samedi, 04 juillet 2020
JOURNALISME D'EXCELLENCE ?
La France s'enorgueillit par tradition du haut niveau d'exigence de ses écoles de journalistes. Les professeurs qui y enseignent sont tous de remarquables exemplaires de la profession : bon nombre des 200 "grands" éditorialistes (parmi lesquels deux douzaines de pures vedettes : Joffrin, Giesbert, etc.) que compte l'hexagone sont rétribués pour y dispenser conseils, recettes et ficelles du métier.
On doit à ces vaillants "petits soldats du journalisme" (titre du livre de François Ruffin – député France insoumise et directeur de la publication de la revue Fakir – sur les coulisses de ces fabriques de l'élite de la presse française) des efforts constants et soutenus pour fournir à la population des organes d'information qui soient à la hauteur de ses attentes. C'est ainsi que les journalistes français ne se lassent pas de hisser le rocher de Sisyphe sur le sommet de l'excellence professionnelle. Hélas, comme dans la mythologie, le rocher ne cesse de retomber dans le caniveau (« l'opprobre du ruisseau », comme dit Boby Lapointe).
Les exemples abondent de cette quête de la perfection – toujours déçue ! Ainsi a-t-on pu apprendre, sur la chaîne nationale France Culture, hier vendredi dans le bulletin de 18 heures, qu'au moment de la passation des pouvoirs entre Edouard Philippe, ex-premier ministre et maire du Havre, et Jean Castex, le maire de Prades désigné par Emmanuel Macron pour le remplacer dans cette fonction, Edouard Philippe avait le col de sa chemise ouvert et qu'il portait en guise de boutons de manchette deux paires de "tongs", dont la journaliste se demandait s'il les porterait effectivement à son retour au Havre.
Voilà de l'information, messieurs-dames ! Voilà le journalisme que le monde entier nous envie, messieurs-dames ! Et l'on a pu entendre ces informations cruciales sur France Culture !
Bravo et merci ! Grâce à vous, je sais ce qui est important à savoir.
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vendredi, 17 mars 2017
LA FONTAINE, LE LICENCIEUX ÉLÉGANT
UNE LEÇON DE SUBTILITÉ
Dégoûté par la grande pitié que m’inspire le spectacle du monde tel qu’il va mal et de la France politique en particulier, je m’immerge depuis quelque temps dans l’œuvre de quelques écrivains qui ont marqué le Grand Siècle. Présentement, je poursuis en parallèle la lecture des Mémoires de Saint-Simon et du cardinal de Retz, et je ne me lasse pas d’admirer la haute idée que ces deux figures marquantes de la haute aristocratie française et de la littérature se faisaient de la France, de la dignité de leur propre personne et de la langue alors en usage. Saint-Simon davantage homme de cour, généalogiste méticuleux et grand seigneur jaloux de voir conserver les prérogatives de son rang, Retz tout entier voué à la gloire et aux grandes actions héroïques que lui a insufflées dans sa jeunesse la lecture des Vies des hommes illustres de Plutarque.
Je me garderai de comparer l'altitude où se situent ces figures d'exception, tant avec la bassesse de vue de nos modernes politiques qu’avec l’aridité squelettique de la langue qu’ils pratiquent, et qui ne fait que traduire la pauvreté de leur pensée, toutes choses qui feraient presque regretter l’Ancien Régime, voire déplorer la décollation de Louis seizième, un certain 21 janvier. Venons-en au fait.
Il existe des livres dont tout le monde cite le titre, souvent sans les avoir lus. Tout le monde connaît, par exemple, quelques-unes des Fables de La Fontaine, mais qui connaît Les Souris et le Chat-huant ? Les Femmes et le Secret ? La Tortue et les deux Canards ? La jeune Veuve ? Et bien d'autres sont encore plus méconnues. Il est vrai que la plupart de celles qu'on apprenait autrefois à l'école (les apprend-on encore ?) figurent dans le premier tome, le second paraissant dix ans plus tard. Quant aux Contes et nouvelles en vers, n’en parlons pas. C’est bien dommage, car c’est se priver de plaisirs délectables et d’enseignements précieux.
C’est ainsi que dans le tome second des Contes et nouvelles, La Fontaine expose sans fard sa théorie du beau langage et de ses subtilités, sur laquelle il fonde tout l’intérêt de ses narrations. On trouve cet exposé dans le préambule, fort développé pour une fois, du récit intitulé Le Tableau. Cette belle et grande leçon de subtilité touche bien entendu au domaine éminemment sensible (sans qu’il soit besoin de préciser) dans lequel un courtisan qui ferait montre de crudité se verrait interdire l’accès des salons pour cause d'incivilité.
C’est à qui, au contraire, fera la preuve du plus extrême raffinement dans l’expression par les mots des choses qui occupent les deux sexes depuis la nuit des temps, mais une expression édulcorée, passée par le tamis de l'art de la formulation. Attention, qu'on ne me fasse pas dire ce que je ne dis pas : Agostino Carrache (1557-1602, qui est loin d'être le seul ; ci-contre Hercule et Déjanire en plein débat conjugal) a commis dès cette époque des gravures splendidement explicites pour illustrer diverses galipettes de personnages de la mythologie, et quand il s'agissait d' « aller au déduit », les plus grands seigneurs étaient bien obligés de mettre bas le masque de la mondanité et de condescendre au très concret. Il reste qu'on se devait, devant le monde, de sauvegarder les apparences, ce qui explique les détours parfois tortueux mais toujours élégants et habiles offerts par le procédé de l'allusion suggestive.
Dans le récit du Tableau, sœur Claude et sœur Thérèse ont pris coutume de se partager dans leur cellule les « qualités » d’un bachelier, qu’il a particulièrement avantageuses semble-t-il, et dont il ne demande qu’à faire bénéficier les belles qui le lui demandent. Un jour, comme il est en retard, passe un « Mazet », qui se trompe de cellule. Qu’à cela ne tienne, Claude et Thérèse, faute de la grive attendue, se rabattent sur le merle. Elles ne perdront pas au change.
« Ah, pour être dévote, on n'en est pas moins femme. »
Sur le « tableau » qui donne son titre au conte, trois personnages : deux nonnes se disputent les faveurs d’un rustre. Mais la chaise ne résiste pas (« Ou soit par le défaut / De la chaise un peu faible, ou soit que du pitaut / Le corps ne fut pas fait de plume, / Ou soit que sœur Thérèse eût chargé d'action / Son discours véhément et plein d'émotion, ... »). Claude a profité du bris de la chaise pour s’emparer du « timon » du garçon, au grand dam de Thérèse qui, dans la chute, a perdu la « tramontane » et qui voudrait bien reprendre sa place. La position de sœur Claude, soigneusement voilée par l’ampleur de l’étoffe (quoiqu'on distingue opportunément la robe bien haut levée ainsi que les braies tombées de l'homme) ne laisse heureusement rien ignorer de la raison, assurément consistante, qui a attisé la fureur de ces religieuses.
Voici comment La Fontaine introduit (si j’ose dire) son récit scabreux :
« On m’engage à conter d’une manière honnête
Le sujet d’un de ces tableaux
Sur lesquels on met des rideaux :
Il me faut tirer de ma tête
Nombre de traits nouveaux, piquant et délicats,
Qui disent et ne disent pas,
Et qui soient entendus sans notes
Des Agnès même les plus sottes :
Ce n’est pas coucher gros ; ces extrêmes Agnès
Sont oiseaux qu’on ne vit jamais.
Toute matrone sage, à ce que dit Catulle,
Regarde volontiers le gigantesque don
Fait au fruit de Vénus, par la main de Junon.
A ce plaisant objet si quelqu’une recule,
Cette quelqu’une dissimule.
Ce principe posé, pourquoi plus de scrupule,
Pourquoi moins de licence aux oreilles qu’aux yeux ?
Puisqu’on le veut ainsi, je ferai de mon mieux :
Nuls traits à découvert n’auront ici de place ;
Tout y sera voilé ; mais de gaze, et si bien,
Que je crois qu’on ne perdra rien.
Qui pense finement et s’exprime avec grâce,
Fait tout passer, car tout passe :
Je l’ai cent fois éprouvé :
Quand le mot est bien trouvé,
Le sexe en sa faveur à la chose pardonne :
Ce n’est plus elle alors, c’est elle encor pourtant.
Vous ne faites rougir personne,
Et tout le monde vous entend.
J’ai besoin aujourd’hui de cet art important.
Pourquoi, me dira-t-on, puisque sur ces merveilles,
Le sexe porte à l’œil sans toutes ces façons ?
Je réponds à cela : chastes sont les oreilles,
Encore que les yeux soient fripons ».
Michel Foucault s'est bien éreinté à à décrire de large en long les pouvoirs respectifs des mots et des choses (Les Mots et les choses, 1966), La Fontaine se contente, quant à lui, d'évoquer la "chose" en évitant de prononcer le "mot". Si ce n'est pas ça, la littérature, j'aimerais qu'on me dise ce qui en est.
On a compris : il s'agit d'exprimer les choses les plus lestes tout en sauvegardant toutes les apparences de la décence et de la bienséance. Tout un monde superbement ignoré et relégué dans nos temps soi-disant si "progressistes". Pour bien marquer la différence, en même temps que l'état de vulgarité dans lequel le vingtième siècle a plongé l'humanité (état qui ne cesse de s'aggraver), qui préfère aller droit au but plutôt que de s'embarrasser de circonlocutions (après tout, qu'est-ce que la civilisation, sinon le détour par les mots ? Cf. Boby Lapointe, L'Ami Zantrop, qui construit sa dérision créolisante sur la Célimène et l'Alceste du Misanthrope),
on trouvera ci-dessous l'interprétation graphique de la même scène trouvée dans une édition moderne des Contes et nouvelles. L'artiste s'adresse visiblement à des "non-comprenants" : l'allusion et le "poids des mots" ne suffisent plus, il faut l'explicite et le "choc des photos", du direct, du brutal. Et l'on s'étonne encore de la vogue du porno (priez porno, pauvres pécheurs, en latin : ora pornobis).
Les nonnes sont superbes, mais il faudrait que l'artiste m'explique les positions respectives de la chaise, qui paraît entière, et du "corps" (le "timon") du délit : où est passée l'assise du siège ? De deux choses l'une, soit la chaise est brisée, comme le spécifie La Fontaine, soit le "Mazet" est coupé en deux. Auquel dernier cas la "performance" exhibée par ce dernier paraît hautement improbable. Mais je chipote, je chipote : oui, je sais bien, l'essentiel n'est pas là, il est montré. Passez muscade.
Note : je n'ai rien contre les "Agnès même les plus sottes", pourvu que.
