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samedi, 04 juillet 2020

JOURNALISME D'EXCELLENCE ?

La France s'enorgueillit par tradition du haut niveau d'exigence de ses écoles de journalistes. Les professeurs qui y enseignent sont tous de remarquables exemplaires de la profession : bon nombre des 200 "grands" éditorialistes (parmi lesquels deux douzaines de pures vedettes : Joffrin, Giesbert, etc.) que compte l'hexagone sont rétribués pour y dispenser conseils, recettes et ficelles du métier.

On doit à ces vaillants "petits soldats du journalisme" (titre du livre de François Ruffin – député France insoumise et directeur de la publication de la revue Fakir – sur les coulisses de ces fabriques de l'élite de la presse française) des efforts constants et soutenus pour fournir à la population des organes d'information qui soient à la hauteur de ses attentes. C'est ainsi que les journalistes français ne se lassent pas de hisser le rocher de Sisyphe sur le sommet de l'excellence professionnelle. Hélas, comme dans la mythologie, le rocher ne cesse de retomber dans le caniveau (« l'opprobre du ruisseau », comme dit Boby Lapointe).

Les exemples abondent de cette quête de la perfection – toujours déçue ! Ainsi a-t-on pu apprendre, sur la chaîne nationale France Culture, hier vendredi dans le bulletin de 18 heures, qu'au moment de la passation des pouvoirs entre Edouard Philippe, ex-premier ministre et maire du Havre, et Jean Castex, le maire de Prades désigné par Emmanuel Macron pour le remplacer dans cette fonction, Edouard Philippe avait le col de sa chemise ouvert et qu'il portait en guise de boutons de manchette deux paires de "tongs", dont la journaliste se demandait s'il les porterait effectivement à son retour au Havre. 

Voilà de l'information, messieurs-dames ! Voilà le journalisme que le monde entier nous envie, messieurs-dames ! Et l'on a pu entendre ces informations cruciales sur France Culture !

Bravo et merci ! Grâce à vous, je sais ce qui est important à savoir.

samedi, 16 mai 2020

ALORS ON CHANGE QUOI ?

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Je reviens sur cette "une" que le journal Le Un a publiée fin avril. Elle posait une question que des centaines d'interventions dans les journaux écrits et radio- ou télé-diffusés ont développées. On a pendant un temps cru que ça y était. Que la vertu avait pris le pouvoir. Que la raison se préparait à gouverner le monde. Que l'humanité, devenue enfin raisonnable, était prête à renoncer à ses appétits sans limite et aux folies qui la mènent à sa perte à force de dévorer son milieu naturel. 

A écouter les médias (réduits de par le confinement), on avait parfois l'impression qu'un vrai cerveau en bon état de marche était en train d'ouvrir les yeux sur notre monde malade et d'entrevoir les diverses manières capables de le guérir. A entendre, jour après jour, les pensées se précipiter en flot ininterrompu du cerveau touché par la grâce d'une prise de conscience aiguë, on s'est dit pendant un temps que, allons, rien n'était perdu et que, soyons fou, tout allait changer. Je m’étais dit quelque chose de semblable pendant la crise des "subprimes" en 2008 et à l’élection de Macron en 2017.

Sarkozy avait fait le matamore, le chevalier blanc, le redresseur de torts, les économistes distingués s'étaient disputé les plateaux, les caméras et les micros pour annoncer que rien ne serait plus comme avant dans le monde de la finance : on allait montrer aux banques, aux fonds de pension ce qu'il en coûte de placer un tonneau de poudre sous le derrière de l'économie honnête. 

Avec le Covid-19, tout ce que la France compte de sociologues, écologistes, politologues et autres sciences exactes ou inexactes (= sciences humaines), se sont précipités dans les médias pour nous annoncer la bonne nouvelle des "Temps Nouveaux". A les entendre seriner leurs refrains, portée par cette vague d’optimisme, l'humanité allait de nouveau s'abreuver à la bonne source : libéré des pesanteurs égoïstes et bassement matérielles, on a cru voir à l'œuvre un cerveau où se seraient enfin donné libre cours l'imagination la plus débridée, la pensée la plus audacieuse, les intuitions les plus géniales, les raisonnements les plus pointus et les visions d'avenir les plus édéniques. Un cerveau gonflé aux espoirs d'un futur enfin radieux.

