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jeudi, 19 avril 2018

LES MALHEURS D'ADOLF OGM

4 mai 2012

 

Résumé : les multinationales des OGM ont peut-être du souci à se faire [Pas tant que ça, en fin de compte, bien au contraire, que c'en est même à désespérer du genre humain. Ajouté le 18 avril 2018.]

 

 

Mille paysans indiens de l’Etat d’Andra Pradesh (ainsi que du Madhya Pradesh) ont obtenu d’un tribunal le versement, par BayerCropScience, de 850.000 euros d’indemnités, parce que la récolte 2011 (coton transgénique) a été inférieure de moitié à ce qu’elle aurait dû être. De MOITIÉ. C’est ce qui s’appelle déchanter.   

 

C’est une excellente nouvelle, car une firme OGM est une entreprise de vol, que dis-je : de racket organisé, et qui plus est de racket légal, puisque la brevetabilité du vivant a été avalisée (par qui précisément, au fait ?), au moyen d’arguties juridiques subtilissimes. 

 

Et c’est d’autant plus du vol que le paysan qui s’est converti à la religion OGM est juridiquement contraint d’acheter chaque année ses nouvelles semences, au lieu de faire ce qu’on a toujours fait de tradition immémoriale, réserver 10 % de la récolte pour la semaison suivante (pour la simple raison que les 10% qu'il serait tenté de prélever pour échapper à cet impôt forcé ont été fabriqués spécialement pour rester stériles : c'est pas des cons qu'on a en face : c'est des vrais capitalistes, ils sont allés aux écoles). 

 

M. Adolf « OGM » Monsanto a été obligé de reconnaître, en 2009, que son coton Bollgard est désormais totalement vulnérable au ver rose, dans le Gujarat. Du coup, je raffole du ver rose. Des chercheurs indiens pensent que le coton transgénique résiste très mal aux bactéries, ce qui va faire forcément baisser la productivité. Le potentiel des semences hybrides va baisser. 

 

Une certaine « frisolée » (un virus) est apparue sur les nouvelles semences hybrides OGM. Depuis que je sais ça, je ne peux plus me passer de frisolée. Les « parasites suceurs » s’en donnent à cœur joie, alors même que les semences traditionnelles y résistaient très bien. Sans compter que les semences transgéniques consomment plus d’eau que les autres, ont besoin de plus de nutriments, et conduisent par là à l’épuisement des sols, d’où la nécessité d’un surcroît d’engrais. 

 

Tout ça coûte cher au paysan : en 2006, des milliers d’entre eux, acculés à la faillite, se sont suicidés en avalant des pesticides (voir là-dessus le très instructif film de Marie-Monique Robin, Le Monde selon Monsanto, 2008, disponible en DVD). 

 

En plus, techniquement, il semble que le maniement de ces semences soit compliqué et nécessite un savoir-faire spécifique, car chacune des 780 variétés OGM distribuées en Inde est conçue pour un sol précis, et doit accepter une proportion précise de semences non OGM pour éviter les résistances aux gènes insecticides des OGM. J’espère que vous suivez. Comme dirait SEMPÉ : « Rien n’est simple, et tout se complique ».

 

Il a donc fallu dix ans pour que les gens ordinaires et quelques autorités indiennes mesurent les problèmes que posent les semences OGM, dont on promettait, dans les publicités massives qui ont permis d’installer le marché, qu’elles étaient justement faites pour les résoudre, les problèmes. 

 

Ben ça tombe bien, parce que figurez-vous qu’en dix ans, les semences locales ont eu le temps de disparaître, ou peu s’en faut. Vous voyez que ça sert vraiment à quelque chose, de déclencher des « controverses scientifiques » ! Dix ans pour que le masque commence seulement à tomber. Tout ce qui peut nuire aux OGM, en particulier l’observation de leurs effets pervers, doit être considéré comme une bonne nouvelle. Mais tout ce temps perdu, quel gâchis !  

 

Pendant ce gâchis, que se passe-t-il aux Etats-Unis, berceau de cette avancée scientifique décisive que sont les OGM ? Eh bien, il semble qu’on y suive un chemin analogue. Le rendement stagne. La rentabilité de la culture du coton baisse, parce que les coûts augmentent. On se heurte au mur de la connaissance technique, alors qu’on promettait la plus grande facilité d’emploi. 

