mercredi, 02 mai 2018
EN ATTENDANT L'EFFONDREMENT 3
24 juin 2015
3/3
Bon, je ne vais pas refaire le bouquin. J’en viens au reproche principal : Pablo Servigne et Raphaël Stevens sont finalement des « fashion-victims » : victimes de la mode de la psychologie sociale, qui sévit apparemment plus que jamais outre-Atlantique. Ils font de la psychosociologie LA clé à ouvrir toutes les portes de toutes les serrures de toutes les sociétés modernes : tout se passe dans le crâne des gens, autrement dit : il suffit d'appliquer à la psychologie des foules quelques techniques adéquates et de savoir sur quels boutons appuyer pour amener les dites foules à agir dans le sens souhaité par quelques décideurs "éclairés". On appelle ça la propagande. Cela pourrait s'appeler avec plus de justesse : la dénégation du réel.
Je résume un peu brutalement les présupposés des auteurs, mais c'est à peu près à ça que revient l'ensemble de la démarche, qui repose sur le socle d'un optimisme à toute épreuve (pourtant nié par les auteurs). Je m'étonne que Paul Jorion ait manifesté tant de considération pour un tel "manuel" (sous-titre lisible en couverture : "Petit manuel de collapsologie à l'usage des générations présentes", décalque du titre de Beauvois et Joule sur la "Manipulation" : voir hier). A la question : "Que faire ? ", ils répondent : "Agir sur les mentalités". Et c'est là que je me mets à les considérer comme des foutriquets. Des olibrius. D'ailleurs, il suffit de lire pour s'en faire une idée.
Cela commence avec la quatrième de couverture, qui nous apprend en effet que le premier est ingénieur agronome et docteur en biologie. Jusque-là, tout va bien. Mais il est présenté, plus étrangement, comme un « spécialiste des questions d'effondrement, de transition, d'agroécologie et des mécanismes de l'entraide ». Disons que ça devient pour le moins "bigarré". Le second affiche plus frontalement sa bizarrerie : il « est éco-conseiller. Expert en résilience des systèmes socio-écologiques, il est cofondateur du bureau de consultance Greenloop ».
"Expert en résilience" ! "Bureau de consultance" ! Tudieu ! Mazette ! Quelles cartes de visite ! Mais ça me donne plus envie de ricaner que de me laisser impressionner : "spécialiste", "expert" et, pire encore, "consultant", Allez, vas-y, fais mousser ! Non, franchement, il y a amplement de quoi se méfier. Quand des auteurs mettent en avant autant de "spécialités" (sic) disparates, pour ne pas dire hétéroclites, ça commence à sentir le "pipeau". J'ajoute que de telles cartes de visite vous ont un furieux parfum d'Amérique, ce que confirme l'origine très largement américaine des travaux auxquels ils se réfèrent dans leurs 429 notes en fin de volume.
Et puis qu’est-ce qui leur prend, à ces "lucides", de poser pour finir la question de savoir ce que pense l’opinion publique et comment on pourrait corriger les mentalités et les façons d’agir ? Je ne fais quant à moi aucune confiance aux « petits gestes quotidiens », grand slogan de l'intimidation et de la culpabilisation de la masse des gens qui ne font que subir le mode de vie de tout un chacun, mode de vie qui ne dépend de personne en particulier, mais découle d'un système organisé. Tous les acteurs de l'économie, depuis la prospection et l'extraction jusqu'à la gestion des déchets produits, en passant par la conception, la fabrication et la distribution des objets, sont les maillons d'une seule chaîne.
Le bouquin de Beauvois et Joule (voir hier) est très instructif, mais je me méfie de la propagande et de la manipulation comme de la peste. La psychologie sociale qui nous vient des USA a trop de relents de "gestion" des foules, si vous voyez ce que je veux dire. Quitter l'examen des faits pour explorer le champ de l'opinion, est-ce bien sérieux ? Se proposent-ils de lutter contre le capitalisme en bourrant le crâne des masses ? En pratiquant la "psychologie comportementale", cette discipline à tendance totalitaire qui ne vise à rien de moins qu'adapter l'individu aux contraintes qui lui sont faites par ses conditions de vie.
