dimanche, 19 mars 2017
MÈRE ET FILLE, DIALOGUE
On n'était pas toujours, à l'époque où la scène qui vient se passe (XVI°), allusif dans le langage.
« NANNA – Quelle colère, quelle fureur, quelle rage, quelle folie, quels battements de cœur, quelles pâmoisons, quelle moutarde est la tienne ? Fastidieuse enfant que tu es !
PIPPA – La mouche me grimpe, de ce que vous ne voulez pas me faire courtisane, comme vous l’a conseillé Monna Antonia, ma marraine.
NANNA – Il faut plus que d’entendre sonner neuf heures, pour dîner.
PIPPA – Vous êtes une marâtre ! Hou hou !
NANNA – Tu pleures, ma petite chérie ?
PIPPA – Je veux pleurer, bien sûr.
NANNA – Renonce d’abord à ta fierté, renonces-y, te dis-je, parce que si tu ne changes pas de façons, Pippa, si tu n’en changes point, tu n’auras jamais de braies au derrière. Aujourd’hui le nombre des putains est si grand, que celle qui ne fait pas de miracles en l’art de se conduire, n’arrive pas à joindre le dîner au goûter. Il ne suffit pas d’être un friand morceau, d’avoir de beaux yeux, de blondes tresses : l’adresse ou la chance seules vous tirent d’affaire ; le reste n’est rien.
PIPPA – Oui, à ce que vous dites.
NANNA – Et cela est, Pippa. Mais si tu entres dans mes vues, si tu ouvres les oreilles à mes préceptes, bonheur à toi, bonheur à toi, bonheur à toi.
PIPPA – Si vous vous dépêchez de faire de moi une dame, je les ouvrirai bel et bien.
NANNA – Pourvu que tu veuilles m’écouter, que tu cesses de bayer au moindre poil qui vole et d’avoir l’idée aux grillons, comme à ton ordinaire, quand je te parle dans ton intérêt, je te jure et je te rejure, par ces patenôtres que je mâchonne toute la journée, qu’avant quinze jour je te mets en perce. »
On peut compter sur la mère pour enseigner à sa fille tout ce que doit savoir une femme qui exerce le métier (Brassens dirait : « les p'tites ficelles »), à commencer par les moyens de « ne pas faire banqueroute le jour même où l'on ouvre boutique ». Pour cela, il faut se servir de sa cervelle. Moyennant quoi, Pippa sera en droit d'espérer pouvoir « monter plus haut que favorite de pape ».
Ce court dialogue constitue le tout début de L’Education de la Pippa (éditions Allia, 1997), qui fait partie des Ragionamenti de Pietro Aretino, connu en France sous le nom de L’Arétin (1492-1556). Les excellentes éditions Allia précisent que le titre original est formulé ainsi : Dialogo di messer Pietro Aretino nel quale la Nanna il primo giorno insegna a la Pippa sua figliuola a esser putana. J’aime assez « La mouche me grimpe », mais j'avoue que je comprends mal « avoir l’idée aux grillons ». Peut-être la mère veut-elle signifier à sa fille que, si l’on veut arriver à quelque chose dans la vie, il faut raisonner avec sérieux et avec un esprit pragmatique. Pas besoin, je pense, d'expliquer « avant quinze jours, je te mets en perce ». On a ci-dessus une illustration, parmi d'innombrables exemples, des joyeusetés et fantaisies que les Raggionamenti de l'Arétin ont inspirées à une pléiade de dessinateurs et graveurs talentueux. Mais ses poèmes luxurieux n'ont pas laissé toute sèche l'imagination des artistes, comme on le voit ci-dessous.
"Conversation" entre Mars et Vénus. Je crois bien que "poltrone" signifie quelque chose comme "paresseux". Selon toute apparence, si le monsieur se contente, de sa raquette, d'assurer "les balles de fond de court", la dame se montre assez vaillante pour "monter au filet" (pardon pour la métaphore pénistique).
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, littérature érotique, petro aretino, l'arétin, pierre arétin, l'éducation de la pippa, georges brassens, arétin ragionamenti
vendredi, 17 mars 2017
LA FONTAINE, LE LICENCIEUX ÉLÉGANT
UNE LEÇON DE SUBTILITÉ
Dégoûté par la grande pitié que m’inspire le spectacle du monde tel qu’il va mal et de la France politique en particulier, je m’immerge depuis quelque temps dans l’œuvre de quelques écrivains qui ont marqué le Grand Siècle. Présentement, je poursuis en parallèle la lecture des Mémoires de Saint-Simon et du cardinal de Retz, et je ne me lasse pas d’admirer la haute idée que ces deux figures marquantes de la haute aristocratie française et de la littérature se faisaient de la France, de la dignité de leur propre personne et de la langue alors en usage. Saint-Simon davantage homme de cour, généalogiste méticuleux et grand seigneur jaloux de voir conserver les prérogatives de son rang, Retz tout entier voué à la gloire et aux grandes actions héroïques que lui a insufflées dans sa jeunesse la lecture des Vies des hommes illustres de Plutarque.
Je me garderai de comparer l'altitude où se situent ces figures d'exception, tant avec la bassesse de vue de nos modernes politiques qu’avec l’aridité squelettique de la langue qu’ils pratiquent, et qui ne fait que traduire la pauvreté de leur pensée, toutes choses qui feraient presque regretter l’Ancien Régime, voire déplorer la décollation de Louis seizième, un certain 21 janvier. Venons-en au fait.
Il existe des livres dont tout le monde cite le titre, souvent sans les avoir lus. Tout le monde connaît, par exemple, quelques-unes des Fables de La Fontaine, mais qui connaît Les Souris et le Chat-huant ? Les Femmes et le Secret ? La Tortue et les deux Canards ? La jeune Veuve ? Et bien d'autres sont encore plus méconnues. Il est vrai que la plupart de celles qu'on apprenait autrefois à l'école (les apprend-on encore ?) figurent dans le premier tome, le second paraissant dix ans plus tard. Quant aux Contes et nouvelles en vers, n’en parlons pas. C’est bien dommage, car c’est se priver de plaisirs délectables et d’enseignements précieux.
