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samedi, 15 juin 2019

ECOLOGIE = ANTICAPITALISME 2/2

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Donc l’anticapitalisme dont je parle n'est en rien "communiste", mais exclusivement écologique, et l'écologie authentique dont je parle est exclusivement anticapitaliste, sachant qu'il ne s'agit ici en aucune manière d'un choix "politique" au sens pépère (= gauche/droite), tout au plus d'un choix politique, au sens où l'entendaient les Grecs, impliquant la décision de tout le corps social dans le choix de son organisation et de son mode de vie.

Car le seul, l'unique, l'exclusif coupable des crimes écologiques actuels (pillage des ressources, destructions innombrables, poubellisation généralisée, ...), c'est le capitalisme industriel et productiviste. Et ce brillant résultat a été vendu à l’humanité grâce à un argumentaire où scintillaient toutes les promesses miraculeuses : l’arracher à la malédiction biblique de la souffrance et du travail, et lui apporter tout à la fois bonheur, prospérité, confort et raton laveur.

L’économie capitaliste a atteint cet objectif, inutile de le nier, et chacun (moi compris) est heureux ou désireux de profiter de ses apports. Au passage, c'est fou ce qu'elle a pu inventer et fabriquer en matière de ratons laveurs superflus et inutiles, pour amuser, divertir, détendre, détourner l'attention, etc. Et s'enrichir. Je veux évidemment parler des "gadgets" et autres marchandises sans utilité, le raisonnement étant fondé sur : « Qu'est-ce qu'on pourrait bien trouver à leur vendre ? ».

Cette réussite a été rendue possible par l’invention de toutes sortes de moteurs, je veux dire de moyens de produire de la force (vapeur, pétrole, électricité, …) par des moyens artificiels (je fais abstraction du moulin à vent, de la voile ou de la roue à aube, qui ne faisaient qu’utiliser – intelligemment – l’énergie produite par la nature). Avec le moteur, l’homme a forcé la nature à lui donner infiniment plus que ce dont elle était capable spontanément.

Bien sûr, un moteur consomme le potentiel énergétique qu'on lui injecte, et la quête effrénée de sources d'énergie qui en découle est une partie cruciale du problème actuel. Toute la civilisation actuelle repose sur le moteur et son carburant. C'est sur le moteur que l'humanité a fait retomber l'essentiel de la quantité de travail. Enlevez le moteur, que reste-t-il ? Tout le monde à la réponse : de combien de moteurs nous servons-nous dans une journée ?

Le capitalisme a donc réussi, mais d'une part en réservant tous les fruits de la récolte à une infime minorité de privilégiés (pays "riches"), et d'autre part en prenant soin, tout au long de son développement, de glisser sous le tapis toutes les saloperies que la machine qu’il avait mise en route jetait à tous les vents, dans toutes les eaux, dans tous les sols et dans tous les êtres.

Il y a maintenant plus d’un demi-siècle que de grands illuminés (la liste est connue) ont été assez perspicaces pour voir que le "développement" étendu à tous les pays conduisait à une impasse, que le tapis n'était plus assez grand pour tout cacher, et que les saloperies commençaient à déborder par tous les pores de la nouvelle civilisation. Ils furent aussi assez inconscients pour proclamer cette vérité à la face du monde, en tenant pour négligeable de passer pour des rigolos ou des faux prophètes. C’est pourtant eux qui avaient raison, c’est aujourd’hui avéré. Et il est sans doute trop tard pour remédier à la folie qui a produit la catastrophe à laquelle nous assistons sans trop nous en formaliser encore (ça commence à remuer vaguement, mais concrètement ? et à quel rythme ?).

Le capitalisme productiviste et technico-industriel s'est imposé il y a deux siècles. A partir de là, il a répandu le Mal (la démesure). Nos ancêtres y ont goûté : ils ont trouvé le Mal délectable, ils en ont vu les bienfaits présents, les bénéfices futurs et, pour tout dire les « progrès » promis à l’humanité. Ils ont donc accueilli le Mal à bras ouverts, avec joie et fierté, persuadés d’œuvrer pour le Bien. Ils ont bu jusqu'à l'ivresse le philtre d'amour du progrès technico-industriel offert par Méphisto (voir le second Faust, je ne sais plus dans quelle scène), qui devait rendre l'humanité puissante et invulnérable. Tragique erreur. 

Et nous-mêmes en sommes tellement gorgés qu’il est devenu indissociable de notre être. Qu'il est devenu notre chair, notre nature, c'est bizarre, mais c'est comme ça. Nous respirons capitaliste, nous mangeons capitaliste, nous buvons capitaliste, nous forniquons capitaliste, nous déféquons capitaliste, nous dormons capitaliste, nous éduquons capitaliste, nous pensons capitaliste, etc. La moindre de nos cellules est capitaliste jusqu'au noyau. Comment logerait-on un écologiste dans ce milieu hostile ?

En un mot : chacun de nous est tout entier capitaliste, de la tête aux pieds, du sol au plafond, du cœur à la peau, du fond à la surface et de la naissance à la mort. Mieux : chacun de nous (y compris moi) est en soi un capitalisme en réduction, puisqu'il en est le produit, et militant avec ça, puisque le fait de consommer alimente le système (comment faire autrement ?). Chacun de nous se trouve dès sa naissance petit porteur de tout le capitalisme. Chacun de nous devient dès lors une parcelle vivante du système capitaliste.

Nous n'avons pas le choix : au mieux, complices taraudés par le doute ; au pire, partisans enthousiastes. Qu'ils soient velléitaires ou résolus, portés par la mauvaise conscience ou par la haine, tièdes ou bouillants, qu'ils aient la ferme intention de détruire le capitalisme ou qu'ils travaillent à le corriger ou à l'améliorer, les ennemis du système sont eux aussi pris dans le système, et du coup sont bourrés de contradictions.

Je veux dire que nous sommes tous si intimement imprégnés de ce que le capitalisme a fait du monde et des hommes qu’il est absolument inenvisageable de nous enlever la moindre parcelle du système sans nous arracher un morceau vital de chair. Nous hurlerions sous la torture. Il suffit pour s’en rendre compte de voir ce que nous coûtera l’abandon de misères telles que les touillettes, les cotons-tiges, et tous les objets en plastique à usage unique. Ne parlons pas du smartphone.

Alors dans ces conditions, tout ce que proposent sincèrement les gens conscients, actifs et responsables pour que le pire n’arrive jamais, tous les appels aux gouvernants, aux puissants, aux industriels et même aux individus, tout cela n’est que poudre de perlimpinpin, miroir aux alouettes, faux espoirs et charlatanerie. Tous les « Discours de Politique Générale » de tous les Edouard Philippe auront beau se « teinter de vert » (« Plus personne  n’a aujourd’hui le monopole du vert ! », a-t-il textuellement scandé le 12 juin), on restera très loin du compte. Je dirai même : à côté de la plaque.

Et le succès de Yannick Jadot aux élections européennes reste, sur le planisphère des activités humaines, une voie de garage, même s'il indique la persistance d'un sentiment de culpabilité des populations à l'égard de la nature naturelle (enfin, ce qui en subsiste) : à quel taux de probabilité s'élèvent ses capacités d'action efficace ? Ses possibilités de transformer l'existant ? Combien sont-ils, les Verts, au Parlement européen ? Et qu'est-ce que le Parlement européen, dans le vaste chaudron de la mondialisation ?

***

Cette hypocrisie générale, ce mensonge n’est plus de mise. Thomas Piketty a bien raison d'intituler sa chronique du Monde du 9 juin 2019 "L'illusion de l'écologie centriste". Malheureusement, il se contente d'observer les jeux de vilains des politicards en présence, du coup la portée de son papier en souffre. Ce n’est pas de demi-mesures, d'accommodements courtois, de corrections à la marge, de remèdes de surface que l’humanité a besoin : ce serait d’un retour radical et volontaire à une conception raisonnable de tous nos rapports avec le monde. Carrément l'utopie, quoi !

C’est précisément cette conception que nous avons perdue et oubliée depuis deux siècles : nous avons quitté sans retour le monde ancien. Et malgré tous les hypocrites "c'était mieux avant" ou "c'était le bon temps", nous nous félicitons à chaque instant, par nos gestes mêmes, du fait que ce monde ancien nous soit devenu étranger (ringard, vieillot, suranné, etc.). Si par extraordinaire nous décidions de retrouver ce mode de vie (frugalité, sobriété, etc.), l’événement serait d’une violence insoutenable (y compris pour moi).

Vous imaginez la quantité astronomique de travail qui nous retomberait sur le dos ? Ce serait une conversion infiniment douloureuse. De façon plus réaliste, je crois que la perte est définitive et irréversible : on n'arrête pas une machine qui a les dimensions de la planète et qui régente l'existence de (presque) tout le monde..

Et si beaucoup de gens souhaitent "faire des gestes pour la planète" (nous culpabilisons), personne n'a vraiment compris. Je veux dire que personne n'est prêt (moi compris) à perdre tout ce qu'il faudrait pour retrouver l'équilibre perdu. Parce que ce serait individuellement trop coûteux. Sans même parler des efforts constants du système pour accroître sa puissance et son emprise, personne ne peut s'extraire de l'engrenage, même les écologistes convaincus, qui aiment se raconter de belles histoires (consommer "bio", circuits courts, agriculture raisonnée, permaculture, etc.). A quelle hauteur s'élève leur refus du système ? Leurs concessions au système ? Tout ça ressemble à : « Encore quelques minutes, monsieur le bourreau ! ».   

Il nous faudrait réapprendre tout ce que nos ancêtres connaissaient par cœur. Dans quelle école apprendrions-nous aujourd’hui ce dont nous nous sommes dépouillés avec soulagement et enthousiasme il y a deux siècles et dont nous avons perdu la mémoire ? Comment trouverions-nous, sept milliards que nous sommes, un terrain d’entente avec la nature, avec la planète, avec le monde, bref : avec les nécessités irréductibles de la nature et des éléments ?

Quel coup de baguette magique nous inculquerait le sens et le respect des limites à ne pas dépasser, que l’humanité a respectées pendant pas mal de millénaires, et dont nous avons fait en deux cents ans des guenilles indignes d’être portées, que nous avons jetées aux orties ? L'humanité présente éprouve une haine viscérale des limites, comme le montrent à profusion les inventions des "créateurs culturels" dans leurs spectacles où fourmillent la transgression, l'attentat aux tabous, le franchissement des limites. Après toutes les Déclarations des droits humains, à quand la signature solennelle de la Déclaration Universelle des Limites Humaines ?

L’humanité présente est une Cendrillon qui n’a pas entendu les douze coups de minuit : il nous reste la citrouille, les rats et les trous dans la pantoufle de vair. Grâce à la machine du capitalisme industriel et productiviste, l’humanité retournera dans son taudis avec les pieds écorchés.

Malheureusement, il nous reste quand même, indéracinable, le rêve de la splendeur du palais princier, le rêve des vêtements chamarrés du bal de la cour. Il nous reste le rêve du bonheur définitif, le rêve de l’abondance des biens, le rêve des fontaines où coulent l’or de nos désirs et les diamants de la certitude de pouvoir les assouvir : la créativité humaine (l'innovation technique) reste pour nous infinie, et nous n'avons ni les moyens ni l'envie d'inverser le cours de l'histoire.

L’humanité présente rêve. Elle vit dans un conte de fées. Elle a fait de la planète un Disneyland géant en même temps qu'une poubelle, et n’envisage à aucun prix d’en sortir. L’humanité, qui a les pieds dans la merde, ne renonce pas à ses rêves sublimes, et ce ne sont pas les écologistes qui la réveilleront. La réalité l’attend au coin du bois.

« La mort lui fit au coin d'un bois le coup du père François ».

"Grand-père", Georges Brassens.

En résumé, si, pour être écologiste, il faut détruire le capitalisme, il faudrait en même temps dire comment on fait. Jusqu'ici, le capitalisme a régulièrement prouvé qu'il était increvable : il a tout digéré, y compris ses pires ennemis. Paul Jorion déclarait assez justement que les capitalistes ne feraient quelque chose pour sauver la planète que si ça leur rapportait. Autrement dit : aucune issue. Tant que l'écologie ne consiste qu'en pratiques fort sympathiques, mais infinitésimales, soigneusement montées en épingle par ses partisans, et qu'elle n'a, à part ça, que des mots à opposer au système capitaliste, celui-ci peut dormir tranquille : il ne sera pas dérangé.

Moralité : être écologiste aujourd'hui, ça n'existe pas. Et ça n'est pas près d'exister.

Voilà ce que je dis, moi.

vendredi, 14 juin 2019

ÉCOLOGIE = ANTICAPITALISME 1/2

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Toutes les grandes âmes, politiques ou autres, se rendent compte aujourd’hui que les populations électorales et consommatrices sont de plus en plus préoccupées par l’état de la planète, le changement climatique, l’empoisonnement chimique de l’environnement et autres réalités antipathiques. En un mot, les populations sont de plus en plus sensibles aux questions écologiques.

Pour leur donner l’impression qu’ils gardent un peu la maîtrise des choses, tous les "amis du peuple" qui briguent ses suffrages ont inscrit la protection de l’environnement à leur programme, sous forme de quelques virgules verdâtres, quelques phrases de sinople ou quelques paragraphes smaragdins, bref : des déclarations d'intention. Disons-le : ils veulent juste faire joli, et ça ne tire pas à conséquence. Le programme du parti écologiste lui-même, dont le chef provisoire ne vise rien de moins que la conquête du pouvoir (déclaration récente de Yannick Jadot), est – et c’est logique – entièrement consacré à ce thème. 

