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jeudi, 17 octobre 2019

MON POINT DE VUE SUR LA POLICE ...

... FRANÇAISE. (2/2)

3 – La police de proximité.

Je crois que ce préjugé défavorable au peuple, soigneusement entretenu par les autorités, explique l’incroyable élargissement du fossé qui sépare la population des forces de police. Récemment, sur France Culture, un gradé de rang moyen, proche de la retraite (le même que précédemment), rappelait que, lors de la cohabitation Chirac-Jospin après 1997 (la dissolution), ce dernier avait eu cette trouvaille admirable : la « police de proximité », et que sa disparition avait été une catastrophe (voir plus bas).

Qu’est-ce que c’était, pour Lionel Jospin et son entourage, la police de proximité ? C’était l’occasion inespérée de répandre dans la population l’idée que, quand la police est là, c’est pour venir à son aide, la secourir, faire en sorte que règne, en fin de compte, un ordre qu’on puisse qualifier de républicain. Jospin a réussi, avec la police de proximité, à installer des postes de police jusque dans des quartiers où, aujourd’hui, les policiers ne peuvent plus s’aventurer sans prendre cailloux ou cocktails Molotov, sans provoquer des émeutes. On peut se demander naïvement pourquoi : la réponse fait hurler de rage le simple bon sens.

La police de proximité, c’étaient des policiers en quelque sorte chargés d’une mission de haute sensibilité : établir entre la population et les forces représentant la loi des relations de confiance réciproque. Des flics destinés à vivre si possible dans les mêmes conditions réelles d'existence que les vrais gens, dont ils auraient une vraie « connaissance de terrain » et aux yeux desquels ils étaient chargés de représenter la loi en action et en présence.

La loi, certes, en uniforme, mais avec un visage d’individu reconnaissable et familier. La police dans la population comme un poisson dans l’eau : la voilà, la police républicaine. Des personnes au milieu d'autres personnes. Et qui pouvaient, selon les moments, taper dans un ballon dans les "quartiers" ou taper sur les voyous, les délinquants et les dealers. L'ordre qu'ils représentaient était admis par la population, et ils n'oubliaient jamais leur mission première : incarner la loi. 

Avec la police de proximité, Lionel Jospin avait mis en place les conditions de la paix civile sur tous les territoires de la république. Cela devait paraître insupportable à certains.

4 – La politique du chiffre : le policier est un gros bâton. Un poing, c'est tout.

La police de proximité commençait juste à porter ses fruits, quand elle a été supprimée d’un simple trait de plume, au motif qu’ « un flic, c’est pas payé pour jouer au football ». Celui qui tient alors la plume (et l’auteur de la citation, qui en a d'autres belles à son actif : "kärcher", "casse-toi pauvre con", etc. ...) est un voyou que les Français ont eu la niaiserie de porter à la présidence (en fait, à ce moment-là – avant 2007 – il n'était que le ministre de l'Intérieur de Chirac). Croyant élire un homme d’action, ils ont élu un casseur. Le bilan de Nicolas Sarkozy (c’est lui, tout le monde avait compris) est un bilan de casse : la justice, l’hôpital, la police, tout y passe.

La justice ? On compare les magistrats à des rangées de boîtes de petits pois sur des rayons, et on envoie Rachida Dati tirer dessus comme à la foire et faire des gros trous dans la carte judiciaire. L’hôpital ? On tient en laisse un molosse du nom de Roselyne Bachelot, qu'on lâche un jour avec pour mission de dévaster le service public de santé en imposant la rémunération à l’acte, mesure qui transforme illico l’hôpital en entreprise "prestataire de services", dirigée par un patron chargé de veiller, sinon à la rentabilité, du moins à l’équilibre des comptes (c’est la loi « HPST », dont on admire aujourd'hui les fabuleux résultats, entre autres, dans les services d’urgence et la filière psychiatrique).

La police ? Le bilan de Sarkozy est encore plus brillant. On commence par bousiller tout le service de renseignement « de terrain » (les « Renseignements Généraux », vous savez, ces policiers qu'on disait chargés des basses besognes des gouvernements, qui se baladaient incognito dans tous les syndicats, partis, groupes et milieux (mais aussi églises, synagogues et mosquées), en laissant traîner les yeux et les oreilles, pour prendre et "faire remonter" en temps réel la température de la population) en le fondant brutalement dans un nouveau service (DGSI) où on le mélange en touillant bien avec la DST, qui avait un oeil sur les étrangers séjournant en France. Or ce sont deux métiers distincts. RG et DST n'ont jamais pu additionner leurs compétences. Je parierais volontiers que Mohamed Merah (2012) est le brillant résultat de l'opération.