Tout le monde s'y est mis. C'en est au point que le flot est devenu Niagara et que le cerveau s’est boursouflé sous la pression interne. Les propos savants sur les issues à cette crise inédite se sont multipliés, bousculés, marché sur les arpions au point de former la bouillie d'un cerveau de plus en plus informe et proliférant, un cerveau qui s'est soudain cru tout permis, a rompu les chaînes qui l'amarraient à la Terre et s'est échappé de toute contrainte pour se mettre à prendre ses rêves et ses délires pour la réalité. J'ai entendu des gens apparemment pondérés tenir à coups de « il faut » des propos hautement lyriques sur les lendemains espérés. En français moderne : tout le monde a cru que « c’était arrivé ».

Maintenant que l'on a recouvré une certaine liberté et, disons-le, une lucidité relative, on constate que se dessine sous nos yeux le tableau d'un avenir beaucoup moins mirifique que les rêveurs l'escomptaient. Il semblerait qu'il faille en rabattre de l'enthousiasme manifesté. Il semblerait en particulier que le "cerveau" rêvé ci-dessus se révèle un simple ballon de baudruche, plus gonflé aux anabolisants affectifs, intellectuels ou romantiques qu'au sage exercice de la pensée fondée sur l'observation du réel, et que s'il n'a pas encore éclaté comme ça arrive souvent, il ait perdu beaucoup de son étanchéité concrète et de sa substance virtuelle. Disons-le : il est tout raplapla, le cerveau anabolisé.

On se rend compte que les milliards de mots et les millions de phrases dont les médias se sont enivrés pour garder captive l'attention du public (il ne faut rien perdre) ne sont pas des choses. Car dans le monde réel, ce ne sont pas les mots, mais les choses et les actes qui modifient et fabriquent aux populations un cadre concret, des moyens matériels d'existence et des conditions de vie inventées par personne. Mais pour que la réalité change, il faudrait que l'intendance suive. Sans les pontonniers du général Eblé, l'armée de Napoléon ne repasse pas la Bérésina et se fait exterminer (voir Adieu, ce minuscule chef d'œuvre de Balzac). Sans une intendance concrète en parfait état de marche, une armée n'est qu'un jeu vidéo.

Si l'on fait un jour le compte de ce qui restera des innombrables élucubrations qui ont poussé, comme champignons après une pluie d'été, au cours de cette période invraisemblable, je crains hélas que les populations concernées ne fassent alors grise mine, devant leur assiette redevenue bien creuse, devant les pitoyables miettes de tant d'espoirs formulés et de tant de requêtes touchant l'état du corps social, mais aussi l'état de la nature qui nous héberge.

Où qu'on regarde, tout se passe comme si, hormis quelques apparences (masque et gel hydroalcoolique à tous les carrefours, distance "sociale", gestes "barrière", etc.), tout le monde n'avait rien de plus pressé que de reprendre le train-train de ses petites habitudes, à commencer par la programmation des prochaines vacances d'été. Et je ne parle pas de toutes les forces qui ont intérêt à ce que toute la machine redémarre comme avant.

Les causes du cataclysme du coronavirus sur les pays favorisés (pour les pays défavorisés, on ne saura sans doute jamais) n'ont pas fini de prospérer et de se payer notre fiole.

Sérieusement : maintenant, on change quoi ?

La réponse commence à s’évanouir au coin de la rue. Tout le monde a commencé à oublier.

Voilà ce que je dis, moi.

mardi, 03 mars 2020

DES NOUVELLES DE FRANCE

1 – Lors de la soirée des Césars, si Adèle Haenel, Céline Sciamma, Virginie Despentes, Florence Foresti, Vanessa Springora et quelques autres djihadistes du féminisme avaient eu une guillotine, on aurait vu quelques têtes de messieurs rouler dans la sciure. Fini la justice : l'heure qui voit triompher la « sororité » est à la vengeance. A mort les salauds de mecs ! VENGEANCE ! 

