samedi, 16 mai 2020
ALORS ON CHANGE QUOI ?
Je reviens sur cette "une" que le journal Le Un a publiée fin avril. Elle posait une question que des centaines d'interventions dans les journaux écrits et radio- ou télé-diffusés ont développées. On a pendant un temps cru que ça y était. Que la vertu avait pris le pouvoir. Que la raison se préparait à gouverner le monde. Que l'humanité, devenue enfin raisonnable, était prête à renoncer à ses appétits sans limite et aux folies qui la mènent à sa perte à force de dévorer son milieu naturel.
A écouter les médias (réduits de par le confinement), on avait parfois l'impression qu'un vrai cerveau en bon état de marche était en train d'ouvrir les yeux sur notre monde malade et d'entrevoir les diverses manières capables de le guérir. A entendre, jour après jour, les pensées se précipiter en flot ininterrompu du cerveau touché par la grâce d'une prise de conscience aiguë, on s'est dit pendant un temps que, allons, rien n'était perdu et que, soyons fou, tout allait changer. Je m’étais dit quelque chose de semblable pendant la crise des "subprimes" en 2008 et à l’élection de Macron en 2017.
Sarkozy avait fait le matamore, le chevalier blanc, le redresseur de torts, les économistes distingués s'étaient disputé les plateaux, les caméras et les micros pour annoncer que rien ne serait plus comme avant dans le monde de la finance : on allait montrer aux banques, aux fonds de pension ce qu'il en coûte de placer un tonneau de poudre sous le derrière de l'économie honnête.
Avec le Covid-19, tout ce que la France compte de sociologues, écologistes, politologues et autres sciences exactes ou inexactes (= sciences humaines), se sont précipités dans les médias pour nous annoncer la bonne nouvelle des "Temps Nouveaux". A les entendre seriner leurs refrains, portée par cette vague d’optimisme, l'humanité allait de nouveau s'abreuver à la bonne source : libéré des pesanteurs égoïstes et bassement matérielles, on a cru voir à l'œuvre un cerveau où se seraient enfin donné libre cours l'imagination la plus débridée, la pensée la plus audacieuse, les intuitions les plus géniales, les raisonnements les plus pointus et les visions d'avenir les plus édéniques. Un cerveau gonflé aux espoirs d'un futur enfin radieux.
Tout le monde s'y est mis. C'en est au point que le flot est devenu Niagara et que le cerveau s’est boursouflé sous la pression interne. Les propos savants sur les issues à cette crise inédite se sont multipliés, bousculés, marché sur les arpions au point de former la bouillie d'un cerveau de plus en plus informe et proliférant, un cerveau qui s'est soudain cru tout permis, a rompu les chaînes qui l'amarraient à la Terre et s'est échappé de toute contrainte pour se mettre à prendre ses rêves et ses délires pour la réalité. J'ai entendu des gens apparemment pondérés tenir à coups de « il faut » des propos hautement lyriques sur les lendemains espérés. En français moderne : tout le monde a cru que « c’était arrivé ».
Maintenant que l'on a recouvré une certaine liberté et, disons-le, une lucidité relative, on constate que se dessine sous nos yeux le tableau d'un avenir beaucoup moins mirifique que les rêveurs l'escomptaient. Il semblerait qu'il faille en rabattre de l'enthousiasme manifesté. Il semblerait en particulier que le "cerveau" rêvé ci-dessus se révèle un simple ballon de baudruche, plus gonflé aux anabolisants affectifs, intellectuels ou romantiques qu'au sage exercice de la pensée fondée sur l'observation du réel, et que s'il n'a pas encore éclaté comme ça arrive souvent, il ait perdu beaucoup de son étanchéité concrète et de sa substance virtuelle. Disons-le : il est tout raplapla, le cerveau anabolisé.
