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dimanche, 05 novembre 2023

CLIMAT : C'EST PAS GAGNÉ !!!

ON LE VOIT DE MIEUX EN MIEUX, LE MONDE D'APRÈS.

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DEF. 2023 06 25-26 BOCAGES DECLIN DES HAIES.jpg

Le Monde, 25-26 juin 2023.

Les haies, j'ai l'impression d'en entendre parler depuis des dizaines d'années. On croit toujours que les acteurs d'un problème sont capables d'en comprendre les causes et de corriger le tir. Cet article date du mois de juin dernier, et on est obligé de constater qu'il n'en est rien. Bah, pourquoi se soucier du sort de ces petits arbres, arbustes, arbrisseaux ? Des malveillants de petite envergure les avaient sûrement installés là juste pour couper l'élan de nos gros tracteurs et autres grosses machines qui servent enfin à entrer dans les grandes dimensions de la modernité moderne et à transformer l'action de cultiver la terre en une entreprise industrielle comme n'importe quelle autre.

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DEF. 2023 06 22 C'EST LE SOJA QUI DEFORESTE.jpg

Le Monde, 22 juin 2023.

Là, on est évidemment en Amazonie. Le Brésil est, tout le monde le sait, complètement cinglé de vouloir faire du fric international en lieu et place de la bonne vieille canopée qui est comme une pompe (comme celle où les Dupondt sont enchaînés dans Le Trésor de Rackham Le Rouge) qui permet aux êtres vivants de respirer, même quand ils ne sont pas Brésiliens — et même quand ils ne sont pas scaphandriers.

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DEF. 2023 06 28 LA CHINE DEBOISE.jpg

Le Monde, 28 juin 2023.

Je ne suis pas sûr que la Chine possède sur son sol l'équivalent de la forêt amazonienne, mais c'est la même logique qui fonctionne. A la différence qu'en Chine, on pense d'abord à la nourriture des "petits Chinois" (comme on disait quand il fallait garder le "papier d'argent" des tablettes de chocolat, pour la raison, paraît-il, qu'ils mouraient de faim, les petits Chinois).

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DEF. 2023 06 28 ON DEFORESTE A TOUTE VITESSE.jpg

Le Monde, 28 juin 2023.

DEF. 2023 10 24 ON DEFORESTE ENCORE PLUS VITE.jpg

Le Monde, 24 octobre 2023.

Les articles de journaux se suivent, inlassablement, pour alerter le monde sur la folie qui consiste à faire disparaître les forêts. Mais qu'est-ce que c'est, "le monde" ? J'ai bien l'impression que c'est la même chose que la bien connue "communauté internationale", et même si possible en plus abstrait et inconsistant.

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2023 08 22 LA CLIME PROGRESSE ET POLLUE.jpg

Le Monde, 22 août 2023.

Bon, là, on est en pleine canicule, et il y a des tas de gens qui souffrent tellement de la chaleur que se fabriquer une température un peu moins forte peut ressembler à une bonne action. Mais l'été dernier, quand vous passiez sur le trottoir qui longe le magasin "Picard" — angle rue du Mail / rue Chariot d'or, à la Croix-Rousse —, le vent torride que vous soufflent les machines à congeler vous obligeait quand même à vous demander si tout ça était bien raisonnable.

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2023 09 02 BATTERIES TROP PUISSANTES.jpg

Le Monde, 2 septembre 2023.

Tout le monde aujourd'hui semble avoir mentalement adopté l'idée de la voiture électrique. Il faut dire que la propagande vantant les mérites de ces machines roulantes qui ne font pas l'affaire des émirs, des géants du pétrole et de mon garagiste est si tonitruante et omniprésente qu'on peut difficilement passer à travers les gouttes.

Cela dit, il faudrait peut-être que tous ces convaincus s'interrogent sur les origines et les conséquences de cette soudaine mutation d'une filière industrielle jusqu'ici essentielle.

Par exemple, si on raisonne en termes de consommation d'énergie (et non plus seulement de carburant), on se dit que, quoi qu'il arrive, il faudra produire de plus en plus de capacité de rouler, c'est-à-dire que la quête de puissance embarquée enflera et bouffera des quantités croissantes de matières capables d'alimenter les générateurs électriques. Certains pensent que l'on en respirera mieux. Admettons l'hypothèse.  

Seulement, on pourrait se dire qu'en se contentant de transférer le besoin d'énergie d'une source sur une autre, on ne fait que déplacer le problème. Le Problème ? Mais c'est la consommation d'énergie, bien sûr ! La sobriété, je vous dis !

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2023 10 18 EUROPE LE REACH EST AJOURNE.jpg

Le Monde, 18 octobre 2023.

Il faut d'abord savoir que R.E.A.C.H. (Registration, Evaluation, Autorisation des substances CHimiques), c'est le programme européen de régulation de quelque 20.000 molécules répertoriées. REACH, ça doit servir théoriquement à s'assurer de l'innocuité de chacune des substances inventées par les chimistes et, éventuellement, d'interdire les plus dangereuses. L'Europe montre une nouvelle fois qu'elle est à la pointe extrême de l'arrière-garde en matière de protection de la santé humaine et de l'environnement.

Il faut dire que les promoteurs de l'industrie chimique ont en horreur tous ces écolos à la noix qui ne rêvent que de les empêcher de gagner du bon argent pour engraisser les actionnaires. Et qu'ils ne lésinent devant aucun moyen humain ou financier pour infléchir le consensus européen en direction de leurs intérêts. La santé humaine ? Vous voulez rire ! Vous vous rendez compte de la catastrophe, si les Européens parvenaient à se mettre d'accord sur leur dos ? Comme quoi ils n'ont pas complètement tort, ceux qui établissent l'équation « Europe = Paralysie ». J'attends de pied ferme que l'équation soit démentie par un éclair de Raison qui toucherait les responsables européens. Est-ce complètement improbable ?

Le Canard enchaîné (25 octobre 2023) est plus sévère, et sans doute mieux informé de ce qui se passe dans les coulisses.

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2023 05 06 PESTICIDES EN LIBERTE.jpg

Le Monde, 6 mai 2023.

Alors là, c'est une curiosité, sur laquelle les serviteurs de l'information vraie se sont fort peu étendus. Il s'agit des consignes envoyées par l'autorité gouvernementale aux personnes chargées de contrôler la façon dont les producteurs de fruits respectent la réglementation en vigueur en matière de pesticides. Ces consignes se résumaient quasiment à l'ordre de ne pas opérer de "visite de flagrance" dans les exploitations contrevenantes. Autrement dit : les inspecteurs devaient, en cas de flagrante infraction, fermer les yeux, le nez et les oreilles, et s'abstenir d'intervenir. Fallait y penser, non ?

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2023 03 28 UN AGRO INDUSTRIEL A LA FNSEA.jpg

Le Monde, 28 mars 2023.

J'aurais pu, à la réflexion, intituler ce billet : "Un faisceau de présomptions" lourdes et convergentes. Regardez l'élection de ce représentant de l'agro-industrie à la tête de la F.N.S.E.A., ce drôle de "syndicat", qui ressemble par certaines façons de faire à un "syndicat du crime". Avec un tel président, au moins, on ne risque pas de voir le lobby des entrepreneurs en agriculture errer ou dériver vers une défense de l'environnement qui ne pourrait que nuire aux affaires.

Cela fait longtemps qu'on ne parle plus de "paysans" à la F.N.S.E.A. Mais si, paysans, ça doit vous dire quelque chose. C'était dans les temps anciens, où des millions de culs-terreux faisaient tout, mais en petit, bien à l'abri de leurs champs délimités par des haies, et qui étaient incapables de voir les choses "en grand", comme font de nos jours les modernes gros bras de l'industrie agricole.

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Le Monde, 22-23 octobre 2023.

Dernier maillon de la chaîne : du grand distributeur au petit consommateur. On nous a beaucoup bassiné avec « achetez bio, achetez "en vrac" ». Résultat des courses : toujours plus de suremballages. C'est la fête aux plastiques divers et au carton ! Il va nous en falloir, des poubelles, des poubelles et encore des poubelles.

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Oui, monsieur le président, nous sommes bien face à un faisceau de présomptions lourdes et convergentes. Oui, vous les entendez comme nous, monsieur le président, les appels à lutter contre le réchauffement climatique et contre les extrêmes météorologiques qu'il a déjà commencé à provoquer. Oui, monsieur le président, vous connaissez les coupables de l'empoisonnement des sols. Tout le monde sait ce qu'il y a à savoir, bien que les rangs des dénégateurs soient de plus en plus serrés.

Le malheur, monsieur le président, c'est qu'il vous semble très difficile de désigner et condamner des coupables ainsi que l'ensemble de leurs complices : tout le monde ne l'est-il pas, à un titre ou à un autre ? Ce qui est sûr, c'est que les kilomètres de discours et les kilotonnes de mots déversés quotidiennement se heurtent à une résistance dont on ne soupçonnait pas les ressources.

On braque volontiers l'attention sur ce qui se passe de bien ici ou là, en oubliant de dire qu'il faut de sacrés instruments d'optique pour identifier comme vertueuse telle ou telle expérience. En oubliant aussi de dire que le vertueux est perdu comme une goutte d'eau dans l'océan des nuisances et qu'il faut de sacrés bons yeux pour le distinguer. 

C'en est au point que la tendance générale est à l'aggravation, comme le montrent les effets de la grande coalition des tenants du pétrole et des autres énergies fossiles (voir mon billet d'il y a quelques jours). Et comme le montrent les usages de la chimie, les déforestations, la gloutonnerie énergétique chaque jour plus incontrôlable de notre époque et la volonté de puissance des acteurs de l'agriculture industrielle.

Je n'aimerais pas être à votre place, monsieur le président.

dimanche, 15 mai 2022

UNE VIEILLE CONNAISSANCE ...

... LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE.

Un ami m'a insidieusement prêté ce livre : il sait que je suis un peu sensible à tout ce qui touche à la question. Quand il m'a mis le bouquin entre les mains, un petit sourire malicieux s'est dessiné sur son visage. Je me suis demandé pourquoi.

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Quand je l'ai ouvert, j'ai compris. Ce livre est paru en 1990 ! Ça fait donc trente-deux ans. Et on y trouve déjà à peu près tout ce qu'on sait aujourd'hui sur le sujet (j'exagère bien sûr, mais tous les faits et données accumulés ensuite n'ont fait que confirmer l'état des lieux en aggravant le constat). Bon, il y a des éléments qui ont changé (le trou dans la couche d'ozone, par exemple, n'est plus un problème). Et puis c'est un livre de journaliste, je veux dire qu'il a les inconvénients de ses avantages : l'auteur se sent obligé d'évoquer tous les aspects de la question, au risque de paraître superficiel ou mal argumenté. C'est un survol, si l'on veut, mais qui fait le tour de la question en un peu plus de deux cents pages. 

Et puis les spécialistes du climat n'étaient pas encore organisés comme ils le sont aujourd'hui, les bataillons du futur G.I.E.C. avaient à peine commencé à éplucher les centaines, puis les milliers, puis les dizaines de milliers d'articles scientifiques parus dans des revues « à comité de lecture » et consacrés à tel ou tel aspect plus ou moins large, ou plus ou moins "pointu" du sujet. Le livre ne peut être qualifié de prémonitoire, puisque l'auteur s'appuie sur des faits déjà dûment constatés et répertoriés. Je retiens qu'en 1990, ON SAVAIT DÉJÀ TOUT !!! Ci-dessous, le texte proposé en "quatrième de couv.".

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C'est curieux comme résonne à mes oreilles le mot "urgence", trente-deux ans après la parution : « Si nous nous dérobons à l'urgence d'un effort rapide et concerté .... ». Hé hé hé !!! Ma parole ! J'ai déjà entendu ça quelque part. Et je me dis : trente-deux ans !!! Et rien n'a bougé ou presque. Ah si, pourtant : le réchauffement climatique est devenu un passage obligé parmi les rubriques des bulletins d'information. Mais concrètement ?

Conclusion et moralité ? Je doute encore plus qu'avant de l'utilité du savoir. A quoi bon, en effet, accumuler des données sur des phénomènes irréfutables et menaçants, si personne n'est là pour faire passer dans les faits les conclusions des observateurs ? On reproche aux gens au pouvoir de ne rien faire. On leur fait même des procès. Il y a même des tribunaux qui condamnent des Etats à cause de la mauvaise volonté qu'ils mettent à réagir. On invente une Greta Thunberg, vous savez, cette surdouée de l'écologie justicière qui apostrophe les puissants de ce monde : « How do you dare ? » ("comment osez-vous ?"). On organise à grand spectacle des "marches des jeunes", des "marches pour le climat", des "marches pour le futur", soi-disant pour mettre les gens au pouvoir au pied du mur. Et rien ne se passe, ou alors si peu que rien. A première vue, cette inaction est extraordinaire. Mais je crois qu'elle s'explique parfaitement.

Ben oui. En démocratie, les gens au pouvoir, on les appelle des élus (ailleurs, l'environnement est le dernier des soucis des régimes autoritaires ou dictatoriaux, regardez comment Poutine considère l'écologie en Ukraine). Et pour être élus, les vieux de la vieille savent que les grands sujets dont il faut parler sont le pouvoir d'achat, le coût de la vie, le logement, les problèmes alimentaires, ce qu'on appelle aujourd'hui les « mobilités » (la voiture, les transports, les échanges transnationaux, etc.) et puis, "last but not least", l'emploi, c'est-à-dire le travail, le revenu, le salaire, les charges, les impôts, l'industrie, l'activité économique, la prospérité, le progrès sans limites et les lendemains meilleurs. La candidate à la présidentielle Marine Le Pen ne s'est pas trompée en tapant sur le clou "pouvoir d'achat".

Pourquoi croyez-vous que Yannick Jadot, le tout fiérot chef des écolos, a obtenu moins de 5% des voix à la présidentielle ? Parce que, si les électeurs ne font qu'une confiance très limitée à Emmanuel Macron pour mettre en œuvre une politique capable de résoudre leurs problèmes, ils savent parfaitement que si la France était gouvernée par des écologistes, ce serait pour eux une véritable catastrophe sur tous les points énumérés ci-dessus. Et je ne parle même pas de la dimension franco-française du débat, rapportée à ce que représente, en termes d'influence, la France dans le monde.

Elle est là, la vérité : la population veut bien accepter de corriger (à la marge) quelques excès qu'elle peut commettre dans sa façon de consommer ; faire des "petits gestes" qui ne servent pas à grand-chose au plan global ; déposer les diverses sortes de déchets dans les poubelles adéquates ; être privée de quelques places de parking pour laisser place à un "verger urbain" (j'ai sous les yeux un charmant pommier tout jeune, et quelques poiriers, cassissiers prometteurs, etc. : ça prend la place de six bagnoles) ; venir déposer ses épluchures dans la caisse à compost gérée par une association du quartier, et autre menues activités sans trop de conséquences ; se déplacer davantage à vélo en ville ; s'abonner à l'A.M.A.P. qui vient tous les mercredis poser ses tréteaux et ses étals pour distribuer ses "paniers" de produits en circuit court. 

Mais ce qu'elle veut en priorité absolue, la population, c'est du boulot qui lui rapporte de quoi vivre au-delà du 15 du mois ; c'est de quoi manger pas cher et nourrir la famille ; c'est de quoi se loger décemment et sans trop de tensions avec le proprio ; c'est de quoi, si possible, partir en vacances pour changer d'air de temps en temps. Voilà déjà tout un programme. Appelons ça la nécessité. Le dur du concret si vous voulez. Voilà les attentes auxquelles ont à faire face les élus, futurs élus et autres hautes éminences responsables du destin d'autrui ou qui aspirent à le devenir.

Bien sûr que la même population, celle qui lit, écoute ou regarde les nouvelles, n'est ni aveugle, ni sourde et que, hormis quelques endurcis de la comprenette, quelques complotistes gothiques et quelques antivax égarés, elle sait désormais que l'atmosphère se réchauffe du fait des activités humaines. Elle sait qu'il faudrait faire quelque chose. Mais allez lui dire qu'elle a tort de vouloir vivre correctement, avec des ressources suffisantes pour ne dépendre de personne, et surtout pas des banques alimentaires ! Vous voyez déjà la réaction !

On a beaucoup entendu, au moment des "gilets jaunes", la litanie : « Fin du mois et fin du monde, c'est kif-kif ! Ecologistes et gilets jaunes, fraternisons ! » Ben non, justement, ce n'est pas du tout la même chose. C'est même l'opposé. Il y a une contradiction flagrante, irréductible entre le projet de bâtir un monde enfin sobre, enfin écologiquement soutenable, enfin débarrassé de toutes les nuisances procurées par la modernité, la technique et la production à-tout-va (ça, c'est les écolos), et puis, en face, la nécessité, par exemple, pour des parents de gagner assez pour bien nourrir les enfants et leur offrir un cadre où ils puissent s'épanouir durablement (ça, c'est les gens ordinaires).

Aucun tribun, aucun meneur d'hommes, aucun chef de parti ne peut espérer rassembler des masses de gens derrière lui s'il balance à la gueule des foules un discours sur la sixième grande extinction, le réchauffement climatique ou la préservation des espèces menacées, car il devra ajouter que ces tableaux apocalyptiques seront forcément accompagnés de terribles restrictions sur la satisfaction des besoins, sur l'assouvissement d'énormément de désirs et sur d'innombrables espoirs d'améliorations et d'agréments promis par le Progrès et la Technique.

Tout laisse à penser que l'homme d'Etat doté d'une assez vaste envergure pour surmonter l'incompatibilité des termes de la contradiction n'est pas près de naître.

Alors, cela étant dit, suis-je pessimiste davantage que réaliste quand je pronostique que la situation de l'humanité ressemble à une nasse aussi vaste et profonde que l'univers ?

Voilà ce que je dis, moi.

Note : Dans toutes les forces qui font de la résistance à la lutte contre le réchauffement climatique, je n'ai pas cité la forteresse dans laquelle sont retranchés les grands acteurs de l'économie mondiale, les chimistes empoisonneurs, les productivistes déforesteurs, les extractivistes fossiles et autres engeances arc-boutées sur la course aux profits infinis. Il va de soi que tous ces gens (on peut à bon droit les appeler "le Système") figurent au premier rang des militants anti-écologistes. Ceux-là, ils n'agissent pas par nécessité, mais par choix. 

vendredi, 29 mai 2020

PHILIPPE MANIÈRE ET LA MALADIE

LA MALADIE A-T-ELLE UN SENS ?