C’est ainsi que dans le tome second des Contes et nouvelles, La Fontaine expose sans fard sa théorie du beau langage et de ses subtilités, sur laquelle il fonde tout l’intérêt de ses narrations. On trouve cet exposé dans le préambule, fort développé pour une fois, du récit intitulé Le Tableau. Cette belle et grande leçon de subtilité touche bien entendu au domaine éminemment sensible (sans qu’il soit besoin de préciser) dans lequel un courtisan qui ferait montre de crudité se verrait interdire l’accès des salons pour cause d'incivilité.
C’est à qui, au contraire, fera la preuve du plus extrême raffinement dans l’expression par les mots des choses qui occupent les deux sexes depuis la nuit des temps, mais une expression édulcorée, passée par le tamis de l'art de la formulation. Attention, qu'on ne me fasse pas dire ce que je ne dis pas : Agostino Carrache (1557-1602, qui est loin d'être le seul ; ci-contre Hercule et Déjanire en plein débat conjugal) a commis dès cette époque des gravures splendidement explicites pour illustrer diverses galipettes de personnages de la mythologie, et quand il s'agissait d' « aller au déduit », les plus grands seigneurs étaient bien obligés de mettre bas le masque de la mondanité et de condescendre au très concret. Il reste qu'on se devait, devant le monde, de sauvegarder les apparences, ce qui explique les détours parfois tortueux mais toujours élégants et habiles offerts par le procédé de l'allusion suggestive.
Dans le récit du Tableau, sœur Claude et sœur Thérèse ont pris coutume de se partager dans leur cellule les « qualités » d’un bachelier, qu’il a particulièrement avantageuses semble-t-il, et dont il ne demande qu’à faire bénéficier les belles qui le lui demandent. Un jour, comme il est en retard, passe un « Mazet », qui se trompe de cellule. Qu’à cela ne tienne, Claude et Thérèse, faute de la grive attendue, se rabattent sur le merle. Elles ne perdront pas au change.
« Ah, pour être dévote, on n'en est pas moins femme. »
Sur le « tableau » qui donne son titre au conte, trois personnages : deux nonnes se disputent les faveurs d’un rustre. Mais la chaise ne résiste pas (« Ou soit par le défaut / De la chaise un peu faible, ou soit que du pitaut / Le corps ne fut pas fait de plume, / Ou soit que sœur Thérèse eût chargé d'action / Son discours véhément et plein d'émotion, ... »). Claude a profité du bris de la chaise pour s’emparer du « timon » du garçon, au grand dam de Thérèse qui, dans la chute, a perdu la « tramontane » et qui voudrait bien reprendre sa place. La position de sœur Claude, soigneusement voilée par l’ampleur de l’étoffe (quoiqu'on distingue opportunément la robe bien haut levée ainsi que les braies tombées de l'homme) ne laisse heureusement rien ignorer de la raison, assurément consistante, qui a attisé la fureur de ces religieuses.
Voici comment La Fontaine introduit (si j’ose dire) son récit scabreux :
« On m’engage à conter d’une manière honnête
Le sujet d’un de ces tableaux
Sur lesquels on met des rideaux :
Il me faut tirer de ma tête
Nombre de traits nouveaux, piquant et délicats,
Qui disent et ne disent pas,
Et qui soient entendus sans notes
Des Agnès même les plus sottes :
Ce n’est pas coucher gros ; ces extrêmes Agnès
Sont oiseaux qu’on ne vit jamais.
Toute matrone sage, à ce que dit Catulle,
Regarde volontiers le gigantesque don
Fait au fruit de Vénus, par la main de Junon.
A ce plaisant objet si quelqu’une recule,
Cette quelqu’une dissimule.
Ce principe posé, pourquoi plus de scrupule,
Pourquoi moins de licence aux oreilles qu’aux yeux ?
Puisqu’on le veut ainsi, je ferai de mon mieux :
Nuls traits à découvert n’auront ici de place ;
Tout y sera voilé ; mais de gaze, et si bien,
Que je crois qu’on ne perdra rien.
Qui pense finement et s’exprime avec grâce,
Fait tout passer, car tout passe :
Je l’ai cent fois éprouvé :
Quand le mot est bien trouvé,
Le sexe en sa faveur à la chose pardonne :
Ce n’est plus elle alors, c’est elle encor pourtant.
Vous ne faites rougir personne,
Et tout le monde vous entend.
J’ai besoin aujourd’hui de cet art important.
Pourquoi, me dira-t-on, puisque sur ces merveilles,
Le sexe porte à l’œil sans toutes ces façons ?
Je réponds à cela : chastes sont les oreilles,
Encore que les yeux soient fripons ».
Michel Foucault s'est bien éreinté à à décrire de large en long les pouvoirs respectifs des mots et des choses (Les Mots et les choses, 1966), La Fontaine se contente, quant à lui, d'évoquer la "chose" en évitant de prononcer le "mot". Si ce n'est pas ça, la littérature, j'aimerais qu'on me dise ce qui en est.