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jeudi, 21 janvier 2016
NÉO-RÉAC ET FIER DE L’ÊTRE
Double page « Débats » dans Le Monde daté 19 janvier : « Les néoréacs ont-ils gagné ? ». Ah, que l’intention est belle et noble ! Nicolas Truong, journaliste, fait précéder son article de présentation du « chapeau » suivant : « Le succès d’audience politique et l’hégémonie médiatique des antimodernes ou des néoconservateurs est-il le signe d’une dérive droitière en France ou provient-il de leur capacité à nommer le mal qui ronge nos sociétés ? ». L’alternative proposée a un air d’honnêteté à première vue. A ceci près que je m’étonne de l’expression "audience politique" : je ne savais pas que Finkielkraut, Onfray ou Zemmour (portraiturés en la compagnie bizarre de Patrick Buisson) avaient été nommés conseillers de nos plus hauts responsables politiques, dont ils ne pensent en général pas beaucoup de bien.
Quant à "hégémonie médiatique", je suis très mal placé pour en juger, dépourvu que je suis de cet appareil qu’on appelle « télévision », pour un motif que je persiste à estimer crucial, déterminant, vital, prépondérant, bref : capital. Comme Günther Anders et Guy Debord, je pense en effet qu’avec le poste de télévision installé en bonne place au salon, est juridiquement constitué le délit d’atteinte à la liberté individuelle. Je ne suis donc pas en mesure d’évaluer la force de l’emprise des « néoréacs » sur les plateaux. Contrairement à Philippe Sollers, qui osait dénier à Louis Althusser la qualité de "penseur" du seul fait qu'il n'avait pas la télévision, je crois qu'il est plus facile de continuer à penser quand on n'est pas encombré de cet objet intrusif. Je préfère m'en remettre au concept de "spectacle", élaboré par Guy Debord (voir mon billet du 18 janvier).
A voir l'armée des boucliers qui se lèvent dès qu’un de ces individus suspects ouvre la bouche, j'ai plutôt l'impression que le mot d’ordre est très généralement de faire taire les "néoréacs" sous le déluge des réactions scandalisées. On peut faire confiance au chœur des flics de la pensée pour veiller comme des vestales vigilantes sur le consensus moral, moralisant et moralisateur, dans lequel ils s’efforcent de bétonner toute l’époque, à coups de glapissements. Voir par exemple la façon dont Michel Onfray, qui a été récemment vomi par les cent bouches de la déesse dont parle Georges Brassens dans "Trompettes de la renommée" (« Pour faire parler un peu la déesse aux cent bouches, Faut-il qu'une femme célèbre, une étoile, une star, Vienne prendre entre mes bras la place de ma guitare »), s'est senti obligé de fermer sa page fesse-bouc et son « fil twitter ».
La haine de ces sentinelles de la "Nouvelle Vertu" pour ceux qui commettent des infractions à l’ordre qu’ils veulent faire régner a quelque chose de stupéfiant, et pour tout dire d’incompréhensible. Dans ses pages « Débats », Le Monde se garde bien entendu de trancher, et Nicolas Truong veille soigneusement à ne pas déroger à la sacro-sainte règle de neutralité, qui maintient la ligne du journal dans un juste-milieu de bon aloi, équidistant des extrêmes. Inattaquable.
Enfin, quand je dis "soigneusement", j’exagère. Certes, Nicolas Truong donne la parole à Alain Finkielkraut, et son interview peut donner une impression d’impartialité. Mais il ouvre dans le même temps les colonnes du journal à deux guerriers de la "Nouvelle Vertu" : l’historien Daniel Lindenberg et la sociologue Gisèle Sapiro, qui font jaillir, du haut des chaires universitaires où ils vaticinent, le venin capable de renvoyer l’ennemi déclaré dans le néant dont il n’aurait jamais dû sortir. Comptez : un neutre, un pour, deux contre. Le combat était inégal avant même la publication.
Le point commun, dans l’argumentation de ces deux mercenaires, c’est de ranger les intellectuels « néoréacs » parmi les responsables de la montée de l’extrême-droite : Sapiro fait référence au mouvement allemand « Pegida », Lindenberg à l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, Patrick Buisson. Lindenberg accuse même les « néoréacs » de véhiculer « une authentique rhétorique d’extrême-droite », quand Sapiro fait mine de s'alarmer de leur succès médiatique « alors que le FN est en pleine ascension ». L’intention, au moins, est claire : disqualifier l’adversaire en le faisant complice de supposés fascistes. Finkielkraut faisant le jeu de Marine Le Pen, l'hypothèse est tellement courge que je ne la discute même pas.
Ce qui apparaît de façon lumineuse, en tout cas, c’est la dissymétrie entre les argumentaires des uns et de l’autre. Alain Finkielkraut porte un regard sur l'ensemble de l'époque : « Je cherche seulement à penser le présent selon ses propres termes. Je le dépouille ainsi des oripeaux dont le revêt la prétendue vigilance et je suis traité de néoréac parce que je dis : "Le roi est nu" ». Finkielkraut mène une analyse du monde tel qu’il va. Il se contente de dire, à la suite de Guy Debord et de Philippe Muray, que le monde et l'humanité vont très mal. Il a quitté les rangs des choristes de l’Empire du Bien, c’est ce que ceux-ci ne lui pardonnent pas.
Car la dissymétrie est là : autant Finkielkraut parle du monde, autant Sapiro et Lindenberg parlent de Finkielkraut. Je veux dire que, si l'un parle du monde, les autres parlent de la personne qui a parlé. Quand celle-ci développe une argumentation « ad rem », ceux-là se déchaînent « ad personam ». Le coup classique : quand un argument t'embarrasse, il suffit d'attaquer la personne qui l'a proféré. Dans la plupart des cas, ça marche, devant les badauds.
Daniel Schneidermann avait utilisé la même ficelle, en son temps, dans Le Monde diplomatique (mai 1996) contre Pierre Bourdieu (que je n'aime pourtant guère), en réponse à l’article où celui-ci tirait les conclusions de son passage dans son émission Arrêt sur images, article intitulé « Peut-on critiquer la télévision à la télévision ? ». Schneidermann, dont j’estime le travail par ailleurs, n’avait pas aimé du tout, et s’en était pris à son invité en l’accusant, entre autres, en jouant sur son nom, de se prendre pour Dieu, si je me souviens bien. J'avais trouvé ça assez bas.
En gros, les « néoréacs » posent un diagnostic sévère sur l’état actuel du monde, alors que leurs accusateurs insultent les personnes qui osent un tel diagnostic. Coup classique, certes, mais infâme. Nicolas Truong pose d’ailleurs la question : « … et si ces néoconservateurs avaient raison ? ». Passons sur les qualifications d' "antimodernes" et de "néoconservateurs", bien qu'il y eût eu à dire. Eh oui, pendant que le sale gosse Alain Finkielkraut est le seul à dire que le roi est nu, alors que la foule des courtisans fait semblant de s’extasier sur la somptuosité de ses vêtements transparents, Daniel Lindenberg et Gisèle Sapiro intiment l’ordre au sale gosse de se taire : il ne faudrait pas, en disant la vérité, désespérer le peuple, on ne sait pas ce dont il serait capable. Cela pourrait créer du désordre.
Cela n’empêche pas Gisèle Sapiro d’avouer sa niaiserie profonde. Devinez comment elle conclut sa diatribe imbécile. Tout simplement en posant la question qu’elle n’aurait jamais dû oser poser. Car après avoir déversé son venin, voici ce qu’elle écrit : « Ils "passent" bien à la télévision ou à la radio. Cela contribue-t-il à expliquer ce qui n’en demeure pas moins un mystère, à savoir, pourquoi ils suscitent un tel intérêt auprès du public ? ». C'est un aveu de défaite, en même temps que d'incompétence fielleuse. Traduction : si le gars a du succès, la teneur de ses propos n'y est pour rien, c'est juste parce qu'il est télégénique.
Traduction bis : pourquoi les gens en redemandent, de ces salauds de « néoréacs », au lieu de nous écouter religieusement, nous qui savons ("de toilette", réplique Boby Lapointe) dire les mots qu'il faut pour rassurer ? Daniel Lindenberg et Gisèle Sapiro ne sont pas des menteurs professionnels. Ils haïssent seulement les porteurs de vérités désagréables. Et le "public" représente à leurs yeux un insondable mystère. J’imagine que leur gagne-pain est lié à la conviction qu’ils affichent dans l’entreprise systémique de dénégation du réel. Sapiro n'est pas près de se faire écouter du peuple. Non, je ne crois pas, contrairement à ce que nous serinent les sondages, que les gens "ont peur", "sont angoissés", et tout ça. J'ai plutôt l'impression que les gens se disent, jour après jour : quel sale monde que le monde qui s'annonce ! Et tous ces guignols qui font semblant de le trouver radieux !
Car Sapiro avoue ici, ingénument, son ignorance de l’essentiel, à savoir ce qu’attendent les gens. Ce qu’ils attendent ? Que ceux qui causent dans le poste leur disent enfin la vérité sur le monde réel. Oui, monsieur Truong, ils attendent des responsables un peu de courage, celui qu’il faut pour « nommer le mal qui ronge nos sociétés », comme vous écrivez. "Nommer le mal" ! Et je peux vous dire que ce mal s’appelle le Mensonge. Et les gens n’en peuvent plus : si on ne leur donne pas la vérité, c’est normal qu’ils préfèrent mettre la tête sous l’aile et s’abstenir aux élections. Leur taux d’abstention est proportionnel au mensonge que les pouvoirs leur servent jusqu'à la nausée. Qui ose aujourd'hui "nommer le mal" ? Je ne vois que les « néoréacs ».
Car la vérité du monde aujourd’hui n’est pas belle à voir. Economie ? Le travail manuel remplacé par des robots, le travail intellectuel remplacé par des logiciels et des algorithmes : c'est promettre la fin du travail et le chômage de masse à perpétuité. Finances ? Soixante-deux bonshommes possèdent autant à eux seuls que la moitié de l’humanité. Politique ? Extinction des idées et des projets, omniprésence de la soif quasi-mafieuse de pouvoir. Ecologie ? Sale temps pour la planète. Et je laisse de côté les migrants, l’islam, Daech, la violence, les guerres en cours, les guerres à venir, …. Franchement, il est dans quel état, le monde ? Ceux qui causent dans le poste ne sont visiblement pas de ce monde-là. Ils doivent péter de trouille en envisageant le jour où les yeux des foules s'ouvriront.
Car il faut rester optimiste, se cramponner au "tout va bien, nous avons les choses bien en main". Alors exterminons les oiseaux de mauvais augure. Mettons à mort le messager porteur de mauvaise nouvelle. A la lanterne, les lanceurs d’alerte. On peut compter sur Daniel Lindenberg et Gisèle Sapiro pour leur passer le nœud coulant.
Je ne remercie pas Le Monde d'avoir donné la parole à deux faussaires, tout en faisant mine d'apporter sa contribution à un grand "débat de société". Qui peut encore croire que c'est le discours des « néoréacs » qui domine toute la scène intellectuelle ? Le Monde apporte ici la preuve du contraire.
La réponse à la question du début, c'est : les « néoréacs » ont perdu. Et ce n'est pas une bonne nouvelle.
