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lundi, 19 avril 2021

LYON

Si vous connaissez Lyon, vous savez plus ou moins que la ville s'est appelée Lugdunum dans les autres fois et que, sur la colline de Fourvière, se trouvent des théâtres remontant à l'époque romaine. Mais qu'est-ce qu'il y avait avant ? Je veux dire avant la mise au jour de ces monuments légués par l'antiquité ? La réponse attend les curieux dans les trésors accumulés par la Bibliothèque Municipale de Lyon. On trouve en particulier une photo des lieux prise avant le début des fouilles impulsées par Edouard Herriot à partir de 1933.

1 1933 avant les fouilles.jpg

Vue générale des propriétés du "Syndicat des institutrices libres" et du "Couvent de N.D. de la Compassion", à l'emplacement du grand Théâtre, avant le 25 avril 1933, date du commencement des travaux de dégagement (légende BML).

Cette photo, quand je l'ai découverte sur un réseau social (Lyon historique et actuel), m'a plongé dans un abîme d'admiration et d'incrédulité. D'abord à cause de la qualité technique hors du commun du cliché. Quand je compare la "définition", le "piqué" de cette photographie avec ceux de la plupart des images produites aujourd'hui par wagons entiers, je m'interroge sur la notion de "progrès". Encore le format contraint de ce billet ne permet-il pas de s'en faire une idée juste.

Ensuite me vient la question de savoir comment, à partir de cette simple photographie des lieux, quelqu'un pourrait imaginer tout ce qui dort ici, tranquille et invisible, depuis vingt siècles. Vous le voyez, vous, le théâtre romain tel qu'il apparaîtra onze ans plus tard, en avril 1944 (ci-dessous, observez aussi le verger en fleur) ?

1944 04 LES DEUX THEÂTRES.jpg 

Bon, je sais que les archéologues n'ont pas besoin de voir : ils savent par d'autres sources que tel bâtiment cité dans un texte doit se trouver à peu près à tel endroit (Chateaubriand prétend bien, dans son Itinéraire de Paris à Jérusalem, avoir retrouvé l'emplacement véritable de Sparte sur la base de ses lectures !). Il reste que moi, qui ne suis pas archéologue, je vois ici des prés portant dans une pente paisible des arbres fruitiers qui n'attendent que le moment de fructifier pour le plus grand plaisir des gens qui vivent en ces lieux.

Je subodore aussi qu'Edouard Herriot, en lançant cette énorme opération de dégagement (de déblaiement), n'était pas mécontent de donner un coup de pied dans la fourmilière de la "Colline qui prie" (opposée jadis à la "colline qui travaille", qui est la Croix-Rousse) : malgré toute la force de leur foi, c'est sans doute par la force de la loi que le syndicat des institutrices libres et le couvent de Notre Dame de la Compassion ont été expropriées.

Devant cette immense débauche d'énergie pour rendre au présent des œuvres du passé lointain de la ville, je me permets de garder une certaine distance. Car dans le cas qui nous occupe, il s'agit moins de faire apparaître que de rebâtir entièrement. Pour moi, le théâtre "romain" est pour une large part fictif. J'en veux pour preuve cette photo du chantier prise en janvier 1934 : voilà l'état des ruines telles qu'elles ont été déterrées.

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Vous vous voyez, assis sur ce tas de cailloux, même avec un coussin, pour assister à une représentation de Lohengrin (quatre heures au bas mot) ? N'en déplaise aux mânes d'Amable Audin, ce grand archéologue, on est bien devant une entreprise de reconstruction complète. Cela dit, oui, j'avoue avoir passé là des soirées, et même des nuits mémorables, au cours desquelles je ne pensais guère aux Romains.

vendredi, 26 juin 2015

L'ISLAM NE PEUT AIMER LA FRANCE

1/2 

J’ai entendu récemment le philosophe Jacques Rancière proférer une belle connerie. Plus énorme que sa célébrité dans le milieu de son milieu. C’est à propos de l’islam (eh oui, encore !). Il disait en substance qu’il n’est pas du tout sûr que le « voile » (tchador, niqab, burka, etc.) ait une signification religieuse. Eh, tête de pomme, si toutes les filles et les jacques rancière,philosophe,philosophie,tchador,niqab,burka,religion,fanatisme,france,europe,baptême de clovis,catholique,catholicisme,edwy plenel,emmanuel todd,qui est charlie ?,empire ottoman,sublime porte,bosphore,turquie,chateaubriand,mémoires d'outre-tombe,bataille de poitiers,charles martel,bataille de lépante,croisades,l'enlèvement au sérail,l'italienne à alger,lyon,canut,nizier du puitspelu,littré de la grand-côte,laïcité,guerre de bosnie,serbie,milosevic,allah,islam,musulman,tintin,tintin au pays de l'or noir,dupont dupond,cfcm,conseil français du culte musulman,nicolas sarkozy,carla bruni,georges brassens,le pluriel brassens,boualem sansal,gouverner au nomd'allahfemmes (sans parler de la façon dont les hommes en parlent) qui se baladent en cachant leurs cheveux, voire leur visage et leurs mains, te disent que c’est à cause de leur croyance religieuse qu’elles s’habillent ainsi, qu’est-ce que tu leur réponds, gros plouc ? Et ça se prétend philosophe … Il paraît même qu'il fait autorité. Un comble.

L’islam n’a pas fini d’emmerder la France, et plus généralement l’Europe, vieux continent catholique depuis 1500 ans (Clovis). Allez, disons « continent chrétien » pour ne pas vexer les protestants, bien qu'ils aient fait beaucoup de mal au continent. Les défenseurs opiniâtres des musulmans en France (Edwy Plenel, Emmanuel Todd, ...) devraient se souvenir que, historiquement, l'hostilité a toujours existé entre islam et chrétienté. Il y a là du révisionnisme. De l'aveuglement. Voire du négationnisme.

L’islam ottoman a bien tenté, mais en vain, de s’emparer de ce continent : il a laissé des traces de son passage dans quelques pays balkaniques, mais à part le petit orteil qu’il a gardé sur la rive européenne du Bosphore, il a été prié de décamper. Je dis tant mieux. Et je suis modéré : Chateaubriand, dans les Mémoires d'outre-tombe, implore l'armée du tsar de basculer les Turcs dans le Bosphore.

Je cite pour mémoire quelques hostilités historiques : Poitiers, croisades, Lépante, siège de Vienne et autres pirateries barbaresques devenues des œuvres musicales, comme L’Enlèvement au sérail ou L’Italienne à Alger. L’histoire montre « à regonfle » (comme on disait à Lyon quand on y parlait « yonnais ») que la tradition européenne n’a que faire de l’islam. Il y a incompatibilité. Et qu'on ne me parle pas d'apprentissage de la laïcité : il faudrait encore quelques centaines d'années. Même pas sûr que ça suffirait.

L’islam qui a subsisté en Europe a mis du vin dans son Coran, comme on l’a vu lors de la guerre de Bosnie, où les musulmans du cru se foutaient allègrement de la gueule des brigadistes venus, au nom d'Allah, les soutenir contre la Serbie de Milosevic, et trinquaient au whisky pendant que les autres se prosternaient sur leurs tapis de prière cinq fois par jour. 

ALLAH AKBAR.jpg

Hergé était sûrement islamophobe.

Déjà qu'il était raciste (voir Tintin au Congo).

Alors y a-t-il un « islam de France » ? La réponse, absolument formelle, est « Non » ! Pas parce que la France refuse les musulmans, mais à cause de la façon même dont la religion musulmane est organisée. Car il faut que cela se sache : l’islam, par nature et dès l'origine, n’est pas organisé. Le CFCM (Conseil Français du culte musulman) est une aberration venue par ébullition intempestive dans l’un des "cinq cerveaux" de Nicolas Sarkozy (dixit Carla Bruni quand elle était "présidente"). 

L’islam, en réalité, a quelque chose à voir avec les groupuscules trotskistes. Il obéit aux lois de scissiparité et de la dialectique maoïste réunies : « Un se divise en deux ». Quand des trotskistes se retrouvaient à cinq, ils se remémoraient et se fredonnaient (en chantant faux) la chanson de Brassens : « Le pluriel ne vaut rien à l’homme et sitôt qu’on Est plus de quatre, on est une bande de cons ». Le destin du musulman, tout comme celui du trotskiste, est de mourir seul. La division cellulaire est la loi organique des groupuscules trotskiste et de l’islam. 

SANSAL BOUALEM GOUVERNER.jpgJ’exagère ? J'abuse ? Je galèje ? Bien sûr, mais il faut bien s’amuser. Plus sérieusement, au sujet de l’islam, lisez Gouverner au nom d’Allah, de Boualem Sansal (Gallimard, 2013). Vous trouverez une liste (sûrement incomplète) des courants, au nombre de quatre : 1 – Le sunnisme ; 2 – Le chiisme ; 3 – Le soufisme ; 4 – Le kharidjisme. Je ne suis même pas sûr qu’un autre connaisseur proposerait le même découpage. Faisons comme si. 