On se rend compte que les milliards de mots et les millions de phrases dont les médias se sont enivrés pour garder captive l'attention du public (il ne faut rien perdre) ne sont pas des choses. Car dans le monde réel, ce ne sont pas les mots, mais les choses et les actes qui modifient et fabriquent aux populations un cadre concret, des moyens matériels d'existence et des conditions de vie inventées par personne. Mais pour que la réalité change, il faudrait que l'intendance suive. Sans les pontonniers du général Eblé, l'armée de Napoléon ne repasse pas la Bérésina et se fait exterminer (voir Adieu, ce minuscule chef d'œuvre de Balzac). Sans une intendance concrète en parfait état de marche, une armée n'est qu'un jeu vidéo.
Si l'on fait un jour le compte de ce qui restera des innombrables élucubrations qui ont poussé, comme champignons après une pluie d'été, au cours de cette période invraisemblable, je crains hélas que les populations concernées ne fassent alors grise mine, devant leur assiette redevenue bien creuse, devant les pitoyables miettes de tant d'espoirs formulés et de tant de requêtes touchant l'état du corps social, mais aussi l'état de la nature qui nous héberge.
Où qu'on regarde, tout se passe comme si, hormis quelques apparences (masque et gel hydroalcoolique à tous les carrefours, distance "sociale", gestes "barrière", etc.), tout le monde n'avait rien de plus pressé que de reprendre le train-train de ses petites habitudes, à commencer par la programmation des prochaines vacances d'été. Et je ne parle pas de toutes les forces qui ont intérêt à ce que toute la machine redémarre comme avant.
Les causes du cataclysme du coronavirus sur les pays favorisés (pour les pays défavorisés, on ne saura sans doute jamais) n'ont pas fini de prospérer et de se payer notre fiole.
Sérieusement : maintenant, on change quoi ?
La réponse commence à s’évanouir au coin de la rue. Tout le monde a commencé à oublier.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans L'ETAT DU MONDE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : coronavirus, covid-19, sars-cov-2, pandémie, épidémie, grippe espagnole, grippe asiatique, sras, confinement, déconfinement, crise, presse, le un, journal le un, éric fottorino, emmanuel macron, édouard philippe
samedi, 02 mai 2020
« JE VOUS L'AVAIS BIEN DIT, SKRONYONYO ! »
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La revue "Le Un" du mercredi 29 avril dernier : « Et maintenant on change quoi ? ». Mais on ne change rien, mon bon monsieur ! Qu'allez-vous imaginer ?
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Mais non, voyons, malgré le titre que j'ai trouvé, je n'ai nullement l'intention de faire la leçon à qui que ce soit. Je me permets juste de constater. Et de m'effrayer. Ce qui me terrasse dans cette crise dite « du coronavirus », c’est qu’on savait. On savait tout. On savait tout depuis très longtemps. On ne savait pas quand, on ne savait pas par où ça arriverait, mais on savait que ça arriverait. Depuis combien de décennies les lanceurs d’alerte font-ils retentir le tocsin ? Je suis sûr que des "collapsologues" comme Yves Cochet et Pablo Servigne jubileraient d'avoir eu raison si vite si l'actuel coup de Trafalgar mondial ne les laissait pas hébétés comme je l'ai été.
Où l'on constate que l'ennemi public n°1 de notre civilisation a trouvé sans hésiter le défaut de la cuirasse : plus elle ressemble au Colosse de Rhodes, plus le marbre de ses pieds se transforme en sable. On avait tout prévu, TOUT, sauf ... Depuis, tous les Grands Manitous de la planète se demandent comment on doit apprendre à se préparer pour prévoir l'imprévisible. Prévoir l'imprévisible ? Ah les sinistres comiques !!! Les guignols ! Le phénomène "gilets jaunes" était un sacré coup de semonce, monsieur Macron ! Descendez de votre perchoir, monsieur Macron ! Ouvrez les oreilles, monsieur Macron ! Prenez des décisions justes, monsieur Macron !