Et surtout, on va transformer la police en entreprise en y appliquant la même politique du « paiement à l’acte » qu’à l’hôpital, sauf que là, ça prend le nom de « politique du chiffre ». Pour Sarkozy, un policier est seulement un gros bâton entre ses mains. Une trouvaille ! Fallait y penser ! Plus nombreux sont les « constats », plus nombreuses les « affaires traitées », et plus le commissaire est content. Il a de quoi. Car pour « motiver » les troupes, on introduit dans la rémunération du commissaire une variable liée aux résultats de ses services sur le terrain : plus il coche de cases, plus il se sent confortable et plus il tire d’oreilles, à la façon de notre "petit caporal" national, pour dire sa satisfaction à ses "grognards".

Résultat des courses ? On laisse courir la réalité triviale, fatigante et salissante pour fabriquer des statistiques en pur papier dont le pouvoir peut se gargariser, et où apparaissent, grâce à Sarkozy, les formidables gains de productivité et d’efficacité de la police républicaine. Concrètement, faire du chiffre, ça veut dire qu'on envoie les bidasses agrafer des « baba cools » en uniforme (dreadlocks et rouge-orange-vert), confisquer leur barrette de « shit » et les envoyer en comparution immédiate : c’est ça, le « chiffre ». J’ai oublié le terme employé par le flic gradé de rang moyen proche de la retraite, sur France Culture, mais c’est à peu près ça. La réalité réelle ? Elle fout le camp. Les plus gros poissons ? Ils courent à toutes jambes et à tire d’aile, jamais inquiétés.

La voilà, la police de Sarkozy : c’est une police qui a sorti les mains du cambouis, c’est une police propre, une police en pur papier de statistiques.

J'exagère évidemment, mais c'est pour faire comme Günther Anders : c'est à visée pédagogique. Le malheur, c'est que ni Hollande, ni Macron n'ont fait quoi que ce soit pour rectifier le tir après le décès politique du voyou. Ah si, pourtant : il semblerait que, avec les "brigades de sécurité du quotidien", le régime actuel veuille faire revivre d'une certaine manière l'idée de Jospin. Espérons.

5 – Le policier obéit aux ordres.

Le dernier point sera pour souligner un aspect souvent minimisé dans les comptes rendus de la presse : rien de ce que font les policiers lors des manifestations ne se fait sans avoir été autorisé ou ordonné par la hiérarchie. Le gradé de rang moyen proche de la retraite, déjà cité, le confirme : si on lui dit de reculer d’un mètre, le policier de base recule d’un mètre en disant : « Oui chef ! Bien chef ! ». La police est un outil mis à la disposition des gouvernants par la Constitution, c'est-à-dire par l'Etat.

Je ne vais pas me lancer dans l'historique impossible de la confusion presque permanente entre "intérêt de l'Etat" et "intérêt du gouvernement" au fil de la Cinquième République : je veux juste rappeler la fonction d'utilité publique de la Police nationale et de la Gendarmerie nationale. C'est un instrument au service de la chose publique. Ce qu'on appelle la "chaîne de commandement" va du ministre en charge jusqu'au bidasse du dernier rayon, où chaque échelon inférieur est supposé obéir aux ordres qu'on lui donne, et chaque échelon supérieur censé donner des ordres conformes aux intérêts de la nation. C'est au moins la théorie.

Cela veut dire que le flic de terrain, lorsqu’il tire une « balle de défense » avec son LBD, c’est qu’on lui a dit de le faire. Même chose pour les gaz lacrymogènes, même chose pour les « grenades de désencerclement ». Même chose pour les manœuvres destinées à couper toutes les issues à une foule de manifestants, pour les enfermer comme dans une nasse, qu'on arrose ensuite de "lacrymos" pour leur apprendre les bonnes manières. Même chose pour les manœuvres consistant à laisser les "black blocks" se fondre au milieu des marcheurs, ce qui permet de ne plus distinguer ensuite le bon grain de l'ivraie. Même chose, évidemment, quand il s'agit de "foncer dans le tas" (après sommations d'usage).