L’essentiel se passe-t-il dans le monde des représentations ou dans le monde concret ? S’agit-il de modifier les façons de voir ou les façons de faire ? S'agit-il d'adapter les individus à un monde de plus en plus invivable ? On le sait, la psychologie sociale sert principalement à peser sur les représentations pour corriger les comportements (ou de préférence l'inverse, selon Beauvois et Joule, et leurs inspirateurs américains), mais seulement en direction des masses laborieuses. Et son moyen d'action est la propagande. Il serait plus intéressant de se demander comment modifier le regard des grands décideurs.
On voit bien là l’influence de redoutables gourous, dont l’ancêtre se nomme Edward Bernays, le prophète du « gouvernement invisible », le double neveu de Sigmund Freud (par sa mère et par sa tante), qui est à l’origine de l'emprise actuelle de la publicité, qui est allée chercher dans le subconscient, grâce aux découvertes de la psychanalyse, les « motivations profondes » qui orientent les comportements des acheteurs de marchandises. Le cœur du bouquin de Servigne et Stevens est en définitive un éloge "de fait" de la propagande, et un appel pathétique à son intensification. Le livre de Bernays date de 1928. C'était le livre de chevet d'un certain Joseph Goebbels, ministre de la propagande sous un certain Führer nommé Adolf Hitler.
Comme si l’histoire du capitalisme se réduisait à une sorte d’histoire des mentalités. Une histoire fondée sur l'individu quintessentiel et ses croyances. C’est aussi faux que niais. L’énormité de cette façon de voir éclate dans quelques formules qui dessinent une sorte de paysage façonné par l’idéologie dominante : « Le processus de deuil traverse plusieurs étapes, selon le processus bien connu établi par Elisabeth Kübler-Ross, la psychologue américaine spécialiste du deuil … » (p. 232-233). Pour les auteurs, le deuil en question est celui qu'il faudra faire un jour prochain de la civilisation thermo-industrielle : retour à "Silex and the city" ? Prennent-ils acte, ce faisant, du caractère inéluctable de l'effondrement ? Non, ce serait trop simple.
La phrase citée ne me semble pas sérieuse : on est dans la gestion psychologique des foules (on pense à l'intervention des « cellules psychologiques » dans les collèges où a eu lieu un drame). Que je sache, le deuil n’est pas un concept scientifique, même si les psychologues s'entendent pour m'affirmer le contraire : il est d'abord un fait, qui découle d'un événement précis. Un fait aux effets imprévisibles : il y a des "veuves joyeuses". L'effondrement en cours, au contraire, est un événement diffus et insidieux : quand on voit le même paysage ou le même visage tous les jours, on a bien du mal à en percevoir la dégradation.
Comment faire son deuil d'un événement qui n'a même pas encore eu lieu ? D'un événement présenté comme possible ou probable, mais à déroulement lent, et au surplus indéfini ? Tant que les auteurs en restent au constat et à l'analyse des faits, leur démarche est d'une pertinence de marbre. La perfection dure 133 pages. Tout le reste, c'est-à-dire la plus grosse partie, qui s'attache à répondre à la question "Que Faire ?", sombre dans le ridicule et la pantalonnade. Voilà ce que ça donne, quand des intellos (en fait, "psychosociologie", c'est un grand sac d'abstractions hétéroclites) se prennent pour Superman et que l'idée leur prend de sauver le monde. Contentez-vous d'observer, de comprendre et d'analyser. Et d'expliquer ce qui se passe. Des scientifiques n'ont pas à s'efforcer de convaincre : ils ont à démontrer.
