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lundi, 01 novembre 2021

A MORT L'HÔPITAL PUBLIC !

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Faut-il que la situation apparaisse enfin catastrophique à un responsable du journal pour que Le Progrès lui-même s'y mette et en fasse un (tout petit) titre de "Une", mais deux pleines pages en pp. 2 et 3 (ci-dessus le titre de p.2) !!! Attention, Le Progrès n'est pas un "journal de référence" et n'y a aucune prétention. Le Progrès tient à rester un bon petit soldat de la P.Q.R. (Presse Quotidienne Régionale), qui rapporte fidèlement les petits événements de la vie des gens, piétons renversés par des chauffards, voyous voleurs d'Iphones, cambriolages de restaurants où le bandit a été retrouvé ivre-mort le matin, rodéos sur la place des Terreaux sous le nez du maire écologiste, bref : rien que des choses importantes. 

Parlons sérieusement : l'hôpital est au bord de l'effondrement. Le Progrès n'a rien inventé. Cela fait longtemps que les plus fins connaisseurs de la question lancent dans le désert des cris d'alarme : « Au secours ! La citadelle hospitalière se lézarde ! » Et ça ne date pas de la pandémie : on ne compte plus les manifs d'infirmières, d'aides-soignantes, de sages-femmes, etc. qui ont parcouru les rues. Plus fort : il n'y a pas si longtemps, on a vu des centaines et des centaines de "mandarins", médecins des hôpitaux, professeurs connus et reconnus démissionner de toutes leurs tâches administratives.

A l'initiative de quelques-uns, un "Collectif Inter-hôpitaux" a été créé, qui envoie régulièrement en mission devant les micros et les caméras que la presse consent à consacrer au problème, pour décrire la progression du mal qui gangrène l'hôpital. Tout dernièrement, j'ai entendu Mme Agnès Hartemann, qui ne fait, la malheureuse, que redire, rabâcher, ressasser les mêmes horreurs (cf. sa conférence de presse de janvier 2020, mais aussi d'autres interventions).

Guillaume Erner, qui anime les Matins de France Culture, a aussi invité François Salachas, neurologue à La Pitié-Salpêtrière. Lui aussi ne mâche pas ses mots, il y va même carrément : l'hôpital est en train de crever. Il y a des signes qui ne trompent pas, à commencer par la désertion de tout un tas de personnels qui, dégoûtés, saturés, surmenés, ne supportant plus d'être ainsi malmenés par l'institution elle-même, filent dans le privé ou le libéral, voire changent de métier. Au point que dans certains services (pédopsychiatrie et autres), 20% des lits restent inoccupés par force, faute de compétences disponibles. Comme quoi la fermeture de lits par les hautes autorités n'est pas le seul problème.

Et ce n'est pas seulement une question de rémunération. Ce qui pourrit la vie professionnelle de tous les gens qui travaillent dans le secteur du soin à l'hôpital public, c'est l'inflation de la bureaucratie hospitalière, qui exerce son pouvoir au détriment du SOIN, la seule et finale raison d'être de tout établissement médical. Pensez : il y a à l'hôpital autant de gens dont la mission est de soigner que de gens dédiés à l'administration. Les témoignages abondent pour dire que le COVID a été providentiel en même temps qu'il a mis en lumière la mainmise des administratifs et comptables : au plus fort de la crise, l'administration s'est d'un seul coup mise au service des personnels soignants, qui n'en revenaient pas. On a même vu des taxis amener et ramener chez elles des aides-soignantes, aux frais de la princesse.

Mais qu'on ne s'y trompe pas, une telle situation idyllique ne pouvait pas durer, comme l'a signalé l'excellente Agnès Hartemann quand elle a vu revenir en force tous les réflexes de la bureaucratie hospitalière, qui a recommencé à dicter sa loi, au mépris de toute logique de soin. Comme si la pandémie ne devait être considérée que comme un incident de parcours, en attendant que les affaires puissent reprendre leur cours normal. Disons-le : c'est maintenant chose faite.