Cela veut dire qu’il faudrait moins parler de « violences policières » que de « violences d’Etat » : s’il y a des dégâts sur le terrain (un œil, une main en moins, des blessures diverses), c’est que cela entre dans le cadre des ordres donnés par la hiérarchie policière. Et la hiérarchie policière, elle n'a qu'une pensée : appliquer les consignes données par le ministère de l’Intérieur (ou par celui qui en tient lieu en région : le préfet). L’œil crevé, la main arrachée, autant de trophées que le ministre pourrait à bon droit exposer aux murs de son bureau : c'est lui qui lance la meute à l'attaque. 

En matière de violences policières, il y a manifestement une parfaite adéquation entre les dégâts infirmiers et médicaux et les intentions politiques dans le cadre desquelles ils s'inscrivent. En haut lieu, on peut certes "déplorer" et "compatir", mais on ne désavouera pas l'action et on ne sanctionnera personne : ce serait se punir soi-même. Dit autrement : les violences policières sont pensées, voulues, prévues par quelqu'un qui ne descend pas sur le terrain, et qui laisse les "manards" en prendre parfois plein la gueule. Si les policiers sont violents, c'est sur ordre, mais à leurs risques. C'est, dit le ministre, le résultat qui compte : peu importent les "dommages collatéraux". Cela explique pour une bonne part monsieur Castaner, "droit dans ses bottes" quand il est devant les caméras, soutenant la légitimité de l'emploi des LBD.

Tout ça pour dire que, si l’on s’indigne à raison en visionnant des images de smartphone faites « sur le terrain » des manifs, où l’on voit une matraque s’abattre sur un piéton déjà à terre, où l’on entend le long cri de douleur d’un homme qui a reçu une balle de défense dans les couilles, on devrait s’en prendre de façon beaucoup plus directe à toute la chaîne de commandement (jusqu'au ministre) qui a permis d’aboutir à ces dommages corporels. Les policiers n'ont fait qu'obéir aux ordres. Dommages stupéfiants dans un pays si fier encore de se considérer comme une démocratie exemplaire.

Voilà, en gros, les réflexions qui me viennent quand je pense à l’exercice de la police en France. Pour moi, une police démocratique et républicaine devrait pouvoir se déplacer dans la population, dans les quartiers, dans les territoires comme un poisson dans l’eau. Or je constate que tout est fait pour que le corps policier apparaisse comme un « corps étranger » qui n'est nulle part le bienvenu, et violemment conspué dans certains endroits.

L'hostilité qui entoure les apparitions et les actions de la police dans les manifs est sans doute le but recherché par le pouvoir. Quand on pense à la « police de proximité » patiemment mise en place sous Jospin (la greffe avait commencé à "prendre"), et brutalement rayée de la carte par Sarkozy, on reste effaré devant le gâchis : quelle perte imbécile ! 

J’en attribue la responsabilité à Sarkozy bien sûr, mais plus généralement à tous les pouvoirs en place, qui tiennent à garder sous le coude des solutions concrètes et "fortes" à tous les « problèmes », au cas où : la formation des policiers, l’organisation policière, la définition des missions de la police, le contrôle des forces de l'ordre, la hiérarchie policière, tout cela serait à refondre dans un esprit authentiquement républicain.

Je ne sais pas tout de la question, mais en l’état actuel des choses, il ne me semble pas qu’on puisse qualifier la police française de « républicaine ». Or la police est telle que la veulent les pouvoirs, qu'ils soient de droite ou de gauche. Il semble évident que la faute en incombe à tous les gradés de rang supérieur et à tous les "hauts fonctionnaires" qui les chapeautent, mais plus encore à tous les politiques qui, au gré des élections, sont mis à la tête de tout ce petit monde pour "mettre en œuvre" la politique des présidents qui les ont nommés. Et je n'oublie pas les noms de Squarcini et Péchenard qui, au ministère de l'Intérieur, furent des exécutants disciplinés des ordres fangeux donnés par Nicolas Sarkozy.

Je plains les policiers eux-mêmes. En particulier les gradés de rang moyen proches de la retraite.

Je plains les services publics en général.

Voilà ce que je dis, moi.