2 – Pendant que les médias dégorgent à force d'être bourrés de la catastrophe coronavirale et nous serinent leurs conseils de méfiance, l'épidémie normale de la grippe normale continue à éclaircir en silence les rangs silencieux des personnes normalement vulnérables. Et pendant que le vacarme coronaviral occupe l'attention des Français, le gouvernement d'Edouard Philippe et Emmanuel Macron fait passer la réforme des retraites à grands coups d'article 49 alinéa 3 de la Constitution.

Il faut dire que les olibrius de l'opposition fanatisée sous la houlette de l'Olibrius en chef Jean-Luc Mélenchon ont tout fait pour discréditer la notion même de débat parlementaire, en déposant, entre 40.000 autres reformulations sans doute aussi subtiles, un amendement remplaçant dans le texte "annuel" par "chaque année".

Mais les olibrius de l'opposition ont tout à fait raison de répliquer que les bonimenteurs du gouvernement n'avaient qu'à pas commencer par les provoquer en demandant que soit examinée en "procédure accélérée" (pas de navette, mais un aller-retour entre les deux Chambres) une loi horriblement complexe à mettre en application, et qui concernera TOUS les individus français. Une loi au surplus que les bonimenteurs ont méticuleusement fait semblant de préparer en "concertation", mais qui, selon les avis les plus avisés (Dominique Rousseau, constitutionnaliste), souffre d'une IMPRÉPARATION congénitale.

Elle est pas belle, la France éternelle, dans le miroir des médias ?

samedi, 15 juin 2019

ECOLOGIE = ANTICAPITALISME 2/2

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Donc l’anticapitalisme dont je parle n'est en rien "communiste", mais exclusivement écologique, et l'écologie authentique dont je parle est exclusivement anticapitaliste, sachant qu'il ne s'agit ici en aucune manière d'un choix "politique" au sens pépère (= gauche/droite), tout au plus d'un choix politique, au sens où l'entendaient les Grecs, impliquant la décision de tout le corps social dans le choix de son organisation et de son mode de vie.

Car le seul, l'unique, l'exclusif coupable des crimes écologiques actuels (pillage des ressources, destructions innombrables, poubellisation généralisée, ...), c'est le capitalisme industriel et productiviste. Et ce brillant résultat a été vendu à l’humanité grâce à un argumentaire où scintillaient toutes les promesses miraculeuses : l’arracher à la malédiction biblique de la souffrance et du travail, et lui apporter tout à la fois bonheur, prospérité, confort et raton laveur.

L’économie capitaliste a atteint cet objectif, inutile de le nier, et chacun (moi compris) est heureux ou désireux de profiter de ses apports. Au passage, c'est fou ce qu'elle a pu inventer et fabriquer en matière de ratons laveurs superflus et inutiles, pour amuser, divertir, détendre, détourner l'attention, etc. Et s'enrichir. Je veux évidemment parler des "gadgets" et autres marchandises sans utilité, le raisonnement étant fondé sur : « Qu'est-ce qu'on pourrait bien trouver à leur vendre ? ».

Cette réussite a été rendue possible par l’invention de toutes sortes de moteurs, je veux dire de moyens de produire de la force (vapeur, pétrole, électricité, …) par des moyens artificiels (je fais abstraction du moulin à vent, de la voile ou de la roue à aube, qui ne faisaient qu’utiliser – intelligemment – l’énergie produite par la nature). Avec le moteur, l’homme a forcé la nature à lui donner infiniment plus que ce dont elle était capable spontanément.

Bien sûr, un moteur consomme le potentiel énergétique qu'on lui injecte, et la quête effrénée de sources d'énergie qui en découle est une partie cruciale du problème actuel. Toute la civilisation actuelle repose sur le moteur et son carburant. C'est sur le moteur que l'humanité a fait retomber l'essentiel de la quantité de travail. Enlevez le moteur, que reste-t-il ? Tout le monde à la réponse : de combien de moteurs nous servons-nous dans une journée ?

Le capitalisme a donc réussi, mais d'une part en réservant tous les fruits de la récolte à une infime minorité de privilégiés (pays "riches"), et d'autre part en prenant soin, tout au long de son développement, de glisser sous le tapis toutes les saloperies que la machine qu’il avait mise en route jetait à tous les vents, dans toutes les eaux, dans tous les sols et dans tous les êtres.