Le retour de la situation mortifère dans laquelle se trouvait déjà l'hôpital public avant la pandémie me fait dire, à tort ou à raison, que tout cela résulte d'un plan à long terme. Concocté par qui, je n'en sais fichtre rien. Mais il est toujours permis d'émettre quelques hypothèses. La mienne tient en un sigle : H.P.S.T. C'est celui auquel se résume une loi voulue, votée et promulguée sous la présidence de Sarkozy, Mme Roselyne Bachelot étant l'exécutrice des hautes œuvres (je ne vois pas de meilleure expression) en tant que ministre de la Santé. HPST, ça veut dire Hôpital-Population-Santé-Territoire. Cela sent à plein nez le concept produit par un crâne d'œuf, une engeance toujours fertile quand il s'agit de produire des machins sur papier qui ravissent les politiques et qui martyrisent les gens qui connaissent le terrain parce qu'ils y vivent et travaillent. 

Pour s'en tenir aux données cruciales en évitant de se lancer dans des circonvolutions philosophiques, cette loi veut faire de l'hôpital une entreprise comme les autres, et pour atteindre ce noble objectif instaure le "paiement à l'acte". Voilà, c'est aussi brutal, direct et simple que ça. Sans connaître dans le détail le texte de cette loi (qui ne comporte pas, selon certains, que des aspects néfastes, ce que je veux bien croire), je me dis que nous voici, onze ans après le début de son application, devant l'effarant résultat, littéralement catastrophique, qu'a entraîné cette loi scélérate. Je me dis aussi que Bachelot-Sarkozy devraient au moins être accusés, à l'encontre de l'hôpital public, de "coups ayant entraîné la mort sans intention de la donner". Et encore, sur l'"intention", ne suis-je pas entièrement convaincu. Vous ne vous dites pas ça, vous ?

Quoi qu'il en soit, si Emmanuel Macron veut vraiment sauver l'hôpital public, comme il l'a plusieurs fois laissé pressentir dans ses discours, il a une première tâche qui lui tend les bras : en finir avec la loi H.P.S.T, en finir avec le "paiement à l'acte".

***

Note : j'en ai assez de citer la promesse faite à Mulhouse par Macron à l'hôpital public en 2020. Cet homme est un homme de grands mots, d'intentions vertueuses et d'envolées lyriques. Il ne mérite plus qu'on prête attention à l'air qu'il brasse. Laissons donc toutes ses paroles s'envoler au vent et disparaître à l'horizon. 

dimanche, 14 février 2021

PAS DE COVID POUR ROSELYNE

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Après la cérémonie des Victoires de la Musique qui a vu le triomphe de Benjamin Biolay et où il a sévèrement mis en cause sa ministre de tutelle présente dans la salle pour sa responsabilité dans l'état catastrophique où se trouve le monde de la culture du fait des mesures injustes prises, au prétexte de la pandémie, par le gouvernement auquel elle appartient, madame Roselyne Bachelot s'apprête à passer une nuit agréable.

samedi, 13 février 2021

COVID : LES SPÉCIALISTES ....

.... SE POSENT BEAUCOUP DE QUESTIONS.

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Devant la complexité toujours plus aiguë du problème posé par la diffusion du virus SARS-CoV-2, qui semble hors de contrôle du fait de ses nombreux variants, le gouvernement (pleurant à gauche sur la photo de notre envoyé spécial G. Rémi) et les dirigeants de l'Agence Nationale de Santé (à droite au premier plan) ont fini par avouer qu'ils ne voient vraiment plus par quelles mesures ils pourraient demander aux Français de les aider à sortir de cette impasse sans issue dont ils ne savent pas comment sortir. Seul un sous-secrétaire d'Etat (en blanc, se faisant tout petit au fond, entre la robe noire de Roselyne Bachelot et et la calvitie d'Olivier Véran, on reconnaît le conseiller en épidémiologie et infectiologie) aurait une idée, mais il sait que, n'ayant pas aboi au chapitre, ses propositions seraient a priori malvenue, malsonnantes et malséantes, et il se tient dans une prudente réserve.

jeudi, 17 octobre 2019

MON POINT DE VUE SUR LA POLICE ...

... FRANÇAISE. (2/2)

3 – La police de proximité.

Je crois que ce préjugé défavorable au peuple, soigneusement entretenu par les autorités, explique l’incroyable élargissement du fossé qui sépare la population des forces de police. Récemment, sur France Culture, un gradé de rang moyen, proche de la retraite (le même que précédemment), rappelait que, lors de la cohabitation Chirac-Jospin après 1997 (la dissolution), ce dernier avait eu cette trouvaille admirable : la « police de proximité », et que sa disparition avait été une catastrophe (voir plus bas).