Note : il reste bien des sujets à traiter : les taux de suicide dans les rangs de la police et de la gendarmerie ; le positionnement politique très à droite de beaucoup de policiers ; les millions d'heures supplémentaires de service non rémunérées ; les difficultés du recrutement ; etc. 

mercredi, 16 octobre 2019

MON POINT DE VUE SUR LA POLICE ...

... FRANÇAISE. (1/2)

Intro

Il y a un problème avec la police en France, c’est certain, mais j’ai du mal à voir clair dans la situation. Les policiers manifestent parce qu'ils sont en colère. Ils ont sûrement  de bonnes raisons pour cela, mais ils ne sont pas les seuls. Regardez du côté des infirmiers, des services d'urgence, de la psychiatrie, de l'Education nationale, et même des pompiers (il paraît qu'il y a eu des affrontements pompiers-flics). De quoi se demander quel corps de métier n'est pas en colère. Je trouve même ça inquiétant, cette « convergence des colères » (pour pasticher une invocation à la mode dans certains milieux).

Rien de plus que citoyen ordinaire (spécialiste de rien du tout, mais toujours un peu aux aguets), j'essaie ici de mettre quelques réflexions noir sur blanc. 

D’un côté, des gens en uniforme, payés par l’Etat, envoient des tas de "balles de défense" qui font de gros dégâts parce qu'elles sont lancées "à tir tendu" (je traduis : "pour faire de vrais dégâts"), tabassent des gens (y compris pacifiques), bousculent des vieilles dames et donnent ainsi l’impression de se conduire comme des brutes cassant tout sur leur passage (il faudrait nuancer, mais).

De l’autre, quelques dizaines ou quelques centaines de délinquants et gangsters de diverses origines, masqués et armés, très rapides à la manœuvre, très bien entraînés, profitent d’une manif annoncée comme pacifique pour venir casser des centres-villes et piller des magasins de luxe, suscitant l’incrédulité du monde entier au spectacle des photos de guerre dans les avenues de Paris (« La France à feu et à sang »).

Entre les deux, une population ordinaire et normale, en général hébétée quand elle voit les images de tout le mal qu'elle n'a pas fait, venue marcher dans la rue, avec des banderoles et des mégaphones, pour donner son avis sur des mesures gouvernementales qui lui paraissent injustes.

Voilà, en gros, les données du problème : au centre, « la population », ceux que les journalistes adorent, dans les grands enterrements ou les grands drames, appeler « la foule des anonymes », qui vaque à des occupations plus ou moins politiques (= qui font leur métier de citoyens), cernée d’un côté par les incroyables forces – disproportionnées aux yeux de la simple raison – déployées par le gouvernement (ou l’Etat ?), cernée de l’autre par la violence avide de carnage de groupes – finalement très peu nombreux – accourus là pour faire la guerre.

1 – Liberté de manifester ?

Conséquence de cet affrontement : le silence imposé par la force aux voix qui s’élèvent des profondeurs du peuple pour dire sans violence leur souffrance ou leur refus. Le message qui en découle directement, c’est : « Fermez vos gueules, le peuple ! ».  

Car cette situation entraîne de fait l’interdiction de manifester dans les formes légales et légitimes, puisque ce que retiennent les images médiatiques, c'est le plus sanglant, le plus violent, le plus spectaculaire. Dans le jeu atroce du spectacle de tout comme condition de l'existence aux yeux des autres, les manifestants pacifiques ont tout à perdre. Car ceux qui manifestent n'ont, au départ, aucune mauvaise intention : ils veulent qu'on les entende. La surdité des "hautes sphères" est pour beaucoup dans la tentation de la violence. Dans la rue, les plus violents ne tiennent pas à se faire entendre, ils n'ont rien à demander : ce qu'ils veulent, ils le prennent par la force.

Les gilets jaunes l'ont eu dans l'os, et au-delà du supportable. Je ne cherche pas à savoir qui est le coupable ou à qui le crime profite, mais je remarque que le premier bénéficiaire visible est le gouvernement en place : les « black blocks » sont objectivement des ennemis du peuple et des copains du gouvernement. Est-ce que les policiers sont pour autant les amis du peuple ? On pourrait le penser en entendant les propos d'un gradé de rang moyen, proche de la retraite, entendu récemment sur France Culture (série "LSD"), mécontent en priorité de l'organisation de la police, et de la façon dont ses missions sont pensées. Mais si l'on s'en tient aux contusions, blessures et mutilations obtenues par LBD, on peut en douter.

