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jeudi, 29 mars 2018

L’HUMANITÉ EN PRIÈRE 4

19 novembre 2017

Des nouvelles de l'état du monde (8).

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PRIONS !

Ce qui manque à tous ces beaux et grands rêveurs ? Oh pas grand-chose, presque rien : juste l'exercice du pouvoir ! Eh oui, ceux qui veulent que ça change ne peuvent rien, à part rêver, vouloir et crier. Quant à ceux dont on croit et espère qu’ils peuvent quelque chose, ils sont ligotés par tant de liens qu’eux non plus ne peuvent pas grand-chose, à part pérorer lors de conférences internationales. On voit ce qu’il en est de la COP 21 deux ans après : il a suffi qu’un Américain halluciné s’en retire pour que tout se mette à pédaler dans la semoule. Aux dernières nouvelles, on se reverra en 2018 en Pologne pour la COP 24, pour analyser où l'on en est de la production de CO2. On a raison, il faut prendre son temps, rien ne presse, y a pas le feu. C'est peut-être ça, après tout, "avoir la vie devant soi" ? 

« QUE FAIRE ? » J’ai envie de dire à Paul Jorion : « Cesse de rêver, Paul ! ». Je ne peux plus entendre tous les « y a qu'à », les « il faut », les « on devrait », les « il est grand temps de », autant d'exhortations incantatoires dont les « penseurs », patentés ou non, gargarisent très volontiers le gosier de leurs raisonnements conclusifs. C'est fou, le nombre de gens qui ont besoin de se rassurer à tout prix à coups d'exhortations solennelles. C'est fou, le nombre de mouches du coche qui se rêvent en cochers. « Arrêtez de faire semblant » : oui, arrêtez d’alimenter dans les masses la machine à espérer. Rendez-leur plutôt le sens du tragique, que les promesses du « Progrès » technique et matériel leur ont fait perdre.

Apprenez-leur que, dans tout ce que fait l'homme, en particulier les objets techniques produits par son génie particulier, il y a quelque chose qui le dépasse et lui échappe, une part irréductible de son action sur laquelle il n'a pas de prise. Les hommes font l'histoire, mais ne savent pas grand-chose de l'histoire qu'ils font ou des conséquences à moyen ou long terme de leurs actions. Pour ce qui est de détruire, l'humanité s'est rendue aussi capable que la "Nature" en colère (énergie nucléaire, industrie chimique, en attendant mieux). Rendez aux humains, si ce n’est pas déjà trop tard, le sens des limites. Rendez-les à leur finitude, à leur précarité.

Cessez de chanter pour eux le culte du surhomme à qui rien n'est impossible, pourvu qu'il en ait la volonté et qu'il s'en remette avec une entière confiance aux outils magiques que d'ingénieux ingénieurs confectionnent pour le plus grand bien de certains comptes en banque. En l’état actuel des choses, seul un bon gros désespoir générateur de colère me semble en mesure de faire bouger le monde. De faire trembler d'un joli "Big One" la surface du globe. Le résultat ne serait peut-être pas bien joli, mais pas pire que les suites de l’illusion qui alimente l’attente de « lendemains qui chantent » : gare, quand ils déchanteront ! Je n'aime pas la violence, mais je la vois venir.

« QUE FAIRE ? » Les 15.000 scientifiques, dans leur solennel « Avertissement à l’humanité », ne font pas autre chose que rêver, quand ils proclament qu'ils veulent mettre les décideurs en face de leurs responsabilités. Ils annoncent fièrement qu’ « il est possible de vaincre n’importe quelle opposition, aussi acharnée soit-elle, et d’obliger les dirigeants politiques à agir ». C’est très beau. Seulement ils y voient une condition préalable : « Grâce à un raz de marée d’initiatives organisées à la base ». Ah bon ! Mais c'est toujours la même question qui se pose : ton "raz de marée d'initiatives", COMMENT ON FAIT, TOTO ? Le pékin de base aura beau se dire : « Vivement le raz de marée ! », l'indécrottable individu, s'il ne se laisse pas embarquer à son tour dans le rêve, aura bien du mal à se voir en costume de raz de marée (voir plus haut "ensemble tout devient possible" et "convergence des luttes"). Il faudrait déjà qu'il se sente partie prenante d'un sort commun, ce qui est loin d'être acquis. A propos de "sort commun", c'est curieux que plus personne ne parle depuis fort longtemps de « l'espèce humaine » (Robert Antelme, 1957, ci-contre).ANTELME ROBERT.jpg

« QUE FAIRE ? » L'avertissement des scientifiques propose ensuite une liste de treize préconisations parfaitement sensées, numérotées de "a" à "m". Je retiens, entre autres, qu’il convient de stopper « la conversion des forêts, prairies et autres habitats originels », restaurer les écosystèmes endémiques, « ré-ensauvager des régions », « adopter des instruments politiques adéquats », « réduire le gaspillage alimentaire », « réduire le taux de fécondité » humaine, réorienter nos régimes alimentaires, sensibiliser les enfants, etc. Là encore, c'est très beau, mais j’arrête : on peut l’attendre longtemps, le raz de marée. "Adopter des instruments politiques adéquats" : mais de quelle planète débarquent-ils ? Encore une fois : comment on fait ? On a compris : il y a dans le monde, en plus de gens sérieux comme Paul Jorion, 15.000 scientifiques tout aussi sérieux, qui sont prêts à faire un vœu chaque fois qu’ils voient une étoile filante et à y croire dur comme fer. Tous ces gens ont une vraie foi chevillée au corps. On a compris : le texte publié dans Le Monde est juste une PRIÈRE à réciter à genoux. A se demander si ce sont bien des scientifiques.

