait-il furibond à SCHUPPANZIGH, le violoniste qui a créé la plupart de ses quatuors, et qui se plaignait de certaines difficultés). Chez BEETHOVEN, qu'on se le dise, ça chante sans arrêt, même si, dans ses oeuvres pour voix (prenez Christus am Ölberg, par exemple) l'écriture va toujours se percher assez haut.

 

 

L’injustice faite à l’artiste par la société bourgeoise, dès ce moment, révulse les bonnes âmes. Le premier « Salon des Refusés » remonte à 1863, la première exposition impressionniste à 1874, la première édition des Poètes maudits, de PAUL VERLAINE (« pauvre lélian ») à 1884. Une trouvaille digne d'un grand publicitaire, entre nous, ce "maudits".

 

 

 

Le fanatisme de la technique fonctionne comme une idéologie, dont la propagande s’empare pour mieux s’emparer des esprits. JULES VERNE laisse libre cours à son enthousiasme technophile dès l’année 1863 (Cinq semaines en ballon). GUSTAVE EIFFEL, avec le même enthousiasme, envahit le ciel de Paris en 1888.

 

 

Il n’est plus possible de ne plus courber la tête devant le Dieu Progrès. L’inventeur devient la figure privilégiée du bienfaiteur de l’humanité. Ce qu’il trouve, du moment que c’est nouveau, ne saurait apporter que le Bien. L’innovation fait figure de sacrement laïque. Le brevet industriel devient l’emblème privilégié et prioritaire du Génie Humain.

 

 

Et ce qui vaut dans les techniques et l’industrie se transporte sans difficulté dans les arts : musique, peinture, sculpture, poésie, tous les arts sont sommés de se soumettre à la dictature de l’innovation. Il faut, sous peine de disparaître dans les profondeurs abyssales de la poubelle du passé, adhérer au mouvement qui porte irrésistiblement l’humanité vers le PLUS, selon le précepte bien connu : « Plus qu'hier et bien moins que demain ».

 

 

C’est en 1896 qu’ont lieu les premiers « Jeux Olympiques » modernes, qui proclament fièrement : « citius, altius, fortius » (plus vite, plus haut, plus fort, ça interroge salement, je trouve). Ce que le très vulgaire (je parle du vulgarisateur) FRANÇOIS DE CLOSETS traduira plus tard par « toujours plus ! ».

 

 

C’est quand j’ai compris la logique de cette Histoire que je me suis mis à regimber, à renâcler, à me soustraire à la musique "contemporaine". Cela m’a demandé un effort épouvantable. Pensez que j’ai été nourri au lait de l’Humanisme et des Lumières. L’humanisme de RABELAIS, de MONTAIGNE, de RONSARD. Les Lumières, principalement, de DIDEROT et de ROUSSEAU. Le Progrès, oui, parlons-en, du "Progrès".

 

 

Ajoutez, je veux bien, la prise de la Bastille et l’Egalité des citoyens devant la loi. C’est tout cet édifice qui est tombé en ruine, quand j’ai compris la logique de cette Histoire. Cette logique d’une certaine idée du « Progrès ». Je ne m'en suis pas remis. La faute à HANNAH ARENDT, JACQUES ELLUL, PHILIPPE MURAY et quelques autres lectures, beaucoup trop tardives.

 

 

L’artiste est donc sommé de faire du neuf, sous peine de ne pas exister. Le nouveau ne sera plus jamais fortuit : le nouveau est désormais le Saint Graal. Le but ultime. La Pierre Philosophale. Depuis, on n’arrête plus. On est harcelé par le nouveau. Quelque chose qui est là, du seul fait qu’il existe, est désormais vieillot. Ce qui est d’hier ne saurait être d’aujourd’hui. Ce qui est d’"avant" est interdit de "maintenant". Périmé. Sans parler du mouvement de "dynamisme" économique imprimé par l' « obsolescence programmée », théorisée dans les années 1920.

