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dimanche, 05 novembre 2023

CLIMAT : C'EST PAS GAGNÉ !!!

ON LE VOIT DE MIEUX EN MIEUX, LE MONDE D'APRÈS.

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DEF. 2023 06 25-26 BOCAGES DECLIN DES HAIES.jpg

Le Monde, 25-26 juin 2023.

Les haies, j'ai l'impression d'en entendre parler depuis des dizaines d'années. On croit toujours que les acteurs d'un problème sont capables d'en comprendre les causes et de corriger le tir. Cet article date du mois de juin dernier, et on est obligé de constater qu'il n'en est rien. Bah, pourquoi se soucier du sort de ces petits arbres, arbustes, arbrisseaux ? Des malveillants de petite envergure les avaient sûrement installés là juste pour couper l'élan de nos gros tracteurs et autres grosses machines qui servent enfin à entrer dans les grandes dimensions de la modernité moderne et à transformer l'action de cultiver la terre en une entreprise industrielle comme n'importe quelle autre.

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DEF. 2023 06 22 C'EST LE SOJA QUI DEFORESTE.jpg

Le Monde, 22 juin 2023.

Là, on est évidemment en Amazonie. Le Brésil est, tout le monde le sait, complètement cinglé de vouloir faire du fric international en lieu et place de la bonne vieille canopée qui est comme une pompe (comme celle où les Dupondt sont enchaînés dans Le Trésor de Rackham Le Rouge) qui permet aux êtres vivants de respirer, même quand ils ne sont pas Brésiliens — et même quand ils ne sont pas scaphandriers.

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DEF. 2023 06 28 LA CHINE DEBOISE.jpg

Le Monde, 28 juin 2023.

Je ne suis pas sûr que la Chine possède sur son sol l'équivalent de la forêt amazonienne, mais c'est la même logique qui fonctionne. A la différence qu'en Chine, on pense d'abord à la nourriture des "petits Chinois" (comme on disait quand il fallait garder le "papier d'argent" des tablettes de chocolat, pour la raison, paraît-il, qu'ils mouraient de faim, les petits Chinois).

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DEF. 2023 06 28 ON DEFORESTE A TOUTE VITESSE.jpg

Le Monde, 28 juin 2023.

DEF. 2023 10 24 ON DEFORESTE ENCORE PLUS VITE.jpg

Le Monde, 24 octobre 2023.

Les articles de journaux se suivent, inlassablement, pour alerter le monde sur la folie qui consiste à faire disparaître les forêts. Mais qu'est-ce que c'est, "le monde" ? J'ai bien l'impression que c'est la même chose que la bien connue "communauté internationale", et même si possible en plus abstrait et inconsistant.

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2023 08 22 LA CLIME PROGRESSE ET POLLUE.jpg

Le Monde, 22 août 2023.

Bon, là, on est en pleine canicule, et il y a des tas de gens qui souffrent tellement de la chaleur que se fabriquer une température un peu moins forte peut ressembler à une bonne action. Mais l'été dernier, quand vous passiez sur le trottoir qui longe le magasin "Picard" — angle rue du Mail / rue Chariot d'or, à la Croix-Rousse —, le vent torride que vous soufflent les machines à congeler vous obligeait quand même à vous demander si tout ça était bien raisonnable.

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2023 09 02 BATTERIES TROP PUISSANTES.jpg

Le Monde, 2 septembre 2023.

Tout le monde aujourd'hui semble avoir mentalement adopté l'idée de la voiture électrique. Il faut dire que la propagande vantant les mérites de ces machines roulantes qui ne font pas l'affaire des émirs, des géants du pétrole et de mon garagiste est si tonitruante et omniprésente qu'on peut difficilement passer à travers les gouttes.

Cela dit, il faudrait peut-être que tous ces convaincus s'interrogent sur les origines et les conséquences de cette soudaine mutation d'une filière industrielle jusqu'ici essentielle.

Par exemple, si on raisonne en termes de consommation d'énergie (et non plus seulement de carburant), on se dit que, quoi qu'il arrive, il faudra produire de plus en plus de capacité de rouler, c'est-à-dire que la quête de puissance embarquée enflera et bouffera des quantités croissantes de matières capables d'alimenter les générateurs électriques. Certains pensent que l'on en respirera mieux. Admettons l'hypothèse.  

Seulement, on pourrait se dire qu'en se contentant de transférer le besoin d'énergie d'une source sur une autre, on ne fait que déplacer le problème. Le Problème ? Mais c'est la consommation d'énergie, bien sûr ! La sobriété, je vous dis !

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2023 10 18 EUROPE LE REACH EST AJOURNE.jpg

Le Monde, 18 octobre 2023.

Il faut d'abord savoir que R.E.A.C.H. (Registration, Evaluation, Autorisation des substances CHimiques), c'est le programme européen de régulation de quelque 20.000 molécules répertoriées. REACH, ça doit servir théoriquement à s'assurer de l'innocuité de chacune des substances inventées par les chimistes et, éventuellement, d'interdire les plus dangereuses. L'Europe montre une nouvelle fois qu'elle est à la pointe extrême de l'arrière-garde en matière de protection de la santé humaine et de l'environnement.

Il faut dire que les promoteurs de l'industrie chimique ont en horreur tous ces écolos à la noix qui ne rêvent que de les empêcher de gagner du bon argent pour engraisser les actionnaires. Et qu'ils ne lésinent devant aucun moyen humain ou financier pour infléchir le consensus européen en direction de leurs intérêts. La santé humaine ? Vous voulez rire ! Vous vous rendez compte de la catastrophe, si les Européens parvenaient à se mettre d'accord sur leur dos ? Comme quoi ils n'ont pas complètement tort, ceux qui établissent l'équation « Europe = Paralysie ». J'attends de pied ferme que l'équation soit démentie par un éclair de Raison qui toucherait les responsables européens. Est-ce complètement improbable ?

Le Canard enchaîné (25 octobre 2023) est plus sévère, et sans doute mieux informé de ce qui se passe dans les coulisses.

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2023 05 06 PESTICIDES EN LIBERTE.jpg

Le Monde, 6 mai 2023.

Alors là, c'est une curiosité, sur laquelle les serviteurs de l'information vraie se sont fort peu étendus. Il s'agit des consignes envoyées par l'autorité gouvernementale aux personnes chargées de contrôler la façon dont les producteurs de fruits respectent la réglementation en vigueur en matière de pesticides. Ces consignes se résumaient quasiment à l'ordre de ne pas opérer de "visite de flagrance" dans les exploitations contrevenantes. Autrement dit : les inspecteurs devaient, en cas de flagrante infraction, fermer les yeux, le nez et les oreilles, et s'abstenir d'intervenir. Fallait y penser, non ?

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2023 03 28 UN AGRO INDUSTRIEL A LA FNSEA.jpg

Le Monde, 28 mars 2023.

J'aurais pu, à la réflexion, intituler ce billet : "Un faisceau de présomptions" lourdes et convergentes. Regardez l'élection de ce représentant de l'agro-industrie à la tête de la F.N.S.E.A., ce drôle de "syndicat", qui ressemble par certaines façons de faire à un "syndicat du crime". Avec un tel président, au moins, on ne risque pas de voir le lobby des entrepreneurs en agriculture errer ou dériver vers une défense de l'environnement qui ne pourrait que nuire aux affaires.

Cela fait longtemps qu'on ne parle plus de "paysans" à la F.N.S.E.A. Mais si, paysans, ça doit vous dire quelque chose. C'était dans les temps anciens, où des millions de culs-terreux faisaient tout, mais en petit, bien à l'abri de leurs champs délimités par des haies, et qui étaient incapables de voir les choses "en grand", comme font de nos jours les modernes gros bras de l'industrie agricole.

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Le Monde, 22-23 octobre 2023.

Dernier maillon de la chaîne : du grand distributeur au petit consommateur. On nous a beaucoup bassiné avec « achetez bio, achetez "en vrac" ». Résultat des courses : toujours plus de suremballages. C'est la fête aux plastiques divers et au carton ! Il va nous en falloir, des poubelles, des poubelles et encore des poubelles.

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Oui, monsieur le président, nous sommes bien face à un faisceau de présomptions lourdes et convergentes. Oui, vous les entendez comme nous, monsieur le président, les appels à lutter contre le réchauffement climatique et contre les extrêmes météorologiques qu'il a déjà commencé à provoquer. Oui, monsieur le président, vous connaissez les coupables de l'empoisonnement des sols. Tout le monde sait ce qu'il y a à savoir, bien que les rangs des dénégateurs soient de plus en plus serrés.

Le malheur, monsieur le président, c'est qu'il vous semble très difficile de désigner et condamner des coupables ainsi que l'ensemble de leurs complices : tout le monde ne l'est-il pas, à un titre ou à un autre ? Ce qui est sûr, c'est que les kilomètres de discours et les kilotonnes de mots déversés quotidiennement se heurtent à une résistance dont on ne soupçonnait pas les ressources.

On braque volontiers l'attention sur ce qui se passe de bien ici ou là, en oubliant de dire qu'il faut de sacrés instruments d'optique pour identifier comme vertueuse telle ou telle expérience. En oubliant aussi de dire que le vertueux est perdu comme une goutte d'eau dans l'océan des nuisances et qu'il faut de sacrés bons yeux pour le distinguer. 

C'en est au point que la tendance générale est à l'aggravation, comme le montrent les effets de la grande coalition des tenants du pétrole et des autres énergies fossiles (voir mon billet d'il y a quelques jours). Et comme le montrent les usages de la chimie, les déforestations, la gloutonnerie énergétique chaque jour plus incontrôlable de notre époque et la volonté de puissance des acteurs de l'agriculture industrielle.

Je n'aimerais pas être à votre place, monsieur le président.

samedi, 02 mai 2020

« JE VOUS L'AVAIS BIEN DIT, SKRONYONYO ! »

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La revue "Le Un" du mercredi 29 avril dernier : « Et maintenant on change quoi ? ». Mais on ne change rien, mon bon monsieur ! Qu'allez-vous imaginer ?

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Mais non, voyons, malgré le titre que j'ai trouvé, je n'ai nullement l'intention de faire la leçon à qui que ce soit. Je me permets juste de constater. Et de m'effrayer. Ce qui me terrasse dans cette crise dite « du coronavirus », c’est qu’on savait. On savait tout. On savait tout depuis très longtemps. On ne savait pas quand, on ne savait pas par où ça arriverait, mais on savait que ça arriverait. Depuis combien de décennies les lanceurs d’alerte font-ils retentir le tocsin ? Je suis sûr que des "collapsologues" comme Yves Cochet et Pablo Servigne jubileraient d'avoir eu raison si vite si l'actuel coup de Trafalgar mondial ne les laissait pas hébétés comme je l'ai été.

Où l'on constate que l'ennemi public n°1 de notre civilisation a trouvé sans hésiter le défaut de la cuirasse : plus elle ressemble au Colosse de Rhodes, plus le marbre de ses pieds se transforme en sable. On avait tout prévu, TOUT, sauf ... Depuis, tous les Grands Manitous de la planète se demandent comment on doit apprendre à se préparer pour prévoir l'imprévisible. Prévoir l'imprévisible ? Ah les sinistres comiques !!! Les guignols ! Le phénomène "gilets jaunes" était un sacré coup de semonce, monsieur Macron ! Descendez de votre perchoir, monsieur Macron ! Ouvrez les oreilles, monsieur Macron ! Prenez des décisions justes, monsieur Macron !

Ce dont je suis sûr, c’est que depuis l’ouverture du présent blog le 25 mars 2011, les billets publiés ici par votre serviteur n’ont pas cessé de pleuvoir concernant l’écologie, la protection de la biodiversité ou de l’environnement ; mais aussi la dénonciation de la logique ultralibérale, de la colonisation de toute la sphère économique par des malades et des aveugles lancés dans une course effrénée vers l’abîme, de l’empoisonnement des sols, de l’air, de l’eau et des hommes par une industrie chimique démesurée, de l’industrialisation à outrance des moyens de nourrir l’humanité, etc., etc., etc…

Ce qui me terrifie, c’est aussi qu’en un clin d’œil (disons du jour au lendemain) tous les pays industrialisés et l’ensemble de leurs populations ont pu abandonner leur criminelle insouciance pour renoncer brutalement et sans hésiter à tout ce qui n’était pas rigoureusement indispensable à la préservation de la vie. Brutalement convertis au survivalisme le plus caricatural (des stocks d'huile, de sucre et de PQ, mais la télé et les réseaux sociaux pour se "tenir au courant" : on sait jamais). On fait le dos rond en attendant que les choses se calment, mais il ne faudrait pas que ça tarde trop, les "jours meilleurs".

Alors je suis parti à la pêche dans les sables mouvants où se sont engloutis aussitôt écrits tous les billets que j'ai pondus sur le sujet depuis le début. Je n'ai pas eu à chercher bien profond. Je n'ai eu aucun mal à réunir quelques paragraphes où tentait de se dire une vérité explosive qui, depuis, nous a pété à la gueule : la façon dont l'humanité vit aujourd'hui nous entraîne collectivement vers la mort. Je n'ai pas voulu surcharger la barque. Et je n'ai pas sélectionné les plus significatifs.

Nous venons d'entendre de nombreux appels pressants à fonder un système économique mondial qui soit viable pour tous, moins inégalitaire et plus respectueux de l'environnement. Il était temps. Je rappellerai seulement qu'au cours de la crise financière de 2007-2009, nous avions déjà entendu vociférer tous les vertueux de la dernière heure convertis à la sagesse économique (Sarkozy ?) appelant à la régulation de la finance folle, et qu'on a hélas vu ce qu'il en est resté quand la fièvre est retombée. 

Je propose ici une petite piqûre de rappel, oh, presque rien, juste de quoi se souvenir que nous n'ignorons rien de l'enfer qui nous pend au nez et que nous fabriquons consciencieusement, jour après jour, de toutes pièces. Rassurez-vous, c'est à peine quelques pets de lapin sur une pente verglacée : c'est sans douleur. Autrement dit : c'est à pleurer.

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16 novembre 2017

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Célèbre "une" du journal Le Monde du 14 novembre 2017. Célèbre et déjà aux oubliettes.