« Moi je suis très très dubitatif sur le concept même de "monde d’après". Je trouve que tout ça n’a strictement aucun sens. Ce qui nous est arrivé, c’est un fait exogène. Il y a eu une épidémie venue de Chine, il y a eu une transmission à l’homme d’un virus animal. C’est accidentel, ça ne signifie rien. C’est une parenthèse extrêmement fâcheuse, désagréable et spectaculaire. [Exemples de ravages épidémiques à Marseille puis Venise.] Tout ça n’a pas de sens, une maladie n’a pas de sens. Et quand quelque chose comme ça arrive à l’humanité, eh bien après on reconstruit, mais on ne cherche pas à se demander ce qu’on a pu faire, quel péché on a pu commettre, autrefois contre Dieu, aujourd’hui la Nature. »

Voilà ce qu’a déclaré (mot pour mot, je m'en porte garant – et on peut vérifier en cliquant ci-dessous) monsieur Philippe Manière au début de sa réponse à une question de la meneuse de jeu, Emilie Aubry, sur ce que pourrait être "le monde d'après". Ce qui s'appelle "positiver". Cela se passait dimanche 24 mai 2020, dans l’émission L’Esprit public sur France Culture. On trouve ce morceau en réécoute sur le site de la chaîne et à la page de l’émission à partir de 21’10"

J'ai déjà dit (le 30 janvier 2019) combien je regrette le temps où l'émission, produite par Philippe Meyer, rayonnait comme une réjouissante réunion d'intelligences. Ce temps n'est plus : Emilie Aubry est une brave tâcheronne, mais s'il faut attendre des lumières de Madâââme Christine Ockrent, il va falloir se montrer très très patient. Gérard Courtois est un bon journaliste, mais. Quant à Philippe Manière, c'est de ses propos qu'il est question ici.

J’ignore ce que Philippe Manière pense de Michel Houellebecq en général, mais en l’occurrence il se montre entièrement d’accord avec lui quand celui-ci déclare sur France Inter : « Nous ne nous réveillerons pas dans un monde nouveau » (voir ici au 6 mai dernier). Je soutiens moi-même cette idée depuis le début du confinement, je l’ai assez dit ici : j’ai tellement lu et entendu s’exprimer toutes sortes de rêveurs impénitents qui ont saisi l’occasion du confinement pour donner libre cours à leur espoir en un monde enfin corrigé, à leur inventivité conceptuelle et à leur verve onirique, voire fantasmatique, que j’ai fini par les écouter en riant comme un bossu, et parfois à gorge déployée.

Sur ce point précis donc, j’approuve Philippe Manière. Certes, je n’aime guère que la raison sociale de son entreprise (il est entrepreneur) contienne l’expression « Vae solis », qui fait référence au célèbre « Vae victis » (Malheur aux vaincus) que Brennus l'impitoyable avait lancé aux Romains lors du paiement de la rançon (vers – 390). « Malheur aux gens seuls », proclame fièrement monsieur Manière, de façon assez peu sympathique. Il y a un peu d'arrogance dans cette raison sociale, comme chez son initiateur d'ailleurs. 

Je pense que monsieur Manière, dans l’ensemble, se moque de paraître ou d’être sympathique : c’est un marchand d’idées, il vend du conseil, de la finance, du business. Il a du bagou et des convictions fortes. Il vend de la communication. Le monde auquel il se réfère est définitivement acquis et validé : c’est la trajectoire fluide et ascensionnelle de l’humanité vers davantage de bonheur et de prospérité grâce aux bienfaits de la société capitaliste. C’est notre moderne Pangloss : « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ». Monsieur Manière appartient à l'espèce triomphante des vainqueurs de la mondialisation.

Mais si j’avais à comparer monsieur Manière, il me viendrait, je crois, l’image d’une pomme. Pas n’importe quelle pomme : celle qui ne s’est pas aperçue qu’un ver a commencé à lui bouffer la chair au-dedans. Philippe Manière, dans ses convictions fortes, n’est pas effleuré par le doute ou les questions existentielles. Il est un adepte, un militant : son credo, c’est le libre-échange. Il souhaite la « libération des forces vives de la nation ». Il attend la dérégulation comme on attend le messie. Hélas la chair de ses certitudes ne résiste pas au ver qui le grignote avec lenteur, logique et méthode.

Le ver ? Il en nie jusqu’à l’existence : « C’est accidentel, ça ne signifie rien. », « Une maladie n’a pas de sens ». Il a même lourdement insisté en se disant passablement « énervé » par ceux qui soutiennent le contraire. 

J’aime à penser que de telles phrases auraient interdit à Philippe Manière (au cas improbable où l’éventualité se serait présentée) de s'asseoir à la table animée par Philippe Meyer quand ce haut représentant de la culture et de la citoyenneté tenait le gouvernail de L'Esprit public, belle émission de France Culture, avant d'être jeté dehors par on ne sait quelle éminence grise. Car c’est le genre de propos qui révèle la cécité de certaines élites "néo-", "ultra-" "libérales" sur les effets mortifères de certaines politiques économiques fondées sur la recherche exclusive de la croissance, du profit et de la prospérité apparente. Avec Philippe Meyer, on n'était pas si obtus.

« Ce qui nous est arrivé, c’est un fait exogène. » Ah bon ? Exogène, vraiment ? Alors une maladie n’a pas de sens, vraiment ? Un accident ne signifie rien, vraiment ? De prime abord, je dirais volontiers que la joue de pareilles affirmations appelle la gifle : je pense d’emblée au pharmacien Homais de Madame Bovary : « … le type du demi-savant qui, croyant tout connaître, s’imagine capable de tout expliquer, et dont la suffisance ne peut cacher la sottise qu’aux naïfs » (René Dumesnil). A y regarder de plus près, j’ajouterai que c’est tout simplement faux.

Car une maladie, comme n’importe quel accident, a indéniablement quelque chose à nous dire sur l’époque où nous vivons. Une maladie n'est jamais "exogène" (je comprends ça comme "parachuté de la planète Mars"). L’épidémie d’obésité dans certains pays ne dit-elle rien sur les inégalités entre riches et pauvres ? L’épidémie du sida n’a-t-elle rien à nous dire sur le rapport que notre "modernité" entretient avec le sexe ? L'épidémie des maladies chroniques (cancer, etc.) n'est-elle pas le signe que le moteur même de notre civilisation produit de graves nuisances dans son industrie chimique et ses gaz de combustion (voir les études de Réseau Environnement Santé) ? 

Sans faire de la maladie une « métaphore » (Susan Sontag, La Maladie comme métaphore, 1978) éminemment signifiante dans la prévalence de certaines maladies dans certaines époques ou certaines régions, le coronavirus n’a-t-il rien à nous dire sur l’absurdité des obsessions économiques du monde actuel, et en particulier l’extension illimitée des échanges commerciaux et des transports qui en découlent ? Quand l'industrie laitière aura-t-elle quelques égards pour le yaourt qui fait parfois 10.000 km avant d'atterrir sur notre table (mon fournisseur est déjà infiniment plus raisonnable, ce qui veut dire que c'est possible) ?

L’humanité n’a certes pas péché contre Dieu, mais n’a-t-elle pas "péché" (ce mot !) contre la nature ? C’est là un cas typique de dénégation du réel. Dénégation des effets de l’action humaine sur la biodiversité, sur le climat, sur les forêts, sur les océans, sur l’innocuité perdue de notre environnement alimentaire ou respiratoire, etc. Bref : ce que nous faisons n’a pas de conséquences et l’humanité est innocente des dégâts qu’elle inflige à la nature. C'est Philippe Manière qui l'affirme. Alléluia !

Je caricature sûrement la pensée de monsieur Philippe Manière qui, vu ses honorables états de service, possède des talents qui le rendent a priori accessible à la pensée complexe et nuancée, moi-même n’étant guère familier de la nuance. Je réagis simplement à de vrais propos qui ont été vraiment tenus sur France Culture un dimanche matin, juste après la messe catholique. 

En proférant cette énormité : « ... une maladie n'a pas de sens », Philippe Manière m'a fait sortir de mes gonds : comment peut-on prêter un micro de France Culture à un marchand capable de proférer de telles inepties ? Comment Emilie Aubry peut-elle considérer ce monsieur comme un penseur digne de l'antenne ?

Je crois que Philippe Meyer a fondé une association intitulée "Le Nouvel Esprit public" : il est scandaleux qu'une telle manifestation de la courtoisie de notre esprit démocratique ne soit pas portée par la principale des radios culturelles françaises. Sandrine Treiner, directrice de France Culture, faites-vous le grand honneur de rendre la production de L'Esprit public à son inventeur : Philippe Meyer. 

Voilà ce que je dis, moi.

mercredi, 08 janvier 2020

2020 : TOUT FLAMBE !

Voici ce qu'on peut lire en page 16 du journal Le Monde daté 7 janvier 2020.

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Et voici ce qu'on peut lire en page 15.

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En 2020, nous sommes prévenus, TOUT FLAMBE.

Le recto et le verso d'une médaille qui, sans avoir une existence officielle, constitue la signature d'une époque suicidaire. Le paragraphe que je préfère, dans cet article signé Isabelle Dellerba, c'est celui qui clôt l'avant-dernière colonne : 

« "Ce n'est pas un feu de brousse, mais une bombe atomique. Il cause un enfer, des dévastations indescriptibles", déclarait, samedi 4 janvier, sur la radio ABC, Andrew Constance, ministre des transports de l'Etat de Nouvelle-Galles du Sud, qui a défendu lui aussi sa propriété contre les braises. Les incendies sont tellement gigantesques qu'ils créent des nuages. Ceux-ci provoquent à leur tour des orages et des éclairs qui peuvent déclencher de nouveaux brasiers ».

L'époque a inventé l'incendie irréversible, celui qui crée de façon autonome les conditions de son indéfinie prolongation. Et je pense à cette observation d'un climatologue : si l'humanité ne parvient pas à contenir le réchauffement climatique sous la barre des 2,5°C, un seuil sera alors franchi, qui mettra le phénomène hors de contrôle. Autrement dit, si l'humanité ne devient pas raisonnable, on ne sait pas où s'arrêtera le processus de réchauffement, ni à quelle vitesse il se déroulera.

Observons que toute la partie Sud-Est de l'Australie est, comme par hasard, la plus peuplée et la plus urbanisée. Je ne sais pas dans quelle mesure est vraie l'idée que les forêts natives de ces régions ont été remplacées par des forêts d'eucalyptus, beaucoup plus rentables, mais infiniment plus inflammables.

Ce dont je suis sûr, en revanche, c'est que l'action de l'homme sur la nature est à l'origine de la catastrophe qui touche l'Australie.

Et je ne parle pas de l'obsession charbonnique du gouvernement qui, pour développer cette filière, envisage sans sourciller d'un sourcil de favoriser une industrie minière qui menace l'existence de la célèbre et fragile "Barrière de Corail".

Note : je signale qu'on trouve dans le journal Le Progrès la confirmation du fait que les températures à Lyon se sont, en un siècle, élevées de plus de 3°C. Alors je me demande, s'agissant de l'objectif mondial d'une augmentation maximum de 2,5°C, dans quel conte de fées les gens "au courant" ont l'intention de tenir le petit petit peuple.

Quand les gens qui tiennent les manettes cesseront-ils de mentir ?

jeudi, 19 décembre 2019

DÉFORESTATION BRÉSILIENNE

Pour mon calendrier de l'Avent.

AMAZONIE 1986 1998 2005.jpg

Et ça continue en fanfare (pas au même endroit : l'Amazonie est tellement vaste que les hommes qui s'y aventurent persistent dans l'impression que la nature est un tel réservoir inépuisable de richesses qu'il n'y a qu'à y puiser sans se soucier du reste).

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D'autant plus qu'on aurait pu parler des forêts de Bornéo (ci-dessous), du Gabon et autres contrées verdoyantes.

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On ne voit pas bien ce qui pourrait arrêter le processus. Tout ça vaut bien une achondroplasie, non ?

dimanche, 21 octobre 2018

CLIMAT : LA RECETTE MIRACLE !

Dans la série "Des nouvelles de l'état du monde" (N°66).

Résumé : Corinne Pelluchon et Raphaël Stevens, les invités de Florian Delorme (émission "Culture Monde" sur France Culture, jeudi 18 octobre), ont peut-être compris que le système économique actuel mène l'humanité à la catastrophe. En tout cas, loin de proposer de lutter pour l'empêcher, la philosophe et le prospectiviste ont réfléchi à la façon dont il faudra gérer les populations quand celle-ci se sera produite.

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Voilà donc tous les apports dont sont capables, dans les circonstances actuelles, les sciences sociales (Pelluchon se dit philosophe) et la futurologie (Stevens se dit "prospectiviste"). C'est bien ce que je disais : les intellos sont définitivement impuissants à modifier le réel, leur travail se réduit à proposer des recettes pour "agir sur les mentalités". Sans avoir les moyens de les mettre en œuvre, à moins qu'un maître puissant les prenne à leur service pour mettre à l'épreuve, contre rémunération, le pouvoir d'influence de leurs trouvailles. Seules les trouvailles jugées "vendables" par le maître puissant (entendez capables de générer du "cash") trouveront grâce à ses yeux. C'est une question de "créneau" et de "marché".

Je veux dire que P. et S. connaissent à fond leur Edward Bernays, l'inventeur (avec quelques autres, Walter Lippmann, ...) de la manipulation des foules, du "gouvernement invisible" et du coup d'éclat publicitaire (il double d'un seul coup le public potentiel de la firme Lucky Strike en 1928 en donnant à une cohorte de femmes payées pour ça la consigne de fumer dans la rue, très ostensiblement, sous l’œil des caméras).

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L'œuvre fondatrice du maître et un extrait de la première page. Autrement dit, l'un des pères de la publicité moderne considère le peuple comme un conglomérat de gogos.

Pelluchon et Stevens s'en remettent aux recettes d'un grand Manitou de la com'. C'est triste : ils sont en train de mettre sur le marché des idées dont ils espèrent de fructueux retours sur investissement. C'est presque une demande d'emploi auprès des industriels de la communication : après tout, le marché du bien-être existe déjà bel et bien. De petits épiciers, finalement. Accessoirement, les rayons de librairie "Développement personnel" n'ont pas fini de s'allonger.

Pelluchon et Stevens sont peut-être au courant de l'émergence de l' « économie comportementale » (récent prix Banque-de-Suède-alias-Nobel d'économie) et d'une de ses facettes, le « nudge marketing », qui amène les consommateurs à modifier sans contrainte leur comportement. Au Danemark (je crois), des urinoirs spéciaux ont été installés (je ne sais pas où ni en quel nombre) : dans la faïence de l'objet, l'image d'une mouche a été insérée au centre. Résultat ? Les frais de nettoyage ont été réduits de 80%, parce que les pisseurs avaient à cœur de viser l'animal avec soin. Ô pauvres hommes si prévisibles ! Ô l'admirable manipulateur !

Je ne rappellerai que pour mémoire la pudeur de vierges effarouchées de Beauvois et Joule qui minimisaient dans leur désormais célébrissime bouquin, que j'avais lu à parution, la portée manipulatoire des inventions de la psychologie sociale (par quel procédé technique obtenir d'un individu qu'il fasse le geste qu'on attend de lui tout en lui laissant croire que ce geste émane de sa seule volonté ?). Ils refusent d'assumer les usages potentiellement pervers ou dévastateurs qui peuvent être faits des expériences qu'ils rapportent par des gens malintentionnés. Un intello ne peut envisager le Mal, qu'on se le dise. Un intello doit toujours proposer des perspectives d'avenir, des ouvertures, des raisons d'espérer. La faute sans doute au formatage préalable, vous savez, le sacro-saint plan "Constat-Cause-Solutions" appris dans toutes les écoles, de l'ENA aux écoles de journalisme (on observe, on analyse, on propose). Un bon rapport, une note de synthèse digne de ce nom ne saurait s'achever sur une note pessimiste.

Pour cela, Beauvois et Joule s'appuient probablement sur le motif bizarroïde qu'une technique n'a rien à voir avec les usages qui en seront faits (c'est aussi l'opinion déplorable de Paul Jorion) : c'est commode de se défausser ainsi sur les spécialistes, les abstractions et les bonnes intentions de l'"ETHIQUE" (Ah que voilà un vocable qu'il est beau !). Commode application du principe de la "division du travail" et de la compartimentation des tâches : chacun chez soi, et les vaches seront bien gardées.

En fait, les inventeurs de la technique sont aveugles, et pour les conséquences de leur créativité, ils repassent le bébé à une autorité chargée d'édicter un "code de bonne conduite" et de se déguiser en gendarme en lui disant : « J'invente, je fabrique, et toi, démerde-toi avec ça !». Ils considèrent les techniques comme neutres et innocentes par principe. Ils sont forcément du côté de "L'Empire du Bien" (Philippe Muray). Bien au chaud dans l'évidence nouvelle provoquée par l'innovation, les "Comités d'éthique" leur tiennent compagnie. Oh, Delacroix, c'était quand, déjà, "La Liberté guidant le peuple" ?

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Pelluchon et Stevens parient en réalité sur les techniques les plus sophistiquées de la psychologie sociale, de la publicité (disons : de la propagande) et de la manipulation des foules pour remédier aux conséquences économiques, environnementales et humaines catastrophiques bien concrètes que nous prépare sans faute le système économique globalisé tel qu'il fonctionne aujourd'hui. Comme remède au Mal qui s'annonce, quelle trouvaille ! Du moins c'est ce qu'ils croient. Ou qu'ils font semblant de croire ? Peut-on être naïf à ce point ? Ce qu'ils voudraient, c'est façonner de nouvelles subjectivités de masse capables d'assister à la catastrophe sans se faire trop de souci et sans que les sociétés se transforment en champs de bataille ?