Petit florilège de la prose qu’on trouve à la fin de ce bouquin : « Le "travail" de deuil est donc à la fois collectif et personnel. Comme le soulignent les remarquables travaux de Clive Hamilton, Joanna Macy, Bill Plotkin ou Carolyn Baker, ce n’est qu’en plongeant et en partageant ces émotions que nous retrouverons le goût de l’action et un sens à nos vies. Il s’agit ni plus ni moins que d’un passage symbolique à l’âge adulte » (p. 233). L'âge adulte ? Non mais je rêve ! Ils en sont là, les auteurs ? A qui croient-ils s'adresser ? Et puis "remarquables travaux" : le lecteur est-il obligé de les croire ?
Un livre qui commence sur un ton on ne peut plus sérieux, mais qui finit sur le ton de la farce : non, messieurs Servigne et Stevens, vous n'êtes pas sérieux : vous êtes des clowns et même pas drôles. Allez, quelques drôleries quand même pour finir : « L’action constructive et si possible non-violente ne peut clairement venir qu’après avoir franchi – individuellement et collectivement – certaines étapes psychologiques » (p. 235). Vous avez noté "si possible non-violente" : on ne promet rien. Et toujours la sacro-sainte psychologie, bien sûr.
« D’abord parce qu’il est trop tard pour [faire son deuil], et ensuite, parce que l’humain ne fonctionne pas de la sorte. » « [L’action] permet dès le début de la prise de conscience de sortir d’une position d’impuissance inconfortable en apportant quotidiennement des satisfactions qui maintiennent optimistes » (p. 235). Il faut positiver, on vous dit.
Et cette perle : « Et si, tout en regardant les catastrophes les yeux dans les yeux, nous arrivions à nous raconter de belles histoires ? » (p. 217). Dans la gueule du dragon, souriez encore, vous êtes filmé.
Remarquez que celle-ci n'est pas mal non plus : « Ecrire, conter, imaginer, faire ressentir ... il y aura beaucoup de travail pour les artistes dans les années qui viennent » (p. 218). Des missions de l'art contemporain : il ne manquait plus que ça.
Et puis celle-ci : « ... car nous aurons grandement besoin de réconfort affectif et émotionnel pour traverser ces temps de troubles et d'incertitudes » (p. 236). Traduction : il est urgent de préparer les masses au pire et de les diriger vers le divan des psy, auprès desquels ils trouverons du réconfort en modifiant leur manière de voir. Besoin de consolation ? Adressez-vous à Leporello, quand il dit à Donna Elvira, au début de Don Giovanni : « Eh ! consolatevi ; non siete voi, non foste e non sarete né la prima, né l'ultima » (c'est pour introduire l' "air du catalogue" : consolez-vous, vous n'êtes ni la première, ni la dernière). Mais Stig Dagerman a définitivement répondu : Notre besoin de consolation est impossible à rassasier (Actes Sud, cf. aussi la prenante œuvre musicale de Denis Dufour (même titre), le compositeur électro-acoustique aux pieds nus). Passons sur cette tentative de recours désespéré au sein maternel.
Plus américain que ça, tu meurs. Et je n'ai pas parlé de l'intuition et des émotions, indispensables ingrédients que les auteurs ajoutent à leur salade. « C’est en agissant que notre imaginaire se transforme » (p. 235). Certes ! Soit dit en passant, c’est tiré de la « théorie de l’engagement » chère à Beauvois et Joule (calquée sur des théoriciens américains), dans laquelle la « dissonance cognitive » (accomplir un geste en contradiction avec ses convictions supposées, qu'ils intitulent "soumission sans contrainte") se résout bientôt par une modification de la façon de penser pour adapter celle-ci aux actes qu'un manipulateur a obtenu que nous accomplissions. Le geste engage, paraît-il, et l'esprit, serviteur servile, apprend ce qu'il doit penser des actes qu'il a accomplis sous influence. Je rappelle que le titre de Beauvois et Joule est Petit traité de manipulation ...
C’est dans cette perspective que Servigne et Stevens nous invitent à changer radicalement notre façon de voir le monde : « … faire le deuil de notre civilisation industrielle … » (p. 238). Je vais vous dire : le problème de ce livre est double. Faisons abstraction de la première partie : il souffre 1 - d’être écrit au futur et 2 - de tomber dans la bouillasse psycho-sociale.
