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vendredi, 20 avril 2018

LA PROMESSE DES CHIMISTES : L'AUTISME

4 décembre 2014

 

Non, vous vous en doutez, je n'ai jamais voté pour les guignols peinturlurés en vert qui se font passer pour des écologistes. Ce sont des politiciens comme les autres. Je veux dire : aussi dérisoires (je ne suis pas tout seul. L'Américain Donald Morrison le dit aussi, parlant de la France : « ... et l'ineptie de sa classe politique a désormais éclaté au grand jour », dans sa tribune "Le suicide américain" parue dans Le Monde daté 4 décembre 2014). C'est d'autant plus librement que j'écris ces quelques lignes : il y a longtemps que je ne suis plus « écolo ». En effet, la situation est, je le crains, encore plus grave que ça.

 

[Note d'avril 2018 : Cécile Duflot abandonne la politique, voyez-vous. Elle le fait par pur altruisme : elle va consacrer sa vie à une ONG (Oxfam ?). Mais elle ne sera pas dans les soutes à bourrer la chaudière : elle sera juste présidente. De quoi ? J'ai oublié. Mais je me contente de ce constat : Cécile Duflot présidente. Quant à Jean-Vincent Placé (fut-il ministre ?), c'est plus anecdotique, plus dérisoire encore, mais aussi plus drôle : il s'est fait poisser tout récemment en état d'ivresse et, comme n'importe quel poivrot, il passe la nuit en cellule de dégrisement. Pendant ce temps, monsieur Hulot en vacances (tout le monde connaît Les Vacances de M. Hulot, j'espère) à Nantes, se félicite sans rire de la modération avec laquelle les gendarmes mobiles s'y sont pris pour "rendre à l'état de droit" le territoire de Notre-Dame-des-Landes. Je serais écologiste, je dirais, comme je ne sais plus qui : « Seigneur, protégez-moi de mes amis. Quant à mes ennemis, je m'en charge ».]

 

******************

 

Eh oui, bonne nouvelle pour tous les civilisés du monde, je veux dire tous ceux qui ont la chance de vivre dans des pays économiquement développés et d’y bénéficier des apports proprement miraculeux des progrès de la technique en général et de la chimie en particulier : leur intelligence est promise à un avenir des plus radieux.

 

Ce n’est pas moi qui le dis, c’est une dame Barbara Demeneix, une Française. Cette biologiste a beaucoup travaillé sur le développement des êtres vivants, s’efforçant de répondre à la question : « Comment un têtard devient-il une grenouille ? ». Ça n’a l’air de rien, dit comme ça, mais c’est horriblement compliqué, surtout quand on étend ses recherches du côté de l'humain. Je veux bien le croire. Madame Demeneix, pour y voir un peu clair, a compilé une énorme littérature scientifique.

 

Elle est tombée sur certaines études et de sa chaise (appelons ça un zeugma). Ces études autour de l’autisme montrent une véritable explosion de la maladie depuis quarante ans. Le Monde (mercredi 3 décembre 2014) reproduit le graphique qui met le phénomène en évidence. Un spécialiste, au cours de l’article, admet que l’amélioration du diagnostic n’est sûrement pas étrangère à l’augmentation, mais que la dimension extravagante de la chose la rend irréductible à ce seul facteur. C’est sûr, il se passe quelque chose de grave.

 

Nos isolants électriques, nos lubrifiants, notre électronique et nos mousses de canapés ignifugées, notre agriculture, tout ça est bourré jusqu’à la gueule d’un tas de substances charmantes : PCB, dioxines, métaux lourds, bisphénol A, BPDE (si si, il paraît que ça existe), d'organophosphorés, de perfluorés, d'organochlorés et autres pesticides ou solvants. Si l’article ne parle pas des néonicotinoïdes en usage dans nos champs de colza, c’est peut-être qu’ils n’interviennent (pour l’instant, en attendant d'en savoir plus) que dans l’extermination des abeilles.

 

Toutes ces délicieuses molécules (dont beaucoup dites « de synthèse ») « interfèrent sur le système thyroïdien ». Ces « perturbateurs endocriniens » agissent donc sur le système hormonal tout entier, donc sur le développement de l’être humain. Et l’être humain a la coupable étourderie de se développer dès le moment de sa conception. Mais surtout de prendre dans ce but tout ce qui passe à sa portée pour s'en nourrir gloutonnement. A ses risques et périls.