Tous ces braves gens mentent effrontément. Ils mentent quand ils parlent de « développement durable ». Ils mentent quand ils parlent de « croissance verte ». Ils mentent quand ils enfourchent le cheval des « énergies renouvelables ». Ils mentent quand ils parlent de « consommateurs responsables » et de « tri sélectif ». Et la chaîne Biocoop se fout de nous, avec son slogan sur le "consommacteur". Pour résumer, dans la vie politique, l'écologie reste une potiche garnie d'une plante verte dans un coin de la scène où pérorent les responsables.

S’agissant d’écologie et de défense de l’environnement, il n’y a qu’une seule vérité : personne n’est écologiste s’il n’est pas résolument anticapitaliste. Aucun humain ne peut se prétendre écologiste s’il ne considère pas le capitalisme comme l’Ennemi à détruire. Toute autre position, qui accepte de transiger avec ce principe est une lâcheté, une tricherie, un mensonge, une imposture. Partant de cette prémisse, on aura beau chercher un écologiste avec une lanterne à la main, on n'en trouvera pas. Cela veut dire accessoirement que tout le monde ment, y compris les écologistes estampillés.

***

Le titre de ce billet est en soi un pléonasme. Pour être vraiment écologiste, il faut être un anticapitaliste résolu. J'avoue que, politiquement, le problème est difficile à résoudre. Dans les croyances les plus répandues, se déclarer anticapitaliste, c'est automatiquement être étiqueté bolchevique, marxiste, collectiviste, communiste, et toutes ces vieilles représentations armées d'un couteau entre les dents, où la planification autoritaire voisine avec la police politique, le Goulag, le KGB et les charmants souvenirs qu’a laissés le camarade Staline, petit père des peuples par antiphrase.

Cet anticapitalisme-là est une sinistre farce qui a été soigneusement entretenue par l'armée des agents de l'URSS à l'étranger connus sous le nom de "partis communistes". Car contrairement à la légende, l’URSS n’était pas anticapitaliste (Lénine a réprimé les premiers vrais soviets) : après 1945, elle fut seulement antiaméricaine. Et ça change tout. Ce qu'on nous a présenté pendant presque un siècle comme la patrie de l'anticapitalisme n'était ni plus ni moins qu'un autre système capitaliste, mais un capitalisme d'Etat, c'est-à-dire opposé au capitalisme à l'américaine, fondé, lui, sur la libre entreprise et l'initiative individuelle.

Dans l'un, tout était fait pour favoriser la libération des énergies des hommes entreprenants et courageux, dans l'autre, tout était administré par le couvercle d'une bureaucratie tatillonne et policière. – Soit dit par parenthèse, le rejeton bâtard de l'URSS nommé Nouveau Parti Anticapitaliste (Olivier Besancenot) ne fait que brouiller la donne. Heureusement : qui y croit ? Je ferme la parenthèse.

En dehors de cette différence – cruciale pour ce qui est des droits de l'homme – on aurait pu calquer à peu près le système soviétique sur le système américain : les deux s'entendaient à merveille pour faire de l’industrialisme et du productivisme à outrance l'alpha et l'oméga de la perfection des inventions humaines (voir par exemple la course à la bombe, la course à la Lune, les Jeux olympiques, ...). Le seul moteur qui alimentait l'antagonisme sauvage (quoique mimétique) que tout le monde prenait pour une incompatibilité de nature, une antinomie essentielle, c'était la performance dans tous les domaines possibles.

On se souvient du mythe de Stakhanov, ce "héros" du prolétariat mondial capable de remonter du fond de la mine cinq fois plus de charbon que le communiste ordinaire ; on se souvient de la souveraineté du "Plan" dont, systématiquement, le Soviet suprême concluait a posteriori que "le bilan était globalement positif". L'Amérique et l'URSS se sont simplement tiré la bourre pendant un demi-siècle pour savoir lequel des deux serait capable d'étouffer l'autre sous la masse supérieure de ses performances économiques, scientifiques et militaires chiffrées.

L'URSS a trahi tous les gogos qui ont cru aux "lendemains qui chantent". Une trop longue illusion qui a plongé toutes les gauches et les travailleurs de la planète entière dans la stupeur et le découragement quand l'imposture, au début des années 1990, s'est brutalement révélée pour ce qu'elle était, et que le "communisme" s'est désintégré sous nos yeux, dans une déflagration soudaine, comme par un effet de prestidigitation, où les apparatchiks purs et durs ont su se glisser du jour au lendemain dans le costume rutilant (et mafieux) des "oligarques" gourmands et forcenés. L'URSS abattue a laissé le champ libre aux Etats-Unis, qui ont pu croire que l'ennemi était définitivement à terre, et qu'il ne se relèverait jamais.

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Vignette quasi-conclusive de Les Secrets de la Mer noire, de Bergèse et De Douhet, n°45 de la série "Buck Danny". Le volume est paru en 1994 !!!

Pour ce qui est du productivisme, de l’industrialisme et de la destruction de la nature, USA et URSS s’entendaient comme larrons en foire, avec cependant une prime aux soviétiques qui se souciaient de la vie humaine et de la sauvegarde de l'environnement encore moins que les Américains (c'est tout dire), comme l’ont montré les premières interventions après l’accident de Tchernobyl (voir La Supplication, de Svetlana Alexievitch, Lattès, 1998). Et il paraît qu’il vaut mieux ne pas tremper un orteil dans les eaux de Mourmansk ou de la Mer blanche, à cause des déchets innommables qui y ont été immergés.

Le capitalisme, incarné par son champion américain, est un anti-écologiste endurci, c'est sa nature, on le sait. Mais son ennemi déclaré, la soi-disant anticapitaliste et "communiste" URSS, était encore plus anti-écologiste que lui. L'écologie est le seul anti-capitalisme authentique.

A suivre.

lundi, 02 juillet 2018

80 KM/H : CATASTROPHE NATIONALE

Etripage national sur la limitation à 80 km/h sur les routes à double sens sans séparateur central : voilà un beau débat national qui montre, d'une part, le niveau des vraies préoccupations des Français et, d'autre part, la suprême habileté d'un Emmanuel Macron dans le maniement du chiffon rouge, du rideau de fumée et de la diversion réunis. Que signifie, en réalité, au sujet de l'état moral et intellectuel de la France, cette guerre sur la limitation de la vitesse des véhicules automobiles ?

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Une du Monde daté 1 juillet 2018.

Premièrement, que la France éternelle, la France des droits de l'homme, bref, la France, est tombée bien bas quand il s'agit des questions essentielles, telles que la survie de l'humanité en milieu de plus en plus hostile. Deuxièmement, que monsieur Macron, dignitaire en chef de la nation, a compris à merveille comment, dans une période épineuse, on dirige l'attention fiévreuse du peuple dans diverses directions secondaires, des voies de garage où la vox populi s'enlise dans les sables mouvants de la controverse futile.

Emmanuel Macron n'a pas oublié la grande leçon de Mitterrand, qui avait, en je ne sais plus quelle année, dégainé Mazarine, sa fille secrète, au moment où ça chauffait pour lui parce que des fouineurs avaient déterré l'amitié indéfectible qui le liait à un certain René Bousquet, collabo notoire. Et je me pose la question, monsieur Macron : qu'avez-vous à cacher ? A faire oublier à tout prix ?

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Accessoirement, je note que les médias, bien disciplinés, le doigt sur la couture du pantalon, se révèlent caisses de résonance idéales aux bruits que fait le pouvoir pour détourner l'attention des gens du cœur du problème : la constante aggravation des conditions qui lui sont faites par le dit pouvoir depuis lurette (effondrement programmé de l'hôpital public, mélange public/privé présenté comme solution miracle à tout, dégradation constante des conditions d'enseignement, baisse constante des effectifs de fonctionnaires de l'Etat, privatisation de tout, etc...).

Pensez-vous que ce tableau noir soit la préoccupation prioritaire des Français ? NON. Les Français s'étripent au sujet de la limitation de vitesse sur les routes à double sens sans séparateur central. Allons, tout ne va pas aussi mal que certains mauvais esprits se complaisent à le dire ! On est fier d'appartenir à un pays capable de se chamailler au sujet des limitations de vitesse. Belle opération de diversion. Bravo, monsieur Macron : vous êtes un excellent prestidigitateur !

Elle est pas belle, la France ?

samedi, 14 avril 2018

ECOLOGIE POUR UNE AUTRE FOIS

Ce billet du 4 décembre 2011, remis en ligne aujourd'hui, a été assez amplement remanié (comme on dit dans un autre secteur : "Edition revue et corrigée").

Résumé : ce qu'on appelle la pollution n'est rien d'autre que le produit logique de tous les objets qui nous donnent confort et facilité.  

Mais je vais vous dire une bonne chose : la pollution, on n’en parlerait pas si cette façon de vivre était restée confinée et circonscrite. La pollution, on ne saurait même pas ce que c’est. Tu te rends compte, le bonheur ? Au lieu de ça, c'est l'angoisse. Et pourquoi ça, je vous le demande ? Parce que tous les non-occidentaux en ont voulu. Rien que des jaloux. Pas de la pollution : des objets dont nous sommes si fiers. Tu te rends compte, le culot ? Mais c'est la loi : si tu veux les objets, tu prends la pollution dans la foulée, c'est logique et forcé, c'est livré avec. Et plus on se met nombreux à les vouloir, ces sacrés objets, plus grosse elle va devenir, la pollution, c'est logique et forcé. Plus tu consommes, plus tu pollues. C'est proportionnel. Peut-être même que, à certaines conditions, ça peut devenir exponentiel.  

Et c'est vrai, si l'usage des objets fabriqués avait été réservé aux habitants de leur aire de production d'origine, en gros et pour résumer, l’Amérique du Nord, l’Europe occidentale, l’Australie et le Japon, je vous le dis, on n'en serait pas là ! Ce qu’on appelait, il n’y a pas si longtemps, les « pays développés ». Mettons un milliard d’individus. Qui vivaient tranquilles à piller la planète en bons pères de familles. Ça pouvait durer encore un peu. Disons quelques siècles sans se faire trop de mouron. 

Tandis que là, si tout le monde s'y met, ça ne va plus être possible. Qu’est-ce qui leur a pris, à tous les autres, de les vouloir, ces objets ? Ils vivaient heureux (pas les objets, ballot !). Un mode de vie simple, pas de livres donc pas de littérature écrite, une alimentation frugale, des ambitions modestes pour les enfants, pas d'impôts, une existence « à l’ancienne », héritée des ancêtres. Ils avaient tout, sans avoir nos objets. Bon, ils ne gagnaient pas lourd, mais comme la vie ne coûtait rien ... (remarquez que, à la réflexion, c'est peut-être ça, notre problème : que ça ne leur coûte rien, de vivre : une piste à explorer). 

Les femmes gardaient vivants quelques enfants, sur une vingtaine de grossesses. Au moins, la mortalité infantile n’était pas faite pour les chiens. C’était le bon temps. Personne ne se plaignait. C’était comme ça. Quand on excisait, il n’y avait pas vingt clubs de tiers-mondistes huppés et de droits-de-l'hommistes magnanimes pour vous tomber sur le râble et vous faire renoncer à vos coutumes séculaires et barbares.  

Notez que, pour la mortalité infantile, c’était du pareil au même chez nous, deux cents ans avant. Je ne sais plus quel médecin anglais a fait faire un bond à la fertilité finale des femmes quand il a enseigné le lavage des mains aux accoucheuses et à ses collègues (je me rappelle, en janvier 1973, mon étonnement et ma légère incrédulité quand j'avais vu l'accoucheur de ma première fille procéder à un très long et très méticuleux lavage des mains, au savon de Marseille et à l'eau froide, dans un lavabo du large et long corridor de l'ancienne Maternité de la Croix-Rousse, désormais ultramoderne). On a appelé ça le progrès. On y a cru. Dans le fond, c’est la médecine européenne qui a inventé la « bombe démographique ». 

C’est vrai que l’occident, en même temps qu’il voyait se multiplier les sympathiques « créateurs de richesse », le dollar entre les dents, a vu proliférer les indispensables « grandes âmes » (sens du mot magnanime). Comment, se sont-ils écriés, nous allons chercher chez les sauvages les matières qui nous permettent d’avancer sur la voie du Progrès, et nous les laisserions éloignés des bienfaits de ces avancées ? C’est le moment de leur envoyer la médecine, et puis tiens, tant qu'on y est, le docteur Schweitzer à Lambaréné avec dans ses bagages Raoul Follereau pour lutter contre la lèpre. C'est comme ça et pas autrement qu'on a allumé la mèche de la « bombe démographique ». 

La Terre parvient à son 1er milliard vers 1800, à son 2ème vers 1925, à son 6ème en 1999. Elle vient d’atteindre son 7ème milliard (ce sont les chiffres en gros). Aux dernières nouvelles, la Terre, encore toute grosse, aurait déclaré : « Je suis contente, et j’espère faire mieux la prochaine fois ». On se croirait à l’arrivée du critérium de Tence (Haute-Loire) dans les années 1960, quand Fayard arrivait toujours premier. On l’encourage. Et on applaudit très fort. « Tiens bon, la Terre ! Allez, citius, altius, fortius ! », comme aurait dit Coubertin ou son copain curé. 