Ce dont je suis sûr, c’est que depuis l’ouverture du présent blog le 25 mars 2011, les billets publiés ici par votre serviteur n’ont pas cessé de pleuvoir concernant l’écologie, la protection de la biodiversité ou de l’environnement ; mais aussi la dénonciation de la logique ultralibérale, de la colonisation de toute la sphère économique par des malades et des aveugles lancés dans une course effrénée vers l’abîme, de l’empoisonnement des sols, de l’air, de l’eau et des hommes par une industrie chimique démesurée, de l’industrialisation à outrance des moyens de nourrir l’humanité, etc., etc., etc…
Ce qui me terrifie, c’est aussi qu’en un clin d’œil (disons du jour au lendemain) tous les pays industrialisés et l’ensemble de leurs populations ont pu abandonner leur criminelle insouciance pour renoncer brutalement et sans hésiter à tout ce qui n’était pas rigoureusement indispensable à la préservation de la vie. Brutalement convertis au survivalisme le plus caricatural (des stocks d'huile, de sucre et de PQ, mais la télé et les réseaux sociaux pour se "tenir au courant" : on sait jamais). On fait le dos rond en attendant que les choses se calment, mais il ne faudrait pas que ça tarde trop, les "jours meilleurs".
Alors je suis parti à la pêche dans les sables mouvants où se sont engloutis aussitôt écrits tous les billets que j'ai pondus sur le sujet depuis le début. Je n'ai pas eu à chercher bien profond. Je n'ai eu aucun mal à réunir quelques paragraphes où tentait de se dire une vérité explosive qui, depuis, nous a pété à la gueule : la façon dont l'humanité vit aujourd'hui nous entraîne collectivement vers la mort. Je n'ai pas voulu surcharger la barque. Et je n'ai pas sélectionné les plus significatifs.
Nous venons d'entendre de nombreux appels pressants à fonder un système économique mondial qui soit viable pour tous, moins inégalitaire et plus respectueux de l'environnement. Il était temps. Je rappellerai seulement qu'au cours de la crise financière de 2007-2009, nous avions déjà entendu vociférer tous les vertueux de la dernière heure convertis à la sagesse économique (Sarkozy ?) appelant à la régulation de la finance folle, et qu'on a hélas vu ce qu'il en est resté quand la fièvre est retombée.
Je propose ici une petite piqûre de rappel, oh, presque rien, juste de quoi se souvenir que nous n'ignorons rien de l'enfer qui nous pend au nez et que nous fabriquons consciencieusement, jour après jour, de toutes pièces. Rassurez-vous, c'est à peine quelques pets de lapin sur une pente verglacée : c'est sans douleur. Autrement dit : c'est à pleurer.
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16 novembre 2017
Célèbre "une" du journal Le Monde du 14 novembre 2017. Célèbre et déjà aux oubliettes.
7 février 2018.
Le monde va-t-il bien ? Le monde va-t-il mal ? Le débat fait rage (un de plus, dira-t-on, voir au 2 février). Les uns ne voient, selon les autres, que le côté heureux des choses, sont heureux du monde dans lequel ils vivent et disent pis que pendre de Michel Houellebecq. Les autres souffrent, selon les uns, d’une sinistrose chronique aiguë, trouvent inquiétant tout ce qui arrive et sont allergiques à Michel Serres, le « ravi de la crèche » qui s’émerveille du génie et de l’inventivité de l’espèce humaine. [Au vu des circonstances, qui a raison, à votre avis ?]
23 mars 2018
Ils [les écologistes] rassemblent donc informations et documents, mais c'est pour en faire quoi ? Ils ne savent pas toujours bien. On trouve une documentations copieuse, mais éparse en provenance des forêts qui disparaissent ; des glaces du grand nord qui fondent plus vite que leur ombre, menaçant de submersion tout ce qui vit à proximité du littoral ; des eaux de surface des océans qui s’acidifient et se peuplent de continents de plastique ; de l’air que nous respirons dans les villes, qui améliore sans cesse le rendement de la mortalité humaine prématurée ; des camps d'extermination des insectes ouverts en plein air par les tenants de l'agriculture industrielle et productiviste ... j’arrête l’énumération.