Qu’est-ce que c’était, pour Lionel Jospin et son entourage, la police de proximité ? C’était l’occasion inespérée de répandre dans la population l’idée que, quand la police est là, c’est pour venir à son aide, la secourir, faire en sorte que règne, en fin de compte, un ordre qu’on puisse qualifier de républicain. Jospin a réussi, avec la police de proximité, à installer des postes de police jusque dans des quartiers où, aujourd’hui, les policiers ne peuvent plus s’aventurer sans prendre cailloux ou cocktails Molotov, sans provoquer des émeutes. On peut se demander naïvement pourquoi : la réponse fait hurler de rage le simple bon sens.

La police de proximité, c’étaient des policiers en quelque sorte chargés d’une mission de haute sensibilité : établir entre la population et les forces représentant la loi des relations de confiance réciproque. Des flics destinés à vivre si possible dans les mêmes conditions réelles d'existence que les vrais gens, dont ils auraient une vraie « connaissance de terrain » et aux yeux desquels ils étaient chargés de représenter la loi en action et en présence.

La loi, certes, en uniforme, mais avec un visage d’individu reconnaissable et familier. La police dans la population comme un poisson dans l’eau : la voilà, la police républicaine. Des personnes au milieu d'autres personnes. Et qui pouvaient, selon les moments, taper dans un ballon dans les "quartiers" ou taper sur les voyous, les délinquants et les dealers. L'ordre qu'ils représentaient était admis par la population, et ils n'oubliaient jamais leur mission première : incarner la loi. 

Avec la police de proximité, Lionel Jospin avait mis en place les conditions de la paix civile sur tous les territoires de la république. Cela devait paraître insupportable à certains.

4 – La politique du chiffre : le policier est un gros bâton. Un poing, c'est tout.

La police de proximité commençait juste à porter ses fruits, quand elle a été supprimée d’un simple trait de plume, au motif qu’ « un flic, c’est pas payé pour jouer au football ». Celui qui tient alors la plume (et l’auteur de la citation, qui en a d'autres belles à son actif : "kärcher", "casse-toi pauvre con", etc. ...) est un voyou que les Français ont eu la niaiserie de porter à la présidence (en fait, à ce moment-là – avant 2007 – il n'était que le ministre de l'Intérieur de Chirac). Croyant élire un homme d’action, ils ont élu un casseur. Le bilan de Nicolas Sarkozy (c’est lui, tout le monde avait compris) est un bilan de casse : la justice, l’hôpital, la police, tout y passe.

La justice ? On compare les magistrats à des rangées de boîtes de petits pois sur des rayons, et on envoie Rachida Dati tirer dessus comme à la foire et faire des gros trous dans la carte judiciaire. L’hôpital ? On tient en laisse un molosse du nom de Roselyne Bachelot, qu'on lâche un jour avec pour mission de dévaster le service public de santé en imposant la rémunération à l’acte, mesure qui transforme illico l’hôpital en entreprise "prestataire de services", dirigée par un patron chargé de veiller, sinon à la rentabilité, du moins à l’équilibre des comptes (c’est la loi « HPST », dont on admire aujourd'hui les fabuleux résultats, entre autres, dans les services d’urgence et la filière psychiatrique).

La police ? Le bilan de Sarkozy est encore plus brillant. On commence par bousiller tout le service de renseignement « de terrain » (les « Renseignements Généraux », vous savez, ces policiers qu'on disait chargés des basses besognes des gouvernements, qui se baladaient incognito dans tous les syndicats, partis, groupes et milieux (mais aussi églises, synagogues et mosquées), en laissant traîner les yeux et les oreilles, pour prendre et "faire remonter" en temps réel la température de la population) en le fondant brutalement dans un nouveau service (DGSI) où on le mélange en touillant bien avec la DST, qui avait un oeil sur les étrangers séjournant en France. Or ce sont deux métiers distincts. RG et DST n'ont jamais pu additionner leurs compétences. Je parierais volontiers que Mohamed Merah (2012) est le brillant résultat de l'opération.