Donc, le monde non occidental vivait très bien comme ça. Disons qu'il vivait. Et puis le monde occidental a débarqué avec sa médecine. Accessoirement et en même temps, il a voulu apporter l’occident en personne. Autrement dit, en plus de la médecine, les objets, le goût des objets modernes, ceux qui marchent à l’électricité et à l'essence, ceux qui sortent des usines. 

C'est qu'il fallait bien apporter la médecine au Tiers-Monde pour transformer les populations démunies, d’abord en autant de clientèles en bonne santé, ensuite en clientèles solvables. Parce que les usines occidentales crachaient leurs objets à jet continu et que les marchés des pays développés étaient saturés. Il fallait élargir à tout prix. 

On a donc imaginé toutes sortes de « marchés potentiels » pour écouler tous ces surplus. Hannah Arendt explique ça très bien dans Les Origines du totalitarisme (deuxième partie, je crois, celle sur l’impérialisme). Elle intitule d’ailleurs drôlement un paragraphe « Embarras suscités par les droits de l’homme ». Vous m’excusez de la remettre sur le tapis, c’était juste en passant. De toute façon, ce n'est pas tout à fait ça qu'elle dit. 

L’occident a donc exporté l’occident, partout où c’était possible, ce qui veut dire « partout ». L'occident a implanté l'occident dans le monde. Le monde s’est occidentalisé dans la foulée. Et la foulée, qu'est-ce qu'elle a fait ? Elle a continué. Et il faut le comprendre, le monde, il a voulu « vivre à l’occidentale ». C'est-à-dire avec l'électricité, l'essence et l'eau courante. Et quand l'Amérique a pris la tête de l'occident, tout le monde s'est mis à vouloir adopter l' « american way of life ». Ben oui : un Progrès décisif, pour le coup, mais une Catastrophe. 

Surtout l'électricité. Plus de courant ? Rendez compte ? Plus de télévision ! Autant dire plus rien. L'angoisse. Moi, j'en rigole, rien qu'à l'idée de la pléiade d'empaffés qui seraient radicalement privés de montrer leur trombine dans le poste, et d'en toucher les dividendes. Sur la paille, Nagui, Hanouna, Bern, Salamé. Réfléchis : combien de temps passes-tu dans la journée avec quelque chose qui marche à l'électricité ou à l'essence ? Trop. Et l'énergie, électrique ou pétrolière, il faut la produire. Eh oui, les petits enfants, c'est produire et consommer qui se sont mis d'accord pour faire la vilaine pollution.

Vous allez demander s'il est possible de produire sans polluer ? La réponse est oui, mais à deux conditions : d'une part le nombre, la quantité, et d'autre part la simple satisfaction des besoins. Si tu produis juste ce dont tu as besoin, pas de problème. C'est quand l'homme commence à s'ennuyer qu'il se met à éprouver des besoins dont il n'a pas besoin. C'est quand il ne sait plus à quoi elle sert, la vie qu'il vit : il a besoin de se remplir de toutes sortes de choses dont il n'a rien à faire en réalité.    

Vivre à l'occidentale, ça veut dire, en réalité, un poste de télévision dans chaque pièce de la maison, des frigos et congélateurs pleins à ras bord, des voitures, des ascenseurs, des téléphones portables, des ordinateurs, et tout le reste. Bref, vous avez compris, le « confort moderne ». Vivre à l'américaine (ou à l'occidentale), ça veut dire : avoir trop.  

Y a pas de raison que vous autres occidentaux soyez seuls à posséder tout ça. Tout le monde a droit au trop. Et quand on y réfléchit, on se dit que c’est bien vrai : il n’y a aucune raison rationnelle pour priver de nos bienfaits matériels les six milliards d’hommes qui n’en disposaient pas encore. 

Vous avez compris pourquoi la énième conférence sur le climat, qui a lieu en ce moment à Durban, en Afrique du sud, est vraiment très mal partie. On nous dit qu’il faut abonder un fonds mondial pour le climat. D’abord, je demanderai : « Quel argent ? ». Mais l’argent, on en trouve toujours quand c’est important aux yeux des gens importants. 

Ensuite, je demanderai : « Au nom de quelle raison et de quel principe l’occident empêcherait les pays pauvres (et les pays avancés des pays pauvres, les désormais fameux B.R.I.C.S.) d’accéder au même degré de bonheur matériel qu’il a pour son compte atteint autour de 1900 ou 1920 ? ». 

La plaidoirie est remarquable, non ? Merci pour l'orateur. C’est entendu, tout le monde a le droit d’être trop riche et de consommer bien au-delà de ses besoins, exactement comme les occidentaux. Il n’y a pas de raison. Comme ça, l’extraction forcenée des ressources (étape nommée « au départ ») va s’élargir et devenir furieuse, puis tonitruante, et la poubelle (étape nommée « à l’arrivée ») va se rétrécir, puis devenir minable. Et l'humanité va y élire domicile, dans la poubelle. Ce qu'elle a un peu commencé à faire. 

Vous savez comment ça va finir, en toute logique ? Les étapes « au départ » et « à l’arrivée » vont se confondre. Concrètement, ça va donner quoi ? Ben, ça me paraît évident. Quand l’extraction forcenée va arriver dans le mur, eh bien c’est tout simple, elle va extraire directement ce qui se trouve dans la poubelle. C'est pour ça que le recyclage a l'avenir devant lui. Pierre Dac, alias Sar Rabindranath Duval, poursuit illico : « Mais il l'aura dans le dos chaque fois qu'il fera demi-tour ». 

Oui, elle va extraire directement dans la poubelle le carburant qui actionne la production de produits. J’appellerais volontiers ça « la planète autophage ». Sauf que c’est ceux qui s’agitent dessus qui vont creuser le sol sous leurs propres pieds. Je vois bien les dessins d’un nommé Granger qui dessinait dans les années 1970. Un genre d’humanité autophage.

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Il a même dessiné les pochettes des premiers disques du génie musical que le monde entier nous envie : Jean-Michel Jarre (ci-dessus Oxygène, 1976, 18 millions d'exemplaires vendus dans le monde). Bon, c’est vrai qu’il fait plutôt dans l’esbroufe et le spectaculaire que dans le musical, ne parlons même pas de l’artistique, mais Michel Granger, en dessin, ça reste une pointure. Je ne sais pas ce qu’il est devenu. 

L’objectif, c’est que sept, puis neuf milliards d’humains puissent vivre « à l’européenne ». Non, ce serait injuste : autorisons-les à vivre « à l’américaine ». A l'européenne, il faudrait juste trois planètes identiques pour que ça soit viable. A l'américaine, c'est cinq planètes, qu'il faudrait. Comme ça, ce sera plus net. 

C’est bien vrai, finalement, que l’occident (américanisé jusqu'à l'âme) est schizophrène. D’un côté, l’économie, la richesse, le progrès, le confort, la croissance, la technique. De l’autre, les principes, la justice, les droits de l’homme, les grandes âmes (« mahatma », en hindi), l'humanitaire et la charité publique, internationale et "sans frontières". D’un côté, la liberté (de s’enrichir). De l’autre, l’égalité et la justice. On est donc devant cette belle équation à résoudre : comment continuer à croître, tout en voulant imposer la justice ? 

Drôle de paradoxe, quand même : liberté + égalité = planète invivable. Vous ne trouvez pas que c'est bizarre ? Et si vous ajoutez le troisième terme, la fraternité, je crois que c'est plutôt une sorte de guerre qui se profile à l'horizon, vous ne croyez pas ?  

Je la vois déjà, la planète à 9 milliards d’hommes égaux en richesse à l’Américain moyen d’aujourd’hui. Allez, gardons le sourire. Plus ce sera rapide, moins ce sera douloureux. C'est déjà ça de gagné.

On pensera à l'écologie la prochaine fois. Ou alors une autre fois. Ou alors ... 

Voilà ce que je dis, moi.

mardi, 03 avril 2018

LE RÉFUGIÉ SERA LE GENRE HUMAIN

Ils ont raison : laissons Macron détruire la SNCF. Laissons les ultralibéraux instaurer au plan mondial la "concurrence libre et non faussée", la dictature des marchés, la privatisation généralisée des services publics et de tout ce qui était commun, la compétition de tous contre tous, le règne de la force et de la logique économiques. Il faut que l'humanité devienne enfin une machine efficace, capable de "cracher du cash" comme un jackpot de machine à sous, mais sans cette maudite imperfection qu'on appelle le hasard. Les riches seront des rentiers, les pauvres seront de pauvres diables de plus en plus pauvres, qui erreront sur la planète à la recherche d'un peu de nourriture et d'abri. Un programme riche en potentialités de développement : excellentes perspectives donc pour l'industrie de l'humanitaire. Champagne, MSF ! Champagne, CCFD ! Champagne Human Rights Watch ! (ajouté le 3 avril)

 

17 décembre 2017

Des nouvelles de l'état du monde (12).

LE RÉFUGIÉ SERA LE GENRE HUMAIN

(air connu)

Rien ne se perd, dit-on. Le « Réfugié » moins que tout le reste. Plus vous avez de réfugiés, mieux les affaires se portent. Enfin, pour certains. Disons : pour certaines entreprises. Disons : pour Logistic Solutions, entreprise basée à Brie en Ille-et-Villaine, qui a fourni en 2016 plein de très beaux containers en métal blanc pour loger 1.500 réfugiés de la "jungle" de Calais. « On est là pour faire du business », lance un dirigeant de cette entreprise qui a de toute évidence l'âme altruiste. On l'aurait à moins.

Car le "réfugié" est un créneau porteur, voire un marché d'avenir, qu'on se le dise, porté par la vague de l'effondrement annoncé. Entre les réfugiés politiques, les réfugiés économiques, les réfugiés climatiques, les réfugiés religieux (chrétiens d'orient, yézidis, rohingyas, etc.), les réfugiés volontaires, les réfugiés touristiques, les réfugiés professionnels et tous les autres, l'armée des petits soldats de l'intervention humanitaire ne va bientôt plus savoir où donner de la tête, du cœur, de la main secourable et de l'intention louable. Parole de patrons : il va être de plus en plus juteux d'investir des sommes importantes dans le domaine de l'altruisme international, tant s'annonce prometteur le retour sur investissement. Vive l'effondrement, se dit-on dans les entreprises spécialisées !

C'en est au point qu'il y a des "sommets mondiaux de l'humanitaire" qui s'organisent depuis quelque temps, à l'image de celui qui s'est tenu en mai 2016 à Istanbul, sans doute pour commencer à "structurer le marché" et à se répartir les tâches. On y trouve absolument de tout, du plus humble article de camping ("lampe autorechargeable") jusqu'à la cité de containers, et à la ville de toile livrée clé en main (clé de montage Ikéa cela va de soi). On apprend au passage que le réfugié aime assez le camping, même si c'est parfois du camping très sauvage, y compris dans des endroits peu hospitaliers, dépourvus d'eau et de commodités. 

Il y a douze millions de personnes dans le monde qui vivent en camps de réfugiés. Alors vous pensez si ça vaut le coup de s'y intéresser. La demande a tellement enflé en quelques années de chaos variés et d'effondrements plus ou moins locaux, que les Etats ne peuvent plus suivre et que des organisations aussi puissantes et reconnues que le Haut Comité pour les Réfugiés (HCR) font de la sous-traitance à des entreprises privées (comme Logistic Solutions). 

Il faut dire que le HCR de l'ONU, dont le rôle était de colmater les minces fissures apparues sur les murailles compactes de l'action des Etats, doit désormais, vu l'élargissement des fissures en autant de brèches béantes, prendre en charge des tâches qui relevaient jusqu'alors de la responsabilité et de la souveraineté de chacun de ces Etats. Comme si, trop contents d'échapper aux accusations de maltraitance, le Soudan, la Jordanie, le Kenya, et combien d'autres Etats souverains, se désistaient au profit de la « Communauté Internationale », lui abandonnant une part de leur territoire (à condition qu'elle n'empiète jamais sur ses prérogatives régaliennes). Que ceux qui ne voient pas dans ces démissions de l'action publique une aggravation inquiétante lèvent la main.

Le PAM (Programme Alimentaire Mondial, encore l'ONU), sans doute fatigué de distribuer de quoi nourrir les populations en détresse, a même décidé d'ouvrir deux supermarchés dans le camp de Zaatari en Jordanie. Particularité : ce sont des groupes privés qui gèrent ces établissements. On les imagine sans peine en train de prospecter pour trouver le plus bel emplacement : il s'agit d'optimiser la fréquentation et les profits. La maison fera-t-elle crédit ? A-t-on pensé à la ceinture de barbelés ? Ben oui, quoi : il n'y a pas d'attitude plus anti-commerciale et indésirable qu'un pillage par des bandes de nécessiteux affamés et manquant de tout.

ZAATARI CAMP REFUGIES.jpg

ZAATARI

Il est à craindre qu'on demande prochainement aux 80.000 réfugiés de patienter quelque temps au camp de Zaatari (deuxième plus grand au monde, un aperçu ci-dessus, loin derrière Dadaab au Kenya, qui en compterait 500.000 ; ne parlons pas de Khor al Waral au Soudan, de ... et de ... sans oublier les camps palestiniens : douze rien qu'au Liban, ouverts entre 1948 et 1963, plus de 225.000 "habitants", 1.120.000 si l'on totalise tous les Palestiniens "réfugiés"), avant de retourner chez eux en Syrie. Habitants provisoires de lieux eux-mêmes provisoires, il n'est pas impossible qu'il leur faille un jour considérer comme logements définitifs les containers et les tentes dont la "communauté internationale" leur avait confié la garde pour un temps. On se console comme on peut, en se disant que containers et tentes, c'est tout de même mieux que les cartons de nos SDF et de nos clochards (au fait, qui a dit qu'il ne voulait plus personne à la rue avant la fin de l'année ?).