Ce qu'ils voudraient, c'est inspirer à sept milliards d'individus une façon obstinément positive de contempler le désastre quand il se produira. Ils voudraient avant tout que les humains restent bien assis quand les ressources, le confort et les perspectives de vie agréable auront foutu le camp. Ils voudraient leur inculquer la recette pour ne pas se sentir malheureux du malheur. Et surtout, sans doute, éviter le "chacun pour soi".

D'abord, c'est la quadrature du cercle. Ensuite ils ne savent rien de la façon d'arriver à ce magnifique résultat : rendre l'humanité docile à l'idée de son futur avilissement. Comment amener l'humanité à faire le deuil de son train de vie, de son confort, surtout pour ceux qui en constituent la partie nantie ? Comment appeler ceux qui en sont démunis à renoncer aux promesses de perspectives prospères ? A se dépouiller de leurs "grandes espérances" (génial roman de Dickens) ?

A la question insistante et pertinente de l’excellent Florian Delorme (« Mais enfin, comment on fait ? », je souligne la seule question importante), ils n'ont pas de réponse. J'ai juste entendu le pauvre Raphaël Stevens, après un silence, bredouiller quelque chose comme : « Eh bien, euh, continuer le cheminement ... » (texto). Piteux. La baudruche est dégonflée. La Pauvre Corinne Pelluchon clame haut et fort : « Je ne suis pas dans le "Y a qu'à-Faut qu'on" ». Cela dit toutes les solutions qu'elle propose reviennent à du "Y a qu'à-Faut qu'on". C'est risible. Sous leur discours qui déborde de paroles verbales, que reste-t-il de tangible ? Si peu que rien.

En fait, tout le travail de Corinne Pelluchon, de Raphaël Stevens et des gens qui pensent comme eux consiste à enrober, à tourner autour du pot, à euphémiser, à retarder le moment de la prise de conscience par les masses du cataclysme promis. Stevens n'a pas tort quand il dit que ce ne sera pas un événement brutal dans le genre Jour du Jugement Dernier, mais que c'est un processus. Il ne faut pas inquiéter les masses, les masses, c'est imprévisible, on ne sait jamais ce qu'elles sont capables de commettre. P. et S. ne proposent aucun remède à la crise qui s'annonce : ils conjurent les hauts responsables de prendre en compte les risques qu'il y aurait à ne pas prendre en compte les grandes angoisses qui vont aller en augmentant à mesure que les situations concrètes deviendront plus difficiles à vivre.

Très rapides en rythme géologique, mais d'une lenteur imperceptible et désespérante au rythme d'une vie humaine, on constate en effet des phénomènes terribles, mais qui se produisent si lentement et en ordre tellement (de moins en moins) dispersé que personne n'y voit un processus en marche, ni ne fait le lien entre eux, et que le processus avance inexorablement une fois l'attention retombée dans les préoccupations ordinaires. Mais pourquoi Stevens va-t-il se perdre dans les fumées de la propagande et de l’action psychologique ?

Non, ce qu'il faudrait, c'est dire la vérité aux foules et préparer la répression des paniques, des jacqueries et des révoltes populaires massives (dont l'élection de démocrates autoritaires à laquelle on assiste depuis quelques années - Pologne, Hongrie, Amérique, ... - est selon moi un symptôme, voire un signe avant-coureur). La vérité ? Un nombre infinitésimal d'hommes vandalise la planète à son seul profit, s'accaparant des montagnes d'or. Ces quelques hommes bourrés de fric jusqu'aux trous de nez sont incapables de dépenser leur fortune autrement qu'en œuvres d'art qui s'autodétruisent (Banksy) et autres objets ostentatoires et inutiles. Dans le même temps, ils réduisent à la précarité et à la servitude des centaines de millions d'individus qu'ils font mine de vouloir secourir à travers des fondations qui n'émeuvent que les gogos. Mais j'entends les haut-le-cœur : Bill Gates, Jeff Bezos, etc... ah les braves gens, quand même ! Comment osez-vous vous en prendre à ces milliardaires au grand cœur ?

Pelluchon et Stevens, en réalité, crèvent de trouille. Ils savent comment des milliards d'hommes réagiront quand ils verront se resserrer autour de leur cou le nœud coulant de la réalité économique, environnementale et politique. La violence, la haine, la guerre, ils les voient (peut-être) venir, mais cette réalité-là est trop monstrueuse pour être endossée par de dignes universitaires, par des intellos propres sur eux, et qui veulent continuer à être pris au sérieux dans les milieux savants (ils ont pondu un bouquin savant, n'est-ce pas, il faut vendre). Ils ne veulent pas scier la branche sur laquelle ils sont assis. Pour cela, ils n'ont pas renoncé à espérer, même si c'est en faisant semblant. Ils n'ont pas renoncé à "mentir au peuple". S'ils ont l'intelligence que je leur prête, ils ne sont pas près de laisser tomber l'imposture qui les fait vivre. Il faut bien vivre ...

En attendant, ils publient des bouquins très savants qui ressemblent comme des gouttes d'eau à des livres de prière.

Voilà ce que je dis, moi.

samedi, 20 octobre 2018

CLIMAT : LA RECETTE MIRACLE !

Dans la série "Des nouvelles de l'état du monde" (N°65).

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CODICILLE

(« Alors cerné de près par les enterrements,

J'ai cru bon de remettre à jour mon testament,

De me payer un codicille. »)

Tonton Georges.

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J'entendais avant-hier, sur France Culture, dans l'émission "Culture Monde" de Florian Delorme (que j'écoute très régulièrement, et bien souvent avec intérêt), deux ahuris pérorer leurs niaiseries parfois hilarantes au sujet de l'effondrement  (voir ici aux 14 et 15 octobre). Ce fut du moins ma première réaction. Corinne Pelluchon et Raphaël Stevens, deux beaux exemplaires de l'imposture intellectuelle. Deux magnifiques symptômes de l'impuissance des intellos à peser sur les événements. Deux prestidigitateurs capables de faire disparaître la réalité des choses sous le Niagara de leur verbe vide. Accessoirement, Raphaël Stevens se targue d’être « collapsologue », en français : spécialiste dont l’objet d’étude est la notion d’effondrement appliquée à toutes sortes d’objets. Il cherche en particulier à établir scientifiquement les lois qui président aux effondrements des civilisations. Mazette ! Excusez du peu !

Leur grande question, face à l'effondrement inéluctable qui nous menace et qui viendra, est : "comment continuer à vivre bien et à vivre ensemble à mesure que la vie de l’humanité deviendra plus difficile et que celle-ci aura perdu les bienfaits matériels que lui procure encore aujourd'hui la civilisation industrielle ?" Ils répondent grosso modo qu'il est aujourd'hui vital d'agir sur les mentalités si nous ne voulons pas que la dite humanité retourne à sa barbarie initiale et, pourquoi pas, à son animalité originaire. Ils vous apprendront comment faire pour continuer à "valoriser les émotions positives" et à "refréner les émotions négatives". L'industrie du bien-être au service de l'ordre social, quoi. Et sur fond de spectacle de désolation !

Moi je demande comment des gens qui manifestent un peu d'intelligence peuvent tomber à ce point à côté de la plaque. Ils n'ont rien compris à ce qui est en train de se passer. La réalité qui se laisse d'ores et déjà pressentir nous promet des conditions d'existence de plus en plus difficiles : 1 - l'économie est en train de nous préparer, au dire d'un certain nombre de spécialistes (contredits par d'autres), une belle catastrophe ; 2 -  les gaz à effet de serre auxquels il faut ajouter les "apports" de l'industrie chimique à "l'amélioration" de notre alimentation, sont en train de nous préparer une autre catastrophe, environnementale cette fois ; 3 - les circonstances politiques et sociales faites dans beaucoup de pays aux populations (et à certaines en particulier) sont en train de nous concocter une magnifique catastrophe humaine (dont les migrations actuelles ne sont qu'un des signes annonciateurs).

Dans un deuxième temps, me grattant l'occiput d'un index perplexe, je me suis demandé ce qui amenait des gens apparemment instruits à proférer pareilles inepties. Je me suis pris à supposer qu'ils avaient peut-être, malgré tout, bien compris ce qui est en train d'advenir. Je me suis alors demandé par quel cheminement tortueux ils étaient parvenus à ces discours qui se voudraient optimistes et consolateurs. Et je me suis souvenu de la première partie du livre co-publié par Raphaël Stevens et Pablo Servigne Comment tout peut s'effondrer. J'avais dit tout le mal que je pensais, ici-même, des deux dernières parties de ce livre, mais le plus grand bien du constat impeccable et implacable que ses auteurs dressaient auparavant, graphiques à l'appui, de la situation actuelle du monde, d'après de multiples critères qui tous convergeaient vers cette conclusion : "Tout va s'effondrer". Ou même : "Tout est en train de s'effondrer". Mais ils refusaient de renoncer à leur optimisme et d'aller au bout de leur logique.

L'objet de la réflexion de Corinne Pelluchon et Raphaël Stevens, chacun dans son domaine, se situe non pas dans la question "que faire pour empêcher la catastrophe ?", mais dans "comment anticiper l'attitude des hommes pendant et après la catastrophe et prévenir une catastrophe à suivre, sanglante celle-là, qui illustrera en rouge l'expression bien connue "la guerre de tous contre tous" ?" J'avoue que ce déplacement de la question m'a plongé dans un abîme. Si mon hypothèse est bonne, Pelluchon et Stevens tiennent la catastrophe pour inéluctable, voire quasiment acquise. Et ils pensent au "coup d'après" : comment les hommes vivront-ils dans un monde où il n'y aura plus d'argent dans les distributeurs ou plus d'eau dans les robinets ? Plus de lumière quand ils pousseront le bouton ? Plus d’allumage quand ils actionneront le démarreur ?

J'avoue que j'ai mis un peu de temps à comprendre que ça pouvait être ça : si j'ai bien compris, Pelluchon et Stevens (et quelques autres "collapsologues", comme ils se plaisent à se qualifier) auraient compris l'issue fatale qui guette l'humanité productiviste. Et ils aimeraient bien que la suite se passe, disons, "le moins mal possible". Ah bon ? C'était donc ça ?! Eh oui, chers petits enfants (car on l'a compris, c'est à des enfants que s'adressent Pelluchon et Stevens), apprenons à vivre bien ensemble dans la prochaine sauvagerie économique, environnementale et sociale qui a commencé à redessiner le paysage tel qu'il existait avant l'aube de l'humanité. Il me semble qu'ils ont trop visionné de "feel good movies" : mettre du baume sur la plaie encore ouverte, voilà une recette miracle qu'elle est bonne.

Suitetfin demain.

jeudi, 21 juin 2018

DIVERSIONS

Des nouvelles de l'état du monde (N°56).

« NOTRE MAISON BRÛLE, ET NOUS REGARDONS AILLEURS. »

Jacques Chirac, en 2002, à Johannesburg.

Qu'est-ce que c'est, faire de la politique, dans une démocratie de masse ? C'est d'une part agir sur le réel (ou plutôt donner l'impression qu'on est en mesure de modeler le réel pour le bien des masses), et d'autre part faire participer les dites masses à ces actions (ou plutôt donner l'impression aux masses qu'elles participent aux décisions qui les concernent). Macron, à la tête du pays, montre qu'en la matière, il est un grand virtuose. Et d'une manière qui m'incite à reformuler la formule creuse de Chirac.

« Pendant que nous mettons le feu à la maison, faisons en sorte que les masses regardent ailleurs. »

J'explique : l'habileté ahurissante de Macron consiste, pendant qu'il s'efforce de parachever l'entreprise de destruction de la maison commune, à agiter des chiffons rouges pour hypnotiser les foules. Il est passé maître dans cet art qui tient de la prestidigitation. D'un côté, il met le feu à tout ce qui ressemble encore à du "bien commun" (bientôt une insulte, vous allez voir), et de l'autre, il amuse la galerie .

La maison qui brûle ? La planète, bien sûr, mais pas que. Pas besoin de reprendre l'énumération, il suffit de se tenir au courant des événements pour se trouver noyé dans l'information. Tiens, cette baleine venue agoniser sur une plage de Thaïlande, le ventre plein de sacs plastique qui l'empêchaient de se nourrir. 

La maison qui brûle ? Pêle-mêle (ça veut dire dans le plus grand désordre et dans toutes les directions, mais un tir méchamment groupé dans le temps), quelques titres dans le journal (avec les dates précises) :

Effondrement des colonies d'abeilles en France (les apiculteurs [happy-culteurs ?], en détresse, demandent au gouvernement un plan de soutien exceptionnel aux sinistrés) (8 juin) ;

Confronté à l'érosion des sols, le Rwanda reforeste massivement, (sous-titre : l'épuisement des terres menace la sécurité alimentaire du pays) (17 juin) ;

Touffeur et pollution extrêmes à New Dehli (sous-titre : une tempête de poussière piège la ville indienne) (17 juin) ;

En Chine, des citoyens sous surveillance (sous-titre : la ville de Suqian, un agglomération de cinq millions d'habitants, teste un système de notation des personnes et des entreprises censé instaurer une société plus fiable) (16 juin) ;

L'homme pousse les animaux à une vie nocturne (sous-titre : l'expansion humaine bouleverse les modes de vie des mammifères sur toute la planète) (16 juin) ;

Les Antilles face au désastre des sargasses (sous-titre : malgré un plan d'urgence annoncé par l'Etat pour lutter contre ces algues, la population se sent abandonnée) (15 juin) ;

Chute de l'intelligence (sous-titre : le QI, après avoir augmenté au cours du XX° siècle, régresse depuis 1995 dans les pays développés. Une étude sur des conscrits norvégiens permet d'attribuer cette baisse à des facteurs environnementaux et non à des causes génétiques) (13 juin) ;

Alerte, l'océan coule ! (sous-titre : Vice-première ministre de Suède, Isabella Lövin invite les autres nations à protéger l'océan pour éviter une catastrophe humanitaire mondiale) (13 juin) ;

Le métier d'enseignant ne fait plus rêver (sous-titre : les concours de recrutement de professeurs attirent moins de candidats) (13 juin) ;

Inégalités scolaires : la France montrée du doigt (sous-titre : les zones d'éducation prioritaire manquent de professeurs diplômés, selon l'OCDE) (13 juin) ;

Dans l'Utah, la bataille pour protéger Bears Ears (sous-titre : Donald Trump a ouvert à l'exploitation minière et pétrolière une région indienne classée par Barack Obama) (13 juin) ; 

La France exposée aux migrations africaines (article qui souligne que les femmes africaines sont très prolifiques : entre trois et sept enfants chacune, à comparer avec les taux européens) (12 juin) ;

"La pire crise humanitaire depuis la seconde guerre" (sous-titre : La faim augmente de nouveau dans le monde, alerte le directeur du Programme alimentaire mondial) (12 juin) ;

Chlordécone : une honte d'Etat (intertitre : et cet empoisonnement a été décidé en connaissance de cause ; autre intertitre : plus de 90% des Antillais présentent des traces de ce perturbateur endocrinien) (10 juin) (commentaire : entre les algues et le chlordécone, les Antillais sont gâtés) ;

Climat : vers 4° à 5°C de plus à la fin du siècle à Paris (sous-titre : Météo France publie ses projections pour la capitale en fonction des scénarios d'émissions mondiales de CO2) (9 juin) ;

CAC 40 : la priorité aux actionnaires contestée (sous-titre : dans un rapport, l'ONG Oxfam dénonce un partage des profits devenu très défavorable aux salariés) (15 mai) ; 

"La montée des inégalités s'impose comme une préoccupation" (15 mai) ; 

Michel Aglietta, penseur des limites du capitalisme (sous-titre : alors qu'un colloque vient de lui être consacré à la banque de France, trois chercheurs estiment qu'il est temps de suivre les voies tracées par l'économiste pour échapper aux pathologies du système) (31 mai) ;

En Tanzanie, le tourisme chasse les Masai (sous-titre : les zones interdites au peuple semi-nomade se multiplient) (12 mai) ;

Comment les humains déclenchent des tremblements de terre (sous-titre : une étude montre les mécanismes par lesquels la fracturation hydraulique, la géothermie et l'extraction de gaz provoquent des séismes (12 mai) ; 

Le fléau des batraciens venait de Corée (sous-titre : la pandémie, qui décime les amphibiens, s'est répandue à la faveur du commerce mondial) (16 mai) ; 

Une hausse de plus de 1,5°C dévasterait la biodiversité (une étude montre que limiter le réchauffement est un enjeu vital pour les animaux et les plantes) (19 mai) ; 

La France autorise une raffinerie qui va accentuer la déforestation (le préfet des Bouches-du-Rhône donne son feu vert à la bioraffinerie de La Mède, qui va exploiter 300.000 tonnes d'huile de palme par an) (19 mai) (commentaire : les deux pieds les deux mains dans La Mède) ;

La faune sauvage victime de la cybercriminalité (sous-titre : l'ONG IFAW révèle l'ampleur du commerce en ligne qui met en péril des espèces menacées d'extinction) (24 mai) ;

Bientôt des bébés à la carte ? (sous-titre : profitant des progrès des techniques de séquençage de l'ADN, des start-up américaines proposent aux particuliers, à grand renfort de marketing, une gamme de tests évaluant le risque pour eux d'avoir un enfant malade) ( 24 mai) ; 

Nicolas Hulot "sonne le tocsin" (sous-titre : le ministre de la transition écologique présentera en juillet un plan d'action contre l'érosion du vivant, après une consultation du public) (20 mai) (commentaire : monsieur Alibi et monsieur Faux-Cul ne quitteront pas le navire : la place est trop bonne) ;

Les conflits environnementaux se multiplient en Inde (sous-titre : treize manifestants ont été tués par la police dans le sud du pays) (27 mai) ;

Quarante ans de financiarisation de l'économie (dans un dossier "Les actionnaires, profiteurs ou investisseurs ?" (27 mai) (commentaire : "chérie, devine qui vient piquer ton dîner ?") ;

La pollution industrielle imprègne les habitants de Fos-sur-Mer (sous-titre : une étude relève une surimprégnation, notamment en plomb, une surexposition aux particules ultrafines, et souligne un "effet cocktail") (30 mai) ;

L'interdiction du glyphosate rejetée par les députés (assez éloquent : pas besoin du sous-titre) (30 mai) ;

La loi alimentation enterre plusieurs promesses de Macron (sous-titre : malgré les avancées, le texte est jugé comme "un rendez-vous manqué" par de nombreux députés, y compris dans la majorité) (31 mai) (commentaire : en politique, tout dans le clairon) ;

Climat : les Américains ont enrayé la dynamique (pas besoin du sous-titre) (1 juin) ;

Donald Trump, portrait d'un tricheur (commentaire : cet homme est vraiment, et collectivement, dangereux : où il entraînera les USA, là il entraînera l'Occident) (1 juin) ; 

Le modèle français du logement social en danger (sous-titre : les ponctions financières imposées au monde HLM, qui le fragilisent, ne seront qu'à moitié compensées) (5 juin) ;

Richesse : les écarts se creusent entre propriétaires et locataires (entre 1998 et 2015, l'envolée des prix de la pierre a gonflé de 133% le patrimoine des détenteurs d'un bien immobilier) (7 juin) ;

Chaque année, la contrefaçon fait perdre 60 milliards d'euros à l'Europe (7 juin).