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« QUE FAIRE ? », alors ? Comme le proclament les flyers des médiums guérisseurs de nos boîtes aux lettres, « il n’y a pas de problèmes sans solutions ». Malheureusement, à l'image des "sorciers" africains qui font chez nous commerce de leur art, tous ces braves scientifiques ont chopé la sale manie, inventée par les bureaucrates, d'appliquer à tous les sujets l'immuable schéma « constat-causes-solutions » appris sur les bancs de l’ENA, quand ils rédigent leurs sacro-saintes « notes de synthèse » à l'usage des décideurs. La méthode n’est pas inutile, mais vouloir à toute force positiver pour finir sur une perspective optimiste (« à chaque problème sa solution ») a quelque chose de pathétique. Et si, après tout, il y avait des problèmes sans solutions ? Car les scientifiques posent sur l'état de la planète un diagnostic exact et rigoureux, c'est vrai ; ils en pointent les causes avec une perspicacité inattaquable, c'est vrai ; mais ils fracassent immanquablement le nez de leurs "Solutions" sur la muraille de la réalité du monde tel qu'il va. Parce que, s'il y a des solutions, elles sont entre les mains de la décision des politiques, et accessoirement des populations qui les élisent.

Or, dans le cas présent, les solutions sont connues et archi-connues de tous (la première de toutes, qui conditionne toutes les autres, est de cesser de rechercher la croissance à tout prix), et tout le monde sait qu'elles resteront lettres mortes, et que personne n'aura le courage héroïque qu'il faudrait pour les mettre en œuvre. Quelle abnégation il faudrait pour un renoncement général aux "bienfaits" du "progrès" (car dans le fond du fond, c'est de cela qu'il s'agit, et qu'on ne me parle pas de "développement durable", cette imposture caractérisée qui n'envisage que de reculer l'échéance) ! Et ce n'est pas seulement à cause d'un « manque de volonté politique », cette ritournelle que les médias ressassent, sur fond d'actions et d' « associations » militantes. Produire à tout prix et faire consommer à tout prix, voilà sur quel socle est bâti le monde actuel dans son intégralité (ou presque) : qui peut rayer cette réalité d'un trait de plume ?

«  QUE FAIRE ? » Manque de volonté politique ? Bien sûr ! Par exemple, les responsables européens, en instaurant la règle de l'unanimité pour toutes les grandes décisions qui risqueraient d'en chatouiller quelques-uns, ont clairement décidé de ne rien faire. Eh oui, c'est parce que, les solutions connues et archi-connues, personne n'en veutL'exemple des paradis fiscaux ("Paradise papers") montre à hurler que ceux-ci sont si structurellement inscrits dans l'intestin et dans les moindres neurones de l'économie mondiale, et que tous les acteurs, légaux ou non, en ont tellement besoin, qu'il est absolument inenvisageable de songer à les supprimer. Non, personne ne veut des solutions. Car le manque de volonté au plus haut niveau est fort bien secondé par les volontés populaires — encore plus que dans les pays nantis — dans les pays qui aspirent à vivre mieux sur le plan matériel. Résultat : personne n'est en mesure, même avec la plus féroce volonté du monde, de maîtriser la machine globale, parce que tout le monde veut qu'elle continue à fonctionner. 

Ce "Système" d'une force incommensurable à la nôtre, bien que l'homme l'ait élaboré collectivement, reste presque indifférent à toute volonté particulière (cause de la "honte prométhéenne" selon Günther Anders) : la machine s'est largement affranchie de l'humanité pour rouler pour son propre compte et avancer vers son accomplissement, dans lequel le sort de celle-ci a autant de poids qu'une virgule. La mondialisation, cette invention de forces disparates mais mues par une même logique puissante, échappe à tout le monde, à commencer par ceux qui l'ont voulue, qui n'y voyaient que l'occasion unique et inespérée de développer toujours davantage leurs affaires. Le but des acteurs principaux : ne pas se faire éjecter de la course, ne pas se faire écraser, et pour cela : avancer obstinément dans la même direction, en calculant au mieux les opportunités. De quoi accélérer l'accomplissement.

« QUE FAIRE ? » Non, messieurs, tout le monde sait ce qu’il faut faire, et si les décideurs ne le font pas, c’est d’abord qu’ils ne veulent abandonner aucune de leurs prérogatives, aucune parcelle de leur pouvoir, aucune part de leur gâteau, aucun symbole de leur prestige. C’est ensuite que les populations elles-mêmes, soit tiennent au relatif confort acquis et à leur manière de consommer (leur infinitésimale part du gâteau), soit n'ont qu'un seul but : acquérir les mêmes choses, que leur montrent les médias mondialisés et dont ils sont encore injustement privés. Et l'on sait que les opinions publiques (c'est-à-dire les échantillons représentatifs des populations, augmentés des dérisoires "leaders d'opinion" qui tartinent leurs éditoriaux dans toutes sortes de médias), consultées par sondages, tiennent les décideurs par le bulletin de vote

Le décideur un peu démocratique qui ne se plierait pas à ces exigences populaires (somme toute humainement compréhensibles) serait vite éjecté de la scène publique. Ceux qui veulent « changer radicalement de mode de vie » pour sauver ce qui peut l’être sont une infime poignée, héroïque si l’on veut, mais sans poids. Et je crains fort que le bruit qu’ils s’efforcent de faire ne suffise pas à compenser leur insignifiance en termes de pouvoir.

A mon tour de poser la question "QUE FAIRE ?". J'y réponds : jouissons à notre gré de ce qui nous reste.

Si je traduis en Desproges, il faut comprendre : « Vivons heureux en attendant la mort ». Ce n'est pas déraisonnable.

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