Voilà ce que je dis, moi.
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lundi, 20 avril 2015
QUAND HOUELLEBECQ INTERVIENT
Je n’ai pas tout compris dans la méthode de publication, réédition, distribution et redistribution des textes que Michel Houellebecq a donnés à droite et à gauche depuis que ses écrits sont publiés (1988, je crois, pour des poèmes en revue). Toujours est-il et quoi qu’il en soit, je viens de lire Interventions 2 (Flammarion, 2009). On dira que je fais une fixation.
Je ne rejette pas a priori l’hypothèse de la pathologie, mais que voulez-vous, quand vous mettez le pied dans un patelin où, à votre grand étonnement, vous avez soudain l’impression de rentrer à la maison tellement c’est comme ça que vous vous racontiez l’histoire et que vous vous peigniez le paysage, vous avez envie de vous arrêter là, et d’en savoir un peu plus long, ne serait-ce que pour vérifier que vous ne rêvez pas.
Il se trouve simplement que j’ai découvert en 2011, avec La Carte et le territoire, un écrivain qui surpasse de très loin le niveau du vulgum pecus littéraire français. Et que j’ai eu envie de creuser la question. Je dois dire qu’en creusant, je n’ai pas été déçu des matières que ma rivelaine amenait au jour, à mesure que j’avançais dans le filon.
Interventions 2 est ce qu’on appelle un « recueil ». Forcément, il y a « à boire et à manger » : des textes de longueurs, de natures, de genres et de thématiques différents, qui ont été demandés à l’auteur entre 1992 et 2008. Sans compter l’avant-propos, il s’ouvre et se ferme sur des règlements de comptes. Le premier (« Jacques Prévert est un con ») n’a pas besoin d’explication. Le titre annonce la couleur et se suffit à lui-même.
En revanche, le titre « Coupes de sol », qui clôt l'ouvrage, reste énigmatique tant qu’on ne sait pas que Houellebecq est sorti de la même « Agro » que Robbe-Grillet, et que la « coupe de sol » est une des bases, paraît-il, de l’enseignement agronomique. Cela n’empêche pas le condisciple à retardement d’infliger une bonne avoinée littéraire à son prédécesseur : non, Houellebecq n'aime pas le pape du "Nouveau Roman". Je le comprends.
C’est que Houellebecq a fait des choix (il ne le dirait peut-être pas comme ça : des choix qui se sont imposés ou qu’il n’a pu refuser de faire, il a une conception pessimiste de la liberté humaine), il a pris position, ce qui l’autorise à porter des jugements.
Si certains trouveront ceux-ci péremptoires et injustes, c’est qu’ils ont l’esprit « errant et sans patrie » de ceux qui, prenant tout ce qui vient au motif qu’il ne faut rejeter ou exclure rien ni personne, s’interdisent de porter quelque jugement que ce soit sur qui ou quoi que ce soit, mais attention : en interdisant absolument à quiconque de ne pas être d’accord avec eux, sous peine de correctionnelle. Pour eux, affirmer des choix et porter des jugements, c'est forcément être facho. Si tout au moins choix et jugements osent s'écarter de leur ligne.
Je veux parler de tous les obsédés du consensus moral, tous les flics tolérantistes qui peuplent la gauche raplapla, dépourvus de ce moyen de jugement qui permet de distinguer le bon et le mauvais, le juste et l’injuste, le beau et le laid, – ce moyen qu’on appelait un CRITÈRE, à l’époque où les « valeurs » étaient encore des échelles, qui permettaient de placer êtres, choses, langages, systèmes, œuvres d’art à des altitudes différentes. Cette époque ténébreuse et heureusement révolue, où l’on avait encore l’infernal culot d’appeler un chat un chat.
Je laisse Robbe-Grillet aux amateurs, s’il y en a encore. Je m’arrête sur Prévert, le poète préféré des enseignants masochistes qui aiment se faire flageller en faisant apprendre « Le Cancre » à leurs élèves multiculturels : « Il dit oui avec la tête, mais il dit non avec le cœur, il dit oui à ce qu’il aime, il dit non au professeur, et gnagnagna et gnagnagna ». Prévert illustre à merveille la niaiserie irréversible qui a saisi la société française au moment où elle a commencé à sacraliser « le monde merveilleux de l’enfance ».
Houellebecq met le monsieur dans le même sac que Vian, Brassens et Boby Lapointe (qu’il écrit « Bobby », l’ignorant), dont il trouve les jeux de mots stupides. Tant pis, c’est son droit. Question de génération sans doute. Vian, je le lui laisse assez volontiers, mais Brassens et Lapointe, je ne suis pas d’accord : ils ont poussé leur rhizome trop loin dans mon oreille pour que je puisse seulement songer à en arracher la moindre radicelle. S’agissant de Brassens et Lapointe, je perds tout esprit critique.
Jacques Prévert souffre, aux yeux de Houellebecq d’un certain nombre de tares. Certes et hélas, « il a quelque chose à dire », « Malheureusement, ce qu’il a à dire est d’une stupidité sans borne ». Il enfonce le clou : « Sur le plan philosophique et politique, Jacques Prévert est avant tout un libertaire ; c’est-à-dire, fondamentalement, un imbécile ». Il n’a pas tort. Pour terminer : « Si Jacques Prévert est un mauvais poète, c’est avant tout parce que sa vision du monde est plate, superficielle et fausse ». J’avoue que ces quatre pages m'ont fait un bien fou. Un fier encouragement à poursuivre la lecture.
Le propre d’un recueil, c’est d’être d’un intérêt inégal. C’est dans sa nature. Certains textes (critique cinéma, critique art, critique poésie, …) ne me disent guère. C’est le cas, en particulier d’ « Opera Bianca », suite de courts textes destinés à accompagner l’ « installation mobile et sonore conçue par le sculpteur Gilles Touyard ».
Je ne connais pas les œuvres de Gilles Touyard, mais en apprenant que « la musique est due à Brice Pauset », c’est plus fort que moi, je ferme toutes les écoutilles. Peut-être à cause du traumatisme que constitue la production sonore (je n'ai pas dit la « musique ») de ce monsieur, tout fier de reproduire, par exemple, les sons enregistrés d'un aspirateur en fonctionnement.
D’autres retiennent sans effort mon attention. C’est le cas d’un article daté de 1992 (« Approches du désarroi »), un vrai petit chef d’œuvre synthétique et analytique sur l'époque que nous vivons, dont je conseille vivement la lecture. C’est aussi le cas de « Philippe Muray en 2002 ». C’est encore le cas d’un entretien avec des gars de Paris-Match. Quelques autres.
La loi du genre, quoi.
Voilà ce que je dis, moi.
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jeudi, 15 janvier 2015
CHARLIE : LA VÉRITÉ SUR LE COMPLOT !
Qu’est-ce que j’apprends ? Alors, c’est vrai ? Ce serait la CIA qui aurait fait assassiner l’équipe de Charlie Hebdo ? Et on ne m’avait rien dit ? Ce sont des choses qui ne se font pas, monsieur ! On a sa « common decency » (George Orwell), quand même ! Enfin, c’est Thierry Meyssan qui l’a déclaré, vous savez, l’homme si avisé qui pensait que l’histoire du World Trade Center le 11 septembre 2001, c’est tout le monde sauf Ben Laden. C’était d’abord et avant tout la même hideuse CIA qui avait inventé Al Qaïda pour mieux masquer son horrible machiavélisme.
Remarquez qu’Alain Soral, un type presque aussi intelligent, cultivé et avisé que Dieudonné (à moins que ce ne soit l'inverse), sur le site de « Vérité et Réconciliation », association inventée, comme son nom l’indique, pour réconcilier « Français de souche » et « Français issus de l’immigration », suggère que « Mohammed Merah et les frères Kouachi seraient liés aux services secrets français ». Autrement dit : François Hollande a eu la peau de Charlie Hebdo, si j’ai bien compris. « Ah faut reconnaître : c’est du brutal » (Bernard Blier). « Faut quand même admettre que c’est plutôt une boisson d’homme » (Lino Ventura). C’est vrai ça, est-ce bien sérieux, messieurs ?
Parce que tout le monde n’est pas d’accord. Par exemple, le site « Medias-Presse-Info » soutient bizarrement que, Charlie Hebdo étant « partie prenante du système », le système ne peut qu’éliminer ses opposants. J’aimerais comprendre. L’officine « Quenel Plus » va jusqu’à faire d’Hayat Boumedienne, la femme d’Amédy Coulibally, un agent de la DGSE « envoyée en Syrie pour collecter des informations de l’intérieur sur Daech ». Je passe sur les plaisanteries annexes.
Et là je crie : « Halte à la désinformation ! ». Fi des foutaises ! Foin de calembredaines ! Assez de gandoises et de gognandises, les gones (ça c'est pour les Lyonnais) ! Marre de ces illuminés qui lancent les plus folles rumeurs pour se mettre à exister dans les médias ! Marre de ces affabulateurs prêts à inventer les histoires les plus abracadabrantesques pour se faire un pécule en vue de leurs vieux jours par l’exploitation de la crédulité des masses ! Place à la Vérité !
Car il se trouve que je suis, moi, signataire de ces lignes, en mesure de la révéler ! Farpaitement ! Il se trouve en effet que j’étais dans la confidence. Il se trouve que, un soir au bar de la gare, nous discutions, mes amis Cabu, Charb, Oncle Bernard et Wolinski, autour de boissons bien dotées en arguments éthylométriques. Nous parlions, précisément, du sort de Charlie Hebdo.
Tous s’inquiétaient de la baisse des ventes de l’hebdomadaire auquel ils consacraient leur vie. Ils étaient catastrophés face à cette perte d'audience. Secoués à l'idée que, peut-être, il allait falloir, dans un avenir plus ou moins proche, fermer boutique et mettre la clé sous la porte. Je fus frappé par la force du « Jamais ! » qui jaillit de leurs poitrines unanimes. « Plutôt mourir ! », ajoutèrent-ils dans un cri du cœur. Ils étaient sincères. Et sincèrement affectés par la désaffection du lectorat.
C’est à ce moment précis que l’idée germa. Qui la formula le premier ? Je ne sais plus trop. Je n’enfreins aucun serment en la révélant ici aujourd’hui : tous quatre m’ont, avant de mettre leur projet à exécution, demandé expressément de porter sur la place publique les éclaircissements qui vont suivre. Et je dois dire que j’accomplis ce devoir qui incombe à l’amitié que je leur portais (et qu'ils me remboursaient à un taux usuraire) avec détermination, quoiqu’avec le lourd chagrin que me laissait la perspective de leur disparition.
Ce qu’ils ont fait pour ce Charlie Hebdo qu’ils aimaient tant, ce Charlie Hebdo vacillant dont l’existence était menacée par la désertion de ses lecteurs, est, je dois le dire, en tout point admirable. Ce qu’ils ont fait, aucune bête au monde ne l’aurait fait.