Dernier arrivage : 

Le vignoble français est menacé par le dépérissement (sous-titre : les maladies des ceps touchent un pied sur dix) (20 juin)

La grande distribution fait son beurre sur le dos des agriculteurs (sous-titre : les prix agricoles ont progressé de 3% en 2017, selon l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires) (20 juin) (commentaire : c'est beau, un "Observatoire") (détail : le kilo de jambon, en 2017, a rapporté 3,74€ à l'agriculteur et 4,17€ au distributeur, combien pour l'actionnaire ?) 

Tous ces titres et sous-titres sont tirés, mot à mot, du journal Le Monde.

Bon courage à tout le monde !

 

Emmanuel Macron n'oublie pas de faire sa part : il continue à détruire ce qu'il reste de commun dans ce qu'on appelle les biens. Il continue à désengager l'Etat de toute responsabilité, et il continue sur la lancée de tous ses prédécesseurs : comme Jospin, comme Chirac-Villepin, comme Sarkozy, il vend les bijoux de famille (Aéroports de Paris, Engie, Française des jeux, sans compter tout ce qui est en train de pointer le bout de l'oreille : Orange, PSA, Renault, quoi encore ?), il achève de privatiser le bien public pour que ce qui nourrissait le budget de l'Etat rapporte enfin quelque chose aux propriétaires privés (je caricature, mais c'est la tendance : on se souvient de la privatisation des autoroutes).

Pendant qu'il fait son Néron au petit pied face à Rome incendiée, Macron, en artiste ("qualis artifex pereo", soupirait Néron au moment de mourir), pince les cordes des "débats de société" pour amuser la galerie : il est à fond pour qu'on réprime sévèrement le "harcèlement de rue". Il est à fond (enfin, ça dépend des sondages du jour) pour la libéralisation de la PMA pour les lesbiennes et de la GPA pour je ne sais plus qui. Il est à fond pour l'entente entre les religions de France (même s'il le pense, il a peur d'affirmer que l'islam ne saurait être une "religion de France"). Il est à fond contre le racisme et l'antisémitisme. Il est à fond contre les discriminations. J'oubliais la "limitation de vitesse à 80 km/h sur les routes à doubles sens de circulation" !

J'ajoute aujourd'hui [28 juin] la réécriture de la Constitution avec disparition du mot "race", et en "écriture inclusive", s'il vous plaît.

Qu'on me pardonne, mais je ne vois dans ces bisbilles "culturelles" et concertées que des chiffons rouges, des rideaux de fumée destinés à empêcher les foules de porter leur attention sur ce qui, demain, rendra leur vie personnelle concrète plus difficile. Sur ce qui aggrave tous les jours l'état de la planète et de l'humanité. Pendant qu'on s'arrange pour que les mentalités individuelles et les subjectivités épidermiques se fassent la guerre, on ne touche pas aux processus de production, on ne touche pas à la structure de la machine : on laisse le rouleau compresseur avancer à son rythme imperturbable. 

On ne m'excusera peut-être pas, mais tant pis : pendant que la réalité des conditions de vie se dégrade un peu plus tous les jours, Macron lance de très beaux, très vifs "Débats de Société". Résultat, les gens s'écharpent au sujet des comportements des uns, de l'identité des autres, de l'aspect des choses : affaire Weinstein, avec les traîtresses qui affirment leur "droit" à être "importunées" ; compétition entre les dénonciateurs de l'antisémitisme et les ennemis de l'islamophobie ; mise au ban de la société de tout ce qui est soupçonné de véhiculer l'homophobie.

Moralité : aussi longtemps que régnera la zizanie au sein de la population sur des sujets sociétaux, les auteurs des dégâts réels infligés à l'environnement, aux ressources alimentaires, à tout ce qui fait la vie humaine agréable et désirable, pourront dormir tranquilles et se sentiront encouragés à poursuivre leurs efforts de destruction. 

Conclusion : l'art de la politique consiste à désigner la lune à la foule des badauds, pour que ceux-ci oublient de regarder le doigt qui appuie sur la détente.

Un bon politicien est un bon prestidigitateur : en donnant son spectacle, il abolit la réalité.

La prestidigitation ? Faire apparaître les choix individuels de vie comme plus importants que les conditions matérielles collectives de l'existence. Qui sont parfaitement mesurables et objectivables, elles. Ce qui n'est pas le cas des subjectivités.

samedi, 05 mai 2018

CLIMAT : L'ARBRE ET LA FORÊT

Je remets en ligne aujourd'hui un billet publié ici en 2015. Nous sommes en mai 2018.

Le résultat concret de la saisissante prise de conscience planétaire de la gravité de la situation est immédiatement perceptible. Il suffit de lire le journal Le Monde, ce journal autrefois estimable, et qui ne sert à présent, hélas, plus à grand-chose d'autre que de jouer les "lanceurs d'alerte" à propos de l'état de la planète, dans sa rubrique "Planète", la bien nommée, cornaquée par Stéphane Foucart. Pour beaucoup d'autres rubriques (exceptons la page "Sports", par charité, où il n'arrive cependant pas à égaler la coruscance des comptes rendus de matches de foutbal de L'Equipe), Le Monde ne sait apparemment plus ce que veut dire le verbe "informer" (j'exagère, évidemment¹). Mais alors pardon, comme lanceur d'alerte en écologie, Le Monde nous donne très récemment deux preuves qu'il est encore capable de transmettre ce qu'on appelait de l'information. A l'époque de l'information.

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Sur la "une" du Monde daté jeudi 3 mai 2018. Comme quoi, il n'y a pas que le réchauffement climatique, dans la vie. L'article parle de la pollution de l'air, c'est-à-dire des dizaines de milliers de produits chimiques qui se baladent de l'atmosphère jusque dans nos poumons. Mais dans le hors-champ de cet article, il faut se représenter les autres dizaines de milliers de molécules inventées par l'homme, et qui se baladent non seulement dans l'air, mais aussi dans l'eau et dans la terre, jusqu'à imprégner l'intégralité de nos organismes depuis nos estomacs jusqu'à la moelle de notre mort.

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Page 5 du Monde daté 4 mai 2018 (si, si, c'est hier). Sous-entendu, selon moi, de la phrase explicative : les riches se demandent comment faire croire aux pauvres (je parle des pauvres des pays pauvres, parce que là-bas, il y a aussi des gens très riches qui savent très bien à quoi s'en tenir, et qui font ce qu'il faut pour que ça continue) que le développement est encore possible sans que les dits pays aient à se doter d'une industrie digne de ce nom, seule authentiquement productrice de richesses, c'est-à-dire sans se doter de sources inépuisables de pollutions diverses. Remarquez, à défaut, les pays riches peuvent toujours considérer les pays pauvres comme des poubelles, et s'imaginer qu'ils n'y tomberont jamais, dans la poubelle. Quand ils y seront tombés, comme cela ne peut manquer d'arriver, ils chanteront des hymnes à la gloire de la COP 21, de la COP 22, de la COP 23, de la COP 24, de la COP 167, ....

Commentaire qui n'a rien à voir (quoique ...) : tout le monde parle du Brexit, mais j'ai l'impression que plus on en parle, moins on le voit venir. C'est bizarre : je ne peux pas m'empêcher de faire le rapprochement (et l'antithèse) : plus on parle du réchauffement climatique, plus on le voit venir, je veux dire : plus on le voit accourir à grandes enjambées, et moins on voit la volonté d'y faire face. Et qui parle des molécules chimiques ? De l'épidémie en cours des maladies chroniques ?

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21 octobre 2015

L’arbre du climat cache la forêt de l’état de la planète.

Bien sûr, les gaz à effet de serre. Bien sûr, la production d’énergie par l’exploitation des fossiles arrachés au sous-sol. Bien sûr, le CO² (mais on oublie souvent le méthane CH4, le dioxyde d’azote N2O et encore plus souvent le trifluorure d’azote NF3, aux effets 17.200 fois supérieurs à ceux du CO² – heureusement, la production n’a rien à voir). 

C’est très bien de lutter contre le réchauffement climatique et la libération dans l’atmosphère de toutes sortes de gaz à effet de serre. Indispensable. Surtout que les yeux des responsables politiques de la planète ont eu bien du mal et mis bien du temps à s’ouvrir, du fait de l’action puissante d’une troupe de marchands de sable réunis en lobbies redoutablement efficaces pour prolonger le sommeil des décideurs. 

Je ne dis donc pas qu'il ne faut pas lutter. La vérité oblige cependant à dire que s’il n’y avait que ce problème du réchauffement, il y aurait de quoi entretenir un relatif optimisme. Ce n’est hélas pas le cas. Est-ce que l’espèce humaine marche vers sa propre extinction ? Certains ne sont pas loin de le croire. Paul Jorion en parle explicitement, mais il n’est pas le seul. 

Je citerai seulement le bouquin de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Comment tout peu s’effondrer (Seuil, 2015, voir mes billets du 22 au 24 juin), où ils énumèrent dans la première partie les caractéristiques du véhicule dans lequel l’humanité est embarquée. Voici ce que cela donne dans les têtes de chapitres : « 1 – L’accélération du véhicule [avec en sous-titre : "Un monde d’exponentielles"] ; 2 – L’extinction du moteur (les limites infranchissables) ; 3 – La sortie de route (les frontières franchissables) ; 4 – La direction est-elle bloquée ? ; 5 – Coincés dans un véhicule de plus en plus fragile ». La métaphore est certes exploitée bien lourdement, mais elle donne quand même à réfléchir. 

Laissons de côté toutes les guerres chaudes qui se mènent en maints endroits, ainsi que tous les problèmes politiques, géopolitiques, géostratégiques divers, qui introduisent pourtant une redoutable instabilité dans les relations internationales.

Pour ne parler que de l’état de la planète, on peut commencer par citer ce qu’on n’appelle plus (peut-être à tort) l’ « explosion démographique », principalement en Inde (qui s’apprête à doubler la Chine), et en Afrique (les projections pour 2100 tablent sur un total de 4,2 milliards). Combien d’humains en 2100, Madame Irma ? Et combien d’humains entassés dans de gigantesques mégapoles échappant à tout contrôle ? 

Et cette population, il faudra bien l’abreuver, mais aussi arroser les champs qui permettront de la nourrir. Y aura-t-il de l’eau pour tout le monde ? Qui tiendra les robinets ? Les propriétaires accepteront-ils de partager ? Les constructeurs de barrage feront-il barrage aux gens situés en aval ? Pourquoi croyez-vous qu’Israël s’accroche au plateau du Golan comme un morpion à son poil ? Parmi les raisons stratégiques, la première est sans doute le besoin qu’il a de maîtriser la source d’approvisionnement du territoire en eau. 

Et puis il y a les océans. Quid de l’acidification, qui induira la disparition du plancton ? Quid de ces continents virtuels faits de bouts de plastique qui flottent entre deux eaux, et qu’on retrouve dans le ventre des albatros morts ? Quid de la disparition des barrières corallières ? Des mangroves côtières, indispensables zones intermédiaires entre la terre et les humeurs océaniques, parfois dévastatrices ? Quid de l’appauvrissement des mers, aux populations halieutiques surexploitées par d’énormes bateaux-usines ? 

Et puis il y a la voracité des bétonneurs qui font main basse sur le sable des côtes pour construire toujours plus d’orgueilleux gratte-ciel, redessinant jusqu’au massacre les dites côtes sans se soucier de la vulnérabilité du littoral que leur goinfrerie provoquera.

Et puis il y a les forêts, ces « puits à carbone », paraît-il. Combien de pays se hâtent d’en faire disparaître de copieuses portions pour les remplacer par des plantations d’hévéas ou de palmiers à huile, parce que ça rapporte davantage en devises ? Mais Ségolène Royal a obtenu de Nutella l’assurance indignée que l’huile de palme que nécessite sa pâte à tartiner est issue de cultures écologiquement responsables et commercialement équitables. 

Et puis il y a l’agriculture industrielle qui extirpe toute vie des sols qu’elle colonise, à coups de pesticides et autres intrants agro-chimiques, les rendant de plus en plus stériles et rétifs à nourrir l’humanité. Et puis il y a les OGM certifiés et dûment brevetés (on appelle ça la « propriété intellectuelle ») de Monsanto, Bayer CropScience et Syngenta, et disséminés dans le monde entier par ces apprentis-sorciers qui n’en ont rien à faire de la santé humaine. Et puis il y a l’industrialisation galopante des élevages bovins, la gestion informatique des troupeaux d’ovins, les batteries de veaux, cochons, couvées soignées préventivement à grands coups d’antibiotiques. 

Et puis il y a les populations humaines, en bout de chaîne alimentaire, qui mangent les produits de cette agriculture, et qui cumulent les saloperies qui y ont été mises. Qui avalent toutes sortes de trucs et de machins terriblement savants, en toute confiance ou parce qu’ils n’en peuvent mais. 

Je m’arrêterai là dans l’énumération non exhaustive. 

Non, il n’y a pas que le réchauffement climatique. Il y a aussi du souci à se faire. 

Ce qui est pratique, dans le réchauffement climatique, et qui fait oublier tout le reste, c'est que la responsabilité est partagée par plusieurs milliards de personnes, c'est-à-dire tout le monde, autrement dit : personne. Si tout le monde est coupable, nul ne l'est. Comment faire, quand le coupable est anonyme et abstrait ? Et ça évite de regarder le problème en face.

Le problème ? Le mode de vie à l'occidentale, dévoreur d'énergie. Réservé à une petite partie de l'humanité (l'occident capitaliste, matérialiste, colonialiste), ce mode de vie est une verrue sur la joue de la planète : c'est laid, mais pas mortel. Multiplié par sept (l'humanité entière), c'est un fléau. Nous faisons semblant de ne pas voir que c'est la façon dont nous vivons qui, étendue à la planète, condamne celle-ci à l'asphyxie. 

Il n'y a pas de croissance propre. Si la COP21 ne se préoccupe que de rendre la croissance accessible aux pays pauvres et émergents, elle est déjà programmée pour un échec.

Qui, sur Terre, serait aujourd'hui prêt à se priver de tous les avantages, à toutes les facilités, à tout le confort que procure la technique ? Moi non plus, je n'ai aucune envie de vivre dans la frugalité.

Le cœur du chaudron où mijote le problème est là, et pas ailleurs.

Voilà ce que je dis, moi.

mercredi, 02 mai 2018

EN ATTENDANT L'EFFONDREMENT 3

24 juin 2015

3/3 

SERVIGNE & STEVENS.jpgBon, je ne vais pas refaire le bouquin. J’en viens au reproche principal : Pablo Servigne et Raphaël Stevens sont finalement des « fashion-victims » : victimes de la mode de la psychologie sociale, qui sévit apparemment plus que jamais outre-Atlantique. Ils font de la psychosociologie LA clé à ouvrir toutes les portes de toutes les serrures de toutes les sociétés modernes : tout se passe dans le crâne des gens, autrement dit : il suffit d'appliquer à la psychologie des foules quelques techniques adéquates et de savoir sur quels boutons appuyer pour amener les dites foules à agir dans le sens souhaité par quelques décideurs "éclairés". On appelle ça la propagande. Cela pourrait s'appeler avec plus de justesse : la dénégation du réel.

Je résume un peu brutalement les présupposés des auteurs, mais c'est à peu près à ça que revient l'ensemble de la démarche, qui repose sur le socle d'un optimisme à toute épreuve (pourtant nié par les auteurs). Je m'étonne que Paul Jorion ait manifesté tant de considération pour un tel "manuel" (sous-titre lisible en couverture : "Petit manuel de collapsologie à l'usage des générations présentes", décalque du titre de Beauvois et Joule sur la "Manipulation" : voir hier). A la question : "Que faire ? ", ils répondent : "Agir sur les mentalités". Et c'est là que je me mets à les considérer comme des foutriquets. Des olibrius. D'ailleurs, il suffit de lire pour s'en faire une idée.

Cela commence avec la quatrième de couverture, qui nous apprend en effet que le premier est ingénieur agronome et docteur en biologie. Jusque-là, tout va bien. Mais il est présenté, plus étrangement, comme un « spécialiste des questions d'effondrement, de transition, d'agroécologie et des mécanismes de l'entraide ». Disons que ça devient pour le moins "bigarré". Le second affiche plus frontalement sa bizarrerie : il « est éco-conseiller. Expert en résilience des systèmes socio-écologiques, il est cofondateur du bureau de consultance Greenloop ».

"Expert en résilience" ! "Bureau de consultance" ! Tudieu ! Mazette ! Quelles cartes de visite ! Mais ça me donne plus envie de ricaner que de me laisser impressionner : "spécialiste", "expert" et, pire encore, "consultant", Allez, vas-y, fais mousser ! Non, franchement, il y a amplement de quoi se méfier. Quand des auteurs mettent en avant autant de "spécialités" (sic) disparates, pour ne pas dire hétéroclites, ça commence à sentir le "pipeau". J'ajoute que de telles cartes de visite vous ont un furieux parfum d'Amérique, ce que confirme l'origine très largement américaine des travaux auxquels ils se réfèrent dans leurs 429 notes en fin de volume.