Parce que là où ça se complique, c’est quand ça se subdivise. Rien que pour le sunnisme, il existe « quatre grands rites ». Il faut savoir que les « dignitaires de ces rites se vouent une inimitié fraternelle ». Sansal ajoute : « Ces rites sont : le malékisme, le hanafisme, le chafiisme, le hanbalisme, chaque rite s’étant lui-même scindé en plusieurs branches et rameaux ». N'en jetez plus. Ecoutons le président Mao : « Un se divise en deux ». 

Chantons après lui : ainsi soit-il. 

Voilà ce que je dis, moi.

jeudi, 16 avril 2015

ENNEMIS PUBLICS 3 (MH et BH)

3/4 

2008 ENNEMIS PUBLICS.jpgBon, maintenant que j’ai bien répandu mon fumier, qu’est-ce qui reste des propos que BHL tient à son correspondant ? Je suis obligé de le dire : de mon point de vue, pas grand-chose. Quelques vagues accès de sincérité, mmoui, peut-être. Quant à soutenir qu'« il y a eu un vrai travail de parole » (p. 306) et que « Le parti adverse, le mien, va peut-être en profiter, foncer dans la brèche que j'ai ouverte et voir dans ces aveux la confirmation de ses pires suspicions » (p. 313), on n'y est pas du tout. Mais, monsieur Lévy, soyons sérieux : quel travail de parole ? quelle brèche ? quels aveux (pour les aveux, voir la conclusion du billet d'hier) ? 

Beaucoup de vantardises fiérotes, ça c’est sûr. Que ce soit dans le café voisin (le Twickenham) de l’éditeur Grasset (où il a son bureau de directeur littéraire, j’imagine) ou à propos du village d’Esbly, il faut que nul n’en ignore : BHL aura été un homme "couvert de femmes". Cette fois ce n’est plus Sartre ou Malraux (quoique …), c’est carrément Chateaubriand : il lui suffit d’apparaître pour qu’elles lui tombent dessous (je suis assez content de la formule, servez-vous). 

C’est MH qui cite le nom de la commune où les parents de BH avaient une maison, revendue à cause de la « cancérisation » par Disneyland. Réaction de BH : « Mon Dieu, Esbly ! ». Aussi sec, je vous jure que c'est vrai, il nous fait le coup de la madeleine (sur l'air de "J'avais totalement oublié", "Mon dieu quelle émotion !") !

Et c'est parti pour nous tartiner l’histoire de l’épouse-caissière du boucher surnommé « le cocu », cette femme qui payait de sa personne dans l’initiation sexuelle des jeunes mâles du coin. « Mon prince, on a les dames du temps jadis qu'on peut » (Georges Brassens). Pourquoi pas, après tout, la bouchère d'Esbly ? D'autant que Houellebecq réplique finement, dans la lettre qui suit, que c'est BHL lui-même qui a parlé de la commune dans un de ses livres. Simplement, il avait "oublié". 

Houellebecq est peut-être moins intelligent que BHL, mais il n’est pas le moins subtil des deux. Il raisonne peut-être de façon plus "stratégique" que le philosophe. Il y a un côté « américain » chez BHL, je veux dire « banque de données », je-collecte-tout-on-triera-après (le syndrome NSA, "grandes oreilles", etc.), qui est à peu près absent de l’univers houellebecquien. Houellebecq voit venir de loin. Bernard-Henri Lévy a du mal à voir le monde tel qu’il est, je veux dire à le comprendre : son personnage, qui remplit son paysage, fait écran. 

Si l'épisode du "Journal intime" qu'il tient et de sa peur qu'il finisse sur les rayons de l'IMEC (archives de l'édition contemporaine) vire au comique, je suppose que c'est involontairement. Ça commence p. 310, « au bar de l'hôtel Excelsior, à Venise, avec Olivier Corpet, le patron de l'IMEC ». Ça ne pouvait évidemment pas se situer à l'hôtel de la Gare de Gleux-les-Lure, la bourgade qui vit naître le sapeur Camember, un inoubliable 29 février. Ah, Venise !...

Quand Corpet lui soutient que, quelque précaution qu'il prenne, testamentaire ou autre, son Journal atterrira tôt ou tard dans ses collections, il va passer un temps fou « à fabriquer une usine à gaz, à mon avis unique en son genre » pour s'assurer "ante mortem" qu'il n'en sera rien. Et pourquoi tout ce cirque ? Parce que ce Journal « mirifique », « de vingt et quelques mille pages », pas moins, est « plein de secrets plus explosifs les uns que les autres » !! Farpaitement ! On s'en doutait un peu, BH, que ton importance intrinsèque t'a introduit dans le secret des dieux, et que tu te retiens de tout dire, parce que sans ça !

Pour ce qui est du style, je ne sais pas si c’est à Chateaubriand qu’il faut penser, j’ai du mal à faire le lien. Monsieur Lévy écrit par exemple : « … quand on a été ces jeunes gens orageux, frères en apocalypse et en pyromanie … » (p. 279). Désolé, cette enflure verbale me fait penser à Eloge des voleurs de feu, d’un certain Dominique de Villepin. Le lyrisme est souvent ridicule. Sinon, il est volontiers grotesque.

Désolé, ça n’a tout de même pas la gueule de « Levez-vous vite, orages désirés qui devez emporter René sur les rivages d’une autre vie … ». Je m'étonne presque que BHL n'ait pas senti « le vent sifflant dans [sa] chevelure », qu'il a pourtant abondante (peut-être à dessein ?). N'est pas Chateaubriand qui veut. J’ai constamment l’impression qu’ « il se la joue ». BHL mauvais imitateur. Peut-être parce qu'il rêve d'imiter tous les grands noms de la littérature et de la philosophie (sans compter les autres) ?

Sa plume sème aussi, ici ou là, des citations cachées, réservées sans doute à l'élite des initiés. Ainsi, p. 243 : « … le jour où on verra clair dans leur communauté inavouable, … » (un titre du très classieux, très chic et très « fashion » Maurice Blanchot) et, juste en dessous : « … des mouchards, des charognards plaqués sur du vivant … » (réminiscence assez niaise d'Henri Bergson, dans Le Rire). 

Pour avoir besoin, à tout moment, de s’en référer à des autorités, on se demande finalement si BHL, le "philosophe" autoproclamé, arrive seulement à la cheville de ceux qui inventent des concepts ou des catégories de la pensée, ceux qu'on appelle, pour le coup, des philosophes. Tout compte fait, il ne semble pas. Il s’est beaucoup démené, il a beaucoup fait, mais qu'a-t-il fait bien ? Il fut peut-être un élève brillantissime, tant mieux pour lui, mais il faut un jour cesser d'être "scolaire". Un jour, il faut choisir, mais choisir, c'est éliminer.

Il frise parfois l’odieux. On trouve par exemple, p. 223 : « Je pense à tous les anonymes qui m’écrivent quand mes livres paraissent, ou que je passe à la radio et à la télé … ». Je ne sais pas vous, mais moi, il y a un mot qui ne passe pas. Le même mot écœurant que les journalistes emploient dans les événements dramatiques, les grands enterrements : c’est le mot « anonymes ». Mais si, ça vous dit sûrement quelque chose, « la foule des anonymes ». Ho BH, tu sais ce qu’il te dit, l’ « anonyme » ? Anonyme mon c..., dirait Zazie ! Moi, je serais plus grossier.

Alors au tour de Houellebecq, à présent. Je crois bien que c’est lui qui déclare : « Nous avons les mêmes ennemis ». Oui, c’est bien possible. Mais, cher monsieur Houellebecq, avec une différence de taille, me semble-t-il : pas pour les mêmes raisons. Je dirais même : pour des raisons opposées. Si BHL a joué les phalènes pour se placer dans la lumière des projecteurs, s’il a fait exprès pourrait-on dire, Houellebecq n’a pas cherché les feux de la rampe : ce sont ses livres, à commencer par le premier, Extension …, qui ont produit l’effet qu’on connaît (sans parler des Particules élémentaires). Ça lui est tombé dessus. C'est du moins ce que je suis enclin à croire.

On me dira qu’il s’est vite habitué. Sans doute, il n'a pas refusé. Je note cependant que son succès et le scandale qui est allé avec n’ont pas dévié d’un centimètre la trajectoire qu’il a imprimée dès le départ à sa production romanesque. Je reste persuadé qu’avant publication de son premier roman, il n’avait pas prévu qu’il déclencherait le schproum qui accompagne désormais chaque parution, et qu'il a alors pris en pleine figure. Ça ne lui a sans doute pas fait de bien, comme s'en inquiète Sollers, cité dans le livre de Dominique Noguez (cf. 3-4 avril).