7 février 2018.

Le monde va-t-il bien ? Le monde va-t-il mal ? Le débat fait rage (un de plus, dira-t-on, voir au 2 février). Les uns ne voient, selon les autres, que le côté heureux des choses, sont heureux du monde dans lequel ils vivent et disent pis que pendre de Michel Houellebecq. Les autres souffrent, selon les uns, d’une sinistrose chronique aiguë, trouvent inquiétant tout ce qui arrive et sont allergiques à Michel Serres, le « ravi de la crèche » qui s’émerveille du génie et de l’inventivité de l’espèce humaine. [Au vu des circonstances, qui a raison, à votre avis ?]

23 mars 2018

Ils [les écologistes] rassemblent donc informations et documents, mais c'est pour en faire quoi ? Ils ne savent pas toujours bien. On trouve une documentations copieuse, mais éparse en provenance des forêts qui disparaissent ; des glaces du grand nord qui fondent plus vite que leur ombre, menaçant de submersion tout ce qui vit à proximité du littoral ; des eaux de surface des océans qui s’acidifient et se peuplent de continents de plastique ; de l’air que nous respirons dans les villes, qui améliore sans cesse le rendement de la mortalité humaine prématurée ; des camps d'extermination des insectes ouverts en plein air par les tenants de l'agriculture industrielle et productiviste ... j’arrête l’énumération. 

24 mars 2018

A part ça, aucun voyageur du train fou qui nous emporte ne pourra dire que le signal d’alarme était en panne : les sentinelles font leur boulot et ne cessent d’actionner la sirène. Ce qui inquiète, c’est plutôt qu’il n’y a pire sourd que celui qui refuse d’entendre, et que le signal d’alarme donne massivement l’impression de pisser dans un violon des Danaïdes, ce qui est, on l'admettra, peu convenable. 

25 mars 2018

Quel avenir ce tableau sommaire des préoccupations écologiques laisse-t-il entrevoir pour la planète ? J’ai envie de dire que, s’il y a une indéniable prise de conscience au sein de la communauté scientifique et parmi un certain nombre de voix en mesure de résonner dans les médias (je n'ai pas dit : en mesure de faire bouger les choses), le rapport des forces en présence et la lenteur pesante de l'évolution des consciences (ne parlons pas des intérêts en jeu, qui font résolument barrage) laissent mal augurer de nos lendemains.  

4 septembre 2018 (en rapport avec la "une" du Monde reproduite ci-dessus).

Les cris d'alarme se suivent et se ressemblent. Parions qu’ils figureront un jour en bonne place dans la série "Ronds dans l'eau". Les appels ont une efficacité – on le constate tous les jours – de plus en plus nulle. Non, je le reconnais, je ne suis pas optimiste. Le pire, c'est que je crois que j'ai raison.

Il n'y a rien de plus urgent que de changer tout le système, mais rien ne sera fait : les USA quitteront les accords de Paris, Nicolas Hulot prendra acte de sa complète impuissance à influer sur le cours des choses et quittera spectaculairement le gouvernement d'Emmanuel Macron.

Il n'y a en effet rien de plus urgent. Je dirai même que c'est la seule et unique urgence qui devrait mobiliser toutes les énergies (renouvelables). C'est peut-être infiniment vrai, mais les chars d'assaut de la politique (lieu des rivalités de pouvoir) et de l'économie (lieu privilégié de l'exercice de la rapacité) – les vrais pouvoirs – ne s'en laisseront pas conter : « Les affaires sont les affaires ».

Sans compter que les populations qui bénéficient d'un mode de vie confortable (moi compris) refusent toute perspective de régression matérielle. Et que les populations qui n'en bénéficient pas encore ont la volonté farouche d'y parvenir à leur tour.»

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"Notre humanité délire." Tu l'as dit, bouffi ! Extrait de la une du "Un" ci-dessus.

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La crise du coronavirus me met en rage : on sait tout, on a maintenant la preuve que nos façons de procéder avec le monde qui nous entoure sont guidées par la folie, et on ne fera rien, sinon serrer encore la vis à ceux qui ont le moins de pouvoir.

Je dois avouer que je n'ai moi-même pas très envie de changer de mode de vie. Les gens, à la Croix-Rousse, se sont déjà remis à se répandre dans les rues comme aux plus beaux jours de l'insouciance. La population dans son ensemble ne voit pas comment on pourrait faire autrement qu'avant. Qui accepterait plus qu'hier de se voir imposer des limites à ses désirs ? Et toutes les forces existantes n'attendent que le moment de reprendre leur existence comme avant. Le monde entier attend de pouvoir retrouver une

VIE NORMALE.

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Au fond, je vais vous dire :

le présent blog ne sert strictement à rien.

Dit autrement : on ne convainc que les convaincus.

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« Plus de fric pour le service public ». Il y en a qui ne doutent de rien.

Les individus qui ne sont pas d'accord sont rigoureusement impuissants face au système dont ils ont perçu l'aberration fondatrice. 

La crise actuelle me renvoie à mon quasi-néant.

mercredi, 09 mai 2018

LE MONDE DANS UN SALE ETAT

2016 NICOLINO FABRICE.jpg5 juin 2016

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Les multiples diagnostics posés par des gens de multiples disciplines sur la santé actuelle et à venir de la planète, des hommes qui la peuplent et de la civilisation que les occidentaux (disons plutôt les Américains) ont échafaudée et exportée partout dans le monde, ces diagnostics sont donc très clairs : sale temps pour l’humanité. 

Je viens d’ajouter un livre à la somme démoralisante des lectures citées hier. Lettre à un paysan sur le vaste merdier qu’est devenue l’agriculture (Les Echappés, 2015) n’est pas seulement un pamphlet où le journaliste Fabrice Nicolino tire à boulets rouges sur la conception de l’agriculture que responsables politiques, capitalistes et ingénieurs (agronomes, chimistes, etc.) ont imposée au reste du monde. C’est aussi un essai (« brillant », lit-on en 4ème de couverture, en tout cas très bref : en 120 pages, la messe est dite) très informé, où l’auteur raconte l’histoire de la crise de démence industrielle dans laquelle l’humanité a été plongée au 20ème siècle. A commencer par le premier massacre industriel de ce siècle passé : la guerre de 1914-1918.

Cette démence porte de jolis noms : la « rationalisation », la mécanisation de tout le travail humain, en attendant sa robotisation. En un mot, l’industrialisation à outrance de toutes les tâches humaines. Même de la mort, comme l'ont prouvé les camps de Maidanek, Sobibor, Treblinka et un autre dont le nom trop connu est devenu un emblème. 

L'industrialisation, c’est-à-dire la séparation radicale de la conception de la tâche et de son exécution. C’est-à-dire la décomposition du processus de production d’un objet en une multitude d’opérations simples. C’est-à-dire l’interposition de la machine entre le travailleur et ce qu’il fabrique. C’est Christopher Lasch qui le dit dans La Culture du narcissisme : la majorité des travailleurs qui ont été mis à la chaîne de fabrication sont dépossédés de l’essentiel. Karl Marx (eh oui !), longtemps avant lui, avait appelé ça l'"aliénation".

Fabrice Nicolino, s’il concentre son propos sur les problèmes spécifiques de l’agriculture, est bien obligé d’élargir le champ d’investigation. Que signifie en effet l’industrialisation de la production alimentaire ? Deux choses : la mécanisation et la chimie, dont le livre retrace l'histoire de l'installation catastrophique et définitive dans le paysage des campagnes françaises que les deux fléaux s'acharnent à détruire.

Au départ, Nicolino oppose deux conceptions radicalement incompatibles de la production agricole, qu'il personnifie en les personnes d'André Pochon et Michel Debatisse. L'auteur a croisé la route du premier il y a vingt ans. Ce paysan de Saint-Mayeux, qui ne tient pas à devenir un esclave du métier (il tient à consacrer du temps à sa famille et à la sieste), exerce son art sur huit hectares, qui produisent « autant que sur vingt et même vingt-cinq hectares », s'épargne un énorme labeur inutile en ayant des idées.

Par exemple, il innove par rapport à la tradition en plantant ses prairies, ce que ses ancêtres ne faisaient pas. Il assemble ainsi "ray-grass" et trèfle blanc, un fertilisant qui lui évite le recours aux engrais azotés. Son refrain s'inspirait de René Dumont, l'agronome qui fut candidat-président : « Regardez bien votre vache, c'est un animal extraordinaire ; elle a une barre de coupe à l'avant, et un épandeur à l'arrière. Si vous flanquez cet animal dans le milieu d'un pré, elle fait le travail toute seule ». L'INRA de Quimper s'intéresse d'abord aux pratiques d'André Pochon, mais ne tarde pas à les jeter au panier : « Que seraient devenus les marchands d'engrais et de matériels, qui font toutes les lois agricoles ou les sabotent ? ». Sans compter la terreur que faisait régner le Crédit Agricole sur l'ensemble du milieu.

On a envie de fredonner Brassens, vous savez : « Que la vie serait belle en toute circonstance, si vous n'aviez tiré du néant ces jobards » (Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part). Le premier jobard dont il est question est Michel Debatisse, futur président de la toute-puissante FNSEA, un féroce partisan du productivisme agricole. Cette conception entre tout à fait dans les vues d'un célèbre ministre de l'Agriculture : Edgard Pisani. C'est ce dernier qui déclare, le 20 février 1965 : « La Bretagne doit devenir un immense atelier de production de lait et de viande ».

Nicolino précise que cette conception productiviste est directement empruntée aux Américains : plusieurs hauts responsables ont été littéralement estomaqués par leur visite aux abattoirs de Chicago, d'énormes usines-cathédrales capables de "traiter" des milliers de bêtes dans un temps ridiculement court. Jean Bustarret, futur directeur de l'INRA, fait aussi le voyage : « Comme les copains, il en revient émerveillé par la productivité, et devient un militant du maïs ». Résultat : « Une plante tropicale, grosse consommatrice d'eau d'irrigation, d'engrais et de pesticides, déferle sans que quiconque ait la moindre idée des conséquences ». Tiens, pour voir les dégâts, longez seulement en voiture la plaine d'Alsace du sud au nord (ou l'inverse).

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Ce n'est pas Chicago : c'est Cincinnati dans les années 1880.

Source : le Journal des Voyages, même époque.

On devine qu'André Pochon a perdu, puisque c'est Michel Debatisse qui a gagné. Fabrice Nicolino complète son tableau d'un désastre annoncé en faisant mention de l'invention des pesticides et de leur application massive dans les pratiques agricoles. Il s'attarde bien sûr sur le cas du DDT, ce poison encore en usage, me semble-t-il, dans pas mal de pays, qui finira par être abandonné, pour cause de nuisances, dans les pays industriels. Il évoque aussi la destruction des paysages sous les coups de la mécanisation à outrance : il est indispensable de permettre aux engins d'enginer.

Résultat : plus de haies, fini, le découpage invraisemblable de la terre en parcelles de plus en plus minuscules au gré des successions. Il est vrai qu'on ne peut laisser le cadastre se transformer en sac de confettis, mais ce qui était une nécessité raisonnable a été utilisé comme prétexte pour laisser libre cours à l'invasion des machines. On a appelé ça le Remembrement.

On doit à cette Terreur administrative des paysages comme ceux de la Beauce, où la terre, sur des dizaines de milliers d'hectares, est désormais morte, et ne parvient à produire qu'à coups d'injections massives d' "intrants". 


Ci-dessus, pour les amateurs, trente-six minutes de constat et de dénonciation par Claude Bourguignon et d'autres intevenants. Attention : certaines images, mais surtout l'ensemble des propos et des "acteurs" de cette vidéo sont de nature à heurter les âmes sensibles. Ne pas s'abstenir : s'accrocher !

Rien qu'en Bretagne, selon les estimations de Jean-Claude Lefeuvre (un universitaire spécialiste de la biodiversité), « 280.000 kilomètres de haies et de talus boisés auraient été arasés dans cette région entre 1950 et 1985 ».

L'état actuel de la France agricole (mais ça vaut pour la plupart des pays) est le résultat de la confiscation des métiers agricoles par des technocrates, des crânes d’œuf, des rats de bureau qui ont fait de l'agriculture une construction intellectuelle et ont élaboré pour elle des modèles théoriques, d'une grande rationalité en apparence, mais déconnectés de la terre concrète, qu'on l'appelle terroir, territoire ou terrain. Leur idéal, c'est de faire de la terre nourricière une usine, une machine à nourrir. Il y a eu clairement, en haut lieu, une implacable volonté politique d'imposer ce modèle, à l'exclusion de toute autre possibilité.

Fabrice Nicolino s'approche de la vérité idéologique contenue dans un tel projet, quand il écrit : « Tous mêlés dans une structure clairement paratotalitaire, vouant un véritable culte à la chimie de synthèse et aux pesticides, tout l'espace est occupé. Cinquante personnes peut-être, dans cette France de la Libération, décident du sort des pesticides, et tous mangent dans la main de Willaume, qui multiplie les occasions - congrès, banquets, conférences, foires - de les réunir ». 

Et ce n'est pas avec la terrible et bureaucratique FNSEA, et ce n'est pas avec l'impitoyable « concurrence libre et non faussée » imposée par une Europe totalement aveugle, que quiconque va pouvoir changer quoi que ce soit à l'épouvantable situation dans laquelle se trouve cette frange de la population (réduite désormais à pas grand-chose), qui portait autrefois la fière appellation de Paysannerie.

De profundis.

Voilà ce que je dis, moi. 

lundi, 07 mai 2018

L'ORDURE OGM

Retour, un peu plus récent que de précédents billets sur le même thème remis en ligne (voir 15 au 19 avril), sur un problème qui commence à dater, mais aussi et surtout à convaincre que le débat scientifique devient un piège diabolique, quand il est instrumentalisé par des transnationales, qui n'ont pour souci que de retarder par tous les moyens et le plus longtemps possible d'éventuelles décisions politiques de réglementation, de régulation, voire d'interdiction de leurs produits innovants.