On est à peu près sûrs en effet que toutes les solutions improvisées dans l'urgence vont durer, et sans doute s'éterniser car, parmi tous les projets que les humains échafaudent pour donner une forme à leur avenir, l'hypothèse d'un chaos – global cette fois – est de moins en moins farfelue aux yeux des gens sérieux. Le camp de réfugiés deviendra peut-être la norme, vu que l'état d'urgence sera l'état normal de l'humanité. Eugène Pottier aurait dit : « L'état d'urgen-en-en-en-ce sera le genre humain » (en rythme, s'il vous plaît). S'il avait vécu aujourd'hui, c'est ça qu'il écrirait. Cela s'appellerait "L'Internationale". Pas sûr que ça fasse un hymne prolétarien.

Face à l'inflation promise des réfugiés – marché à l'expansion potentielle indéfinie – les Etats n'ont plus l'efficacité d'intervention voulue, ni les moyens nécessaires. Soyons juste : les Etats n'ont plus envie non plus. Heureusement, l'entreprise privée est là, fière et brave, pour relever le gant du défi. Fière et brave, mais pas désintéressée. Car l'instabilité mondiale grandissante ouvre d'excellentes perspectives et laisse entrevoir des opportunités inespérées pour qui a un goût très sain, une énergie gonflée à bloc et une intacte volonté d'agir et d'entreprendre. Produit final, fatal et délocalisé de l'instabilité géo-écolo-économo-politique, le réfugié est parti pour former ailleurs que chez lui l'ossature d'un futur système solide, durable et lucratif. 

Dans le mouvement mondial de la Grande Privatisation de Tout (GPT), les Etats se frottent les mains : ça tombe à pic avec la cure d'amaigrissement qu'ils ont commencée dans les années 1970, quand Reagan et Thatcher ont, d'un commun accord, décidé de « réveiller et libérer les énergies et les forces vives en sommeil dans la société » (en français : lâcher la bride aux appétits voraces et à l'enrichissement illimité des riches, on voit ce qu'il en est quarante ans après). Les Etats n'ont qu'une envie : se retirer du jeu, et laisser toute l'initiative aux forces du marché. Inutile de dire que les dites "forces" sont aux anges : le marché de l'humanitaire pèserait déjà aux environs de 20 milliards d'euros. De quoi boucher quelques dents creuses et de voir venir l'avenir avec le sourire.

Avis aux urbanistes visionnaires, genre Oscar Niemeyer (Brasilia) ou Le Corbusier (Chandigarh) : sachant que "le camp de réfugiés sera le genre urbain" (voir plus haut), lequel d'entre vous sera assez inventif et audacieux pour concevoir au meilleur coût le plus beau design pour la future "cité radieuse du Réfugié" appelée à en accueillir le prochain milliard dans les conditions définies par le cahier des charges de l'ONU (contenance, esthétique, confort, déontologie, lumière, commodités diverses, éthique, qualité des matériaux, etc. : ne jamais oublier dans un dossier de faire valoir l'argument de l'éthique, et encore mieux "l'éthique des droits de l'homme") ?

L'altruisme n'a pas de limites. Le monde a le cœur sur la main, à condition que ça rapporte. 

Voilà ce que je dis, moi.

Le contenu et le ton de ce billet, ouvert sur un avenir radieux en même temps que sur un monde meilleur quoique futur, ont été suscités par le compte rendu ("Réfugiés, un marché à part entière") paru dans Le Monde (16 décembre 2017), signé Mathieu Aït Lachkar, du documentaire diffusé dimanche 17 en soirée sur France 5 : "Réfugiés, un marché sous influence", de Nicolas Autheman et Delphine Prunault. 

lundi, 30 octobre 2017

ÉGYPTE ET DROITS DE L’HOMME

Même les plus belles idées sont parfois défendues par des « bas-de-plafond », qui dès lors leur font courir le risque d’être disqualifiées dans l'esprit du plus grand nombre, et de n'être plus que des cadavres de slogans. Prenez les droits de l’homme, par exemple : qui ose aujourd’hui s’afficher en opposition ouverte et frontale avec ces grands principes ? Quel hurluberlu dictateur aurait le culot de publier qu’il condamne la liberté comme étant contraire à l’idée qu’il se fait de la dignité humaine ? Le dictateur soucieux de le rester ferme sa gueule sur les principes et s’efforce de ne pas faire trop de publicité quand il les piétine de ses grosses bottes dans la réalité. Le dictateur soucieux de le rester connaît, fût-ce par ouï-dire, l'existence des droits de l'homme, et il sait que ceux-ci sont prompts à lui tailler une réputation s'il fait mine de les ignorer. Or un dictateur, on ne le sait pas assez, ça tient à sa réputation : il tient à se faire respecter, au moins que les convenances soient respectées.

Prenez, je ne sais pas, moi, Saddam Hussein : quand il a gazé des milliers de Kurdes dans les années 1980, il ne l’a pas crié sur les toits. Prenez Kadhafi : lui, qui avait la dictature arrogante, ne détestait pas voir des photos de lui dans les magazines du « monde libre », mais quand il s’occupait de ses opposants, il se débrouillait pour que ça se passe dans l’intimité, sans témoins et à l’abri de toutes les curiosités mal placées. Dans les deux cas, malgré les précautions, les échos de diverses atrocités franchissaient la frontière et se mettaient à courir jusque dans les cercles, ONG et « associations » qui s’étaient donné l’humanisme pour raison sociale, faisant au dictateur une fâcheuse réputation.

Ces défenseurs des droits de l’homme ne cessaient d'alerter les médias. En vain. Tout le monde savait que ces gens n’étaient pas fréquentables, y compris les gens installés sur les échelons du haut des sociétés moralement insoupçonnables. Mais qui se disaient qu’il ne faut pas confondre les principes avec les affaires et la géopolitique, et que s’il ne fallait fréquenter que des gens fréquentables, le commerce international ne s’en remettrait pas. Pour dire le mot, ils se faisaient un raison.

Qu’est-ce qui a poussé l’équipe de George W. Bush à mettre le fusil sur l’autre épaule et à devenir des auditeurs attentifs des « cercles, ONG et associations » ? Certains racontent que les fabuleuses réserves de pétrole recelées par le sous-sol de l’Irak n’étaient pas étrangères à la décision d’intervenir. Pour décider les autres à faire de même, en général rétifs, Bush inventa, on s’en souvient, l’ « Axe du Mal » et les « Armes de Destruction Massive » : il fallait selon lui en finir avec un dictateur qui foulait aux pieds les « valeurs » et les « principes sacrés » sur lesquels étaient fondées nos démocraties. On voit encore aujourd’hui le caca que l’Amérique vertueuse et soi-disant droit-de-l’hommiste ("exporter la démocratie", qu'y disaient) a semé pour très longtemps dans la région.

En Libye, le même scénario s’est déroulé, à la nuance près que le prétexte fut, cette fois, le massacre imminent, par le dictateur, d’opposants bien intentionnés, et en général pacifiques ou tout au plus armés de pétoires, disait-on. Certains racontent cependant aujourd'hui que Sarkozy, qui flirtait plus ou moins, paraît-il, avec le dictateur, avait intérêt à éliminer la source de futurs ennuis judiciaires en France. Toujours est-il que, à cause identique, effets identiques : il a suffi à tous les groupes et groupuscules de la région de piocher dans les arsenaux surabondants de Kadhafi assez d’engins de mort pour constituer autant de petites armées incontrôlables. On voit encore aujourd’hui le caca que les vertueux ont encore une fois semé dans toute la bande saharo-sahélienne.

Dans les deux cas, on peut dire que, si les principes avaient raison, le terrain a montré qu’ils avaient tort : les principes sont une chose estimable, mais ils ne sont jamais confinés dans un éther abstrait ou dans un absolu hermétique à la bassesse des préoccupations humaines. Si le dictateur est une figure du Mal, on est bien obligé de se dire qu'il n'y a pas que le Mal : il y a aussi le Pire. Et dans le pire des cas, il n'y a pas de honte à laisser tomber les principes pour un peu de lucidité sur la réalité concrète. 

Alors l’Egypte, à présent. Que s’est-il passé ? Quelques vociférations peu audibles ont accueilli le maréchal Al Sissi, le président en place, lors de sa visite officielle en France. Moins en tout cas que celles qui avaient accueilli Kadhafi, quand Sarkozy l’avait laissé en toute liberté planter sa tente de bédouin du désert dans la cour du majestueux hôtel de Marigny, à deux pas de l'Elysée. Al Sissi est-il un dictateur comparable à ceux dûment estampillés tels par la « communauté internationale » ? Rien n’est moins sûr : l’Egypte n’est ni l’Irak, ni la Libye. Et surtout, elle pèse d'un poids décisif à cause de son emplacement stratégique.

Que son régime soit autoritaire, c’est le moins que l’on puisse dire. Qu’il n’aime pas les opposants quels qu’ils soient, cela paraît clair, comme il est clair que le président ne fait pas grand cas des libertés individuelles. Mais pourquoi ai-je traité au tout début de « bas de plafond » les glapisseurs des droits de l’homme (André Breton et les surréalistes dénonçaient, eux, les « glapisseurs de Dieu », qu'ils envoyaient « à la niche », en 1948) qui se sont manifestés lors de la venue d’Al Sissi ? Parce que, pour ne pas encourir ce reproche, le minimum aurait au moins été de jeter un œil sur la situation égyptienne. Le droit-de-l'hommisme peut être très myope, car il se montre souvent incapable d'envisager la suite des événements. En clair : incapable d'envisager le Pire. Eh oui, disons-le : le dictateur est parfois un pis-aller.

Si l’on s’en tient au cahier des charges juridiques que s’efforce de remplir une démocratie, Al Sissi est un usurpateur, arrivé au pouvoir suite à un coup d’Etat, donc il est illégitime. Mais qu’est-ce qui a amené l’armée égyptienne, en dehors de ses intérêts économiques (considérables), à chasser du pouvoir Mohammed Morsi, le président élu, donc seul légitime ? Oh, sûrement pas un motif valable aux yeux du droit-de-l’hommiste de nos contrées : juste une succession de petits coups de force (une suite de coups d'Etat en miniature, parfois pas si miniatures que ça) commis, une fois élu, par Morsi et ses acolytes islamistes, par lesquels ceux-ci confisquaient à leur seul profit l’intégralité des pouvoirs politique, législatif et judiciaire, et qui avaient jeté, il ne faut pas l’oublier, des millions de protestataires dans les rues, réclamant l'intervention de l'armée.

Ce que préparaient les Frères musulmans en Egypte ? Certainement pas l’établissement d’une improbable et grande démocratie musulmane, mais ni plus ni moins qu’une jolie dictature religieuse intégriste, dans un pays proche de l'Europe et peuplé de plus de quatre-vingts millions d’habitants. La question que je pose aux droits-de-l’hommistes à cheval sur les principes est : qu’est-ce qui est préférable ? Le Mal, ou le Pire ? Saddam Hussein, ou le chaos présent ? Kadhafi, ou l’anarchie généralisée ? Un ordre injuste ou cette instabilité qu'on observe, et qui rend le monde de plus en plus dangereux ? L’armée égyptienne a-t-elle bien fait d’intervenir ? Je réponds oui : il y a les principes, et puis il y a les réalités politiques. Bêler aux principes face à l’offensive de l’islam rigoriste, ce n’est pas seulement de l’inconscience : c’est une mauvaise action.

On a assez vu en terre française ce qu’est capable d’accomplir l’islam des fanatiques pour ne pas en rajouter dans la surenchère des principes et des idéaux (qui croit encore à l'expression « la France patrie des droits de l'homme » ? Redescendons sur terre). Je m’étonne en passant que le droits-de-l’hommiste chargé de ses nobles intentions ne soit pas descendu dans la rue tout récemment pour défendre l’état de droit, que met à mal la nouvelle loi voulue par Macron et adoptée par les députés que ce DRH a embauchés, et qui fait entrer dans le droit ordinaire des dispositions de l’état d’urgence, pérennisant et banalisant une législation d’exception. A tant faire que de combattre pour les droits de l'homme, autant commencer par chez nous, non ? Réponse : ben non ! Les Français sont trop occupés à trembler pour leur sécurité pour penser à protéger l'état de droit. L'état de droit, c'est bon pour les Egyptiens !

jeudi, 04 février 2016

DÉCHÉANCE FRANÇAISE

Qu’elle était belle, la patrie des droits de l’homme, du temps de … du temps de … de quel temps, au fait ? On n'arrête pas de parler de déchéance de la nationalité, sans se poser aucune question au sujet de la légitimité de la double nationalité. Pourquoi cette possibilité est-elle offerte ? Il y aurait motif à y voir une injustice. Ben oui : à l'égard des pauvres Français qui n'en ont qu'une. Les Franco-Français, quoi.

Déchéance de nationalité, donc. Un moyen de communication très commode pour jeter un brouillard opaque sur la question fondamentale : l'installation durable de la France dans le régime de l'état d'exception. Quelques voix s'élèvent pour alerter sur la fin de l'état de droit que ce coup de force entraîne. On ne les entend guère. C'est toute l'idée que les Français devraient se faire de la France qui, par le fait, déchoit. 