 

Ça se manifeste comment ? Philippe Grandjean, médecin environnemental : « Par exemple, nous avons étudié les enfants de femmes qui travaillent au Danemark dans des serres. Elles sont au contact de mélanges de pesticides. Dès que leur grossesse a été connue, elles ont toutes été mises à l’écart des pesticides jusqu’à la naissance de leur bébé. Ceux-ci n’ont donc été exposés que pendant très peu de temps, au tout début de leur vie fœtale. Et pourtant, en les comparant à des enfants qui n’ont pas du tout été exposés à ces produits, nous constatons que leurs capacités cognitives sont diminuées ». Puisque c’est sans danger, on vous dit.

 

Quelques économistes (sans doute un peu allumés) ont calculé ce que ça risquait de coûter à l’économie américaine : 19.000 dollars par individu et par point de QI en moins. Une facture annuelle de cinquante milliards de dollars. Et les sociologues s’y mettent aussi : « Aux Etats-Unis, le taux d’homicides a brutalement chuté vingt ans après le retrait de l’essence plombée » ! Il paraît que cette corrélation n’est pas si farfelue qu'elle en a l'air. Admettons.

 

Je n’ai fait que picorer quelques éléments de cet effarant dossier signé Stéphane Foucart, paru en double page dans le supplément scientifique du journal Le Monde. Mais je crois que ça suffit pour se faire une petite idée de ce qui attend l’humanité, si les autorités « compétentes » continuent à se laisser aveuglément « convaincre » par les saladiers d’argumentaires pourris fournis par les lobbies de l'industrie chimique.

 

Les industriels exigent que la preuve scientifique soit faite de la nocivité de chaque molécule sur telle affection pour reconnaître. Ils sont tranquilles : ils savent que c’est presque impossible, vu la difficulté d'élaborer des protocoles expérimentaux qui soient "administrativement" crédibles. Ils font semblant de tomber des nues quand on les soupçonne de fabriquer des poisons, mais ils sont assez prudents pour s'en tenir à distance pour leur propre compte et pour couvrir leurs emballages de « précautions d'emploi » : on ne sait jamais. En attendant, les « politiques » pourraient, pour prendre leurs décisions concernant la santé publique, consulter les biologistes et médecins spécialisés. Par exemple ceux qui participent au Réseau-Santé-Environnement. Qui produisent de temps en temps des rapports intéressants. Cela s’appelle des « études épidémiologiques ».

 

Pour une fois que les statistiques ne servent pas à raconter des bobards ! Ce sont en effet des études épidémiologiques qui ont mis en évidence l'effet désastreux de certains environnements, en comparant par exemple la santé de jumeaux durablement séparés par une longue distance (prouvant que la maladie touchant l'un des deux n'est pas génétique, mais due à l'environnement et aux conditions de vie), ou encore la fréquence des cancers du sein chez les Japonaises restées au pays (mode de vie traditionnel) et celles ayant émigré à Honolulu (mode de vie américain).

 

Les « politiques » pourraient aussi avoir la curiosité de mettre le nez dans le bouquin de Fabrice Nicolino, Un Empoisonnement universel (LLL, Les Liens qui Libèrent, 2013). Le sous-titre est explicite : « Comment les produits chimiques ont envahi la planète ». La trouille que ça leur donnerait les rendrait peut-être, pour une fois, courageux et responsables ? Il est permis de rêver, non ?

 