La force de frappe financière et juridique (ça va ensemble) des grandes firmes industrielles doit avoir quelque chose de proprement décourageant pour des gens qui considèrent comme valide le principe de précaution, au prétexte qu'on leur oppose selon lequel il est une entrave aux "Progrès de la Science". Entre les mains des firmes, le "débat scientifique" est, en même temps qu'un argument presque imparable, une pure proposition dilatoire, destinée à lui laisser gagner le temps nécessaire pour installer son produit dans la réalité des pratiques, de rendre son usage irréversible. Ce qu'on appelle la "politique du fait accompli".

Et je ne me fais guère d'illusion sur la possibilité, dans de telles situations, d'obtenir l'inversion de la charge de la preuve : au lieu que les autorités décisionnaires obligent des scientifiques neutres et indépendants à faire la preuve de la nocivité des produits inventés par les grandes firmes avant d'en réguler la vente ou de les interdire, il faut exiger au contraire que ce soient ces dernières qui fassent la preuve (et pas la preuve par copinage et "fondations" complices) de l'innocuité de leurs produits AVANT que ceux-ci soient mis sur le marché (comme l'industrie pharmaceutique le pratique, ou plutôt semble le pratiquer, ou pour mieux dire : fait semblant de le pratiquer, pendant que les "autorités" ferment les yeux).

24 mai 2016

Donc, Bayer propose aux actionnaires de Monsanto de leur verser au total 55 milliards d’euros s’ils veulent bien lui vendre leurs actions – à 37 % au-dessus du cours de Bourse. Le mouvement naturel du capitalisme est (pour aller vite) depuis longtemps de concentrer la puissance (je veux dire : la richesse, le prestige, et puis aussi ce qu'on appelle du drôle de nom de ... Liberté (plus on est riche, aujourd'hui, plus on est libre) !  Cela pour éliminer la concurrence et établir dans la mesure du possible une situation de monopole. Cela pour dicter la loi et maximiser les profits en fixant les prix. Cela se passant sur un soi-disant « marché », où la fable de la « concurrence libre et non faussée » raconte au bon peuple le conte de fées du « juste prix ». 

Monsanto et Bayer se tirent la bourre dans le domaine de la chimie, plus précisément de l’agrochimie, et encore plus précisément dans le domaine des OGM. Ne parlons pas du glyphosate, ce composant principal de l’insecticide-vedette de Monsanto, dont la France est spécialement friande. 

Stéphane Foucart, qui intitule « Un savant à notre goût » sa chronique « Planète » du Monde daté 24 mai, évoque le cas de M. Boobis (« consultant pour des organisations financées par des entreprises commercialisant le fameux glyphosate »), un scientifique qui est à l’origine du message très rassurant sur le sujet, en totale contradiction avec les conclusions du CIRC, collège de spécialistes du cancer, exempts de ce qu’il est convenu d’appeler « conflits d’intérêts ». 

C’est un truc « controversé », vous savez, ce genre de trucs sur lesquels diverses agences (CIRC, EFSA, OMS, …) composées de savants très savants s’étripent par « rapports » interposés ? Tant qu’il y a « controverse » entre scientifiques (difficile parfois de distinguer entre ceux financés par de l'argent public et ceux dont les laboratoires sont financés par des "fondations" intéressées à ce que les résultats répondent à leurs objectifs bien précis – qui oserait parler ici de "conflits d'intérêts ?), au moins les politiques, responsables et autres décideurs ne sont pas mis en face de cruelles décisions à prendre pour protéger la santé des simples citoyens. Et pendant que les abeilles meurent en masse, les actionnaires se frottent les mains. Faire régner le doute, c'est tout un métier, et qui peut rapporter gros à ceux qui l'exercent : voir à ce sujet l'excellent livre d'Oreskes et Conway Les Marchands de doute.

Ne parlons que des OGM. Sont-ils indispensables ? Sont-ils nocifs ? Laissons les scientifiques débattre de cette grave question. Quand on y verra plus clair, il sera bien temps de prendre une décision. En attendant, laissons la « controverse » prospérer, croître et embellir. Et n’approfondissons pas trop la question de savoir si les scientifiques embarqués dans les diverses agences en bisbille sont ou non financièrement et personnellement intéressés au prorata des résultats des recherches qu’ils mènent, telles qu’ils apparaissent dans les « rapports » publiés. Laissons de côté la question de savoir dans quelle mesure ils sont vraiment désintéressés.

[Sont-ils indispensables ? Sont-ils nocifs ? Voilà bien deux questions désarmantes de naïveté. Une question – un peu moins naïve – consiste à s'interroger sur les motivations réelles et profondes de la transnationale à mettre sur le marché des produits innovants. La réponse est simple et désespérante : les motivations ne sont jamais humanistes, généreuses et universalistes, et n'ont jamais visé à faire progresser l'humanité sur la voie de la voie du Progrès, mais à enrichir ceux qui ont mis la chose au point et ceux qui ont placé leur argent dans l'affaire en espérant que ça leur rapporte un maximum. Fabriquer les formes du monde à venir et s'en faire le propriétaire et le bénéficiaire, si possible "ad vitam aeternam". Ajouté le 6 mai 2018.]

Se laisser hypnotiser par la « controverse » scientifique sur les OGM, c’est suivre un chiffon rouge qui vous détourne de l’essentiel. Le plus grave n’est peut-être pas dans le « Roundupready » de Monsanto (bien que ça ne soit pas très sympathique). Le plus grave est dans les brevets qui posent la griffe d’une grande transnationale sur l’agriculture mondiale, c’est-à-dire sur l’alimentation de l’humanité. Je veux dire dans la confiscation, dans l’accaparement, par des gens surtout occupés de profits et de dividendes, des ressources collectives concernant un besoin essentiel des hommes. 

La « controverse » scientifique sur les OGM est l’arbre (un de plus !) qui empêche de voir l’immense forêt de la Grande Privatisation de Tout. La logique ici à l’œuvre aboutit à installer une barrière de péage devant tous les gestes de la vie quotidienne qui sont encore à l’abri de la dictature du « Marché ». Un certain nombre de gens qui voient un intérêt financier potentiel dans tout ce qui ne leur rapporte encore rien ont bien l’intention de s’approprier tout le vivant. 

L’ordure OGM est moins dans les manipulations génétiques et les éventuels risques qu'elles font courir à la santé humaine que dans les panneaux « Propriété Privée, Défense d’entrer » que des troupes de bandits en costumes trois-pièces sont en train de planter devant tout ce qui ressemble au Bien Commun, après avoir obtenu des instances politiques que la LOI soit mise à leur service. 

Voilà ce que je dis, moi.

dimanche, 29 avril 2018

L'INDUSTRIE DÉTESTE LA VÉRITÉ ... 2

... SCIENTIFIQUE.

 

27 février 2015

 

Je parlais du livre de Naomi Oreskes et Erik M Conway, Les Marchands de doute. Un livre fondamental.

 

2/2

 

La thèse principale peut être formulée ainsi : les industriels ont tout fait pour ériger la controverse scientifique en stratégie de communication, pour éviter qu’une régulation légale ou administrative vienne limiter la liberté du commerce et des affaires. « Tout », ça signifie, entre autres, la manipulation et le trucage des données, les pressions et l’intimidation sur les professionnels (eh oui, ils pensent aussi à leur carrière), la dénégation et le mensonge tous azimuts quand il s'agit d'intervenir dans les médias, la création et l'entretien méthodique de réseaux d’influence, l’omniprésence dans les médias de masse quand des illuminés imaginent pouvoir impunément les mettre en cause, etc. … Les exemples successifs sont le tabac, l’IDS de Reagan (on a oublié ce délire qui voulait mettre définitivement à genoux l'URSS finissante, sous le nom d'Initiative de Défense Stratégique, traduit par Guerre des Etoiles en langage journalistique), les pluies acides, le trou d’ozone, le tabagisme passif, le réchauffement climatique, à quoi s’ajoute la tentative de réhabilitation du DDT.

 

Entre parenthèses, au sujet de cette substance interdite depuis longtemps, mais pas partout, on peut lire dans Le Monde (supplément « Science et Médecine » daté 25 février 2015), le stupéfiant article de Stéphane Foucart et Pascale Santi, décrivant les effets du DDT, de longue date reconnu perturbateur endocrinien, sur la puberté de plus en plus précoce chez les petites filles : « ... le développement prématuré de la glande mammaire s'observe de plus en plus chez des petites filles entre 3 et 7 ans ». Et cet exemple n'est pas le plus gratiné : attendez-vous à mieux.  Je ferme la parenthèse.

 

Je ne vais pas résumer Les Marchands de doute, juste en retenir quelques aspects parmi les plus saillants. D’abord la définition de la démarche scientifique. Etant admis que l'interrogation est constitutive de la démarche scientifique, comment s'établit un certitude scientifique ? Je signale qu'un cheikh d'Arabie Saoudite, lors d'un prêche, je crois, a déclaré que la Terre ne tournait pas autour du Soleil (Le Canard enchaîné daté 25 février 2015).

 

Dans le principe, c’est excessivement simple et lumineux : un chercheur mène à bien une recherche sur un sujet lambda, avec la formulation de l’objectif, les hypothèses de départ, le protocole expérimental adopté pour tenter de vérifier l’hypothèse, pour finir par la rédaction du compte rendu de l’ensemble de la démarche, qui sera envoyé à une revue spécialisée, aux fins d’être évalué par un comité de lecture d’experts de la discipline (ce qu’on appelle une « revue à comité de lecture »).

 

Chaque membre du collège d’experts lit, annote, critique tel ou tel point, tente de reproduire la démarche telle qu'indiquée. Puis la revue renvoie au chercheur sa copie pour les corrections éventuelles. S’instaure alors un va-et-vient au bout duquel l’article est soit publié, soit rejeté. La publication vaut reconnaissance de la validité de toute la démarche.

 

Cette « évaluation par les pairs », quand elle aboutit au « consensus des experts », établit de ce fait même une « certitude scientifique ». Lorsque des dizaines (des centaines) de climatologues se sont mis d’accord sur les conclusions au sujet du réchauffement climatique, ce sont ceux qui contestent les conclusions qui, à 100%, ont tort. C’est ça, la science. Conclusion : les « climatosceptiques » qui se manifestent encore aujourd’hui sont au moins des ignorants, peut-être des menteurs. Probablement pire.

 

Cela n’a pas empêché les menteurs de sévir depuis les années 1950. Leur stratégie, quels que soient les thèmes, reste strictement la même : elle vise à empêcher le politique de prendre des mesures restrictives capables de nuire à leurs « affaires ». L’archétype du mensonge antiscientifique est constitué ensuite par les tactiques élaborées par les industriels du tabac, s’appuyant sur de puissantes agences de communication, pour contrer les lanceurs d’alerte, principalement des médecins, qui voulaient attirer l’attention des pouvoirs publics sur les dégâts de la fumée de tabac sur la santé publique.

 

Première étape : recruter des scientifiques, seuls capables, par leur fonction même, de donner de la crédibilité au discours. On ne va pas les corrompre directement, ce serait trop voyant. L’industrie a trouvé le truc : on va créer des « Fondations », des « Centres de recherche » et autres « Instituts », pour financer des laboratoires à même de valider les arguments de l’industrie.

 

Oreskes et Conway donnent les noms de quelques-uns des bénéficiaires de ces largesses intéressées : ce sont les mêmes qu’on retrouvera tout au long du livre, dans les différents dossiers. Moralité : peu importe la spécialité d'origine, le tout, c'est d'y avoir acquis une solide réputation, pour produire un effet de vitrine. L'intention n'est pas de convaincre la communauté des savants, mais de diffuser le discours le plus largement possible, pour orienter l'opinion publique par l'intermédiaire des médias de masse. Et par l'orientation de l'opinion publique, faire pression sur les décideurs administratifs et politiques, en haut de l'échelle. Car l'accès aux "revues à comité de lecture" est beaucoup plus difficile, pour éviter aux plaisantins et aux faussaires de sévir. Quand on y met assez d'argent, on a de quoi recruter assez de complices pour contourner le furieux obstacle qu'est la vérité scientifique.

 

La motivation des premiers savants impliqués était simple : il s’agissait de contrer le communisme par tous les moyens. On était en pleine guerre froide. Ce sont eux qui ont poussé l’administration américaine à favoriser la fabrication de l’arme atomique. Et puis on a généralisé le raisonnement : comme il s’agit de défendre le système capitaliste, seul adversaire fiable des « Rouges », il faut favoriser tout ce qui profite à la prospérité économique et à l'entreprise, et lutter contre tout ce qui risquerait de l’entraver. C’est ainsi qu’on passe de l’atome au tabac, puis aux pluies acides, au trou d’ozone et au reste.

 

Deuxième étape : s’introduire dans les sphères où se prennent les décisions, contacter et convaincre des gens dont la position est à même d’exercer une influence décisive sur ceux qui les prennent. Autrement dit : se rapprocher du pouvoir et acquérir dans son voisinage assez de poids pour orienter la politique du gouvernement dans une direction favorable aux intérêts de l’industrie. C’est ce qui définit le « lobbying ».

 

L’efficacité des groupes de pression ainsi mis en place n’est plus à démontrer. L’industrie du tabac, qui a commencé à être mise en cause dans les années 1950, n’a commencé à perdre des procès qu’à partir des années 1990. Quarante ans de gagnés. Au sujet du réchauffement climatique, le GIEC, ce consortium de centaines de climatologues reconnus, a fini par gagner. Mais avec un bémol de taille : « Scientifiquement, le réchauffement climatique était un fait établi. Politiquement, il était mort ». Comme par hasard, le Sénat américain avait adopté, trois mois avant la signature du « Protocole de Kyoto », une « résolution qui bloquait son adoption » (p. 352). 

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J’arrête là. Ce livre épais (446 pages sans les notes) se lit comme un roman, parfois un polar. Irréfutable : ce n'est pas une fiction littéraire. De quoi rester atterré devant la « puissance de feu » que les industriels sont capables de déclencher quand il s’agit de défendre leurs intérêts. De quoi s’inquiéter en passant de l’incroyable perméabilité des hauts fonctionnaires européens aux influences des lobbyistes de toutes sortes de groupes privés, à commencer par ceux que Susan George, dans Les Usurpateurs (Seuil, 2014), nomme les ETN (Entreprises TransNationales).