 

Et puis on se rend compte que, si le coton « Bt » est efficace contre une chenille spécifique, il reste plusieurs dizaines de ravageurs. Le coton « Bt » a laissé le champ libre à ces derniers, qu’on connaît beaucoup moins bien, donc contre lesquels il est plus difficile de lutter. On recourt donc de nouveau aux pesticides classiques, dont les OGM devaient précisément nous débarrasser. Bref, les OGM n’ont rien amélioré, et en plus, ils ont semé le souk. Et en plus, ils ont foutu par terre une filière traditionnelle efficace. Encore bravo, monsieur Adolf OGM !  

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Note ajoutée le mardi 17 avril 2018 : on apprend dans Le Monde daté mercredi 18, dans les pages "normales" du journal, que des scientifiques, très versés dans l'étude de ce qui se passe très précisément dans le domaine très précis qu'est celui des fongicides utilisés en agriculture, lancent un cri d'alarme parce que les autorités européennes en charge de la santé ont autorisé la mise sur le marché, au motif qu'il n'est pas mutagène, d'un fongicide qui, non content de remplir sa tâche auprès des champignons indésirables, s'avère tout prêt à remplir auprès des humains exactement le même rôle – qu'on ne lui demande pas du tout, au motif qu'il aurait l'indésirable effet de favoriser l'apparition de certains cancers et de certaines maladies neurodégénératives. 

 

Dans le "supplément Sciences et médecine" du même n° du Monde, la plume de Stéphane Foucart (le responsable de la rubrique "Planète") en personne détaille les biais qui auraient tendu à minimiser, dans l'étude parue récemment et déjà assez alarmante, l'effet des produits phytosanitaires utilisés dans l'agriculture qui seraient à la base de la raréfaction des oiseaux ordinaires (oiseaux des haies, oiseaux des champs, des oiseaux des bocages) dans les campagnes françaises. Figurez-vous que, parmi les commanditaires de l'étude "scientifique", on trouve des sociétés produisant des intrants phytosanitaires. Vous avez dit "conflit d'intérêt" ? Moi je dis qu'on pourrait appeler ça, tout simplement, "corruption".

mercredi, 18 avril 2018

DES NOUVELLES D'ADOLF OGM

3 mai 2012

Un peu de douceur dans ce monde de brutes. Oh, ce n’est pas grand-chose, presque rien, mais on ne sait jamais : une hirondelle, après tout ne pourrait-elle pas faire, aussi, le printemps ? Un petit fait anodin ne pourrait-il pas, à son tour, annoncer un renversement de tendance ? De quoi s’agit-il ? Que s’est-il passé ? 

Ça se passe en Inde. Ça fait dix ans (seize aujourd'hui) que Monsieur Adolf OGM s’est installé avec tambours et trompettes dans les exploitations agricoles de l’Inde (Monsanto, BayerCropScience, …). Dix ans, ce n’est pas si mal, pour voir ce que ça donne sur la durée. Conclusion demain sur cette affaire où des paysans d'Andra Pradesh (Inde) ont, pour une fois, damé le pion à un géant de l'industrie OGM. 

 

[Bon, autant le dire tout de suite : la partie n'est pas gagnée pour autant. Loin de là. C'est même le contraire (j'écris 6 ans après). Les surfaces cultivées en OGM n'ont cessé de progresser. J'y vois une seule raison : au Brésil et ailleurs, ceux qui ont la maîtrise des surfaces cultivables savent trop les couilles en or qu'ils peuvent se faire en en faisant des surfaces "tout OGM". Ajouté le 18 avril 2018.]

 

J’ai fait passer dans ce blog quelques notes consacrées au sujet, dont une, très subtilement et très pertinemment (ben oui, quoi) intitulée : « Faut-il tuer Adolf Monsanto ? » (en 2011, désormais et malencontreusement effacée de ce blog, et j'ai la flemme de de la recopier). Avouez que c’était bien vu, quand même. Enfin, « c’est mon opinion, et je la partage », comme disent Dupont et Dupond, mais Hergé avait lu Les Mémoires de Monsieur Prudhomme, de Henri Monnier. 