Jusqu’à maintenant, on savait que « Faire des enfants, c’est les condamner à mort » (graffiti qui fut longtemps visible sur un grand mur lisse du quartier Saint-Just). Désormais, on sait que ça les condamne aussi à la débilité. Une idée pour les chômeurs qui espèrent une reconversion professionnelle : les institutions pour déficients intellectuels sont promises à un avenir radieux et prospère. C'est le moment, il y a une occasion à saisir.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Note du 20 avril 2018 : il n'y a pas que l'autisme, loin de là ! Personne aujourd'hui ne conteste que les maladies chroniques (allergies, cancers, ...) ont explosé au vingtième siècle. Personne non plus n'ignore ni ne conteste l'extraordinaire essor des industries chimiques au vingtième siècle. Mais curieusement, il est difficile, il semble même impossible de faire le lien entre les deux phénomènes, au mépris du plus élémentaire bon sens, qui nous hurle aux oreilles cette vérité : les maladies chroniques sont la conséquence des industries chimiques. Les chimistes se réfugient derrière une exigence apparemment rationnelle : tant qu'il n'est pas démontré scientifiquement que telle molécule est la cause de telle maladie (ils omettent de poser la question de l'effet-cocktail produit par l'accumulation de molécules diverses), on n'a pas le droit de mettre en cause leur responsabilité. Les décideurs politiques, pris entre, d'une part, la protection de la santé des populations et, d'autre part, la protection de l'emploi par la recherche de la prospérité économique, en sont réduits à danser la Grande Tergiverse (à trois temps), dont la figure principale est bien connue : un pas en avant, un pas en arrière, un pas de côté, et on recommence. J'en conclus que les observateurs (médecins, épidémiologistes, écologistes, ...) n'ont pas fini d'observer, de regarder grimper la courbe statistique des affections chroniques, de soigner des malades toujours plus nombreux, de dresser des constats à faire dresser les cheveux sur la tête, et de s'interroger gravement sur les raisons qui nous ont amenés là.

jeudi, 12 avril 2018

CONTRE LA VÉRITÉ, LA CONTROVERSE

5 novembre 2011

 

Ou : « Comment fausser un débat scientifique ». 

 

Petit 1 – On sait désormais, depuis qu’a éclaté l’affaire Servier, que l’industrie pharmaceutique dans son ensemble prétend œuvrer au bénéfice de la santé des populations, alors que le premier bénéfice visé est d’ordre actionnarial : ce n’est pas l’efficacité sanitaire qu’on cherche, mais la rentabilité, le rendement par action, la profitabilité, les bénéfices, bref, les picaillons, la fraîche, le flouze, le pèze, la brocaille, et tout ce qui est convertible en or. 

 

Remarquez, on le savait déjà depuis, par exemple, le travail de Philippe Pignarre (Le Grand secret de l’industrie pharmaceutique). On sait d’ailleurs que cette industrie est de plus en plus incapable de découvrir ou d’inventer de nouvelles molécules efficaces, comme si, pendant que le rendement des investissements en Recherche et Développement tend vers zéro, les profits, eux, tendaient vers l’infini. 

 

Le Monde diplomatique, dans un numéro déjà ancien, avait publié un article génialement intitulé : "Pour vendre des médicaments, inventons des maladies". La logique de l'industrie pharmaceutique est prioritairement la logique de l'actionnaire. C'en est au point que la production de certains médicaments ou "génériques" dégage des marges tellement faibles qu'elle est purement et simplement abandonnée.

 

Petit 2 – On sait maintenant, au sujet d’entreprises comme Monsanto,  Syngenta (Novartis), Pioneer Hi-Bred, Bayer CropScience, que les industries biotechnologiques, qui prétendent avoir pour objectif la suffisance alimentaire de l’humanité en 2050, visent essentiellement à s’assurer ad vitam aeternam une rente viagère monstrueuse, une fois qu’elles auront breveté toutes les semences génétiquement modifiées par leurs soins, autrement dit une fois qu’elles se seront approprié tout le vivant. 

 

Quelle que soit la validité des études scientifiques qui promeuvent ce genre de semences, validité dont il est légitime a priori de douter, la principale objection à faire à l’usage généralisé des O.G.M. est d’ordre économique et moral et en bout de course, politique. Qui oserait s’arroger le droit de privatiser toute la nature, tout le vivant et, pourquoi pas tant qu’on y est, toute l’humanité ? 

 

Que ceux qui contestent une telle assertion regardent ce qui se passe à Bruxelles et mettent le nez dans la façon dont les réglementations européennes sur les semences se mettent en place (voyez pour cela ma note du 11 juin). 

 

3 – On sait enfin (« Attendez-vous à savoir », disait la renommée Geneviève Tabouis) qu’il en sera de même très bientôt pour l’industrie chimique, à cause du Bisphénol A. Monsieur André Cicolella, de Réseau Environnement Santé, a beaucoup contribué à faire connaître le Bisphénol A. 