On a compris : il s'agit d'exprimer les choses les plus lestes tout en sauvegardant toutes les apparences de la décence et de la bienséance. Tout un monde superbement ignoré et relégué dans nos temps soi-disant si "progressistes". Pour bien marquer la différence, en même temps que l'état de vulgarité dans lequel le vingtième siècle a plongé l'humanité (état qui ne cesse de s'aggraver), qui préfère aller droit au but plutôt que de s'embarrasser de circonlocutions (après tout, qu'est-ce que la civilisation, sinon le détour par les mots ? Cf. Boby Lapointe, L'Ami Zantrop, qui construit sa dérision créolisante sur la Célimène et l'Alceste du Misanthrope),
on trouvera ci-dessous l'interprétation graphique de la même scène trouvée dans une édition moderne des Contes et nouvelles. L'artiste s'adresse visiblement à des "non-comprenants" : l'allusion et le "poids des mots" ne suffisent plus, il faut l'explicite et le "choc des photos", du direct, du brutal. Et l'on s'étonne encore de la vogue du porno (priez porno, pauvres pécheurs, en latin : ora pornobis).
Les nonnes sont superbes, mais il faudrait que l'artiste m'explique les positions respectives de la chaise, qui paraît entière, et du "corps" (le "timon") du délit : où est passée l'assise du siège ? De deux choses l'une, soit la chaise est brisée, comme le spécifie La Fontaine, soit le "Mazet" est coupé en deux. Auquel dernier cas la "performance" exhibée par ce dernier paraît hautement improbable. Mais je chipote, je chipote : oui, je sais bien, l'essentiel n'est pas là, il est montré. Passez muscade.
Note : je n'ai rien contre les "Agnès même les plus sottes", pourvu que.
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vendredi, 12 juillet 2013
RECREATION
GRAVURE MODERNE POUR ILLUSTRER UNE OEUVRE D'ANDRÉA DE NERCIAT
(voir plus bas)
***
Comme j’ai un peu travaillé ces derniers temps pour alimenter mon espace de réflexion, je permets à mon petit théâtre de faire relâche. Je laisse la place, la parole ... et le reste à Betty Boop, ainsi qu'à deux ou trois figures connues des « comic strips » qui, avec le jazz, constituent le meilleur de ce qu'a jamais pu nous léguer l'Amérique. Il faut bien dire que, pour tout le reste ...
Pour que la source à laquelle les amateurs de ce blog font l'amabilité de venir s'abreuver ne se trouve pas brutalement tarie, comme la cyprine dans les parties autrefois amoureuses de la femme ménopausée (mais je sais qu'à cet égard, il y a des forces de la nature), et, en quelque sorte, pour qu’il n’y ait aucune rupture de ton avec la modeste série hautement ...
... philosophique des billets que je viens de consacrer à Michel de Montaigne et à ses Essais, j’ai décidé, pour alimenter mon marécage, de détourner un autre des affluents célestes du fleuve de mon inspiration. J’ai nommé : sa Majesté le CUL.
Remarquez, certains des visiteurs de ce lieu ont-ils pressenti pareille parenthèse de haute abstraction, à la vue, hier, de telle gravure illustrant quelque édition moderne des Ragionamenti de Pierre Arétin, ...
... où la dame (consentante, voire frétillante) offrait avec une certaine impatience son orifice le plus ténu à la pénétration judicieuse de l’argument le plus masculin dont un homme puisse espérer faire sa figure de proue.
Soudain, le souffleur apparaît, l'air d'un cadavre qui se meut et éclairé de biais, et s’adresse, sentencieusement, en aparté, au public : « Pour faire de pareilles phrases, il faut vraiment être resté sous l’influence d’Andréa de Nerciat, ou d’un quelconque de ses pairs et contemporains ».
POUR LA SOUPLESSE, RIEN NE VAUT LE YOGA
Le public reste sans réaction, ce nom n’éveillant aucun écho dans sa conscience.
On le comprend : Andréa de Nerciat (1739-1800) n’est en effet plus guère connu aujourd’hui que pour Félicia ou mes fredaines, que l’on ne lit plus guère, même si l’on a bien tort, et que les messieurs atteints de certaine mollesse mal placée au moment fatidique feraient bien de potasser pour redresser leur barre avachie (voir photo incitative en en-tête).
Mais on en parlera une autre fois.
Voilà ce que je dis, moi.
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dimanche, 24 juin 2012
LECONS POUR BIEN FOUTRE
Le genre littéraire qu’il faut bien, aujoud’hui, appeler « érotique mondain », s’est épanoui en France (et en Italie, on peut bien l'avouer) au 18ème siècle. Il semblera évident à bien des lecteurs, cet amer constat que je fais : le nom de ZORZI ALVISE BAFFO (1694-1768) ne dit rien à personne. L’une des raisons principales de l’ignorance profonde dans laquelle ce nom est plongé est peut-être le dialecte vénitien.
IL SIGNOR BAFFO
(avouez, vous lui donneriez pourtant le bon dieu sans confession,
mais c'est quand même lui qui écrit ce qui suit)
Traduit en français, le poème donne ceci :
« On foutra toujours :
« L’homme ayant un goupillon, et la femme un vase, il n’est pas étonnant que l’un le lui plonge jusqu’aux poils, et que l’autre le reçoive jusqu’où il peut aller, lorsqu’un même désir les anime tous deux.
Je ne suis étonné que d’une chose, c’est qu’il y ait encore des gens qui s’en étonnent ; car tant qu’existeront dans ce monde les instruments qui servent pour pisser, on s’en servira aussi pour foutre.
Ce jus délicieux qui jaillit d’un beau vit produit un excellent effet, et la matrice, dont il fait le bonheur, le nomme l’esprit consolateur.
C’est un baume, qui a toujours guéri les jeunes filles épuisées par les flueurs, blanches, jaunes, vertes, épaisses ou putrides ; et il guérirait les nonnes mieux que tout médecin, patriarche ou confesseur ». Y a-t-il besoin d'expliquer "flueurs" ?
Je ne sais pas dans quelle forme d’origine exacte sont écrits les textes. Ce qui est sûr, c'est que ce sont des sonnets ou des madrigaux galants, parfois pornographiques. Derrière je ne sais plus quelle stèle exposée au Musée des Antiquités Gallo-Romaines de Lyon, est gravé un graffiti d’époque qu’on peut traduire : « Je ne baise pas, j’encule ».