 

Je ne veux surtout pas, et pour cause, entrer dans les aspects scientifiques du débat. J’ai pendant de longues années fait partie de jurys d’examen en « biotechnologie ». J’en ai gardé d’excellents souvenirs poétiques, d’une délicieuse poésie, hermétique pour moi, mais non sans un charme secret, qui émanait des travaux des candidats. La musique propre à cette langue enchante encore mon oreille : « hotte à flux laminaire », « boîte de Petri », « électrophorèse », « anticorps monoclonaux », « escherichia coli » (une saleté, ça, mais en latin !), et tant d’autres trouvailles harmonieuses, pour ne pas dire célestes. 

 

Mon propos était de montrer que le premier intérêt des firmes OGM n’est pas de faire progresser la qualité ou la quantité de la nourriture mondiale, ni même d’assurer la sécurité alimentaire future des pays pauvres, mais de faire prospérer des entreprises industrielles, dont le premier souci est de « générer » (je sais, ce n’est pas beau) des bénéfices – quelles que soient les conséquences, bien évidemment, pourvu que la machine crache du cash.

 

Et cela en mettant la patte griffue du propriétaire cupide sur une petite séquence des gènes contenus dans une semence, sous le prétexte que c'est dans son laboratoire à lui, propriétaire, que la séquence a été "inventée" et fabriquée et que, comme telle, elle a été dûment brevetée et déposée à l'Institut National de la Propriété Industrielle (INPI, ou comment que ça s'appelle au plan mondial) et que, si quelqu'un veut utiliser la semence en question, il doit cracher au bassinet un droit de propriété intellectuelle à cause de la dite séquence.

 

On peut à bon droit appeler toute cette façon de procéder la « confiscation du vivant » au profit des actionnaires. Et on peut compter sur les éléments naturels (l'air, l'eau, ce qu'il reste des insectes) pour disséminer les semences génétiquement modifiées à toutes les cultures environnantes, et donc pour accroître indéfiniment le cercle des producteurs redevables au propriétaire des droits (analyses génétiques à l'appui, on ne va pas se priver). C'est dans cette mesure-là que je parle de tendance totalitaire dans l'expansion des industries OGM.

 

Parenthèse. Cela fait partie d'un plan beaucoup plus vaste et à plus long terme, mais dont la mise en oeuvre est d'ores et déjà en cours, implacable et comme irrésistible : la Grande Privatisation de Tout (GPT). Aux yeux des concepteurs de ce plan, le mot « gratuité » est ordurier, un défi au bon sens et à la bonne marche des affaires : un pur et simple scandale. Quand je dis "concepteurs", qu'on n'aille pas voir en moi un adepte des théories du complot : c'est juste l'agencement et l’emboîtement parfait des éléments dans un ensemble global qui s'appelle un système. Fin de la parenthèse.

 

Et pour que le crachat soit le plus gros possible dans le porte-monnaie, rien de mieux qu’un empire. L’ « imperium ». L’objectif de Monsanto est de cet ordre-là : fonder un empire monopolistique. Est-il comparable au 3ème Reich ? Parlons de l’OGM Reich, si vous le voulez bien. Le nazisme et le stalinisme ont inventé le totalitarisme politique. Il est presque logique que la modernité ait inventé le totalitarisme économique, moins terrifiant, moins visible, donc infiniment plus habile.

 

Tellement habile qu'il fait aujourd'hui l'objet d'un consensus (presque) absolu et universel : les populations du monde entier sont (disons globalement) d'accord pour entrer dans ce système totalitaire, et pour une raison très simple : grâce à des procédés de communication savamment dosés et calibrés, ce qui leur échappe totalement, c'est précisément qu'il s'agit d'un système totalitaire.

 

La ruse a remplacé la terreur. C’est vrai, comme c’est très vilain de verser du sang (note ajoutée le 18 avril 2018 : quelques endroits du monde montrent encore que verser le sang n'est pas si vilain que ça aux yeux de tout le monde), on se contente de privatiser le vivant. De breveter des éléments de la nature. De transformer tout ce qui faisait le bien commun en propriété privée. De tout confisquer au profit de quelques-uns. D’introduire dans toutes les agricultures du monde les gènes brevetés. De rendre ainsi le paiement de la dîme obligatoire et régulier.

 

Le rêve génétiquement modifié, à l’image des monarchies pétrolières, c’est la RENTE. Rentier : tu ne fais rien, tu te contentes de respirer, et l’argent rentre. Enfin, pas tout à fait rien : tu fais bosser des chercheurs, parce qu’il faut préserver la rente future et rester concurrentiel. Mais en gros, c’est ça. Une rente discrètement introduite dans le paysage normal et entrée dans les mœurs. Mais ce n’est certes pas un thème capable de captiver ou de mobiliser les foules. D’autant qu’il adopte pour ses déplacements la blouse respectable, couleur de muraille blanche, des hommes de laboratoire. 

