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samedi, 02 février 2019

NUIT DES IDÉES ...

... A QUOI ÇA SERT ?

Il n'y a pas que le "Grand Débat National" dans la vie. En France, quand il n'y a plus de débat, il y a encore du débat. La "Nuit des idées", on ne le sait pas assez, est une invention française. C'est une marmite où l'on met à bouillir les plus belles cervelles du pays pour « débattre des grands défis de notre temps » (Le Monde). Sûr que ça va aider l'humanité à les relever, les grands défis ! J'entendais récemment un journaliste s'exclamer : « Mais où sont les intellectuels ? ». Il parlait de la "crise des gilets jaunes" (autre invention bien française). Je réponds : ils sont partout, les intellectuels. Impossible d'ouvrir un bulletin d'information sans tomber sur un "échantillon représentatif" de chapelles universitaires (sociologue, historien, philosophe, économiste, ...). Si ce ne sont pas des intellectuels, qu'est-ce qu'il lui faut, au journaliste ? Si l'on n'y prend pas garde, c'est la noyade ! Surtout qu'à partir d'un certain stade, c'est tout le monde qui devient intellectuel.

C'est sûr, il y a pléthore. Des intellos comme s'il en pleuvait. N'en jetez plus, la cour est pleine. C'en est au point que tous ces discours plus savants les uns que les autres, qui jettent sur le monde actuel les filets à mailles serrées de leurs concepts et de leurs grilles de lecture pour en rapporter des "significations", s'ajoutent, se juxtaposent, se contredisent ou s'annulent. Résultat des courses ? Un BROUILLARD épais, opaque où le pauvre monde n'a aucune chance de s'y retrouver, et où les "chercheurs" eux-mêmes errent sans boussole, ne sachant plus au bout de quel chemin se trouve Rome, à force de panneaux directionnels contradictoires. Le monde actuel, quand on écoute les discours des intellos, je vais vous dire : il est paumé de chez paumé.

Tenez, si on lit Le Monde daté 31 janvier, on trouve, pour amorcer la pompe de la "Nuit des idées", un quatuor d'interventions qui donne une petite idée du monstre qui sortira de la manifestation officielle. Faisons une exception pour Hannah Arendt, appelée à la rescousse alors qu'elle ne nous parle plus que par livres interposés (elle est morte en 1975), aussi pertinent que soit le rappel. Mais le reste est gratiné. On trouve un article de François Hartog, historien, doctement intitulé « Le présent n'est pas le même pour tous ». Tu l'as dit, bouffi ! Il dissèque en effet le mot "présent", il le découpe en ses plus petits éléments, et il conclut de tout ça qu'il y a un « présent présentiste ». Fallait y penser, non ?  Sûr que le concept va aider l'humanité à survivre. Bon, j'admets que j'exagère.

Je passe à Philippe Descola, anthropologue. Il dit, quant à lui, au moins une chose amusante (pas besoin de savoir à propos de quoi) : « C'est un problème de temporalité. C'est comme les trains qui circulent à des vitesses différentes. Comme on croise des trains qui roulent plus lentement, on a l'impression qu'ils sont à l'arrêt, mais c'est une illusion ». Ce qui est rigolo ici, c'est "on croise" : en réalité, dès que votre train est à vitesse de croisière, vous savez que quand il croise un autre train, celui-ci disparaît du paysage en un clin d’œil, avant même que vous ayez pris conscience du choc. Je n'en veux pour preuve (attention : a contrario) que ce qui arrive aux Dupondt à la fin de Tintin au pays de l'or noir (p.55), quand Tintin, lancé à toute vitesse au volant de la voiture de l'émir à la poursuite de Müller, laisse sur place la Jeep qui roule pépère, au point que le passager moustachu croit être à l'arrêt. Et voilà ce que ça donne.

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Il est évident que les deux véhicules ne se croisent pas, mais vont dans le même sens. Mettons cela sur le compte de l'étourderie : ça arrive à tout le monde. 