Et puis qu’est-ce qui leur prend, à ces "lucides", de poser pour finir la question de savoir ce que pense l’opinion publique et comment on pourrait corriger les mentalités et les façons d’agir ? Je ne fais quant à moi aucune confiance aux « petits gestes quotidiens », grand slogan de l'intimidation et de la culpabilisation de la masse des gens qui ne font que subir le mode de vie de tout un chacun, mode de vie qui ne dépend de personne en particulier, mais découle d'un système organisé. Tous les acteurs de l'économie, depuis la prospection et l'extraction jusqu'à la gestion des déchets produits, en passant par la conception, la fabrication et la distribution des objets, sont les maillons d'une seule chaîne.

Le bouquin de Beauvois et Joule (voir hier) est très instructif, mais je me méfie de la propagande et de la manipulation comme de la peste. La psychologie sociale qui nous vient des USA a trop de relents de "gestion" des foules, si vous voyez ce que je veux dire. Quitter l'examen des faits pour explorer le champ de l'opinion, est-ce bien sérieux ? Se proposent-ils de lutter contre le capitalisme en bourrant le crâne des masses ? En pratiquant la "psychologie comportementale", cette discipline à tendance totalitaire qui ne vise à rien de moins qu'adapter l'individu aux contraintes qui lui sont faites par ses conditions de vie.

L’essentiel se passe-t-il dans le monde des représentations ou dans le monde concret ? S’agit-il de modifier les façons de voir ou les façons de faire ? S'agit-il d'adapter les individus à un monde de plus en plus invivable ? On le sait, la psychologie sociale sert principalement à peser sur les représentations pour corriger les comportements (ou de préférence l'inverse, selon Beauvois et Joule, et leurs inspirateurs américains), mais seulement en direction des masses laborieuses. Et son moyen d'action est la propagande. Il serait plus intéressant de se demander comment modifier le regard des grands décideurs.

On voit bien là l’influence de redoutables gourous, dont l’ancêtre seBERNAYS PROPAGANDA 2.jpg nomme Edward Bernays, le prophète du « gouvernement invisible », le double neveu de Sigmund Freud (par sa mère et par sa tante), qui est à l’origine de l'emprise actuelle de la publicité, qui est allée chercher dans le subconscient, grâce aux découvertes de la psychanalyse, les « motivations profondes » qui orientent les comportements des acheteurs de marchandises. Le cœur du bouquin de Servigne et Stevens est en définitive un éloge "de fait" de la propagande, et un appel pathétique à son intensification. Le livre de Bernays date de 1928. C'était le livre de chevet d'un certain Joseph Goebbels, ministre de la propagande sous un certain Führer nommé Adolf Hitler.

Comme si l’histoire du capitalisme se réduisait à une sorte d’histoire des mentalités. Une histoire fondée sur l'individu quintessentiel et ses croyances. C’est aussi faux que niais. L’énormité de cette façon de voir éclate dans quelques formules qui dessinent une sorte de paysage façonné par l’idéologie dominante : « Le processus de deuil traverse plusieurs étapes, selon le processus bien connu établi par Elisabeth Kübler-Ross, la psychologue américaine spécialiste du deuil … » (p. 232-233). Pour les auteurs, le deuil en question est celui qu'il faudra faire un jour prochain de la civilisation thermo-industrielle : retour à "Silex and the city" ? Prennent-ils acte, ce faisant, du caractère inéluctable de l'effondrement ? Non, ce serait trop simple.

La phrase citée ne me semble pas sérieuse : on est dans la gestion psychologique des foules (on pense à l'intervention des « cellules psychologiques » dans les collèges où a eu lieu un drame). Que je sache, le deuil n’est pas un concept scientifique, même si les psychologues s'entendent pour m'affirmer le contraire : il est d'abord un fait, qui découle d'un événement précis. Un fait aux effets imprévisibles : il y a des "veuves joyeuses". L'effondrement en cours, au contraire, est un événement diffus et insidieux : quand on voit le même paysage ou le même visage tous les jours, on a bien du mal à en percevoir la dégradation.

Comment faire son deuil d'un événement qui n'a même pas encore eu lieu ? D'un événement présenté comme possible ou probable, mais à déroulement lent, et au surplus indéfini ? Tant que les auteurs en restent au constat et à l'analyse des faits, leur démarche est d'une pertinence de marbre. La perfection dure 133 pages. Tout le reste, c'est-à-dire la plus grosse partie, qui s'attache à répondre à la question "Que Faire ?", sombre dans le ridicule et la pantalonnade. Voilà ce que ça donne, quand des intellos (en fait, "psychosociologie", c'est un grand sac d'abstractions hétéroclites) se prennent pour Superman et que l'idée leur prend de sauver le monde. Contentez-vous d'observer, de comprendre et d'analyser. Et d'expliquer ce qui se passe. Des scientifiques n'ont pas à s'efforcer de convaincre : ils ont à démontrer.

Petit florilège de la prose qu’on trouve à la fin de ce bouquin : « Le "travail" de deuil est donc à la fois collectif et personnel. Comme le soulignent les remarquables travaux de Clive Hamilton, Joanna Macy, Bill Plotkin ou Carolyn Baker, ce n’est qu’en plongeant et en partageant ces émotions  que nous retrouverons le goût de l’action et un sens à nos vies. Il s’agit ni plus ni moins que d’un passage symbolique à l’âge adulte » (p. 233). L'âge adulte ? Non mais je rêve ! Ils en sont là, les auteurs ? A qui croient-ils s'adresser ? Et puis "remarquables travaux" : le lecteur est-il obligé de les croire ?

Un livre qui commence sur un ton on ne peut plus sérieux, mais qui finit sur le ton de la farce : non, messieurs Servigne et Stevens, vous n'êtes pas sérieux : vous êtes des clowns et même pas drôles. Allez, quelques drôleries quand même pour finir : « L’action constructive et si possible non-violente ne peut clairement venir qu’après avoir franchi – individuellement et collectivement – certaines étapes psychologiques » (p. 235). Vous avez noté "si possible non-violente" : on ne promet rien. Et toujours la sacro-sainte psychologie, bien sûr.

« D’abord parce qu’il est trop tard pour [faire son deuil], et ensuite, parce que l’humain ne fonctionne pas de la sorte. » « [L’action] permet dès le début de la prise de conscience de sortir d’une position d’impuissance inconfortable en apportant quotidiennement des satisfactions qui maintiennent optimistes » (p. 235). Il faut positiver, on vous dit.

Et cette perle : « Et si, tout en regardant les catastrophes les yeux dans les yeux, nous arrivions à nous raconter de belles histoires ? » (p. 217). Dans la gueule du dragon, souriez encore, vous êtes filmé.

Remarquez que celle-ci n'est pas mal non plus : « Ecrire, conter, imaginer, faire ressentir ... il y aura beaucoup de travail pour les artistes dans les années qui viennent » (p. 218). Des missions de l'art contemporain : il ne manquait plus que ça.

Et puis celle-ci : « ... car nous aurons grandement besoin de réconfort affectif et émotionnel pour traverser ces temps de troubles et d'incertitudes » (p. 236). Traduction : il est urgent de préparer les masses au pire et de les diriger vers le divan des psy, auprès desquels ils trouverons du réconfort en modifiant leur manière de voir. Besoin de consolation ? Adressez-vous à Leporello, quand il dit à Donna Elvira, au début de Don Giovanni : « Eh ! consolatevi ; non siete voi, non foste e non sarete né la prima, né l'ultima » (c'est pour introduire l' "air du catalogue" : consolez-vous, vous n'êtes ni la première, ni la dernière). Mais Stig environnement,écologie,réchauffement climatique,comment tout peut s'effondrer,éditions du seuil,anthropocène,psychologie sociale,pablo servigne,raphaël stevens,ingénieur agronome,beauvois et joule,petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens,pape françois,nicolas hulot,edward bernays,propaganda,sigmund freud,élisabeth kübler-ross,silex and the city,jul dessinateur,bande dessinée,leporello,don giovanni,donn'elvira,stig dagerman,notre besoin de consolation est impossible à rassasier,éditions actes sud,air du catalogue,denis dufour,notre dame des landesDagerman a définitivement répondu : Notre besoin de consolation est impossible à rassasier (Actes Sud, cf. aussi la prenante œuvre musicale de Denis Dufour (même titre), le compositeur électro-acoustique aux pieds nus). Passons sur cette tentative de recours désespéré au sein maternel.

Plus américain que ça, tu meurs. Et je n'ai pas parlé de l'intuition et des émotions, indispensables ingrédients que les auteurs ajoutent à leur salade. « C’est en agissant que notre imaginaire se transforme » (p. 235). Certes ! Soit dit en passant, c’est tiré de la « théorie de l’engagement » chère à Beauvois et Joule (calquée sur des théoriciens américains), dans laquelle la « dissonance cognitive » (accomplir un geste en contradiction avec ses convictions supposées, qu'ils intitulent "soumission sans contrainte") se résout bientôt par une modification de la façon de penser pour adapter celle-ci aux actes qu'un manipulateur a obtenu que nous accomplissions. Le geste engage, paraît-il, et l'esprit, serviteur servile, apprend ce qu'il doit penser des actes qu'il a accomplis sous influence. Je rappelle que le titre de Beauvois et Joule est Petit traité de manipulation ...

C’est dans cette perspective que Servigne et Stevens nous invitent à changer radicalement notre façon de voir le monde : « … faire le deuil de notre civilisation industrielle … » (p. 238). Je vais vous dire : le problème de ce livre est double. Faisons abstraction de la première partie : il souffre 1 - d’être écrit au futur et 2 - de tomber dans la bouillasse psycho-sociale.  

Le plus curieux ici est que les auteurs ont bien prévenu le lecteur au début : « Ce n’est pas non plus un livre pessimiste qui ne croit pas en l’avenir, pas plus qu’un livre "positif" qui minimise le problème en donnant des "solutions" au dernier chapitre » (p. 21). Toute la fin, malgré cette grande déclaration, est consacrée au « changement de mentalité », c'est-à-dire au "travail sur les représentations", et non pas au travail sur les faits et les choses. Autrement dit, elle tente de répondre à la question « Que faire ? ». Autrement dit, elle ne fait rien d'autre que de proposer des solutions. Autrement dit, les deux auteurs restent d'un optimisme indécrottable. Et c'est peu de dire que les solutions envisagées sont d'une niaiserie confondante, aussi aériennes que vaporeuses, pour ne pas dire nébuleuses.

Le recours à outrance à la psychologie sociale veut seulement dire que les auteurs croisent les doigts (et autres gestes magiques de conjuration du mauvais sort : pourvu que ...), et s'en remettent à l'espoir que les choses s'arrangeront toutes seules. On n'est pas loin de la pensée magique.

En réalité, le message involontaire du livre est d’un pessimisme noir, faute d’entrevoir des manières crédibles et fondées d’inverser les processus en cours. Peut-être Servigne et Stevens pensent-ils qu’un effort massif de propagande serait en mesure d’agir avec assez de force sur les mentalités pour obliger les populations à ... à quoi, au fait ? A se préparer au pire ? Tous deux votent, en masse et à l'unanimité, pour la manipulation des foules. Ils sont dans la croyance en la croyance.

Sans compter qu'on avale déjà des overdoses de propagande, je pose juste la question : qui détient le cordon de la bourse du financement de cette propagande ? Les ennemis de l’aéroport de Notre-Dame des Landes ? Soyons sérieux : sachant de quel côté se trouve le coffre aux picaillons, nous n'avons pas fini d'entendre chanter les louanges de ce "meilleur des mondes" qui est le nôtre. Et nous n'avons pas fini d'entendre le silence sur les conséquences qu'il entraîne.

Dommage que la cause environnementale soit défendue par de tels ouvrages.

Voilà ce que je dis, moi.

lundi, 30 avril 2018

EN ATTENDANT L'EFFONDREMENT 1

22 juin 2015

Le pape François a raison !

1/3 

SERVIGNE & STEVENS.jpgLe monde est en mauvais état, ça commence à se voir et même à se savoir. Le pape François en personne s’en est aperçu, c'est dire (cf. son "encyclique" Laudato si). Mais l’Eglise catholique est dans un tel délabrement que je n’ai plus envie d’appuyer sur la détente. On nous fait un ramdam pas possible au sujet du ramadan. On s’est bien gardé, le 25 mars, de signaler aux chrétiens le jour de l’Annonciation, que je sache. Plus la France se musulmanise dans les médias et dans la rue (sur le refrain : « Il faut être tolérant, voyons ! »), plus j’ai envie de revendiquer les racines chrétiennes de ma culture, même sans avoir la foi. Mes racines les plus profondes sont là, et nulle part ailleurs. Puisque d'autres revendiquent avec force (et même parfois avec violence) leur identité, je ne vois pas pourquoi je n'affirmerais pas la mienne. Ce serait bien mon tour. Passons.

Le pape a donc raison avec son encyclique dédiée à l’état de notre environnement naturel. Qu’on examine la santé de la planète, qu’on mesure les ressources en eau ou en alimentation (leur qualité, les substances diverses qu'on nous fait avaler), actuelles et futures, que l’on comptabilise les kilomètres carrés de forêts qui disparaissent, qu’on assiste, effaré et impuissant, à la cancérisation du Moyen Orient et de quelques régions d’Afrique par des mafias impitoyables armées de leur islam guerrier, chassant sur les routes de l’exil des troupeaux de réfugiés, qu’on écoute la litanie interminable des déboires économiques qui attendent encore la France, – quoi qu’on fasse, on ne peut que constater les dégâts. 

Quand on aborde les problèmes un par un, on pourrait presque se prendre à espérer en des solutions, et se dire que le pire n’est pas toujours sûr. C’est quand on les met bout à bout que le tableau d’ensemble commence à apparaître et à devenir effrayant. C'est la somme des maux qui touchent la planète et l'humanité, c'est aussi la diversité de leurs causes et de leur origine qui finissent par paraître menaçantes et monstrueuses. Les lieux du monde où sévit le Mal sous toutes ses formes tendent à se multiplier, et les multiples façons dont le Mal s’exprime tendent à envahir le paysage. Même pas besoin d’être pessimiste : il suffit de se tenir informé et de garder ouverts les yeux et les oreilles. 

C'est la raison pour laquelle on a bien du mal à comprendre l’optimisme, fanatique autant que ravageur, qui habite certains commentateurs et observateurs soi-disant « avertis », genre Laurent Mouchard-alias-Joffrin, de Libération (pas le seul, hélas), qui persistent dans une stupéfiante confiance dans le « Progrès » indéfini de l’humanité et dans les solutions techniques aux problèmes que la technique a engendrés (l'innovation au secours des dégâts des innovations précédentes : le pompier venant éteindre à coups de pétrole l'incendie qu'il a allumé).

Je n’ose croire qu’ils se vautrent sciemment dans le mensonge, sauf à imaginer qu’ils en tirent un bénéfice personnel, à la façon de ces « think tanks » à l’américaine qui, largement subventionnés par les intérêts de ceux qui y ont intérêt, vous déversent à la demande du climato-scepticisme comme s’il en pleuvait ou de la croyance absolue dans les bienfaits des OGM ou des néo-nicotinoïdes dans l’agriculture. 

Je viens d’apprendre l’existence d’un livre (Osons rester humains. Les impasses de la toute-puissance) de Geneviève Azam au sujet de la si fragile toute-puissance de l'humanité actuelle. Je le lirai peut-être [ce n'est toujours pas fait trois ans après : effet de saturation ?]. La dame, à la radio, parle en tout cas de façon pertinente et mesurée. Et le vieux poids lourd Edgar Morin lui apporte son soutien en écrivant "Lu et approuvé" dans Libération du samedi 20 juin (même jour que le Terre à terre de Ruth Stégassy, qui avait invité Geneviève Azam dans son excellente émission, sur France Culture).

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Mais aujourd’hui, je veux évoquer le petit volume de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Comment tout peut s’effondrer (Seuil, collection « Anthropocène », avril 2015). Car l’ambition de ce bouquin est précisément de mettre bout à bout les problèmes qui menacent l’humanité. Le sous-titre est éclairant : « Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes ». Je le classerai parmi les « mauvais bons livres ». Je dirai pourquoi. 

« Collapsologie », donc. Pourquoi pas ? Le terme existe sans doute déjà, dans cette Amérique qui a tendance à nous envoyer, avec quelque retard, toutes ses trouvailles, jusqu’aux plus débiles, saugrenues et malfaisantes. Mais « générations présentes » est aussi à relever : pour les auteurs, les menaces qui pèsent sur la planète ne doivent pas être pensées dans un lointain futur, mais sont à prendre en compte dès aujourd’hui. 

Va donc pour cette nouvelle discipline scientifique : la science des effondrements. Drôle d’idée quand même de faire de l’effondrement un objet d’étude scientifique. D’ériger l’effondrement en concept, en objet d’observation en soi. Je ne comprends pas bien cette tournure d’esprit, qui pose un objet largement conceptuel sur la paillasse pour voir s’il obéit à des lois qui lui sont propres.

Ça me fait un peu penser à une des définitions qu’Alfred Jarry donne de la « ’Pataphysique » : « … la ’pataphysique sera surtout la science du particulier, quoiqu’on dise qu’il n’y a de science que du général. Elle étudiera les lois qui régissent les exceptions … » (c'est dans les Gestes et opinions du docteur Faustroll, pataphysicien). J'adore quant à moi les lois qui régissent les exceptions. Sans exception.

De là à voir dans « l’effondrement » un objet pataphysique, il y a un pas que je me garderai de franchir, tout en esquissant le geste. Je veux dire que j’ai un peu de mal à envisager un concept qui s’appellerait « effondrement » : il faudrait disposer d’une belle série historique d’effondrements passés pour difficilement en tirer des enseignements de quelque validité. L’Empire romain, les Mayas (qui sont cités), je veux bien, mais scientifiquement, ça paraît bien léger. Y a-t-il des "lois" qui président aux effondrements ? Ou, plus probablement, chacun est-il un exception ? Un cas unique ?

On n'est finalement pas très loin de la 'Pataphysique, il me semble. Que les auteurs n'aient aucun souci, ils ne risquent rien : « La 'Pataphysique est la science ... » (dernière phrase du Faustroll).