La Vérité vraie, la voici. Réunissant leurs petites économies dans le but de sauver leur revue, Cabu, Charb, Oncle Bernard et Wolinski se sont mis en quête des gens qualifiés dont ils avaient besoin. Des gens expérimentés et entraînés, n’ayant peur de rien ni de personne. Par les amis d’amis de quelques connaissances, on leur a présenté deux frères. L’un s’appelait Saïd, l’autre Chérif. Deux solides. Deux durs qui n'avaient plus grand-chose à apprendre dans le domaine des compétences pour lesquelles on faisait appel à eux.
C’est vrai que le prix qu’ils demandaient pour la prestation pouvait sembler dissuasif, mais les compères étaient prêts à tous les sacrifices. Tout le monde fit un effort et l’on arriva à s’entendre. Saïd avait quelques scrupules : et s’il y avait des « dommages collatéraux » ? Mais Chérif assura qu’un contrat est un contrat, qu’il refusait par principe tout dépassement d’honoraires, et que s’il devait se présenter un supplément, il serait pour sa pomme. Il prenait tout sur lui. Les quatre compères apprécièrent cette façon de jouer cartes sur table et d'annoncer la couleur. Une telle éthique professionnelle forçait l'admiration. L’affaire fut faite.
On connaît la suite : les frères Kouachi ont accompli la besogne avec calme, sang-froid et professionnalisme. Il y eut bien quelques pertes, mais elles se produisirent à la marge. Le projet secret des quatre amis a été mené à bien, l’objectif espéré a été atteint et au-delà de toutes leurs espérances les plus folles.
Sur mon honneur, j'atteste que c’est ça la Vérité vraie : Cabu, Charb, Oncle Bernard et Wolinski ont insufflé à Charlie Hebdo une vie nouvelle et triomphale en faisant le sacrifice de la leur. Ils se sont offerts en holocauste pour que vive et perdure Charlie Hebdo. On peut saluer la grandeur magnifique du geste. Ça, c’est de la déontologie ! Prenez-en de la graine, messieurs les journalistes ! Vu la situation générale de la presse quotidienne en France, combien d'entre vous sont prêts ?
Voilà ce que je dis, moi.
Note : ce qui m’a donné l’idée de ce billet est un article du Canard enchaîné de ce mercredi 14, intitulé « Complètement complot », auquel j’ai emprunté les éléments initiaux. Le complotisme me semble tellement un enfantillage que, très franchement, j'ai bien du mal à le prendre au sérieux. Qui est derrière l'événement ? Qui tire les ficelles ? On ne serait pas surpris d'apprendre que les frères Kouachi étaient payés par des extraterrestres.
Je me suis donc permis de broder, en proposant mon propre délire d'interprétation, parce que je ne vois pas pourquoi j'en laisserais le monopole à Thierry Meyssan ou Alain Soral. La fumée un peu épaisse qui sort de ma casserole, quoique dépourvue de CO2, est produite par la combustion d’un carburant neuronal personnel dont j'ignore à ce jour la composition. Merci de votre attention.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : je suis charlie, charlie hebdo, cia, george orwell, thierry meyssan, complotistes, 11 septembre 2001, world trade center, ben laden, al qaïda, alain soral, dieudonné, vérité et réconciliation, mohammed merah, français de souche, frères kouachi, amédy coulibally, françois hollande, les tontons flingueurs, bernard blier, lino ventura, dgse, hayat boumedienne, cabu, charb, wolinski, oncle bernard, bernard maris, saïd et chérif kouachi, le canard enchaîné, boby lapointe, un soir au bar de la gare, journalisme, presse quotidienne, journalistes, holocauste, déontologie
dimanche, 11 août 2013
JOURNAL DES VOYAGES 28
Je suis toujours en vacances, mais ...
… il reste des choses à dire sur l'Afrique, telle qu'elle était aux alentours des années 1880. Oui, nous nous devons d'aborder ici, crânement, l'infâme époque coloniale, où le blanc méprisait stupidement le noir, le jugeant abusivement ignorant, superstitieux, souvent cruel, et où il s'en servait comme d'un outil.
Ce serait tout à fait idiot de nier le fait, de même qu'il est inepte (voire ignoble) de demander, comme le fait l'arrogant Louis-Georges Tin, président (et sans doute unique militant) du Conseil "Représentatif" [représentatif mon oeil !] des Associations Noires (CRAN, appellation abusivement calquée sur "CRIF", mis en place depuis des dizaines d'années par les Juifs), des réparations financières astronomiques pour toute la période colonialiste et esclavagiste, ou à défaut l'interdiction de Tintin au Congo.
Il n'y a pas de petit profit. Il n'est pas seul à vouloir se servir de l'histoire pour tenter de palper de la pépette, Louis-Georges Tin. Qui oublie bien volontiers que les premiers à avoir réduit des Noirs en esclavage furent des Noirs.
Et que si les Blancs ont pu sans problème s'approvisionner durablement, à Gorée ou ailleurs, c'est que des Noirs n'avaient rien de plus pressé que de leur vendre d'autres Noirs, leurs « frères de couleur ». L'esclavage était fondé sur les principes du commerce : si les Blancs, et bien avant eux les Arabes, ont pu acheter des Noirs, c'est que des Noirs vendaient des Noirs. Il n'y a pas de demande s'il n'y a pas d'offre.
A cet égard, la réaction que j'ai aujourd'hui quand je lis certains propos de voyageurs de l'époque du Journal des Voyages me rassure : les auteurs de ces propos seraient aujourd'hui condamnés, avec mon adhésion, tant leurs propos sont tombés dans l'opprobre du ruisseau (Boby Lapointe), en correctionnelle, séance tenante, pour "incitation à la haine raciale", ou autre motif judiciaire.
Les temps ont irréversiblement changé. J'y reviendrai peut-être, parce qu'il est bon que nous sachions d'où nous venons, même si le présent est actuel, et que le passé est révolu. Il est bon de voir qu'un business prospère s'est développé sur les notions de « blessure mémorielle » et de « culpabilité historique », donnant lieu à « repentance » et surtout à « indemnisation ».
Et que les enfants ne sauraient être considérés comme coupables des crimes de leurs pères. D'ailleurs et heureusement, n'est-ce pas un Français (dont le nom a servi à baptiser la capitale d'un pays africain) qui a libéré des noirs esclaves, comme le montre l'illustration ci-dessous ?
A la rigueur, le colon pouvait considérer le noir comme un animal de trait, tout dévoué au service du seigneur à la peau claire. Le noir, en effet, ne demandait pas mieux que de tirer la calèche de ces messieurs, quand il leur prenait l'envie d'aller à la chasse aux papillons et autres insectes.
Je propose par-dessus le marché à la méditation de Louis-Georges Tin le document suivant, imprimé en 1946.
Il est tiré d'une publication missionnaire, intitulée Père, parlez-nous de votre Afrique, et pleine de choses délicieuses. Mon Dieu, le brave curé que voilà.
"Moteurs à bananes", riche expression.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : journal des voyages, esclavage, noirs, afrique, louis-georges tin, cran, esclaves, côte des esclaves, dahomey, gorée, boby lapointe, incitation à la haine raciale, repentance, tintin, hergé, savorgnan de brazza, missionnaires
vendredi, 26 octobre 2012
BOBY LAPOINTE EST VIVANT
Pensée du jour : « Un homme qui ne boit que de l'eau a quelque chose à cacher à ses semblables ».
CHARLES BAUDELAIRE
Tout le monde connaît BOBY LAPOINTE. Ne serait-ce que pour l’avoir entendu à la radio. Le malheur, c’est que les deux chansons qui reviennent immanquablement sur les ondes hertziennes sont toujours les mêmes : Aragon et Castille et Framboise. Ajoutons La Peinture à l’huile. Vous en voyez d’autres ? Moi pas. Ou alors, à la rigueur, dans des émissions exclusivement consacrées à la « bonne chanson » ou à l’ami LAPOINTE en personne. JACQUES ERWAN, HELENE HAZERA ou PHILIPPE MEYER lui ont fait une place, c’est sûr, mais en dehors ? Franchement ? Si peu que rien.
Vous savez pourquoi ? Parce que BOBY LAPOINTE est l’auteur de chansons « difficiles ». Un auteur « à texte » de chansons « à texte ». Qui ne s’écoutent pas comme les rengaines sentimentales du tout-venant commercial, sempiternel et sans cesse du pareil au même. C’est vrai qu’il faut suivre. Car chez LAPOINTE, ce sont les acrobaties verbales qui font la joie de l’élite des connaisseurs.
Une élite dont les membres se reconnaissent au surgissement, au détour d’une conversation, de formules du genre : « Ô ma Lydie, tu hantes Mes rudes rêves au lit » (Aubade à Lydie en do). C’est vrai qu’accéder au mystère (allez, je vous le livre : « Ô ma Lydie tu hantes Mes rues de Rivoli ») suppose d’avoir été initié et, pour le moins, d’avoir suivi l’apprentissage.
Le mien, d’apprentissage, a commencé assez tôt. J’habitais chez mes parents, rendez-vous compte. Sans ça, je n’aurais jamais pu voir apparaître à la télévision, faute d’avoir jamais eu en ma possession un tel appareil, cet hurluberlu à tête d’ahuri jouisseur qui venait chanter dans je ne sais plus quelle émission (le « Discorama » de DENISE GLASER ?), un de ses meilleurs textes (à mon sens) : Saucisson de cheval.
J’atterrissais sur une planète inconnue. Disons que ça a fait « tilt » (comme on disait du temps du « flipper » et autres « babasses »). Un tilt aidé par les "uuuuuuuu" que BOBY LAPOINTE poussait entre deux strophes, censés figurer un hennissement.
Imaginez un type impassible, un genre de BUSTER KEATON, mais dans la chanson, avec le même genre de jeu de scène et de mimiques : autrement dit, néant. BOBY LAPOINTE est un bloc, qui articule les paroles, mais qui ne fait rigoureusement aucun effort de séduction. C’est trop lui demander. Il est filmé debout, immobile. Et quand arrive la dernière strophe, il s’assied sur le tabouret placé là, toujours impassible : « Je désirais m’achoir (de ch’val), et tu m’amenas au (de ch’val) canapé en rotin (de ch’val) » (ne comptez pas sur moi pour traduire, je l’ai dit, il faut suivre).
L’Aubade à Lydie en do (voir ci-dessus) est un petit chef d’œuvre grivois : « Au p’tit matin après une escapade, Elle se dévêt en dansant avec grâce Sans remarquer qu’un vieux voyeur en face Fait "glot-glot" avec sa glotte Qui tressaute Lorsque saute la culotte Que Lydie ôte ». C’est sûr que, si on n’est pas sensible au jeu avec les mots, tout ça tombe à plat. Personnellement, je trouve que « Lydie ôte » (prononcer vite en ôtant l’accent sur le o) reste une référence, de même que le « Lydie aussi » terminal.
