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mercredi, 25 avril 2018

LA VÉRITÉ SUR L'INDUSTRIE CHIMIQUE

22 février 2015

Une Empoisonnement universel (LLL Les Liens qui Libèrent, 2014) est le dernier livre de Fabrice Nicolino. Un livre terrible, mais en même temps frustrant, je suis obligé de le reconnaître. J’ai en effet enchaîné avec la lecture de l’ouvrage de Naomi Oreskes et Erik M. Conway, Les Marchands de doute (Le Pommier, 2012).

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[Depuis, j'ai ajouté quelques autres lectures :

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Notre Poison quotidien (la responsabilité de l'industrie chimique dans l'épidémie des maladies chroniques) de Marie-Monique Robin ;

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La Contamination du monde (une histoire des pollution à l'âge industriel) de François Jarrige et Thomas Le Roux ; .... Le diagnostic se confirme et s'aggrave.]

La différence saute tout de suite aux yeux. Le premier souffre d'apparaître comme le travail d'un journaliste qui se serait laissé contaminer par un certain emportement militant, ce qui affaiblit l'effet percutant du livre. Le second a des qualités scientifiques. Le premier est parfois agaçant. Le second est absolument impeccable. Mais les deux livres restent indispensables.

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Le tandem d'auteurs Oreskes-Conway a concentré son travail sur un seul et unique problème (« Notre produit, c’est le doute », phrase assenée par les propagandistes des lobbies industriels), qu’un petit nombre de chapitres illustre à merveille, parce que chacun d’eux, centré sur une seule question, va tout au fond des choses, après un travail impressionnant sur la documentation disponible (70 pages à la fin pour 1046 notes écrites en tout petits caractères, ce qui s’appelle le sérieux d’un travail rigoureux). Un livre inattaquable, irréfutable.

 

L’objectif de Nicolino est tout autre : offrir un panorama complet, en même temps qu’il voudrait donner une idée de l’intégralité (!?) des données actuellement à disposition. Et le tout en 428 pages, parsemées ici ou là et de loin en loin, de quelques notes de bas de page pour indiquer la source. En réalité, pour traiter un sujet aussi varié, aussi complexe, avec l’intention, en plus, de retracer tout l’historique de la question, il faudrait dix gros volumes.

 

Conclusion : « Qui trop embrasse mal étreint ». Car le résultat d’une telle démarche est qu’on a trop souvent l’impression de rester à la surface des choses et, plus grave, que l’argumentation manque de consistance, l’affirmation tenant alors lieu de preuve. Avouez que c’est embêtant pour un livre qui voudrait pousser un cri d’alarme, de ne pas pouvoir être pris complètement au sérieux. Quand on entreprend de dénoncer, il faut que la démarche (sérieux, méthode, rigueur ...) soit irréprochable d'un bout à l'autre.

 

Il n’en reste pas moins que le tableau d’ensemble est terrifiant. Ce sont pas moins de 47.373.533 substances chimiques (p. 406) qui ont été mises au point par l’homme depuis les débuts de l’industrie chimique. Dont 34.961.413 sont commercialement disponibles. Sur ce total effarant, seules (si l’on peut dire) 248.055 substances « ont été enregistrées » ou « réglementées ».

 

Et les autorités européennes, sous la pression des lobbies de l’industrie chimique, ont consenti à réduire de 100.000 à 30.000 le nombre de celles qui devaient passer un « test d’évaluation » (programme REACH) pour mériter une autorisation de mise sur le marché. L’image de l’iceberg (10% au-dessus, 90% en dessous) utilisée par Nicolino p. 406 est donc éminemment trompeuse : le rapport est en réalité de 0,7% à 99,3%. Si l’on retenait le chiffre de 30.000, on tomberait dans le négligeable.

 

L’ingéniosité combinatoire des chimistes pour imaginer sans cesse de nouveaux procédés de fabrication et pour inventer des molécules nouvelles propres à des milliers d’usages semble donc sans limites. Et ce qui apparaît constamment au cours de l’histoire, dans l’attitude des industriels de la chimie, c’est qu’ils visent exclusivement l’efficacité au moindre coût de leurs produits dans l’usage pour lequel ils étaient prévus. Et qu'il font tout pour empêcher régulations et réglementations qui risqueraient de nuire aux affaires, à la compétitivité et aux profits.

 

Cela veut dire que les effets que ces produits peuvent avoir par ailleurs semblent le cadet de leurs soucis. Et qu’il faut un acharnement hors du commun (Theodora Colborn, Rachel Carson, André Cicolella, ...) pour faire parvenir jusqu’aux sphères de décision la moindre remise en cause de leur innocuité. Ce que je retiens principalement du livre de Fabrice Nicolino, c’est l’impression de collusion régnant en haut lieu entre les responsables politiques, les décisionnaires administratifs et le haut encadrement des entreprises industrielles.

 

Je compare avec ce que j’ai entendu récemment, venant de bons connaisseurs de la question, au sujet des « portes tournantes », ces hauts fonctionnaires de l’Inspection des Finances qui font la navette entre le Ministère des Finances et le haut encadrement des banques. Tout ce petit monde (vous avez dit « conflit d'intérêts » ?) surveille jalousement son pré carré pour que nul n’empiète sur ses prérogatives et  ne menace de faire un jour bouger l’ordre des choses et des privilèges de caste.

 

La situation est à peu près identique dans le domaine de la chimie, la règle suprême étant qu’il serait inadmissible que des interventions ou des regards extérieurs viennent nuire aux affaires, et qu’il faut tout faire pour éviter ça. Le cas de l’amiante est évidemment le plus scandaleux et le plus connu, illustrant à merveille la thèse selon laquelle l’industrie chimique jouit d’une impunité totale quand quelqu’une de leurs substances a répandu la maladie et la mort dans la population des travailleurs qui la côtoient.

 

Nicolino évoque d’autres cas, tous plus ou moins célèbres : le DDT et autres pesticides ; l’isocyanate de méthyle, qui tue et estropie encore à Bhopal, trente ans après la catastrophe de l’Union Carbide ; l’infinie variété des matières plastiques et leurs mille et un effets méconnus découlant de leur omniprésence dans notre environnement immédiat ; l’incroyable inconscience à la limite du crime de ceux qui mettent sur le marché et ne cessent de vanter les mérites de toutes sortes de substances désormais connues pour être des « perturbateurs endocriniens » ; les étonnantes (et loin d'être toutes  connues) propriétés des produits issus des nanotechnologies ; et je conseille la lecture du chapitre 12, « Mais où est donc passé le spermatozoïde ? » ; … La liste semble interminable.

 

Si encore la population pouvait faire confiance aux classes dirigeantes pour prendre souci de la santé du plus grand nombre … Mais non, la complicité de celles-ci avec les industriels est tellement bien organisée qu’il faut des cas très avérés de corruption pour qu’elle apparaisse au grand jour. La plupart du temps, le bon peuple n’y voit que du feu. Par exemple, les instances mises en place en France et en Europe pour veiller en matière de santé publique comprennent dans leurs rangs plus d’un scientifique ayant travaillé auparavant pour l’industrie chimique. "Conflit d'intérêts" est un odieux euphémisme.

 

Bref, on a compris : le titre un peu trop spectaculaire, accrocheur et vendeur du livre de Nicolino n’est malheureusement pas une exagération. Certes, on déplore l’aspect un peu fourre-tout superficiel, mais on reste assommé par la brutalité et l'énormité du constat d’ensemble. 

 

Voilà ce que je dis, moi. 

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