Certaines grottes peintes du paléolithique supérieur comportent elles-mêmes des dessins « osés ». Le pornographique a donc, selon moi, la légitimité du temps écoulé, écroulé, qui s’écoule à la façon d’humeurs diverses hors du corps humain, au cours d’activités qui, dirait ALEXANDRE VIALATTE, si sa pudeur l’osait, « remontent à la plus haute antiquité ».
« J’ai essayé différentes manières pour bien jouir d’une femme : tantôt je l’ai fait monter sur mon ventre, tantôt je me suis mis sur le sien.
Je l’ai placée habillée sur un lit, ou debout et toute nue ; je le lui ai mis dans le con pendant qu’elle marchait à petits pas, et j’ai déchargé entre ses tétons.
De tous ces plaisirs, celui auquel j’ai trouvé le plus de charme, c’est de lui faire prendre mon vit dans la bouche ».
Je me rallie à la classique distinction entre l’érotisme, où le représenté voudrait éveiller au désir, et la pornographie, qui se contente de montrer l’acte, encore que le désir des uns puisse s’éveiller où commence l’acte des autres, et taratatsoin. Il y a du sexe depuis que l’homme a une conscience. L’animal oublie dans l’instant même de l’instinct sexuel l’intérêt que peut avoir la chose. L’homme ajoute à l’instinct la mémoire, ce qui le pousse à peindre et désirer encore, y compris et surtout dans l’absence de « chose » à désirer. L’écran rupestre du « sapiens » n’est guère différent du nôtre, le cinéma en moins (mais est-ce bien sûr ?).
« Plaisirs nocturnes d’une femme.
« Cette nuit, j’ai eu un plaisir fou, et je ne me suis jamais tant amusée, ce que vous comprendrez quand vous saurez que je l’ai passée entre un prélat et un bardache.
Figurez-vous que nous avons fait tant de folies, et que nous les avons recommencées si souvent que cela a duré jusqu’au jour.
J’étais entre eux, comme je vous l’ai dit, et pendant que le bardache m’enfilait par devant, le prélat me le mettait par derrière.
Ensuite le bardache se mettait à ma place et, pendant qu’il me foutait, le prélat l’enculait ;
Et ainsi de suite ; mais j’ai remarqué que le prélat ne me l’a jamais mis dans le con. »
Un bardache, c'est, comment dire, un frégaton, un uranien, une corvette, un cinède, quoi. Pour tout dire, c'est un schbeb, un marquis, un tonton, un endoffé. Bref, un bougre, un giton, un ganymède. En un mot, un sodomite. On a du vocabulaire, ou on n'en a pas, que diable. Pour les curieux, je peux envoyer sur demande le chapelet complet, avec tous les petits grains des "Je vous salue Marie" et tous les gros grains des "Notre Père".
Il y a beaucoup à regretter à ne pas connaître le dialecte vénitien : impression d’un aplatissement, forcément. J’ai envie de croire qu’en langue originale, c’est plus spirituel, plus joli, plus drôle, et va savoir, plus poétique.
Voilà ce que je dis, moi.
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lundi, 04 juin 2012
MODESTE LEçON DE RHETORIQUE
La rhétorique, on ne le sait pas assez, tout le monde l’a à la bouche. On croit que c’est uniquement un truc réservé aux savants, mais de même que Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, de même les gens les plus ignorants de ce qu’on trouve dans les traités de rhétorique les plus érudits passent leur temps la métaphore à la bouche. Prenez « l’air du temps », « boire un canon », « discuter le bout de gras », etc. Rien que des métaphores.
Mais il est un domaine où un minimum de connaissance rhétorique explicite est requis : la littérature érotique. Si l’on met sur la « chose » le mot cru, le mot brut qui la désigne, on est plutôt dans le porno (comme on le dit à l’église : « priez porno »). Pour passer du pornographique à l’érotique – je parle évidemment de littérature –, il est indispensable de maîtriser au moins la métaphore.
J’ai parlé récemment, à propos d’Histoire d’O, du « ventre » et des « reins » : ce sont des métonymies, pour désigner les deux orifices de la femme, dans ce roman célèbre, mais qu’on peut aujourd’hui considérer comme excessivement compassé. La métaphore, étant plus facile à « manier », est infiniment plus fréquente.
« D’un doigt, il entrouvrit les lèvres ; elle poussa alors un petit gémissement. Elle était inondée et son sexe lui donnait l’impression d’être un abricot gorgé de soleil. »
ANNE-MARIE DE VILLEFRANCHE
L’abricot dont il est question ressortit tant soit peu de la comparaison. Mais voici une métaphore véritable :
« Un soir, ma sœur me dit : si nous étions dans le même lit, tu pourrais faire entrer ta petite broquette qui est toujours raide dans la bouche de ma petite marmotte. »
RESTIF DE LA BRETONNE
Là, c’est même deux pour le prix d’une : pour une bonne compréhension de la première, une « broquette » est un clou de tapissier. Les énumérations sont fastidieuses, n’est-ce pas ? Aussi m’en garderai-je comme de la peste. Tenez, voici un petit poème du grand VOLTAIRE.
« Je cherche un petit bois touffu que vous portez, Aminthe,
Qui couvre, s’il n’est pas tondu, un gentil labyrinthe.
Tous les mois, on voit quelques fleurs couronner le rivage.
Laisse-moi verser quelques pleurs dans ce gentil bocage. »
N’est-ce pas tendre et délicieux ? Aimablement dit ? Suavement tourné ?