Français, prenons plutôt exemple, une fois n'est pas coutume, sur Tarek Oubrou, l'imam de Bordeaux, qui a reçu des menaces de mort parce qu'il n'est pas assez "islamique", mais que ça n'a pas empêché de refuser la proposition d'une "protection rapprochée", avec gardes du corps. Ne changeons rien à notre façon de vivre. Les "Sentinelles" doivent retourner dans leurs casernes. Et tous les services (police, renseignement, ...) doivent faire leur boulot. Qu'on leur en donne les moyens par autre chose que des pouvoirs accrus.

Regardez-la, aujourd’hui, la patrie des droits de l’homme. L’œil sur les résultats de sondages massivement (paraît-il) favorables aux mesures d’exception, le chien Cerbère (Hollande-Valls-Cazeneuve), depuis le 13 novembre 2015, de ses trois gueules béantes, gronde, aboie, mord tous les "suspects" qui passent à portée de ses crocs. 

Pierre Grimal, dans son irremplaçable Dictionnaire de la mythologie, écrit : « Cerbère est le "chien de l'Hadès", l'un des monstres qui gardaient l'empire des morts et en interdisaient l'entrée aux vivants ».

CERBERE.jpg

Cerbère s’apprête a pérenniser l’état d’urgence en l’inscrivant dans la Constitution. Mais ça ne lui suffit pas : il s’apprête à faire voter une loi sécuritaire – une de plus – destinée à transférer toujours plus de pouvoirs et de liberté d’action des instances judiciaires vers les instances administratives. 

Et s’il faut vraiment croire que les sondages ne sont pas si fantaisistes que j’ai tendance à le croire, les Français applaudissent, réclament toujours plus de sécurité, de répression préventive. Les Français préfèrent les flics à la justice.

J'en conclus que, les Français, en conséquence, méritent Cerbère. Ils ne se rendent pas compte que Cerbère fut le gardien des Enfers. Je leur rappelle malgré tout comment finit la phrase de Pierre Grimal citée plus haut : « ... et en interdisait l'entrée aux vivants mais surtout, il empêchait d'en sortir ». A bon entendeur.

Et je crains que les trois têtes de son actuel descendant s’apprêtent à bouffer ce qui reste de leur âme. Et nul Héraclès aux alentours pour museler le monstre.

Cette France-là n’est pas la mienne.

Voilà ce que je dis, moi.

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dimanche, 03 mai 2015

L'ETAT DE DROIT FOUT LE CAMP

DELMAS MARTY MIREILLE.jpgY a pas que la littérature, dans la vie. Y a aussi des lectures sérieuses. « Nous l'allons montrer tout à l'heure » (air connu). 

L’inconvénient des formations juridiques, c’est qu’elles donnent en fin de parcours aux étudiants une tournure d’esprit excessivement attachée à la « lettre » du droit. D’où une certaine rigidité intellectuelle. Je ne sais pas si vous avez jamais mis le nez dans le texte de la « Convention Internationale relative aux Droits de l’Enfant » (1989) : à vous dégoûter de faire des enfants.

Et je ne parle pas du « Traité établissant une Constitution pour l’Europe », de sinistre mémoire, dont le pavé particulièrement indigeste (191 pages découpées en un déluge de parties, de chapitres, de sections, d'articles et de paragraphes), envoyé à tous les Français en 2005, leur a été enfoncé de force, légalement et démocratiquement dans la gorge par Nicolas Sarkozy, un peu plus tard, parce qu'ils avaient "mal voté" la première fois. 

Libertés et sûreté dans un monde dangereux (Seuil, 2010), le livre de Mireille Delmas-Marty n’échappe pas à cette rigidité. En revanche, si les formations juridiques ont l'inconvénient que j'ai dit, elles ont l'avantage qui en découle : précision et exactitude. On appellera ça la rigueur. Un certain aspect « scolaire », si l’on veut, dans l’effort de construction, un peu « dissertation », avec introduction générale, trois parties subdivisées et chaque fois introduites et conclues, et une conclusion générale. Personne ne peut se perdre sur un parcours aussi visiblement balisé. La supériorité indéniable de cette méthode, c’est son impeccable netteté.

Alors, de ce livre un peu ardu pour l'éternel néophyte que je suis dans la langue des juristes, je ne retiens pas tout. Je laisse en particulier de côté ce qui fait la complexité et les vents contraires qui agitent les relations entre les instances juridiques nationales, européennes et internationales, les subsidiarités, les conflits, les résistances. 

Je garderai juste la convergence de vues entre l’auteur et un juge dont j’ai lu récemment Le Rapport censuré (Jean de Maillard, voir mon billet du 9 mars), au sujet du poids incroyable que pèsent les Etats-Unis dans le domaine des relations (judiciaires et autres) internationales. Si je voulais résumer en simplifiant, je dirais que les Etats-Unis, non seulement se permettent tout quand leurs intérêts sont en jeu (Guantanamo, Bagram, …), mais font pression sur les autres nations pour qu’elles adoptent les mêmes critères qu’eux dans la « lutte contre le terrorisme ». Traduction : ils les y obligent, au motif de la loi du plus fort (le juge Maillard parle des transactions commerciales en dollar, qui doivent impérativement passer par une banque américaine sous peine de).

Ce qui m’a en revanche intéressé au plus haut point dans le livre de Mireille Delmas-Marty, c’est tout ce qu’elle dit de l’évolution inquiétante du droit, qu’il soit national ou international. Et pas dans le sens de l’Etat de droit. Je le dis tout net : tout en n’étant pas juriste, j’ai trouvé passionnante l’analyse qu’elle fait de deux conceptions opposées du droit, qui renvoient à deux conceptions antinomiques de l’humanité, l’une de tradition « humaniste », l’autre de tradition « guerrière ». Les gens au courant trouveront sûrement "basique" cette petite leçon de philosophie du droit. Elle est à mon niveau.

En France, traditionnellement, la justice attend qu'un individu ait commis un délit ou un crime pour le juger et le condamner, après établissement irréfutable des faits. L’auteur appelle cela « le couple culpabilité / punition », ajoutant que cette « école pénale » est « fortement influencée par Kant et Beccaria », c’est-à-dire qu’elle repose sur « l’universalisme des droits de l’homme » (p. 84-85)

Mais elle repose aussi sur l'idée que l'individu, sauf circonstances spéciales, sait ce qu'il fait. Il est mû par la raison, il est libre, donc il est responsable. "Justiciable", comme on dit. Le corollaire, c’est que personne ne peut être poursuivi avant. C’est l’acte qui fait le délinquant. C’est l’infraction qui justifie la poursuite. C’est un individu particulier qui est présenté au juge ("individualisation de la peine"). 

Or il existe une « école pénale » qui prône des idées radicalement autres. Une école dont la philosophie repose sur une « anthropologie guerrière ». Une école « positiviste », qui fait de l'homme, non un être libre et responsable, mais un être entièrement déterminé. Une école fondée par un certain docteur Lombroso au tournant du 20ème siècle. Une école qui invente le concept de « criminel-né ». Un juriste allemand, Carl Schmitt (1932), ira jusqu’à formuler l’idée d’ « ennemi absolu ». Deux concepts qui semblent s'imposer de nos jours.

Cette école divise donc l'humanité en une masse de gens normaux d'une part, et d'autre part une catégorie d’humains naturellement prédisposés à commettre des crimes. Des humains dans lesquels le Mal est inné (à supposer que tous les autres en naissent exempts). Mais le soupçon peut se porter pratiquement sur n'importe qui, étant donné que cette prédisposition ne se porte pas sur le visage. La preuve, c'est la stupéfaction des voisins quand le père tranquille tue sa femme, ou autres circonstances tragiques.

Selon cette conception, on ne parle plus de « culpabilité », mais de « dangerosité potentielle ». On ne parle plus de « peines de prison », mais de « mesures de sûreté », aux contours éminemment flous, à durée indéfinie. Ce n'est plus ce que vous avez fait qui compte, mais ce qu'un collège d' « experts » vous aura jugé capable de commettre dans l'avenir.

Autrement dit, on passe du diagnostic (acte avéré) au pronostic (acte potentiel, virtuel ). Sarkozy, on s’en souvient, était même allé jusqu’à proposer un « dépistage » précoce (dès trois ans) de la dangerosité future des enfants. Si vous enfermez un type pour des actes qu’on l’imagine potentiellement capable de commettre, il passera sa vie derrière les barreaux, plus sûr moyen de ne jamais savoir s’il en aurait commis.

Autrement dit, dès la naissance, il y a les humains et les autres. Des « monstres », pourquoi pas. Souvent présentés comme tels, en tout cas. Cette conception est éminemment anti-humaniste. Je reste convaincu qu'Adolf Hitler, Staline, Pol Pot et consort ne sont pas des monstres inhumains, mais qu'ils font hélas partie de l'espèce humaine. Hitler et Pol Pot sont nos semblables. Je déteste l'idée, mais je la crois vraie. L'horreur est humaine, trop humaine.

De plus, Mireille Delmas-Marty pointe, chez Carl Schmitt, une tendance à assimiler dans la même personne l’ « ennemi absolu » et le « criminel-né ». C’est-à-dire qu’il fusionne potentiellement deux institutions : celle destinée à maintenir l’ordre et celle destinée à défendre le territoire national contre une attaque étrangère.

Maintien de l’ordre et guerre reviendraient alors à une tâche unique. Armée et police même combat, avec pour conséquence l'extension de la notion d' « état d'urgence » dans le temps et dans l'espace, avec toutes les restrictions à l' « état de droit » que cela suppose. Je pose la question : qu'est-ce que c'est, l'opération « Vigipirate » (à laquelle vient de succéder « Sentinelle ») ? La « loi renseignement » est du même tonneau.

Elle cite un certain Gunther Jakobs, qui réclame le droit pour la société de « se défendre par des mesures radicales comme l’internement de sûreté ou la création de camps du type de celui de Guantanamo ou de Bagram ». Le vocabulaire employé pour justifier aujourd'hui l'action de l'armée française en Afrique et ailleurs (« Sécurité » ? « Maintien de la Paix » ? « Guerre au terrorisme » ?) est assez élastique pour tout confondre.

Pour le coup, l'état d'urgence tend à se pérenniser, étant entendu que l'urgence devient une norme permanente. C'est comme la drogue : ça commence par le plaisir, ça continue par la dépendance, et après une phase d'accoutumance (augmentation incessante de la dose), ça finit par une overdose.

Ce qui ressort, en définitive, de tout le livre, c’est ce qu’on voit se développer dans toutes les directions depuis le 11 septembre 2001 : la collecte généralisée des données, en particulier des données personnelles. Le nœud coulant policier, dans le monde entier, se resserre autour du cou des individus, que ce soit pour des raisons commerciales (profilage algorithmique des habitudes des consommateurs) ou pour satisfaire le besoin toujours accru de sécurité collective (repérage de mots-clés supposés se rapporter au terrorisme). 

Tout cela se passe avec la complicité des plus hautes instances juridiques (Conseil constitutionnel en France, Cour constitutionnelle de Karlsruhe en Allemagne, …) qui avalisent, non sans contradictions, des lois restreignant les droits, même si d’autres institutions font de la résistance (Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), par exemple). 

Bref, en plein débat sur la « loi renseignement », ce livre de 2010 est encore plus actuel, et devrait alerter les défenseurs de ce qui reste de l’ « état de droit ». Un témoignage de plus sur l’aspect peu ragoûtant du monde qui est en train de mijoter sur les fourneaux de tous les pouvoirs. 

Merci madame, pour la confirmation. Total respect.

Voilà ce que je dis, moi. 

 

Note : Je passe sous silence l'optimisme de commande que Mireille Delmas-Marty manifeste en conclusion. Elle préfère parier sur la raison des hommes et leur « communauté de destin », plutôt que sur la crainte que s'établissent des « sociétés de la peur ». Je veux bien. C'est son droit. En tant que grande universitaire, elle ne se sent peut-être pas le droit de faire autrement. On n'est pas obligé de partager cet optimisme, vu les évolutions actuelles sur de multiples terrains différents (politique, société, économie, écologie, ...). 

mercredi, 05 février 2014

HOLLANDE PIRE QUE SARKOZY ?

François Hollande, impuissant face à ses ennemis (enfin, c'est ce qu’il disait à propos, par exemple, de la « finance internationale », ricanons un peu), se résigne à agir sur des réalités qui ne sont pas hors de son bon vouloir : les lois. Puisqu’on ne peut changer les choses, par exemple cette absurdité logique et mathématique de « l'inversion de la courbe du chômage », raisonne-t-il, on va s'en prendre au vocabulaire : changeons les mots, changeons le sens des mots, réécrivons le dictionnaire où se trouvaient rassemblées les définitions de la société et du sens de la vie en commun.

 

En s’attaquant à ça, il a mis le feu. Et ça l'étonne ! Enfin non : il fait semblant d'être choqué. Il est vrai qu’avec ses débats sur « l’identité française », Sarkozy avait mis en place quelques éléments du brasier. Cela a en effet donné le mariage des homosexuels et l’interdiction du spectacle de Dieudonné. Que la droite de la droite ait profité de l’aubaine pour s’engouffrer dans cette brèche, rien de plus explicable. Mais il ne faut pas oublier qu’ils ne sont pas les seuls. Et qu'il y a des gens normaux qui pensent depuis le début beaucoup de mal du mariage homo (sans être homophobes) et de la censure de Dieudonné (sans être antisémites).