 

 

C’est sûr, je réhabiliterai un jour prochain ce qu’un « vulgum pecus » nuisible et inconscient appelle un « stéréotype ». Car si l’on y réfléchit un moment, qu’est-ce qui nous impose de « changer » (notez la construction « absolue », je veux dire le verbe sans complément) ? « CHANGEZ », entend-on de toute part. En même temps, il est amusant d'entendre le refrain exactement contraire : « SOYEZ VOUS-MÊME » ("venez comme vous êtes", serine une publicité).

 

 

J’ai oublié le jour où est apparue, dans le ciel des démocraties européennes, l’exigence de « réforme ». Mettons trente ou quarante ans. « La France est incapable de se réformer », entend-on constamment. Mais réformer quoi ? Dans quel but ? Avec quelle intention ? Qui le sait ? Personne, je crois bien. Qu’est-ce qu’elle recouvre, finalement, cette haine du stéréotype ? Peut-être bien la haine de ce qui est, vous ne croyez pas ? Mais c'est vrai : comment pourrait-on aimer ce monde, tel qu'il est ?

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

jeudi, 04 octobre 2012

BONNE MAMAN ET LE BEL CANTO

Pensée du jour : « La communion [sociale] ne passe plus par un support symbolique, mais par un support technique - c'est en cela qu'elle est communication ».

JEAN BAUDRILLARD

 

 

Comme le préconise ALEXANDRE VIALATTE (je le disais il y a environ trois semaines), le plus important, c’est de commencer par « n’importe quoi ». Cette méthode permet à coup sûr de se retrouver « n’importe où ». A condition, au moyen de « rétablissements de l’esprit et de l’imagination », de « trouver en route mille idées plaisantes et instructives qui ne vous seraient jamais venues sans cela ».

 

 

Exactement comme on l’avait prévu. Le tout, en suivant cette manière de faire, c’est de « s’attendre à tout ». Ainsi, pas de mauvaise surprise. Cette méthode d’écriture se révèle plus infaillible que le pape. A condition de se laisser aller à ce qui vient. Et que ça vienne.

 

 

Je dis ça parce que c’est curieux, parfois, comme les choses se passent. Voyez, par exemple la petite série de notes où, il y a quelque temps, j’entreprenais de brûler en effigie la musique techno, et plus généralement l’ensemble de l’univers sonore que l’époque actuelle nous fabrique.

 

 

Eh bien ce n’est pas du tout dans cette direction que j’avais voulu partir. Il s’est passé que le hors d’œuvre est devenue le plat principal. La digression s’est invitée à table et a tout bâfré sans rien laisser aux autres. C’est comme si le séminariste avait été nommé évêque, ou le bidasse général. Un coup d’Etat, quoi. Mon ordre des idées s’en est trouvé tout badibulgué, comme on dit à Lyon. Bref : je reprends le collier aujourd’hui.

 

 

Je m’en prenais donc à ce cocon sonore dans le feutre duquel musique et vacarme se confondent, comme dans L’Enfer musicalENFER BOSCH 2.jpg de JERÔME BOSCH. Cocon que se disputent deux larves d’une voracité insatiable : un grand conservatisme formel, que j’appelais le « tonal binaire amplifié boumboum », et une volonté tyrannique de domestiquer nos oreilles.

 

 

J’étais donc parti pour faire l’éloge du « bel canto » (voir, pour preuve, le titre du 16 septembre, « rendez-nous le bel canto »). Ben oui, j’aime le « beau chant », j’ai cette faiblesse. Comme j’avais été saisi, à Nîmes, un jour de féria : un marchand de cacahuètes plus ou moins loqueteux passait devant la terrasse où nous étions assis, JEAN T. et moi. Tout d’un coup, le loqueteux se métamorphosa en « primo uomo » quand j’entendis sortir de son gosier la plus magnifique des voix de ténor, pour lancer un superbe appel « Caaaacahuèèèètes ! ». Il remarqua mon ébahissement. Mais j’avais des antécédents. Un vendeur de cacahuètes, pensez !