A quoi pense CHARLES BAUDELAIRE quand il écrit :
« Guidé par ton odeur vers de charmants climats,
Je vois un port rempli de voiles et de mâts
Encor tout fatigués par la vague marine (...) ? »
Faut-il faire un dessin ? Une explication de texte ? Je m’en voudrais. C’est pourtant, dans Les Fleurs du Mal, un poème (« Parfum exotique ») figurant fort souvent à l’oral du bac. Je signale qu’une seule lettre distingue « exotique » et « érotique ».
Je ne suis pas sûr, si cela peut rassurer les parents, que le professeur aille, dans son cours, jusqu’à l’explicite. Eh bien, je dis que c’est tout à fait regrettable, car il n’est pas mauvais de dépuceler ainsi l’imaginaire pubère – qui ne demande pas autre chose –, et bien des contes des 17ème et 18ème siècles gagneraient à être lus pour ce qu’ils sont : des métaphores.
« Voyez fille qui dans un songe
Se fait un mari d’un amant ;
En dormant, la main qu’elle allonge
Cherche du doigt le sacrement ;
Mais faute de mieux, la pauvrette
Glisse le sien dans le joyau. »
Ce petit sizain est du sieur BÉRANGER, et rappelle une anecdote que je tire de RABELAIS, vous savez, celle qui raconte Grandgousier et Gargamelle, qui faisaient souvent la « bête à deux dos », bien que je ne sache pas si c’est maître FRANÇOIS qui a inventé la formule.
En tout cas, il raconte l’histoire de l’anneau de Hans Carvel, jeune marié qui, forcément, s’inquiète de se voir pousser du « cerf sur la tête », selon la formule de GEORGES BRASSENS, dans « Le cocu », car sa jeune épouse est jolie et ardente. Dans son rêve, une bonne fée lui passe au doigt un anneau magique qui fera de sa femme la plus chaste des femmes. Evidemment, quand il se réveille, il se rend compte qu’il a le doigt dans le « joyau ». Belle métaphore, n’est-il pas ?
Ne pas nommer, « suggérer au lieu de dire. Faire dans la route des phrases un carrefour de tous les mots » (ALFRED JARRY). Voilà le secret. Notre époque semble impropre aux secrets de cette sorte. Il lui faut la chose sous le nez, l’obscène, le réel. A ce titre, l’époque tend davantage au porno qu’à l’érotique. Notre époque est impropre aux subtilités du langage, au déplacement, à la métaphore. Elle ne sait pas de quels plaisirs de haute lisse elle se prive ainsi.
Signe des temps : vous ouvrez L’Equipe un lendemain de grand match : des métaphores comme s’il en pleuvait. Des métaphores très souvent guerrière du genre « exploser la défense », « tirs de barrage », etc. La déchéance, je vous dis. La métaphore qui survit grâce au sport-spectacle, c’est un comble.
Voilà ce que je dis, moi.
08:58 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : érotisme, littérature érotique, rhétorique, monsieur jourdain, prose poésie, métaphore, métonymie, histoire d'o, voltaire, baudelaire, les fleurs du mal, béranger, rabelais, georges brassens, alfred jarry, obscène, l'équipe
mercredi, 23 mai 2012
CATECHISME LIBERTIN (suite et fin)
J’aurais dû commencer par le commencement : qu’est-ce qu’une putain ? Le Catéchisme libertin à l’usage des filles de joie et … (j’arrête là le titre, ça n'en finit pas) répond : « C’est une fille qui, ayant secoué toute pudeur, ne rougit plus de se livrer avec les hommes aux plaisirs sensuels et charnels ». Personnellement, le choix du verbe « secouer » me touche. Et quelles sont ses trois qualités essentielles ? Réponse : « L’effronterie, la complaisance, la métamorphose ».
DU TEMPS QU'IL Y AVAIT DES "MAISONS"
(par FELICIEN ROPS)
L’effronterie consiste pour la putain à ne considérer aucune partie de son corps comme tabou, « c’est-à-dire que ses tétons, sa motte, son cul doivent lui être aussi indifférents auprès de l’inconnu qu’elle amuse, que l’est à l’égard d’une femme honnête la paume de la main qu’elle ne rougit pas de montrer ». Que pensez-vous de « qu'elle amuse » ?
La complaisance est une qualité très subtile : c’est l’art d’agir avec le client de telle façon qu’il aura envie d’y revenir. « Par ce moyen, elle le retient comme dans des filets. » Autrement dit, avec une vraie bonne putain « recordée et aguerrie », c’est « satisfait ou remboursé ».
Quant à la métamorphose, là encore, je vais me référer à Tonton GEORGES : « On ne tortille pas son popotin de la même manière pour un droguiste, un sacristain, un fonctionnaire » (Le Mauvais sujet repenti). Le Catéchisme est également très clair : « Elle doit être comme un Protée, savoir prendre toutes les formes, varier les attitudes du plaisir, suivant le temps, les circonstances et la nature des tempéraments ».
Il précise même : « Tandis qu’un tortillement de fesses voluptueusement fait, plongerait l’homme à tempérament dans un torrent de délices, qui causerait la mort au Narcisse fouteur et au paillard décrépit ». C’est de la haute psychologie, ou je ne m’y connais pas. Adapter l'offre à la demande, c'est ce qu'on dit en général, n'est-ce pas, au sujet des rapports amoureux ?
Avec la question suivante, on sera en droit d'émettre des doutes sur la rumeur qui veut que l’auteur du livre soit une femme. En effet, à la demande : « Toutes les femmes ont-elles un penchant décidé à devenir putain ? », il est répondu : « Toutes le sont ou désirent l’être, il n’y a que les convenances et la bienséance qui retiennent la plupart ; et toute fille qui succombe, même pour la première fois, est déjà, dès le premier pas, putain décidée ; la chemise une fois levée, la voilà familiarisée avec son cul, autant que celle qui a joué du sien pendant dix ans ».