Il y a maintenant plus d’un demi-siècle que de grands illuminés (la liste est connue) ont été assez perspicaces pour voir que le "développement" étendu à tous les pays conduisait à une impasse, que le tapis n'était plus assez grand pour tout cacher, et que les saloperies commençaient à déborder par tous les pores de la nouvelle civilisation. Ils furent aussi assez inconscients pour proclamer cette vérité à la face du monde, en tenant pour négligeable de passer pour des rigolos ou des faux prophètes. C’est pourtant eux qui avaient raison, c’est aujourd’hui avéré. Et il est sans doute trop tard pour remédier à la folie qui a produit la catastrophe à laquelle nous assistons sans trop nous en formaliser encore (ça commence à remuer vaguement, mais concrètement ? et à quel rythme ?).

Le capitalisme productiviste et technico-industriel s'est imposé il y a deux siècles. A partir de là, il a répandu le Mal (la démesure). Nos ancêtres y ont goûté : ils ont trouvé le Mal délectable, ils en ont vu les bienfaits présents, les bénéfices futurs et, pour tout dire les « progrès » promis à l’humanité. Ils ont donc accueilli le Mal à bras ouverts, avec joie et fierté, persuadés d’œuvrer pour le Bien. Ils ont bu jusqu'à l'ivresse le philtre d'amour du progrès technico-industriel offert par Méphisto (voir le second Faust, je ne sais plus dans quelle scène), qui devait rendre l'humanité puissante et invulnérable. Tragique erreur. 

Et nous-mêmes en sommes tellement gorgés qu’il est devenu indissociable de notre être. Qu'il est devenu notre chair, notre nature, c'est bizarre, mais c'est comme ça. Nous respirons capitaliste, nous mangeons capitaliste, nous buvons capitaliste, nous forniquons capitaliste, nous déféquons capitaliste, nous dormons capitaliste, nous éduquons capitaliste, nous pensons capitaliste, etc. La moindre de nos cellules est capitaliste jusqu'au noyau. Comment logerait-on un écologiste dans ce milieu hostile ?

En un mot : chacun de nous est tout entier capitaliste, de la tête aux pieds, du sol au plafond, du cœur à la peau, du fond à la surface et de la naissance à la mort. Mieux : chacun de nous (y compris moi) est en soi un capitalisme en réduction, puisqu'il en est le produit, et militant avec ça, puisque le fait de consommer alimente le système (comment faire autrement ?). Chacun de nous se trouve dès sa naissance petit porteur de tout le capitalisme. Chacun de nous devient dès lors une parcelle vivante du système capitaliste.

Nous n'avons pas le choix : au mieux, complices taraudés par le doute ; au pire, partisans enthousiastes. Qu'ils soient velléitaires ou résolus, portés par la mauvaise conscience ou par la haine, tièdes ou bouillants, qu'ils aient la ferme intention de détruire le capitalisme ou qu'ils travaillent à le corriger ou à l'améliorer, les ennemis du système sont eux aussi pris dans le système, et du coup sont bourrés de contradictions.

Je veux dire que nous sommes tous si intimement imprégnés de ce que le capitalisme a fait du monde et des hommes qu’il est absolument inenvisageable de nous enlever la moindre parcelle du système sans nous arracher un morceau vital de chair. Nous hurlerions sous la torture. Il suffit pour s’en rendre compte de voir ce que nous coûtera l’abandon de misères telles que les touillettes, les cotons-tiges, et tous les objets en plastique à usage unique. Ne parlons pas du smartphone.

Alors dans ces conditions, tout ce que proposent sincèrement les gens conscients, actifs et responsables pour que le pire n’arrive jamais, tous les appels aux gouvernants, aux puissants, aux industriels et même aux individus, tout cela n’est que poudre de perlimpinpin, miroir aux alouettes, faux espoirs et charlatanerie. Tous les « Discours de Politique Générale » de tous les Edouard Philippe auront beau se « teinter de vert » (« Plus personne  n’a aujourd’hui le monopole du vert ! », a-t-il textuellement scandé le 12 juin), on restera très loin du compte. Je dirai même : à côté de la plaque.