Et surtout, on va transformer la police en entreprise en y appliquant la même politique du « paiement à l’acte » qu’à l’hôpital, sauf que là, ça prend le nom de « politique du chiffre ». Pour Sarkozy, un policier est seulement un gros bâton entre ses mains. Une trouvaille ! Fallait y penser ! Plus nombreux sont les « constats », plus nombreuses les « affaires traitées », et plus le commissaire est content. Il a de quoi. Car pour « motiver » les troupes, on introduit dans la rémunération du commissaire une variable liée aux résultats de ses services sur le terrain : plus il coche de cases, plus il se sent confortable et plus il tire d’oreilles, à la façon de notre "petit caporal" national, pour dire sa satisfaction à ses "grognards".

Résultat des courses ? On laisse courir la réalité triviale, fatigante et salissante pour fabriquer des statistiques en pur papier dont le pouvoir peut se gargariser, et où apparaissent, grâce à Sarkozy, les formidables gains de productivité et d’efficacité de la police républicaine. Concrètement, faire du chiffre, ça veut dire qu'on envoie les bidasses agrafer des « baba cools » en uniforme (dreadlocks et rouge-orange-vert), confisquer leur barrette de « shit » et les envoyer en comparution immédiate : c’est ça, le « chiffre ». J’ai oublié le terme employé par le flic gradé de rang moyen proche de la retraite, sur France Culture, mais c’est à peu près ça. La réalité réelle ? Elle fout le camp. Les plus gros poissons ? Ils courent à toutes jambes et à tire d’aile, jamais inquiétés.

La voilà, la police de Sarkozy : c’est une police qui a sorti les mains du cambouis, c’est une police propre, une police en pur papier de statistiques.

J'exagère évidemment, mais c'est pour faire comme Günther Anders : c'est à visée pédagogique. Le malheur, c'est que ni Hollande, ni Macron n'ont fait quoi que ce soit pour rectifier le tir après le décès politique du voyou. Ah si, pourtant : il semblerait que, avec les "brigades de sécurité du quotidien", le régime actuel veuille faire revivre d'une certaine manière l'idée de Jospin. Espérons.

5 – Le policier obéit aux ordres.

Le dernier point sera pour souligner un aspect souvent minimisé dans les comptes rendus de la presse : rien de ce que font les policiers lors des manifestations ne se fait sans avoir été autorisé ou ordonné par la hiérarchie. Le gradé de rang moyen proche de la retraite, déjà cité, le confirme : si on lui dit de reculer d’un mètre, le policier de base recule d’un mètre en disant : « Oui chef ! Bien chef ! ». La police est un outil mis à la disposition des gouvernants par la Constitution, c'est-à-dire par l'Etat.

Je ne vais pas me lancer dans l'historique impossible de la confusion presque permanente entre "intérêt de l'Etat" et "intérêt du gouvernement" au fil de la Cinquième République : je veux juste rappeler la fonction d'utilité publique de la Police nationale et de la Gendarmerie nationale. C'est un instrument au service de la chose publique. Ce qu'on appelle la "chaîne de commandement" va du ministre en charge jusqu'au bidasse du dernier rayon, où chaque échelon inférieur est supposé obéir aux ordres qu'on lui donne, et chaque échelon supérieur censé donner des ordres conformes aux intérêts de la nation. C'est au moins la théorie.

Cela veut dire que le flic de terrain, lorsqu’il tire une « balle de défense » avec son LBD, c’est qu’on lui a dit de le faire. Même chose pour les gaz lacrymogènes, même chose pour les « grenades de désencerclement ». Même chose pour les manœuvres destinées à couper toutes les issues à une foule de manifestants, pour les enfermer comme dans une nasse, qu'on arrose ensuite de "lacrymos" pour leur apprendre les bonnes manières. Même chose pour les manœuvres consistant à laisser les "black blocks" se fondre au milieu des marcheurs, ce qui permet de ne plus distinguer ensuite le bon grain de l'ivraie. Même chose, évidemment, quand il s'agit de "foncer dans le tas" (après sommations d'usage).

Cela veut dire qu’il faudrait moins parler de « violences policières » que de « violences d’Etat » : s’il y a des dégâts sur le terrain (un œil, une main en moins, des blessures diverses), c’est que cela entre dans le cadre des ordres donnés par la hiérarchie policière. Et la hiérarchie policière, elle n'a qu'une pensée : appliquer les consignes données par le ministère de l’Intérieur (ou par celui qui en tient lieu en région : le préfet). L’œil crevé, la main arrachée, autant de trophées que le ministre pourrait à bon droit exposer aux murs de son bureau : c'est lui qui lance la meute à l'attaque. 