 

 

Oui, je suis saisi par le sextuor final du 1er acte dans Le Barbier de Séville de ROSSINI. Et La Cenerentola, du même ? Regardez le tour de force de la scène VII, et ce jeu musical sur les consonnes : « Questo è un nodo avviluppato, Questo è un gruppo rintrecciato, Chi sviluppa piu inviluppa ; Chi piu sgruppa piu ragruppa ; … ». Essayez de prononcer tout ça, pour voir. En faisant rouler les "r".

 

 

Bon, peut-être que ce qu’on appelle « bel canto » ne se limite pas aux opéras de VINCENZO BELLINI, de GAETANO DONIZETTI, de GIOACCHINO ROSSINI. Ajoutons VERDI pour faire bon poids, bien que … Mais je n’ai pas envie de m’embarrasser de définitions ou de considérations scolaires.  

 

 

Pour revenir à mon point de départ, là au moins c’est sûr, le « bel BONNE MAMAN.jpgcanto » me vient de Corbeyssieu, et des après-midi très chauds passés dans la pénombre agréable de la chambre de « Bonne Maman » GAUTHIER. Une arrière grand-mère qui portait autour du cou un ruban noir satiné. Quand j’étais tout minot, je croyais que c’était ça, un soutien-gorge. Ma définition du mot "gorge", qui était un peu restrictive, s'est ensuite élargie, pour mon bonheur.  

 

 

Bonne Maman mettait les volets de sa porte-fenêtre à l’espagnolette, puis, assise dans son grand fauteuil vert, écoutait, venant de son petit poste de radio rouge et blanc posé sur une table légère, MADY MESPLÉ et MICHEL DENS dans Véronique de MESSAGER. Impassible, avec juste les coins extérieurs des yeux et de la bouche légèrement plissés, pour montrer qu’elle n’était pas mécontente de vivre le moment. J’étais juste là. J’écoutais aussi.

 

 

La chambre donnait sur la terrasse, et restait assez longtemps à l’ombre du sycomore le plus au sud des quatre arbres alignés. Les rais atténués des jalousies invitaient à goûter la douceur de l'après-midi. A la musique bienvenue. A Léopold et Josépha (L’Auberge du cheval blanc), par exemple, qui chantaient : « Pour être un jour aimé de toi, je donnerais ma vie », en appuyant sur la syllabe « don-».

 

 

On me dira que le bel canto et l’opérette, c’est blanc bonnet et légume vert. Qu’on se rassure : j’abonde. L’opérette, on le sait, ça chante, mais ça cause aussi. C’est pour l’action. On ne va pas, maintenant, s’embêter avec ce qui différencie l’opéra comique, du bouffe, du séria, de l’opérette et du vilebrequin. Je dis : « Pourquoi se compliquer ? On n’est plus à l’école, quand même ! ».

 

 

Moi, je parle de ce que j’aime, et entre autres, du « bel canto ». Ensuite je peux dire : « Plus que » ou « Moins que ». C’est sûr qu’on hiérarchise. C’est l’art des choix (comme on dit à Privas). On n’en est pas là. On pense ce qu’on veut de LUIS MARIANO, mais je soutiens que, au moins dans Le Secret de Marco Polo, que j’ai vu de derrière un pilier au Châtelet, à côté de ma sœur et de ma grand-mère (on n’était pas bien grands), il chantait bien du « bel canto », même si c’était de la soupe à la FRANCIS LOPEZ.

 

 

Ne me demandez pas ce que ça racontait. Ce que je peux dire, c’est que j’ai été rendu éminemment sensible à la musique par le costume des filles du chœur, dont le haut s’interrompait très haut, et dont le bas commençait assez bas pour laisser apprécier la grâce de leur centre de gravité ainsi dégagé. J’affirme que j’ai suivi la ligne mélodique dans tout le raffinement de ses ondoiements, de ses rondeurs et de ses courbes. J’avais très bonne vue.

 

 

« Bel canto », ça veut dire « beau chant ». Et pour moi – je me fiche bien des définitions officielles – il y a de la hanche féminine dans le « beau chant ». Je n’y peux rien. Les voix masculines sont nécessaires pour l'équilibre, évidemment, mais la basse joue souvent un rôle ingrat de barbon qui finira par être berné, et le ténor, celui d'un jeune benêt (L'Elixir d'amour, de DONIZETTI, par exemple) qui surmontera le ridicule pour épouser sa belle.