Cela n’empêche pas Houellebecq de tomber dans la complaisance : « Tout ça pour vous dire, cher Bernard-Henri, que je n’ai aucun mal à vous croire quand vous me dites n’avoir nullement prémédité votre célébrité. J’y ai d’autant moins de mal que je n’ai pour ma part à peu près rien prémédité de ma vie (ou, plus exactement, que tout ce que j’ai prémédité a échoué) » (p. 269). J’espère pour lui qu’il fait semblant. Autant je crois à peu près à la sincérité de MH, autant je doute de celle de BH, que je crois constamment et résolument insincère. On me dira sûrement que je suis de parti pris. Ce n’est pas tout à fait impossible, mais. 

Voilà ce que je dis, moi. 

mercredi, 19 mars 2014

32 BALZAC : JÉSUS-CHRIST EN FLANDRE (1831)

Commenter La Comédie humaine, je ne m'y risquerai pas. D'abord parce que les commentaires, gloses, études, exégèses, annotations, explications et autres bavardages érudits doivent se répandre sur je ne sais combien de dizaines de mètres de rayon dans toutes les bibliothèques savantes. Ce qui doit finir par faire des kilomètres.

 

Ensuite, parce que je crois profondément que toutes les couches de savoir dans lesquelles les savants croient englober l'acte créateur du génie laisseront toujours échapper ce qui en fait l'essentiel : la jouissance au présent. C'est pourquoi je me contente de donner une idée (parcellaire et subjective) des récits dont cette cathédrale est édifiée, non pas en les résumant, mais en en livrant des sortes de comptes rendus de lecture, sans doute tant soit peu scolaires. On fait ce qu'on peut.

 

Je me rappelle la visite faite il y a des temps au château de Saché, le plus éminent temple balzacien qui existe au monde. Un pèlerinage, en quelque sorte. On vous montre par exemple la chambre qu'il occupait tout en haut, reconstituée (?) avec soin, y compris la table devant la fenêtre dominant une allée bordée d'arbres nobles.

BALZAC SACHE 1.jpg

Y compris la cafetière chargée de fournir du carburant au moteur de son génie. Souvenir puissant, imprégné des contrastes que la lumière d'un soleil éclatant faisait peser sur les lieux. J'y reviendrai. Pour l'instant, parlons d'une drôle de nouvelle : Jésus-Christ en Flandre.

 

Disons que cette très courte nouvelle d’à peine vingt pages est une féerie, et n’en parlons plus. Une parabole si vous voulez, mais alors taillée à la hache. Une légende populaire ancienne aussi. Jugez plutôt. Un marinier qui fait la traversée d’un bras de mer entre Ostende et une île qui lui fait face embarque ses derniers passagers, quand un mystérieux personnage s’ajoute.

 

A l’arrière se sont installés un jeune cavalier fringant et arrogant faisant sonner ses éperons dorés ; une demoiselle portant faucon sur le poing et ne causant qu’à sa mère ou à l’archevêque qui leur tenait compagnie ; un gros bourgeois de Bruges accompagné d’un valet armé jusqu’aux dents à cause des gros sacs pleins d’argent ; enfin un homme de science à la haute renommée.

 

A l’avant, on trouve un vieux soldat, assez charitable pour laisser sa place assise à l’inconnu ; une ouvrière d’Ostende chargée d’un enfant ; un paysan et son fils ; une pauvresse bien pieuse. Le schéma est clair et édifiant : les riches à l’arrière, séparés des pauvres assis à la proue par les bancs des rameurs.

 

Attention, ça va secouer, l’orage menace et les passagers sont diversement inquiets, les uns s’en remettant à Dieu, les autres inquiets pour leur personne. L’orage devient tempête, et malgré la vigueur des rameurs, le sort de l’esquif devient de plus en plus précaire. Parmi les débats entre ceux qui croient au Ciel et ceux qui n’y croient pas, seul l’inconnu reste calme, disant à la jeune mère : « Ayez la foi, et vous serez sauvée ».

 

Puis, quand la barque a chaviré : « Ceux qui ont la foi seront sauvés ; qu’ils me suivent ». Se mettant debout, il se met à marcher sur la mer, suivi aussitôt par le soldat, puis par la petite vieille qui, à leur tour, marchent sur la mer. Les deux paysans les imitent, de même que Thomas, le marinier qui a accueilli la vieille sans réclamer le prix du passage. La foi de Thomas est chancelante, et il tombe plusieurs fois, mais réussit à suivre les autres.

 

Et les riches, allez-vous me demander ? Devinez, voyons, c’est la question à 15 euros : leur sort est éminemment moral. On retrouve ensuite le narrateur dans la cathédrale d’Ostende. Il est fatigué de vivre. On est en 1830, après la révolution de juillet et la chute des Bourbons. Il est assis et décrit ce qu’il voit. Mais la description se transforme en tableau fantastique, « comme sur la limite des illusions et de la réalité ».

 

Une femme, une petite vieille froide, de sa main glacée le prend par la main et le conduit dans une demeure obscure. Il comprend qu’elle est la Mort, veut fuir, ne peut pas : « Je veux te rendre heureux à jamais, dit-elle. Tu es mon fils ! ». Il l’apostrophe durement, lui reprochant de s’être prostituée, entre autres culpabilités. Alors la vieille se transforme en belle jeune fille lumineuse, et lui lance : « Vois et crois ! ».

 

Il aperçoit alors dans le lointain des milliers de cathédrales, magnifiquement ornées, il entend « de ravissants concerts », il voit des foules humaines empressées « de sauver des livres et de copier des manuscrits » ou de servir les pauvres. Puis la jeune fille redevient vieille, et souffle : « On ne croit plus ! ». Soudain une voix rauque le réveille, c’est le donneur d’eau bénite qui le prévient de la fermeture des portes.

 

La conclusion ? « Croire, me dis-je, c’est vivre ! Je viens de voir passer le convoi d’une Monarchie, il faut défendre l’Eglise ». La monarchie en question est la dynastie des Bourbons, qui s’écroule après cinq ou six siècles de règne. On comprend que ça fasse un choc à Balzac devenu (ou qui deviendra) légitimiste.

 

Chateaubriand en parle longuement dans Les Mémoires d’Outre-tombe, regrettant la raideur doctrinale du clan groupé autour de Charles X, allant même jusqu’à reprocher au roi, qui refuse de « rapporter les ordonnances de juillet », de n’avoir pas compris que la seule solution pour la survie de la royauté eût été, non pas d’épouser son époque, mais au moins d’en accepter quelques innovations.

 

Au fond, il s’agissait de montrer que le roi était capable d’accompagner le mouvement des idées, seul moyen pour Chateaubriand de rester à sa tête. Au lieu de quoi, c’est le clan le plus réactionnaire qui emporta la décision, et précipita la chute des Bourbons. Chateaubriand se serait pourtant bien vu en précepteur du futur Henri V, se proposant d’inculquer au fils de Charles X la souplesse d’esprit nécessaire à qui veut ne pas être écrasé par la modernité.

 

Balzac ne va pas aussi loin dans l’analyse. Il se contente ici de déplorer la disparition d’un des piliers de la nation française (le Trône) et veut tout faire pour sauver l’autre (l’Autel). J’adore quant à moi la phrase : « Je viens de voir passer le convoi d’une Monarchie, il faut défendre l’Eglise ». Qu’il ait emprunté pour cela au genre fantastique, ma foi, c’est une faute tout à fait vénielle, n’est-il pas ?

 

Jésus-Christ en Flandre se laisse lire sans déplaisir.

 

Voilà ce que je dis, moi.

jeudi, 27 juin 2013

POURQUOI JE LIS

Je ne suis pas un immense lecteur. Je suis même un lecteur un peu laborieux. Ce que je lis, il faut que je le mâche longuement, que je le mastique, que je le contemple en train de s'écraser en nourriture entre mes dents, avant d'aller alimenter et irriguer les canalisations de mon moi littéraire. Si je devais me comparer, je dirais que, dans l’ordre des lecteurs, j’appartiens à la famille placide et patiente des ruminants contemplatifs.

 

A propos de contemplatif, je me consolerais en me disant que Julien Gracq, qui n’a pas couvert de ses œuvres des kilomètres de rayons, a écrit sur le tard ce merveilleux petit bouquin intitulé Les Eaux étroites, qui, en condensant une matière longuement ruminée pour en polir le pur éclat de chacune des facettes, ouvre sur cette sorte d’infini en profondeur que recèle ce paysage minuscule, sa rivière de l’Evre, qui passe à Saint-Florent-le-Vieil. 

 

Le paysage de mes lectures n'est pas aussi vaste, et n'a rien à voir avec les horizons des mers vides à perte de vue, avec ceux des plats pays aux ciels sillonnés de nuages, ou avec ceux de ce désert de sable où se découpe une caravane au sommet de la dune, sur fond de ciel, si possible en contre-jour (en fin de journée). Mes paysages de lecture sont bornés par les arbres qui dressent leur opacité bienfaisante et lumineuse au bout de mon jardin affectif. Même s'il arrive qu'un cachalot pointe sa mandibule débonnaire et souffle ses vapeurs non loin de mon embarcation.