Et le succès de Yannick Jadot aux élections européennes reste, sur le planisphère des activités humaines, une voie de garage, même s'il indique la persistance d'un sentiment de culpabilité des populations à l'égard de la nature naturelle (enfin, ce qui en subsiste) : à quel taux de probabilité s'élèvent ses capacités d'action efficace ? Ses possibilités de transformer l'existant ? Combien sont-ils, les Verts, au Parlement européen ? Et qu'est-ce que le Parlement européen, dans le vaste chaudron de la mondialisation ?

***

Cette hypocrisie générale, ce mensonge n’est plus de mise. Thomas Piketty a bien raison d'intituler sa chronique du Monde du 9 juin 2019 "L'illusion de l'écologie centriste". Malheureusement, il se contente d'observer les jeux de vilains des politicards en présence, du coup la portée de son papier en souffre. Ce n’est pas de demi-mesures, d'accommodements courtois, de corrections à la marge, de remèdes de surface que l’humanité a besoin : ce serait d’un retour radical et volontaire à une conception raisonnable de tous nos rapports avec le monde. Carrément l'utopie, quoi !

C’est précisément cette conception que nous avons perdue et oubliée depuis deux siècles : nous avons quitté sans retour le monde ancien. Et malgré tous les hypocrites "c'était mieux avant" ou "c'était le bon temps", nous nous félicitons à chaque instant, par nos gestes mêmes, du fait que ce monde ancien nous soit devenu étranger (ringard, vieillot, suranné, etc.). Si par extraordinaire nous décidions de retrouver ce mode de vie (frugalité, sobriété, etc.), l’événement serait d’une violence insoutenable (y compris pour moi).

Vous imaginez la quantité astronomique de travail qui nous retomberait sur le dos ? Ce serait une conversion infiniment douloureuse. De façon plus réaliste, je crois que la perte est définitive et irréversible : on n'arrête pas une machine qui a les dimensions de la planète et qui régente l'existence de (presque) tout le monde..

Et si beaucoup de gens souhaitent "faire des gestes pour la planète" (nous culpabilisons), personne n'a vraiment compris. Je veux dire que personne n'est prêt (moi compris) à perdre tout ce qu'il faudrait pour retrouver l'équilibre perdu. Parce que ce serait individuellement trop coûteux. Sans même parler des efforts constants du système pour accroître sa puissance et son emprise, personne ne peut s'extraire de l'engrenage, même les écologistes convaincus, qui aiment se raconter de belles histoires (consommer "bio", circuits courts, agriculture raisonnée, permaculture, etc.). A quelle hauteur s'élève leur refus du système ? Leurs concessions au système ? Tout ça ressemble à : « Encore quelques minutes, monsieur le bourreau ! ».   

Il nous faudrait réapprendre tout ce que nos ancêtres connaissaient par cœur. Dans quelle école apprendrions-nous aujourd’hui ce dont nous nous sommes dépouillés avec soulagement et enthousiasme il y a deux siècles et dont nous avons perdu la mémoire ? Comment trouverions-nous, sept milliards que nous sommes, un terrain d’entente avec la nature, avec la planète, avec le monde, bref : avec les nécessités irréductibles de la nature et des éléments ?

Quel coup de baguette magique nous inculquerait le sens et le respect des limites à ne pas dépasser, que l’humanité a respectées pendant pas mal de millénaires, et dont nous avons fait en deux cents ans des guenilles indignes d’être portées, que nous avons jetées aux orties ? L'humanité présente éprouve une haine viscérale des limites, comme le montrent à profusion les inventions des "créateurs culturels" dans leurs spectacles où fourmillent la transgression, l'attentat aux tabous, le franchissement des limites. Après toutes les Déclarations des droits humains, à quand la signature solennelle de la Déclaration Universelle des Limites Humaines ?

L’humanité présente est une Cendrillon qui n’a pas entendu les douze coups de minuit : il nous reste la citrouille, les rats et les trous dans la pantoufle de vair. Grâce à la machine du capitalisme industriel et productiviste, l’humanité retournera dans son taudis avec les pieds écorchés.