 

 

J'exagère, je sais. Je caricature honteusement. Honte à moi. Je sais que la basse peut jouer les pères nobles (Simon, dans Simon Boccanegra), et le ténor les purs héros (Arturo, dans Les Puritains). Et ça reste beau.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

mercredi, 03 octobre 2012

ANIMAUX DES MONUMENTS AUX MORTS

Résumé : j’ai commencé à évoquer, en même temps que le passage de la guerre artisanale, éventuellement chevaleresque, à la guerre industrielle, la disparition programmée des animaux des paysages de champs de bataille, comme le montre la quasi-absence des bêtes dans les monuments aux morts.

 

Cette guerre-là, donc, est encore artisanale. A propos des hommes, certains parleront volontiers des derniers « chevaliers du ciel », même si le seul point commun (et encore) avec la chevalerie est le duel que se livrent deux hommes. Je ne tomberai pas dans le ton épique et parfois grandiloquent et suranné qui est celui de René Chambe, quand il évoque dans ses livres tel ou tel épisode guerrier dont il fut témoin ou auquel il a lui-même participé. Notre époque fatiguée, où l’esprit baigne dans un bouillon où se diluent inexorablement les nations européennes, est totalement impropre et imperméable à l’idée de grandeur.

 

Ajoutons toutefois, pour rendre les honneurs militaires à ses mânes éminemment respectables, que ces duels étaient teintés d’élégance morale, de loyauté et de courtoisie. Je retiens aussi, pour mon compte, l’artisanat instinctif du chasseur qui guette sa proie, espérant que son œil et son doigt feront la différence.

 

Car la carabine, disons-le, est très tôt renvoyée à ses chères études par plus fort qu’elle : la mitrailleuse. Roland Garros a l’idée du premier bricolage (des plaques de métal sur les pales de l’hélice). L’Allemand Fokker l’améliore en concevant tout un mécanisme pour synchroniser l’hélice et la mitrailleuse. Bref, on n’arrête pas ce progrès-là, même si ce qui se passe au sol a quelque chose à voir avec un insondable « régrès ».

 

Si Georges Brassens, sur le mode léger (en apparence), peut chanter : « Moi mon colon, celle que j’ préfère, c’est la guerre de 14-18 », c’est qu’elle est, d’une certaine manière, entièrement nouvelle. Pour la première fois, la population masculine dans son ensemble est considérée par les chefs politiques et militaires comme un énorme réservoir de matière vivante dans lequel il suffit de puiser. L’historien britannique Eric Hobsbawm ne fait pas démarrer par hasard son histoire du « court XX° siècle » en 1914, année qui marque le début de la course à l’arme atomique. Cette guerre a amené la technique et l'industrie au pouvoir.

 

Le rouleau compresseur de la folie guerrière et fratricide lamine les hommes : il y a environ 40.000.000 de Français en 1914, dont la moitié approximative de sexe masculin, à laquelle il faut ôter au moins 1.712.000 morts (8,5 % des mâles), sans compter 4.000.000 de blessés (20 % des mâles) et invalides. On peut presque dire qu’un tiers de tous les hommes de ce pays ont été soit éliminés, soit marqués à vie dans leur tête et dans leur chair.

 

J’en arrive aux animaux : la première guerre mondiale constitue le point final (ou peu s’en faut) de leur présence sur les champs de bataille, de leur utilisation comme auxiliaires de guerre. A cet égard, il est frappant de constater leur absence pour ainsi dire complète du champ des monuments aux morts : j’en ai à ce jour recensé 14 (il y a 36.000 « monumorts » en France). Autant dire RIEN : ils ont été purement et simplement évincés du paysage.