Le plus curieux ici est que les auteurs ont bien prévenu le lecteur au début : « Ce n’est pas non plus un livre pessimiste qui ne croit pas en l’avenir, pas plus qu’un livre "positif" qui minimise le problème en donnant des "solutions" au dernier chapitre » (p. 21). Toute la fin, malgré cette grande déclaration, est consacrée au « changement de mentalité », c'est-à-dire au "travail sur les représentations", et non pas au travail sur les faits et les choses. Autrement dit, elle tente de répondre à la question « Que faire ? ». Autrement dit, elle ne fait rien d'autre que de proposer des solutions. Autrement dit, les deux auteurs restent d'un optimisme indécrottable. Et c'est peu de dire que les solutions envisagées sont d'une niaiserie confondante, aussi aériennes que vaporeuses, pour ne pas dire nébuleuses.
Le recours à outrance à la psychologie sociale veut seulement dire que les auteurs croisent les doigts (et autres gestes magiques de conjuration du mauvais sort : pourvu que ...), et s'en remettent à l'espoir que les choses s'arrangeront toutes seules. On n'est pas loin de la pensée magique.
En réalité, le message involontaire du livre est d’un pessimisme noir, faute d’entrevoir des manières crédibles et fondées d’inverser les processus en cours. Peut-être Servigne et Stevens pensent-ils qu’un effort massif de propagande serait en mesure d’agir avec assez de force sur les mentalités pour obliger les populations à ... à quoi, au fait ? A se préparer au pire ? Tous deux votent, en masse et à l'unanimité, pour la manipulation des foules. Ils sont dans la croyance en la croyance.
Sans compter qu'on avale déjà des overdoses de propagande, je pose juste la question : qui détient le cordon de la bourse du financement de cette propagande ? Les ennemis de l’aéroport de Notre-Dame des Landes ? Soyons sérieux : sachant de quel côté se trouve le coffre aux picaillons, nous n'avons pas fini d'entendre chanter les louanges de ce "meilleur des mondes" qui est le nôtre. Et nous n'avons pas fini d'entendre le silence sur les conséquences qu'il entraîne.
Dommage que la cause environnementale soit défendue par de tels ouvrages.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans ECOLOGIE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : environnement, écologie, réchauffement climatique, comment tout peut s'effondrer, éditions du seuil, anthropocène, psychologie sociale, pablo servigne, raphaël stevens, ingénieur agronome, beauvois et joule, petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens, pape françois, nicolas hulot, edward bernays, propaganda, sigmund freud, élisabeth kübler-ross, silex and the city, jul dessinateur, bande dessinée, leporello, don giovanni, donn'elvira, stig dagerman, notre besoin de consolation est impossible à rassasier, éditions actes sud, air du catalogue, denis dufour, notre dame des landes
jeudi, 17 décembre 2015
LE VINGTIÈME SIÈCLE ET LES ARTS 12/9
LE VINGTIÈME SIÈCLE ET LES ARTS :
ESSAI DE RECONSTITUTION D’UN ITINÉRAIRE PERSONNEL
(récapitulation songeuse et un peu raisonnée)
POST-SCRIPTUM
Combien de « Justes » à Sodome ?
3
Je garde Benjamin Britten pour son ample et magnifique War requiem, à cause des poèmes que Wilfred Owen avait écrit dans les tranchées de 14-18, avant de mourir le 4 novembre 1918 (est-il permis de mourir le 4 novembre 1918 ?). Mais je garde aussi son Quatuor opus 4 (Simple Symphony), à cause de la splendide « Sentimental Saraband ».