 

Il est vrai que s’il fallait que je me situe politiquement, je serais très embarrassé. Que voulez-vous, dans notre « démocratie par procuration », où l’on demande aux populations d’abdiquer leur volonté entre les mains de « représentants », eux-mêmes pris dans les filets de systèmes ou d’entreprises de pouvoir (des « partis politiques », qui ne sont plus rien d'autre que des machines à arriver au pouvoir) qui détiennent les clés qui ouvrent ou ferment les portes donnant sur les instances de décision, j’ai beau regarder à droite et à gauche, je ne vois personne qui défende une idée plus haute que la somme des officines en présence.

 

Ils baragouinent au sujet « des Françaises et des Français », mais aucun pour parler un peu noblement de « La France ». Ce qu’on appelait autrefois « le Sens de l’Etat ». Je ne fais pas exprès de ne pouvoir me reconnaître dans aucun des guignols qui aspirent au pouvoir ou qui l'exercent présentement. Je reviens à mes trois moutons. Voici le troisième.

 

La troisième et dernière affaire en date que je retiens est celle de l’ « ABCD de l’égalité garçon-fille », lancée par le pauvre franc-maçon Vincent Peillon, accessoirement ministre de l’Education. C’est sûr que la droite (« forte », « dure » ou « extrême », je m’en fous) a dévié la trajectoire de son but initial, en dénonçant ici la théorie du genre. Cela veut dire qu’un certain nombre de connards calculateurs ont loupé une occasion de se montrer républicains. Vous voulez savoir ce que j’en pense ? Eh bien tant pis, je vous le dirai quand même.

 

« L’égalité garçon-fille », vous n’avez pas deviné à qui c’est destiné ? A mon avis, c’est l’évidence : aux populations d’immigrés et descendants d’immigrés qui vivent dans des « quartiers sensibles », essentiellement musulmans, où les filles, quand elles ne sont pas victimes de « tournantes » dans des caves lugubres, préfèrent s’habiller dans des survêtements amples, dans lesquels leurs formes sont suffisamment dissimulées pour qu’aucun petit caïd de onze ans n’ait le culot de les qualifier de salopes et l'envie de leur sauter dessus à plusieurs pour les violer.

 

Sans parler bien sûr de la mini-jupe. Heureuses et libres, dans ce contexte préfigurant la société terroriste que les talibans vont bientôt imposer de nouveau en Afghanistan, doivent se sentir les filles qui ont choisi, hélas, de s’habiller de noir de la tête aux pieds (sans oublier les gants, j'espère). Dans ce contexte, mais dans ce contexte seulement, l’ABCD de l’égalité garçon-fille se comprend et doit être considérée comme une excellente idée. Je vous étonne, hein !

 

Malheureusement pour le gouvernement, pour une fois bien intentionné, cela ne peut en aucun cas être dit officiellement, sous peine d’être aussitôt l’objet d’une QPC, recours auprès du Conseil Constitutionnel comme Question Prioritaire de Constitutionnalité. Les (paraît-il) « Sages » de la République auraient immanquablement censuré, au motif du sacro-saint principe d’égalité qui, considéré et régnant comme un impératif absolu, a déjà commencé à tuer notre pays.

 

Le Cons. Cons. est censé veiller au strict respect (paraît-il, ça reste à voir) de l’universalité des lois. A noter que le problème est strictement le même que lors de l'adoption de la loi sur le voile islamique, où le législateur a été obligé de se déguiser du masque de l'universalité en interdisant à tout le monde (et à toi, et à moi, et à l'autre, etc.) de dissimuler son visage sur la voie publique. On se rappelle les glapissements que cette loi avait suscités.

 

Je m’explique : de même que nul ne peut s'en prendre à des croyances, de même il est rigoureusement impossible de demander aux gouvernants en général et à Vincent Peillon en particulier de dire que ce programme éducatif n'est en réalité destiné qu'aux Arabes et aux Noirs installés en France depuis plus ou moins longtemps.

 

Vous imaginez le schproum gigantesque que ça ferait, la gauche de gouvernement accusée de discrimination raciale ? Les « associations », tout ce qui existe d'antiraciste ou d'antifasciste, toutes les bonnes âmes altruistes des droits de l'homme auraient glapi à la « stigmatisation », péché très à la mode.

 

Vincent Peillon, en instaurant  l’ABCD, selon moi, a donc été obligé de prendre une mesure revêtue du sceau de l’universalité. Et c’est là que ça cloche, parce que si l’on sait dans certains territoires de France que les filles qui se maquillent se font traiter de putes, on sait aussi que ce n’est pas le cas partout ailleurs, et que l’égalité garçons-filles est la règle dans la plupart des lieux.

 

La stupidité paradoxale de ce programme éducatif saute ainsi aux yeux : établi pour une toute petite minorité de la population, bien ciblée sur des communautés imprégnées de la culture islamique traditionnelle, où le statut de la femme est assujetti à la loi masculine, il est obligé, pour éviter les foudres de la censure constitutionnelle, pour ne pas risquer d’être accusé de « stigmatiser » qui que ce soit, de prendre le masque de l’universalité et d'être mis en application absolument partout, au risque de prêcher (et de fatiguer à force de rabâchage) la grande masse des déjà convaincus. Au cas où je verrais juste, je ne m'en dirais pas moins qu'il y a quelque chose de pourri au royaume des borgnes, où ce sont les aveugles qui font la loi.

 

Ensuite, que des escrocs jettent la panique chez des parents d’élèves en mettant sur le tapis la théorie du « genre », je considère ça comme un épiphénomène, qu’il faut être au moins journaliste pour traiter comme un événement majeur. Les journalistes – pas tous – me font penser à ces girouettes que les courants de l’air du temps font tourner sur leur axe, successivement dans toutes les directions.

 

Disons à leur décharge que c’est dû à la féroce guerre commerciale à laquelle se livrent les différents supports médiatiques dans la collecte de la manne publicitaire, guerre qui les oblige à faire le plus de mousse possible pour attirer le consommateur, en espérant affoler les compteurs chargés de mesurer leurs audiences respectives.

 

Pendant ce temps, le lecteur, l’auditeur, le téléspectateur – l’ordinaire et l’à peu près raisonnable, le citoyen normal, pour résumer – se lamente en vain et se ronge les ongles, s'il lui en reste.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

lundi, 03 juin 2013

QUI EST NORMAL ?

 

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HENRI MATISSE, PHOTOGRAPHIÉ PAR HENRI CARTIER-BRESSON

***

 

J’ai donc décidé de réhabiliter le mot « normal », ainsi que son frère ennemi « anormal », et de les rétablir dans l’honneur dont une modernité aussi légère qu’inconséquente les avait injustement privés. Dans le couple « normal / anormal », la barre oblique fait office de frontière. Les philosophes et les linguistes appellent ça un discriminant. Qu'est-ce qu'un discriminant ? « Qui établit une séparation entre deux termes » (Nouveau Larousse illustré, 1903). Le même dictionnaire définissait "discrimination" : « Faculté de discerner, de distinguer ». 

 

Inutile de préciser que c'est cette barre oblique qui donnait de l'urticaire à tous les abolisseurs de frontières qui, sous prétexte de lutte pour les droits et pour l'égalité, n'ont rien trouvé de mieux que d'envoyer dans l'enfer de la bien-pensance la notion même d'anormal, en l'assortissant du poids infâme de la culpabilité, et en faisant de la « faculté de discerner, de distinguer » (la barre oblique) une sorcière à envoyer au bûcher séance tenante.

 

Le mot « anormal » est désormais un pestiféré. C'est même le couple « normal / anormal ». Peut-être une preuve que l'idée même de norme a définitivement filé à l'anglaise, déménagé à la cloche de bois, disparu à l'horizon. Puisque "normal" égale "anormal", plus besoin des termes. C'est logique.

 

Je ne me défais pas pour autant d’une certaine méfiance envers le mot, et je dirai pourquoi. Cette méfiance date au demeurant de bien avant les caricatures qui en ont été faites, me semble-t-il, au sortir de la 2ème guerre mondiale. Peut-être même dans les années qui ont suivi les « événements » de mai 1968. Ces « heureux temps » (paraît-il) où il était « interdit d’interdire ».

 

On pense ce qu’on veut de mai 68. De toute façon, tout ça n’a plus guère d’importance. Ce qu’a véhiculé mai 68 dépassait de très loin les petits lanceurs de pavés et autres goguenards se foutant des CRS sur les photos de Gilles Caron (DCB pour ne pas le nommer). photographie,henri matisse,henri cartier-bresson,normal,anormal,larousse,définition,dictionnaire,il est interdit d'interdire,gilles caron,daniel cohn-bendit,crs,mai 68,l'internationale,eugène pottier,pierre degeyter,europe,amérique,droits de l'homme,licra,mrap,cran,lgbt,ong,milosevic,pol pot,hermann,bande dessinée,onu,guerre yougoslavie,michel foucault,pierre bourdieu,mariage pour tous,mariage homosexuelMai 68, dans ses soubassements, c’était une civilisation qui voulait en déloger une autre. Où l’Amérique avait décidé de virer la vieille Europe d’un coup de pied occulte.

 

« Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi ! », lisait-on alors sur les murs. Sous-entendu : le vieux monde avec le carcan insupportable de ses normes admises. Si Eugène Pottier et Pierre Degeyter avaient pu imaginer que leur chansonnette triompherait dans la réalité vers la fin des années 1960, peut-être auraient-ils brûlé leur manuscrit de L’Internationale, avec son célèbre : « Du passé faisons table rase … Le monde va changer de base ». Et c’est l’Amérique protestante qui est à l’origine de ce triomphe. Mais ne nous égarons pas.

 

Car le monde a vraiment changé de base. A la poubelle de l’Histoire, les valeurs universelles. Quant aux Droits de l’Homme, en dehors de donner lieu aux glapissements de justiciers autoproclamés (ONG, « associations » genre Licra, Mrap, Cran, Lgbt, etc.) érigés en gendarmes moraux de l’humanité, et pointant leur « Gros Doigt Grondeur » sur tous les Milosevic et Pol Pot coupables d’abominations, que sont-ils devenus, dans la réalité concrète ? 

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Je précise : « Gros Doigt Grondeur » se réfère à la très belle BD Sarajevo Tango (1995), où Hermann rend hommage aux défenseurs de la capitale bosniaque et ridiculise la « communauté internationale », au temps de la guerre de Yougoslavie, époque où l’ONU impuissante et réduite aux rodomontades et remontrances était « dirigée » par un certain Boutros Boutros Ghali. Il y a aussi un président « Franz Mac Yavel Druhat-Delohm » (je suis d’accord, ça fait un peu épais). Mais ne nous égarons pas. 

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Disons donc qu’être « normal » est considéré comme une tare depuis le mouvement de transformation idéologique qui a achevé d’installer la société de consommation vers la fin des années 1960. C’est à partir de là qu’il est devenu de plus en plus risqué de parler des « anormaux » et d’affirmer la valeur des « normes », devenues de plus en plus intolérables à mesure qu’était mis au jour leur caractère « arbitraire », arbitraire voulant dire « lié aux circonstances spatio-temporelles » qui ont présidé à leur établissement. C’est le règne de la contingence : l’essence est très mal vue, « essentialiste » étant devenu une injure, valant disqualification automatique.

 

Nos institutions, c'est entendu, sont le résultat contingent de circonstances historiques données dans une région donnée du monde. A ce titre, elles ne sont porteuses d'aucune vérité absolue, c'est entendu. C'est entendu, il y a de l'arbitraire dans nos institutions, parce qu'elles résultent de conventions établies entre les membres de la société française. 

 

Qu’importe que toute institution humaine entre dans cette définition, puisqu’il s’agit précisément de « déconstruire » les dites institutions, regroupées sous l’appellation générique « ordre établi » (Foucault, Derrida, auxquels on peut ajouter Bourdieu, bien que pour des raisons différentes).

 

Toutes les institutions humaines dépendent des conditions qui furent celles de leur élaboration, en un temps et en un lieu donné, nous sommes d’accord là-dessus. Est-ce à dire pour autant qu’elles sont toutes à chier comme des coliques ?

 

S’il en était ainsi, les « déconstructeurs » ne s’en prendraient pas seulement aux structures mises au monde par la société française, et soumettraient au même régime draconien que celui qu'ils lui font subir toutes les institutions élaborées depuis l’aube des temps dans toutes les régions du monde. On verrait alors ce qu'il en reste, des institutions, mais aussi des élucubrations déconstructionnistes.

 

Franchement, j’attends qu’on me dise ce qui fait que, dans l’intégralité des sociétés humaines telles que nous en avons connaissance aujourd’hui, seules nos institutions à nous (je pense évidemment au mariage) méritent pareille flagellation.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

vendredi, 24 mai 2013

QU'EST-CE QU'UN SOCIALISTE ?

 

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COUP D'OEIL SUR LE PARADIS D'UNE VRAIE SOCIÉTÉ SANS CLASSE

 

***

La justice vient donc de condamner Madame Sylvie Andrieux à trois ans de prison, dont deux avec sursis. Si elle a le culot de faire appel (nous sommes, paraît-il, dans un Etat de droit, donc …), elle n’ira pas en taule, au moins pour le moment. 