 

Les détails scientifiques sont juste là pour amuser les gogos et obscurcir le paysage, pour, en quelque sorte, occuper le terrain avec une belle, bonne, grosse « controverse scientifique », vous savez, ce rideau de fumée qui permet de retarder des décisions politiques ou sanitaires contrariantes pour la prospérité de l’empire industriel et de ses actionnaires. 

 

Malheureusement, tout serait allé pour le mieux pour BayerCropScience et pour Monsanto, s’il ne s’était pas trouvé que, malgré toutes les précautions juridiques, c’est bel et bien au plan scientifique que la durée de dix ans semble apporter des arguments à ceux qui contestent les bienfaits des OGM. C'est ce qu'ont compris les paysans d'Andra Pradesh.  

 

Voilà ce que je dis, moi. 

 

La suitetfin (les malheurs d'Adolf OGM) à demain.

jeudi, 12 avril 2018

CONTRE LA VÉRITÉ, LA CONTROVERSE

5 novembre 2011

 

Ou : « Comment fausser un débat scientifique ». 

 

Petit 1 – On sait désormais, depuis qu’a éclaté l’affaire Servier, que l’industrie pharmaceutique dans son ensemble prétend œuvrer au bénéfice de la santé des populations, alors que le premier bénéfice visé est d’ordre actionnarial : ce n’est pas l’efficacité sanitaire qu’on cherche, mais la rentabilité, le rendement par action, la profitabilité, les bénéfices, bref, les picaillons, la fraîche, le flouze, le pèze, la brocaille, et tout ce qui est convertible en or. 

 

Remarquez, on le savait déjà depuis, par exemple, le travail de Philippe Pignarre (Le Grand secret de l’industrie pharmaceutique). On sait d’ailleurs que cette industrie est de plus en plus incapable de découvrir ou d’inventer de nouvelles molécules efficaces, comme si, pendant que le rendement des investissements en Recherche et Développement tend vers zéro, les profits, eux, tendaient vers l’infini. 

 

Le Monde diplomatique, dans un numéro déjà ancien, avait publié un article génialement intitulé : "Pour vendre des médicaments, inventons des maladies". La logique de l'industrie pharmaceutique est prioritairement la logique de l'actionnaire. C'en est au point que la production de certains médicaments ou "génériques" dégage des marges tellement faibles qu'elle est purement et simplement abandonnée.

 

Petit 2 – On sait maintenant, au sujet d’entreprises comme Monsanto,  Syngenta (Novartis), Pioneer Hi-Bred, Bayer CropScience, que les industries biotechnologiques, qui prétendent avoir pour objectif la suffisance alimentaire de l’humanité en 2050, visent essentiellement à s’assurer ad vitam aeternam une rente viagère monstrueuse, une fois qu’elles auront breveté toutes les semences génétiquement modifiées par leurs soins, autrement dit une fois qu’elles se seront approprié tout le vivant. 

 

Quelle que soit la validité des études scientifiques qui promeuvent ce genre de semences, validité dont il est légitime a priori de douter, la principale objection à faire à l’usage généralisé des O.G.M. est d’ordre économique et moral et en bout de course, politique. Qui oserait s’arroger le droit de privatiser toute la nature, tout le vivant et, pourquoi pas tant qu’on y est, toute l’humanité ? 

 

Que ceux qui contestent une telle assertion regardent ce qui se passe à Bruxelles et mettent le nez dans la façon dont les réglementations européennes sur les semences se mettent en place (voyez pour cela ma note du 11 juin). 

 

3 – On sait enfin (« Attendez-vous à savoir », disait la renommée Geneviève Tabouis) qu’il en sera de même très bientôt pour l’industrie chimique, à cause du Bisphénol A. Monsieur André Cicolella, de Réseau Environnement Santé, a beaucoup contribué à faire connaître le Bisphénol A. 

 

J’ai évoqué ici même le 4 octobre le cas du Bisphénol A, pour faire écho à la remise en question de la certitude héritée de Galien, l’ancêtre de la pharmacie, qui a légué à tous ses successeurs le dogme suivant : « La dose fait le poison », encore largement en vigueur dans les « milieux autorisés ». 