 

Pour dire le vrai, ça fait déjà quelque temps que je n’ai plus envie de lire pour lire. Et même de lire pour avoir lu. Vous savez, ces œuvres qu’il faut avoir lues si l’on ne veut pas mourir idiot. Si, bien sûr, je m’en suis collé, des Mémoires d’Outre-tombe et des Rougon-Macquart. Mais souvent par devoir. Il ne faudrait jamais lire par devoir. Je plains de tout mon coeur les élèves de lycée : pour rien au monde, je n'aurais souhaité être à leur place. Même si ... Comment pourraient-ils aimer la littérature, s'il ne s'agit que « d'avoir 10 en français » ?

 

Pour les Mémoires … de Chateaubriand, j’exagère, car j’ai pris du plaisir en beaucoup d'endroits, - moins pour les tableaux historiques, où l'auteur s’efforce toujours de ne pas dessiner son propre personnage en trop petit dans un coin en bas, comme un vulgaire donateur, tiens, comme un « Chanoine van der Paele » dans un tableau de Jean Van Eyck, comme on faisait à la Renaissance et avant, - que pour les routes européennes (en particulier alpines) parcourues en tout sens et les portraits, en pied ou collectifs, aux contours dessinés d’un beau trait précis.

 

Les 20 Rougon-Macquart, je me les suis avalés dans l’ordre, enfin presque : non, je n’ai pas fini Le Docteur Pascal, c’était au-dessus de mes forces, le curé laïc, sa probité inentamable, son cœur gros comme ça, sa "bonne âme". Mais le docteur Pascal, on sait que c'est Zola en personne, c'est sans doute pour ça que je n'ai pas pu finir l'assiette. 

 

Mais avant d’en arriver à ce dernier épisode, j’avais eu le temps de détester Le Ventre de Paris, Au Bonheur des dames et La Faute de l’abbé Mouret : Zola se serait amusé à décrire par le menu chacune des milliards de milliards de gouttes de pluie pendant les quarante jours et les quarante nuits qu’a durés le Déluge, il ne s’y serait pas pris autrement. De quoi noyer tout lecteur moyennement bien intentionné. Ces énumérations ! Epaisses comme des Dictionnaires de Cuisine, commes des Catalogues de la Redoute ou comme des Traités de Botanique Paradisiaque (dans l'ordre des titres) !

 

Au moins, mon verdict sur les romans de Zola, je ne le tiens de personne d’autre que de moi : tout ça est, à quelques exceptions près, épais, lourd, bourratif et indigeste. Parmi les exceptions, je dirais volontiers qu’il y a quelques friandises délectables à se mettre sous la dent, dans La Débâcle, La Bête humaine, malgré l'obsession gynophobique du héros, mais dont Robert Musil, dans L’Homme sans qualités, s’est peut-être souvenu pour son incroyable personnage de Moosbrugger.

 

Je goûte aussi quelques douceurs cachées dans La Conquête de Plassans, Son Excellence Eugène Rougon, L’Argent, La Curée. Non, tout n’est certes pas à jeter, même si j’aurais eu parfois envie de lui dire : « N’en jetez plus, la cour est pleine ! ». Zola a possédé vraiment la science (à défaut de l'art) d’écrire, mais je regrette qu’il ait écrit sous la dictée de l’idéologie, de la théorie et du poids documentaire. Et cette obsession de l’hérédité, ma parole ! Un vrai petit Lyssenko avant la lettre, vous savez, l'adepte stalinien de la transmission à tout crin des caractères acquis.

 

En revanche, quelqu'un qui n'a jamais lu L'Iris de Suse ne sait pas ce qu'est l'émerveillement. Il est vrai que, lorsque je l'ai ouvert, j'étais tout prêt et disposé, car je m'étais de longtemps familiarisé avec le bonhomme Giono et les concrétions romanesques qu'il a laissées sur son passage, comme par exemple le cycle du capitaine Langlois, ou alors Deux Cavaliers de l'orage, ce livre tout à fait improbable (ce colosse qui abat d'un seul coup de poing un cheval qui sème la panique, mais ça finira mal), ou encore le long cycle d'Angelo, ce héros chéri de Jean Giono (pour qui a lu Le Bonheur fou, est-ce que quelqu'un pourrait me dire pourquoi Angelo enferme son sabre dans un placard avant de sortir dans la rue où il sait que rôdent des spadassins, peut-être envoyés par sa propre mère ?). Giono n'explique rien : il montre. Voilà un romancier.

 

En fait, je peux bien l’avouer, je n’ai jamais lu « pour lire ». Je connais des gens (on en connaît tous, j’imagine) qui ne peuvent pas sortir de chez eux sans un livre à la main. Dans le métro, dans la rue, à la terrasse des cafés, c’est un enfer de livres ouverts, d'écrans de portables et de casques sur les oreilles, comme si les gens ne voulaient pas risquer de communiquer avec les gens présents en y frottant une parcelle de leur corps ou de leur tête, et se servaient de ces moyens pour s’embusquer dans leur tanière impénétrable, toutes griffes dehors.

 

On dirait que les gens se bouchent les oreilles avec leurs casques et les yeux avec leurs livres. Et c’est eux qui, ensuite, cherchent anxieusement l’âme sœur sur quelque site de rencontre. Je me dis que la peau virtuelle sur écran, l'écran fût-il tactile, est moins douce à caresser que celle qu’on vient de frôler, ici, là, dans le métro ou sur le trottoir, au rayon de ce magasin ou à l’arrêt de ce bus, et qu'on se met à suivre, à aborder, ... et plus si affinités. On ne sait jamais.

 

Car la peau qu'on vient de frôler et de laisser se perdre dans la foule, et qui t'inflige ce regret qui te mange le coeur et la mémoire si tu n'as pas fait le geste ou l'effort (Les Passantes, Georges Brassens), cela s'appelle le désir. Mais un désir rétrospectif, celui où tu te dis : « Merde, j'ai loupé l'occase du siècle ! ». Trop tard. Au sujet du regret que nous infligent après coup nos désirs désormais timorés et frileux, voir la rubrique « Transports Amoureux » dans le journal Libération.

 

Je conseille à tous les avanglés (« Te bâfres comme un avanglé ! », trouve-t-on dans Le Littré de la Grand-Côte) de « contact » électronique de relire comme un manuel de savoir-vivre les dernières pages de Ce Cochon de Morin, de Guy de Maupassant, c'est le beau Labarbe qui est envoyé pour arranger la sale affaire de Morin : « ʺJ’avais oublié, Mademoiselle, de vous demander quelque chose à lire.ʺ Elle se débattait ; mais j’ouvris bientôt le livre que je cherchais. Je n’en dirai pas le titre. C’était vraiment le plus merveilleux des romans, et le plus divin des poèmes. Une fois tournée la première page, elle me le laissa parcourir à mon gré ; et j’en feuilletai tant de chapitres que nos bougies s’usèrent jusqu’au bout ». Les bougies, c'était donc ça ! Maupassant ne reculait devant aucun "sacrifice" ! Quel salaud ! Quel macho ! Non : quel homme ! Au moins, lui, il donne envie de "lire" des "livres" !

 

Au lieu de ça, à cause de la musique portable, mais aussi, hélas, du livre de poche, on est dans la civilisation du « On ferme ! », au moment même où celle-ci se proclame à renforts de trompettes « Ouverte 24/24, 7/7 ! ». On n’en a pas fini avec le paradoxe et l’oxymore. Et la morosité tactile, éperdue et portable. Et les petites annonces amères « Transports amoureux » de Libé.

 

Voilà ce que je dis, moi.

mardi, 23 octobre 2012

BALZAC 1

Pensée du jour : « Toutes les colombes sont des Robespierre à plumes blanches ».

 

HONORÉ DE BALZAC

 

 

Il signa HORACE DE SAINT-AUBIN ces livres qu’on appelle aujourd’hui « romans de jeunesse ». Il devait tenir à la particule, parce que, dans son vrai nom, il s’est tellement peu fait à son absence qu’il a voulu à toute force l’ajouter. Son vrai nom ? HONORÉ BALZAC. Qui, aujourd’hui, songerait à l’en priver, de sa particule imaginaire ? 

 

HONORÉ DE BALZAC, donc. Mon premier contact avec ce monument de la littérature, je ne dis pas « française », mais universelle, remonte à mon adolescence, lorsque mon père se mit à acheter pour moi, mois après mois, chacun des 37 volumes qui constituent l’édition du Cercle du Bibliophile. Cette édition ne vaut certes pas celle, beaucoup plus scientifique (et beaucoup plus chère !), donnée par le Club de l’Honnête Homme, à peu près à la même époque. Mais enfin, je m’en contentais. Il y avait l’essentiel : le texte. 

 

Ce qui a sauvé BALZAC à mes yeux, c’est de n’être jamais devenu un objet d’étude au lycée. Il a évité le grand tort qu’on fait subir aux grands auteurs de tenter de les expliquer en classe. Il a évité le total discrédit injustement tombé sur CORNEILLE, dont monsieur LAMBOLLET avait eu l’idée lumineuse de nous faire étudier la pièce Cinna. CORNEILLE ne s’en est pas remis. C’est un tort, je sais, mais que faire ? 