Ce qui est sûr, c’est que la France présente au monde, dans ces circonstances, un visage absolument étrange, pour ne pas dire absurde. Comment se fait-il qu’à la moindre manifestation, le gouvernement mette sur le terrain sept ou huit milliers de gendarmes et de policiers (annoncés à son de trompe dans tous les canaux médiatiques), quand les gouvernements de nos voisins (Grande-Bretagne, Allemagne, …) – du moins d'après ce que j'en sais – en envoient quelques centaines ? Et des policiers et gendarmes français dotés de tenues, d’équipements et d’armes faits a priori pour mener, non des négociations sociales, mais des "guerres de basse intensité".

2 – Le pouvoir a peur.

Qu’est-ce qui motive la tenue de combat façon « robocop » des forces de police pour faire face à des manifestations de foules a priori pacifiques ? C’est, à mon avis, au-delà du mimétisme américano-centré, l’attitude mentale des autorités en place (légales : gouvernement, préfets, etc.) : le pouvoir a peur, il anticipe le pire. Cela crève les yeux : nos gouvernants, qu'ils soient élus, hauts responsables politiques ou hauts fonctionnaires, ont peur des Français.

Ils ont peur que la situation leur échappe, et qu'il se produise alors quelque chose qui les mettrait en danger ou dont ils devraient porter le chapeau. Je pose une question bête : s'ils n'avaient pas peur, pourquoi Emmanuel Macron et sa majorité auraient-ils, par voie législative, introduit dans le droit commun des mesures jusqu'alors réservées à l'état d'urgence ? Qu'on m'excuse, mais quand on est soucieux des libertés publiques, introduire l'urgence dans le droit commun, c'est une contradiction dans les termes.

On a l'impression que le pouvoir entre leurs mains ressemble à un fer rouge qu'ils ne savent pas comment empoigner. Je me suis d'abord demandé s'ils ne pétaient pas de trouille parce qu'ils sont clairement et complètement conscients des conséquences ultimes dévastatrices des politiques qu'ils sont chargés de mettre en oeuvre par leurs promesses, par leurs convictions et par leurs commanditaires. Rationaliser les tâches à toute berzingue et adapter la machine économique nationale en cavalant derrière les pays à bas coût de main d'œuvre, cela ne se fait pas sans dévastations sociales dans le pays. Bah, on verra après.

Ils anticipent le pire. Je me suis dit qu'ils mettaient tout en place pour se préparer à une terrible violence future : si la casse sociale induite par "les réformes" (les sacro-saintes réformes) se produit, il faut s'attendre à quelques "mécontentements". Et que ceux-ci, alimentés par l'avancée des "réformes", finissent par ressembler à de l'exaspération. Sait-on jamais ?

C'est peut-être pour ça que la préoccupation (normale en temps normal) de l'ordre public est devenue pour les récents pouvoirs en place une véritable obsession. C'en est au point que le général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie, se plaint : « L'ordre public a hypothéqué le reste de nos missions » (interview dans Le Progrès du 15 octobre 2019). Ce propos rejoint celui du gradé de rang moyen proche de la retraite cité plus haut.

Ensuite, en les mettant en vrac, j'ai eu tendance à attribuer cette peur à la déconnexion intellectuelle et psychologique dont on a coutume d'accuser, avec raison, une classe politique vivant plus ou moins en vase clos, et qui les empêche de percevoir et de partager le sort commun des citoyens ordinaires : aussi bizarre que ça puisse paraître, tout se passe comme s'ils ne savaient pas à qui ils ont à faire.

Pour les responsables politiques français, les Français sont, pour faire court, des dossiers à traiter. Finalement, ils ont une vision abstraite de la citoyenneté et de la vie ordinaire. Tout ce qui outrepasse le contenu du dossier est illégal. Je plaisante, mais seulement à moitié.

Plus on se rapproche de l'altitude zéro (alias « le terrain », alias « on entre dans le dur », alias « on est dans le concret »), plus le message global des étages supérieurs de la société aux sous-fifres est que la population qui manifeste est un adversaire, une menace, qu’il faut traiter comme tels.

Plus le haut responsable consent à descendre de son empyrée, plus il s'attend à l'hostilité : quand Macron part en balade dans la France profonde, il est bien à l'abri, derrière un épais rideau de muscles policiers, et il ne se gêne pas pour paralyser toute la presqu'île (dernièrement à Lyon, pour je ne sais plus quel machin international).