 

C’est sur la base de ce dogme que toutes les autorités sanitaires, depuis qu’elles existent, ont défini ce qu’on appelle un « seuil », ou « D.J.A. » (Dose Journalière Admise), au-delà duquel la santé humaine risquerait d’être affectée par un produit déterminé. Il semble qu'on s'achemine de plus en plus vers une formule plus proche de la vérité, du genre : « le poison fait le poison », quelle que soit la dose.

 

4 - Je ne cite que pour mémoire le négationnisme des industriels du tabac luttant par tous les moyens pour qu'aucune législation ne vienne limiter ou entraver leur commerce fructueux. Avec l'amiante, on a encore un autre exemple des efforts des industriels pour influer de tout leur poids sur les décisions politiques dans un sens favorable à leur activité.

 

Bilan d'étape, sans rire :

 

Ces trois branches industrielles, qui veulent continuer à prospérer financièrement, font tout pour empêcher que soient rendues publiques les nuisances éventuelles des innovations qu’elles vendent au prix fort. Elles redoutent que se fasse jour dans l’opinion publique, puis, plus gravement, chez les décideurs, la méfiance sur l’innocuité de ce qu’elles présentent comme des progrès indéniables. S’agissant de ces industries, ne serait-on pas fondé à parler d’organisations criminelles (qui mettent en circulation, sciemment et impunément, des poisons) ? 

 

Elles ont donc adopté systématiquement une unique stratégie pour peser de tout leur poids sur la puissance publique et retarder la fermeture du robinet à fric. Cette stratégie porte un nom. 

LA CONTROVERSE.

 

La trouvaille est géniale. Rien de plus démocratique et rationnel en apparence que l’arme de la controverse. Rien de plus malhonnête et pervers que cette arme entre les mains des avocats de ces industries. Car il faut distinguer le scientifique, en gros, un ahuri qui regarde surtout dans son microscope et dans son tube à essai, et le décideur (administratif ou politique), qui occupe une position comparable à celle d’un verrou : c’est lui qui a le pouvoir d’ouvrir ou de fermer le verrou. 

 

Le scientifique n’avance rien dont il ne soit sûr. Ça tombe bien, le décideur ne décide (dans la théorie bleu ciel, on suppose qu’il est honnête) qu’en toute certitude. Un seul cas est susceptible de retenir sa main d’agir sur le verrou. Vous avez deviné : c’est la controverse. Car si l’industriel réussit à planter dans le paysage de la certitude scientifique quelque chose qui ressemble à un doute crédible, la main du décideur, qui allait fermer le verrou sur le Bisphénol A, s’arrête en pleine action. Le décideur attendra la fin de la controverse. Dans dix ans ou plus. 

 

Ce n’est pas ici le lieu d’entrer dans la subtilité des raisonnements scientifiques et des arguments répliqués par les industriels. Je ne tiens pas à vous chasser par l’ennui chers lecteurs (on m’a dit de flatter pour attirer du monde). Pour rester le plus clair possible, et pour résumer l’excellent et complet article de Stéphane Foucart, dans Le Monde daté du 29, qui prend le temps, lui, d’entrer dans les détails, je me contenterai de schématiser les deux logiques qui s’affrontent. 

 

A ma gauche, sur le ring, les scientifiques [oui, c'est un ring particulièrement vaste], qui conduisent des recherches, obtiennent des résultats, publient ces résultats dans des revues. Bref, qui travaillent. Au fil du temps et des avancées, se forme ce qu’il faut appeler un consensus au sein de la communauté scientifique. 

 

C’est le cas à propos du Bisphénol A : tous les connaisseurs sont d’accord pour admettre que cette molécule a des effets inquiétants. Cela s’appelle le « consensus de Chapel Hill » (2006). Les quarante spécialistes en question affirment qu’ils ont établi quelques certitudes, c’est tout. 

 

A ma droite, sur le même ring, les belliqueux, je veux dire les industriels, ainsi que leur produit, le Bisphénol A, qui entre dans la composition d’objets largement commercialisés, donc qui génère des profits non négligeables. 

 

Pour eux, il est nécessaire de continuer à vendre ce produit pour que l’argent continue à entrer dans la caisse. Il est même nécessaire de continuer à tout prix, fût-ce celui de la santé des foules, à cause de tous les industriels qui ont besoin du Bisphénol A dans les marchandises qu'ils fabriquent. 