Voilà ce que je dis, moi.

mercredi, 11 avril 2018

LA DJA DU BISPHENOL A

4 octobre 2011

 

Ce billet concerne principalement une substance dont l'usage a été peut-être restreint ou supprimé depuis ; il est cependant probable qu'il ait été remplacé par un autre produit, sûrement tout à fait inoffensif - va-t-on nous jurer - et autorisé jusqu'à ce que preuve -scientifique ! - soit faite de sa nocivité : on comprendra que le problème n'est pas tant dans le choix de tel ou tel produit pour tel ou tel usage (composition des biberons, revêtement intérieur des canettes de bière, etc.), que dans les laboratoires mêmes de l'industrie chimique, dans les applications des substances que celle-ci y découvre et dans tout le processus de "mise sur le marché" et les étapes administratives que celui-ci implique. Tant que ce sera, non pas aux industriels d'apporter la preuve irréfutable de l'innocuité de leurs inventions, mais à la désespérante lenteur des vrais scientifiques à apporter celle de leur nocivité, il y aura du mouron à se faire. Autrement dit, aussi longtemps que la "société civile" (a-t-elle autant d'existence que la "communauté internationale" ?) n'aura pas exigé, de la part des industriels de la chimie, l'inversion de la charge de la preuve, le pire est encore à craindre.

Note ajoutée le 11 avril 2018.

 

Cela devait finir par se savoir. Cela devait finir par arriver. C’est intéressant, le cas du Bisphénol A, molécule chimique artificielle (tout ce qui nous entoure dans la nature est composé à 100 % de molécules chimiques « naturelles », et tout ce que nous mangeons est fait de molécules chimiques). Il semblerait que, même à très faible dose, le Bisphénol A ne reste pas sans effet.  

 

C’est intéressant, ce qu’on apprend, d’abord parce que ça fait quelque temps qu’il est connu comme « perturbateur endocrinien » : en clair, ça veut dire que, si une femme enceinte y est exposée, ou un bébé, peuvent survenir des cancers du sein et des atteintes neurologiques. 

 

Dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres, les autorités administratives, dont le souci est de protéger la santé des populations, mais sans entraver les activités économiques, a adopté, il y a longtemps, la notion de seuil, soit Dose Journalière Admise, ou D.J.A. Sur la base de quelle certitude ? On n'en sait fichtrement rien. J'imagine qu'elle a quelque chose à voir avec la notion de "seuil", elle-même bien solidement assise sur la célèbre phrase de Galien : « C'est la dose qui fait le poison ». Par exemple, à Fukushima, une dose de 1 millisievert par jour était considérée, sinon comme inoffensive, du moins « admissible ». C’est beau, l’administration, non ? 

 

Ce qui vaut pour les radiations nucléaires vaut donc pour toute substance chimique, naturelle ou artificielle. Dans le fond, est-ce que l’homéopathie tout entière ne repose pas elle aussi sur cette notion de D.J.A. ? La Décimale Hahnemanienne (D.H.) et la Centésimale Hahnemanienne (C.H.) sont après tout des dilutions comme les autres, simplement un peu plus poussées (non, vraiment beaucoup plus poussées, surtout les CH). 

 

J’avais entendu des interventions de monsieur André Cicolella à propos de l’exposition. Il a inventé le terme d’ « expologie », ou science des expositions. Je cite : « Par exemple, en 2007, une étude a montré la relation entre le taux d’autisme et une exposition de 15 jours des femmes enceintes à des champs traités par certains pesticides organochlorés ». Il affirme aussi, sur la base d’études dont la validité n’est pas près d’être reconnue par les autorités cons pétantes, qu’une bonne part des cancers est d’origine environnementale.

 

Il cite une étude épidémiologique réalisée en Suède à partir du registre des jumeaux qui y naissent, registre tout à fait instructif, puisque les Suédois concluent que 50 % des cas de maladie d’Alzheimer ne sont pas dus à des facteurs génétiques, mais à des facteurs environnementaux, l’environnement étant défini de façon large, étendu à la pollution, au mode de vie et aux pratiques médicamenteuses. 

 

André Cicolella (émission "Terre à terre" de Ruth Stégassy, 7 février 2009) montre aussi le pouvoir de nuisance de l'industrie chimique : sur le Bisphénol A, il existe 115 études scientifiques, dont 94 mettent en évidence sa nocivité. De son côté, l'industrie a mené également des analyses "scientifiques" : 100 % de ces études concluent à la parfaite innocuité du produit. Une dizaine d'équipes scientifiques ont publié des études documentées et convergentes ? Qu'à cela ne tienne, l'Agence européenne spécialisée les décrète toutes nulles. On se demande ce qui donne à l'industrie une voix si forte qu'elle couvre la voix de la science neutre auprès des autorités de décision. 

 

Les lobbys industriels se pavanent et plastronnent, car ce n’est pas à eux de prouver quoi que ce soit. La preuve de la nocivité d’un produit doit être apportée par l’adversaire de ce produit. Regardez Bouygues avec les antennes relais. Regardez Monsanto avec les O.G.M. Amusez-vous les loulous, prenez votre temps pour faire vos études sur la nocivité de nos produits. 

 

Avant que vous puissiez prouver quoi que ce soit, ils seront tellement passés dans les mœurs qu’on ne pourra plus revenir en arrière. Vous verrez, ça se passera comme ça pour les produits issus des nanotechnologies. Et si preuve il y a un jour, ce sera trop tard, et en attendant, nos actionnaires auront eu mille fois le temps de nous remercier pour s’être engraissés largement.  

 

Car la preuve, évidemment, doit impérativement être scientifique. En plus, il est tellement facile d’enfumer les foules à propos de ces preuves. Regardez ce qui s’est passé pour le rapport du G.I.E.C. sur le réchauffement climatique, comme il a été facile de jeter le trouble et le doute dans les esprits, sans parler de l’infâme profiteur de trouble qui se fait appeler Claude Allègre, auteur de ce titre choc : L’Imposture climatique. Le doute se construit à petits coups de pichenettes faciles (voir Thierry Meyssan, le raëlien). Pour administrer une preuve irréfutable, il faut dépenser des efforts parfois titanesques, et sur une durée parfois démesurée. 

 

La vérité scientifique est difficile à établir. La mettre en doute est d'une facilité déconcertante. 

 

C’est d’ailleurs une preuve de la faiblesse médiatique congénitale des scientifiques. Sur un plateau de télé, vous en mettez un en face de l’imposteur Claude Allègre : regardez-le, le scientifique, il veut rester le plus près possible de la vérité, alors il hésite, il cherche ses mots, il ne veut rien dire qui ne soit vérifiable. L’autre en face, il a juste à rester souriant, confiant, affirmatif, péremptoire, pouvant aller jusqu’à insulter les travaux du scientifique, balayant d’une moue de la lippe inférieure les résultats patiemment établis par celui-ci. Le gogo, chez lui, devant son poste, à qui croyez-vous qu'il donne raison ? 

 

Médiatiquement, je dis bien « dans les médias » et en particulier sur des plateaux de télévision, c’est imparable. Et ça, c’est une preuve de la saloperie congénitale de l’époque : d’une manière générale, vous pouvez vous persuader de ce qu’un scientifique qui arbore un air sûr de lui et affirmatif, et qui profère des « vérités » qui ne souffrent pas contestation, n’est pas un scientifique. 

 

Alors, le Bisphénol A, me direz-vous ? Il existe des « effets à des doses notablement inférieures aux doses de référence utilisées à des fins réglementaires ». Eh bien, nous voilà au cœur du problème. Car la notion de seuil de tolérance, exprimée en DJA (Dose Journalière Admissible), n’est rien d’autre qu’une commodité administrative faite pour concilier l’activité industrielle et la santé des populations. 

 

C’est comme dans l’armée, le seuil de 7 % de pertes en temps de paix. Il s’agit en fait moins de protéger des populations que de « limiter les dégâts ». Tant que le pourcentage de « pertes » est supportable par la collectivité, on laisse faire : le contribuable contribuera. En clair : tant que le taux de cancers et de malformations ne devient pas franchement anormal, tout continue comme avant, « business as usual ». 

 

Ce que nous apprennent les dernières études sur le Bisphénol A est précisément que la notion de « seuil de tolérance » (DJA) est à revoir de fond en comble. Ce que pointent en effet les tenants d’études épidémiologiques environnementales autour de toutes les molécules chimiques produites par l’industrie, c’est une hydre à trois têtes : les très faibles doses, les interactions, la durée d’exposition. 

 

LES TRÈS FAIBLES DOSES : je l’ai dit, la notion de seuil (DJA) est d’ordre administratif et réglementaire. C’est un compromis (donc négociable) entre des forces foncièrement antagonistes : les acteurs de la santé contre les acteurs de l’industrie. Les acteurs de la santé s’appuient sur la science, les études, les travaux de laboratoire, dont j’ai mentionné plus haut les difficultés pour établir sans contestation possible des éléments de preuves. 

 

En face, les acteurs de l’industrie, qui exploitent les trouvailles de leurs bureaux « R&D » (Recherche et Développement), ont besoin de les mettre en circulation contre monnaie sonnante et trébuchante : l’actionnaire, au bout du circuit, tient avant tout à revoir la couleur de son argent, mais épaissie des « retombées » (entre 10 et 15% de bénéfices par an attendus), et qui pousse évidemment à une commercialisation tous azimuts et sans contrôle. 

 

LES INTERACTIONS : là, c’est quasiment le trou noir. Déjà qu’on est loin de tout savoir des conséquences d’une molécule isolée, alors pensez, s’il y en a deux, trois ou douze en présence, c’est le TROU NOIR scientifique. Vous vous rendez compte de ce qu’il faudrait investir pour financer des études de cette ampleur ? 

 

Sachant que l’industrie chimique, depuis un siècle et demi, a élaboré à peu près 100.000 nouvelles molécules, vous comprenez bien qu’elle a tout intérêt à ce que les politiques et les administratifs abordent chacune d’elles isolément, sans chercher la petite bête, à savoir si une telle, mise en présence de telle autre, se met à faire des étincelles ou de la fumée, ou à décupler d’un seul coup son pouvoir de nuisance. 

 

Je signale en passant que l’Europe avait « pris à bras-le-corps » ce problème de nuisance des 100.000 molécules chimiques de l’industrie, et comptait soumettre leur intégralité à examen, suivi soit d’une homologation, soit d’une interdiction. Cela porte un joli nom : REACH (Règlement Enregistrement Evaluation Autorisation Restriction des substances chimiques). Mais sous l’action du lobby industriel, l’Europe a consenti à n’exiger d’homologation sécuritaire que pour 30.000 de ces molécules, et encore, je n’assiste pas à l’exécution de la procédure d’homologation : qui est responsable ? Qui signe le rapport ? Quelles sont ses relations avec l’industrie ? 

 

LA DURÉE D’EXPOSITION : là encore, gros point d’interrogation. La durée, c’est l’ennemi du profit. Le profit se crée aujourd’hui dans l’urgence. Qu’advient-il au rat, quand on l’expose à telle molécule chimique (mettons le Bisphénol A) pendant une longue durée ? Eh bien, aux dernières nouvelles, les effets sont au nombre de sept (je n’invente rien), parmi lesquels « l’avancement de l’âge de la puberté, l’augmentation de la survenue de kystes ovariens et de lésions sur la glande mammaire, l’altération de la production spermatique ». Et là encore, la durée apparaît comme une condition de la vérité scientifique. 

 

J’ai dit ici, un jour, que, pour que l’industrie cesse de nuire à l’humanité, il faut qu’elle cesse d’être industrielle. Autrement dit : qu’elle disparaisse. Et comme je n’ai plus guère tendance à me bercer de rêves, fables et contes, je sais déjà qu’elle ne disparaîtra pas (« la croissance, la croissance ! »). Autant dire que les molécules en folie vont accélérer la migration des humains vers les centres anticancéreux. Sympa. 

 

Le journal Le Monde donne ces jours-ci la parole à André Cicolella, de Réseau Environnement Santé, à l'occasion de la probable prochaine interdiction du Bisphénol A dans le secteur alimentaire. Comme qui dirait : il serait temps. Il n'est pas sûr, d'ailleurs, qu'il ne soit pas déjà trop tard. 

 

Ajouté le 9 avril 2018 :

La voilà, la recette de ceux qui font une confiance inébranlable et complètement aveugle au Progrès, aux sciences, à la recherche, aux laboratoires pour sauver l'humanité, et qui ne font que nous mener toujours plus près du précipice. Ils font confiance à ceux qui savent (ceux dont le savoir les arrangent) et à ceux qui ont les mêmes intérêts qu'eux, pour s'asseoir tout simplement sur la demande (somme toute raisonnable) que soit examinée enfin de façon sérieuse la question de savoir ce que ça peut donner comme effets sur la santé humaine, le cocktail ainsi défini : 1) action des très faibles doses ; 2) effets éventuels des interactions entre les produits ; 3) durée d'exposition. 

 

Faisons confiance aux industriels et aux investisseurs : désintéressés comme ils sont, ils vont sûrement déverser des flots d'or sur les laboratoires sérieux qui réfléchissent sérieusement aux effets du cocktail de ces facteurs.

 

Voilà ce que je dis, moi. 

samedi, 31 mars 2018

PAPA, C'EST QUAND L'EFFONDREMENT ? 1/2

Je crois aujourd'hui que toutes les questions qu'on peut se poser sur la politique, l'économie, les relations entre les gens (la vie "sociétale") sont du pipi de chat par rapport à la question globale de la survie des êtres vivants sur la planète. Après la démonstration faite par les Allemands que 80% des insectes ont disparu du territoire en trente ans, on apprend que 30% des oiseaux "ordinaires" de nos campagnes ont également disparu en 15 ans. Les spécialistes de la biodiversité font des diagnostics à peu près identiques sur tous les continents. Qui s'en soucie ? J'ai du mal à prendre au sérieux tout ce qui ne tourne pas autour des questions de la survie de l'espèce humaine et de toutes les espèces vivantes. Ce ne sont pas, par exemple, quelques malades mentaux (je veux parler des "vegans") qui insultent un mort du Super U de Trèbes au motif qu'il était boucher qui me convaincront du contraire (écrit le 31 mars).

Je remets donc en ligne, plutôt deux fois qu'une, ce billet écrit le 13 décembre 2017.

Des nouvelles de l'état du monde (10).

1/2

Paul Jorion (encore lui) vient de publier A quoi bon penser à l’heure du grand collapse ? (Fayard). Pardonnons-lui l’anglicisme : l’anglais lui est si familier qu’il lui est devenu JORION COLLAPSE 2017.jpgnaturel. Un « collapse », c’est un effondrement. Il en est convaincu : la catastrophe est inéluctable. J’avais suivi le conseil de lecture qu’il donnait dans le billet audiovisuel qu’il poste chaque semaine sur son blog ("Le temps qu'il fait") : j’avais lu Comment tout peut s'effondrer (sans point d’interrogation) de Pablo Servigne et Raphaël Stevens (Seuil, 2015).SERVIGNE & STEVENS.jpg

Les auteurs constataient l’état déplorable de la planète dans une foule de domaines, et pronostiquaient le pire si rien n’était fait. La première partie du livre (jusqu’à la page 133, c’est l’état des lieux), donnait froid dans le dos, avec plein de petits graphiques montrant très bien l’emballement planétaire des productions et des destructions à partir de 1950.

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Dioxyde de carbone, azote, méthane, poissons, forêts, températures, acidification, ...

J’avais hélas été horriblement déçu ensuite par ce qu’ils entrevoyaient et proposaient pour éviter que l’histoire humaine s’achève en eau de boudin. J'avais dit ici même cette déception dans mon billet du 24 juin 2015 (voir lien plus haut, et note en fin de billet). Au lieu de dire franchement et directement que le monde va à la catastrophe si les nantis du Progrès, du bien-être et de la technique (en gros : l'occident) ne renoncent pas à leur mode de vie de gaspillage et de dévoration des ressources, ils misaient tous leurs espoirs sur la nécessité de « changer les mentalités » (ben voyons, ma parole, ils n'ont pas compris ?), plaçant les solutions dans la sphère quasi-exclusive de la psycho-sociologie contemporaine, c’est-à-dire, pour aller vite, sur la capacité des moyens techniques et médiatiques de façonner les comportements de masse par une propagande judicieusement conçue. Comme si le problème et sa solution étaient là. 

Comme si les atteintes à l’environnement se réduisaient aux habitudes de consommation inculquées aux populations. Comme si la question du mode de production des nuisances n’était pas concerné en premier lieu. Comme si - soit dit en passant - le rôle des sciences humaines était d'agir sur les orientations des sociétés (aveu de militantisme "scientifique" ?). La question qui me vient, à chaque invention de telles solutions, c’est évidemment toujours la même : « Comment tu fais, coco ? ». Car malheureusement pour les auteurs, on a lu Beauvois et Joule (Petit traité de manipulation ...), Edward Bernays (Propaganda) et quelques autres : on sait ce qu'il en est de la manipulation mentale et du formatage des esprits par l'intermédiaire d'une psychanalyse habilement instrumentalisée et correctement mise en œuvre.

La question, en l’occurrence : si la publicité peut influencer ponctuellement (dans une certaine mesure) les attitudes des populations ordinaires, comment va-t-on procéder au changement de « mentalité » de tous les gens qui trouvent un puissant intérêt matériel et financier dans l’actuelle marche du monde et dans une « mondialisation » qui se réduit à une compétition féroce entre acteurs transnationaux ? Comment va-t-on faire changer d'avis les gens qui détiennent le pouvoir et l’argent qui va avec ? Ils croient vraiment, Servigne et Stevens, que les gros lards de l'économie mondiale vont battre leur coulpe et se laisser tondre ? Le diagnostic des deux compères est sans appel, mais leur remède est plus foireux qu’une colique frénétique.

Paul Jorion est plus lucide, plus réaliste et plus rationnel : La Crise du capitalisme américain, écrit en 2004-2005, où il annonçait, entre autres, la crise des « subprimes », est sorti en janvier 2007, trop tard pour servir à qui que ce soit pour parer la menace. Aurait-il permis d’empêcher la crise si un éditeur courageux et conscient avait osé le publier aussitôt écrit ?