Il faut, d’après la haute hiérarchie policière, se méfier du français moyen (craint-on d'éventuelles fraternisations type "bas-clergé-tiers-état" ?). C'est nouveau : le français moyen, voilà l'ennemi. Quand il manifeste, il faut s’attendre au pire (sous peine d’être traité de laxiste ou d’incompétent en cas de). La façon dont est pensée et conçue l'action de la police est selon moi l'expression de la peur des couches dirigeantes de la société.

Je veux dire que le Français moyen n’est pas un partenaire avec qui il serait légitime de discuter, mais un ennemi dont il faut à tout prix contrer le potentiel de nuisance. Et il n’y a pas besoin des « black blocks » pour cela : je n’oublie pas l’hallucinant cadre en acier soviétique qui avait entouré une manif contre les « lois El Khomri », qui avait obligé les protestataires à tourner autour du bassin de l’Arsenal (quai de Seine-Bastille et retour).

Le manège à manif n'est pas loin : il ne reste plus qu’à mettre tout ce beau monde sur un plateau tournant avec un air de musette, les flics autour et la CGT au milieu. Une sinistre farce, dans ma mémoire, à laquelle s’étaient prêtés les syndicats. 

Face aux manifs, le pouvoir se comporte en général, même sans les « black blocks », comme en face de forces dangereuses : le gouvernement sait que les mesures qu’il est en train de prendre sont « impopulaires ». Il prévoit logiquement le refus, mais il se prépare alors à un affrontement physique, comme s’il redoutait une révolution. Et c’est finalement le pouvoir qui, en mobilisant en masse des forces de l’ordre en tenue de combat, crée une atmosphère de guerre civile. Le pouvoir anticipe le pire, au détriment des réalités raisonnables et négociables. Et en l’anticipant, il le crée.

Je me demande si cette image d’une plèbe toujours prête à l’insurrection, propre aux représentations que s’en fait le pouvoir, n’est pas la nourriture « culturelle » qu'on fait ingurgiter à tous les futurs flics pendant toute la période de leur formation. Ira-t-on jusqu'à parler pour cela d'endoctrinement ? 

Je me demande si cette conception n'imprègne pas toute la chaîne de commandement : toujours s'attendre au pire. Je me demande si ce ne sont pas tous les membres des forces de l’ordre qui sont, après l’obtention de l’habilitation et une fois dans l’exercice pratique du métier, imprégnés de cet état d’esprit où domine la méfiance à l’égard de la population. La méfiance et l'hostilité du pouvoir à l'égard du peuple ressemble à un principe, à un dogme, à une philosophie globale.

Bref, je me demande si cette méfiance des pouvoirs et des forces détentrices de la « violence légitime » à l’égard des gens ordinaires n’est pas une simple construction mentale, une pure élucubration de quelqu’un qui a besoin de s’inventer un adversaire et de lui prêter a priori un potentiel de "violence délinquante", pour se prétendre autorisé à faire usage de la "violence légitime".

La population manifestante est ainsi revêtue par le pouvoir d’un costume chamarré d’énergumène déchaîné et de voyou potentiel prêt à tout casser et à « bouffer du flic ». Or, comme l’ont montré les embrassades chaleureuses qui ont suivi le 7 janvier et le 13 novembre 2015, celle-ci est toute prête à entretenir avec sa police une relation de respect, et même d’amitié. Ce genre d’occasion est rare et malheureusement éphémère. Tout revient vite à la « normale » (= au désamour). 

Il est loin, le temps de la « police de proximité », que regrette le gradé de rang moyen proche de la retraite, déjà cité.

A suivre.

vendredi, 07 septembre 2012

QUEL ULTRALIBERAL ETES-VOUS ?

Sonnet du jour :

 

« Vase olivâtre et vain d'où l'âme est envolée,

Crâne, tu tournes un  bon regard indulgent

Vers nous, et souris de ta bouche crénelée.

Mais tu regrettes ton corps, tes cheveux d'argent,

 

Tes lèvres qui s'ouvraient à la parole ailée.

Et l'orbite creuse où mon regard va plongeant,

Bâille à l'ombre et soupire et s'ennuie esseulée,

Très nette, vide box d'un cheval voyageant.