La pauvre Lydie a des tantes qui la poussent à épouser son soupirant, mais « c’est vrai que c’est faux de croire que les tantes acculent leur nièce à cette union ridicule ». Je ne déteste pas « tantes acculent ». Ajoutons, pour faire bonne mesure « la fleur d’amour qui le mettait en transes, Napolitaine aux yeux de firmament … ». Et puis « j’aime mieux les yeux rares de Lydia que le curare de Lucrèce Borgia ». Un « curare » comme celui-là, décrypté comme il faut, j’en reprendrais bien une louche.
Le début de Marcelle est tonitruant : « Elle a l’œil vif, la fesse fraîche et le sein arrogant, L’autre sein, l’autre œil et l’autre fesse itou également ». Je n’y peux rien, je ris. Les ambiguïtés de Comprend qui peut sont savoureuses : « Il sait de quoi j’ai envie Il n’est pas si bête, Il sait que c’est de son vi-Goureux corps d’athlète », « C’est comme s’il avait devi-Né ce dont j’ai envie. Je dirais même qu’il a si vi-Goureux appétit Que je jurerais parfois qu’il a divi-Nement Fait tout ce qu’il faut faire pour mon con-Tentement ». Là je vous aide.
J’espère que c’est clair. Tiens, en prime : « J’aime son heu-reux caractère ». Et là, pas besoin de triturer l’orthographe, la liaison suffit. J’admets qu’il faut avoir l’esprit mal tourné. Mais c’est pareil dans la contrepèterie : il faut avoir un minimum de vocabulaire, disons, « convivial ». Ça vous va ?
Une personne prénommée J. aimait particulièrement : « Mon père est marinier dans cette péniche. Ma mère dit : "La paix niche dans ce mari niais". Ma mère est habile, Mais ma bile est amère, Car mon père et ses verres Ont les pieds fragiles ». Je l’approuve « de deux ouïes », pour m’exprimer comme La Maman des poissons. Je l’approuve aussi pour From two to two to two two, et sans hésitation : « De deux heures moins deux à deux heures deux ». Soit dit sans parti pris outrancier, le monsieur est inimitable.
Tiens, prenez le Tube de toilette : « J’apprécie quand de toi l’aide Me soutient cela va beau-Coup plus vite c’est bien la vé-Rité, ça nous le savons ». Devinette : dans le dessin, petit ami, retrouve un « gant de toilette », un « lavabo », un « lavé », un « savon ». Toute la chanson est comme ça. Appelons ça des « à-peu-près ». La fontaine à jeu de mots se met à couler après la phrase : « Le dernier mot qui t’a servi était "ponds-je" ». « Serviette éponge » est le premier.
Andréa c’est toi (« entre et assieds-toi ») mérite un détour. L’Ami Zantrop vaut un voyage : « C’est notre ami Zantrop ». Un arrêt respectueux avec inclinaison du haut du corps devant le Saucisson de cheval n° 2 : « Dans notre petit home (de ch’val) J’ai vu c’est infâme (de ch’val) Ma belle-mère de Grasse (près de Nice) Et vot’père de Houilles (en banlieue) ». Il y aurait encore à dire de T’as pas t’as pas tout dit, de Ta Katie t’a quitté, du Papa du papa (qui s’achève sur : « Yvan-Sévère-Aimé Bossac de Noyau Depêche ».
Il faudrait s’arrêter un instant sur L’Hélicon : « Eh bien y a ton amie Elie, Qui n’est pas très intelligent, Si tu veux, va jouer avec lui. – Non maman c’est pas ça le vrai instrument, Moi je veux jouer de l’hélicon ». Deux instants pour assimiler et goûter les innombrables (et inextricables) allitérations et assonances de Méli-mélodie.
Il est évident qu’il faudrait faire plus long pour faire le tour (et encore !). Mais je ne voudrais pas finir cet hommage au grand BOBY LAPOINTE (« Est-ce plus loin de Pézenas, je ne sais pas »), sans citer un de mes refrains préférés, celui de Je suis Né au Chili :
« Et je veux rendre à ma façon grâce à votre graisse à masser.
Votre saindoux pour le corps c’est ce que mes vers pour l’âme sont.
De tout ce qu’à ma peau me fîtes, combien fus-je épaté de fois !
Combien à vous qui m’épatâtes mon bon petit cœur confit doit ! ».
Il y a ici de quoi se régaler, pour qui sait lire entre les mots.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : charles baudelaire, poésie, littérature, boby lapointe, chanson, humour, aragon et castille, framboise, la peinture à l'huile, jacques erwan, hélène hazéra, philippe meyer, aubade à lydie en do, discorama, saucisson de cheval, buster keaton, marcelle, comprend qui peut, la maman des poissons, tube de toilette, ta katie t'a quittée, l'hélicon
lundi, 21 mai 2012
DU RABELAISISME GARGANTUESQUE
Décidément, je n'y peux rien. Incorrigible : derrière le masque solennel et majestueux des toges des cérémonies officielles, je vois la trogne de Bérurier. Il m'est impossible de concevoir le philosophe ou le penseur abîmés dans le sérieux de leurs abstractions sublimes autrement que vêtus du nez rouge de l'Auguste et chaussés de pataugas de quarante centimètres. Chaque fois que j'ai été confronté à un jury, je me suis efforcé de les imaginer assis sur la cuvette de leurs WC. Je vous assure que ça relativise.
C'est ce vent-là (pardon pour le rapprochement) qui oriente ma girouette dans la direction du FRANÇOIS VILLON de : « Je suis François, dont il me poise, Né de Paris près de Pontoise, Et de la corde d'une toise Saura mon col que mon cul poise ». Le « col » n'est pas si éloigné du cul. Qu'est-ce qu'une pensée sans le corps ? C'est maigre, décharné, inconsistant. C'est aussi pour ça que je regarde vers BEROALDE DE VERVILLE et son Moyen de parvenir. Et donc, bien entendu, vers RABELAIS, qui fait figure de seigneur et maître sur le territoire où la plus haute culture n'est pas l'ennemie de la bonne vie.
Il n’y a pas que Panurge, dans RABELAIS. Dans l’ordre généalogique, si l’on peut dire (car R. est friand de généalogie, et de la plus réjouissante, je vous garantis), il y a d’abord Grandgousier, dont on ne peut faire mentir le nom, comme bien vous vous doutez. Mais pour la paillardise aussi, on est servi.
« En son âge viril épousa Gargamelle, fille du roi des Parpaillos [un roi païen, à l’époque, d’où « parpaillot »], belle gouge et de bonne trogne, et faisaient eux deux souvent ensemble la bête à deux dos, joyeusement se frottant leur lard, tant qu’elle engraissa d’un beau fils et le porta jusqu’à l’onzième mois. » Eh oui, encore un legs de RABELAIS : ah, la « bête à deux dos », quelle trouvaille ! C'est quand même mieux que la position du missionnaire.
L’histoire des onze mois que dure la grossesse, c’est aussi histoire de broder des fantaisies : RABELAIS en déduit juridiquement la légitimité des enfants nés onze mois après la mort du mari : « Moyennant lesquelles lois, les femmes veuves peuvent franchement jouer du serrecropière [besoin de traduire ?] à tous envis et à toutes restes [à toute berzingue et à tout va], deux mois après le trépas de leurs maris ». On ne se demande plus pour quelle mystérieuse raison l’adjectif « rabelaisien » est passé dans la langue.
Et l’auteur ajoute même : « Je vous prie par grâce, vous autres, mes bons garçons, si parmi elles vous en trouvez qui vaillent qu’on se débraguette, montez dessus et me les amenez. Car, si au troisième mois elles engraissent, leur fruit sera héritier du défunt ; et, une fois la grossesse connue, qu’elles poussent hardiment outre, et vogue la galère, puisque la panse est pleine ! – comme Julie, fille de l’empereur Octave [Auguste], ne s’abandonnait à ses « tambourineurs » sinon quand elle se sentait grosse, pour la raison que le navire ne reçoit son pilote que premièrement il ne soit calfaté et chargé ». Elle est pas belle, la vie, quand on la comprend de cette façon ? Si ce n’est pas ça, le jovial, j’y perds mon latin et mon grec. Je vous assure qu’on ne trouve pas ça dans Lagarde et Michard.
Il ne faut évidemment pas oublier la tripaille. « De ces gras bœufs, avaient fait tuer trois cent soixante-sept mille et quatorze pour être à mardi gras salés, afin qu’au printemps ils eussent bœuf de saison à tas pour, au commencement des repas, faire commémoration de salures et mieux entrer en vin ». « Entrer en vin », parfaitement.
Et Gargamelle a de l’appétit, vous pouvez m’en croire, et elle mange, ce jour-là, tant et plus, malgré les conseils de modération de Grandgousier son époux : « Nonobstant, ces remontrances, elle en mangea seize muids, deux bussards et six tupins. O belle matière fécale qui devait boursoufler en elle ! ». Qu’on se le dise, RABELAIS n’a pas peur d’appeler les choses par leur nom.
La naissance de Gargantua ne manque pas d’originalité non plus. Les sages femmes se précipitent aux cris de Gargamelle : « et, la tâtant par le bas, trouvèrent quelques pellauderies d’assez mauvais goût, et pensaient que ce fût l’enfant ; mais c’était le fondement qui lui escapait, à la mollification de l’intestin droit, que vous appelez le boyau cullier, pour avoir trop mangé de tripes, comme nous avons déclaré ci-dessus ».
Une vieille lui fait boire une potion tellement astringente que le col se ferme hermétiquement, ce qui pousse l’enfant à traverser successivement la matrice, la veine creuse, le diaphragme jusqu’au-dessus des épaules, à prendre alors « à main gauche », comme on dit, et à sortir par l’oreille du même côté (« l’oreille senestre »). « Soudain qu’il fut né, ne cria pas comme les autres enfants "Mies ! Mies !", mais à haute voix s’écriait : "A boire ! A boire !" ».
Et le père, entendant son fils vociférer à tous les diables, le baptise au moment même : « Il dit :"Que grand tu as !". Ce qu’entendant, les assistants dirent que vraiment il devait avoir par cela le nom de Gargantua, puisque telle avait été la première parole de son père à sa naissance ». Et RABELAIS ajoute : « Et si ne le croyez, que le fondement vous escappe ! ».
Je passe sur l’enfance, l’adolescence, la vêture, les « chevaux factices » de Gargantua, pour en venir au chapitre 13 : « Comment Grandgousier connut l’esprit merveilleux de Gargantua à l’invention d’un torchecul ». C’est, dit-il à son père, « le plus seigneurial, le plus excellent, le plus expédient qui jamais fut vu ».
On peut dire qu’il aura tout essayé : le « cachelet de velours d’une damoiselle », le « chaperon » d’une autre, qu’il trouve tous deux d’une « volupté bien grande » ; des « oreillettes de satin cramoisi », « mais la dorure d’un tas de sphères de merde qui y étaient m’écorchèrent tout le derrière ; que le feu de Saint Antoine brûle le boyau cullier de l’orfèvre qui les fit et de la damoiselle qui les portait ».