 

Les quelques exceptions que je présente comportent d’ailleurs une bizarrerie : sur les 14 monuments, 6 portent des lions (si !). J’en tire quant à moi une conclusion qui ne vaut que ce qu’elle vaut : l’animal est devenu inutile, comme il le deviendra quelque temps après dans les travaux des champs, dans les transports,… La guerre de 1914-1918 est une guerre mécanique, comme le montre la naissance du char d’assaut, qui apparaît pour la première fois le 15 septembre 1916. Face au Monstre mécanique (François Jarrige, éditions imho, 2009), l’homme n’est plus rien.

 

Hommage soit donc ici rendu aux quelques rares bêtes parvenues jusqu’à nous dans les monuments aux morts. J’éviterai de mentionner le coq, trop tarte à la crème patriotique, surtout quand il est présenté en train de terrasser l’aigle impériale. J’ai montré dans mon billet précédent (et ci-dessus) deux monuments impressionnants, comportant des chevaux.  On trouve aussi le chien.

 

Dommage que l'animal soit le grand oublié des monuments aux morts. Mais certainement révélateur. Et sans doute prémonitoire. 

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

mardi, 02 octobre 2012

DU TEMPS DE LA GUERRE ARTISANALE

Dans deux ans, on sera en 2014. Dans deux ans, il y aura cent ans que l’Europe commettait son premier suicide (il y en eut d’autres). Je ne voudrais pas que la guerre économique mondiale (qui est en train de se livrer, de faire rage et de détruire) occulte la catastrophe et la fasse oublier.

 

Car la guerre de 1914-1918, comme un impitoyable rouleau compresseur, en détruisant des millions d’hommes dans la fleur de l’âge, n’a pas seulement tué. En creusant ses millions de tombes, elle n’a pas seulement éclairci les rangs des "forces vives" des nations en conflit. Elle a écrasé une certaine idée de l’humanité. Elle a réduit en charpie une certaine vision du monde, et ruiné une certaine conception des êtres vivants qui le peuplent, animaux et végétaux compris.

 

Toutes les guerres, jusque-là, s’étaient avérées désespérément artisanales. Avant 1914, on s’entretue petit-bras, on s’étripe bras-cassé. On a l'extermination pusillanime. Ah c’est certain, on y arrive quand même, vaille que vaille, mais le résultat est, le plus souvent, disproportionné aux efforts. Avec la guerre de 14, première guerre industrielle, l’humanité accède enfin à son rêve : le meurtre de masse. Il est regrettable que le crime contre l'humanité n'ait été inventé qu'en 1945. La chose avait commencé trente ans auparavant.

 

Disons-le tout net : jusque-là, le rendement est ridiculement faible. Pensez, prenez l’énorme bataille de Waterloo (qu’on surnomme aussi la pelle du 18 juin, celle, mémorable, de 1815) : autour de 350.000 bonshommes de cinq ou six nationalités, en excellent état de marche, tous au mieux de leur forme, qui n’arrivent à coucher par terre, au total, que 40.000 d'entre eux (morts et blessés). Je n’ai qu’un mot à la bouche : minable. 

 

Parlez-moi maintenant de la guerre de 1914-1918, ça c’est quelque chose. Fini les demi-mesures, oublié le parcellaire, la peste soit du velléitaire. On y va carrément. Plusieurs inventions permettent cet indéniable progrès. Par exemple, les armuriers ont compris qu’en imprimant au projectile un mouvement rotatif, il gagnait en précision. Ils ont donc forgé, à l’intérieur des canons de leurs armes, des rayures. Ils ont pu accroître par là la puissance du dit projectile. Efficacité accrue garantie. Ils ne se sont pas privés d'accroître tout ce qu'ils pouvaient.

 

Ce progrès de la technique, qui permet d’administrer la mort à grande échelle, ça dévalue forcément les moyens traditionnels. Regardez le cheval. Déjà, en 1859, la troupe avait été acheminée en train de Lyon au champ de bataille de Solférino (célèbre pour avoir donné à Henri Dunant l’idée de la Croix Rouge). Il n’avait fallu que quatre jours. Il est clair qu’en 1914, la cavalerie est dépassée.