 

Quelle idée, aussi, de faire travailler des gamins de douze ans (c’était en cinquième) sur une œuvre éminemment politique (le sujet : la clémence d’Auguste envers un comploteur) ? 

 

On ne dira jamais assez combien, à quelques exceptions près, l’enseignement de la littérature tel qu’il était pratiqué, je veux dire : en vue d’obtenir une note au baccalauréat, est un des moyens de dégoûter les jeunes de la littérature. Comment leur donner le goût de la lecture ? Je le déclare solennellement : je n’en sais fichtre rien ! Quant à moi, je l'ai gardé, cultivé, développé. 

 

BALZAC fut donc sauvé. VICTOR HUGO aurait pu l’être aussi. C’est certain, il y a Notre-Dame de Paris, Les Misérables, Quatrevingt-treize. Oui, il y a le fleuve poétique (« Ce que dit la bouche d'ombre », c'est dans Les Contemplations : « Tout vit, tout est plein d'âme »). Mais il fait aussi exprès de se rendre insupportable. Car il y a aussi l’enflure, le déluge des images (« le pâtre promontoire au chapeau de nuée »), et puis il y a le culte, que dis-je, l’idolâtrie de l’antithèse (vous savez, dans Ruy Blas, le « ver de terre amoureux d’une étoile »). 

 

Bon, c’est vrai, HUGO emprunte ce goût du contraste violent au CHATEAUBRIAND des Mémoires d’outre-tombe. Mais ce qui reste mesuré chez celui-ci, HUGO en fait un Everest. Et puis CHATEAUBRIAND, toujours dans les Mémoires, consent à la simplicité du style quand il s’agit de décrire la nature et de raconter son passage du Saint-Gothard. HUGO n’est jamais modeste. J’exagère, je sais. Alors disons qu'il l'est rarement. 

 

C’est donc sans y être obligé que j’ai lu toute La Comédie humaine, ou presque. J’ai commencé à faiblir quand sont sortis les volumes contenant les Contes drolatiques, des pastiches bien corsés et bien verts de la langue baroque de RABELAIS et BEROALDE DE VERVILLE, dans la veine des Fabliaux du moyen âge (curés pécheurs jamais repentis, adultères joyeux, …). Quant au théâtre et aux romans de jeunesse, s’il me reste un jour du temps, pourquoi pas ? 

 

La Comédie humaine, c’est déjà un morceau respectable en soi. Je n’ai pas vu le temps passer. Les Illusions perdues ? C’est passé comme un rêve. Rubempré, « plus léger qu’un bouchon [qui dansait] sur les flots », ballotté au gré des D’Arthez et des Lousteau. 

 

Ah, du côté des femmes, Rubempré qui erre de la Bargeton à la Coralie, puis de La Torpille à la Maufrigneuse et à la Sérizy (mais ça, c’est dans Splendeurs et misères des courtisanes) ! On suit. Et on erre en sa compagnie, de la province profonde d’où il essaie de s’arracher jusqu’à son terrible suicide obscur (réussi, celui-là) à la Conciergerie, et des rêveries poétiques en compagnie de David Séchard aux sombres machination en compagnie de Carlos Herrera (alias Vautrin). 

 

Les deux grands BALZAC qui apparaissent dans La Comédie humaine, c’est bien sûr Rubempré et Rastignac. Je ne m’attarderai pas sur le fameux « A nous deux maintenant ! », que ce dernier lance au Paris illuminé qu’il voit du haut du Père Lachaise, où il vient d’être obligé d’emprunter pour payer les fossoyeurs qui ont enterré le père Goriot. Les filles de celui-ci ont eu l’obligeance d’envoyer leurs voitures (vides mais armoriées) à l’enterrement. 

 

On pressent la suite de la carrière d’Eugène dans la dernière phrase du livre (je parle du Père Goriot) : « Et pour premier acte de défi qu’il portait à la Société, Rastignac alla dîner chez madame de Nucingen ». Nuncingen, c’est le banquier dont BALZAC prend soin de rendre l’accent alsacien dans la graphie. Et dont la femme sera la maîtresse de Rastignac. Mais c’est vrai, Rastignac est moins sympathique et pitoyable que Rubempré. Ce dernier a trop besoin d’être aimé. Et Rastignac est trop cynique. 

 

Pourquoi je dis « les deux grands BALZAC » ? Est-ce que ce n’est pas évident ? Rastignac et Rubempré sont des émanations de BALZAC. Mais autant (non, bien davantage) que De Marsay, Maxime de Trailles, voire le dévoué et lucide avoué Derville. D’autres. 

 

N’y a-t-il pas encore de lui dans le banquier Nucingen, le calculateur et spéculateur sans scrupule ? Dans Birotteau, l’entrepreneur patient et honnête qui se fait plumer quand il veut changer d’échelle ? Ce qui hallucine, c’est la capacité de BALZAC à doter tous ses personnages de quelque part de lui-même, selon les aspirations ou les calculs qu’il a besoin de mettre en action.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

A suivre.

mercredi, 22 août 2012

LA METHODE VIALATTE 1/5

Pensée du jour : « Aussi les pères de famille avisés attachent-ils par une corde courte au piquet central de la tente les grand-mères et les enfançons. Une barrière de barbelés isole du monde ces radeaux de la Méduse. Un haillon vert y sèche à côté d'une loque rose. La vache vient, contemple et s'étonne, le prisonnier se souvient et passe, le promeneur regarde et fuit épouvanté. C'est ce qu'on appelle un camping de vacances ».

 

Alexandre Vialatte

 

***

 

Je m’adresse aujourd’hui – j’aime autant annoncer la couleur –, à ceux de mes lecteurs que je déboussole, que je décontenance, que je dépayse, que sais-je, que je dérange, déroute, voire désarçonne ou désoriente (j’en ai d’autres dans la musette, au cas où …, par exemple « agace ») par la tentation à laquelle je cède un peu trop volontiers, de me laisser, faute de rigueur intellectuelle, embarquer dans des « arabesques », comme les appelle Chateaubriand dans Mémoires d’Outre-Tombe, c'est-à-dire des « digressions »   (« parabases », pour les amateurs).

 

La digression, parfaitement, voilà l’ennemi, paraît-il. Je me propose de traiter le sujet en tant que tel, dignement, et de le traiter d’une manière formellement idoine à la matière. « Il ne faut pas confondre la forme et le fond », proclamait pourtant, affolé, Monsieur René Bady, dans un des cours les plus mouvementés (il n'avait jamais eu autant d'auditeurs) de sa tranquille histoire de professeur d’université. Il reste l’auteur d’une thèse de doctorat qui est restée dans les mémoires : tout le monde se souvient de De Montaigne à Bérulle. La modernité lui a répliqué : « La forme doit épouser le fond ». 

 

Le pauvre homme, qui était admirablement humble et catholique, ne s’y est pas retrouvé. Le garnement infernal que je fus se souvient des cours sur l’ode au 16ème siècle (aussi, a-t-on idée !) : le cours durait quelques minutes, avant d’être sommairement exécuté par les ballons bondissant de mains en mains. Malheureux René Bady ! Tout perclus de savoirs précieux, mais sortis de l’usage et du respect, il rangeait tristement ses notes sérieuses et quittait l’amphithéâtre, accompagné de nos aboiements féroces et déracinés. 

 

Cette série de notes se propose rien de moins que de faire l'éloge du contournement, de la trajectoire déviée, de l'embardée poétique et du désir de musarder en route au lieu d'aller bêtement d'un point à un autre en TGV. Car ces lecteurs bienveillants, mais exigeants, me reprochent de faire comme les parents du Petit Poucet, je veux dire de vouloir les perdre dans la forêt. L'enjeu est de taille, on en conviendra. 

 

Je réponds d’urgence à ce reproche, dans un premier temps, que les cailloux blancs ne manquent jamais chez moi pour retrouver le râtelier parental, même quand il n’y a rien à y ruminer. Je veux dire que ma flèche ne perd jamais de vue le centre de la cible, ni le terme final de sa trajectoire ondulante et sinusoïdale. Que le Nord est toujours inscrit au fronton de ma boussole capricieuse.

 

 

Dans un deuxième temps, je dirai que la tentation est une chose trop sérieuse pour ne pas appeler une réponse vigoureuse et adéquate. Il faut y réagir vivement pour en prévenir les effets néfastes. La tentation ? Quelle horreur ! Le mieux est donc d'y céder aussitôt qu’elle se présente. Et de réserver les éventuelles velléités de résistance pour des combats plus formidables et plus essentiels. 