Après le cache-col et le bonnet de page, il fiente derrière un buisson et, trouvant un « chat de mars », l’essaie, « mais ses griffes m’exulcérèrent tout le périnée ». Le lendemain, il essaie avec les gants de sa mère, parce qu’ils sont « bien parfumés ». Il passe ensuite en revue divers végétaux, du fenouil à la feuille de courge en passant par la sauge et la laitue.
A retenir : évitez la consoude, parce qu’elle donne la colique « la caquesangue de Lombard, dont je fus guéri en me torchant de ma braguette ». Il faut savoir que ce qu’on appelait la braguette était une pièce à part entière, saillant par-devant, du vêtement masculin, retenue à celui-ci par des attaches. Gargantua essaie ensuite les draps, la couverture, les rideaux, un coussin, un tapis : « En tout je trouvai de plaisir plus que n’ont les rogneux quand on les étrille ».
Passons sur quelques autres moyens (il en cite quand même au total 57, j'ai compté), et venons-en au fin du fin, au nec plus ultra, à l’excellent, au supérieur. Après avoir digressé en récitant des vers qu’il a ouï « réciter à dame grand que voyez ici, je les ai retenus en la gibecière de ma mémoire », Gargantua revient, à l’invitation de son père, à son « propos torcheculatif ». Auparavant, une mention particulière au chapeau de poil, « car il fait très bonne abstersion de la matière fécale ».
« Mais, concluant, je dis et maintiens qu’il n’y a tel torchecul que d’un oison bien duveté, pourvu qu’on lui tienne la tête entre les jambes. Et m’en croyez sur mon honneur. Car vous sentez au trou du cul une volupté mirifique tant par la douceur d’icelui duvet que par la chaleur tempérée de l’oison, laquelle facilement est communiquée au boyau culier et autres intestins, jusqu’à venir à la région du cœur et du cerveau.»
Je terminerai cet épisode rabelaisien juste au moment où les choses se gâtent à cause de la dispute imbécile que les fouaciers de Lerné font à ceux du pays de Gargantua, qui déclenchera la colère du roi Picrochole et sa guerre contre les forces du géant (dont il aura à se repentir, disons-le tout de suite). « Picrochole », c'est la bile amère (BOBY LAPOINTE le dit bien : « Ma mère est habile, mais ma bile est amère »).
Pendant que les premiers événements se produisent en Touraine : « Or laissons-les là et retournons à notre bon Gargantua qui est à Paris, bien ardent à l’étude des bonnes lettres et exercices athlétiques, et le vieux Grandgousier, son père, qui après souper se chauffe les couilles à un beau, clair et grand feu et, attendant que grillent des châtaignes, écrit au foyer avec un bâton brûlé d’un bout dont on escharbotte le feu, faisant à sa femme et famille de beaux contes du temps jadis ».
Les lycéens, vous verriez s’ils s’y mettraient, à la lecture, s’ils trouvaient ça dans Lagarde et Michard. Mais chut ! Retirons-nous sur la pointe des pieds. Ce sera tout pour aujourd’hui.
Voilà ce que je dis, moi.
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samedi, 05 mai 2012
DES NOUVELLES DE TCHERNOBYL
Pas la peine de refaire l’histoire : Tchernobyl est le petit nom de la catastrophe, Fukushima pourrait être le nom de famille. Tout le monde connaît le jeu des 7 familles : dans la famille Catastrophe, je demande ... Donc, tout le monde connaît le petit garçon nommé Tchernobyl Fukushima, un sacré morveux, un galapiat capable de toutes les facéties, y compris les pires. Comme le chantent les Quatre Barbus (texte de FRANCIS BLANCHE) : « Il montrait à tous les passants son Cul-rieux esprit compétent ».
Vous avez reconnu Jérémie Victor Opdebec, immortel inventeur de la pince à linge, célébré dans l’hymne commençant par Pom-Pom-Pom-Pom, point-point-point-trait, le V de la victoire en alphabet morse, vous savez, « ici Londres, les Français parlent aux Français », sur un air bien connu de BEETHOVEN (la symphonie en ut mineur, la n° 5, celle qui a eu sa préférence jusqu'à la fin).
Et comme le chante BOBY LAPOINTE : « On l’a mené à l’hôpital Pour le soigner où il avait mal. Il s’était fait mal dans la rue, mais on l’a soigné autre part. … Et il est mort ! ». Eh oui, le petit Tchernobyl Fukushima est désormais un cadavre. Mais un cadavre pas comme les autres. Un cadavre éminemment précieux entre tous. Une sorte de roi, de prince oriental. Disons une sorte de PHARAON, et n’en parlons plus.
Allez, vous me voyez venir avec mes gros sabots. Mais c’était trop évident pour y échapper : le SARCOPHAGE. Rien que l’idée de donner ce nom à la première enceinte de confinement, c’est vraiment une drôle d’idée. Pour une raison simple : « sarko » (désolé, je n’y peux rien, c’est du grec : σαρξ, σαρκος, je passe les accents) veut dire « chair », et « phage », « manger ».
Le sarcophage est supposé manger la chair du mort. C’était une belle idée, mais parce que c’était l’antiquité, le temps des momies (« c'est le temps de l'amour, le temps des copains et de l'aventure », chantait FRANÇOISE HARDY) et du respect des morts : on les mangeait. Aujourd’hui ? Ça fait curieux. Parce que la chair atomique, franchement, très peu pour moi. Je ne suis pas doué pour être sarkophage. L'Atomic Sarko est proprement immangeable. Je n’ai pas envie de m’empoisonner.
JE L'AI PERDU DANS MON GRAND LIT,
MON DIEU QUEL HOMME QUEL PETIT HOMME !
(chanson pour enfants, qu'ils disent!)
J’ai dit « la première enceinte », parce qu’il va y en avoir une seconde, pour remédier aux faiblesses de l’autre, qui laisse échapper, paraît-il, des tas de choses pas bonnes pour la santé (150 m² sont à ciel ouvert). Pourtant, à voir de loin, ça a l’air d’être du sérieux, cette enceinte en métal et béton.
SARKOPHAGE N° 1
Le cadavre est dans le placard, mais la porte ferme mal ? Il faut mettre le placard dans un placard plus grand, ça a l'air logique, comme ça. C’est ce qui se dessine. Les journaux appellent ça un « sarcophage géant ».
Un gadget fut en faveur, un temps, dans les cuisines : le « sac à sacs », vous savez, ces choses informes pendues à je ne sais quoi. Eh bien, à Tchernobyl, c’est la même chose, un « placard à placard », sauf les dimensions. Pour donner une idée : 400 pieux métalliques d’un mètre de diamètre. La construction pèsera 30.000 tonnes. Quatre fois la gringalette Tour Eiffel, il paraît.
L’épaisseur de la paroi extérieure ? Soixante centimètres (mais je lis ailleurs « une double peau de douze mètres d’épaisseur », il faudrait savoir). Elle a intérêt à être étanche, à ce prix-là. Le contrat garantit l’étanchéité pendant un siècle. Après ? Démerdez-vous !
Et, « l’as
botte not’liste » (« pardon my english », comme dit GEORGE GERSHWIN dans sa pochade musicale, mais qui fait passer un très bon moment), l’ensemble aura une hauteur de 108 mètres. La Statue de la Liberté pourrait y tenir debout. Mais je demande : est-il raisonnable de déplacer la Statue de la Liberté dans une centrale nucléaire en ruine ?
Cela m’inspire une question : est-ce que l’homme était assez fort pour déclencher la puissance de l’atome ? Est-ce que l’homme a la dimension de l’atome ? Est-il raisonnable de se mettre dans l’obligation de soigner la maladie nucléaire fulgurante dont un géant est atteint, qui risque de contaminer tout le monde ?
Certains diront : c’est déjà fait. J’en conviens. Ben oui : c'est trop tard. On attendait GROUCHY, c'était BLÜCHER. On a appelé ça Waterloo. Côté Tchernobyl, et je ne parle pas de Fukushima, le Waterloo est encore devant nous. Et Waterloo, vu la longévité humaine, sera toujours devant nous. La défaite de Waterloo érigée en état permanent, l'homme n'en a pas rêvé, et Sony ne l'a pas fait. L'industrie nucléaire, si.
Car le problème, c’est que le cadavre de ce géant n’est pas mort, il bouge encore, et pour longtemps. Pas loin d’être éternel, même. Après tout, c’est ce que je me dis, c’est peut-être un dieu qui est étendu, là-bas, à Tchernobyl. Le dieu Atome en personne. C’est peut-être une cathédrale, qu’on lui construit. Mais une drôle de cathédrale, où il serait interdit à la foule de pénétrer pour déclamer des prières et chanter des cantiques en l’honneur du dieu Atome. Quelle époque étrange, quand même !
Pas moins de vingt-trois portes blindées de 8 mètres sur 8 sépareront la divinité du monde extérieur. Il n’est pas question de laisser les fidèles recevoir l’onction sainte : c’est comme dans l’Egypte ancienne, où seuls les prêtres ont le droit d’approcher la statue du dieu. Eux seuls auront le privilège d’être contaminés par le cœur brûlant de l’Etre Suprême (« Ave ROBESPIERRE, ceux qui vont mourir pour l'Atome te saluent »). Ils sont supposés en tirer une connaissance secrète, strictement réservée aux initiés.
Eh bien moi, je vais vous dire : cette connaissance secrète, je la leur laisse, aux prêtres, encore que, pour le démantèlement de la statue du dieu, il soit prévu d’utiliser au maximum des robots, vils êtres sans conscience, inaccessibles à la majesté de la métaphysique nucléaire et à la sublimité du culte qui entoure le dieu Atome depuis sept décennies. Non, décidément, l’homme n’est pas à la hauteur de la divinité, et ne mérite pas tous les bienfaits que celle-ci déverse sur sa tête avec l’abondance de sa générosité infinie.
Rendez-vous compte, rien que pour commencer à travailler, il a fallu décontaminer neuf hectares, couler 25.000 m³ de béton sur trente centimètres d’épaisseur, déblayer 55.000 m³ de matières contaminées et 135.000 m³ de matériaux « propres » sur quatre mètres de hauteur. Tiens, c’est vrai ça, l’histoire ne dit pas où on a mis tout le contaminé. J’espère qu’il n’ont pas fait comme le Sapeur Camember, du grand GEORGES COLOMB, alias CHRISTOPHE, qui doit creuser un trou pour y enfouir la terre du trou qu’il a creusé auparavant pour y mettre la terre du trou …
Bref, tout ça ne semble guère raisonnable, de la part de personnes qui – prises individuellement – ont depuis longtemps passé l’âge de raison, mais qui collectivement s’encouragent à courir plus vite. Vers où ? Le Monsieur Prudhomme de HENRI MONNIER a déjà répondu (autour de 1850) : « On ne va jamais plus loin que lorsqu’on ne sait pas où l’on va ».