 

J’ai évoqué ici même le 4 octobre le cas du Bisphénol A, pour faire écho à la remise en question de la certitude héritée de Galien, l’ancêtre de la pharmacie, qui a légué à tous ses successeurs le dogme suivant : « La dose fait le poison », encore largement en vigueur dans les « milieux autorisés ». 

 

C’est sur la base de ce dogme que toutes les autorités sanitaires, depuis qu’elles existent, ont défini ce qu’on appelle un « seuil », ou « D.J.A. » (Dose Journalière Admise), au-delà duquel la santé humaine risquerait d’être affectée par un produit déterminé. Il semble qu'on s'achemine de plus en plus vers une formule plus proche de la vérité, du genre : « le poison fait le poison », quelle que soit la dose.

 

4 - Je ne cite que pour mémoire le négationnisme des industriels du tabac luttant par tous les moyens pour qu'aucune législation ne vienne limiter ou entraver leur commerce fructueux. Avec l'amiante, on a encore un autre exemple des efforts des industriels pour influer de tout leur poids sur les décisions politiques dans un sens favorable à leur activité.

 

Bilan d'étape, sans rire :

 

Ces trois branches industrielles, qui veulent continuer à prospérer financièrement, font tout pour empêcher que soient rendues publiques les nuisances éventuelles des innovations qu’elles vendent au prix fort. Elles redoutent que se fasse jour dans l’opinion publique, puis, plus gravement, chez les décideurs, la méfiance sur l’innocuité de ce qu’elles présentent comme des progrès indéniables. S’agissant de ces industries, ne serait-on pas fondé à parler d’organisations criminelles (qui mettent en circulation, sciemment et impunément, des poisons) ? 

 

Elles ont donc adopté systématiquement une unique stratégie pour peser de tout leur poids sur la puissance publique et retarder la fermeture du robinet à fric. Cette stratégie porte un nom. 

LA CONTROVERSE.

 

La trouvaille est géniale. Rien de plus démocratique et rationnel en apparence que l’arme de la controverse. Rien de plus malhonnête et pervers que cette arme entre les mains des avocats de ces industries. Car il faut distinguer le scientifique, en gros, un ahuri qui regarde surtout dans son microscope et dans son tube à essai, et le décideur (administratif ou politique), qui occupe une position comparable à celle d’un verrou : c’est lui qui a le pouvoir d’ouvrir ou de fermer le verrou. 

 

Le scientifique n’avance rien dont il ne soit sûr. Ça tombe bien, le décideur ne décide (dans la théorie bleu ciel, on suppose qu’il est honnête) qu’en toute certitude. Un seul cas est susceptible de retenir sa main d’agir sur le verrou. Vous avez deviné : c’est la controverse. Car si l’industriel réussit à planter dans le paysage de la certitude scientifique quelque chose qui ressemble à un doute crédible, la main du décideur, qui allait fermer le verrou sur le Bisphénol A, s’arrête en pleine action. Le décideur attendra la fin de la controverse. Dans dix ans ou plus. 

 

Ce n’est pas ici le lieu d’entrer dans la subtilité des raisonnements scientifiques et des arguments répliqués par les industriels. Je ne tiens pas à vous chasser par l’ennui chers lecteurs (on m’a dit de flatter pour attirer du monde). Pour rester le plus clair possible, et pour résumer l’excellent et complet article de Stéphane Foucart, dans Le Monde daté du 29, qui prend le temps, lui, d’entrer dans les détails, je me contenterai de schématiser les deux logiques qui s’affrontent. 

 

A ma gauche, sur le ring, les scientifiques [oui, c'est un ring particulièrement vaste], qui conduisent des recherches, obtiennent des résultats, publient ces résultats dans des revues. Bref, qui travaillent. Au fil du temps et des avancées, se forme ce qu’il faut appeler un consensus au sein de la communauté scientifique. 

 

C’est le cas à propos du Bisphénol A : tous les connaisseurs sont d’accord pour admettre que cette molécule a des effets inquiétants. Cela s’appelle le « consensus de Chapel Hill » (2006). Les quarante spécialistes en question affirment qu’ils ont établi quelques certitudes, c’est tout. 

 

A ma droite, sur le même ring, les belliqueux, je veux dire les industriels, ainsi que leur produit, le Bisphénol A, qui entre dans la composition d’objets largement commercialisés, donc qui génère des profits non négligeables. 