Le War Requiem de Britten appelle aussitôt le très beau Requiem für einen jungen Dichter, de Bernd Alois Zimmermann, ce suicidé de 1970 qui a composé de la musique sévère, parfois brutale et angoissée, mais d’une exigence formelle impeccable. Et qui touche, par sa force et sa sincérité. Toujours dans ce qui prend à la gorge, j’aime faire un tour du côté de Krzysztof Penderecki et de son Thrène pour les victimes d’Hiroshima.
D’Arnold Schönberg, dont j'ai eu raison de dire beaucoup de mal, je sauve malgré tout La Nuit transfigurée, mais dans la version originale pour sextuor à cordes proposée par le quatuor Talich (augmenté). Il faut dire que c’est son opus 4 : il n’avait pas encore eu sa crise de démence atonale. Et dans la foulée, je récupère le Quatuor n°4, intitulé « Buczak », de Philip Glass, par le Kronos Quartet : aussi bizarre que ça puisse paraître, les arpèges et l’impression de répétition ont une superbe tenue de route. Ajoutez-y, dans le même mouvement et toujours par le Kronos, le Quatuor Different trains de Steve Reich.
De Gavin Bryars, si vous perdez patience à l’écoute de Jesus blood never failed me yet (74’45"), avec la voix d’un authentique « tramp », et Tom Waits à la fin, rabattez-vous sur The Sinking of the Titanic, superbe et presque religieuse évocation du naufrage, que vous pourriez vous croire accompagner dans sa descente aux enfers. Ensuite, le petit Te Deum d’Arvo Pärt, pour se détendre : si ça ne casse pas trois pattes à un canard, ça ne fait pas de mal, c’est du contemporain consensuel.
Plus nerveux, plus viril pourraient dire certains, est Játékok de György Kurtág, que je retiens, entre autres, à cause de quelques transcriptions de Jean-Sébastien Bach, qui sonnent comme des hommages ou comme le paiement d’une dette. Kurtág est un homme à respecter.
Je voudrais clore ce palmarès personnel par quelques compositeurs français d’aujourd’hui qui ont marqué mon oreille au cours du temps. Charles Ravier a écrit une curieuse et passionnante Liturgie pour un Dieu mort, alias « formulaire pour une déambulation processionnelle de sons d’après des thèmes poétiques de Jean-Pierre Colas. Langage imaginaire de la cantillation réalisé et adapté par Sylvie Artel ».
Jacques Rebotier a écrit quant à lui un Requiem de haute qualité, qui se distingue par le texte très étonnant et très beau de Valère Novarina, une « Secrète » que le compositeur a insérée dans le Benedictus : « Entre un homme apportant son cadavre. (…) Cadavre de moi ici présent en pensée, te voici face à Dieu, je te dis : je suis un homme qui vient apporter sa mort et son cadavre au Dieu vivant … ». Le mécréant que je suis reste ému et fasciné (vieille nostalgie ?) par la croyance des croyants, ainsi que par la force des formes esthétiques qu’elle est capable de produire quand elle est profonde et authentique.
Philippe Hersant, entre autres œuvres (sa production est variée), a composé le remarquable Lebenslauf (« Six mélodies sur des poèmes de Hölderlin »), fait pour la voix de Sharon Cooper, accompagnée par l’ensemble Alternance d’Arturo Tamayo.
Je manifesterai encore quelques tendresses pour les « Dix-huit madrigaux (1995-96) » de Philippe Fénelon, d’après les Elégies de Duino, de René-Maria Rilke. L’ensemble Les Jeunes solistes, dirigé par Rachid Safir (un ancien de A Sei voci, de l'énorme, du proéminent, du regretté Bernard Fabre-Garrus) fait merveille. Des mêmes interprètes, j’en profite pour mentionner le drôle de disque « L’Homme armé », placé sous la double égide « Dufay / Pécou », qui développe une impeccable « Messe "L’Homme armé" » de Guillaume Dufay, mais farcie de pertinentes "Interventions" de Thierry Pécou, et suivie d’une assez belle œuvre (L’Homme armé) de Thierry Pécou tout seul.