La conclusion que l'auteur tire aujourd’hui ("Le temps qu'il fait", 1 décembre 2017) de sa débauche d’activités pendant tant d’années pour expliquer l’urgence, avertir les responsables et mobiliser les foules laisse à penser que lui-même n'y croit guère, avec raison selon moi (« J'ai fait ce que j'ai pu », dit-il, comme quoi même les gens spécialement doués ne peuvent que ce qu'ils peuvent). C'est sans doute pourquoi, lassé de rompre des lances contre les moulins à vent, il a décidé de passer le relais de l’action à des bonnes volontés neuves et encore fraîches. Paul Jorion, fatigué, raccroche les gants, pour consacrer sa belle intelligence à des tâches plus personnelles et plus gratifiantes. C’est regrettable, mais on le comprend : militant, ce n'est vraiment pas un métier. Heureusement.

Alors l’effondrement, maintenant ? Comme Servigne et Stevens, Jorion le voit inéluctable. Il n’est pas le seul : Guy McPherson, Claude Bourguignon, Gilles Bœuf et tant d’autres dont, tout dernièrement, 15.000 scientifiques du monde entier, ne cessent d’alerter sur ce qui attend la planète et l’humanité si sept, et bientôt dix milliards d’hommes se mettent à vouloir vivre comme des nababs sur un gâteau en train de fondre. 

J’ai déjà dit ici ("L'humanité en prière") pourquoi je crois que l’inéluctable est inéluctable : pour la raison que plus un système est global et interdépendant, moins les individus, même regroupés en vastes ensembles d'influence (partis, lobbies ou autres), peuvent y changer la moindre virgule ou le plus petit guillemet. Je n’y reviens pas. La question que je me pose aujourd’hui porte sur la raison de l’apathie, de la passivité massive qui accueille obstinément les cris poussés par des savants d’ordinaire froids comme des constats. Pourquoi une telle surdité ?

Un effondrement, tous ceux qui ont assisté à l’implosion des grandes barres de La Duchère à Lyon (on pourrait dire la même chose dans bien des endroits) savent comment ça se passe : ça fait du bruit, de la poussière et un gros tas de gravats à déblayer (pour les mettre quelque part, pourvu que ce soit ailleurs). Ça dure quoi ? En un clin d’œil tout est terminé, il n’y a plus rien à voir. Voilà justement le problème : un effondrement, c’est instantané.

Or, l’effondrement dont parlent Servigne et Stevens, Paul Jorion, Gilles Bœuf et consort n’est pas visible à l’œil nu. Il se produit sous nos yeux, mais si lentement ! Un effondrement qui se produit à la vitesse imperceptible, si l’on veut, de l’aiguille des minutes sur le cadran de la montre ou de l’ombre du soleil à midi en plein été, est-ce crédible ? Pas assez en tout cas pour que le détecteur de mouvement déclenche le signal. Ce n’est pas une durée d’ordre géologique, mais ça donne une idée. Apprendre que 80% des insectes ont disparu en trente ans sur le territoire européen est déjà plus parlant. Mais pour ça, il faut des statistiques scientifiquement établies.

Pour notre malheur, l’effondrement qui nous entraîne aujourd’hui se produit donc avec beaucoup trop de lenteur pour que nos moyens de perception soient mis en alerte. C’est un effondrement indolore, inodore et sans saveur. Un effondrement qui s'écoule tranquillement, grisâtre, et si lentement que nous sommes déjà fatigués d'en entendre parler : arrête de rabâcher, vieux schnock, il est où l'effondrement ? Rien en effet ne semble avoir changé depuis la veille, tout le paysage est semblable ou presque, si l’on excepte quelques changements imperceptibles ou hors de notre portée visuelle. Tout le monde regarde le même film, mais c’est un immense plan-séquence tourné en immense ralenti. Ce n’est pas l’immobilité complète, mais comme ça semble ne pas avancer, on se dit qu’à ce rythme-là, on a le temps de voir venir. Qui remarque le vieillissement, jour après jour, sur le visage aimé de la personne qui partage sa vie ?

Gilles Bœuf, dans un cours au Collège de France où il parlait de l’effondrement des effectifs dans les espèces animales, voyait très juste : aux écologistes qui clament que « l’humanité va dans le mur » (ils n’ont pas tort sur le fond, mais), il répondait qu’il n’y a pas de mur et qu’il n’y aura pas de grand choc. Simplement, plus la situation va aller en se dégradant, plus le cadre et les conditions de vie des vivants vont devenir difficiles. On en voit déjà des manifestations, mais si parcellaires et circonscrites dans leurs dégâts (l'île de Saint-Martin n'est pas New York) que très peu de gens font le lien entre elles pour se dire que la situation d'ensemble est grave. Pour les journalistes, ce sont des "événements". A la rigueur des "catastrophes", mais soigneusement localisées, et prises en charge par la "communauté internationale". (« Mais que fait la communauté internationale ? », pleurent en chœur les journalistes des plus gros journaux du monde et les présidents des plus grosses ONG).

L'espace de la conscience individuelle a bien du mal à se hisser jusqu'à la hauteur de l'enjeu global. Et, s'il y parvient, à en tirer toutes les conséquences pour son propre compte.

Voilà ce que je dis, moi.

15 décembre 2017 : Pablo Servigne est interviewé sur France culture. Il n'y a décidément pas grand-chose à espérer du monsieur. Pour contrer les représentations catastrophistes de l'avenir du monde, il vient avec des collègues de publier un ouvrage qui tend à démontrer que l'on ne trouve pas dans la nature seulement des rapports "prédateur-proie", mais qu'il y a aussi, partout, de l'entraide. Comme exemple d'entraide, il cite la pollinisation. Ah bon, c'est nouveau, ça vient de sortir. La pollinisation, c'est de l'entraide, maintenant. Ça m'a bien fait rire. Les pommiers de font pas des poires. Pablo Servigne est atteint jusqu'au verre de ses lunettes d'une maladie qui continue à faire des ravages : l'optimistose aiguë. Symptôme principal : une bonne grosse pomme bien rouge et bien gonflette. Mais la pomme gonflette est dans l'air du temps : Peter Wohlleben est l'auteur à succès de La Vie secrète des arbres, où il développe l'idée qu'il n'y a pas que les humains à pratiquer l'entraide (surtout quand ça les arrange) : il y a aussi les arbres. La nature sera désormais un modèle idéal de ce que doit être, et sera peut-être, la société altruiste. Message : il suffirait que les humains s'inspirent de ... pour ... « Si tous les gars du monde devenaient de bons copains et marchaient la main dans la main, le bonheur serait pour demain ». Ouais ! Farpaitement !


jeudi, 29 mars 2018

L’HUMANITÉ EN PRIÈRE 4

19 novembre 2017

Des nouvelles de l'état du monde (8).

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4/4

PRIONS !

Ce qui manque à tous ces beaux et grands rêveurs ? Oh pas grand-chose, presque rien : juste l'exercice du pouvoir ! Eh oui, ceux qui veulent que ça change ne peuvent rien, à part rêver, vouloir et crier. Quant à ceux dont on croit et espère qu’ils peuvent quelque chose, ils sont ligotés par tant de liens qu’eux non plus ne peuvent pas grand-chose, à part pérorer lors de conférences internationales. On voit ce qu’il en est de la COP 21 deux ans après : il a suffi qu’un Américain halluciné s’en retire pour que tout se mette à pédaler dans la semoule. Aux dernières nouvelles, on se reverra en 2018 en Pologne pour la COP 24, pour analyser où l'on en est de la production de CO2. On a raison, il faut prendre son temps, rien ne presse, y a pas le feu. C'est peut-être ça, après tout, "avoir la vie devant soi" ? 

« QUE FAIRE ? » J’ai envie de dire à Paul Jorion : « Cesse de rêver, Paul ! ». Je ne peux plus entendre tous les « y a qu'à », les « il faut », les « on devrait », les « il est grand temps de », autant d'exhortations incantatoires dont les « penseurs », patentés ou non, gargarisent très volontiers le gosier de leurs raisonnements conclusifs. C'est fou, le nombre de gens qui ont besoin de se rassurer à tout prix à coups d'exhortations solennelles. C'est fou, le nombre de mouches du coche qui se rêvent en cochers. « Arrêtez de faire semblant » : oui, arrêtez d’alimenter dans les masses la machine à espérer. Rendez-leur plutôt le sens du tragique, que les promesses du « Progrès » technique et matériel leur ont fait perdre.

Apprenez-leur que, dans tout ce que fait l'homme, en particulier les objets techniques produits par son génie particulier, il y a quelque chose qui le dépasse et lui échappe, une part irréductible de son action sur laquelle il n'a pas de prise. Les hommes font l'histoire, mais ne savent pas grand-chose de l'histoire qu'ils font ou des conséquences à moyen ou long terme de leurs actions. Pour ce qui est de détruire, l'humanité s'est rendue aussi capable que la "Nature" en colère (énergie nucléaire, industrie chimique, en attendant mieux). Rendez aux humains, si ce n’est pas déjà trop tard, le sens des limites. Rendez-les à leur finitude, à leur précarité.

Cessez de chanter pour eux le culte du surhomme à qui rien n'est impossible, pourvu qu'il en ait la volonté et qu'il s'en remette avec une entière confiance aux outils magiques que d'ingénieux ingénieurs confectionnent pour le plus grand bien de certains comptes en banque. En l’état actuel des choses, seul un bon gros désespoir générateur de colère me semble en mesure de faire bouger le monde. De faire trembler d'un joli "Big One" la surface du globe. Le résultat ne serait peut-être pas bien joli, mais pas pire que les suites de l’illusion qui alimente l’attente de « lendemains qui chantent » : gare, quand ils déchanteront ! Je n'aime pas la violence, mais je la vois venir.

« QUE FAIRE ? » Les 15.000 scientifiques, dans leur solennel « Avertissement à l’humanité », ne font pas autre chose que rêver, quand ils proclament qu'ils veulent mettre les décideurs en face de leurs responsabilités. Ils annoncent fièrement qu’ « il est possible de vaincre n’importe quelle opposition, aussi acharnée soit-elle, et d’obliger les dirigeants politiques à agir ». C’est très beau. Seulement ils y voient une condition préalable : « Grâce à un raz de marée d’initiatives organisées à la base ». Ah bon ! Mais c'est toujours la même question qui se pose : ton "raz de marée d'initiatives", COMMENT ON FAIT, TOTO ? Le pékin de base aura beau se dire : « Vivement le raz de marée ! », l'indécrottable individu, s'il ne se laisse pas embarquer à son tour dans le rêve, aura bien du mal à se voir en costume de raz de marée (voir plus haut "ensemble tout devient possible" et "convergence des luttes"). Il faudrait déjà qu'il se sente partie prenante d'un sort commun, ce qui est loin d'être acquis. A propos de "sort commun", c'est curieux que plus personne ne parle depuis fort longtemps de « l'espèce humaine » (Robert Antelme, 1957, ci-contre).ANTELME ROBERT.jpg

« QUE FAIRE ? » L'avertissement des scientifiques propose ensuite une liste de treize préconisations parfaitement sensées, numérotées de "a" à "m". Je retiens, entre autres, qu’il convient de stopper « la conversion des forêts, prairies et autres habitats originels », restaurer les écosystèmes endémiques, « ré-ensauvager des régions », « adopter des instruments politiques adéquats », « réduire le gaspillage alimentaire », « réduire le taux de fécondité » humaine, réorienter nos régimes alimentaires, sensibiliser les enfants, etc. Là encore, c'est très beau, mais j’arrête : on peut l’attendre longtemps, le raz de marée. "Adopter des instruments politiques adéquats" : mais de quelle planète débarquent-ils ? Encore une fois : comment on fait ? On a compris : il y a dans le monde, en plus de gens sérieux comme Paul Jorion, 15.000 scientifiques tout aussi sérieux, qui sont prêts à faire un vœu chaque fois qu’ils voient une étoile filante et à y croire dur comme fer. Tous ces gens ont une vraie foi chevillée au corps. On a compris : le texte publié dans Le Monde est juste une PRIÈRE à réciter à genoux. A se demander si ce sont bien des scientifiques.

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« QUE FAIRE ? », alors ? Comme le proclament les flyers des médiums guérisseurs de nos boîtes aux lettres, « il n’y a pas de problèmes sans solutions ». Malheureusement, à l'image des "sorciers" africains qui font chez nous commerce de leur art, tous ces braves scientifiques ont chopé la sale manie, inventée par les bureaucrates, d'appliquer à tous les sujets l'immuable schéma « constat-causes-solutions » appris sur les bancs de l’ENA, quand ils rédigent leurs sacro-saintes « notes de synthèse » à l'usage des décideurs. La méthode n’est pas inutile, mais vouloir à toute force positiver pour finir sur une perspective optimiste (« à chaque problème sa solution ») a quelque chose de pathétique. Et si, après tout, il y avait des problèmes sans solutions ? Car les scientifiques posent sur l'état de la planète un diagnostic exact et rigoureux, c'est vrai ; ils en pointent les causes avec une perspicacité inattaquable, c'est vrai ; mais ils fracassent immanquablement le nez de leurs "Solutions" sur la muraille de la réalité du monde tel qu'il va. Parce que, s'il y a des solutions, elles sont entre les mains de la décision des politiques, et accessoirement des populations qui les élisent.

Or, dans le cas présent, les solutions sont connues et archi-connues de tous (la première de toutes, qui conditionne toutes les autres, est de cesser de rechercher la croissance à tout prix), et tout le monde sait qu'elles resteront lettres mortes, et que personne n'aura le courage héroïque qu'il faudrait pour les mettre en œuvre. Quelle abnégation il faudrait pour un renoncement général aux "bienfaits" du "progrès" (car dans le fond du fond, c'est de cela qu'il s'agit, et qu'on ne me parle pas de "développement durable", cette imposture caractérisée qui n'envisage que de reculer l'échéance) ! Et ce n'est pas seulement à cause d'un « manque de volonté politique », cette ritournelle que les médias ressassent, sur fond d'actions et d' « associations » militantes. Produire à tout prix et faire consommer à tout prix, voilà sur quel socle est bâti le monde actuel dans son intégralité (ou presque) : qui peut rayer cette réalité d'un trait de plume ?

«  QUE FAIRE ? » Manque de volonté politique ? Bien sûr ! Par exemple, les responsables européens, en instaurant la règle de l'unanimité pour toutes les grandes décisions qui risqueraient d'en chatouiller quelques-uns, ont clairement décidé de ne rien faire. Eh oui, c'est parce que, les solutions connues et archi-connues, personne n'en veutL'exemple des paradis fiscaux ("Paradise papers") montre à hurler que ceux-ci sont si structurellement inscrits dans l'intestin et dans les moindres neurones de l'économie mondiale, et que tous les acteurs, légaux ou non, en ont tellement besoin, qu'il est absolument inenvisageable de songer à les supprimer. Non, personne ne veut des solutions. Car le manque de volonté au plus haut niveau est fort bien secondé par les volontés populaires — encore plus que dans les pays nantis — dans les pays qui aspirent à vivre mieux sur le plan matériel. Résultat : personne n'est en mesure, même avec la plus féroce volonté du monde, de maîtriser la machine globale, parce que tout le monde veut qu'elle continue à fonctionner. 

Ce "Système" d'une force incommensurable à la nôtre, bien que l'homme l'ait élaboré collectivement, reste presque indifférent à toute volonté particulière (cause de la "honte prométhéenne" selon Günther Anders) : la machine s'est largement affranchie de l'humanité pour rouler pour son propre compte et avancer vers son accomplissement, dans lequel le sort de celle-ci a autant de poids qu'une virgule. La mondialisation, cette invention de forces disparates mais mues par une même logique puissante, échappe à tout le monde, à commencer par ceux qui l'ont voulue, qui n'y voyaient que l'occasion unique et inespérée de développer toujours davantage leurs affaires. Le but des acteurs principaux : ne pas se faire éjecter de la course, ne pas se faire écraser, et pour cela : avancer obstinément dans la même direction, en calculant au mieux les opportunités. De quoi accélérer l'accomplissement.

« QUE FAIRE ? » Non, messieurs, tout le monde sait ce qu’il faut faire, et si les décideurs ne le font pas, c’est d’abord qu’ils ne veulent abandonner aucune de leurs prérogatives, aucune parcelle de leur pouvoir, aucune part de leur gâteau, aucun symbole de leur prestige. C’est ensuite que les populations elles-mêmes, soit tiennent au relatif confort acquis et à leur manière de consommer (leur infinitésimale part du gâteau), soit n'ont qu'un seul but : acquérir les mêmes choses, que leur montrent les médias mondialisés et dont ils sont encore injustement privés. Et l'on sait que les opinions publiques (c'est-à-dire les échantillons représentatifs des populations, augmentés des dérisoires "leaders d'opinion" qui tartinent leurs éditoriaux dans toutes sortes de médias), consultées par sondages, tiennent les décideurs par le bulletin de vote

Le décideur un peu démocratique qui ne se plierait pas à ces exigences populaires (somme toute humainement compréhensibles) serait vite éjecté de la scène publique. Ceux qui veulent « changer radicalement de mode de vie » pour sauver ce qui peut l’être sont une infime poignée, héroïque si l’on veut, mais sans poids. Et je crains fort que le bruit qu’ils s’efforcent de faire ne suffise pas à compenser leur insignifiance en termes de pouvoir.

A mon tour de poser la question "QUE FAIRE ?". J'y réponds : jouissons à notre gré de ce qui nous reste.

Si je traduis en Desproges, il faut comprendre : « Vivons heureux en attendant la mort ». Ce n'est pas déraisonnable.

samedi, 10 décembre 2016

LA VIE DERRIÈRE LA VITRE

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Photographie Frédéric Chambe.

 

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PLANÈTE

La France va mieux, ça on le savait de source sûre (François Hollande, surnommé "la bocca della verita", vous savez : "si je mens, je vais en enfer"). La planète, quant à elle, va de mieux en mieux. Elle pète le feu, la santé, la forme et la joie de vivre.