En matière de violences policières, il y a manifestement une parfaite adéquation entre les dégâts infirmiers et médicaux et les intentions politiques dans le cadre desquelles ils s'inscrivent. En haut lieu, on peut certes "déplorer" et "compatir", mais on ne désavouera pas l'action et on ne sanctionnera personne : ce serait se punir soi-même. Dit autrement : les violences policières sont pensées, voulues, prévues par quelqu'un qui ne descend pas sur le terrain, et qui laisse les "manards" en prendre parfois plein la gueule. Si les policiers sont violents, c'est sur ordre, mais à leurs risques. C'est, dit le ministre, le résultat qui compte : peu importent les "dommages collatéraux". Cela explique pour une bonne part monsieur Castaner, "droit dans ses bottes" quand il est devant les caméras, soutenant la légitimité de l'emploi des LBD.

Tout ça pour dire que, si l’on s’indigne à raison en visionnant des images de smartphone faites « sur le terrain » des manifs, où l’on voit une matraque s’abattre sur un piéton déjà à terre, où l’on entend le long cri de douleur d’un homme qui a reçu une balle de défense dans les couilles, on devrait s’en prendre de façon beaucoup plus directe à toute la chaîne de commandement (jusqu'au ministre) qui a permis d’aboutir à ces dommages corporels. Les policiers n'ont fait qu'obéir aux ordres. Dommages stupéfiants dans un pays si fier encore de se considérer comme une démocratie exemplaire.

Voilà, en gros, les réflexions qui me viennent quand je pense à l’exercice de la police en France. Pour moi, une police démocratique et républicaine devrait pouvoir se déplacer dans la population, dans les quartiers, dans les territoires comme un poisson dans l’eau. Or je constate que tout est fait pour que le corps policier apparaisse comme un « corps étranger » qui n'est nulle part le bienvenu, et violemment conspué dans certains endroits.

L'hostilité qui entoure les apparitions et les actions de la police dans les manifs est sans doute le but recherché par le pouvoir. Quand on pense à la « police de proximité » patiemment mise en place sous Jospin (la greffe avait commencé à "prendre"), et brutalement rayée de la carte par Sarkozy, on reste effaré devant le gâchis : quelle perte imbécile ! 

J’en attribue la responsabilité à Sarkozy bien sûr, mais plus généralement à tous les pouvoirs en place, qui tiennent à garder sous le coude des solutions concrètes et "fortes" à tous les « problèmes », au cas où : la formation des policiers, l’organisation policière, la définition des missions de la police, le contrôle des forces de l'ordre, la hiérarchie policière, tout cela serait à refondre dans un esprit authentiquement républicain.

Je ne sais pas tout de la question, mais en l’état actuel des choses, il ne me semble pas qu’on puisse qualifier la police française de « républicaine ». Or la police est telle que la veulent les pouvoirs, qu'ils soient de droite ou de gauche. Il semble évident que la faute en incombe à tous les gradés de rang supérieur et à tous les "hauts fonctionnaires" qui les chapeautent, mais plus encore à tous les politiques qui, au gré des élections, sont mis à la tête de tout ce petit monde pour "mettre en œuvre" la politique des présidents qui les ont nommés. Et je n'oublie pas les noms de Squarcini et Péchenard qui, au ministère de l'Intérieur, furent des exécutants disciplinés des ordres fangeux donnés par Nicolas Sarkozy.

Je plains les policiers eux-mêmes. En particulier les gradés de rang moyen proches de la retraite.

Je plains les services publics en général.

Voilà ce que je dis, moi.

Note : il reste bien des sujets à traiter : les taux de suicide dans les rangs de la police et de la gendarmerie ; le positionnement politique très à droite de beaucoup de policiers ; les millions d'heures supplémentaires de service non rémunérées ; les difficultés du recrutement ; etc. 

samedi, 07 avril 2018

4-LA PLANÈTE DES RICHES

29 décembre 2017

Des nouvelles de l'état du monde (16).