 

Certes, au début, quelques exploits sont à mettre au compte de ce corps d’armée empreint de traditions séculaires, voire chevaleresques. Ainsi, celui accompli par le lieutenant De Gironde qui, à la tête de son escadron et au prix de sa vie, détruisit en septembre 1914 une escadrille d’avions ennemis en chargeant héroïquement  « à l’ancienne ».

 

C’est ce que raconte René Chambe, dans son petit livre (non dénué d’un certain lyrisme épique) L’Escadron de Gironde. Le même René Chambe n’a-t-il pas publié – mais c’était beaucoup plus tard – Adieu cavalerie, dont le titre seul dessine un programme ? 

 

La guerre de 1914-1918 a vu la victoire définitive et totale de l’acier sur la chair. Traduit autrement : la victoire de l’industrie sur l’artisanat. Prenez l’avion. Encore balbutiant comme un nouveau-né au début de la guerre, il n’a pas tardé à s’adapter aux nouvelles conditions. De simple moyen d’observation des positions et des mouvements de l’ennemi, il devient rapidement une arme. 

 

Au tout début de 1915, le cavalier René Chambe est dans les tranchées, comme en témoignent quelques dessins qu’il envoie à sa famille, agrémentés de commentaires neutres et précis. J'en ai donné ci-dessus quelques-uns. Il ne tarde pas à être muté sur sa demande dans l’aviation, comme observateur. 

 

Mais comme on se canarde autant dans les airs qu’au sol, entre ennemis, pendant que le pilote pilote et que l’observateur observe, la carabine est chargée, prête à servir. Eh oui, on est encore Au Temps des carabines (titre d’un autre ouvrage de René Chambe).

 

Le 2 avril 1915, au tout petit matin, il ne fait pas chaud. Le sous-lieutenant aviateur Chambe attend son pilote sur le terrain de la M. S. 12, qui est au commandant De Rose (MS pour Morane-Saulnier). Comme le lieutenant Pelletier-Doisy, de son côté, attend son observateur, les deux compères décident de décoller ensemble, sur leur Morane parasol.

 

Jusqu’ici, depuis le début des hostilités, trois avions allemands ont été abattus, dont un la veille, par Navarre et Robert. Il y a de la revanche dans l’air. Chambe, à coups de carabine, perce deux fois le réservoir d’un « Albatros », coupe un câble de commande, pulvérise le tableau de bord, obligeant les Allemands à atterrir. Le battu s’avoue vaincu. Le vainqueur salue l’ennemi. De vrais gentilshommes. Quatrième victoire aérienne de la guerre. 

 

Oui, visiblement, on est encore dans une guerre des anciens temps. On ne dit pas encore "passée de mode". 

 

Voilà ce que je dis, moi.

dimanche, 30 septembre 2012

L'AMOUR ABSOLU

Pensée du jour :

 

« J'aime le son du bois, le soir au fond du corps,

Ma louve dévêtue.

Je sonne l'olifant dans ton camp du drap d'or :

Qu'il est crépu, ce cul ! »

 

 

Trêve de calembours ? Alors, un peu de littérature ? Bon, alors voici. Je suis à vos

ordres. 

 

« Il habite une des branches de l’étoile de pierre.

La prison de LA SANTÉ.

Comme il est condamné à mort, la branche où se cataloguent les condamnés à mort.

L’astérie pétrifiée n’a attendu pour s’épanouir, miroir des étoiles, que l’heure des étoiles. » 

 

Ce sont les premières lignes de L’Amour absolu. 

 

Ça faisait bien longtemps que je n’avais pas parlé d’un de mes fétiches en littérature : ALFRED JARRY, l'immarcescible inventeur de la 'pataphysique et du docteur Faustroll, pataphysicien. 

 

Cinquante pages en « Poésie-Gallimard », quarante en Pléiade, tu te rends compte, et ALFRED JARRY ose appeler ça « roman ». Bon, c’est vrai, il devait constituer, à l’origine, un simple chapitre de L’Amour en Visites. On ne va pas chipoter. Car ce livre, c’est bien une aura de beauté qui en émane. 