Deux informations pour confirmer la bonne nouvelle : 

1 - Gilles Bœuf, spécialiste de la biodiversité, nous apprend que 100 % des records de pêche en termes de taille et de poids des prises datent d'avant 1950, et que la masse des poissons ramenés par les navires-usines a durablement cessé d'augmenter malgré les investissements colossaux : ça stagne, et même ça baisse. Les poissons sont de plus en plus petits, c'est-à-dire de plus en plus jeunes (car ils ne cessent de grandir et grossir au cours de leur existence), donc de plus en plus immatures. Ne parlons pas du chalutage profond, qui va chercher des espèces dont certaines n'atteignent la maturité sexuelle et l'aptitude à se reproduire que très tardivement (jusqu'à quinze ans pour l'empereur, je crois). Résultat : Gilles Bœuf réfute la disparition des espèces océaniques ("Il y a un seul océan", dit-il, "et il n'est pas possible de démontrer qu'une espèce n'existe pas quelque part"), mais il s'alarme de "l'effondrement des populations" (c'est son expression) : pas le nombre des espèces, donc, mais le nombre des individus de chacune.

2 - Le Monde, journal quotidien, nous apprend qu'entre août 2015 et juillet 2016, 8000 km² de forêt amazonienne ont été rasés au Brésil, en progression de 29 % sur l'année précédente.

Et tout cela sans même évoquer le réchauffement climatique, bien connu désormais de monsieur tout-le-monde. Tout cela va dans une seule et même direction : le suicide.

Heureusement que l'humanité ne cesse de prendre de bonnes résolutions : qu'est-ce que ce serait dans le cas contraire !!! 

On pourra bientôt prendre au sérieux ce qui, sous la plume d'Alexandre Vialatte, n'était qu'une boutade : « On n'arrête pas le Progrès : il s'arrête tout seul ». On peut mettre la phrase au futur : le progrès s'arrêtera tout seul. La boutade se fait prédiction. N'en doutons pas.

Gilles Bœuf ajoute une chose intéressante (et à méditer) : l'humanité ne va pas dans le mur, car il n'y a pas de mur. Simplement, ce qui va arriver, c'est que les hommes vont souffrir de plus en plus.

 

jeudi, 03 décembre 2015

I'M A POOR LONESOME COWBOY

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LES DALTON SE RACHÈTENT (N°26)

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21ème "COnférence des Parties".

Autrement dit :

COP21

C'est entendu, tout le monde voudrait bien sauver la planète.

Mais petit problème : ceux qui ont quelque chose ne veulent rien perdre, et ceux qui n'ont rien aimeraient bien acquérir quelque chose.

Ne nous faisons pas d'illusions : les riches feront tout pour continuer à s'enrichir, les pauvres feront des pieds et des mains pour s'éloigner de la pauvreté.

Pendant ce temps, de quel droit exigerait-on des industriels qu'ils cessent de faire des affaires et le plus de profit possible ? Qu'ils cessent de polluer l'air que nous respirons, l'eau que nous buvons, les sols qui nous nourrissent ? Qu'ils cessent d'empoisonner les hommes ? 

Autrement dit : personne ne veut décroître, tout le monde veut de la croissance. C'est l'incantation universelle.

Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur la plaine : croissons ! Croissons !

Croassons !

CHERCHEZ L'ERREUR !

Pendant ce temps, la planète ... Quoi, la planète ?

QUELLE PLANÈTE ?

« C'est quoi, une planète ? - Bof, pas grand-chose : une boule dans l'espace avec de la vie dessus, de très très loin en très très loin. Et encore, on n'est pas sûr. Laisse tomber, ça vaut mieux. »

mercredi, 07 mars 2012

LA SAINTE TRINITE DES ECOLOGISTES (suite)

Résumé : quelques héros des temps modernes ont décidé au péril de leur vie de reconquérir les campagnes désertées depuis l'exode rural. C'est difficile. A cause du bouton électrique qu'on ne peut pas s'empêcher d'actionner chaque soir quand il fait sombre. C'est plus qu'un fil à la patte : c'est un cordon ombilical. Comment pourrait-on se défaire du progrès technique ? Telle est la question, mon cher Watson.

 

Autant dire qu’elles (les choses) font partie de nous, et que s’en séparer reviendrait à s’amputer. On pourrait presque soutenir, dans bien des cas, que l’humain est devenu la prothèse de ses gadgets techniques. Vivement un bon stage de survie en milieu hostile, organisé pour tout le staff de l’entreprise, qu’on puisse se confronter aux conditions de vie et aux épreuves les plus rudes, et retrouver le vrai sens de l’existence. Ça nous rappellera les paras. Eventuellement sous l’œil d’une caméra de Koh Lanta. Avant de retrouver, content de soi, mais content que ce soit fini, le canapé et le four à micro-ondes. 

 

L’avers de la médaille, c’est donc une vie rurale restaurée dans ses « fondamentaux », une vie collective réhabilitée, mais sans les pesanteurs paysannes d’autrefois, il ne faut pas exagérer. On a gardé le goût libertaire pour le partage des valeurs, des joints et des femmes (là non, j’exagère d’exagérer et j’abuse d’abuser, quand même, que c’en est odieux et caricatural, mais je pense à certains reportages anciens de Cabu sur les « communautés » installées en Ardèche, reportages qui ne dédaignaient pas de donner là-dedans, ne serait-ce que pour rigoler). 

 

Le revers de la médaille, eh bien, c’est toujours ce foutu cordon ombilical qui nous lie à la société. C’est pénible à avouer, mais personne n’est vraiment arrivé à le couper. Les plus drôles, à cet égard, sont ceux qui reviennent régulièrement sur les plateaux de télévision pour dire qu’ils l’ont coupé, eux, le cordon ! Voyez le sieur Antoin, des lunettes je ne sais plus quoi, rescapé régulier des Maldives (à moins que ce ne soit des Marquises, de toute façon, il y a beaucoup trop d’eau pour moi). 

 

C’est tout le débat qui eut lieu en Corse à une époque : à côté de ceux qui se contentaient de vivre comme ils pouvaient et de ceux qui étaient ravis d’engranger les subventions, il y avait les modérés, partisans de l’autonomie, et les jusqu’auboutistes, fervents défenseurs de l’indépendance.

 

Soit dit en passant, il y avait les cumulards, autonomistes ou indépendantistes, qui ne poussaient pas le militantisme jusqu’à refuser les subventions. Il a bien fallu en rabattre, sur les ambitions premières, et se contenter d’une autonomie relative. Les « moines-ermites » de l’écologie, ils en sont là. 

 

Comme « il faut bien vivre, mon pauv’monsieur », on trouve un boulot dans le coin, dans le « milieu associatif », dans le secteur qu’il est convenu d’appeler « économie sociale et solidaire ». Je schématise, mais il y a de ça. Parce qu’un vrai métier, ça occupe de vraies journées bien remplies. Et ça suppose des répartitions des rôles moins consensuelles. Je suis méchant, je sais. J'ai mauvais fond, que voulez-vous. Mais ce n’est pas complètement faux, quand même. 

 

Parce que, dans ce qui reste du cordon ombilical, le fluide vital qui circule et dont on n’aime pas parler, ce n’est rien d’autre que le salaire, indispensable pour se payer les allumettes en vue de la flambée du soir et les abonnements au réseau internet et au téléphone portable. Il y a aussi l’eau et l’électricité, sans doute l’essence, bref, les conditions du maintien sur place. L’argent, quoi. 

 

Le choix du « Fils », ce choix de « descendre sur terre », de s’incarner dans la figure du « néo-rural », je le respecte. Ce n’est pas le mien, mais il ne me dérange en rien, puisqu’il ne me demande rien. Je le respecte d’autant plus qu’il suppose un tas de renoncements divers, sans doute coûteux. Ce qu’on appelle les « commodités » offertes par la ville, les facilités apparentes – il faudrait plutôt parler des tentations constantes. Le « mouvement », la vitesse, le bruit, le nombre, les meubles ikea, qui donnent l’impression d’être la vie, et qu’on a tendance à prendre pour la vie. 

 

Je le respecte, ce choix, mais je ne peux m’empêcher de penser qu’il consiste, d’une certaine manière, à biaiser. « Puisque je ne peux pas changer le monde, dit cet écologiste-là, je vais changer de vie ». Pourquoi pas ? Biaiser, je ne suis pas contre a priori. Comme le chante Boby Lapointe : « Ça ne me mettait pas à l’aise De la savoir Antib(i)aise, Moi qui serais plutôt pour ». 

 

Mais que faire, quand se profile à l’horizon un aéroport pharaonique, comme par exemple, et depuis lurette, à Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), sous les auspices du « socialiste » Jean-Marc Ayrault, camarade d’un certain autre « socialiste » du nom de François Hollande ? Le monde ne se laisse pas facilement oublier. La marée montante du « monde » guette le moindre « îlot de verdure ». Même si c’était une citadelle.

 

Moralité : l’écologiste du genre « moine-ermite », il fait rien qu’à biaiser. 

 

Voilà ce que je dis, moi.

mardi, 06 mars 2012

LA SAINTE TRINITE DES ECOLOGISTES

Aujourd’hui, le « Fils ».

 

 

L’écologiste, aujourd’hui, présente de multiples visages. L’écologiste est devenu, en quelque sorte, un « Janus multifrons ». Parmi ces fronts multiples, il y en a quelques-uns qui ont le don, sinon de me courir sur le haricot, parce que, dans le fond, « ça m’en touche une sans faire bouger l’autre » (je cite le raffiné JACQUES CHIRAC en personne), du moins de laisser absolument intact mon scepticisme naturel.

 

 

Bon, c’est vrai que la société dans laquelle nous sommes immergés ne fait aucune place à l’écologiste. C’est injuste, mais c’est comme ça. Ça oblige celui-ci à rester souple. Mais là, ce n’est plus la souplesse du yoga, c’est du contorsionnisme. Je propose d’identifier, dans la nébuleuse écologiste, trois archétypes. Appelons-les, par exemple et au hasard, le « Père », le « Fils » et le « Saint-Esprit ».

 

 

Aujourd’hui, penchons-nous, sérieusement et tendrement, sur le « profil » du « moine-ermite », en qui le « Père » a mis toutes ses complaisances (traduction par le chanoine CRAMPON de la scène du baptême par Jean-Baptiste).

 

 

Comme dans les Evangiles, ce sera donc le « Fils », celui qui est « descendu sur terre », ou plutôt qui est « retourné à la terre ». Mes bien chers frères : « Tu retourneras en poussière », est-il dit quelque part. Comme il est dit ailleurs : « Ashes to ashes, Dust to dust, When the women don’t, The liquor must ».

 

 

Cette aimable phrase ouvre une version ancienne de Did’nt he ramble, par LOUIS ARMSTRONG et son groupe (le « hot seven »?). Je veux bien traduire en français, pour ceux qui ignorent le karakalpak et le monégasque : « Des cendres aux cendres, de la poussière à la poussière, si ce n’est pas les femmes, c’est l’alcool qui s’en chargera ». Amen.

 

 

Pour l'écologiste retourné à la terre, l’important, c’est de vivre « en accord avec ses principes », mais quand même pas jusqu’à la crucifixion. Ça veut dire, sans couper tous les ponts avec la société honnie, où l’on compte peut-être encore des amis, des parents. On achète et retape donc une vieille crèche dans un coin perdu. On en fait un lieu agréable et convivial. Le soir, comme il fait frais, on allume une belle flambée dans la belle cheminée. Avec des allumettes achetées à l’épicerie du bourg. Ça va plus vite que deux Solex, euh non, deux silex. C'est benêt, je sais, mais ça se veut une fine allusion au « retour à l'âge de pierre », dont la bouche des anti-écolo est pleine.   

 

 

L’écologiste est rejoint par quelques autres. Cela finit par former un « éco-village » (vérifiez, ça existe). Perdu au milieu de nulle part. Mais avec l’électricité. Pour la lumière quand il fait nuit, bien sûr, mais il faut pouvoir aussi rester en contact avec les autres « éco-villages » par internet. On est « modernes ». On a peut-être souscrit un abonnement « i-phone » si la « couverture » le permet. On a une forme de vie vraiment collective, tout simplement inimaginable en ville.

 

 

On cultive un sympathique potager qui fournit les légumes « bio ». On est peut-être végétarien, mais pas forcément. Certes, les paysans installés dans les alentours ne s’y sont pas encore mis, au « bio », mais à force d’en discuter avec eux, ils y viendront forcément. En attendant, ils aspergent leurs terres de saloperies, tout autour du potager « bio ». Il y a même l’eau courante. Sans doute fournie par Véolia ou Suez. Et puis, au cas où, on ne sait jamais, il y a un hôpital à distance raisonnable, une pharmacie, voire un supermarché.

 

 

Cela fait déjà quelques rudes concessions au système : on reste à part peut-être, mais pas trop loin quand même. De toute façon, difficile d’accoster à une île déserte dans un pays entièrement « civilisé », cartographié, quadrillé, n’est-ce pas.

 

 

Cela fait des concessions (des « contorsions » si l’on veut), mais en même temps, ça vous met, comme disent les conformistes, « en marge » de la société. C’est un « choix de vie », certainement. La distance ainsi prise avec, disons, le « monde connu », sans être infranchissable, est une séparation, et il faut la vouloir pour l’accepter. C’est évidemment une « cote mal taillée ».

 

 

Car il y a un cordon ombilical presque impossible à couper, c’est tout simplement le progrès technique : on est né et on a grandi dedans. Essayez de vous passer d’appuyer sur le bouton électrique quand vous rentrez chez vous, tiens. Pour voir ! Tant il est vrai que pour revenir à l’âge de pierre, il faudrait se dépouiller de tous ces choses qui, au cours du temps, se sont mises à nous entourer, au point de devenir indispensables. Indissociables même.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

A suivre.

 

dimanche, 04 mars 2012

LES VERTS DE TERRE-A-TERRE

Peu de gens connaissent le nom de RUTH STEGASSY. C’est normal, son émission Terre à terre, sur France Culture, a été placée de 7 à 8, le samedi. En pleine grasse mat’, en pleins câlins du week end, en plein effort de repopulation de la France. On peut regretter la modestie, pour ne pas dire l’obscurité de cette tranche horaire. On peut néanmoins se consoler en se disant qu’internet permet d’écouter l’émission après-coup. Encore faut-il être au courant que ça existe.  

 

 

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SANS ENGRAIS AJOUTÉ

 

Je ne suis pas sûr que Terre à terre soit un bon titre pour cette excellente émission. L’expression « terre à terre » signifie « au ras des pâquerettes ». Le Robert indique « matériel et peu poétique ». Il y a là, visiblement, du péjoratif.

 

 

Et il me semble aussi que ça contredit la hauteur de vue à laquelle se situent quelques remarquables invités de RUTH STEGASSY. J’ajoute qu’elle n’a pas mal fait de supprimer les émissions publiques au « phyto-bar », qui faisaient vraiment ringard, avec les immanquables questions en pataugas de gens sûrement sympathiques mais pas très bien informés (j’essaie d’être gentil).

 

 

C’est le créneau « écologiste » de la station culturelle nationale. C’est la bonne conscience environnementale des radios publiques, plus ambitieuse et moins « consensuelle » (et dans un créneau plus secret), que CO² mon amour, gentille émission du sémillant DENIS CHEISSOUX, qui sévit sur France Inter le samedi après-midi, et qui donne à chaque fois la parole au très catholique JEAN-MARIE PELT, dont j’avais lu il y a fort longtemps le fort intéressant Drogue et Plantes magiques (et non pas « Drogues », comme indiqué dans la notice wikipedia). Mais CO² mon amour fait dans le « grand public ».

 

 

Tout ça pour parler de l’émission Terre à terre, de RUTH STEGASSY. J’évoquais très brièvement, il y a quelques jours, l’émission du 10 décembre dernier, où RUTH STEGASSY interroge MARIE GROSMAN et ROGER LENGLET, auteurs du livre Menace sur nos neurones, Alzheimer, Parkinson … et ceux qui en profitent (Actes Sud).

 

http://www.franceculture.fr/emission-terre-a-terre-maladi...

 

 

 

L’intérêt de cette émission est de faire découvrir quelque chose que les toxicologues professionnels connaissent sur le bout des doigts : des connaissances scientifiques extrêmement précises et documentées sur les corrélations entre la diffusion incontrôlée de substances neurotoxiques (arsenic, mercure, etc …) et l’explosion (il n’y a pas d’autre mot) des cas de maladies d’Alzheimer et de Parkinson.

 

 

L’intérêt de cette émission est d’être une sorte de bulle (bien modeste) qui éclate à la surface : en l’occurrence, l’énorme savoir accumulé par les toxicologues est totalement ignoré des politiques (ça, on savait), mais aussi, et plus bizarrement du corps médical dans son ensemble. Quand on fournit un peu de documentation à un médecin, il tombe de haut : « Quoi ? C’est aussi grave que ça ? ».

 

 

Une sorte de paroi étanche s’élève entre ceux qui savent et le corps social : c’est comme si ce savoir n’existait pas, alors même qu’il touche notre vie quotidienne d’on ne peut plus près. L’exemple de la présence de sels d’aluminium dans l’eau du robinet devrait à lui seul faire exploser les ventes d’eaux minérales, car les spécialistes ont prouvé qu’ils sont pour quelque chose dans la maladie d’Alzheimer.

 

 

Dans l’émission Terre à terre du 18 février, un Canadien (ALAIN DENEAULT, auteur de Noir Canada, de Offshore, paradis fiscaux et souveraineté criminelle et Faire l’économie de la haine) explique pourquoi toutes les entreprises de recherches et d’exploitation minières se font domicilier au Canada : le droit canadien est tellement généreux avec ce genre d’entreprise qu’aucune plainte pour dégâts irréversibles sur l’environnement n’aboutira jamais.

 

http://www.franceculture.fr/emission-terre-a-terre-noir-c...

 

 

Bref, je ne saurais trop recommander l’écoute de cette émission remarquable. Même si l’écolo folklo, genre « retour à la terre », n’est pas absent du paysage, du moins RUTH STEGASSY donne-t-elle la parole à des initiatives locales qui valent ce qu’elles valent. Je me rappelle une émission lointaine où un Africain racontait comment il avait monté un réseau destiné à reconstituer la mangrove par la plantation d’arbres (des palétuviers ?). Et ça marchait du tonnerre.

 

 

Quel est le pouvoir de ce genre d’émission ? Il vaut mieux ne pas se poser la question. Gardons l’idée simple que c’est juste un petit fenestron qui s’ouvre à date fixe sur une autre façon de voir, de concevoir et de faire le monde. Rien que pour ça, cette émission est indispensable.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.