Il est vrai que les trouvailles de Monsieur Prudhomme sont nombreuses et réjouissantes : « Regarde, mon fils, la sagesse de la nature, qui a fait passer les rivières au milieu de nos villes » ou : « Si Napoléon était resté officier d’artillerie, il serait encore sur le trône ». Bon, ça n’a rien à voir avec Tchernobyl. Je sais. Et alors ?
De toute façon, rien ne vaudra jamais cette maxime qui permet à l'humanité de survivre en milieu hostile :
Voilà ce que je dis, moi.
Nous mourrons rassurés.
09:42 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écologie, atome, énergie nucléaire, catastrophe nucléaire, tchernobyl, fukushima, quatre barbus, francis blanche, beethoven, boby lapointe, pharaon, sarcophage, nicolas sarkozy, tour eiffel, gershwin, waterloo, sapeur caamember, christophe, georges colomb, henri monnier, monsieur prudhomme
mercredi, 07 mars 2012
LA SAINTE TRINITE DES ECOLOGISTES (suite)
Résumé : quelques héros des temps modernes ont décidé au péril de leur vie de reconquérir les campagnes désertées depuis l'exode rural. C'est difficile. A cause du bouton électrique qu'on ne peut pas s'empêcher d'actionner chaque soir quand il fait sombre. C'est plus qu'un fil à la patte : c'est un cordon ombilical. Comment pourrait-on se défaire du progrès technique ? Telle est la question, mon cher Watson.
Autant dire qu’elles (les choses) font partie de nous, et que s’en séparer reviendrait à s’amputer. On pourrait presque soutenir, dans bien des cas, que l’humain est devenu la prothèse de ses gadgets techniques. Vivement un bon stage de survie en milieu hostile, organisé pour tout le staff de l’entreprise, qu’on puisse se confronter aux conditions de vie et aux épreuves les plus rudes, et retrouver le vrai sens de l’existence. Ça nous rappellera les paras. Eventuellement sous l’œil d’une caméra de Koh Lanta. Avant de retrouver, content de soi, mais content que ce soit fini, le canapé et le four à micro-ondes.
L’avers de la médaille, c’est donc une vie rurale restaurée dans ses « fondamentaux », une vie collective réhabilitée, mais sans les pesanteurs paysannes d’autrefois, il ne faut pas exagérer. On a gardé le goût libertaire pour le partage des valeurs, des joints et des femmes (là non, j’exagère d’exagérer et j’abuse d’abuser, quand même, que c’en est odieux et caricatural, mais je pense à certains reportages anciens de Cabu sur les « communautés » installées en Ardèche, reportages qui ne dédaignaient pas de donner là-dedans, ne serait-ce que pour rigoler).
Le revers de la médaille, eh bien, c’est toujours ce foutu cordon ombilical qui nous lie à la société. C’est pénible à avouer, mais personne n’est vraiment arrivé à le couper. Les plus drôles, à cet égard, sont ceux qui reviennent régulièrement sur les plateaux de télévision pour dire qu’ils l’ont coupé, eux, le cordon ! Voyez le sieur Antoin, des lunettes je ne sais plus quoi, rescapé régulier des Maldives (à moins que ce ne soit des Marquises, de toute façon, il y a beaucoup trop d’eau pour moi).
C’est tout le débat qui eut lieu en Corse à une époque : à côté de ceux qui se contentaient de vivre comme ils pouvaient et de ceux qui étaient ravis d’engranger les subventions, il y avait les modérés, partisans de l’autonomie, et les jusqu’auboutistes, fervents défenseurs de l’indépendance.
Soit dit en passant, il y avait les cumulards, autonomistes ou indépendantistes, qui ne poussaient pas le militantisme jusqu’à refuser les subventions. Il a bien fallu en rabattre, sur les ambitions premières, et se contenter d’une autonomie relative. Les « moines-ermites » de l’écologie, ils en sont là.
Comme « il faut bien vivre, mon pauv’monsieur », on trouve un boulot dans le coin, dans le « milieu associatif », dans le secteur qu’il est convenu d’appeler « économie sociale et solidaire ». Je schématise, mais il y a de ça. Parce qu’un vrai métier, ça occupe de vraies journées bien remplies. Et ça suppose des répartitions des rôles moins consensuelles. Je suis méchant, je sais. J'ai mauvais fond, que voulez-vous. Mais ce n’est pas complètement faux, quand même.
Parce que, dans ce qui reste du cordon ombilical, le fluide vital qui circule et dont on n’aime pas parler, ce n’est rien d’autre que le salaire, indispensable pour se payer les allumettes en vue de la flambée du soir et les abonnements au réseau internet et au téléphone portable. Il y a aussi l’eau et l’électricité, sans doute l’essence, bref, les conditions du maintien sur place. L’argent, quoi.
Le choix du « Fils », ce choix de « descendre sur terre », de s’incarner dans la figure du « néo-rural », je le respecte. Ce n’est pas le mien, mais il ne me dérange en rien, puisqu’il ne me demande rien. Je le respecte d’autant plus qu’il suppose un tas de renoncements divers, sans doute coûteux. Ce qu’on appelle les « commodités » offertes par la ville, les facilités apparentes – il faudrait plutôt parler des tentations constantes. Le « mouvement », la vitesse, le bruit, le nombre, les meubles ikea, qui donnent l’impression d’être la vie, et qu’on a tendance à prendre pour la vie.
Je le respecte, ce choix, mais je ne peux m’empêcher de penser qu’il consiste, d’une certaine manière, à biaiser. « Puisque je ne peux pas changer le monde, dit cet écologiste-là, je vais changer de vie ». Pourquoi pas ? Biaiser, je ne suis pas contre a priori. Comme le chante Boby Lapointe : « Ça ne me mettait pas à l’aise De la savoir Antib(i)aise, Moi qui serais plutôt pour ».
Mais que faire, quand se profile à l’horizon un aéroport pharaonique, comme par exemple, et depuis lurette, à Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), sous les auspices du « socialiste » Jean-Marc Ayrault, camarade d’un certain autre « socialiste » du nom de François Hollande ? Le monde ne se laisse pas facilement oublier. La marée montante du « monde » guette le moindre « îlot de verdure ». Même si c’était une citadelle.
Moralité : l’écologiste du genre « moine-ermite », il fait rien qu’à biaiser.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écologie, politique, environnement, koh lanta, cabu, néo-ruraux, autonomie, indépendance, jean-marc ayrault, françois hollande, notre dame des landes, boby lapointe
dimanche, 01 janvier 2012
AU FIL DE "LA RECHERCHE" (2)
COMBRAY, EPISODE 2
Le deuxième chapitre commence sur « madame Octave », la tante Léonie du petit Marcel, qui ne quitte plus sa chambre, voire son lit, qui demande sans cesse à la bonne de monter pour lui dire qu’elle a vu passer dans la rue un chien ou une jeune fille qu’elle ne connaissait pas. La bonne, c’est Françoise, qui fait alors des hypothèses auxquelles la tante réagit par des « je crois bien ! » quand elle n’y croit pas du tout, et des « à moins de ça ! » quand elle pense que la solution est là, à laquelle elle n’avait pas pensé. J'aime beaucoup ce "à moins de ça".
Tante Léonie est visiblement un personnage de caricature. Comme Françoise la cuisinière. D’ailleurs, en dehors du père et de la mère, quels personnages ne sont pas caricaturaux d’une manière ou d’une autre ? MARCEL PROUST est un écrivain féroce, dont les longues caresses syntaxiques et stylistiques sont enduites de curare (à comprendre au sens de BOBY LAPOINTE : « Ben, si c'est rare, j'aime mieux les yeux rares de Lydia que le "cu-rare" de Lucrèce Borgia ».
Françoise qui ne fait que des asperges au déjeuner ! On saura plus tard pourquoi. Marcel fait l’éloge de cette domestique qui a une sorte de vénération pour la famille de ses maîtres. Puis il décrit minutieusement et amoureusement l’église de Combray, du 11ème siècle roman, avec des vitraux, une crypte, un porche, enfin tout ce qu’il faut pour faire une église. Il décrit en particulier des pierres d’angles bizarrement sculptées par le temps, comme j’en ai vu en Bretagne.
Il en parle ensuite de l’extérieur, quand on arrive par le train, quand on la voit de loin, quand le petit Marcel la voit de sa chambre (juste la base du clocher). Enfin bref, on aura mangé de l’église de Combray comme s’il en pleuvait. PROUST est certainement un monument, mais ses comparaisons à la manière de L’Iliade, ça lasse vite. On sait qu’il la connaît à peu près par cœur, ou pas loin.
Ou alors c’est moi qui passe à côté de l’essentiel. Tiens, goûtez-moi cette formule : « Mais (surtout à partir du moment où les beaux jours s’installaient à Combray) il y avait bien longtemps que l’heure altière de midi, descendue de la tour de Saint-Hilaire qu’elle armoriait des douze fleurons momentanés de sa couronne sonore, (…) ». Vous n’avez pas l’impression qu’il en rajoute ? Moi, je dis : trop, c’est trop.
Il revient ensuite à tante Léonie, dont tout le monde, y compris dans le village, a renoncé à corriger l’hygiène de vie, considérée comme désastreuse, car limitée à son lit d’observation. « Est-ce que madame Mézerat est arrivée à la messe avant l’Elévation ? », c’est la grande question qu’elle brûle de poser à Eulalie, quand ce satané curé sera reparti, après sa foutue leçon d’étymologie sur les noms de lieux du coin. Elle aurait bien voulu le refuser, mais ce sont des choses qui ne se font pas ! Du coup, elle est tellement fatiguée qu’elle est obligée de demander à Eulalie de partir aussi, avant d’avoir posé sa question, la seule chose importante qu’elle avait à lui dire.
On a l’histoire de l’oncle Adolphe et de sa brouille avec la famille de Marcel. En train de lire dans le jardin, à côté d’une petite bâtisse où cet oncle logeait quand il venait à Combray, il se souvient d’une visite impromptue qu’il lui avait rendue un jour à Paris. Trouvant une voiture attelée devant chez lui, il sonne quand même. Et c’est une voix féminine qui demande à l’oncle de le laisser entrer.
C’est une « cocotte ». L’oncle n’est pas très content, mais le laisse entrer. Il aime en effet le milieu du théâtre et les petites femmes qui y évoluent. Il demande à Marcel, au départ de celui-ci, de ne rien dire. Marcel raconte évidemment tout dans le moindre détail, ce qui provoque évidemment un clash, car les parents sont à cheval sur la morale.
On revient dans la cuisine de Combray. La fille de cuisine est enceinte jusqu’aux yeux. S’ensuivent diverses considérations sur des fresques de Padoue et des commentaires de Swann sur le ventre enceint des femmes des dites fresques, et la manie d'esthète qui amène Swann à voir dans les fresques de la Renaissance italienne des « plagiats par anticipation », comme l'OU. LI. PO. nomme en les inversant certaines résonances entre passé et présent.