 

Tu n'es plus qu'argile et mort. Tes blanches molaires

Sur les tons mats de l'os brillent de flammes claires,

Tels les cuivres fourbis par un larbin soigneux.

 

Et, presse-papier lourd, sur le haut d'une armoire

Serrant de l'occiput les feuillets du grimoire,

Contre le vent rôdeur tu rechignes, hargneux

 

ALFRED JARRY, Les trois meubles du mage surannés.

 

 

Nous avons pu voir, hier, mes bien chers frères, combien tranchée était l’opposition entre monsieur DEDROITE et monsieur DEGAUCHE en matière économique. Enfin, pas si tranchée que ça, puisque monsieur DEGÔCHE a renoncé à faire la révolution et à organiser la redistribution des richesses sur les bases d’une certaine justice. De son côté, monsieur DEDROITE ne dédaigne pas, à l’occasion, de mettre un peu d’eau sociale dans son vin capitaliste. A condition de ne pas exagérer. Notons en passant que monsieur DEDROITE se définit plutôt par un "pour", et monsieur DEGAUCHE par un "contre". L'un a un but, l'autre a un idéal.

 

 

Aujourd’hui, je vais tâcher de montrer que l’opposition est tout aussi virulente entre monsieur DEDROITE et monsieur DEGÔCHE, mais curieusement, ils ont troqué leurs costumes et enfourché le cheval de l’autre. On ne parle plus d’économie. Aujourd’hui, en effet, on va les voir s’affronter sur les questions dites de société. Inversion radicale des rôles. Ce qui nous promet quelques ricanements.

 

 

En effet, autant monsieur DEDROITE est à fond pour la liberté quand il s’agit d’entreprendre, de vendre, d’acheter, de spéculer, de s’enrichir, autant son humeur s’assombrit quand on s’avise de s’en prendre aux VALEURS. Pas touche à l’AUTORITÉ, par exemple. Celle de l’Etat, en particulier, ne se négocie pas. Elle doit s’exercer jusque dans les confins et les recoins des banlieues défavorisées, vampirisées par les mauvais garçons, les gangs et le trafic de drogue. Pour monsieur DEDROITE, l’autorité doit procurer la SÉCURITÉ. Mot-clé.

 

 

Monsieur DEGÔCHE voit les choses un peu autrement. Sans nier la nécessité (ni la légitimité) de l’autorité, il mise sur le contact, la relation et la négociation. Sur l' « adhésion au pacte social ». Il compte sur la proximité, comme il avait en son temps baptisé une forme de police mise en place dans les « quartiers » (il suffit de le dire comme ça pour savoir de quels quartiers on parle, c'est assez drôle).

 

 

Il faut avouer que ça ne marchait pas mal, que c’était efficace en termes d’ordre public, la « police de proximité ». L’ancien Guide Suprême de la France (allez, je le nomme au moins une fois : le tout petit NICOLAS SARKOZY, le mec aux talonnettes), en caricaturant la chose (« un policier n’est pas payé pour jouer au foot avec des voyous »), a fait « peter les galons » (comme on disait quand j’étais au service militaire).

 

 

Il a trompeté qu’il allait tout passer au kärcher, il a blackboulé la « proximité » pour envoyer les CRS qui, en matière de « contact avec la population », s’y connaissaient bien mieux. C’est bien connu. Et il a demandé aux flics de « faire du résultat », de « faire du chiffre » (faisant passer la réalité du terrain loin derrière la statistique, parce que la réalité, ça fait moins d'effets d'annonce dans la presse).  

 

 

Résultat ? Crispation des flics sur l’autorité de l’uniforme, respect à sens unique, tutoiement obligatoire, gardes à vue comme s’il en pleuvait, recours massif au délit d’ « outrage et rébellion », bref, du grand art. La subtilité du sarkozysme (si ça existe). Car le problème de ce monsieur DEDROITE, c’est sa fascination pour l’intimidation, le muscle, la parade et la démonstration de force, exactement comme certains clubs de hooligans du PSG : mettez un uniforme bleu à un hooligan, quelle différence avec un vrai flic, d'après vous ? Ah bon, j’exagère ?