 

Ces deux-là étaient faits pour se rencontrer sur le pré, en champ clos, les armes à la main. Il est donc logique que ces logiques entrent en guerre. En réalité, seuls les industriels veulent la guerre. La guerre n'intéresse pas les scientifiques : ils veulent juste établir un  savoir. Les industriels ne veulent pas savoir, mais accroître leurs avoirs. 

 

Et le moyen principal qu’ils ont trouvé, dans toutes leurs guerres contre la science et pour le profit, c’est d’introduire, pour anéantir le consensus scientifique, l’idée de controverse. La controverse, c’est l’idée magistrale ! Elle tient de l’art de la guerre chez les Chinois. Et c’est très efficace. 

 

Médiator, Mon 810, Bisphénol A, trois produits, une seule stratégie : la controverse. Notons en passant que c’est aussi la stratégie adoptée par les climatosceptiques qui ont jeté le discrédit sur les travaux du G. I. E. C. (réchauffement climatique). Mais il y avait aussi une sombre histoire, soi-disant, de "complot". 

 

Il n’y a pas de meilleure stratégie : si vous affirmez à grands coups de publicité que les scientifiques sont des cons, personne ne vous suivra. Autant vaudrait être la « vox clamans in deserto » (ouf, j'ai réussi à la placer, celle-là). Il faut être un peu plus subtil, et dépenser l’argent autrement.

 

Recette pour créer de la controverse :

 

Faites pratiquer en laboratoire indépendant des contre-analyses assez crédibles pour être prises au sérieux, et vous jouez sur du velours. Dans le cas du Bisphénol A, dit Stéphane Foucart, les contre-analyses « répondent à des critères très précis, dits "de bonne pratique de laboratoire" », dont le protocole, fixé dans les années 1950, est aujourd’hui complètement obsolète. Comme par hasard, c’est ce protocole qui sert de point de repère officiel au décideur. Mais allez faire saisir ces subtilités retorses aux téléspectateurs ! 

 

Mais comme le décideur n’a que ce point de repère, vous avez gagné une bonne grosse controverse, qui vous les fait gagner, vos dix ans de délai. Qu’au passage et en plus, il ait fallu distribuer des mensonges, des prébendes, des postes confortables (ça s’appelle « corruption »), si ça ne fait pas de bien, ça ne peut pas faire de mal. Et c'est moins voyant. 

 

La controverse est donc le nec plus ultra de la stratégie négationniste des industriels pour jeter le trouble dans les esprits, en particulier ceux des décideurs. Rien de mieux pour empêcher qu’une quelconque décision soit prise à l’encontre des intérêts des industriels. Rien de mieux pour paralyser un centre de décision. Car pendant que le décideur attend la fin de la controverse, libre à vous d’écouler votre saloperie sur les marchés. 

 

Pas d’affolement : vous avez tout votre temps. 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Note : en publiant ce billet (voir date indiquée), j'ignorais qu'allait être publié le formidable ouvrage de Naomi Oreskes et Erik Conway (éd. Le Pommier, 2012), Les Marchands de doute, qui confirmait mon analyse de manière éclatante et infiniment plus sérieuse, documentée et argumentée que je n'étais en mesure de le faire avec mes modestes moyens (ajouté le 11 avril 2018). 

mercredi, 01 avril 2015

LAURENT JOFFRIN, GRAND MALADE ...

… OU BLAIREAU ACCOMPLI ? 

2/2 

Nous en étions restés à Laurent Joffrin, s'exclamant, devant le spectacle du monde qui est le nôtre, tel le Santon appelé le "Ravi" : « Mon Dieu, que ce monde est beau ! », après avoir lu le livre de Dominique Nora, Lettres à mes parents sur le monde de demain.

Tout y passe : Joffrin attend impatiemment l’arrivée dans nos assiettes de « légumes hors-sol et de viande de synthèse » et, cela va de soi, « des légumes et des fruits meilleurs, des viandes plus saines ». Il rêve des biotechnologies qui « allongeront comme jamais la vie humaine ». 

Pour vaincre les conséquences dégradantes des accidents, malformations et handicaps, il accueillera avec une ferveur dévote « l’art de la prothèse, et le développement des cellules artificielles », à même de « transformer la vie des blessés et des paralytiques ». 