Malheureusement, il nous reste quand même, indéracinable, le rêve de la splendeur du palais princier, le rêve des vêtements chamarrés du bal de la cour. Il nous reste le rêve du bonheur définitif, le rêve de l’abondance des biens, le rêve des fontaines où coulent l’or de nos désirs et les diamants de la certitude de pouvoir les assouvir : la créativité humaine (l'innovation technique) reste pour nous infinie, et nous n'avons ni les moyens ni l'envie d'inverser le cours de l'histoire.

L’humanité présente rêve. Elle vit dans un conte de fées. Elle a fait de la planète un Disneyland géant en même temps qu'une poubelle, et n’envisage à aucun prix d’en sortir. L’humanité, qui a les pieds dans la merde, ne renonce pas à ses rêves sublimes, et ce ne sont pas les écologistes qui la réveilleront. La réalité l’attend au coin du bois.

« La mort lui fit au coin d'un bois le coup du père François ».

"Grand-père", Georges Brassens.

En résumé, si, pour être écologiste, il faut détruire le capitalisme, il faudrait en même temps dire comment on fait. Jusqu'ici, le capitalisme a régulièrement prouvé qu'il était increvable : il a tout digéré, y compris ses pires ennemis. Paul Jorion déclarait assez justement que les capitalistes ne feraient quelque chose pour sauver la planète que si ça leur rapportait. Autrement dit : aucune issue. Tant que l'écologie ne consiste qu'en pratiques fort sympathiques, mais infinitésimales, soigneusement montées en épingle par ses partisans, et qu'elle n'a, à part ça, que des mots à opposer au système capitaliste, celui-ci peut dormir tranquille : il ne sera pas dérangé.

Moralité : être écologiste aujourd'hui, ça n'existe pas. Et ça n'est pas près d'exister.

Voilà ce que je dis, moi.

jeudi, 02 mai 2019

ÊTRE JOURNALISTE ET ANTI-GILETS JAUNES

Le journalisme est un métier aux potentialités souvent méconnues. Certaines mauvaises langues prétendent qu'on devient journaliste politique quand on est un politicien raté, un journaliste littéraire quand on est un écrivain raté, un journaliste spécialisé dans les questions éducatives quand on a raté le CAPES ou l'Agrégation, bref : qu'un journaliste est souvent le raté du métier qu'il aurait voulu exercer. Je ne dis pas que ce soit faux, mais de là à généraliser, il y a un pas que ma bonté foncière se refuse à franchir : après tout, il y a peut-être des exceptions.

Mais il est un métier que tout journaliste un peu chevronné, sans le savoir et parfois sans le vouloir, pratique aisément sans l'avoir appris et sans que le public en ait une claire conscience : le métier de prestidigitateur. La façon dont la cause du mouvement des gilets jaunes a été escamotée en est une preuve, et tient de cette technique inhérente à une longue pratique du journalisme, selon le principe : "Ce dont je parle fait disparaître ce dont je ne parle pas".

C'est ce que le grand linguiste, Chaïm Perelman, appelle "l'effet de présence" (dans son immense Traité de l'argumentation). Pour transformer le lapin du chapeau en ballon gonflable, cela consiste à parler exclusivement du ballon. En l'occurrence, le lapin est le gilet jaune, et le ballon gonflable est le casseur. Les vases communicants : on dégonfle l'un pour mieux donner à l'autre les boursouflures qui conviennent au spectaculaire. Comme disait Loïc Wacquant dans Punir les pauvres (Agone, 2004), au sujet de la mise en place et en scène de l'ordre policier : « Tout d'abord, elle est conçue et exécutée non pas pour elle-même mais "dans le but d'être exhibée et vue", scrutée, reluquée : il s'agit en priorité absolue de faire du spectacle, au sens propre du terme ».

Conclusion : la vérité des gilets jaunes s'est fait atomiser. 

Je ne sais pas vous, mais moi je suis frappé (façon de parler !) par la façon dont les journalistes de radio (j'écoute principalement France Culture) rendent compte du mouvement et des manifestations des "gilets jaunes". Dans la profession, on semble se donner un alibi en proposant une petite interview d'un gilet jaune, si possible choisi parmi la demi-douzaine qui se sont fait un nom depuis les premiers jours.