4/5

Inégalités et Grande Privatisation de Tout (GPT).

PIKETTY THOMAS LE CAPITAL.jpgEntre-temps, je ne suis pas mécontent d’être venu à bout du pavé (pas tout à fait 1000 pages de texte et de graphiques) de Thomas Piketty, Le Capital au XXI° siècle (voir billets du 3 septembre 2015 et celui du 4). J'en retiens ici deux idées fortes (que je traduis en français ordinaire, quoique celui  de Piketty soit très lisible) : la première, c'est que plus on est riche, plus on devient riche, et plus on a les moyens de s’enrichir plus vite.

La raison est simple : quand on gagne vraiment trop d’argent par rapport à ses besoins, impossible de dépenser tout, même en achetant le « Salvator mundi » de Léonard à un prix stratosphérique (le détail n’est pas chez Piketty !). Pauvre riche, vraiment : obligé de placer son argent pour le faire « travailler » ! C’est ce qui fait de Harvard l’université la plus riche des Etats-Unis (du monde ?), puisqu’elle est capable, en payant 1 million de dollars à ses conseillers financiers et fiscalistes, de gagner 100 millions, rien qu’en placements judicieusement gérés.

Les petits graphiques de Thomas Piketty, dans son livre (ceux qui illustrent le dossier du Monde, dont Piketty est évidemment partie prenante, s'en inspirent et sont tout aussi parlants), donnent par ailleurs des bases irréfutables à une idée qui découle de la précédente : les inégalités, qui s’étaient raisonnablement ratatinées après la deuxième guerre mondiale sous les coups de deux guerres, de la redistribution et de l’impôt progressif par tranches (ça veut dire un minimum et un début pour ce qu'on appelait la "justice sociale"), mais aussi d’une forte action étatique de régulation sur les marchés, sont reparties à la hausse depuis Reagan/Thatcher (libération du marché des capitaux, non-convertibilité du dollar, …), et de façon totalement décomplexée depuis la financiarisation folle et la déconnexion des échanges financiers de l’économie réelle (jusqu’à quarante fois les volumes de certaines matières premières produites à la Bourse de Chicago).

En gros, depuis que le métier d’ « investisseur » (l’autre nom de l’actionnaire) est devenu synonyme de spéculateur, et que l’entrepreneur (celui qui a les idées, l’énergie, la technique, le savoir-faire, mais pas les sous) est devenu son larbin taillable et corvéable. Certains l'ont bien compris, et font les deux (Jeff Bezos, Amazon). Quoi qu'il en soit, c'est l’actionnaire qui dicte ses volontés à l’économie mondiale (voyez la répartition des bénéfices de Carrefour : 350.000.000 € pour les actionnaires, 35.000.000 pour les employés, pour même pas des augmentations de salaires, mais des "primes").

Pourquoi croyez-vous que bien des entreprises très bénéficiaires rachètent leurs propres actions, sinon pour augmenter les dividendes distribués aux « investisseurs » ? Nous vivons, sur le plan économique, sous un régime qu'il est légitime de nommer une dictature : la dictature de l'actionnaire (fonds de pension, fonds souverains, fonds spéculatifs, fonds "vautours", ....). Et cela, depuis que les riches exigent, en récompense de l'argent investi, qu'on leur promette la lune (miser des clopinettes pour gagner le gros lot).

Autrefois, mon grand-père estimait que des obligations d’Etat à 6% étaient très confortablement rémunérées. Aujourd’hui, au-dessous de 10, 12 ou 15%, parfois plus, de rentabilité annuelle, impossible de « lever des fonds » en quantité suffisante pour lancer votre petite entreprise : la veuve écossaise (« Scottish Widow ») ne lâchera rien. Il faut du rendement, que diable ! Six pour cent ? Une misère ! Et il y a sûrement des gens pour garder leur Livret de Caisse d'Epargne à 0,75% !!!

Pour mémoire, on peut se reporter à la formule r>g (dans Piketty), où l'auteur voit la contradiction principale du capitalisme actuel : plus le rendement privé du capital (r) dépasse le taux de croissance (g = production + salaires), mécaniquement, plus les écarts de richesse tendent à devenir vertigineux. Quand on a un tel rendement, son bénéficiaire peut être considéré comme un véritable rentier, nous dit Piketty qui, par-dessus le marché, voit dans la logique de ce mécanisme un tonneau de poudre qui n'attend que l'étincelle pour libérer d'un coup toute la violence sociale et politique qu'il contient.