Pour vaincre la pénibilité, la dangerosité et la monotonie du travail, on multipliera les robots. L’Internet mondialisé suscitera une « économie du partage ». Bref, contemplant les Professeurs Nimbus et autres savants fous, Joffrin s'extasie devant cette Terre Promise : « Tout est bon chez elle, y a rien à jeter » (pardon, tonton Georges, de te citer ici). Alléluïa ! Gloria ! Venividivici, vocifère le technolâtre !

Comme d'autres grands malades, Laurent Joffrin voit dans la technique la seule solution aux problèmes engendrés par la technique. Seule solution aux problèmes : multiplier les sources de problèmes, ça tombe sous le sens, n'est-ce pas. Il écrit ces phrases proprement ahurissantes : « Les problèmes créés par la technique peuvent se résoudre non par son recul, mais par son avancée. Comme les philosophes des Lumières avaient appuyé sur la science et la raison leur programme moral et politique, les démiurges californiens conjuguent solidarité et individualisme, science-fiction et utopie conviviale ». On appelle ça "Avoir la Foi". D'ailleurs, c'est une forme de religion. Mais moi, je sais juste qu'une machine ne peut s'arrêter que lorsqu'elle n'est plus alimentée en carburant. Le pire est de plus en plus sûr.

Si vous avez comme moi relevé le mot « démiurge », je vous cite ce qu’en dit le « Robert historique » : « En français, le mot est relevé une première fois chez Rabelais sous la forme Demiourgon, proprement "le Travailleur", pour désigner le Diable ». Maintenant, si quelqu’un peut le signaler à monsieur Joffrin … C'est d'ailleurs ce que fait dire le prémonitoire Goethe à son "Second Faust" : un appel à la toute-puissance de la technique, personnifiée par Méphistophélès. 

« Mon Dieu, que ce monde est beau ! », répète le Ravi. Ce monde que Joffrin appelle de tous ses vœux. Je lui dédie, parmi les Béatitudes (Matthieu, 5, 3-12), celle qui vient en premier : « Heureux les pauvres en esprit, car le Royaume des Cieux est à eux ». Joffrin-le-Béat, je vous dis. 

On connaît le même processus dans le domaine des addictions aux drogues dures : la "dépendance" vous accroche, ensuite l’"accoutumance" vous oblige  à augmenter les doses. Tout cela porte un nom : la fuite en avant. D’autres diraient : conduite suicidaire. En gros, puisque nos actions et solutions ont échoué, accélérons le rythme de ces mêmes actions et solutions. 

Mais là où Joffrin s’oppose frontalement à Houellebecq, c’est dans la certitude émise par ce dernier en 1998 dans un entretien avec Frédéric Martel : « J’annonce en un sens la fin de la civilisation occidentale » (cité dans Houellebecq, en fait, de Dominique Noguez, p. 247). 

L’utopie envisagée par l’écrivain ne va pas sans une rupture radicale, du genre catastrophique : elle va de pair avec la destruction du modèle civilisationnel actuel, et son pur et simple remplacement par un nouveau. Laurent Joffrin, lui, voit dans cette évolution une merveilleuse et harmonieuse continuité historique : « Mon Dieu, que ce monde est beau ! », dit cette autorité morale de la nouvelle bien-pensance. Une bien-pensance tatillonne, doctrinaire, dogmatique, sectaire, et pour tout dire, policière. 

Car c'est un Ravi d'une espèce nouvelle : l'espèce haineuse. J'ai en effet rapporté il n'y a guère (le 23 mars) le rôle de censeur impitoyable qu'il joua à l'égard de Laurent Obertone chez Alain Finkielkraut, et le mensonge qu'il étala ensuite à ce propos dans Libération en "rendant compte" de son livre La France Big Brother. 

Laurent Joffrin, ce petit flic, que sa position sociale avantageuse (méritée par une aisance et un savoir-faire indéniables dans le genre petit-chef) dote d’un pouvoir de nuisance, laisse ici éclater la niaiserie flamboyante et l’arriération intellectuelle de tous ces thuriféraires à la petite semaine d’un système à bout de souffle qui proclament : « Puisque nous nous sommes trompés, allons jusqu’au bout : entraînons le monde dans notre chute et psalmodions, à la façon de Néron au moment de mourir : "Qualis artifex pereo" ». Un grand malade, je vous dis !  

La peste soit de ces nuisibles !  

Voilà ce que je dis, moi.