Mais le fond du problème, dont les données n'ont pas changé d'un iota depuis le début, dort désormais au fond des oubliettes. En ce soir de 1er mai, les journalistes de France Culture se sont surpassés, consacrant l'essentiel du journal de 18h. aux dégâts commis par les casseurs dans le quartier de Montparnasse, sans dire un mot de la situation économique des classes moyennes "périphériques", situation qui les a poussées sur les ronds-points. Je dis que c'est tout simplement dégueulasse.

Cela n'empêche pas les journalistes de rapporter du terrain des victuailles vendables, mais ils parlent exclusivement de l'aspect policier de l'événement : on donne largement la parole au ministre de l'intérieur, au premier ministre, aux syndicats de police, on parle des casseurs, on analyse les groupes, l'idéologie et les ravages des "black blocks", on chiffre parfois les dégâts, on parle de la catastrophe que constituent tous ces samedis de zéro chiffre d'affaires des commerçants, mais sur les raisons premières, sur l'étincelle qui a mis le feu aux poudres de la colère, c'est, au sens propre, silence radio.

Tout juste les journalistes acceptent-ils, furtivement et à mots couverts, d'évoquer de "possibles violences policières disproportionnées". Le bulletin d'information du samedi soir (et d'hier soir) se résume à une narration serrée et à un bilan chiffré des violences. L'événement est ramené à sa dimension de banditisme de droit commun et à sa répression légitime. La prestidigitation, c'est ça.

Même prestidigitation, quoiqu'en plus spectaculaire, à propos du "Grand Débat" : le journal que je lis et la radio que j'écoute ont rendu compte en long, en large et en épais, des séances où Emmanuel Macron a eu le "cran" de se soumettre des heures durant au feu roulant des questions des maires de diverses régions de France, puis de quelques citoyens, mais rien ou si peu que rien sur la pertinence et le bien-fondé de ce "Grand Débat". Or il est flagrant que cette mousse médiatique a été soigneusement montée pour être la grande réponse du pouvoir à une question ... qui n'a jamais été posée par les gilets jaunes, comme le prouvent quelques études parues sur les compositions sociologiques comparées de deux ensembles.

Les gilets jaunes se sont juste mis en mouvement parce que leurs fins de mois étaient de plus en plus difficiles, et pour quelques autres raisons secondaires. La sociologie de cette population est celle de gens qui, le plus souvent, ont un travail, un salaire, une famille, peut-être une maison à finir de payer, et qui sont dans le rouge à la banque de plus en plus tôt dans le mois. La sociologie des participants au "Grand Débat", en revanche, est plutôt celle de retraités relativement aisés, dotés d'un bon degré d'instruction et d'un capital culturel satisfaisant.

Cela signifie une chose évidente : Emmanuel Macron, en organisant le grand théâtre du "Grand Débat", s'est comporté en prestidigitateur de talent, en s'adressant à ceux qui ne manifestaient pas, et en se gardant bien de répondre à ceux qui manifestaient en allant tous les samedis se les geler sur les ronds-points. En parachutant sur la France un "Grand Débat" que nul n'avait demandé et dont nul ne sentait la nécessité, Macron a presque réussi à imposer silence à ceux qui manifestaient pour exprimer leur souffrance sociale. C'est totalement immonde, même s'il faut reconnaître que c'est politiquement redoutable. Une manière de ressusciter l'adhésion défaillante en se gardant surtout de traiter le fond du problème. Passez muscade !

Samedi après samedi, il ne reste donc du "mouvement" des gilets jaunes plus que des souvenirs et des images de gaz lacrymogènes, de vitrines cassées, de casseurs-pilleurs, de pousse-au-crime appelant les policiers au suicide, d'yeux crevés, de mains arrachées, de commerçants aux abois, de policiers dévastateurs et en "burn out".