 

La puissance organisatrice et régulatrice des Etats agonise. La Grande Privatisation de Tout (GPT) est en train de triompher. La Grande Privatisation de Tout (GPT) apprête et accommode le défunt "Bien Commun" à sa sauce. Elle s'apprête à bouffer l'humanité, qu'on se le dise.

 

Voilà ce que je dis, moi.

samedi, 28 avril 2018

L'INDUSTRIE DÉTESTE LA VÉRITÉ ... 1

... SCIENTIFIQUE

 

26 février 2015

 

1/2

 

Un Empoisonnement universel, de Fabrice Nicolino (voir ici même au 22 février), dressait donc un constat fort inquiétant du sort qui attend l’humanité dans un avenir pas si lointain du fait de l’industrie chimique. J’ai dit que je regrettais le ton souvent militant sur lequel se situait l’écriture du bouquin, bien que le constat d'ensemble emporte évidemment l'adhésion : il suffit de constater. L'appel aux armes (à coups de "il faut", "on devrait", "qu'attend-on pour") est devenu fatigant, à force d'être vain.

 

L’écologie, en tant que défense de l’environnement végétal et animal, et de la santé humaine, a moins besoin de militants, de drapeaux et de partis politiques que de gens sérieux et rigoureux, ainsi que de la collecte et d’un établissement solide et méticuleusement sourcé des faits observables qui nuisent aux dits environnement et santé. Et de politiciens courageux qui aient un peu, si ça se trouve encore, le "sens de l'Etat". Mais là, on est comme Diogène avec sa lampe allumée en plein jour : « Je cherche un homme ». On peut toujours attendre.

 

Or je mentionnais, pour faire contraste avec le livre de Nicolino, Les Marchands de doute, écrit par Naomi Oreskes et Erik M. Conway et publié en français en 2012. Eh bien pour ce qui est de l’établissement des faits, ce livre est admirable. Il se trouve que je l’avais mentionné ici même (« Le doute profite au criminel », 14 mars 2012) lorsqu’il était sorti. Je ne l’avais pas lu, je m’étais servi d’un compte rendu paru dans les journaux. J’ai à présent corrigé cette erreur : je l’ai lu, et je n'ai pas fini de m’en féliciter.

ORESKES & CONWAY.jpg

Si j’avais célébré ce livre sans l’avoir lu, c’est que son propos, tel que rapporté, corroborait magnifiquement ce que je disais quinze jours avant (« Confisquer le vivant », 28/02/2012, et « Main basse sur le vivant », 01/03/2012), dans deux billets où je m’étais permis d’attaquer bille en tête l’invasion de l’agriculture par les OGM, en me servant d’arguments non pas scientifiques, mais "commerciaux".

 

Quelles que soient leurs caractéristiques ou leurs effets, les OGM sont avant tout un moyen pour les entreprises de biotechnologie et de génie génétique de mettre la main sur le vivant pour leur plus grand profit. Autoriser des firmes industrielles à breveter le vivant est une véritable saloperie, d'autant plus immonde qu'elle est destinée exclusivement à assurer aux dites firmes une rente aussi lucrative qu'éternelle. Avec en perspective de transformer toute la population humaine en clientèle docile et assujettie. C’est cela que je trouve insupportable.

 

Mais j’avançais par ailleurs une idée que je me suis réjoui de retrouver presque textuellement dans le livre d’Oreskes et Conway. Je posais en effet la question de savoir à qui profite la controverse scientifique. La réponse me semblait évidente, même si les scientifiques ne sont pas encore arrivés à un vrai consensus d'experts à propos des effets des OGM à long terme (publications dans des revues à comité de lecture impliquant l'idée d'une certitude scientifiquement établie). Pour constater les éventuels dégâts des semences transgéniques sur la nature et la santé, il faudra attendre les certitudes scientifiques. D'ici là, c'est la seule idée de cette confiscation légale du vivant qui doit être rejetée. Revenons à la controverse.

 

Les industries polluantes ont le plus grand intérêt à entretenir le doute et la controverse sur les effets des substances qu'ils mettent sans contrôle sur le marché. Un certain nombre de ces substances étant des poisons assez bien caractérisés pour les végétaux, les animaux et les hommes.

 

Mais je peux désormais applaudir en connaissance de cause l’existence des Marchands de doute, un livre impeccable à tout point de vue. Le seul reproche concerne, page 427, la paternité à mon avis erronée, des réseaux d’autoroutes inter-Etats. L’inventeur ne fut pas Eisenhower (président de 1953 à 1961), mais, je crois bien, Mussolini (les 77 kilomètres séparant Milan de la région des lacs, en 1924), suivi un peu plus tard par Hitler. Toute petite chose donc. Si peu que rien.

 

Le reste, je ne l’ai pas avalé comme un roman, mais c’est tout comme : langue limpide servie par une traduction fluide (Jacques Treiner), suspense, rebondissements, et les coupables – qui sont connus dès le début – sont démasqués à la fin. Tout est bien qui finit bien, mais au prix de quels efforts !

 

Oreskes et Conway ont consacré cinq ans de leur vie à la rédaction de l’ouvrage, mais quel ouvrage, pardon : « En écrivant ce livre, nous avons exploré des centaines de milliers de pages de documents », déclarent-ils pour finir (p.446).  Il n’y a pas à douter de l’austérité de la chose, mais les auteurs n’ont rien à regretter. Ils méritent même les remerciements de ceux pour qui l’avenir de la planète n'est pas une préoccupation futile.

 

J’ai évoqué les 70 pages de notes (au nombre de 1046) regroupées à la fin, preuve que rien dans le livre ne sort du seul cerveau des auteurs. Tout cela est inattaquable. J’ai dit aussi qu’ils avaient eu raison dans leur stratégie : un seul sujet (l'usage frauduleux de la science pour retarder ou empêcher des législations contrôlant et restreignant des activités économiques), illustré par quelques exemples, dont chacun est décrit et narré avec un luxe de détails (on reste confondu devant le degré de précision atteint). Les thèmes changent, la stratégie des industriels est à chaque fois la même, s’inspirant en la matière de l’archétype offert par l’industrie du tabac. Oreskes et Conway n’ont rien laissé au hasard.

 

Voilà ce que je dis, moi.

vendredi, 27 avril 2018

C'EST GRAVE, DOCTEUR ?

24 février 2015

 

Suite de l’entretien entre Ruth Stégassy et André Cicolella sur France Culture, pour l’émission Terre à terre du 7 février 2009.

 

2/2

 

De son côté, l’industrie fait tout ce qui est en son pouvoir pour dénigrer les études scientifiques ainsi que leurs auteurs. Exemple du bisphénol A, qui entre maintenant dans la composition de 90 % des biberons. Les gens savent-ils que, quand on chauffe le lait, le bisphénol A passe dans le lait ? Or, c’est un perturbateur endocrinien, qui entraîne à la longue des cancers du sein et des atteintes neurologiques.

 

Il existe là-dessus 115 études, dont 94 s’avèrent positives. En face, 100 % des études menées par l’industrie sont négatives, bien entendu ! Ce n’est pas pour autant que l’agence européenne change sa norme. On est typiquement dans le lobbying. Une dizaine d’équipes scientifiques ont publié des études sérieuses et convergentes ? L’agence européenne décrète qu’elles sont toute nulles. Ce n’est pas sérieux.

 

Nous avons donc lancé ce « Réseau Environnement Santé » en association avec les ONG regroupées dans « Alliance pour la planète », des associations de professionnels de santé ainsi que des associations de victimes. Je vous donne un bel exemple : les fabricants imprègnent de parabènes les lingettes qui servent à nettoyer les fesses des bébés. Or, là encore, on sait que ce sont des perturbateurs endocriniens. Autre exemple : le MCS (syndrome d’hypersensibilité) est purement et simplement nié. On traite ceux qui le dénoncent de dérangés, alors qu’il s’agit d’un phénomène dûment observé.

 

La définition de la santé, proposée par l’OMS en 1945, était : « état de bien-être ». C’était déjà une définition intéressante. Mais aujourd’hui, il faudrait ajouter « et la qualité de la relation de l’homme avec son écosystème ». Car l’explosion des maladies chroniques est une conséquence de la crise écologique dans le domaine de la santé. Prenons l’exemple de l’impact des pesticides sur la santé.

 

L’UIPP (les professionnels des pesticides) a osé publier un communiqué de presse en réaction au film de Jean-Paul Jourde, affirmant qu’il n’y a aucune preuve de cet impact. C’est dire une énormité. En effet, 85 % des études sont positives ; 39 études sur 41 établissent leur responsabilité dans la maladie de Parkinson (synthèse d’une équipe canadienne sur cancer et neurologie). Et quand vous posez la question à un clinicien, il vous dit : « Bien sûr, c’est bien connu ».

 

Donner à l’hôpital comme règle de fonctionnement la « rémunération à l’activité » est une absurdité. Un exemple : la carte des cancers. Les autorités admettent bien qu’il y a 50 % de cancers en plus en région Nord-Pas-de-Calais qu’en Midi-Pyrénées, mais l’analyse qu’elles en font ensuite relève tout simplement du Café du Commerce. En gros : « Les gens du Nord boivent et fument ».

 

Cela fait penser au médecin de Molière : « Le poumon, vous dis-je ». Pourquoi serait-on plus vertueux en Midi-Pyrénées ? Or, on s’aperçoit en creusant un peu que le cancer, dans les deux régions, concerne avant tout les ouvriers. Les cadres, eux, qu’ils soient dans le Nord ou en Midi-Pyrénées, sont beaucoup moins concernés.

 

Il faudrait donc croiser les données du cancer et de l’environnement, tenir des registres, établir des cartes. Par exemple, il n’existe pas, en France, de registre des jumeaux. Or, un tel registre est une mine d’informations, parce que les vrais jumeaux ont rigoureusement le même patrimoine génétique. De tels registres existent en Suède et Finlande, et au Danemark (l’étude a été publiée par Liechtenstein).

 

Cet auteur a pu établir à partir de ces registres que 2/3 des cancers sont d’origine environnementale, l’environnement étant défini de manière très globale et englobant la pollution, le mode de vie et les pratiques médicamenteuses. Les Suédois, à partir de ces registres de jumeaux, concluent que 50 % des cas de maladies d’Alzheimer sont dus à l’environnement.

 

Il n’existe pas non plus de registres des animaux domestiques. Une étude a été faite dans l’Etat de New York à partir d’un tel registre, et a conclu à un excès de lymphomes chez le chien, rigoureusement parallèle aux traitements des pelouses (insecticides et herbicides). Or, le chien est un bon substitut de l’enfant : il marche à quatre pattes, il se lèche beaucoup. On pourrait très bien s’adresser aux vétérinaires. Un registre des migrants permettrait d’établir formellement que ceux-ci adoptent les maladies locales.

 

Par exemple, les immigrées japonaises à Hawaï ont un taux de cancer du sein multiplié par 4 par rapport aux Japonaises restées au pays. En Asie par rapport au reste du monde, on est dans un rapport de 1 à 6 ou de 1 à 7. Les Américains, heureusement, ont une Agence Nationale (Institut National des Sciences de la Santé Environnementale), qui publie une revue constituant une véritable mine d’informations et de données.

 

J’ai inventé le terme d’ « expologie », autrement dit la « science des expositions ». Par exemple, en 2007, une étude a montré la relation entre le taux d’autisme et une exposition de 15 jours d’exposition des femmes enceintes à des champs traités par certains pesticides organochlorés. Selon Galien, « la dose fait le poison ». Il faut ajouter aujourd’hui : « L’exposition fait aussi le poison ». Sans parler de l’impact des faibles doses, dont le Professeur Tubiana ne veut pas entendre parler.

 

Au sujet des produits des industries chimiques et pharmaceutiques, la leçon à retenir, je crois, c'est qu'on peut considérer au moins comme des dissimulateurs tous les « experts » et autres « spécialistes » qui passent sous silence la trinité primordiale des facteurs à prendre en compte quand on se soucie des effets de ces produits sur le vivant, j'ai nommé :

 

1 - L'effet des très faibles doses.

 

2 - L'effet du cumul des substances et de leurs interactions.

 

3 - L'effet du moment et de la durée de l'exposition à ces substances.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Note du 27 avril 2018 : la présente émission de Ruth Stégassy a bientôt dix ans. En dix ans, l'état de santé des humains s'est tellement amélioré que le taux de prévalence des maladies chroniques n'a pas cessé de progresser. Quant à l'état de santé des multinationales de la chimie, merci, il pète la forme. Et l'on voudrait nous faire croire que des gens comme André Cicolella, toxicologue, des émissions comme Terre-à-terre, produite autrefois par Ruth Stégassy pour France Culture, ou des "institutions" comme le Réseau Environnement Santé sont indispensables et efficaces sur la marche des choses. Et l'on voudrait nous faire croire qu'il faudrait professer un optimisme imperturbable. Cherchez l'erreur.

 

Les industriels de la chimie se fichent éperdument de l'environnement, de l'écologie et de la santé humaine. Ils se fichent éperdument de l'avenir. Ils nous vendent leurs inventions, leurs productions, leurs innovations en magnifiant le prétexte des avantages qu'elles nous procurent. De quelle instance d'une impartialité irréprochable viendra l'examen objectif du rapport entre les bénéfices immédiats et les dommages irréversibles ?

 

Je viens d'entendre, sur France Culture, qu'on attend la décision des instances européennes l'interdiction ou non des néonicotinoïdes tueurs d'abeilles. On parie ? 

 

Résultat du pari : je suis heureux d'avoir perdu. Ma parole, pour une fois, on se mettrait volontiers à croire dans la validité des institutions européennes, si souvent vomitives.

mercredi, 25 avril 2018

LA VÉRITÉ SUR L'INDUSTRIE CHIMIQUE

22 février 2015

Une Empoisonnement universel (LLL Les Liens qui Libèrent, 2014) est le dernier livre de Fabrice Nicolino. Un livre terrible, mais en même temps frustrant, je suis obligé de le reconnaître. J’ai en effet enchaîné avec la lecture de l’ouvrage de Naomi Oreskes et Erik M. Conway, Les Marchands de doute (Le Pommier, 2012).