Retour à la lecture, et à la façon dont la littérature fait exister le réel autrement mieux que la vie réelle, trop lente et discontinue. Pages fort intéressantes : le romancier synthétise en quelques pages, voire en quelques mots un personnage ou autre chose, ce qui confère à la vie elle-même un sens dont elle serait démunie autrement. C’est ici qu’apparaît la silhouette de Bergotte, un écrivain estimé des connaisseurs, qui mange à la table de Swann une fois par semaine.
Histoire avec Bloch, à qui la famille fermera sa porte pour des raisons diverses : il est juif, et le père y fait allusion en chantant par exemple un air connu : « Oui, je suis du peuple élu ». Il est par ailleurs assez cavalier dans ses manières, qui heurtent le souci des convenances de la famille. Marcel regrette la rupture, car Bloch a de l’intelligence et de la culture.
On perçoit la sensibilité extrême et extrêmement féminine de PROUST dans les descriptions de fleurs, des aubépines, des épines roses (sic), des pommiers, etc. Quel luxe d’images ! Un tel raffinement finit par en être étouffant et, de mon point de vue, cela frise le ridicule à force de « faire des magnes et du flafla » (ARISTIDE BRUANT).
« La haie formait comme une suite de chapelles qui disparaissaient sous la jonchée de leurs fleurs amoncelées en reposoir ; au-dessous d’elles, le soleil posait à terre un quadrillage de clarté, comme s’il venait de traverser un verrière ; leur parfum s’étendait aussi onctueux, aussi délimité dans sa forme que si j’eusse été devant l’autel de la Vierge, et les fleurs, aussi parées, tenaient chacune d’un air distrait son étincelant bouquet d’étamines, fines et rayonnantes nervures de style flamboyant comme celles qui à l’église ajouraient la rampe du jubé ou les meneaux du vitrail et qui s’épanouissaient en blanche chair de fleur de fraisier. » Ouf, n’en jetez plus. On comprend que sa maladie ait touché l’appareil respiratoire.
« C’est ainsi qu’au pied de l’allée qui dominait l’étang artificiel, s’était composée sur deux rangs, tressés de fleurs de myosotis et de pervenches, la couronne naturelle, délicate et bleue qui ceint le front clair-obscur des eaux, et que le glaïeul, laissant fléchir ses glaives avec un abandon royal, étendait sur l’eupatoire et la grenouillette au pied mouillé les fleurs de lys en lambeaux, violettes et jaunes, de son sceptre lacustre. » Trop, c’est trop, PROUST en fait des tonnes.
Voilà ce que je dis, moi.
La suite une autre fois.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : recherche du temps perdu, marcel proust, littérature, boby lapointe, combray, oulipo, renaissance italienne, swann, padoue, bergotte, juif, aristide bruant
mardi, 06 décembre 2011
LA JOURNALISTE FARCIE (fin)
Résumé : on est gouvernés, informés et employés par des mafias. Very bad trip, brother !
Une illustration et une variante de cette connivence viennent d’être offertes par le magazine « M » du journal Le Monde, sous la plume de Raphaëlle Bacqué et Judith Perrignon. Il s’agit, là encore, de faits connus. Pas de révélations à attendre. Rien que de la confirmation, du déjà-vu.
Il s’agit des atomes très crochus qui se sont trouvés entre un certain nombre de femmes journalistes et un certain nombre d’hommes politiques, et dont les diplodocus sont, d’une part, Christine Ockrent avec Bernard Kouchner, et d’autre part, Anne Sinclair avec Dominique Strauss-Kahn.
Béatrice Schönberg & Jean-Louis Borloo en montrent un exemplaire plus récent, quoique déjà défraîchi. Audrey Pulvar & Arnaud Montebourg, j’avoue que je n’étais pas au courant. Ils sont très bien quand même, et je les félicite. Citons encore les noms d’Alain Juppé (Isabelle Legrand-Bodin, journaliste à La Croix), François Hollande (Valérie Trierweiler) et Michel Rocard (le nom de l'épouse journaliste n'est pas cité, et on s'en tape).
Raphaëlle Bacqué mentionne cette remarque de Philippe Val, vous savez, cet homme d’affaires, cet œuf couvé par Charlie Hebdo, éclos à France Inter, quand il s’adresse à Audrey Pulvar : « Tu aurais dû cacher ta relation… ». C’est merveilleux. Je n’en demandais pas tant : « Tu aurais dû cacher ta relation … », avoue ce grand moraliste. Oui : on peut faire tout ce qu’on veut, aussi longtemps que ça ne se sait pas. Secret et solidarité. C’est la règle de la « famille » (Cosa Nostra), rhabillée en « règle professionnelle ».
Ce qui est drôle aussi, dans le double article dont je parle, c’est le nombre des noms qui ne sont pas dits. Raphaëlle Bacqué parlant seulement d’Audrey Pulvar, c’est dans l’article de Judith Perrignon qu’on a envie de dire : « Des noms ! Des noms ! ».
Il faut dire qu’elle fait un peu d’histoire. Dans les années 1960, Jean-Jacques Servan-Schreiber possédait L’Express. François Giroud en dirigeait le service politique. Ils embauchèrent Michèle Cotta, Irène Allier et Catherine Nay. C’était stratégique. Et ça a marché.
Surnommées les « Amazones », elles allaient, selon JJSS, « mettre de la chair derrière les idées » et « Vous êtes un bataillon de charme, vous allez les faire parler ». Ça devient transparent, non ? Donc, Catherine Nay devint la maîtresse d’Albin Chalandon. Le missile avait atteint la cible. Car ces femmes étaient bien des missiles.
Judith Perrignon évoque ensuite l’arrivée « d’autres générations de jeunes femmes » dans la profession journalistique. Une très jolie phrase : « On leur confiait toujours les couloirs plutôt que les éditos ». Je dirai que « faire le couloir » est, encore de nos jours, plus honorable que « faire le trottoir », même si c’est pour y pratiquer le même métier.
Je cite : « L’histoire de cette voix reconnaissable entre toutes qui s’inventait un nom pour appeler sa maîtresse dans la salle de rédaction – à chaque fois faussement sérieux, celui qui décrochait demandait : "De la part de qui ? " ». Des noms ! Et : « L’anecdote de ce responsable communiste racontant au téléphone le détail d’un bureau politique à une journaliste, par ailleurs allongée à côté d’un ténor socialiste agrippé à l’écouteur (…) ». Des noms ! Des noms ! Des noms !
Et Françoise Giroud qui, « avec le temps, prenait l’air d’une mère maquerelle ». Ce n’est pas moi qui écris cette saloperie, je vous jure, c’est page 53. Autrement dit, je n’invente rien : une jolie nénette futée, bien balancée, embauchée comme journaliste dans un service politique, envoyée pour interviewer un homme politique, est invitée à employer tous les moyens pour revenir avec de la belle information, bref : de la confidence. Et si la nana n’a pas froid aux yeux et à la culotte, l’affaire est dans le sac.
Des missiles, je vous dis. C’est l’empire soviétique sous Brejnev. En plus soft, je veux bien. Mais ça couche quand même, ça baise et ça fornique. Moi ce genre de galipettes n’est pas pour m’effaroucher. Je dis comme Boby Lapointe : « Ça ne me mettait pas à l’aise, De la savoir Antibaise, Moi qui serait plutôt pour, Quelle avanie ! ». Ce qui me gêne aux entournures, c’est le mélange des genres.
Une femme et un homme qui se plaisent, pas de problème, ça finit au plumard, et je trouve ça très bien. « Ils furent heureux et eurent de nombreux orgasmes », comme on dit dans les « contes de fesses ». Mais le tableau de Michèle Cotta envoyée dans les pattes de Chalandon pour s’envoyer Chalandon, c’est autre chose. Ce genre de missile télécommandé, ça porte un nom bien clair et bien net : pute. Pour faire marcher les ventes de L’Express. A l’époque. Aujourd’hui, le « modus operandi » semble, en France, s’être généralisé. Et celui qui envoie la nana en mission est un maquereau.
Quand Judith Perrignon déplore que la réciproque ne soit pas vraie, là, je commence à me marrer franchement. Bon, elle reconnaît qu’il y a moins de femmes politiques que d’hommes. J’ajouterai que la profession journalistique s’est féminisée beaucoup plus vite. C’est vrai qu’il y a donc un grand déséquilibre entre l’offre et la demande. Mais qu’attend le marché pour s’auto-réguler ? Que fait Sarkozy ?
Mais s’il y a moins d’hommes journalistes qui succombent aux charmes des femmes politiques, est-ce vraiment, comme elle le soutient, parce que : « La politique reste le reflet d’une société patriarcale » ? Hé, ma belle, où tu l’as vue, la société patriarcale ? Ça fait longtemps que ses lambeaux s’en sont allés au fil de l’eau.
Elle ajoute quelque chose d’assez juste, je pense, sur le narcissisme tyrannique qui règne sur les mondes politiques et médiatiques. Un narcissisme réciproque, selon toute vraisemblance. Qui s'auto-alimente, et qui forme un terreau favorable à tout ce que les féministes américaines vomissent sous le nom de "séduction".
Moi, je crois que si les hommes journalistes vont, tout comme les femmes journalistes, de préférence vers les hommes politiques, c’est d’une part que ceux-ci sont les plus nombreux, d’autre part que le journaliste politique, mâle ou femelle, va par nature vers le pouvoir. Et j’en conclus que, si le journaliste mâle ne couche pas avec l’homme politique, c’est qu'ils sont tous deux, tout simplement, hétérosexuels.
Cela ne change rien au fait que, homme ou femme, quand il s’agit de politique et de pouvoir, le journaliste est tenté par la prostitution, quand il n’y est pas incité, comme on l’a vu. Le problème du journaliste politique, dans son monde professionnel tel qu’il est organisé et structuré en France, il est là : « Que suis-je prêt à faire ? Jusqu’où suis-je capable d'aller pour rapporter de l’information exclusive ? Quelle part de ma dignité et de ma liberté personnelles suis-je prêt à abandonner pour cela ? ».
Dans la façon dont les professions médiatiques fonctionnent aujourd’hui en France, je suis obligé de penser qu’elles comportent a priori une part de prostitution disponible. Combien de héros et d'héroïnes résistent à la tentation ? Ben oui, c’est que chacun a une carrière à faire. Toutes les jolies journalistes ne s'appellent pas Tristane Banon.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX, UNE EPOQUE FORMIDABLE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le monde, presse, journaux, journalistes, raphaëlle bacqué, judith perrignon, christine ockrent, bernard kouchner, anne sinclair, dominique strauss-kahn, jean-loui borloo, arnaud montebourg, audrey pulvar, alain juppé, françois hollande, valérie trierxeiler, béatrice schönberg, philippe val, françoise giroud, michèle cotta, catherine nay, amazones, boby lapointe, sarkozy, tristane banon