24 mars 2018
A part ça, aucun voyageur du train fou qui nous emporte ne pourra dire que le signal d’alarme était en panne : les sentinelles font leur boulot et ne cessent d’actionner la sirène. Ce qui inquiète, c’est plutôt qu’il n’y a pire sourd que celui qui refuse d’entendre, et que le signal d’alarme donne massivement l’impression de pisser dans un violon des Danaïdes, ce qui est, on l'admettra, peu convenable.
25 mars 2018
Quel avenir ce tableau sommaire des préoccupations écologiques laisse-t-il entrevoir pour la planète ? J’ai envie de dire que, s’il y a une indéniable prise de conscience au sein de la communauté scientifique et parmi un certain nombre de voix en mesure de résonner dans les médias (je n'ai pas dit : en mesure de faire bouger les choses), le rapport des forces en présence et la lenteur pesante de l'évolution des consciences (ne parlons pas des intérêts en jeu, qui font résolument barrage) laissent mal augurer de nos lendemains.
4 septembre 2018 (en rapport avec la "une" du Monde reproduite ci-dessus).
Les cris d'alarme se suivent et se ressemblent. Parions qu’ils figureront un jour en bonne place dans la série "Ronds dans l'eau". Les appels ont une efficacité – on le constate tous les jours – de plus en plus nulle. Non, je le reconnais, je ne suis pas optimiste. Le pire, c'est que je crois que j'ai raison.
Il n'y a rien de plus urgent que de changer tout le système, mais rien ne sera fait : les USA quitteront les accords de Paris, Nicolas Hulot prendra acte de sa complète impuissance à influer sur le cours des choses et quittera spectaculairement le gouvernement d'Emmanuel Macron.
Il n'y a en effet rien de plus urgent. Je dirai même que c'est la seule et unique urgence qui devrait mobiliser toutes les énergies (renouvelables). C'est peut-être infiniment vrai, mais les chars d'assaut de la politique (lieu des rivalités de pouvoir) et de l'économie (lieu privilégié de l'exercice de la rapacité) – les vrais pouvoirs – ne s'en laisseront pas conter : « Les affaires sont les affaires ».
Sans compter que les populations qui bénéficient d'un mode de vie confortable (moi compris) refusent toute perspective de régression matérielle. Et que les populations qui n'en bénéficient pas encore ont la volonté farouche d'y parvenir à leur tour.»
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"Notre humanité délire." Tu l'as dit, bouffi ! Extrait de la une du "Un" ci-dessus.
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La crise du coronavirus me met en rage : on sait tout, on a maintenant la preuve que nos façons de procéder avec le monde qui nous entoure sont guidées par la folie, et on ne fera rien, sinon serrer encore la vis à ceux qui ont le moins de pouvoir.
Je dois avouer que je n'ai moi-même pas très envie de changer de mode de vie. Les gens, à la Croix-Rousse, se sont déjà remis à se répandre dans les rues comme aux plus beaux jours de l'insouciance. La population dans son ensemble ne voit pas comment on pourrait faire autrement qu'avant. Qui accepterait plus qu'hier de se voir imposer des limites à ses désirs ? Et toutes les forces existantes n'attendent que le moment de reprendre leur existence comme avant. Le monde entier attend de pouvoir retrouver une
VIE NORMALE.
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Au fond, je vais vous dire :
le présent blog ne sert strictement à rien.
Dit autrement : on ne convainc que les convaincus.
« Plus de fric pour le service public ». Il y en a qui ne doutent de rien.
Les individus qui ne sont pas d'accord sont rigoureusement impuissants face au système dont ils ont perçu l'aberration fondatrice.
La crise actuelle me renvoie à mon quasi-néant.
09:00 Publié dans L'ETAT DU MONDE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : journal le un, éric fottorino, covid-19, sars-cov-2, lanceurs d'alerte, prévoir l'imprévisible, écologie, protection de l'environnement, ultralibéralisme, biodiversité, industrie chimique, nicolas sarkozy, journal le monde, dominique bourg, yves cochet, pablo servigne, coronavirus, emmanuel macron, lyon, croix-rousse, confinement, gilets jaunes