Accessoirement, il reste aussi un président inflexible dans sa réponse policière et dans sa politique économique, fuyant devant la signification profonde de tout ce schproum, et qui s'efforce de disqualifier le mouvement en le réduisant à l'humeur exaltée de quelques excités augmentés de quelques extrémistes. Il pose une dénégation massive sur la réalité de la souffrance sociale due à l'injustice du système économique qu'il défend : circulez, y a rien à voir ! Autrement dit : fermez vos gueules. Soit dit entre parenthèses, je m'étonne, à propos des méfaits et brigandages des "black blocks", que personne ou presque ne se pose la question de savoir à qui le crime profite.

Les bonnes âmes peuvent toujours dénoncer les cris de haine qui ont été lancés à l'adresse du pouvoir en général et de Macron en particulier. S'il y a ici un fauteur de haine, il s'appelle d'abord l'ordre (appelez-le l'empire, le système, ...) économique ultralibéral, qui vide la planète de ses richesses et la vie humaine de sa signification, mais il porte aussi le nom de son « très humble et très obéissant serviteur » (formule de c'était du temps où il fallait respecter les formes, quoi qu'on en pensât) : Emmanuel Macron.

En attendant, il est clair que la gent journalistique installée montre avec constance, par sa façon de "traiter" (sélectionner, organiser, ...) l'information, qu'elle a pris parti contre les gilets jaunes, dont elle tait ardemment les motivations d'origine. En revanche, tout ce que font les "Black blocks", qui profitent de l'aubaine des manifestations de rue pour mener des actions d'une "guerre" contre je ne sais quoi, les journalistes le racontent avec un luxe de détails. Ils savent exactement le genre d'effet que ce genre d'images et de récits peut avoir sur les "braves gens".

Ici, la profession journalistique montre qu'elle est sourde, aveugle et muette, je veux dire qu'elle s'avère incapable de rendre compte d'une problématique complexe et globale (les effets désastreux à long terme de l'ultralibéralisme sur les conditions de vie des classes moyennes), en se perdant dans la narration sotte et bornée des effets les plus connexes, les plus indirects, les plus secondaires, mais les plus spectaculaires, qui pourrissent l'expression sérieuse et durable de cette problématique.

La presse dans son ensemble voudrait montrer par là qu'elle est au service du pouvoir (vous savez, Les Chiens de garde, Les Nouveaux chiens de garde, ...), elle ne s'y prendrait pas autrement. Je doute que ce soit là la vérité, mais tout se passe comme si. La faute, peut-être, aux sacro-saintes "grilles de lecture" et à la priorité accordée à l'événementiel, place finalement obtenue par effraction par les violents de profession, au détriment de l'analyse de la situation.

Le choc des photos a vaincu le poids des mots.

Voilà ce que je dis, moi.

mercredi, 17 mai 2017

UN ESPOIR ?

Il est un peu tôt pour se prononcer sur ce que peut donner la présidence Macron, et je me laisse peut-être bercer dans l'écume des apparences, mais enfin, je crois percevoir à la surface de l'actualité comme le friselis d'une brise pas trop malodorante. Ce n'est pas encore de l'optimisme, mais. J'ai envie, à tort ou à raison, de me dire que quelque chose est peut-être en train, je ne dis pas de changer : au moins de bouger un peu. Et je l'avoue, j'ai eu tort de traiter le jeune énarque de "baudruche". Certes, les vieilles forces qui ont congelé la vie politique française depuis bientôt quarante ans n'ont pas dit leur dernier mot. Les fossiles de "droite" et de "gauche" n'ont aucune envie d'être collés au musée de paléontologie : ils se cramponnent de toutes leurs griffes au terrain. Est-ce que le frisson qui semble remuer le rideau de fer sera suffisant pour que le sang politique de la France recommence à circuler dans ses artères ? Ce serait déjà énorme. Il faut attendre le deuxième tour des législatives : combien de vieux crocodiles se retrouveront au Palais Bourbon ? On verra.

De toute façon, même si le système politique français reprend vie sous l'indéniable impulsion donnée par le petit Macron, restera son programme économique, et là, nous ne sommes pas au bout de nos peines. Et je ne parle pas du réformisme sociétal ("progressiste", évidemment) qui anime le nouveau président. 

En attendant les éventuels jours meilleurs, merci de ne pas me réveiller.