 

 

Autre sujet de crispations antagonistes entre messieurs DEDROITE et DEGAUCHE : la frontière entre Etats. Le premier tient à son inviolabilité (on appelle ça le « souverainisme »). Même quand il est européaniste convaincu, il tient à ce que la frontière, même reportée à la limite de l’ « espace Schengen », soit bien gardée (non, je ne me lancerai pas dans la digression, qui me tend pourtant les bras, sur Lampedusa, la frontière gréco-turque, etc.).

 

 

 

Monsieur DEGAUCHE, au contraire, favorise la porosité des frontières autant qu’il peut, et milite même pour leur abolition (« Ouvrez les frontières », chantent AMADOU et MARIAM, qui ne sont pas européens, mais qui y ont beaucoup de complices). Le premier remplit des charters ou des bateaux à destination des pays d’origine de tous ceux qui n’ont rien à faire sur le sol national.

 

 

Le second, c’est d’abord un grand cœur, une grande âme. Et ce cœur et cette âme se penchent avec compassion et altruisme sur le sort infâme que la nation ose réserver aux étrangers. Ce rocher espagnol inhabitable, qu'il soit couvert de réfugiés africains, quelle honte pour l'Etat espagnol ! Honte à MANUEL VALLS, qui ose se prétendre de gauche, et qui arrache des Roms à leur immonde favela !

 

 

Monsieur DEDROITE s’insurge contre les intrusions. Monsieur DEGAUCHE s’insurge, et même milite, contre les extrusions. Disons-le : monsieur DEGAUCHE trouve sa vocation dans le "comité d'accueil". Et quand il y a des enfants dans l'affaire, il tonitrue. C’est logique.

 

 

Le premier est crispé, pas forcément sur la couleur de peau, disons sur une certaine idée de sa propre identité. Il tient à faire la différence entre être d’ici et être d’ailleurs. Ce n'est pas si bête, pourtant. Il faut dire que ça lui fend quand même le cœur, à monsieur DEDROITE, de sortir au terminus du RER à Gagny (dans le 9-3) et de se croire débarqué à Bamako. On ne peut pas seulement lui en tenir grief. Disons qu'il y a au moins matière à réflexion, et qu'on ne peut pas lui jeter la pierre sans y avoir un peu réfléchi.

 

 

Monsieur DEGAUCHE, lui, a appelé « diversité » la libre circulation et l’installation d’étrangers sur le sol national, il s’en félicite, il s’en réjouit. Il s’en fait même un programme, un objectif à atteindre : c’est le joyeux « métissage », l’euphorisante « créolisation », dont il se promet mille merveilles de civilisation, dans « la patrie des droits de l’homme », comme il aime à se gargariser. Il s'extasie devant les "sans-papiers". Il s'émeut face aux "sans-logis". Mais que fait l'Etat, nom de Dieu ?

 

 

Bilan paradoxal provisoire : autant monsieur DEDROITE se montre libéral tant qu’il s’agit de produire, d’acheter, de vendre et de faire circuler des marchandises d’un bout à l’autre de la planète, autant il se montre rigide, voire inflexible dès qu’il s’agit d’une certaine idée de l’ordre social et de la nation. Autant les choses ne connaissent pas de frontières, autant, s’agissant des gens et des personnes, il s’en tient à l’adage : « Chacun chez soi ». Il veut rester lui-même. C’est humain.

 

 

Contradiction identique pour monsieur DEGAUCHE : lui qui, s’agissant d’économie, voudrait réprimer l’ « argent roi », les « paradis fiscaux » et l’exploitation (éhontée, disons-le avec force) de l’homme par l’homme (la formule a, notons-le, totalement déserté les discours) et qui appelle à une redistribution des richesses, et par la force si nécessaire, lui, dès qu’il s’agit des gens et des personnes dans la société, il se sent fondre de bienveillance. Et il appelle ça « humanisme ».

 

 

Je ne peux pas m’empêcher de les trouver bizarres, ces contradictions. C’est vrai, quoi, comment peut-on être, et parfois de façon caricaturale, une fois souple et une fois rigide ? Tolérant et intransigeant ? Prenez ceux qu’on appelle les « libertariens » aux Etats-Unis. Eux, ils sont cohérents : ils prônent la disparition de l’Etat et de toute régulation, mais s’agissant du social et du sociétal (puisque sociétal il y a, paraît-il), ils sont tout aussi tolérants et ouverts.

 

 

Mais ce n’est pas fini. Ça continue demain. Attention les yeux.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.