Si l'on sait que le taux de croissance mondial actuel se situe autour de 3%, des rendements de – soyons modeste – 10%, on voit que la machine infernale est en route. Ci-dessous, une idée de la chose : on y voit que le 1% le plus riche a capté près d'un tiers de la croissance mondiale, et que le 1% de ce 1% a vu son revenu réel croître de 250% de 1980 à 2016. Les quatre derniers points de la courbe répartissent ce dernier centile en divisant chaque fois par dix (1%; 0,1%; 0,01%; 0,001%) ce qui explique l'envol brutal à la toute fin : injustice faite par les très-très-très-très riches aux très-très-très riches !

La démonstration que fait le rapport des cent économistes complète et renforce encore – si c’était nécessaire – le fait (montré par Piketty dans son ouvrage) que les écarts de richesse entre les catégories sociales, si l’on pouvait à bon droit les considérer comme plus acceptables de 1945 à 1975, sont aujourd'hui des abîmes de plus en plus profonds. Et que les sommets himalayens atteints par les inégalités dans la période qui a précédé la guerre de 1914 commencent de nouveau à apparaître dans les lunettes des observateurs actuels, même s'ils n'ont pas très bonne vue. Piketty montre qu'il n'y a pas que la révolution bolchévique de 1917 à avoir fait des dégâts chez les nantis de Russie (et les emprunts russes, au fait ?) : la guerre de 14-18 a fait beaucoup de mal aux patrimoines, et est pour quelque chose dans une certaine égalisation des conditions après 1918. Qu'adviendrait-il demain, si une guerre ... ? Non, n'y pensons pas.

Le vrai, c'est que, partout dans le monde, est apparu un creusement des inégalités de richesse (revenu + patrimoine), et que le creusement s’accélère. La violence universelle n’est désormais plus très loin, tant il est vrai que l’instabilité est porteuse d’incertitudes, de ferments de haine, de risques et de menaces. Tant il est vrai que toute société, qui a pour but premier de « persévérer dans son être », comme dit je ne sais plus qui, craint comme la peste les facteurs d’instabilité. Or rien n’est plus facteur d'instabilité que l'avidité et l’esprit de compétition : la quête de l’illimité est en soi une instabilité dévastatrice, parce qu'elle prolifère à la façon d'un cancer.

Pour cela, un seul mot d’ordre : racler l’argent partout, jusqu’au fond des tiroirs qui étaient vides jusqu’à ce qu’on les fabrique (ce qu’on appelle des « bulles »). Pour cela, une seule recette : puisque tout a un prix, donc que tout a un coût, il faut obliger les gens à payer pour tout. On va donc privatiser tout ce qui existe, à commencer par tout ce qui ressemble de près ou de loin à du « bien commun », à du « service public », et éliminer du même coup tout ce qui était gratuit, donc pas « rentable ». Autrement dit privatiser jusqu’à l’Etat, en sauvegardant au moins quelques fonctions « régaliennes », pour la façade. Tout doit produire du rendement.

C’est par exemple la logique managériale et comptable appliquée au système de santé français et autres joyeuses trouvailles : demandez aux personnels hospitaliers ce qui est advenu avec le paiement à l'acte. Demandez-leur tout le bien qu'ils pensent de la loi HPST de Bachelot, voulue par Sarkozy, qui calque le fonctionnement de l'hôpital sur celui de l'entreprise, y compris l'objectif de productivité. C’est aussi le projet envisagé par Bercy, en vue de la prochaine instauration de la retenue à la source, de confier au privé les futures instances d’appel qui, selon toute selon toute probabilité, ne chômeront pas. Et il semblerait qu'on réfléchisse en haut lieu à la meilleure façon de déléguer à des instances privées la perception des amendes routières liées aux radars automatiques. C'est encore l'arrière-pensée grosse comme une montagne de Macron quand il pense à la SNCF.