Cette phrase me fait penser à une nouvelle de MAUPASSANT, qui raconte la mésaventure survenue à une jeune et ravissante bourgeoise, qui habite en face du "lieu de travail" d'une prostituée professionnelle, dont elle observe le manège par lequel elle racole les mâles qui passent dans la rue. Elle l'imite, juste pour jouer, et ça marche : le premier homme auquel elle fait un signe monte illico, et elle a beau supplier sur l'air de : « Je ne suis pas celle que vous croyez », elle doit finir par y passer, honteuse, mais secrètement ravie.
Rendez-vous compte, mesdames ! Allez dire et écrire de telles horreurs à la face de nos féministes actuelles, qui en sont déjà à hurler à l’infâme imparité dans la future Assemblée Nationale (elles dénoncent même la fausse « parité » du gouvernement AYRAULT, où tous les ministères « régaliens », sauf la Justice, gouverné par CHRISTIANE TAUBIRA, sont détenus par des hommes, comme quoi, quand on commence à revendiquer, quand on proclame être victime d'une injustice, il n'y a aucune raison de s'arrêter avant d'avoir TOUT raflé) !
A propos d’AYRAULT, tiens, il faut absolument que ça se sache : les journaux arabes sont très embêtés, parce qu’il paraît que ce nom, prononcé comme chez nous (éro), veut dire exactement « le membre viril » en langue arabe (enfin, à ce qu'on m'a dit) : le ministère des Affaires Etrangères, de LAURENT FABIUS, a trouvé la parade : il suffira de faire comme si toutes les lettres se prononçaient (érolt), et le tour est joué. Voilà de la fermeté et de l'habileté dans la politique extérieure de la France. Voilà qui conforte le Ministère du pharamineux "redressement productif".
Les Arabes sont des gens vraiment très pudiques, non ? Remarquez qu’en français, il suffirait d’adjoindre au même nom d'AYRAULT le suffixe « tique », pour que la gravité apparente du monsieur en prenne un méchant coup. Mais dans quel esprit dégénéré et mal tourné pourrait germer une telle idée, je vous le demande ? Je reviens à mes putains parisiennes, finalement, c’est plus intéressant. Avouez qu’on peut appeler cette digression une « arabesque », au sens propre, pour le coup. Merci, CHATEAUBRIAND.
Une putain doit-elle procurer autant de plaisir à un fouteur de vingt-quatre sous, qu’à celui qui la paie généreusement ? Quels sont les attributs et les ustensiles qui doivent orner la chambre d’une putain ? Pour cette dernière question, la réponse est sans ambiguïté : « Dans les tiroirs de sa commode, il doit y avoir des martinets, des disciplines à cordes à petits nœuds, et d’autres armées d’épingles ; les peintures licencieuses, les estampes les plus voluptueuses et les plus lubriques doivent entourer son lit ».
Une putain doit-elle se livrer à tous les caprices des hommes ? Réponse : « Quoique tous les genres de fouterie doivent être familiers à une putain, il en est néanmoins qui répugnent à la délicatesse de certaines filles, l’enculomanie est de ce genre. Une putain peut donc refuser de se prêter au zèle perforique d’un bardache [= giton], à moins qu’elle-même n’ait le cul porté au plaisir sodomique ». Décidément, on a le sens de la formule : le zèle perforique est du meilleur effet.
Une putain qui a la chaude-pisse ou la vérole doit-elle et peut-elle sans remords baiser avec un homme sain ? La fille qui a ses ordinaires peut-elle aussi se laisser baiser ? Qu’entendez-vous par capote anglaise ? Quel langage doit tenir une putain en fouettant ? Voilà quelques-unes des questions auxquelles veut répondre ce livre. Allez, en voici une dernière, pour la route :
« DEMANDE : Jusqu’à quel âge une putain peut-elle exercer cet emploi avec honneur et profit ?
REPONSE. Cela peut dépendre de plus ou moins de tempérament ; les blondes doivent quitter le commerce avant les brunes, leur chair étant plus sujette à l’affaissement (…) ».
Déjà les blondes ! Qu’ont-elles donc fait au ciel pour mériter une pareille et éternelle malédiction ? Quoique …
ELLE S'APPELLE PARIS : ELLE A DONC BIEN SA PLACE CHEZ LES "BLONDES"
(on ne demandera pas si elle en redemande, du "zèle perforique")
Voilà ce que je dis, moi.
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samedi, 01 octobre 2011
UNE DRÔLE DE CHANTEUSE ALLEMANDE
Voilà un roman d’initiation qu’il est bon ! Encore un conte de fesse pour adultes, qu'on se le dise ! Le titre exact est Mémoires d’une chanteuse allemande, livre à scandale paru sans nom d’auteur en 1868 sous le manteau. Sont-ce vraiment des mémoires, ou un simple roman érotique ? La chanteuse narratrice est-elle vraiment la célèbre WILHELMINE SCHRÖDER-DEVRIENT, comme le bruit en a couru avec insistance ? Rien ne le prouve. Et on s’en fiche.
Pour une initiation, il faut dire que ça va bien au-delà. Normalement, dans l’ordre, vous avez 1) la théorie ; 2) les travaux pratiques ; 3) vogue la galère ! Ici, on peut dire que les travaux pratiques se prolongent au-delà du nécessaire, et même du suffisant, et que, dans ce « laboratoire », chacune des variantes est minutieusement examinée, dans ses tenants et ses aboutissants. Et si ça « tient » beaucoup, ça « aboutit » à chaque fois.
Cela commence par l’anniversaire du papa. Mademoiselle a quatorze ans, et ne trouve rien de mieux que de se cacher dans l’alcôve à porte vitrée de la chambre parentale pour faire une bonne surprise à ses parents une fois que maman aura fêté papa … en toute innocence, croit-elle. La maman, c’est une sacrée coquine, sous ses dehors de protestante rigoureuse. Elle fait mine d’être souffrante et, avant de s’étendre sous la couverture avec des opinions suggestives, c’est-à-dire très ouvertes, elle dispose un miroir qui lui permettra de voir son mari de dos sans qu’il s’en doute. Elle a donc tout de la bigote retorse, quoi !