 

Comme le disait le regretté NOËL ARNAUD, c’est vrai que l’auteur ne s’adresse pas au lecteur paresseux, consommateur d’histoires plus ou moins bien torchées, davantage habitué à la production qu’à la création. Qu’à une vraie littérature d’invention. Si tu penses en être, cher lecteur, il vaudrait peut-être mieux que tu passes ton chemin. Ce territoire est celui de la littérature, la vraie, la pure et dure, peut-être l’intégriste. La preuve ? Qui a lu L’Amour absolu ? 

 

Emmanuel Dieu (c'est le "héros"), ancien enfant trouvé, le jour de Noël, dans un « doué » (lavoir en Bretagne), a été condamné à mort, et il attend son exécution. Voilà tout ce que je dirai de « l’intrigue ». A-t-il tué, d’ailleurs ? Rien n’est moins sûr : « S’il n’a pas tué, pourtant, ou si l’on n’a pas compris qu’il tuait, il n’a d’autre prison que la boîte de son crâne, et n’est qu’un homme qui rêve assis près de sa lampe ». 

 

J’ai naturellement, comme tout le monde, découvert ALFRED JARRY par son côté face : le père Ubu. Je me rappelle même avoir, ô combien laborieusement, avec des potes, enregistré quelques scènes d’Ubu roi sur un magnétophone à bande. Mais je ne sais pas pourquoi, je me suis mis à débusquer, à éplucher les autres œuvres, en particulier L’Amour absolu. C'est même cette première fusée qui m'a offert des photos de la face cachée de cette planète qu'est l'oeuvre après tout copieuse de cet auteur mort à 34 ans.

 

Qu’est-ce qui attire ? Qu’est-ce qui fascine, ici ? Je réponds : la force et la beauté poétiques du texte, où se télescopent les histoires et les mythes les plus divers, dans une sarabande enfiévrée : Ahasvérus, le juif errant, qui devient le « Christ-errant », le dieu Odin et ses loups, la fée Mélusine, des souvenirs de Rabelais, de Cervantès et des Mille et Une Nuits, Joseph et Marie, la Bretagne, l’enfance et l’adolescence, etc. Vous comprenez qu’on ne peut se hasarder à en dérouler l’intrigue. 

 

Ce texte n’a pas pris une ride, contrairement à toute la littérature symbolarde, épouvantablement ligotée dans l’époque qui l’a vu produire. Je ne qualifierai pas sa modernité du trop galvaudé « stupéfiante ». Plus simplement, j’en donnerai un exemple. On sait que L’Interprétation des rêves, ouvrage fondateur s’il en est, paraît en 1895. 

 

Bon, je sais que le professeur de philo de Jarry, M. Bourdon, faisait, dès 1890, des cours sur NIETZSCHE, non encore traduit en français, mais je doute fort qu’Alfred ait pu avoir connaissance du livre de Freud, qui définit le rêve, comme chacun sait : « un accomplissement de désir ». Or, voilà-t-il pas qu’ALFRED JARRY écrit, en 1899 :

 

« La Vérité humaine, c’est ce que l’homme veut : un désir.

La Vérité de Dieu, ce qu’il crée.

Quand on n’est ni l’un ni l’autre – Emmanuel –, sa Vérité, c’est la création de son désir. »

 

Voyez la citation de FREUD, et on dira ce qu’on voudra, mais … Convaincant, n’est-ce pas ? 

 

D’une manière plus générale, certains font la fine bouche, et trouvent singulièrement « datée » cette façon d’écrire. Ce n’est pas impossible. Je reste malgré tout attaché à cette prose poétique, par laquelle je suis entré jadis dans l’autre facette de l’œuvre d’ALFRED JARRY, tout ce qui ne tourne pas autour de la très encombrante gidouille d’Ubu, dont les extravagances ne font plus aujourd'hui que m'ennuyer. 