Cela dit, Descola montre que pour ce qui est du diagnostic et de l'analyse des causes, beaucoup d'intellectuels disposent d'outils impeccables, et que c'est la catégorie "solutions" qui fait le maillon le plus chétif de la chaîne du raisonnement. Car il pose par ailleurs un regard assez lucide sur le temps présent et la catastrophe qui nous guette : « Je ne sais pas si on pourra l'éviter », répond-il à Nicolas Truong. Bien dit. Qui peut supporter l'absence d'espoir ? Même si la formule de Descola ne ferme pas la porte, ça ne l'empêche pas de proposer plus loin une "solution", mais de l'ordre du miraculeux : « Ce phénomène de privatisation s'est mis en place avec le mouvement des enclosures à la fin du Moyen Age et n'a cessé de croître. Pour le stopper, il faut une révolution mentale ». Ah, "Il faut", la clé qui ouvre toutes les serrures, même celles qui n'existent pas, a donc encore frappé ! La solution au problème ? "Une révolution mentale" : voyons, monsieur Descola, est-ce bien sérieux ? On mesure ici l'infinitésimale probabilité que l'espoir de Descola soit exaucé. Y croit-il lui-même ?

Après une telle entrée en matière, la "Nuit des idées" est bien partie pour participer puissamment à l'inflation de blabla qui nous submerge, et que le "Grand Débat National" cher à Emmanuel Macron a déjà commencé à alimenter en abondance. Le brouillard n'est pas près de se dissiper. Je dirai même que plus on produit du débat (du discours) sur les choses, plus le brouillard s'épaissit. Ce n'est certainement pas débattre qu'il faut, si l'humanité veut sortir de la nasse où le capitalisme ultralibéral l'a ligotée, c'est agir : ce n'est pas le "débat démocratique" qui peut quoi que ce soit contre les forces actuellement agissantes. C'est une très hypothétique "force" capable de faire reculer ces dernières. La question est : « Qui, dans les sphères de décision, est en état d'agir ? ». Je pense avoir la réponse.

Promis, demain je vous donne à renifler de près l'odoriférante, la somptueuse, la plantureuse bouse qui clôt le dossier.

Voilà ce que je dis, moi.

jeudi, 17 janvier 2019

HOUELLEBECQ

Je recycle aujourd'hui, en une seule fois, deux billets écrits en 2011 sur deux livres de Michel Houellebecq, au moment où je venais enfin de comprendre, grâce à La Carte et le territoire, l'importance de ses romans. Pourquoi "importance" ? Après tout ce temps, je crois y voir une figuration assez exacte de ce qui achemine la civilisation occidentale vers sa déchéance actuelle et sa destruction prochaine. Le système communiste a implosé, comme on sait, c'est-à-dire qu'il s'est effondré de l'intérieur, sous le poids de sa propre sénilité. Et je me demande si le même destin ne guette pas le système capitaliste, aujourd'hui encore tout fringant et triomphant, mais travaillé de l'intérieur par des forces que nul n'est capable de comprendre dans leur globalité et leurs interactions. J'ai beaucoup élagué tout ce qui m'est apparu superflu à la relecture (digressions, etc). J'ai laissé tout le reste. Je dois reconnaître que je n'ai guère développé le commentaire sur Plateforme. Un signe ? Mais de quoi ?

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J’ai mis beaucoup de temps avant d’ouvrir un livre de Michel Houellebecq. Ce qui me repoussait, je crois l’avoir dit ici, c’est la controverse : il y a quelque chose de si futilement médiatique dans la présence éphémère du parfum de quelques noms dans l’air du temps, que je tenais celui-ci pour tout à fait artificiel, voire carrément illusoire, comme c’est le cas de la plupart des effervescences télévisuelles. Je suis devenu excessivement méfiant. En l’occurrence, j’avais tort. 