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LE PROGRES DU 23 MAI

(notez que "3 ans dont 2 avec sursis" et "1 an ferme", ça ne sonne pas du tout pareil)

Elle appartient à une formation qui fut il y a bien longtemps pressentie pour « porter » les aspirations d’une foule de croyants de gauche espérant l'avènement d'un monde meilleur (s'il vous plaît, on veut quelques miettes du gâteau), qui ont persisté dans leur aveuglement en élisant François Hollande, et qui ont attendu stupidement, après l’avoir élu, que des instituts de sondage leur tendent le micro pour dire tout le mal qu’ils pensent désormais de celui-ci et qu’on ne les y reprendra plus. Trop tard ! Ils n'avaient qu'à pas !

 

La formation à laquelle appartient Sylvie Andrieux ? Mais c’est le Parti « Socialiste », voyons ! Cela vous dit quelque chose, PARTI SOCIALISTE ? Celui-là même de Jérôme Cahuzac (le Chevalier blanc,  la Terreur des fraudeurs). Celui de Jean-Noël Guérini, de Dominique Strauss-Kahn, de Jean-Pierre Kucheida (condamné à 30.000 euros d'amende pour abus de biens sociaux), de Julien Dray, collectionneur de montres, de Jean-Michel Boucheron, ancien maire d’Angoulême, de Joseph Delcroix (affaire Urba Gracco), de … etc.

 

Voilà l’état de cette « gauche », passée maîtresse dans la pratique de la distorsion qui oppose les mots et les choses, les mots ayant fini par « s’incliner devant le principe de réalité ». Pour dire la même chose, en clair et en bon français, elle a fait comme le Général Dumouriez le 5 avril 1793 quand il passa à l’ennemi avec armes et bagages. On peut résumer le Parti « Socialiste » au comportement de Dumouriez sous la Révolution.

 

Traduit en réalité politique d’aujourd’hui, ça veut juste dire que le Parti « Socialiste » s’est converti comme un seul homme à l’économie de marché. Il appelle cette opération « changer de logiciel », pour faire moderne et branché. Pour appeler un chat un chat, disons qu’il a trahi, et puis c’est tout. Ben oui, j’ai voté François Mitterrand en 1981, je ne me le suis jamais pardonné, et mes doigts portent encore les plaies que je m'y suis infligées pour les avoir longtemps mordus.

 

Quand certains osent aujourd’hui sans rire soutenir qu’il y a en France une « gauche » et une « droite », de deux choses l’une, ils sont soit des cons, soit des salauds. Aveugles ou menteurs, choisissez.

 

UMP et PS ne sont plus des partis politiques, ce sont des entreprises qui se disputent un marché, et qui règnent tour à tour sur un peu plus ou un peu moins de la moitié de la population, que celle-ci ait voté ou non. La différence entre ces deux entreprises, c'est la place des virgules dans le programme. Et les noms des patrons.

 

Il n’y a donc plus de gauche en France, malgré les rodomontades et l’esbroufe d’un Jean-Luc Mélenchon. La scène « politique » en France est dominée par deux « partis » de droite, l’un pas trop loin du Front National, l’autre plus près d’un « centre-droit » genre « chrétien-social ».

 

La preuve que le Parti « Socialiste » est désormais carrément de droite, c’est que l’UMP s’est « extrême-droitisé », comme le montre la « Droite forte » de messieurs Buisson, Peltier et consort, qui attaque NKM parce qu’elle s’est juste abstenue dans le vote de la loi instaurant le mariage homosexuel. Plus le PS ressemble à l'UMP, plus l'UMP, pour se différencier, est obligée de ressembler au Front National. C'est donc la faute des socialistes.

 

A moins que ce ne soit la faute de la population française en personne. Car s’il n’y a plus de « gauche » en France, c’est peut-être, tout simplement parce que la population elle-même a progressivement glissé à droite, après tout : qui ne rêve d’être propriétaire de son logement ? Or on ne saurait être communiste et propriétaire de son logement, contrairement à ce que me soutenaient « les yeux dans les yeux » (c'est à la mode) DB et JLM, qui avaient le culot indécent de se déclarer communistes.

 

Habitant un bel immeuble du quartier le plus bourgeois et le plus chic de Lyon (tout près du Boulevard des Belges et du Parc de la Tête d'Or), « Je suis en lutte », m'avait-elle dit un jour avec une sorte de jubilation, et dans son tailleur très classieux et très cher qu'elle arborait, avec son accent des Pyrénées, ne comprenant pas pourquoi je lui avais éclaté de rire au nez. Voilà : des bourgeois, ni plus ni moins. Il y a des chances que ce soit le rêve d’une majorité de la population française qui n’a pas encore accédé. Qu’est-ce qu’elle veut la population ?

 

Rien que du normal : un peu de confort, un peu de sécurité, un peu de moyens financiers, pouvoir consommer – oh, rien d’excessif. Pouvoir changer la voiture, la télé, le smartphone (il faut rester à la page). Refaire la cuisine. Rien d’excessif, une vie de petits bourgeois.

 

Comment une telle population voterait-elle encore à gauche ? Certains osent encore se proclamer communistes ? M'enfin, ce n'est pas sérieux ! C'est pour ça que les partis « de gouvernement » sont obligés de suivre le mouvement sur les courbes des sondages et de « changer de logiciel ». Ben oui, c'est humain : il faut penser aux élections. C'est ça, la démocratie ?

 

Pour l’essentiel, la société a viré à droite. Ceux qui persistent contre toute vraisemblance à se proclamer « de gauche » se sont lâchement rabattus sur des « causes » non plus politiques ou sociales, mais sociétales : la défense des sans-papiers, des sans-logement, des immigrés, l’enthousiasme pour le mariage homosexuel (j'attends qu'on m'explique pour de bon ce qu'il y a de gauche dans cette revendication), contre le machisme, l'islamophobie, l'homophobie, pour la création de RESF pour empêcher l’expulsion des enfants d’immigrants illégaux. Tout ça que les journalistes appellent « les associations ».

 

Des « causes » non plus réelles, mais réduites à leurs discours obsessionnels. Des « causes » qui ne font plus courir aucun risque à personne, à commencer par ceux qui les défendent. Des « causes » qui causent, pérorent, dégoisent et jaspinent, faites pour intimider et impressionner l'adversaire. Mais des « causes » inoffensives, qui ne sauraient porter à conséquence dans la réalité des choses. L'univers omniprésent du bla-bla démocratique, républicain. Définitivement insignifiant.

 

En gros, cette « gauche » tient le raisonnement suivant : « Puisque nous avons renoncé à changer les choses et le monde, changeons le sens des mots, et appelons « de gauche » tout ce qui se rapporte aux « Droits de l’homme », à l’ « égalité des droits », et tout un tas de paroles purement verbales qui ne font de mal à personne, tout en anesthésiant les consciences ». Bande d'hypocrites ! Au point que quand un Chinois (ci-dessous) ou une autre « belle âme » accuse la France, c’est toujours au nom des « droits » en général et des « Droits de l’homme » en particulier.  Tout cela ressemble évidemment à de la gauche comme le Canada Dry à de l’alcool.

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Ce que je ne comprends pas, c’est la raison pour laquelle le Parti « Socialiste » persiste à vouloir par-dessus tout être catalogué « à gauche ».

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

mercredi, 31 octobre 2012

EUROPE ET CURIOSITE

Pensée du jour : « Un monde gagné pour la Technique est perdu pour la Liberté ».

 

GEORGES BERNANOS

 

 

 

Promis, je vais arrêter de laïusser sur la CURIOSITÉ, avant que tout le monde en ait marre, moi le premier. En fait, ce qui m’intéresse là, c’est encore deux choses. D’abord et d’une, que c’est en Europe que la curiosité a pris son essor définitif. Et dans deux directions : à l’égard des choses (physique, chimie, mathématiques, bref, les sciences « dures », on va laisser ça de côté, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, bien qu'il y ait à dire) et à l’égard des hommes.

 

 

Ensuite et de deux, que cette deuxième branche part elle-même dans deux directions : l’une est toujours scientifique, l’autre est morale. C’est cette double branche qui a motivé le laïus depuis le début. Vous me direz que j’aurais pu prévenir. Je rétorquerai que j’aurais prévenu si j’avais su la tournure que ça prendrait.

 

 

Commençons par la morale. Car si l’Europe en général, et la France en particulier, voient leur tomber dessus à bras raccourcis les descendants des « indigènes » et des esclaves exploités dans les anciens pays colonisés, il ne faut pas oublier le reste. Il ne faut pas oublier que chez nous, les premiers à s’alarmer aujourd’hui du sort des immigrés, sans papiers, clandestins sont très souvent des Français à la peau blanche (voir le travail de la Cimade dans les centres de rétention, et les efforts des membres de RESF pour empêcher l’expulsion d’enfants scolarisés).

 

 

L’Europe est allée puiser les moyens de sa richesse et de sa domination dans tous les pays du monde. Elle a exploité tant qu’elle a pu les minerais et les populations. C’est ce qu’on appelle l’époque coloniale. Mais en même temps, elle a inventé la tolérance, fille de la curiosité. Docteur Jekyll et Mister Hyde, si vous voulez. Ou alors l'Europe schizophrène, pourquoi pas ?

 

 

Je pense ne rien apprendre à personne en rappelant la « Controverse de Valladolid », de 1550-1551, entre BARTOLOME DE LAS CASAS et JUAN GINES DE SEPULVEDA, au sujet de la façon dont devaient être conduites les colonisations pour que la conscience n’ait pas à en souffrir. Et l’impeccable comportement de LAS CASAS dans ses domaines de Cuba à l’égard des Indiens. On rappelle toujours aimablement l’avers de la médaille (les cruautés commises par les conquistadors), on oublie trop facilement son revers, reflet de préoccupations morales indéniables.

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LAS CASAS 

 

Ce n’est sûrement pas l’Europe qui a inventé l’intolérance, en revanche, c’est là et pas ailleurs que sont nées l’idée et l’exigence de tolérance. De même pour le racisme : c’est en Europe que sont élaborées les premières théories essayant d’établir (« scientifiquement ») l’inégalité des races (VACHER DE LAPOUGE, ARTHUR DE GOBINEAU, ERNEST RENAN, PAUL BROCA, oui, celui de la « circonvolution »), qui connaîtront le succès qu’on sait en Allemagne.

ANTHROPOGENIE 1 1874.jpg

PLANCHE TIREE DE "ANTHROPOGENIE" D'ERNST HAECKEL, 1874

(le même qui disait : "L'ontogénèse est une courte récapitulation de la phylogénèse")

(voir en bas à droite)

 

Mais c’est aussi en Europe qu’est né l’antiracisme. Et c’est l’Occident qui a inventé les « Droits de l’homme » et les associations de « défense des droits ». Et ce n’est pas en Occident, si l’on excepte les cris d’orfraie d’Amnesty International et autres dénonciateurs professionnels des infractions commises chez lui (Guantanamo, centres de rétention français, …), que ces mêmes « droits de l’homme » sont foulés au pied.

 

 

Je signale en passant que la peur ou la haine de l’étranger n’est pas l’apanage des Européens, comme le voudraient des militants à jamais insatisfaits (MRAP, LICRA, CRAN, « Indigènes de la République », …), mais que ce sont des réflexes, sinon universels, du moins tellement partagés et immémoriaux que ce n’en est pas loin.

 

 

L’intolérance et la xénophobie (le « repli identitaire », selon l’expression affectionnée des médias et des journalistes) sont la réaction immédiate de l’homme au surgissement de l’inconnu. Pour être tolérant et antiraciste, en un mot pour être CURIEUX, il faut FAIRE UN EFFORT. Et ce n’est jamais évident. Ce qui est évident, c’est le rejet de prime abord.

 

 

Et j’ajoute que tolérance et antiracisme sont des idées valables à la seule condition que ce soit RECIPROQUE. Je veux bien qu’on exige de moi du respect si l’on fait preuve du même à mon égard. Le problème vient quand la relation est dissymétrique, et que l’un des deux se prétend la victime de l’irrespect de l’autre. A qui est-ce, de commencer ?

 

 

L’autre branche de la double branche dont je parlais, ce sont les sciences humaines. Et alors là, je voudrais insister sur un paradoxe qui m’apparaît faramineux. Car toutes les disciplines qu’on appelle « sciences humaines » ont connu un drôle de retournement. Les sciences humaines, c’est l’ethnologie, la sociologie, la psychologie, l’économie, l’histoire, quelques autres « logies » en perspective, autrement dit, ce que le Collège de ’pataphysique appelle les « sciences inexactes ».

 

 

Dites-moi s'il ne faut pas une curiosité incroyable pour aller vivre durablement chez les Bororos ou chez les Nambikwaras, comme l'a fait CLAUDE LEVI-STRAUSS. Et les ethnographes qui ont fait pareil ne se comptent pas sur les doigts d'une seule main. On peut même dire que ça a été très à la mode, l'immersion. Faut-il que les Occidentaux aient été CURIEUX de la vie de toutes les peuplades "exotiques" pour avoir ainsi payé de leur personne.

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FEMME NAMBIKWARA 

 

C’est pour dire ceci (on va essayer d'éviter le grandiloquent) : jamais, dans l’histoire de l’humanité, une société n’a autant développé les moyens de se connaître elle-même que la société actuelle. Jamais on n’avait aussi bien découpé et segmenté les activités humaines en autant de paramètres (forcément pertinents, bien sûr). Chaque paramètre donnant lieu à une spécialité, il était logique que chacun débouchât sur une discipline autonome.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

A finir demain, juré.

vendredi, 07 septembre 2012

QUEL ULTRALIBERAL ETES-VOUS ?