 

Pour eux, il est nécessaire de continuer à vendre ce produit pour que l’argent continue à entrer dans la caisse. Il est même nécessaire de continuer à tout prix, fût-ce celui de la santé des foules, à cause de tous les industriels qui ont besoin du Bisphénol A dans les marchandises qu'ils fabriquent. 

 

Ces deux-là étaient faits pour se rencontrer sur le pré, en champ clos, les armes à la main. Il est donc logique que ces logiques entrent en guerre. En réalité, seuls les industriels veulent la guerre. La guerre n'intéresse pas les scientifiques : ils veulent juste établir un  savoir. Les industriels ne veulent pas savoir, mais accroître leurs avoirs. 

 

Et le moyen principal qu’ils ont trouvé, dans toutes leurs guerres contre la science et pour le profit, c’est d’introduire, pour anéantir le consensus scientifique, l’idée de controverse. La controverse, c’est l’idée magistrale ! Elle tient de l’art de la guerre chez les Chinois. Et c’est très efficace. 

 

Médiator, Mon 810, Bisphénol A, trois produits, une seule stratégie : la controverse. Notons en passant que c’est aussi la stratégie adoptée par les climatosceptiques qui ont jeté le discrédit sur les travaux du G. I. E. C. (réchauffement climatique). Mais il y avait aussi une sombre histoire, soi-disant, de "complot". 

 

Il n’y a pas de meilleure stratégie : si vous affirmez à grands coups de publicité que les scientifiques sont des cons, personne ne vous suivra. Autant vaudrait être la « vox clamans in deserto » (ouf, j'ai réussi à la placer, celle-là). Il faut être un peu plus subtil, et dépenser l’argent autrement.

 

Recette pour créer de la controverse :

 

Faites pratiquer en laboratoire indépendant des contre-analyses assez crédibles pour être prises au sérieux, et vous jouez sur du velours. Dans le cas du Bisphénol A, dit Stéphane Foucart, les contre-analyses « répondent à des critères très précis, dits "de bonne pratique de laboratoire" », dont le protocole, fixé dans les années 1950, est aujourd’hui complètement obsolète. Comme par hasard, c’est ce protocole qui sert de point de repère officiel au décideur. Mais allez faire saisir ces subtilités retorses aux téléspectateurs ! 

 

Mais comme le décideur n’a que ce point de repère, vous avez gagné une bonne grosse controverse, qui vous les fait gagner, vos dix ans de délai. Qu’au passage et en plus, il ait fallu distribuer des mensonges, des prébendes, des postes confortables (ça s’appelle « corruption »), si ça ne fait pas de bien, ça ne peut pas faire de mal. Et c'est moins voyant. 

 

La controverse est donc le nec plus ultra de la stratégie négationniste des industriels pour jeter le trouble dans les esprits, en particulier ceux des décideurs. Rien de mieux pour empêcher qu’une quelconque décision soit prise à l’encontre des intérêts des industriels. Rien de mieux pour paralyser un centre de décision. Car pendant que le décideur attend la fin de la controverse, libre à vous d’écouler votre saloperie sur les marchés. 

 

Pas d’affolement : vous avez tout votre temps. 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Note : en publiant ce billet (voir date indiquée), j'ignorais qu'allait être publié le formidable ouvrage de Naomi Oreskes et Erik Conway (éd. Le Pommier, 2012), Les Marchands de doute, qui confirmait mon analyse de manière éclatante et infiniment plus sérieuse, documentée et argumentée que je n'étais en mesure de le faire avec mes modestes moyens (ajouté le 11 avril 2018). 

mercredi, 11 avril 2018

LA DJA DU BISPHENOL A

4 octobre 2011

 

Ce billet concerne principalement une substance dont l'usage a été peut-être restreint ou supprimé depuis ; il est cependant probable qu'il ait été remplacé par un autre produit, sûrement tout à fait inoffensif - va-t-on nous jurer - et autorisé jusqu'à ce que preuve -scientifique ! - soit faite de sa nocivité : on comprendra que le problème n'est pas tant dans le choix de tel ou tel produit pour tel ou tel usage (composition des biberons, revêtement intérieur des canettes de bière, etc.), que dans les laboratoires mêmes de l'industrie chimique, dans les applications des substances que celle-ci y découvre et dans tout le processus de "mise sur le marché" et les étapes administratives que celui-ci implique. Tant que ce sera, non pas aux industriels d'apporter la preuve irréfutable de l'innocuité de leurs inventions, mais à la désespérante lenteur des vrais scientifiques à apporter celle de leur nocivité, il y aura du mouron à se faire. Autrement dit, aussi longtemps que la "société civile" (a-t-elle autant d'existence que la "communauté internationale" ?) n'aura pas exigé, de la part des industriels de la chimie, l'inversion de la charge de la preuve, le pire est encore à craindre.