Je pense encore aux fameux PPP (Partenariats Public/Privé) mis au point du temps de Sarkozy (encore lui, toujours aux premières loges pour les privatisations, mais Lionel Jospin fut aussi très fort en la matière, eh oui, la privatisation de l'Etat a déjà une longue histoire derrière), destinés à siphonner l'argent public sur la longue durée, comme on le voit au nouveau Palais de justice de Paris, dont Bouygues le constructeur sera le propriétaire, et l'Etat français locataire très onéreux aux dépens du contribuable (2,4 milliards d'euros en fin de parcours) pendant très longtemps. N'oublions pas le bradage au privé, par le tandem Chirac-Villepin, de la gestion des autoroutes et, par-dessus tout, de l'énorme manne des péages, qui a singulièrement raccourci le trajet entre la poche des usagers et le coffre-fort des actionnaires. 

N'oublions pas non plus les grands monopoles d'Etat (PTT, EDF, etc. : ce qu'on appelait les services publics, qui faisaient notre fierté à juste titre), trésor que la France a étourdiment consenti à déposer sur l'autel de l'absurde « concurrence libre et non faussée » de l'Europe mercantile, démantèlement exigé par les traités signés sans discontinuer depuis le début (traité de Rome, 1957). Combien de Français étaient au courant de la destruction future au moment des signatures ? Combien de responsables ont tout fait pour maintenir les Français dans une ignorance complète ? Combien de Français, sachant cela, auraient voté "oui" si un référendum avait été organisé avant les signatures ? J'aimerais pouvoir parier que le "non" aurait été franc et massif.

Car c'est quoi, l'Europe promise ? Cela commence par la "concurrence libre et non faussée". Des foules de "spécialistes" en vantent les mérites, comme facteur d'égalisation des conditions de vie et d'augmentation du pouvoir d'achat. C'est évidemment "l'intérêt bien compris des populations" puisqu'elle est censée faire baisser les prix. Une preuve éclatante des bienfaits de la chose est apportée par le rapport des 100 économistes, qui nous disent d'une part qu'il y a beaucoup de pauvres dans les pays riches, et d'autre part que les écarts de richesse semblent repartis pour atteindre les sommets qu'ils occupaient au début du 20° siècle. Moralité : si les "spécialistes" n'existaient pas, il ne faudrait surtout pas les inventer.

Accessoirement, on apprend aussi que la Grande Privatisation de Tout (GPT) s'opère toujours en tenant compte, soyons-en sûrs, de "l'intérêt bien compris des populations", comme nous le montre de façon aveuglante l'élimination définitive de l'idée même de gratuité. Et comme le prouve (s'il fallait une preuve) la dernière statistique parue (hier) sur les 500 personnes les plus riches du monde : en capitalisation boursière, leurs fortunes ont gagné 23% en un an. Pas comme le Smic. Bon, c'est vrai, la Bourse peut encore connaître un énorme krach, il n'empêche que Jeff Bezos (Amazon), premier de la liste, ne refuse pas les dividendes colossaux que lui rapportent ses actions. 

La Bourse est magique : chez elle, les obligations ne créent pas d'obligation, puisqu'elles rapportent, et les actions n'ont pas besoin de l'action pour faire de même.

Comme dit (en substance) le jeune juif de La Vérité si je mens (1er épisode), celui qui a une Rolls-Royce rose, si je me souviens bien : « Pourquoi tu veux que je bosse ? Je gagne un paquet juste en respirant ».

Voilà ce que je dis, moi.

Note : nul doute que l'Etat-entreprise, l'Etat "libéral" souhaite se délester de toute une série de tâches qui relèvent pourtant de son autorité, mais qu'il considère comme des charges et comme des coûts. C'est inquiétant, mais quand on regarde la longue durée, on se rend compte que c'est une "tendance lourde". Quelle est la forme de l'Etat qui se mitonne dans les bureaux de la haute fonction publique et dans les ministères ? Vous verrez bien, manants ! Fi donc ! Passez au large ! Place ! On commence cependant à en avoir une petite idée : ça se fera sans les principaux concernés.

Note ajoutée le 7 avril : j'ai entendu hier dans l'émission La Grande table une spécialiste du saint-simonisme, Juliette Grange, formuler ainsi l'intention de Macron au sujet de l'Etat, que je trouve d'une justesse admirable : « Macron se sert des moyens de l'Etat pour affaiblir l'Etat ». Le peuple n'a pas fini de maigrir (à tous points de vue) : les puissants n'ont plus besoin de lui.