J’ai donc commencé la lecture de Michel Houellebecq quand son dernier roman, La Carte et le territoire, fut placé, un peu par hasard, à proximité immédiate de ma main. J’ai dit grand bien du livre dans ce blog. J’en ai maintenant accroché deux autres à mon tableau de chasse : Les Particules élémentaires et Plateforme. Conclusion, vous allez me demander ? Voilà : je ne sais pas si on a à faire à un « grand » écrivain, je ne sais pas si ce sont des « chefs d’œuvre », comme les critiques patentés en décèlent à foison au fil des semaines. Je veux juste dire que ce sont des livres qui se situent au centre du paysage, pour qui espère comprendre quelque chose à la marche du monde actuel.  

Donc, je ne sais pas si Michel Houellebecq est le digne successeur de Balzac et Proust. Ce que je sais, c’est qu’il travaille sur le monde qu’il a sous les yeux, qu’il dit quelque chose du monde tel qu’il est, et qu’il développe sur celui-ci un point de vue, une analyse, une proposition d’éclairage précise, une grille de lecture, si l’on veut. 

C’est un romancier qui a pris position par rapport à la « civilisation occidentale », et qui a ceci de bien, s’il parle de lui, de le faire à distance respectable, hors de portée de tir de son propre nombril (malgré les apparences) et des ravages courants que celui-ci commet dans les rangs des « écrivains » français.  

On peut trouver le point de vue développé par Michel Houellebecq d’une noirceur exécrable : pour résumer, grâce à la civilisation actuelle, exportée par l’Europe, moulinée avec la sauce techniquante, massifiante et consommante de l’Amérique triomphante, le monde actuel court à sa perte et, d’une certaine façon, est déjà perdu.  

L’auteur met-il pour autant ses pas dans ceux de Philippe Muray, comme je l’ai suggéré ? Je n’en sais rien. Ce que je sais, c’est que Philippe Muray a développé dès les années 1980 un regard analogue sur la réalité, d’une acuité de plus en plus grande, et un regard de plus en plus pessimiste.  

Avant lui, plusieurs auteurs se sont inquiétés de l’évolution de notre monde : Günther Anders (L’Obsolescence de l’homme), Lewis Mumford (Les Transformations de l’homme), Hannah Arendt (La Crise de la culture), Christopher Lasch (La Culture du narcissisme), Jacques Ellul (Le Système technicienLe Bluff technologique), Guy Debord (La Société du spectacle), et quelques autres. 

Pardon pour l’étalage, mais c’est parce qu’il y a un peu de tous ces regards dans les romans de Michel Houellebecq, tout au moins les trois que j’ai lus (publiés en 1998, 2001 et 2010, ce qui révèle quand même une certaine constance). La « patte » de Philippe Muray, c’est l’attention portée à un aspect particulier de la crise moderne : l’humanité est devenue peu à peu superflue, submergée par des objets techniques, des gadgets qui sont devenus pour elle si « naturels », mais en même temps si dominateurs, qu’elle est progressivement devenue une vulgaire prothèse de ses propres inventions. Philippe Muray le synthétise dans la notion de fête, dans l’abolition de tout ce qui permettait la différenciation (en particulier entre les sexes), dans le nivellement de toutes les « valeurs », et dans l'instauration unilatérale du règne de la positivité en tout, autrement dit de l'Empire du Bien (un des titres des Essais, éd. Les Belles lettres, 1991). 

Les Particules élémentaires est un roman qui raconte quelle histoire, en fin de compte ? Janine Ceccaldi, une fille aux capacités intellectuelles hors du commun, épouse Serge Clément, qui entrevoit déjà (on est dans les années 1950) les immenses possibilités de la chirurgie esthétique. Puis elle rencontre Marc Djerzinski, homme talentueux qui œuvre dans le cinéma. Elle divorce pour l’épouser. De ces deux unions naîtront deux demi-frères : Bruno Clément et Michel Djerzinski.  

Il y a donc l’histoire de Janine en pointillé. L’histoire d’Annabelle, qui a failli vivre une « belle histoire d’amour » avec Michel. L’histoire des ratages de Bruno qui, en compagnie de Christiane ou sans elle, hantera divers lieux où il espère connaître quelque aventure sexuelle.  