Note ajoutée le 11 avril 2018.

 

Cela devait finir par se savoir. Cela devait finir par arriver. C’est intéressant, le cas du Bisphénol A, molécule chimique artificielle (tout ce qui nous entoure dans la nature est composé à 100 % de molécules chimiques « naturelles », et tout ce que nous mangeons est fait de molécules chimiques). Il semblerait que, même à très faible dose, le Bisphénol A ne reste pas sans effet.  

 

C’est intéressant, ce qu’on apprend, d’abord parce que ça fait quelque temps qu’il est connu comme « perturbateur endocrinien » : en clair, ça veut dire que, si une femme enceinte y est exposée, ou un bébé, peuvent survenir des cancers du sein et des atteintes neurologiques. 

 

Dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres, les autorités administratives, dont le souci est de protéger la santé des populations, mais sans entraver les activités économiques, a adopté, il y a longtemps, la notion de seuil, soit Dose Journalière Admise, ou D.J.A. Sur la base de quelle certitude ? On n'en sait fichtrement rien. J'imagine qu'elle a quelque chose à voir avec la notion de "seuil", elle-même bien solidement assise sur la célèbre phrase de Galien : « C'est la dose qui fait le poison ». Par exemple, à Fukushima, une dose de 1 millisievert par jour était considérée, sinon comme inoffensive, du moins « admissible ». C’est beau, l’administration, non ? 

 

Ce qui vaut pour les radiations nucléaires vaut donc pour toute substance chimique, naturelle ou artificielle. Dans le fond, est-ce que l’homéopathie tout entière ne repose pas elle aussi sur cette notion de D.J.A. ? La Décimale Hahnemanienne (D.H.) et la Centésimale Hahnemanienne (C.H.) sont après tout des dilutions comme les autres, simplement un peu plus poussées (non, vraiment beaucoup plus poussées, surtout les CH). 

 

J’avais entendu des interventions de monsieur André Cicolella à propos de l’exposition. Il a inventé le terme d’ « expologie », ou science des expositions. Je cite : « Par exemple, en 2007, une étude a montré la relation entre le taux d’autisme et une exposition de 15 jours des femmes enceintes à des champs traités par certains pesticides organochlorés ». Il affirme aussi, sur la base d’études dont la validité n’est pas près d’être reconnue par les autorités cons pétantes, qu’une bonne part des cancers est d’origine environnementale.

 

Il cite une étude épidémiologique réalisée en Suède à partir du registre des jumeaux qui y naissent, registre tout à fait instructif, puisque les Suédois concluent que 50 % des cas de maladie d’Alzheimer ne sont pas dus à des facteurs génétiques, mais à des facteurs environnementaux, l’environnement étant défini de façon large, étendu à la pollution, au mode de vie et aux pratiques médicamenteuses. 

 

André Cicolella (émission "Terre à terre" de Ruth Stégassy, 7 février 2009) montre aussi le pouvoir de nuisance de l'industrie chimique : sur le Bisphénol A, il existe 115 études scientifiques, dont 94 mettent en évidence sa nocivité. De son côté, l'industrie a mené également des analyses "scientifiques" : 100 % de ces études concluent à la parfaite innocuité du produit. Une dizaine d'équipes scientifiques ont publié des études documentées et convergentes ? Qu'à cela ne tienne, l'Agence européenne spécialisée les décrète toutes nulles. On se demande ce qui donne à l'industrie une voix si forte qu'elle couvre la voix de la science neutre auprès des autorités de décision. 

 

Les lobbys industriels se pavanent et plastronnent, car ce n’est pas à eux de prouver quoi que ce soit. La preuve de la nocivité d’un produit doit être apportée par l’adversaire de ce produit. Regardez Bouygues avec les antennes relais. Regardez Monsanto avec les O.G.M. Amusez-vous les loulous, prenez votre temps pour faire vos études sur la nocivité de nos produits. 