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[Depuis, j'ai ajouté quelques autres lectures :

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Notre Poison quotidien (la responsabilité de l'industrie chimique dans l'épidémie des maladies chroniques) de Marie-Monique Robin ;

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La Contamination du monde (une histoire des pollution à l'âge industriel) de François Jarrige et Thomas Le Roux ; .... Le diagnostic se confirme et s'aggrave.]

La différence saute tout de suite aux yeux. Le premier souffre d'apparaître comme le travail d'un journaliste qui se serait laissé contaminer par un certain emportement militant, ce qui affaiblit l'effet percutant du livre. Le second a des qualités scientifiques. Le premier est parfois agaçant. Le second est absolument impeccable. Mais les deux livres restent indispensables.

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Le tandem d'auteurs Oreskes-Conway a concentré son travail sur un seul et unique problème (« Notre produit, c’est le doute », phrase assenée par les propagandistes des lobbies industriels), qu’un petit nombre de chapitres illustre à merveille, parce que chacun d’eux, centré sur une seule question, va tout au fond des choses, après un travail impressionnant sur la documentation disponible (70 pages à la fin pour 1046 notes écrites en tout petits caractères, ce qui s’appelle le sérieux d’un travail rigoureux). Un livre inattaquable, irréfutable.

 

L’objectif de Nicolino est tout autre : offrir un panorama complet, en même temps qu’il voudrait donner une idée de l’intégralité (!?) des données actuellement à disposition. Et le tout en 428 pages, parsemées ici ou là et de loin en loin, de quelques notes de bas de page pour indiquer la source. En réalité, pour traiter un sujet aussi varié, aussi complexe, avec l’intention, en plus, de retracer tout l’historique de la question, il faudrait dix gros volumes.

 

Conclusion : « Qui trop embrasse mal étreint ». Car le résultat d’une telle démarche est qu’on a trop souvent l’impression de rester à la surface des choses et, plus grave, que l’argumentation manque de consistance, l’affirmation tenant alors lieu de preuve. Avouez que c’est embêtant pour un livre qui voudrait pousser un cri d’alarme, de ne pas pouvoir être pris complètement au sérieux. Quand on entreprend de dénoncer, il faut que la démarche (sérieux, méthode, rigueur ...) soit irréprochable d'un bout à l'autre.

 

Il n’en reste pas moins que le tableau d’ensemble est terrifiant. Ce sont pas moins de 47.373.533 substances chimiques (p. 406) qui ont été mises au point par l’homme depuis les débuts de l’industrie chimique. Dont 34.961.413 sont commercialement disponibles. Sur ce total effarant, seules (si l’on peut dire) 248.055 substances « ont été enregistrées » ou « réglementées ».

 

Et les autorités européennes, sous la pression des lobbies de l’industrie chimique, ont consenti à réduire de 100.000 à 30.000 le nombre de celles qui devaient passer un « test d’évaluation » (programme REACH) pour mériter une autorisation de mise sur le marché. L’image de l’iceberg (10% au-dessus, 90% en dessous) utilisée par Nicolino p. 406 est donc éminemment trompeuse : le rapport est en réalité de 0,7% à 99,3%. Si l’on retenait le chiffre de 30.000, on tomberait dans le négligeable.

 

L’ingéniosité combinatoire des chimistes pour imaginer sans cesse de nouveaux procédés de fabrication et pour inventer des molécules nouvelles propres à des milliers d’usages semble donc sans limites. Et ce qui apparaît constamment au cours de l’histoire, dans l’attitude des industriels de la chimie, c’est qu’ils visent exclusivement l’efficacité au moindre coût de leurs produits dans l’usage pour lequel ils étaient prévus. Et qu'il font tout pour empêcher régulations et réglementations qui risqueraient de nuire aux affaires, à la compétitivité et aux profits.

 

Cela veut dire que les effets que ces produits peuvent avoir par ailleurs semblent le cadet de leurs soucis. Et qu’il faut un acharnement hors du commun (Theodora Colborn, Rachel Carson, André Cicolella, ...) pour faire parvenir jusqu’aux sphères de décision la moindre remise en cause de leur innocuité. Ce que je retiens principalement du livre de Fabrice Nicolino, c’est l’impression de collusion régnant en haut lieu entre les responsables politiques, les décisionnaires administratifs et le haut encadrement des entreprises industrielles.

 

Je compare avec ce que j’ai entendu récemment, venant de bons connaisseurs de la question, au sujet des « portes tournantes », ces hauts fonctionnaires de l’Inspection des Finances qui font la navette entre le Ministère des Finances et le haut encadrement des banques. Tout ce petit monde (vous avez dit « conflit d'intérêts » ?) surveille jalousement son pré carré pour que nul n’empiète sur ses prérogatives et  ne menace de faire un jour bouger l’ordre des choses et des privilèges de caste.

 

La situation est à peu près identique dans le domaine de la chimie, la règle suprême étant qu’il serait inadmissible que des interventions ou des regards extérieurs viennent nuire aux affaires, et qu’il faut tout faire pour éviter ça. Le cas de l’amiante est évidemment le plus scandaleux et le plus connu, illustrant à merveille la thèse selon laquelle l’industrie chimique jouit d’une impunité totale quand quelqu’une de leurs substances a répandu la maladie et la mort dans la population des travailleurs qui la côtoient.

 

Nicolino évoque d’autres cas, tous plus ou moins célèbres : le DDT et autres pesticides ; l’isocyanate de méthyle, qui tue et estropie encore à Bhopal, trente ans après la catastrophe de l’Union Carbide ; l’infinie variété des matières plastiques et leurs mille et un effets méconnus découlant de leur omniprésence dans notre environnement immédiat ; l’incroyable inconscience à la limite du crime de ceux qui mettent sur le marché et ne cessent de vanter les mérites de toutes sortes de substances désormais connues pour être des « perturbateurs endocriniens » ; les étonnantes (et loin d'être toutes  connues) propriétés des produits issus des nanotechnologies ; et je conseille la lecture du chapitre 12, « Mais où est donc passé le spermatozoïde ? » ; … La liste semble interminable.

 

Si encore la population pouvait faire confiance aux classes dirigeantes pour prendre souci de la santé du plus grand nombre … Mais non, la complicité de celles-ci avec les industriels est tellement bien organisée qu’il faut des cas très avérés de corruption pour qu’elle apparaisse au grand jour. La plupart du temps, le bon peuple n’y voit que du feu. Par exemple, les instances mises en place en France et en Europe pour veiller en matière de santé publique comprennent dans leurs rangs plus d’un scientifique ayant travaillé auparavant pour l’industrie chimique. "Conflit d'intérêts" est un odieux euphémisme.

 

Bref, on a compris : le titre un peu trop spectaculaire, accrocheur et vendeur du livre de Nicolino n’est malheureusement pas une exagération. Certes, on déplore l’aspect un peu fourre-tout superficiel, mais on reste assommé par la brutalité et l'énormité du constat d’ensemble. 

 

Voilà ce que je dis, moi. 

samedi, 21 avril 2018

LA VÉRITÉ SUR LE CLIMAT 1

Série de billets un peu bavarde : je n'écrirais plus comme ça, j'irais plus direct aux faits. Mais bon, c'est vous qui voyez. Et vous en faites ce que vous voulez, s'il est seulement possible d'en faire quelque chose. 

 

A propos de catastrophisme, je suis allé voir le blog de Paul Jorion (à propos de Wallerstein, Le Capitalisme a-t-il un avenir ?), toujours impeccablement pertinent quand il s'agit de dresser le constat et d'analyser le phénomène observé, mais franchement délirant quand il parle des perspectives d'avenir ou des solutions envisageables ("pour empêcher que ...") : dans son volontarisme politique effréné, il entrevoit, par exemple, la possibilité future d'une société sans argent. Mais il invite aussi les gens à venir avec des idées nouvelles et leurs désirs d'une vie nouvelle. Il pense aussi que si les gens qui remettent en cause le système et veulent "vivre autrement" sont en assez grand nombre pour atteindre une "masse critique", tout est possible. Ma foi, pourquoi pas, mais rien qu'à NDDL (Notre-Dame-des-Landes), combien de pelés ? De tondus ? Une masse critique, vraiment ?

 

Allons donc ! Ce que j'ai surtout envie de lui dire, à Paul Jorion, c'est : « Arrête de rêver, Paul ! Et commence par cesser de prendre ta vessie pour une lanterne  : tu risques de te brûler ! ». Paul Jorion ? Je vais vous dire ce que je pense de lui : le regard le plus acéré que je connaisse, doublé de capacités d'analyse hors du commun, mais qui se perdent ensuite dans les dérives imaginaires de l'optimisme de l'action. Il croit à la possibilité de réalisation de ses désirs, et du coup le tapis volant de ses désirs parfumés l'emportent trop loin de l'humanité réelle pour qu'il ait seulement conscience du poids incommensurable à porter que constitue le peu de conscience que l'humanité actuelle a de son propre avenir.

 

Le cœur serré, je dis "Adieu" à Paul Jorion. Parce que je crois en fait qu'il faut dire "Adieu" à l'espoir. Qui aura le courage de se mettre à dos l'humanité souffrante en lui disant qu'elle n'a plus rien à espérer ? J'en ai plus qu'assez de l'autosuggestion incantatoire et des slogans popularisés en leur temps par des fantoches : « Yes we can ! », « Ensemble tout devient possible ! », « Le changement c'est maintenant ! » ! C'est le radical et regretté Günther Anders qui critique Ernst Bloch : « Il n'a pas eu le courage de cesser d'espérer » (on trouve ça dans L'Obsolescence de l'homme, II, éditions Fario)..

 

Note ajoutée le 20 avril 2018 au soir (et complétée le 21).

 

 

22 décembre 2014

 

1/4

Le réchauffement climatique ? Vous voulez que je vous dise ? Tout le monde sait, personne ne veut faire. Le diagnostic, tout le monde est d’accord (à part quelques doctrinaires endurcis du genre Claude Allègre, le pauvre, il est bien malade, paraît-il) pour dire qu’on court à la catastrophe.

 

Personne ne veut de la conclusion logique du constat : en finir avec le luxe outrecuidant dans lequel se vautre une partie de plus en plus ample de l’humanité depuis l’aube de l’âge industriel (en gros : deux siècles). Et dans lequel les « émergents », les « en développement » et les « PMA » (ça ne veut pas dire je ne sais quoi d'à la mode en rapport avec la procréation, mais « Pays les Moins Avancés ») trépignent d'impatience de se vautrer bientôt à leur tour. Tout le monde veut sa bagnole, sa clim', ses frigo-congel-télé-smartphone-micro-onde. Allons-y gaiement. Le mode de vie à l'américaine de 300 millions d'individus étendu à 7.000 millions (multiplication par 23).

 

Un seul remède au réchauffement climatique : cesser de piller les ressources de la planète en combustibles fossiles et autres matières premières destinées à nos appareils, machines et autres gadgets que seule la vieille habitude de les avoir toujours connus nous a amenés à considérer comme utiles, nécessaires, indispensables. Naturels, pour ainsi dire.

 

Ce n’est pas de diminuer les émissions de gaz à effet de serre que l’humanité à besoin si elle veut sauver la planète, c’est de les supprimer complètement, car même en restreignant à +2°, la planète va continuer à réagir. L'expression « développement durable », complaisamment véhiculée par les esprits qui se disent lucides et responsables, n'est que le cache-sexe de l'hypocrisie et de la lâcheté. Car il faudrait en vérité renoncer, purement et simplement. Renoncer à vivre au-dessus des moyens de la planète. Pour la sauver en même temps que soi-même, un seul moyen pour l’humanité : redevenir humble, si elle le fut jamais un jour.

 

Et l’humanité n’est pas humble, moi le premier : je veux toujours pouvoir allumer la lumière en appuyant sur un bouton en rentrant chez moi le soir, faire laver mon linge et ma vaisselle par des machines, emprunter l’autoroute pour aller visiter la famille et les amis aux « quatre coins » de l'hexagone ou aller me délasser de onze mois de stress en passant le douzième à la montagne ou à la mer. Comme François Hollande, je suis un humain « normal ». En l’occurrence un « Francémoyen ». Comme tout le monde : plutôt crever que de perdre une parcelle de confort.

 

Pourquoi ce début de diatribe ? C’est simple : à chaque ligne, mon journal bruit (3ème personne du singulier du malheureux abandonné verbe bruire, régulièrement estropié par les journalistes, dont l’ignorance crasse le ramène régulièrement à un vulgaire verbe du 1er groupe, en disant sans prendre des coups « la ville bruisse bruit ») des rumeurs les plus folles : fontes des glaciers alpins et himalayens, de la banquise, de la calotte glaciaire du Groenland et de l’Antarctique ! Le Côtes du Rhône au Spitzberg, c'est pour bientôt ! Les poissons et les fleurs migrant vers le nord pour retrouver l’eau froide et l’air frais qui leur conviennent ! Les cyclones succédant aux tornades lancés à la poursuite des typhons qui courent après les ouragans ! Réchauffement climatique par-ci ! Réchauffement par-là ! Les gens de radio n’ont que ce mot à la bouche en ce moment.

 

Je laisse de côté le pillage des forêts primaires en Amazonie, à Bornéo et au Guatemala pour les remplacer par des kilomètres carrés de soja OGM ou de palmier à huile. Je laisse de côté les usines à bestiaux et la stérilisation des sols par l’agriculture chimique, mécanique et industrielle. Je laisse de côté la pollution antibiotique massive des viandes que nous mangeons. Je laisse de côté les phosphates, bisphénols, glyphosates, néonicotinoïdes, phtalates et autres perturbateurs endocriniens dont sont gorgés nos aliments, et dont certains font changer de sexe les poissons de nos rivières (en attendant mieux). Allez, je suis bon prince : je laisse aussi de côté les particules fines.

Je ne vais pas non plus énumérer les preuves du réchauffement de l’atmosphère sous les coups du CO2, du CH4 et, pourquoi pas du NF3 (charmante créature, 17.000 fois plus puissante que CO2, son petit copain de bac à sable, qui apparaît dès qu’on cause de cristaux liquides, de cellules photovoltaïques, d’écrans plats, de micro-circuits électroniques, … enfin, tout ce qui fait « dernier cri »). 