Et ça ne manque pas : le papa découvre (aux deux sens) sa femme « endormie », se livre à quelques papouilles qui la « mettent en joie », et tous deux font la fête, « comme papa dans maman », sous les yeux de fifille qui n’en perd pas une miette. L’une des grandes qualités du scientifique n’est-elle pas dans l’exactitude des observations ?
Après les jeux de papa-maman, la coquine surprend la bonne, Marguerite, en train de lire un livre illustré qui lui met le feu aux joues et des éclairs aux yeux. Tout en lisant, elle se fait du bien avec un doigt, puis, ayant fait chauffer du lait sur un petit réchaud, elle en remplit un objet oblong muni de deux boules à la base et, tout en continuant à lire avec une respiration de plus en plus saccadée, elle opère, après introduction de l’objet, un transfert de liquide qui lui réchauffe les intérieurs. La petite scientifique se dit, en notant ses observations : « Intéressant, à retenir ». Elle décide de confesser la bonne.
On commence évidemment par se glisser dans son lit un soir d’orage, on lui dit qu’on a mal ici, non, un peu plus bas, non un peu plus haut, là ça y est. Comme la bonne n’est pas restée insensible, on accepte de se mouiller la main pour lui rendre la pareille, en essayant de rester dans une attitude de parfaite innocence, pour ne pas paraître trop « avertie ».
Marguerite raconte alors sa vie. Entrée au service de Madame la Baronne, elle supplée auprès d’elle, faute de mieux, l’absence de tout mâle dans les environs. Dans ce rôle de « suppléante », elle se fait à moitié déniaiser. L’autre moitié ne tarde pas à l’être à son tour, grâce à un stratagème qui lui permet de se mêler comme par accident aux jeux de mains jeux de vilains auxquels se livre la baronne en compagnie d’un comte, « un jeune homme fort beau et élégant ».
La baronne, et Marguerite à son exemple, accorde la plus haute importance à un objet particulier : « une vessie souple, blanche, bordée d’un cordonnet rouge – cette fameuse invention du célèbre médecin français Condom ».
A ce propos, voici ce que dit de « Condom » le Nouveau Larousse Illustré (autour de 1900) : « (du nom de l’inventeur) Sac en baudruche ou en caoutchouc, employé comme préservatif dans les rapports sexuels. – ENCYCL. Les condoms primitifs, dont on attribue l’invention à un hygiéniste anglais du 18ème siècle, étaient invariablement faits de baudruche spéciale (caecum de mouton). Aujourd’hui, on les fait aussi en caoutchouc laminé. La fragilité de ces engins les rend souvent inefficaces ».
Le Grand Robert préfère ne pas se prononcer sur l’origine du mot, aucun médecin du nom de Condom n’ayant pu être identifié sur tout le 18ème siècle. Enfin, il faut bien raconter l’Histoire, n’est-ce pas ?
Marguerite observe scientifiquement l’usage que les deux amants font de l’objet, dont elle ne cesse de recommander vivement l’usage à la future chanteuse. Machiavélique, elle parvient à se faire accepter, et même à mener le jeu : le duo devient dès lors trio, au léger désappointement de la baronne, qui n’a aucune idée de tout ce que le cerveau de sa bonne a tramé.
La narratrice se lance alors dans des considérations oiseuses, des observations sociologisantes, des remarques moralisatrices, dont je retiendrai, d’une part, qu’il ne faut jamais se fier aux apparences, que ce soit celles des femmes qui semblent beaucoup promettre et qui tiennent peu, ou celles des femmes au maintien et à la vêture austères ; d’autre part cette maxime : « Il est extraordinairement difficile à la femme d’avouer qu’elle jouit ». Je laisse aux dames le soin de décider s’il est plus vraisemblable que cette phrase sorte d’une bouche féminine.
Elle entreprend ensuite de faire la conquête d’un jeune puceau, Franzl, toujours en se débrouillant pour que ce soit lui qui s’imagine avoir l’initiative, mais cela lui donne du travail, car le jeune homme, en plus d’être inexpérimenté, est d’une timidité maladive. Mais enfin, vous savez ce que c’est, on n’ose pas, et puis on s’enhardit, et de fil en anguille… vous m’avez compris. Enfin presque : elle demeure inflexible, s’agissant de l’accès à sa « grotte », comme elle dit. Ils en restent donc à des jeux purement buccaux, quoique réciproques.
Entre-temps, on lui a découvert un don pour le chant, elle a de grands professeurs, elle se prépare pour la scène, où elle connaît un succès éclatant, ce qui la met matériellement à l’aise et lui procure un peu d’indépendance. Elle entre dans l’intimité d’un banquier qui voudrait bien l’ajouter à son tableau de chasse, mais comme elle se soustrait à ses ardeurs, elle suscite la sympathie de son épouse, Roudolphine.
Imitant Marguerite échafaudant un plan pour s’offrir le beau comte au nez et à la barbe de la baronne, la narratrice se débrouille pour que le Prince italien la surprenne en compagnie de sa nouvelle amie. Tout ce joli monde s’abandonne avec enthousiasme aux joies du triolisme, qui les laissent pantelants et épuisés.
La difficulté de ce genre de livre est d’échapper au reproche de répétition. Mais évidemment, ce genre de loisir ne saurait y échapper, ne serait-ce qu’à cause de la conformation anatomique des individus. DONATIEN ALPHONSE FRANÇOIS DE SADE, lui-même, que ce soit dans La Philosophie dans le boudoir ou dans Les 120 Journées de Sodome, est forcé de répéter, ne serait-ce que certaines exclamations qui surviennent dans les moments d’apogée, et il n’en sort, quant à lui, que par l’escalade. En général, l’escalade finit mal pour certains des participants.