 

Avant que vous puissiez prouver quoi que ce soit, ils seront tellement passés dans les mœurs qu’on ne pourra plus revenir en arrière. Vous verrez, ça se passera comme ça pour les produits issus des nanotechnologies. Et si preuve il y a un jour, ce sera trop tard, et en attendant, nos actionnaires auront eu mille fois le temps de nous remercier pour s’être engraissés largement.  

 

Car la preuve, évidemment, doit impérativement être scientifique. En plus, il est tellement facile d’enfumer les foules à propos de ces preuves. Regardez ce qui s’est passé pour le rapport du G.I.E.C. sur le réchauffement climatique, comme il a été facile de jeter le trouble et le doute dans les esprits, sans parler de l’infâme profiteur de trouble qui se fait appeler Claude Allègre, auteur de ce titre choc : L’Imposture climatique. Le doute se construit à petits coups de pichenettes faciles (voir Thierry Meyssan, le raëlien). Pour administrer une preuve irréfutable, il faut dépenser des efforts parfois titanesques, et sur une durée parfois démesurée. 

 

La vérité scientifique est difficile à établir. La mettre en doute est d'une facilité déconcertante. 

 

C’est d’ailleurs une preuve de la faiblesse médiatique congénitale des scientifiques. Sur un plateau de télé, vous en mettez un en face de l’imposteur Claude Allègre : regardez-le, le scientifique, il veut rester le plus près possible de la vérité, alors il hésite, il cherche ses mots, il ne veut rien dire qui ne soit vérifiable. L’autre en face, il a juste à rester souriant, confiant, affirmatif, péremptoire, pouvant aller jusqu’à insulter les travaux du scientifique, balayant d’une moue de la lippe inférieure les résultats patiemment établis par celui-ci. Le gogo, chez lui, devant son poste, à qui croyez-vous qu'il donne raison ? 

 

Médiatiquement, je dis bien « dans les médias » et en particulier sur des plateaux de télévision, c’est imparable. Et ça, c’est une preuve de la saloperie congénitale de l’époque : d’une manière générale, vous pouvez vous persuader de ce qu’un scientifique qui arbore un air sûr de lui et affirmatif, et qui profère des « vérités » qui ne souffrent pas contestation, n’est pas un scientifique. 

 

Alors, le Bisphénol A, me direz-vous ? Il existe des « effets à des doses notablement inférieures aux doses de référence utilisées à des fins réglementaires ». Eh bien, nous voilà au cœur du problème. Car la notion de seuil de tolérance, exprimée en DJA (Dose Journalière Admissible), n’est rien d’autre qu’une commodité administrative faite pour concilier l’activité industrielle et la santé des populations. 

 

C’est comme dans l’armée, le seuil de 7 % de pertes en temps de paix. Il s’agit en fait moins de protéger des populations que de « limiter les dégâts ». Tant que le pourcentage de « pertes » est supportable par la collectivité, on laisse faire : le contribuable contribuera. En clair : tant que le taux de cancers et de malformations ne devient pas franchement anormal, tout continue comme avant, « business as usual ». 

 

Ce que nous apprennent les dernières études sur le Bisphénol A est précisément que la notion de « seuil de tolérance » (DJA) est à revoir de fond en comble. Ce que pointent en effet les tenants d’études épidémiologiques environnementales autour de toutes les molécules chimiques produites par l’industrie, c’est une hydre à trois têtes : les très faibles doses, les interactions, la durée d’exposition. 

 

LES TRÈS FAIBLES DOSES : je l’ai dit, la notion de seuil (DJA) est d’ordre administratif et réglementaire. C’est un compromis (donc négociable) entre des forces foncièrement antagonistes : les acteurs de la santé contre les acteurs de l’industrie. Les acteurs de la santé s’appuient sur la science, les études, les travaux de laboratoire, dont j’ai mentionné plus haut les difficultés pour établir sans contestation possible des éléments de preuves. 