C’en est au point que le simple mot « réchauffement » a désormais acquis la stature démesurée d’une star mondiale, sur le destin de laquelle le « concert des nations » vire au même étripage cacophonique que celui auquel avait donné lieu la première de Déserts, d’Edgard Varèse, en 1954 au théâtre des Champs-Elysées. Au point même d’en occulter le drame véritable qui se joue derrière le « gros doigt grondeur » d'un mot derrière lequel il est devenu si commode de se cacher l’énorme vérité. 

 

Seuls quelques allumés du cigare à vapeur (de contrebande) s’obstinent à contester l’évidence : la Terre se dirige plan-plan vers l’été perpétuel. Combien de degrés en plus attendent l’humanité au coin du bois pour lui faire le coup du père François ? Deux ? Quatre ? Davantage ? Les experts débattent. Les politiques bêlent de grandes intentions et de bons sentiments (rappelez-vous Chirac : « La maison brûle, et nous regardons ailleurs »).

 

Voilà ce que je dis, moi.

vendredi, 20 avril 2018

LA PROMESSE DES CHIMISTES : L'AUTISME

4 décembre 2014

 

Non, vous vous en doutez, je n'ai jamais voté pour les guignols peinturlurés en vert qui se font passer pour des écologistes. Ce sont des politiciens comme les autres. Je veux dire : aussi dérisoires (je ne suis pas tout seul. L'Américain Donald Morrison le dit aussi, parlant de la France : « ... et l'ineptie de sa classe politique a désormais éclaté au grand jour », dans sa tribune "Le suicide américain" parue dans Le Monde daté 4 décembre 2014). C'est d'autant plus librement que j'écris ces quelques lignes : il y a longtemps que je ne suis plus « écolo ». En effet, la situation est, je le crains, encore plus grave que ça.

 

[Note d'avril 2018 : Cécile Duflot abandonne la politique, voyez-vous. Elle le fait par pur altruisme : elle va consacrer sa vie à une ONG (Oxfam ?). Mais elle ne sera pas dans les soutes à bourrer la chaudière : elle sera juste présidente. De quoi ? J'ai oublié. Mais je me contente de ce constat : Cécile Duflot présidente. Quant à Jean-Vincent Placé (fut-il ministre ?), c'est plus anecdotique, plus dérisoire encore, mais aussi plus drôle : il s'est fait poisser tout récemment en état d'ivresse et, comme n'importe quel poivrot, il passe la nuit en cellule de dégrisement. Pendant ce temps, monsieur Hulot en vacances (tout le monde connaît Les Vacances de M. Hulot, j'espère) à Nantes, se félicite sans rire de la modération avec laquelle les gendarmes mobiles s'y sont pris pour "rendre à l'état de droit" le territoire de Notre-Dame-des-Landes. Je serais écologiste, je dirais, comme je ne sais plus qui : « Seigneur, protégez-moi de mes amis. Quant à mes ennemis, je m'en charge ».]

 

******************

 

Eh oui, bonne nouvelle pour tous les civilisés du monde, je veux dire tous ceux qui ont la chance de vivre dans des pays économiquement développés et d’y bénéficier des apports proprement miraculeux des progrès de la technique en général et de la chimie en particulier : leur intelligence est promise à un avenir des plus radieux.

 

Ce n’est pas moi qui le dis, c’est une dame Barbara Demeneix, une Française. Cette biologiste a beaucoup travaillé sur le développement des êtres vivants, s’efforçant de répondre à la question : « Comment un têtard devient-il une grenouille ? ». Ça n’a l’air de rien, dit comme ça, mais c’est horriblement compliqué, surtout quand on étend ses recherches du côté de l'humain. Je veux bien le croire. Madame Demeneix, pour y voir un peu clair, a compilé une énorme littérature scientifique.

 

Elle est tombée sur certaines études et de sa chaise (appelons ça un zeugma). Ces études autour de l’autisme montrent une véritable explosion de la maladie depuis quarante ans. Le Monde (mercredi 3 décembre 2014) reproduit le graphique qui met le phénomène en évidence. Un spécialiste, au cours de l’article, admet que l’amélioration du diagnostic n’est sûrement pas étrangère à l’augmentation, mais que la dimension extravagante de la chose la rend irréductible à ce seul facteur. C’est sûr, il se passe quelque chose de grave.

 

Nos isolants électriques, nos lubrifiants, notre électronique et nos mousses de canapés ignifugées, notre agriculture, tout ça est bourré jusqu’à la gueule d’un tas de substances charmantes : PCB, dioxines, métaux lourds, bisphénol A, BPDE (si si, il paraît que ça existe), d'organophosphorés, de perfluorés, d'organochlorés et autres pesticides ou solvants. Si l’article ne parle pas des néonicotinoïdes en usage dans nos champs de colza, c’est peut-être qu’ils n’interviennent (pour l’instant, en attendant d'en savoir plus) que dans l’extermination des abeilles.

 

Toutes ces délicieuses molécules (dont beaucoup dites « de synthèse ») « interfèrent sur le système thyroïdien ». Ces « perturbateurs endocriniens » agissent donc sur le système hormonal tout entier, donc sur le développement de l’être humain. Et l’être humain a la coupable étourderie de se développer dès le moment de sa conception. Mais surtout de prendre dans ce but tout ce qui passe à sa portée pour s'en nourrir gloutonnement. A ses risques et périls.

 

Ça se manifeste comment ? Philippe Grandjean, médecin environnemental : « Par exemple, nous avons étudié les enfants de femmes qui travaillent au Danemark dans des serres. Elles sont au contact de mélanges de pesticides. Dès que leur grossesse a été connue, elles ont toutes été mises à l’écart des pesticides jusqu’à la naissance de leur bébé. Ceux-ci n’ont donc été exposés que pendant très peu de temps, au tout début de leur vie fœtale. Et pourtant, en les comparant à des enfants qui n’ont pas du tout été exposés à ces produits, nous constatons que leurs capacités cognitives sont diminuées ». Puisque c’est sans danger, on vous dit.

 

Quelques économistes (sans doute un peu allumés) ont calculé ce que ça risquait de coûter à l’économie américaine : 19.000 dollars par individu et par point de QI en moins. Une facture annuelle de cinquante milliards de dollars. Et les sociologues s’y mettent aussi : « Aux Etats-Unis, le taux d’homicides a brutalement chuté vingt ans après le retrait de l’essence plombée » ! Il paraît que cette corrélation n’est pas si farfelue qu'elle en a l'air. Admettons.

 

Je n’ai fait que picorer quelques éléments de cet effarant dossier signé Stéphane Foucart, paru en double page dans le supplément scientifique du journal Le Monde. Mais je crois que ça suffit pour se faire une petite idée de ce qui attend l’humanité, si les autorités « compétentes » continuent à se laisser aveuglément « convaincre » par les saladiers d’argumentaires pourris fournis par les lobbies de l'industrie chimique.

 

Les industriels exigent que la preuve scientifique soit faite de la nocivité de chaque molécule sur telle affection pour reconnaître. Ils sont tranquilles : ils savent que c’est presque impossible, vu la difficulté d'élaborer des protocoles expérimentaux qui soient "administrativement" crédibles. Ils font semblant de tomber des nues quand on les soupçonne de fabriquer des poisons, mais ils sont assez prudents pour s'en tenir à distance pour leur propre compte et pour couvrir leurs emballages de « précautions d'emploi » : on ne sait jamais. En attendant, les « politiques » pourraient, pour prendre leurs décisions concernant la santé publique, consulter les biologistes et médecins spécialisés. Par exemple ceux qui participent au Réseau-Santé-Environnement. Qui produisent de temps en temps des rapports intéressants. Cela s’appelle des « études épidémiologiques ».

 

Pour une fois que les statistiques ne servent pas à raconter des bobards ! Ce sont en effet des études épidémiologiques qui ont mis en évidence l'effet désastreux de certains environnements, en comparant par exemple la santé de jumeaux durablement séparés par une longue distance (prouvant que la maladie touchant l'un des deux n'est pas génétique, mais due à l'environnement et aux conditions de vie), ou encore la fréquence des cancers du sein chez les Japonaises restées au pays (mode de vie traditionnel) et celles ayant émigré à Honolulu (mode de vie américain).

 

Les « politiques » pourraient aussi avoir la curiosité de mettre le nez dans le bouquin de Fabrice Nicolino, Un Empoisonnement universel (LLL, Les Liens qui Libèrent, 2013). Le sous-titre est explicite : « Comment les produits chimiques ont envahi la planète ». La trouille que ça leur donnerait les rendrait peut-être, pour une fois, courageux et responsables ? Il est permis de rêver, non ?

 

Jusqu’à maintenant, on savait que « Faire des enfants, c’est les condamner à mort » (graffiti qui fut longtemps visible sur un grand mur lisse du quartier Saint-Just). Désormais, on sait que ça les condamne aussi à la débilité. Une idée pour les chômeurs qui espèrent une reconversion professionnelle : les institutions pour déficients intellectuels sont promises à un avenir radieux et prospère. C'est le moment, il y a une occasion à saisir.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Note du 20 avril 2018 : il n'y a pas que l'autisme, loin de là ! Personne aujourd'hui ne conteste que les maladies chroniques (allergies, cancers, ...) ont explosé au vingtième siècle. Personne non plus n'ignore ni ne conteste l'extraordinaire essor des industries chimiques au vingtième siècle. Mais curieusement, il est difficile, il semble même impossible de faire le lien entre les deux phénomènes, au mépris du plus élémentaire bon sens, qui nous hurle aux oreilles cette vérité : les maladies chroniques sont la conséquence des industries chimiques. Les chimistes se réfugient derrière une exigence apparemment rationnelle : tant qu'il n'est pas démontré scientifiquement que telle molécule est la cause de telle maladie (ils omettent de poser la question de l'effet-cocktail produit par l'accumulation de molécules diverses), on n'a pas le droit de mettre en cause leur responsabilité. Les décideurs politiques, pris entre, d'une part, la protection de la santé des populations et, d'autre part, la protection de l'emploi par la recherche de la prospérité économique, en sont réduits à danser la Grande Tergiverse (à trois temps), dont la figure principale est bien connue : un pas en avant, un pas en arrière, un pas de côté, et on recommence. J'en conclus que les observateurs (médecins, épidémiologistes, écologistes, ...) n'ont pas fini d'observer, de regarder grimper la courbe statistique des affections chroniques, de soigner des malades toujours plus nombreux, de dresser des constats à faire dresser les cheveux sur la tête, et de s'interroger gravement sur les raisons qui nous ont amenés là.

jeudi, 12 avril 2018

CONTRE LA VÉRITÉ, LA CONTROVERSE

5 novembre 2011

 

Ou : « Comment fausser un débat scientifique ». 

 

Petit 1 – On sait désormais, depuis qu’a éclaté l’affaire Servier, que l’industrie pharmaceutique dans son ensemble prétend œuvrer au bénéfice de la santé des populations, alors que le premier bénéfice visé est d’ordre actionnarial : ce n’est pas l’efficacité sanitaire qu’on cherche, mais la rentabilité, le rendement par action, la profitabilité, les bénéfices, bref, les picaillons, la fraîche, le flouze, le pèze, la brocaille, et tout ce qui est convertible en or. 

 

Remarquez, on le savait déjà depuis, par exemple, le travail de Philippe Pignarre (Le Grand secret de l’industrie pharmaceutique). On sait d’ailleurs que cette industrie est de plus en plus incapable de découvrir ou d’inventer de nouvelles molécules efficaces, comme si, pendant que le rendement des investissements en Recherche et Développement tend vers zéro, les profits, eux, tendaient vers l’infini. 

 

Le Monde diplomatique, dans un numéro déjà ancien, avait publié un article génialement intitulé : "Pour vendre des médicaments, inventons des maladies". La logique de l'industrie pharmaceutique est prioritairement la logique de l'actionnaire. C'en est au point que la production de certains médicaments ou "génériques" dégage des marges tellement faibles qu'elle est purement et simplement abandonnée.

 

Petit 2 – On sait maintenant, au sujet d’entreprises comme Monsanto,  Syngenta (Novartis), Pioneer Hi-Bred, Bayer CropScience, que les industries biotechnologiques, qui prétendent avoir pour objectif la suffisance alimentaire de l’humanité en 2050, visent essentiellement à s’assurer ad vitam aeternam une rente viagère monstrueuse, une fois qu’elles auront breveté toutes les semences génétiquement modifiées par leurs soins, autrement dit une fois qu’elles se seront approprié tout le vivant. 

 

Quelle que soit la validité des études scientifiques qui promeuvent ce genre de semences, validité dont il est légitime a priori de douter, la principale objection à faire à l’usage généralisé des O.G.M. est d’ordre économique et moral et en bout de course, politique. Qui oserait s’arroger le droit de privatiser toute la nature, tout le vivant et, pourquoi pas tant qu’on y est, toute l’humanité ? 

 

Que ceux qui contestent une telle assertion regardent ce qui se passe à Bruxelles et mettent le nez dans la façon dont les réglementations européennes sur les semences se mettent en place (voyez pour cela ma note du 11 juin). 

 

3 – On sait enfin (« Attendez-vous à savoir », disait la renommée Geneviève Tabouis) qu’il en sera de même très bientôt pour l’industrie chimique, à cause du Bisphénol A. Monsieur André Cicolella, de Réseau Environnement Santé, a beaucoup contribué à faire connaître le Bisphénol A. 

 

J’ai évoqué ici même le 4 octobre le cas du Bisphénol A, pour faire écho à la remise en question de la certitude héritée de Galien, l’ancêtre de la pharmacie, qui a légué à tous ses successeurs le dogme suivant : « La dose fait le poison », encore largement en vigueur dans les « milieux autorisés ». 

 

C’est sur la base de ce dogme que toutes les autorités sanitaires, depuis qu’elles existent, ont défini ce qu’on appelle un « seuil », ou « D.J.A. » (Dose Journalière Admise), au-delà duquel la santé humaine risquerait d’être affectée par un produit déterminé. Il semble qu'on s'achemine de plus en plus vers une formule plus proche de la vérité, du genre : « le poison fait le poison », quelle que soit la dose.