 

Cette solution lumineuse, simplissime et fructueuse me fut dévoilée un beau jour, en dehors des adventicités naturelles du quotidien, dans un petit livre que je recommande vivement : La Papesse Jeanne, d’Emmanuel Rhoïdès (ou Roïdis, éditions Actes-Sud). Je ne l’aurais sans doute jamais lu s’il n’avait pas été traduit en français par Alfred Jarry en 1900 et des poussières.

 

Revigorant, et même coruscant. Je le confesse : il prêche une morale que les normes admises, certes, désavoueraient, mais qui le fait de façon si aimable, et sur un ton si espiègle que les normes elles-mêmes se disent qu'au fond, pourquoi pas ? 

 

Les esprits perspicaces ont déjà perçu la digression qui me tend les bras : c’est quoi, cette histoire de « Papesse Jeanne » ? Pour vous montrer que le pire n’est pas toujours sûr, sachez que, pour une fois, je ne céderai pas à la tentation. Même si vous aimeriez bien en savoir plus. Le devoir avant tout. Plus tard peut-être. En attendant, voici une photo prise à l'époque des faits relatés (et qui illustre le scandale).

 

Dans un troisième temps, qu’on se le dise, si la notion de « digression » (ou d’« excursus ») existe, ce n’est pas moi qui l’ai inventée. Or, il faut savoir que tout ce qui a été inventé par l’homme depuis la nuit des temps, l’homme s’en est servi, de la fourchette à la bombe atomique, en passant par le pédalo, la pince à épiler, le ticket de métro, l’assiette anglaise et le soc de charrue. Mais sait-on encore ce qu’est une « assiette anglaise » ? 

 

J’ajoute que, si c’est à ma disposition, je serais bien bête de ne pas en profiter : après tout, la digression n’est pas faite pour les chiens. C’est vrai, ça : un chien, même mal éduqué, ne digresse jamais. La digression est hors de portée du règne animal. Le règne animal se déroule en ligne droite. Enfin je crois. 

 

Et comme la digression est gratuite, elle est dans mes moyens. Dans le jardin où l’on cultive toutes les fleurs de rhétorique de la création, « chacune a quelque chose pour plaire, chacune a son petit mérite » (Georges Brassens, pour retrouver le titre, je vous laisse faire). 

 

De toute façon, dit Antonin Artaud (c’était avant les électrochocs aimablement et doctrinalement administrés par le docteur Ferdière, dans son service psychiatrique de Rodez) : « Il n’y a pas d’art au Mexique, et les choses servent ». Il était en villégiature chez les Indiens Tarahumaras, dont il appréciait le plat principal, le cactus nain appelé « peyotl », chargé de forces mystérieuses. Après tout, c’est peut-être au peyotl qu’il la doit, Artaud, son « exaltation » ?

 

Pour la suite de la digression, merci d'attendre à demain. 

 

Voilà ce que je dis, moi.

mercredi, 23 mai 2012

CATECHISME LIBERTIN (suite et fin)

J’aurais dû commencer par le commencement : qu’est-ce qu’une putain ? Le Catéchisme libertin à l’usage des filles de joie et … (j’arrête là le titre, ça n'en finit pas) répond : « C’est une fille qui, ayant secoué toute pudeur, ne rougit plus de se livrer avec les hommes aux plaisirs sensuels et charnels ». Personnellement, le choix du verbe « secouer » me touche. Et quelles sont ses trois qualités essentielles ? Réponse : « L’effronterie, la complaisance, la métamorphose ».  

 

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DU TEMPS QU'IL Y AVAIT DES "MAISONS"

(par FELICIEN ROPS)

 

L’effronterie consiste pour la putain à ne considérer aucune partie de son corps comme tabou, « c’est-à-dire que ses tétons, sa motte, son cul doivent lui être aussi indifférents auprès de l’inconnu qu’elle amuse, que l’est à l’égard d’une femme honnête la paume de la main qu’elle ne rougit pas de montrer ». Que pensez-vous de « qu'elle amuse » ?

 

 

La complaisance est une qualité très subtile : c’est l’art d’agir avec le client de telle façon qu’il aura envie d’y revenir. « Par ce moyen, elle le retient comme dans des filets. » Autrement dit, avec une vraie bonne putain « recordée et aguerrie », c’est « satisfait ou remboursé ».

 

 

Quant à la métamorphose, là encore, je vais me référer à Tonton GEORGES : « On ne tortille pas son popotin de la même manière pour un droguiste, un sacristain, un fonctionnaire » (Le Mauvais sujet repenti). Le Catéchisme est également très clair : « Elle doit être comme un Protée, savoir prendre toutes les formes, varier les attitudes du plaisir, suivant le temps, les circonstances et la nature des tempéraments ».

 

 

Il précise même : « Tandis qu’un tortillement de fesses voluptueusement fait, plongerait l’homme à tempérament dans un torrent de délices, qui causerait la mort au Narcisse fouteur et au paillard décrépit ». C’est de la haute psychologie, ou je ne m’y connais pas. Adapter l'offre à la demande, c'est ce qu'on dit en général, n'est-ce pas, au sujet des rapports amoureux ?

 

 

Avec la question suivante, on sera en droit d'émettre des doutes sur la rumeur qui veut que l’auteur du livre soit une femme. En effet, à la demande : « Toutes les femmes ont-elles un penchant décidé à devenir putain ? », il est répondu : « Toutes le sont ou désirent l’être, il n’y a que les convenances et la bienséance qui retiennent la plupart ; et toute fille qui succombe, même pour la première fois, est déjà, dès le premier pas, putain décidée ; la chemise une fois levée, la voilà familiarisée avec son cul, autant que celle qui a joué du sien pendant dix ans ».

 

 

Cette phrase me fait penser à une nouvelle de MAUPASSANT, qui raconte la mésaventure survenue à une jeune et ravissante bourgeoise, qui habite en face du "lieu de travail" d'une prostituée professionnelle, dont elle observe le manège par lequel elle racole les mâles qui passent dans la rue. Elle l'imite, juste pour jouer, et ça marche : le premier homme auquel elle fait un signe monte illico, et elle a beau supplier sur l'air de : « Je ne suis pas celle que vous croyez », elle doit finir par y passer, honteuse, mais secrètement ravie.

 

 

Rendez-vous compte, mesdames ! Allez dire et écrire de telles horreurs à la face de nos féministes actuelles, qui en sont déjà à hurler à l’infâme imparité dans la future Assemblée Nationale (elles dénoncent même la fausse « parité » du gouvernement AYRAULT, où tous les ministères « régaliens », sauf la Justice, gouverné par CHRISTIANE TAUBIRA, sont détenus par des hommes, comme quoi, quand on commence à revendiquer, quand on proclame être victime d'une injustice, il n'y a aucune raison de s'arrêter avant d'avoir TOUT raflé) !

 

 

A propos d’AYRAULT, tiens, il faut absolument que ça se sache : les journaux arabes sont très embêtés, parce qu’il paraît que ce nom, prononcé comme chez nous (éro), veut dire exactement « le membre viril » en langue arabe (enfin, à ce qu'on m'a dit) : le ministère des Affaires Etrangères, de LAURENT FABIUS, a trouvé la parade : il suffira de faire comme si toutes les lettres se prononçaient (érolt), et le tour est joué. Voilà de la fermeté et de l'habileté dans la politique extérieure de la France. Voilà qui conforte le Ministère du pharamineux "redressement productif".

 

 

Les Arabes sont des gens vraiment très pudiques, non ? Remarquez qu’en français, il suffirait d’adjoindre au même nom d'AYRAULT le suffixe « tique », pour que la gravité apparente du monsieur en prenne un méchant coup. Mais dans quel esprit dégénéré et mal tourné pourrait germer une telle idée, je vous le demande ? Je reviens à mes putains parisiennes, finalement, c’est plus intéressant. Avouez qu’on peut appeler cette digression une « arabesque », au sens propre, pour le coup. Merci, CHATEAUBRIAND.

 

 

Une putain doit-elle procurer autant de plaisir à un fouteur de vingt-quatre sous, qu’à celui qui la paie généreusement ? Quels sont les attributs et les ustensiles qui doivent orner la chambre d’une putain ? Pour cette dernière question, la réponse est sans ambiguïté : « Dans les tiroirs de sa commode, il doit y avoir des martinets, des disciplines à cordes à petits nœuds, et d’autres armées d’épingles ; les peintures licencieuses, les estampes les plus voluptueuses et les plus lubriques doivent entourer son lit ».  

 

 

Une putain doit-elle se livrer à tous les caprices des hommes ? Réponse : « Quoique tous les genres de fouterie doivent être familiers à une putain, il en est néanmoins qui répugnent à la délicatesse de certaines filles, l’enculomanie est de ce genre. Une putain peut donc refuser de se prêter au zèle perforique d’un bardache [= giton], à moins qu’elle-même n’ait le cul porté au plaisir sodomique ». Décidément, on a le sens de la formule : le zèle perforique est du meilleur effet.