Et puis je conclurai, mais en avouant l’incomplétude forcée de ce palmarès qui, sinon, aurait paru fastidieux à tout le monde, par le choix de deux œuvres contemporaines qui m’ont fait faire halte dans leur oasis. Je veux parler de Dichterliebesreigentraum, de Henri Pousseur, malgré le métal parfois cinglant de la voix de Marianne Pousseur.
Je veux aussi parler de l’étonnante œuvre électro-acoustique de Denis Dufour : Notre Besoin de consolation est impossible à rassasier. Le texte, bref mais saisissant, est celui que l’écrivain Stig Dagerman a écrit peu de temps avant de rendre, très volontairement, son âme à l’univers (comme le bon roi Dagobert de la chanson de Charles Trenet). Je suis toujours incapable d’évaluer la validité des sons que l’auteur a posés sur ce texte magistral, mais je salue la dignité de la démarche de ce compositeur qui marche (du moins "marchait", quand je l'ai croisé) toujours pieds nus, dit-il, pour rester en toute circonstance en contact direct avec la VIBRATION DU MONDE.
Voilà, pour ce qui est de la musique au 20ème siècle, quelques-uns parmi les « Justes » qui me semblent ne pas avoir cédé à la frénésie de l'innovation formelle à tout prix ; ne pas avoir tenté de détruire l'esthétique musicale par l'exploration dadaïste de ses contextes potentiels ; ne pas s'être contentés d'expérimenter tous les possibles offerts par l'évolution (je ne dis pas le "progrès") technologique du monde, juste pour voir quel "objet sonore" ça donne ; et ne jamais avoir oublié que ce n'est pas à l'oreille de s'adapter aux moindres caprices d'alchimistes des compositeurs, mais que c'est à la musique d'aller chercher l'oreille pour lui proposer l'écho de l'univers (quelle que soit cette entité) que l'artiste a pressenti au-dessus de lui et qu'il se donne pour tâche de transmettre. Je reste sur cette conviction : la personne du compositeur de la musique s’adresse-t-elle (ou non) à la personne de l’auditeur qui reçoit celle-ci, pour lui dire quelque chose dont il croit sincèrement que ça devrait l'intéresser ?
C’est, définitivement, pour moi, la « Ligne de Partage des Eaux ».
Voilà ce que je dis, moi.
Note : les deux billets qui précèdent font assez « Tableau d'Honneur » pour me dissuader d'en faire autant pour les arts visuels. Pour ce qui est des peintres contemporains qui, à mes yeux, méritent de figurer parmi les « Justes », c'est-à-dire qui n'ont pas renoncé à la tâche de se colleter avec la pâte de couleur (je rappelle que le calamiteux Andy Warhol disait lui-même qu'il trouvait ça "trop difficile", d'où la dérive de la pratique de l'art du peintre en direction du concept, de l'idée, de l'abstraction, de l'intellect et, pour finir, de la marchandise et de toute la veulerie que ça implique), le lecteur peut consulter les billets que j'ai consacrés à quelques-uns entre fin mars et début avril 2014. Et puis ici ou là.
09:00 Publié dans L'ARCON, MUSIQUE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique contemporaine, art contemporain, benjamin britten, war requiem, quatuor simple symphony, bernd alis zimmermann, requiem pour un jeune poète, requiem für einnen jungen dichter, krzysztof penderecki, threnody for the victims of hiroshima, arnold schönberg, kronos quartet, quatuor talich, la nuit transfigurée, philip glass, quatuor different trains, steve reich, gavin bryars, jesus blood never failed me yet, the sinking of titanic, arvo pärt te deum, györgy kurtag jatekok, charles ravier, liturgie pour un dieu mort, jacques rebotier requiem, valère novarina, philippe hersant lebenslauf, rainer maria rilke, philippe fénelon, ensemble a sei voci, bernard fabre-garrus, rachid safir, les jeunes solistes safir, élégies de duino, guillaume dufay, messe l'homme armé, thierry pécou, henri pousseur, denis dufour, stig dagerman, notre besoin de consolation est impossible à rassasier