 

4 - Je ne cite que pour mémoire le négationnisme des industriels du tabac luttant par tous les moyens pour qu'aucune législation ne vienne limiter ou entraver leur commerce fructueux. Avec l'amiante, on a encore un autre exemple des efforts des industriels pour influer de tout leur poids sur les décisions politiques dans un sens favorable à leur activité.

 

Bilan d'étape, sans rire :

 

Ces trois branches industrielles, qui veulent continuer à prospérer financièrement, font tout pour empêcher que soient rendues publiques les nuisances éventuelles des innovations qu’elles vendent au prix fort. Elles redoutent que se fasse jour dans l’opinion publique, puis, plus gravement, chez les décideurs, la méfiance sur l’innocuité de ce qu’elles présentent comme des progrès indéniables. S’agissant de ces industries, ne serait-on pas fondé à parler d’organisations criminelles (qui mettent en circulation, sciemment et impunément, des poisons) ? 

 

Elles ont donc adopté systématiquement une unique stratégie pour peser de tout leur poids sur la puissance publique et retarder la fermeture du robinet à fric. Cette stratégie porte un nom. 

LA CONTROVERSE.

 

La trouvaille est géniale. Rien de plus démocratique et rationnel en apparence que l’arme de la controverse. Rien de plus malhonnête et pervers que cette arme entre les mains des avocats de ces industries. Car il faut distinguer le scientifique, en gros, un ahuri qui regarde surtout dans son microscope et dans son tube à essai, et le décideur (administratif ou politique), qui occupe une position comparable à celle d’un verrou : c’est lui qui a le pouvoir d’ouvrir ou de fermer le verrou. 

 

Le scientifique n’avance rien dont il ne soit sûr. Ça tombe bien, le décideur ne décide (dans la théorie bleu ciel, on suppose qu’il est honnête) qu’en toute certitude. Un seul cas est susceptible de retenir sa main d’agir sur le verrou. Vous avez deviné : c’est la controverse. Car si l’industriel réussit à planter dans le paysage de la certitude scientifique quelque chose qui ressemble à un doute crédible, la main du décideur, qui allait fermer le verrou sur le Bisphénol A, s’arrête en pleine action. Le décideur attendra la fin de la controverse. Dans dix ans ou plus. 

 

Ce n’est pas ici le lieu d’entrer dans la subtilité des raisonnements scientifiques et des arguments répliqués par les industriels. Je ne tiens pas à vous chasser par l’ennui chers lecteurs (on m’a dit de flatter pour attirer du monde). Pour rester le plus clair possible, et pour résumer l’excellent et complet article de Stéphane Foucart, dans Le Monde daté du 29, qui prend le temps, lui, d’entrer dans les détails, je me contenterai de schématiser les deux logiques qui s’affrontent. 

 

A ma gauche, sur le ring, les scientifiques [oui, c'est un ring particulièrement vaste], qui conduisent des recherches, obtiennent des résultats, publient ces résultats dans des revues. Bref, qui travaillent. Au fil du temps et des avancées, se forme ce qu’il faut appeler un consensus au sein de la communauté scientifique. 

 

C’est le cas à propos du Bisphénol A : tous les connaisseurs sont d’accord pour admettre que cette molécule a des effets inquiétants. Cela s’appelle le « consensus de Chapel Hill » (2006). Les quarante spécialistes en question affirment qu’ils ont établi quelques certitudes, c’est tout. 

 

A ma droite, sur le même ring, les belliqueux, je veux dire les industriels, ainsi que leur produit, le Bisphénol A, qui entre dans la composition d’objets largement commercialisés, donc qui génère des profits non négligeables. 

 

Pour eux, il est nécessaire de continuer à vendre ce produit pour que l’argent continue à entrer dans la caisse. Il est même nécessaire de continuer à tout prix, fût-ce celui de la santé des foules, à cause de tous les industriels qui ont besoin du Bisphénol A dans les marchandises qu'ils fabriquent. 

 

Ces deux-là étaient faits pour se rencontrer sur le pré, en champ clos, les armes à la main. Il est donc logique que ces logiques entrent en guerre. En réalité, seuls les industriels veulent la guerre. La guerre n'intéresse pas les scientifiques : ils veulent juste établir un  savoir. Les industriels ne veulent pas savoir, mais accroître leurs avoirs. 

 

Et le moyen principal qu’ils ont trouvé, dans toutes leurs guerres contre la science et pour le profit, c’est d’introduire, pour anéantir le consensus scientifique, l’idée de controverse. La controverse, c’est l’idée magistrale ! Elle tient de l’art de la guerre chez les Chinois. Et c’est très efficace. 

 

Médiator, Mon 810, Bisphénol A, trois produits, une seule stratégie : la controverse. Notons en passant que c’est aussi la stratégie adoptée par les climatosceptiques qui ont jeté le discrédit sur les travaux du G. I. E. C. (réchauffement climatique). Mais il y avait aussi une sombre histoire, soi-disant, de "complot". 

 

Il n’y a pas de meilleure stratégie : si vous affirmez à grands coups de publicité que les scientifiques sont des cons, personne ne vous suivra. Autant vaudrait être la « vox clamans in deserto » (ouf, j'ai réussi à la placer, celle-là). Il faut être un peu plus subtil, et dépenser l’argent autrement.

 

Recette pour créer de la controverse :

 

Faites pratiquer en laboratoire indépendant des contre-analyses assez crédibles pour être prises au sérieux, et vous jouez sur du velours. Dans le cas du Bisphénol A, dit Stéphane Foucart, les contre-analyses « répondent à des critères très précis, dits "de bonne pratique de laboratoire" », dont le protocole, fixé dans les années 1950, est aujourd’hui complètement obsolète. Comme par hasard, c’est ce protocole qui sert de point de repère officiel au décideur. Mais allez faire saisir ces subtilités retorses aux téléspectateurs ! 

 

Mais comme le décideur n’a que ce point de repère, vous avez gagné une bonne grosse controverse, qui vous les fait gagner, vos dix ans de délai. Qu’au passage et en plus, il ait fallu distribuer des mensonges, des prébendes, des postes confortables (ça s’appelle « corruption »), si ça ne fait pas de bien, ça ne peut pas faire de mal. Et c'est moins voyant. 

 

La controverse est donc le nec plus ultra de la stratégie négationniste des industriels pour jeter le trouble dans les esprits, en particulier ceux des décideurs. Rien de mieux pour empêcher qu’une quelconque décision soit prise à l’encontre des intérêts des industriels. Rien de mieux pour paralyser un centre de décision. Car pendant que le décideur attend la fin de la controverse, libre à vous d’écouler votre saloperie sur les marchés. 

 

Pas d’affolement : vous avez tout votre temps. 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Note : en publiant ce billet (voir date indiquée), j'ignorais qu'allait être publié le formidable ouvrage de Naomi Oreskes et Erik Conway (éd. Le Pommier, 2012), Les Marchands de doute, qui confirmait mon analyse de manière éclatante et infiniment plus sérieuse, documentée et argumentée que je n'étais en mesure de le faire avec mes modestes moyens (ajouté le 11 avril 2018). 

mercredi, 11 avril 2018

LA DJA DU BISPHENOL A

4 octobre 2011

 

Ce billet concerne principalement une substance dont l'usage a été peut-être restreint ou supprimé depuis ; il est cependant probable qu'il ait été remplacé par un autre produit, sûrement tout à fait inoffensif - va-t-on nous jurer - et autorisé jusqu'à ce que preuve -scientifique ! - soit faite de sa nocivité : on comprendra que le problème n'est pas tant dans le choix de tel ou tel produit pour tel ou tel usage (composition des biberons, revêtement intérieur des canettes de bière, etc.), que dans les laboratoires mêmes de l'industrie chimique, dans les applications des substances que celle-ci y découvre et dans tout le processus de "mise sur le marché" et les étapes administratives que celui-ci implique. Tant que ce sera, non pas aux industriels d'apporter la preuve irréfutable de l'innocuité de leurs inventions, mais à la désespérante lenteur des vrais scientifiques à apporter celle de leur nocivité, il y aura du mouron à se faire. Autrement dit, aussi longtemps que la "société civile" (a-t-elle autant d'existence que la "communauté internationale" ?) n'aura pas exigé, de la part des industriels de la chimie, l'inversion de la charge de la preuve, le pire est encore à craindre.

Note ajoutée le 11 avril 2018.

 

Cela devait finir par se savoir. Cela devait finir par arriver. C’est intéressant, le cas du Bisphénol A, molécule chimique artificielle (tout ce qui nous entoure dans la nature est composé à 100 % de molécules chimiques « naturelles », et tout ce que nous mangeons est fait de molécules chimiques). Il semblerait que, même à très faible dose, le Bisphénol A ne reste pas sans effet.  

 

C’est intéressant, ce qu’on apprend, d’abord parce que ça fait quelque temps qu’il est connu comme « perturbateur endocrinien » : en clair, ça veut dire que, si une femme enceinte y est exposée, ou un bébé, peuvent survenir des cancers du sein et des atteintes neurologiques. 

 

Dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres, les autorités administratives, dont le souci est de protéger la santé des populations, mais sans entraver les activités économiques, a adopté, il y a longtemps, la notion de seuil, soit Dose Journalière Admise, ou D.J.A. Sur la base de quelle certitude ? On n'en sait fichtrement rien. J'imagine qu'elle a quelque chose à voir avec la notion de "seuil", elle-même bien solidement assise sur la célèbre phrase de Galien : « C'est la dose qui fait le poison ». Par exemple, à Fukushima, une dose de 1 millisievert par jour était considérée, sinon comme inoffensive, du moins « admissible ». C’est beau, l’administration, non ? 

 

Ce qui vaut pour les radiations nucléaires vaut donc pour toute substance chimique, naturelle ou artificielle. Dans le fond, est-ce que l’homéopathie tout entière ne repose pas elle aussi sur cette notion de D.J.A. ? La Décimale Hahnemanienne (D.H.) et la Centésimale Hahnemanienne (C.H.) sont après tout des dilutions comme les autres, simplement un peu plus poussées (non, vraiment beaucoup plus poussées, surtout les CH). 

 

J’avais entendu des interventions de monsieur André Cicolella à propos de l’exposition. Il a inventé le terme d’ « expologie », ou science des expositions. Je cite : « Par exemple, en 2007, une étude a montré la relation entre le taux d’autisme et une exposition de 15 jours des femmes enceintes à des champs traités par certains pesticides organochlorés ». Il affirme aussi, sur la base d’études dont la validité n’est pas près d’être reconnue par les autorités cons pétantes, qu’une bonne part des cancers est d’origine environnementale.

 

Il cite une étude épidémiologique réalisée en Suède à partir du registre des jumeaux qui y naissent, registre tout à fait instructif, puisque les Suédois concluent que 50 % des cas de maladie d’Alzheimer ne sont pas dus à des facteurs génétiques, mais à des facteurs environnementaux, l’environnement étant défini de façon large, étendu à la pollution, au mode de vie et aux pratiques médicamenteuses. 

 

André Cicolella (émission "Terre à terre" de Ruth Stégassy, 7 février 2009) montre aussi le pouvoir de nuisance de l'industrie chimique : sur le Bisphénol A, il existe 115 études scientifiques, dont 94 mettent en évidence sa nocivité. De son côté, l'industrie a mené également des analyses "scientifiques" : 100 % de ces études concluent à la parfaite innocuité du produit. Une dizaine d'équipes scientifiques ont publié des études documentées et convergentes ? Qu'à cela ne tienne, l'Agence européenne spécialisée les décrète toutes nulles. On se demande ce qui donne à l'industrie une voix si forte qu'elle couvre la voix de la science neutre auprès des autorités de décision. 

 

Les lobbys industriels se pavanent et plastronnent, car ce n’est pas à eux de prouver quoi que ce soit. La preuve de la nocivité d’un produit doit être apportée par l’adversaire de ce produit. Regardez Bouygues avec les antennes relais. Regardez Monsanto avec les O.G.M. Amusez-vous les loulous, prenez votre temps pour faire vos études sur la nocivité de nos produits. 

 

Avant que vous puissiez prouver quoi que ce soit, ils seront tellement passés dans les mœurs qu’on ne pourra plus revenir en arrière. Vous verrez, ça se passera comme ça pour les produits issus des nanotechnologies. Et si preuve il y a un jour, ce sera trop tard, et en attendant, nos actionnaires auront eu mille fois le temps de nous remercier pour s’être engraissés largement.  

 

Car la preuve, évidemment, doit impérativement être scientifique. En plus, il est tellement facile d’enfumer les foules à propos de ces preuves. Regardez ce qui s’est passé pour le rapport du G.I.E.C. sur le réchauffement climatique, comme il a été facile de jeter le trouble et le doute dans les esprits, sans parler de l’infâme profiteur de trouble qui se fait appeler Claude Allègre, auteur de ce titre choc : L’Imposture climatique. Le doute se construit à petits coups de pichenettes faciles (voir Thierry Meyssan, le raëlien). Pour administrer une preuve irréfutable, il faut dépenser des efforts parfois titanesques, et sur une durée parfois démesurée. 

 

La vérité scientifique est difficile à établir. La mettre en doute est d'une facilité déconcertante. 

 

C’est d’ailleurs une preuve de la faiblesse médiatique congénitale des scientifiques. Sur un plateau de télé, vous en mettez un en face de l’imposteur Claude Allègre : regardez-le, le scientifique, il veut rester le plus près possible de la vérité, alors il hésite, il cherche ses mots, il ne veut rien dire qui ne soit vérifiable. L’autre en face, il a juste à rester souriant, confiant, affirmatif, péremptoire, pouvant aller jusqu’à insulter les travaux du scientifique, balayant d’une moue de la lippe inférieure les résultats patiemment établis par celui-ci. Le gogo, chez lui, devant son poste, à qui croyez-vous qu'il donne raison ? 

 

Médiatiquement, je dis bien « dans les médias » et en particulier sur des plateaux de télévision, c’est imparable. Et ça, c’est une preuve de la saloperie congénitale de l’époque : d’une manière générale, vous pouvez vous persuader de ce qu’un scientifique qui arbore un air sûr de lui et affirmatif, et qui profère des « vérités » qui ne souffrent pas contestation, n’est pas un scientifique. 