 

 

Une putain qui a la chaude-pisse ou la vérole doit-elle et peut-elle sans remords baiser avec un homme sain ? La fille qui a ses ordinaires peut-elle aussi se laisser baiser ? Qu’entendez-vous par capote anglaise ? Quel langage doit tenir une putain en fouettant ? Voilà quelques-unes des questions auxquelles veut répondre ce livre. Allez, en voici une dernière, pour la route :

 

« DEMANDE : Jusqu’à quel âge une putain peut-elle exercer cet emploi avec honneur et profit ?

REPONSE. Cela peut dépendre de plus ou moins de tempérament ; les blondes doivent quitter le commerce avant les brunes, leur chair étant plus sujette à l’affaissement (…) ». 

 

 

Déjà les blondes ! Qu’ont-elles donc fait au ciel pour mériter une pareille et éternelle malédiction ? Quoique …

 

 

 

GOBE MOUCHE SANS COLLIER.jpg

ELLE S'APPELLE PARIS : ELLE A DONC BIEN SA PLACE CHEZ LES "BLONDES"

(on ne demandera pas si elle en redemande, du "zèle perforique")

 

 

 

Voilà ce que je dis, moi.       

 

mardi, 22 mai 2012

CATECHISME LIBERTIN

Tiens, ces quelques épisodes consacrés à FRANÇOIS RABELAIS m’ont donné envie de retourner à quelques petites choses agréables que j’ai laissées de côté depuis trop longtemps. Je vais vous parler, aujourd'hui et demain, d'une femme particulière. On me dira que toutes les femmes sont particulières.

 

 

Je répondrai qu'à ce compte-là, tous les hommes aussi seraient eux-mêmes particuliers, c'est-à-dire des individus, ce qui est loin d'être encore prouvé, puisque, à l'époque de la statistique triomphante et du sondage tout puissant, on ne raisonne même plus par nombre, mais par quantité, par pourcentage et par masse.

THEROIGNE MERICOURT.jpg

 

On ne connaît pas assez ANNE-JOSEPHE TERWAGNE, plus connue sous le nom de THEROIGNE DE MERICOURT, cette pasionaria de la Révolution qui a peut-être servi de modèle à la femme du premier plan dans le tableau de DELACROIX, La Liberté guidant le peuple. J’ai bien dit « peut-être », parce que le tableau date de 1830, soit treize ans après sa mort. Drôle de vie que la sienne, franchement.

 

 

Agitée, instable, comme on voudra. De sa Belgique natale jusqu’à Naples, puis à Paris, où elle participe à la prise de la Bastille, elle n’a pas froid aux yeux. Elle porte sabre et pistolet pour aller déloger de Versailles « le boulanger, la boulangère et le petit mitron ». Elle retourne à Liège, se fait emprisonner par les Autrichiens, revient à Paris.

 

 

Elle est finalement prise à partie par des femmes qui, non contentes de l’accuser politiquement, la dénudent et la fessent en public. C’est ce qui lui permettra sans doute d’éviter la guillotine : parce qu’avant même d’être jugée (la Terreur bat son plein), elle fut mise dans un asile de fou, où elle passa ses vingt-trois dernières années, nue dans sa cellule à s’asperger d’eau froide. Je schématise. Paix à son âme.

 

 

Je voulais en venir à ceci : THEROIGNE DE MERICOURT n’est probablement pas l’auteur de ce Catéchisme libertin qu’on lui prête, mais vous savez qu’on ne prête qu’aux riches, enfin c’est ce qu’on dit. Ce petit ouvrage instructif, sympathique et distrayant est publié en 1791 ou 1792 suivant les sources. Il expose sans trop de pudeur mais avec esprit, en quelque sorte, le « cahier des charges » des putains parisiennes.

 

 

Voici le texte de la « prière » dédicatoire placée au début :

 

 

« Oraison à Sainte Magdeleine, à lire avant le catéchisme. Grande Sainte, Patronne des Putains, fortifiez mon esprit, et donnez-moi la force de l’entendement, pour bien comprendre et retenir tout le raffinement des préceptes contenus dans ce Catéchisme : faites qu’à votre exemple, je devienne, dans peu, par la pratique, une Garce aussi célèbre dans Paris que vous l’étiez dans toute la Judée, et je vous promets, comme à ma divine Patronne et Protectrice, de donner mes premiers coups de cul en votre honneur et gloire. Ainsi soit-il. »

 

Voici un mot de « l’abbé Couillardin » dans sa préface dédiée à Madame l’Abbesse de Montmartre :

 

« Agréez, Madame, comme une offrande légitimement due, le sacrifice que je vous fais de deux pollutions [faut-il expliquer ?] complètes, et que je jure de réitérer chaque jour en votre honneur et intention ; c’est un tribut qu’on ne peut refuser au souvenir de vos charmes, dont j’ai tant de fois éprouvé l’empire, surtout dans ces moments d’ivresse et d’abandon général où vous vous plaisiez à les exhiber dans l’état de pure nature. Quelle motte ! Quel con ! Quel fessier plus attrayant que le vôtre ! Vous voir, vous trousser, vous foutre et décharger n’était que l’instant de l’éclair au coup de tonnerre. »

 

Autant dire que l’abbé Couillardin, si on l’en croit, était un éjaculateur précoce. L’auteur procède par « Demandes » et « Réponses ». En voici un exemple, qui en dira long à la fois sur la subtilité du propos et sur l’attitude théâtrale que certains prêtent aux femmes – à tort ou à raison, je m’empresse de le préciser :

 

« DEMANDE. La putain qui procure de la jouissance à l’homme, peut-elle s’y livrer avec tous, sans s’exposer à altérer son propre tempérament ?

REPONSE. Il est un milieu à tout : il serait très imprudent à une putain de se livrer avec excès au plaisir de la fouterie : une chair flasque et molle serait bientôt le fruit de ce désordre ; mais il est un raffinement de volupté qui tient à la volupté même, et dont une adroite putain doit faire usage. Une parole, un geste, un attouchement fait à propos, offre à l’homme l’illusion du plaisir ; il prend alors l’ombre de la volupté pour la volupté même ; et comme le cœur est un abîme impénétrable, la putain consommée dans son art remplit souvent, par une jouissance factice, les vues luxurieuses de l’homme, qui se contente de l’apparence. Les femmes étant plus susceptibles et plus propres que tout autre à ce genre d’escrime, il dépend d’elles de donner le change à l’homme. » Qu'on se le dise : jouir tout le temps est nuisible à la densité et à la tenue des chairs. Et pan dans les gencives des anarchistes de 1968, avec leur "jouir sans entraves".

 

Loin de moi l’idée de généraliser le propos à toutes les femmes, qui ne sont pas toutes, aux dernières nouvelles, de la profession, mais les mânes de GEORGES BRASSENS ne m’en voudront pas de citer Quatre-vingt-quinze pour cent : « Les « encore », les « c’est bon », les « continue » Qu’elle crie pour simuler qu’elle monte aux nues, c’est pure charité (…) C’est à seule fin que son partenaire se croie un amant extraordinaire. ».

 

 

Cette dernière phrase est, je crois bien, le seul reproche grammatical qu’on puisse adresser à Tonton GEORGES : qu’est-ce donc qui lui a pris de faire la liaison (en "t") entre « croie » (subjonctif présent) et « un amant » ? Craignait-il de froisser l’oreille de l’auditeur ignorant ? Bon, on me dira que le péché est véniel au regard de tout le reste, et j’en conviens évidemment. Va, mon enfant, ego te absolvo.

 

 

On me dira aussi que je m’éloigne de mon sujet, que je digresse. A cela je répondrai – excusez du peu – par cette petite citation tirée des Mémoires d’outre-tombe (XXXIX, 10, soyons précis) du grand CHATEAUBRIAND : « Lecteurs, supportez ces arabesques ; la main qui les dessina ne vous fera jamais d’autre mal ». Autrement dit, digresser n'est pas agresser. J'adopte le mot "arabesque", plus élégant et euphonique que "digression".

 

 

Mais rassurez-vous, dès demain je reviens à mes putains parisiennes et à ce Catéchisme libertin, supposé être leur bible, l’alpha et l’oméga de ce qu’elles doivent savoir, le compendium de leurs compétences et le promptuaire de leurs aptitudes au métier. Qu'on se le dise : ça ne rigole pas.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

samedi, 12 mai 2012

LA TURQUIE N'EST PAS EN EUROPE

La Turquie fait-elle partie de l’Europe ? Regardez juste la carte : l’ongle du petit orteil qu’elle a sur la rive européenne du Bosphore correspond exactement à 3 % de sa surface totale. La réponse à la question ne vous paraît-elle pas évidente ? C’est NON.

 

 

La Turquie n’est pas en Europe, mais en Asie. Même si c’est l’Asie Mineure. Certes, les Turcs ont longuement empoisonné l’histoire de l’Europe, ne serait-ce qu’en occupant longuement des portions importantes de son territoire (Bulgarie, Grèce, Albanie …), et jusqu’à assiéger Vienne à deux reprises (1529 et 1683), à l’époque où on l’appelait l’empire ottoman.