 

En face, les acteurs de l’industrie, qui exploitent les trouvailles de leurs bureaux « R&D » (Recherche et Développement), ont besoin de les mettre en circulation contre monnaie sonnante et trébuchante : l’actionnaire, au bout du circuit, tient avant tout à revoir la couleur de son argent, mais épaissie des « retombées » (entre 10 et 15% de bénéfices par an attendus), et qui pousse évidemment à une commercialisation tous azimuts et sans contrôle. 

 

LES INTERACTIONS : là, c’est quasiment le trou noir. Déjà qu’on est loin de tout savoir des conséquences d’une molécule isolée, alors pensez, s’il y en a deux, trois ou douze en présence, c’est le TROU NOIR scientifique. Vous vous rendez compte de ce qu’il faudrait investir pour financer des études de cette ampleur ? 

 

Sachant que l’industrie chimique, depuis un siècle et demi, a élaboré à peu près 100.000 nouvelles molécules, vous comprenez bien qu’elle a tout intérêt à ce que les politiques et les administratifs abordent chacune d’elles isolément, sans chercher la petite bête, à savoir si une telle, mise en présence de telle autre, se met à faire des étincelles ou de la fumée, ou à décupler d’un seul coup son pouvoir de nuisance. 

 

Je signale en passant que l’Europe avait « pris à bras-le-corps » ce problème de nuisance des 100.000 molécules chimiques de l’industrie, et comptait soumettre leur intégralité à examen, suivi soit d’une homologation, soit d’une interdiction. Cela porte un joli nom : REACH (Règlement Enregistrement Evaluation Autorisation Restriction des substances chimiques). Mais sous l’action du lobby industriel, l’Europe a consenti à n’exiger d’homologation sécuritaire que pour 30.000 de ces molécules, et encore, je n’assiste pas à l’exécution de la procédure d’homologation : qui est responsable ? Qui signe le rapport ? Quelles sont ses relations avec l’industrie ? 

 

LA DURÉE D’EXPOSITION : là encore, gros point d’interrogation. La durée, c’est l’ennemi du profit. Le profit se crée aujourd’hui dans l’urgence. Qu’advient-il au rat, quand on l’expose à telle molécule chimique (mettons le Bisphénol A) pendant une longue durée ? Eh bien, aux dernières nouvelles, les effets sont au nombre de sept (je n’invente rien), parmi lesquels « l’avancement de l’âge de la puberté, l’augmentation de la survenue de kystes ovariens et de lésions sur la glande mammaire, l’altération de la production spermatique ». Et là encore, la durée apparaît comme une condition de la vérité scientifique. 

 

J’ai dit ici, un jour, que, pour que l’industrie cesse de nuire à l’humanité, il faut qu’elle cesse d’être industrielle. Autrement dit : qu’elle disparaisse. Et comme je n’ai plus guère tendance à me bercer de rêves, fables et contes, je sais déjà qu’elle ne disparaîtra pas (« la croissance, la croissance ! »). Autant dire que les molécules en folie vont accélérer la migration des humains vers les centres anticancéreux. Sympa. 

 

Le journal Le Monde donne ces jours-ci la parole à André Cicolella, de Réseau Environnement Santé, à l'occasion de la probable prochaine interdiction du Bisphénol A dans le secteur alimentaire. Comme qui dirait : il serait temps. Il n'est pas sûr, d'ailleurs, qu'il ne soit pas déjà trop tard. 

 

Ajouté le 9 avril 2018 :

La voilà, la recette de ceux qui font une confiance inébranlable et complètement aveugle au Progrès, aux sciences, à la recherche, aux laboratoires pour sauver l'humanité, et qui ne font que nous mener toujours plus près du précipice. Ils font confiance à ceux qui savent (ceux dont le savoir les arrangent) et à ceux qui ont les mêmes intérêts qu'eux, pour s'asseoir tout simplement sur la demande (somme toute raisonnable) que soit examinée enfin de façon sérieuse la question de savoir ce que ça peut donner comme effets sur la santé humaine, le cocktail ainsi défini : 1) action des très faibles doses ; 2) effets éventuels des interactions entre les produits ; 3) durée d'exposition. 

 

Faisons confiance aux industriels et aux investisseurs : désintéressés comme ils sont, ils vont sûrement déverser des flots d'or sur les laboratoires sérieux qui réfléchissent sérieusement aux effets du cocktail de ces facteurs.

 

Voilà ce que je dis, moi.