Sonnet du jour :

 

« Vase olivâtre et vain d'où l'âme est envolée,

Crâne, tu tournes un  bon regard indulgent

Vers nous, et souris de ta bouche crénelée.

Mais tu regrettes ton corps, tes cheveux d'argent,

 

Tes lèvres qui s'ouvraient à la parole ailée.

Et l'orbite creuse où mon regard va plongeant,

Bâille à l'ombre et soupire et s'ennuie esseulée,

Très nette, vide box d'un cheval voyageant.

 

Tu n'es plus qu'argile et mort. Tes blanches molaires

Sur les tons mats de l'os brillent de flammes claires,

Tels les cuivres fourbis par un larbin soigneux.

 

Et, presse-papier lourd, sur le haut d'une armoire

Serrant de l'occiput les feuillets du grimoire,

Contre le vent rôdeur tu rechignes, hargneux

 

ALFRED JARRY, Les trois meubles du mage surannés.

 

 

Nous avons pu voir, hier, mes bien chers frères, combien tranchée était l’opposition entre monsieur DEDROITE et monsieur DEGAUCHE en matière économique. Enfin, pas si tranchée que ça, puisque monsieur DEGÔCHE a renoncé à faire la révolution et à organiser la redistribution des richesses sur les bases d’une certaine justice. De son côté, monsieur DEDROITE ne dédaigne pas, à l’occasion, de mettre un peu d’eau sociale dans son vin capitaliste. A condition de ne pas exagérer. Notons en passant que monsieur DEDROITE se définit plutôt par un "pour", et monsieur DEGAUCHE par un "contre". L'un a un but, l'autre a un idéal.

 

 

Aujourd’hui, je vais tâcher de montrer que l’opposition est tout aussi virulente entre monsieur DEDROITE et monsieur DEGÔCHE, mais curieusement, ils ont troqué leurs costumes et enfourché le cheval de l’autre. On ne parle plus d’économie. Aujourd’hui, en effet, on va les voir s’affronter sur les questions dites de société. Inversion radicale des rôles. Ce qui nous promet quelques ricanements.

 

 

En effet, autant monsieur DEDROITE est à fond pour la liberté quand il s’agit d’entreprendre, de vendre, d’acheter, de spéculer, de s’enrichir, autant son humeur s’assombrit quand on s’avise de s’en prendre aux VALEURS. Pas touche à l’AUTORITÉ, par exemple. Celle de l’Etat, en particulier, ne se négocie pas. Elle doit s’exercer jusque dans les confins et les recoins des banlieues défavorisées, vampirisées par les mauvais garçons, les gangs et le trafic de drogue. Pour monsieur DEDROITE, l’autorité doit procurer la SÉCURITÉ. Mot-clé.

 

 

Monsieur DEGÔCHE voit les choses un peu autrement. Sans nier la nécessité (ni la légitimité) de l’autorité, il mise sur le contact, la relation et la négociation. Sur l' « adhésion au pacte social ». Il compte sur la proximité, comme il avait en son temps baptisé une forme de police mise en place dans les « quartiers » (il suffit de le dire comme ça pour savoir de quels quartiers on parle, c'est assez drôle).

 

 

Il faut avouer que ça ne marchait pas mal, que c’était efficace en termes d’ordre public, la « police de proximité ». L’ancien Guide Suprême de la France (allez, je le nomme au moins une fois : le tout petit NICOLAS SARKOZY, le mec aux talonnettes), en caricaturant la chose (« un policier n’est pas payé pour jouer au foot avec des voyous »), a fait « peter les galons » (comme on disait quand j’étais au service militaire).

 

 

Il a trompeté qu’il allait tout passer au kärcher, il a blackboulé la « proximité » pour envoyer les CRS qui, en matière de « contact avec la population », s’y connaissaient bien mieux. C’est bien connu. Et il a demandé aux flics de « faire du résultat », de « faire du chiffre » (faisant passer la réalité du terrain loin derrière la statistique, parce que la réalité, ça fait moins d'effets d'annonce dans la presse).  

 

 

Résultat ? Crispation des flics sur l’autorité de l’uniforme, respect à sens unique, tutoiement obligatoire, gardes à vue comme s’il en pleuvait, recours massif au délit d’ « outrage et rébellion », bref, du grand art. La subtilité du sarkozysme (si ça existe). Car le problème de ce monsieur DEDROITE, c’est sa fascination pour l’intimidation, le muscle, la parade et la démonstration de force, exactement comme certains clubs de hooligans du PSG : mettez un uniforme bleu à un hooligan, quelle différence avec un vrai flic, d'après vous ? Ah bon, j’exagère ?

 

 

Autre sujet de crispations antagonistes entre messieurs DEDROITE et DEGAUCHE : la frontière entre Etats. Le premier tient à son inviolabilité (on appelle ça le « souverainisme »). Même quand il est européaniste convaincu, il tient à ce que la frontière, même reportée à la limite de l’ « espace Schengen », soit bien gardée (non, je ne me lancerai pas dans la digression, qui me tend pourtant les bras, sur Lampedusa, la frontière gréco-turque, etc.).

 

 

 

Monsieur DEGAUCHE, au contraire, favorise la porosité des frontières autant qu’il peut, et milite même pour leur abolition (« Ouvrez les frontières », chantent AMADOU et MARIAM, qui ne sont pas européens, mais qui y ont beaucoup de complices). Le premier remplit des charters ou des bateaux à destination des pays d’origine de tous ceux qui n’ont rien à faire sur le sol national.

 

 

Le second, c’est d’abord un grand cœur, une grande âme. Et ce cœur et cette âme se penchent avec compassion et altruisme sur le sort infâme que la nation ose réserver aux étrangers. Ce rocher espagnol inhabitable, qu'il soit couvert de réfugiés africains, quelle honte pour l'Etat espagnol ! Honte à MANUEL VALLS, qui ose se prétendre de gauche, et qui arrache des Roms à leur immonde favela !

 

 

Monsieur DEDROITE s’insurge contre les intrusions. Monsieur DEGAUCHE s’insurge, et même milite, contre les extrusions. Disons-le : monsieur DEGAUCHE trouve sa vocation dans le "comité d'accueil". Et quand il y a des enfants dans l'affaire, il tonitrue. C’est logique.

 

 

Le premier est crispé, pas forcément sur la couleur de peau, disons sur une certaine idée de sa propre identité. Il tient à faire la différence entre être d’ici et être d’ailleurs. Ce n'est pas si bête, pourtant. Il faut dire que ça lui fend quand même le cœur, à monsieur DEDROITE, de sortir au terminus du RER à Gagny (dans le 9-3) et de se croire débarqué à Bamako. On ne peut pas seulement lui en tenir grief. Disons qu'il y a au moins matière à réflexion, et qu'on ne peut pas lui jeter la pierre sans y avoir un peu réfléchi.

 

 

Monsieur DEGAUCHE, lui, a appelé « diversité » la libre circulation et l’installation d’étrangers sur le sol national, il s’en félicite, il s’en réjouit. Il s’en fait même un programme, un objectif à atteindre : c’est le joyeux « métissage », l’euphorisante « créolisation », dont il se promet mille merveilles de civilisation, dans « la patrie des droits de l’homme », comme il aime à se gargariser. Il s'extasie devant les "sans-papiers". Il s'émeut face aux "sans-logis". Mais que fait l'Etat, nom de Dieu ?

 

 

Bilan paradoxal provisoire : autant monsieur DEDROITE se montre libéral tant qu’il s’agit de produire, d’acheter, de vendre et de faire circuler des marchandises d’un bout à l’autre de la planète, autant il se montre rigide, voire inflexible dès qu’il s’agit d’une certaine idée de l’ordre social et de la nation. Autant les choses ne connaissent pas de frontières, autant, s’agissant des gens et des personnes, il s’en tient à l’adage : « Chacun chez soi ». Il veut rester lui-même. C’est humain.

 

 

Contradiction identique pour monsieur DEGAUCHE : lui qui, s’agissant d’économie, voudrait réprimer l’ « argent roi », les « paradis fiscaux » et l’exploitation (éhontée, disons-le avec force) de l’homme par l’homme (la formule a, notons-le, totalement déserté les discours) et qui appelle à une redistribution des richesses, et par la force si nécessaire, lui, dès qu’il s’agit des gens et des personnes dans la société, il se sent fondre de bienveillance. Et il appelle ça « humanisme ».

 

 

Je ne peux pas m’empêcher de les trouver bizarres, ces contradictions. C’est vrai, quoi, comment peut-on être, et parfois de façon caricaturale, une fois souple et une fois rigide ? Tolérant et intransigeant ? Prenez ceux qu’on appelle les « libertariens » aux Etats-Unis. Eux, ils sont cohérents : ils prônent la disparition de l’Etat et de toute régulation, mais s’agissant du social et du sociétal (puisque sociétal il y a, paraît-il), ils sont tout aussi tolérants et ouverts.

 

 

Mais ce n’est pas fini. Ça continue demain. Attention les yeux.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

mercredi, 03 août 2011

DECLARATION D'EXTRÊME OPINION

Jean-Marie Le Pen vient de faire parler de lui en évoquant la « naïveté » du gouvernement norvégien, après la tuerie d’Utheia, sous les coups de feu de Anders Behring Breivik. Cette « naïveté » est, selon le papa de mademoiselle Le Pen, plus grave que la tuerie, qu’il considère comme un « accident ».

 

Voulez-vous que je vous dise ce que j’en pense ? – Eh bien, je vais vous le dire quand même. Monsieur Pascal Perrineau (c’est un « politologue », donc c’est grave, docteur) juge qu’il s’agit d’un « retour du refoulé ». Mais contrairement à ce monsieur, je crois que, d’une part, c’est politiquement nul, et que, pour le simple bon sens d’autre part, c’est tout simplement une belle connerie. Monsieur Le Pen a tout simplement du mal à renoncer à faire parler de lui. Et pour ça, le meilleur moyen, c’est la provocation. Et ça marche.

 

Car c’est un commentaire qu’il destinait à ce que Raymond Barre appelait du très joli nom de « marigot », ce petit milieu parisien, aussi médiatique que politicien. Effet garanti, évidemment. Tous les chiens du quartier se sont jetés sur l’os qu’il a daigné leur jeter, tous rongent à qui mieux-mieux, grognent en retroussant les babines et en montrant les dents.

 

Et c’est à qui grognera le plus fort pour …, pour quoi, au fait ? Tout simplement pour se faire décerner le plus beau brevet possible de « vertu républicaine » par l’ « opinion publique ». Alors que le simple bon sens dicte, dans ces cas-là, de laisser dire. Malheureusement, il y a toujours des fouinards de journaleux qui traînent dans les parages, dans l’espoir de se faire un peu de gras. Ces gens n’ont pas encore bien compris à quoi ils servent.

 

La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, adoptée en 1948, affirme le principe de la liberté d’opinion (article 19). En gros, n’importe quel individu peut penser ce qu’il veut, même si c’est totalement contraire à ce que pense la majorité. Par voie de conséquence, n’importe quel individu peut exprimer ses opinions, en quelque lieu que ce soit et quelles que soient les circonstances. Supposons maintenant que Monsieur Le Pen était sincère (on peut cependant en douter) lorsqu’il a parlé de Anders Behring Breivik. Eh bien, quoi qu’il pense et quoi qu’il déclare, Jean-Marie Le Pen a le droit de le penser et de le déclarer. Bien sûr, tout le monde a le droit de ne pas être d’accord avec ce qu’il pense et déclare, et de le faire savoir.

 

« Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous puissiez le dire. » Voltaire

 

Je ne suis pas voltairien, mais cette phrase constitue une assez bonne définition de la démocratie, meilleure en tout cas que « le pire des régimes, à l’exception de tous les autres » (Winston Churchill). Le mot central de la citation, c’est le verbe "dire". « Je me battrai », ça signifie « avec des mots », bien sûr. D’ailleurs Voltaire n’aurait pas satisfait aux critères physiques pour se faire admettre dans quelque armée que ce soit pour commettre des actes guerriers. Il était bien plus dangereux avec sa plume.

 

Voilà, je le déclare solennellement : je suis d’extrême opinion. Chacun d’entre nous détient le droit de penser et de dire ce qu’il veut. Même si ce qu’il pense et dit est le pire imaginable. Aussi longtemps que cela reste de l’opinion et de la parole. A cet égard, je trouve hallucinant le consensus pseudo-républicain qui a jailli comme un geyser après la déclaration de Le Pen. Et comment s’appelle-t-il, ce membre que le Front National, qui n’est pas un parti interdit, je le signale, vient d’exclure pour la même raison ?

 

Et je trouve encore plus hallucinant que la loi française crée des délits de parole. Cela veut dire qu’il existerait chez nous des délits d'opinion ? Donc des délits de pensée ? Et ça se passe au pays dans lequel a été adoptée la Déclaration de 1948. Et qui l’a signée. Il est donc interdit de contester, par exemple, même à l’encontre des preuves les plus irréfutables et des témoignages les plus incontestables, l’existence des chambres à gaz ? C’est vrai qu’il y a les preuves et les témoignages, mais justement, pourquoi interdire une telle aberration, puisqu’on sait que c’est faux ? Au nom de quel tabou d'opinion ?