 

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GILLES VEINSTEIN, professeur au Collège de France, raconte par le menu que le souverain de La Porte (parfois qualifiée de « sublime »), lançait avec gourmandise ses soldats dans des raids sur les terres chrétiennes, avec mission de ramener dans leurs filets le plus possible de très jeunes mâles, adolescents chrétiens (grecs, bulgares, serbes, russes) dont les plus costauds et les plus capables étaient destinés à être intégrés dans le prestigieux corps d’élite des « Janissaires », et dont certains pouvaient finir leur carrière à des postes éminents et enviables.

 

 

 

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Précisons que le sort de ces garçons était, tout simplement, l’esclavage, assorti d’une conversion immédiate à l’islam. Il semblerait que la « charia » (le Coran comme source unique du droit) spécifie bien qu’un musulman n’a pas le droit de traiter en esclave un autre musulman. Rien de plus « normal », donc, que le Sultan soit allé se servir chez les chrétiens.

 

 

Mais je pose la question : pourquoi, alors, les convertir à l’islam ? Il y a là une curieuse subtilité de raisonnement qui m’échappe. Mais réfléchissons. « Vous imaginez qu'on puisse dire que moi, le Grand Turc, je suis défendu par une armée composée de chrétiens ? Ça la foutrait mal. » 

 

 

Très rares furent ceux qui désertèrent pour revenir en Europe. GILLES VEINSTEIN résume quelque part l’aventure de l’un d’eux, CONSTANTIN MIHAILOVIC, qui gardera pudiquement le silence, dans ses Mémoires d’un janissaire, sur son islamisation forcée. Il y a aussi l’histoire d’un chevalier allemand, dont je n’ai pas réussi à retrouver le nom.

 

 

Le corps d’élite des janissaires, formé en 1329, connaîtra une fin piteuse en 1826, sous le sultan MAHMOUD II, qui les fit massacrer parce que devenus trop encombrants. Dans l’histoire, les Turcs n’ont donc pas fait de bien à l’Europe, c’est le moins qu’on puisse dire. On peut même dire qu’ils lui ont fait beaucoup de mal. Ils l’ont considérée comme une terre de conquête.

 

 

Sur cette volonté de conquête de l’Europe par l’empire ottoman, on peut lire un petit livre écrit par ISMAÏL KADARÉ, Les Tambours de la pluie, où l’on voit le très puissant Turc se heurter contre le mur d’une citadelle albanaise, où l’on voit exploser l’énorme canon fondu « in situ » pour la détruire, et où l’on voit l’armée turque se faire littéralement « avaler » par la ville et disparaître.

 

 

Certes, les temps ont changé, l’empire ottoman a été englouti, les Arméniens ont été massacrés et MUSTAPHA KEMAL ATATÜRK a occidentalisé l’écriture de la langue et jeté les bases de l’Etat turc moderne. Oui, c’est vrai. Et alors ? Est-ce que ça change quoi que ce soit à la carte géographique ?

 

 

Et puis, est-ce que les temps ont autant changé qu’on le croit ? Tenez : connaissez-vous une délicieuse coutume de ce délicieux pays qu’est la Turquie ? Cela s’appelle le « crime d’honneur ». Cela veut dire qu’un crime est commis pour laver l’honneur bafoué de la famille.

 

 

La plupart du temps, c’est évidemment une femme ou une fille qui l’a bafoué, l’honneur de la famille, soit l’épouse adultère, soit la fille fréquentant un garçon interdit (= un chrétien). Il est arrivé qu’une fille de 14 ans, enlevée et violée pendant quatre jours par un garçon de 20 ans, soit étranglée par son père et son frère. Cela s’est passé en 2009.

 

 

En 2010, une fille de 16 ans a été déterrée, retrouvée, en position assise, au fond d’une fosse creusée dans le jardin familial. Elle avait de la terre dans les poumons. Ses proches l’avaient enterrée vivante. Cela se passe même en pays étranger. Tiens, en Allemagne, où vivent des millions de Turcs, une quarantaine de femmes turques auraient (je mets le conditionnel) été victimes de crimes d’honneur. Cela vous donne-t-il envie de laisser entrer la Turquie dans l'Union Européenne ?

 

 

En remontant dans le temps, on trouve dans Les Mémoires d’Outre-Tombe, de CHATEAUBRIAND, quelques passages édifiants sur la Turquie. Aujourd’hui, de tels passages seraient brutalement censurés et/ou traînés en justice pour « incitation à la haine raciale » et « xénophobie », pour le moins.  

 

 

 

La preuve ? C'est ce qui est arrivé récemment à mon ami R. Il avait eu la mauvaise idée, dans un article destiné à un vague follicule qu'il est inutile de citer, de rendre compte du livre Un Ange noir, de FRANÇOIS BEAUNE, et de citer un passage peu aimable pour les Turcs. Les staliniens de l’équipe ont été unanimes : « A la trappe ! ». Bon, ce n’est certes qu’un obscur comité de salut public militant pour le politiquement correct, mais c’est assez parlant.

 

 

CHATEAUBRIAND, quant à lui, n’y va pas de main morte. Après avoir souhaité que le tsar, qui venait de prendre la ville de Varna aux Turcs, ait assez d’énergie pour basculer ceux-ci dans les eaux du Bosphore et restituer ce bout de territoire à l’Europe chrétienne, voici ce qu’il déclare (Mémoires d’Outre-Tombe, XXX, 12) :

 

 

« Prétendre civiliser la Turquie en lui donnant des bateaux à vapeur et des chemins de fer, en disciplinant ses armées, en lui apprenant à manœuvrer ses flottes, ce n’est pas étendre la civilisation en Orient, c’est introduire la barbarie en Occident [c'est moi qui souligne] : des Ibrahim futurs pourront amener l’avenir au temps de Charles Martel, ou au temps du siège de Vienne, quand l’Europe fut sauvée par cette héroïque Pologne sur laquelle pèse l’ingratitude des rois.

         Je dois remarquer que j’ai été seul, avec Benjamin Constant, à signaler l’imprévoyance des gouvernements chrétiens : un peuple dont l’ordre social est fondé sur l’esclavage et la polygamie est un peuple qu’il faut renvoyer aux steppes des Mongols ».  Il écrit ça autour de 1839, pour relater des faits datant à peu près de 1828. Il est loin, le temps où FRANÇOIS 1er trouvait du bénéfice à faire alliance avec la Sublime Porte.

 

 

Encore une petite remarque, à propos de la Turquie, et de cet ongle du petit orteil qu’elle a réussi à maintenir sur le continent européen. Je ne parle pas des innombrables îles, juste de cette partie continentale qui représente 3 % du territoire turc. Regardez, sur une carte, les frontières orientales de la Grèce et le la Bulgarie : 200 + 200 kilomètres de frontières avec la Turquie.

GRECE FRONTIERE TURQUE.jpg

C'EST BISMARCK QUI DISAIT QUE

LA SEULE CONSTANTE DE L'HISTOIRE,

C'EST LA GEOGRAPHIE 

 

Et pendant que tous les jolis cœurs de l’humanitaire européen, battant de générosité, dénoncent, non sans raison ce qui se passe sur l’île italienne de Lampedusa (tiens, au fait, qu'est-ce que ça devient ?), qui est-ce qui fait attention à la grande passoire d’immigration illégale, sur fond de filières mafieuses, située au point de contact entre le continent européen et le continent asiatique ? Est-ce en construisant un mur que les Grecs l'empêcheront de rester une passoire ? Et comment cela se passe-t-il à la frontière bulgare ?

TURQUIE 1.jpg

ALORS, QU'EN PENSEZ-VOUS ?

ÇA CREVE LES YEUX, QUE LA TURQUIE EST EN ASIE.

 

Dans son Eloge des frontières, REGIS DEBRAY compare une frontière à la peau qui nous enveloppe, définissant un dedans et un dehors, mais qui passe son temps à respirer au moyen des pores, à faire en quelque sorte communiquer le dedans et le dehors. A cet égard, l’Europe ressemble au Saint Barthélémy du mur du fond de la Chapelle Sixtine, qui tient sa peau à la main, parce qu’il a été condamné à être écorché vif (en laissant la peau en un seul morceau, s'il vous plaît).

 

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IL EN A RECUPERE UNE, MAIS C'EST PARCE QU'IL EST RESSUSCITE 

 

Mais que proposent les supporters de l’ « Espace Schengen » ? Une véritable pompe aspirante pour immigration illégale. Je sens qu’on va me traiter de facho, alors que je me borne à constater un fait : la frontière entre l’Europe (Grèce et Bulgarie) et le morceau européen de la Turquie est juste une porte largement ouverte.

 

 

Et l’on essaiera de me convaincre que l’Europe n’est pas cette espèce d’énorme machin flasque comme un plat de pâtes trop cuites, à l'encéphale spongiforme et bovin, gélatineux au milieu et mou sur les bords. Comment ne pas être écœuré ?

 

 

Voilà ce que je dis, moi.