 

Alors, le Bisphénol A, me direz-vous ? Il existe des « effets à des doses notablement inférieures aux doses de référence utilisées à des fins réglementaires ». Eh bien, nous voilà au cœur du problème. Car la notion de seuil de tolérance, exprimée en DJA (Dose Journalière Admissible), n’est rien d’autre qu’une commodité administrative faite pour concilier l’activité industrielle et la santé des populations. 

 

C’est comme dans l’armée, le seuil de 7 % de pertes en temps de paix. Il s’agit en fait moins de protéger des populations que de « limiter les dégâts ». Tant que le pourcentage de « pertes » est supportable par la collectivité, on laisse faire : le contribuable contribuera. En clair : tant que le taux de cancers et de malformations ne devient pas franchement anormal, tout continue comme avant, « business as usual ». 

 

Ce que nous apprennent les dernières études sur le Bisphénol A est précisément que la notion de « seuil de tolérance » (DJA) est à revoir de fond en comble. Ce que pointent en effet les tenants d’études épidémiologiques environnementales autour de toutes les molécules chimiques produites par l’industrie, c’est une hydre à trois têtes : les très faibles doses, les interactions, la durée d’exposition. 

 

LES TRÈS FAIBLES DOSES : je l’ai dit, la notion de seuil (DJA) est d’ordre administratif et réglementaire. C’est un compromis (donc négociable) entre des forces foncièrement antagonistes : les acteurs de la santé contre les acteurs de l’industrie. Les acteurs de la santé s’appuient sur la science, les études, les travaux de laboratoire, dont j’ai mentionné plus haut les difficultés pour établir sans contestation possible des éléments de preuves. 

 

En face, les acteurs de l’industrie, qui exploitent les trouvailles de leurs bureaux « R&D » (Recherche et Développement), ont besoin de les mettre en circulation contre monnaie sonnante et trébuchante : l’actionnaire, au bout du circuit, tient avant tout à revoir la couleur de son argent, mais épaissie des « retombées » (entre 10 et 15% de bénéfices par an attendus), et qui pousse évidemment à une commercialisation tous azimuts et sans contrôle. 

 

LES INTERACTIONS : là, c’est quasiment le trou noir. Déjà qu’on est loin de tout savoir des conséquences d’une molécule isolée, alors pensez, s’il y en a deux, trois ou douze en présence, c’est le TROU NOIR scientifique. Vous vous rendez compte de ce qu’il faudrait investir pour financer des études de cette ampleur ? 

 

Sachant que l’industrie chimique, depuis un siècle et demi, a élaboré à peu près 100.000 nouvelles molécules, vous comprenez bien qu’elle a tout intérêt à ce que les politiques et les administratifs abordent chacune d’elles isolément, sans chercher la petite bête, à savoir si une telle, mise en présence de telle autre, se met à faire des étincelles ou de la fumée, ou à décupler d’un seul coup son pouvoir de nuisance. 

 

Je signale en passant que l’Europe avait « pris à bras-le-corps » ce problème de nuisance des 100.000 molécules chimiques de l’industrie, et comptait soumettre leur intégralité à examen, suivi soit d’une homologation, soit d’une interdiction. Cela porte un joli nom : REACH (Règlement Enregistrement Evaluation Autorisation Restriction des substances chimiques). Mais sous l’action du lobby industriel, l’Europe a consenti à n’exiger d’homologation sécuritaire que pour 30.000 de ces molécules, et encore, je n’assiste pas à l’exécution de la procédure d’homologation : qui est responsable ? Qui signe le rapport ? Quelles sont ses relations avec l’industrie ? 

 

LA DURÉE D’EXPOSITION : là encore, gros point d’interrogation. La durée, c’est l’ennemi du profit. Le profit se crée aujourd’hui dans l’urgence. Qu’advient-il au rat, quand on l’expose à telle molécule chimique (mettons le Bisphénol A) pendant une longue durée ? Eh bien, aux dernières nouvelles, les effets sont au nombre de sept (je n’invente rien), parmi lesquels « l’avancement de l’âge de la puberté, l’augmentation de la survenue de kystes ovariens et de lésions sur la glande mammaire, l’altération de la production spermatique ». Et là encore, la durée apparaît comme une condition de la vérité scientifique. 

 

J’ai dit ici, un jour, que, pour que l’industrie cesse de nuire à l’humanité, il faut qu’elle cesse d’être industrielle. Autrement dit : qu’elle disparaisse. Et comme je n’ai plus guère tendance à me bercer de rêves, fables et contes, je sais déjà qu’elle ne disparaîtra pas (« la croissance, la croissance ! »). Autant dire que les molécules en folie vont accélérer la migration des humains vers les centres anticancéreux. Sympa. 

 

Le journal Le Monde donne ces jours-ci la parole à André Cicolella, de Réseau Environnement Santé, à l'occasion de la probable prochaine interdiction du Bisphénol A dans le secteur alimentaire. Comme qui dirait : il serait temps. Il n'est pas sûr, d'ailleurs, qu'il ne soit pas déjà trop tard. 

 

Ajouté le 9 avril 2018 :

La voilà, la recette de ceux qui font une confiance inébranlable et complètement aveugle au Progrès, aux sciences, à la recherche, aux laboratoires pour sauver l'humanité, et qui ne font que nous mener toujours plus près du précipice. Ils font confiance à ceux qui savent (ceux dont le savoir les arrangent) et à ceux qui ont les mêmes intérêts qu'eux, pour s'asseoir tout simplement sur la demande (somme toute raisonnable) que soit examinée enfin de façon sérieuse la question de savoir ce que ça peut donner comme effets sur la santé humaine, le cocktail ainsi défini : 1) action des très faibles doses ; 2) effets éventuels des interactions entre les produits ; 3) durée d'exposition. 

 

Faisons confiance aux industriels et aux investisseurs : désintéressés comme ils sont, ils vont sûrement déverser des flots d'or sur les laboratoires sérieux qui réfléchissent sérieusement aux effets du cocktail de ces facteurs.

 

Voilà ce que je dis, moi. 

mardi, 21 juillet 2015

HALTE AUX MINARETS !

Non, le minaret n'a rien à faire sur le territoire français ! La France tout entière lève son bouclier catholique contre l'invasion.

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Ci-dessus et ci-dessous : Le Monde, 19-20 juillet 2015.

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Regardez-les, les muezzin. 

Voilà ce que je dis, moi.

jeudi, 09 juillet 2015

FEUILLETON GREC ? OU ALLEMAND ?

Il est intéressant, le feuilleton grec. Une excellente dramaturgie en tout cas. Je ne connais pas le metteur en scène, j’ignore qui est le producteur, mais j’apprécie les efforts indéniables accomplis par les différents protagonistes pour donner au spectacle, quand ils sont sur scène, son poids de rebondissements et de péripéties plus ou moins inquiétants quand on les met bout à bout. 

Je ne tente pas de résumer le problème, auquel, je crois, plus personne ne peut aujourd’hui prêter un sens sur lequel les participants pourraient s’accorder. Ils ont tous choisi leur camp et pris leur parti. C’est l’opposition frontale. Une opposition politique, que je résumerai à la question suivante : l’Europe que nous voulons sera-t-elle de la gauche partageuse ou de la droite arrimée aux principes ultralibéraux de la « concurrence libre et non faussée » ? 

Si j’avais à voter (à condition que le « projet européen » ait pris figure humaine, je veux dire déchargée du poids bureaucratique de la machine administrative, qui ne roule plus que dans sa propre direction), mon choix se porterait sur l’Europe partageuse, même si la perte de souveraineté me chiffonne, et plus loin et plus profond qu’aux entournures. 

Je vois bien que la souveraineté nationale heurte de front l’exigence d’abandon de souveraineté que nécessiterait une Europe fédérale. J’imagine que le continent européen pourrait, sur les cartes géopolitiques qui sont en train d’être redessinées, arriver à être considéré comme une puissance. Mais certains n’en veulent en aucun cas. Le « libre-échange » suffit au plus grand nombre. Quelle saloperie de dérision ! 

Que veut l’Europe ? C’est simple, l’Europe ne veut rien, parce qu’il n’y en a pas, d’Europe. Ne me faites pas rire avec les institutions européennes, s’il vous plaît : quand il y a vingt-huit décideurs en action, il n’y a jamais de décision. L’Europe que les institutions européennes nous ont mijotée est l’ectoplasme d’un paralytique en phase terminale. 

Cette Europe-là suscite la haine et le rejet. Et le mépris de l’institution et de ses partisans (et de ses bénéficiaires) pour les peuples soi-disant souverains est une preuve définitive que cette Europe-là se construit, d’une part, sans les peuples, d’autre part contre les peuples. Pendant ce temps, les vraies puissances se gaussent. 

Si la Grèce quitte la zone euro, c’est parce que le retraité bavarois (dixit Arnaud Leparmentier, qui n’aime pas, mais alors pas du tout Thomas Piketty, sans doute un peu trop à gauche à ses yeux) ne veut plus débourser un centime pour ces enfants prodigues que sont les Grecs, qui ont jeté par les fenêtres le bon argent qu’il a consenti à leur prêter, en attendant un confortable retour sur investissement. 

Angela Merkel, et surtout Wolfgang Schäuble, ministre des finances, ont entendu le retraité bavarois. Ils pensent aux prochaines élections : s’ils sont élus, c’est parce qu’ils ont promis. Plus un centime aux Grecs. Et puis il y a « l’opinion publique » (vous savez, ce personnage irrésistible d’Orphée aux enfers, de Jacques Offenbach), et ils reniflent les vents qui en émanent, et qui sentiront très mauvais pour leurs matricules s’ils contreviennent. 

Ils n’ont pas lu l’intéressant papier publié dans Le Monde (daté 7 juillet), écrit par le chroniqueur « Planète » de la maison, Stéphane Foucart, intitulé « Une dette allemande ». Attention, rien à voir avec une ardoise que l’Allemagne aurait laissée chez quelque banquier. Non, il s’agit d’une dette contractée sur la santé des Allemands et de leurs voisins. Car il faut le savoir : l’Allemagne n’a cessé d’emprunter à nos vies, mais personne ne songe à exiger les énormes créances qu’il a en Allemagne, tant cette dette est invisible. 

Il faut que ce soit un pool de chercheurs de haut niveau qui publie les résultats de toute une série d’études dans une revue « à comité de lecture » (pour dire le sérieux scientifique, donc la restriction, hélas, de la diffusion au seul public des spécialistes). Thème de ces études : « … évaluer le coût économique des dégâts sanitaires dus aux pollutions chimiques dans l’Union européenne ». C’est de ces travaux que rend compte l’article de Stéphane Foucart. 

Les dégâts sont considérables : le 1,3 % du PIB des vingt-huit pays se traduit par un montant de 157 milliards d’euros par an. Et encore, si l’on préfère,  « la partie haute de la fourchette surpasse les 260 milliards d’euros annuels ». On me dira : pourquoi pointer l’Allemagne du doigt ? Pour une raison simple, livrée par Foucart : « C’est simple : en Europe, la chimie, c’est l’Allemagne ». La chimie européenne s’appelle Bayer, BASF (Badische Anilin und Soda Fabrik), … Des géants. Allemands.

Les Allemands sont au courant, puisque, « par le biais d’une de ses agences de sécurité sanitaire, l’Allemagne n’a eu de cesse d’entraver la mise en place de nouvelles réglementations européennes destinées à réguler les produits les plus problématiques – dits perturbateurs endocriniens ». Ah, les perturbateurs endocriniens ! Qui dira la poésie des phtalates, le lyrisme des néonicotinoïdes et autres « délicieuses petites choses » (l’expression est pour les vieux cinéphiles) ? C'est sûr, on peut dire merci à l'Allemagne !

Résultat des courses, en dix ans, ces « coûts collatéraux cachés » s’élèvent à « au moins 1570 milliards d’euros [pour] l’économie européenne ». Une somme que je n’arrive pas à concevoir. Et une somme totalement indolore pour tout le monde, puisqu’elle ne passe pas par les bilans des banques ou les budgets des Etats. Une somme qui nous a été empruntée sans que nous le sachions. Passez muscade. Les études épidémiologiques ne figurent pas encore au programme de ceux qui tiennent la calculette. 

L’Europe allemande est une Europe dirigée par les comptables : ils ont l’œil fixé sur le « respect des règles » et le « respect des Traités ». Je ne dis pas qu’ils ont totalement tort, je dis juste que laisser les clés de la voiture à une profession myope par nature, c’est prendre un risque grave. Ça vous fait fantasmer, vous, une Europe devenue un service de comptabilité dont la seule fonction serait de garder l’œil sur les chiffres ? L'inventaire de la vaisselle en porcelaine après la scène de ménage ? Ah oui, qu'est-ce que ça donne envie de vivre ensemble !

Il paraît que les économistes ont baptisé ces coûts collatéraux cachés du doux nom d’ « externalités négatives » ! Tout le monde est heureux de l’apprendre. Allez, soyons intransigeants et inflexibles avec ces salopards de Grecs qui ont assez « fait danser l’anse du panier ». Qui sera aussi intransigeant avec cette Allemagne chimique, qui ne cesse depuis des dizaines d’années d’emprunter des sommes astronomiques à la santé physique des Européens, et surtout à l’avenir de cette santé ? 

Stéphane Foucart examine pour finir la crédibilité de ces études. La réponse est affirmative. Leurs auteurs se sont en effet limités à "sept produits et familles chimiques (pesticides organophosphorés, plastifiants, etc.) et à trois catégories de troubles (système reproductif masculin, neurocomportementaux, obésité et diabète)" (citation approximative quant au texte, mais exacte quant au fond). Rien que du mesurable.

Foucart cite Mme Woodruff qui précise même, dans son éditorial du numéro de la revue JCEM qui a publié les études : « Ce qu’il faut retenir est que ce calcul de 157 milliards d’euros ne représente que la partie émergée du véritable fardeau attribuable aux polluants chimiques de l’environnement ». 

Je sens que les occasions de rigoler ne vont pas manquer. Au fur et à mesure que des chercheurs débusqueront les « externalités négatives ».

Voilà ce que je dis, moi.