 

Ce qui me frappe, aussi, c’est l’intensité du récit, sa densité, ainsi que le mystère obstiné qui plane sur ce que certains appellent la « réalité ». Y a-t-il eu adultère ou inceste ? Meurtre ou naissance ? Est-ce la mort ou le sommeil ? Le rêve ou la réalité ? La femme s’appelle-t-elle Varia ou Miriam ? Dors-je ou veillé-je ? JARRY tente de relever à sa manière le même défi que s’est lancé GUSTAV MEYRINK dans La Nuit de Walpurgis ou dans Le Golem, deux livres qui vous font vous demander, quand vous les refermez, si vous n’avez pas rêvé. 

 

« Absolu – ment.

C’est une charade.

Ce que ne qualifie pas le premier est le sujet du second.

Tout dans l’univers se définit par ce verbe ou cet adjectif. » 

 

Indispensable. 

 

Voilà ce que je dis, moi. 

mercredi, 26 septembre 2012

AH ! ÊTRE LARVE A CORBEYSSIEU !

Pensée du jour : « Le jardin et la maison abritent de nombreuses espèces de petits animaux. Dans un jardin où règne la diversité, on trouve plus de petits animaux que dans n'importe quel biotope "sauvage", et la maison offre un abri à des animaux qui ne pourraient pas survivre à l'extérieur sous nos climats ».

 

LARS-HENRIK OLSEN

 

Dans le clos de Corbeyssieu, il poussait toutes sortes de végétaux : des très grands, même si l’état de l'orgueilleux, du gigantesque tremble du bas fait aujourd’hui peine à voir et serre le cœur, avec ses moignons à vif ; mais aussi des arbres tout petits.

 

Et des arbres complètement tordus : ah, qui dira les charmes du sophora (regardez celui-ci) aussi beau en hiver - quand sa silhouette torturée, sa chevelure frisée, se découpent sur le ciel - qu'en été - quand son feuillage, tombant en grappes épaisses presque jusqu'au sol, fait la joie des enfants qui jouent à cache-cache ?

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LE SOPHORA EN HIVER

 

 

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LE SOPHORA EN ETE

 

Il y avait des arbres  raides comme la justice. Le séquoia, avec ses branches tombantes et son écorce boursouflée et vallonnée, était un point de chute idéal pour la foudre à chaque orage. Enfin bref, il y avait des végétaux à plumes, à poil, à feuilles et à fruits, c’est vous dire.

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 Juste derrière les trois conifères centraux, juste au-dessus des routoirs (ou rouissoirs, visibles ci-dessus, avec un effort, en contrebas du mur de droite), il y avait en particulier un noisetier qui, pendant longtemps, nous a fourni d’une part nos arcs et nos flèches, d’autre part ses noisettes.

 

Enfin, quand je dis « noisettes », encore fallait-il que nul balanin ne fût passé par là au moment de la formation du fruit, auquel cas, aucun espoir de croquer quoi que ce fût. Le balanin ! Admirez son grand pronotum ; son rostre long et mince ; ses antennes coudées. Dire que c'est un nuisible ! Modeste, mais nuisible. Désolant !

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Il faut savoir que le balanin est la cause de la frustration de l’amateur de noisettes. C'est d'ailleurs pour ça que CARL VON LINNÉ l'a baptisé "curculio nucum", ou balanin "des noisettes". Car la femelle, pour pondre, pique le fruit à son début, quand, tout tendre encore, il n'a pas encore revêtu son armure ligneuse. Et la larve, peinarde comme un coq en plâtre (comme on dit chez nous), n’a plus qu’à attendre que ça pousse.

 

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Quand c’est mûr, elle sort les crocs, et quand elle a fini la réserve, elle n’a plus qu’à forer la paroi pour se retrouver au dehors, vous laissant la coque vide, percée d’un trou étonnamment rond, et vos yeux pour vous lamenter. En revanche, la larve du balanin nous évitait l’engueulade, au temps où nous cassions la noisette avec les dents. Ce qu’il ne faut surtout pas faire, paraît-il. C'est peut-être même à cause de ça que j'ai des dents en bon état (n'exagérons rien). En cas de trou, ce n'était même pas la peine de croquer.

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Tout de même : la peste soit du balanin ! Mais Dieu qu'elles étaient bonnes, les noisettes de Corbeyssieu !

 

 

Voilà ce que je dis, moi.