Il faut sans doute se résoudre à accepter le fait que certaines occupations, même les plus agréables, ne sauraient éviter tout à fait une certaine monotonie. Quoi qu’il en soit, il n’est guère d’ouvrages dits du « second rayon » qui se renouvellent en cours de route. De cette sorte d’ouvrages tirés de l’ « Enfer », Gamiani ou deux nuits d’excès, sans doute (ou peut-être) écrit par ALFRED DE MUSSET, ou Les Onze mille verges, d’APOLLINAIRE, pratiquent à qui mieux-mieux l’escalade. Et dans les plus honnêtes des cas, il est compréhensible qu’on aboutisse à la mort.
Rien de tout ça, qu’on se rassure, dans Les Mémoires d’une chanteuse allemande. Une cantatrice célèbre ne saurait tomber dans les excès d’exploits génésiques et gymnastiques. Celle-ci se contente, comme on dit niaisement aujourd’hui, de « vivre une sexualité épanouie ».
Voilà, maintenant, vous en savez assez, si par hasard vous ignoriez l’existence de ce titre. Je vous en ai assez dit. Ce n’est pas un chef d’œuvre, à cause de longueurs et temps morts divers, c’est un livre « distraisant » (« treize ans et demi, après, je prends ma retraite », comme dit BOBY LAPOINTE). J’imagine qu’il est toujours disponible aux éditions Allia, dont il faut saluer les beaux efforts pour remettre en circulation ces « Curiosa » (dits aussi "livres qu'on ne lit que d'une main"), parfois difficiles à dénicher.
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samedi, 03 septembre 2011
LISEZ "LA BÊTE" de PIERRE BEARN
La Bête, de PIERRE BEARN est un petit récit très osé d’un auteur par ailleurs tout à fait estimable (poète, essayiste, romancier), récit supposé fait directement à l'auteur par la vieille femme que Sandrine est devenue au moment où il la rencontre. Ma foi, pourquoi pas ? Supposons donc que c'est vrai. Sandrine a donc 12 ans. Tout le monde la considère comme une vraie gourde. Sa mère est domestique, et cherche toujours à se placer, car elle est dans la précarité. Il s’avèrera que la gourde, c’est elle en définitive, car elle n’a aucune idée, et encore moins de pratique du monde dans lequel l’imaginaire de Sandrine évolue. Ici, le fossé des générations, c'est le fossé du sexuel. La mère bosse, la fille réfléchit, et pense à la vraie vie.
Il y a une cabane WC au fond du jardin. Elle est fascinée par Grand-Paul, qui bêche torse nu son propre jardin de l’autre côté de la clôture. Elle s’enferme dans la cabane, jusqu’à ce que l’autre s’approche et lui demande ce qu’elle attend de lui. Il se déboutonne, montrant sa « bête » en pleine glorieuse érection. Il ne tarde pas à se masturber sous ses yeux en prenant bien soin qu’elle ne perde pas une miette du spectacle, excepté la "crise" finale.
Il lui raconte ensuite le manège de sa voisine ; puis ses ébats avec une paysanne qui régulièrement se frottait le bas du ventre contre le manche de sa bêche ; une cueillette de cerises avec la dite voisine, en haut d’une échelle, en compagnie de deux fillettes : elle prend plaisir à cueillir vêtue de son seul jupon, les fesses et le sexe à l'air presque libre, provocatrice, en toute impudeur. Grand-Paul est au supplice ; il monte ; elle en profite alors pour se saisir de « la bête » et la manier sous les yeux des fillettes stupéfaites, puis ordonne à une des fillettes de monter en face de l’homme et lui fait empoigner la "bête" pour finir la besogne. Il raconte ça en même temps qu'il se finit.
Puis elle doit suivre sa mère, embauchée chez un banquier. Elle va à la plage avec deux garçons et une fille déjà déniaisés qui se livrent à quelques petits jeux dans une cabine (cunnilingus de Robert à Simone). Il y aura un jeu entre elle et le banquier, sur la base, tout d’abord, du « bain de monsieur », où il s’aperçoit qu’elle l’observe par la fente du rideau, puis dans son bureau, où elle s’accroupit sous le meuble, pour une séance de travaux manuels. "Et bientôt, tout le corps de l'homme éclata dans mes doigts gantés de miel". Est-ce que ce n'est pas bien dit ?
Puis on assiste au jeu avec le « frère de monsieur », obligé de coucher dans le même lit qu’elle et qui se couche nu. Il glisse sa « bête » entre les cuisses de Sandrine et se satisfait, éjaculant sur la cuisse. Elle retrouvera Grand-Paul, car la situation devient compromettante pour le banquier, qui congédie la mère. Un soir, elle passe de l’autre côté pour lui faire une branlette en direct. Il y aura encore un conducteur de charrette un jour de pluie. Assise entre sa mère et lui, elle tend la main, à l’abri de la bâche caoutchoutée, vers sa « bête », qu’elle va faire à son tour dégorger.
Bref, une fillette avertie en vaut deux, pourrait-on dire. En tout cas, elle peut à présent passer son brevet de pilote, parce qu'elle n'ignore rien du maniement du manche à balai. Pardon pour la facétie, un peu vulgaire, je le reconnais volontiers.
Bref, un récit d'initiation à la vie fort élégamment conduit et écrit. Je persiste à appeler cela de la littérature, tant c'est écrit dans une belle langue. J'imagine que Sandrine, si elle a existé, a raconté à l'auteur la suite de ses aventures. Mais si c'est le cas, il a gardé cette suite pour lui. Dommage que le texte soit un peu salopé par des négligences parfois grossières de l'éditeur (Editions Blanche, 2001).
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