A travers le personnage un peu pathétique de Janine, la mère, qui se fait appeler Jane, se formule une description somme toute caustique de l’ère baba-cool : délaissant les deux pères de ses enfants (et ses deux enfants par la même occasion), elle suit un genre de gourou, Francesco Di Meola, qui, s’étant fait pas mal d’argent,  abandonne la Californie et Big Sur, où il a rencontré les dieux et les diables de la contre-culture, y compris l’imposteur Carlos Castaneda, celui qui était entiché de son sorcier yaqui, Don Juan Matus, dont il vendit les bobards à des millions d’exemplaires (mais ça, ce n’est pas dans le livre de Michel Houellebecq). Di Meola achète une propriété en Provence.  

Janine-Jane (la mère) a baigné dans le jus contre-culturel, mais ce jus a tourné, ou alors il a aigri. Le bilan de son existence est « nettement plus catastrophique ». Et la mère des deux frangins aura une triste fin, dans une maison du village de Saorge, où vivent encore quelques illuminés post-soixante-huitards, dont « Hippie-le-Gris » et « Hippie-le-Noir », que Bruno appelle Ducon.  

La scène est curieuse. Bruno est sous traitement de lithium pour raisons psychiatriques. 

« Michel observa la créature brunâtre, tassée au fond de son lit, qui les suivit du regard alors qu’ils pénétraient dans la pièce. » Quant à Bruno, tout ce qu’il arrive à dire : « Tu n’es qu’une vieille pute… émit-il d’un ton didactique. Tu mérites de crever. ». « T’as voulu être incinérée ? Poursuivit Bruno avec verve. A la bonne heure, tu seras incinérée. Je mettrai ce qui restera de toi dans un pot, et tous les matins, au réveil, je pisserai sur tes cendres. »  

Il y a souvent des problèmes, chez Michel Houellebecq, avec la transmission et avec la filiation. Un moment vaguement hallucinant, où Bruno se met à entonner à pleine voix "Elle va mourir la mamma", tout en insultant à qui mieux-mieux les hippies qui, d'après le testament maternel, vont hériter de la maison.  

Face à Bruno, qui débloque sévèrement, le littéraire raté et hors du coup, Michel Houellebecq fait de Michel, en dehors d’un errant affectif quasiment indifférent à tout ce qui est humain, un biologiste à la pointe du « progrès », disons-le, une sorte de génie : son « testament » de chercheur s’intitule Prolégomènes à la réplication parfaite. Michel ne veut pas être emmerdé par les tribulations humaines ordinaires. Peut-être est-ce ce qui guide ses recherches.  

Car ce testament s'avère porteur de tout l'avenir scientifique de l'humanité. Chacune de ses propositions révolutionnaires en sera plus tard dûment et scientifiquement prouvée. Autrement dit, le point culminant de son travail ouvre la voie à l’admission du clonage humain comme fondement institutionnel de l’humanité, ce qui débarrasse l'ancienne humanité (la nôtre) de tout le poids sentimental qui l'écrase.  

Le livre évoque, depuis un moment du futur, l’extinction de la vieille race humaine. « On est même surpris de voir avec quelle douceur, quelle résignation, et peut-être quel secret soulagement les humains ont consenti à leur propre disparition. » [16 janvier : cela me fait penser à Soumission et à l'évidence tranquille avec laquelle l'islam s'impose en France en 2022.]  On perçoit en positif cette post-humanité, qui adresse in fine sa gratitude à l’humanité archaïque : « Cette espèce aussi qui, pour la première fois de l’histoire du monde, sut envisager la possibilité de son propre dépassement ; et qui, quelques années plus tard, sut mettre ce dépassement en pratique ». 

On est alors quelque part, dans ce regard rétrospectif, à la fin du 21ème siècle. Et la post-humanité rend alors hommage à l’humanité (la nôtre), qui fut si défectueuse, mais si touchante aussi. Glaçant, et très fort. Quand on ferme le livre, on se prend à espérer que c’est de la science-fiction. Mais ce n’est pas sûr.  

La Carte et le territoire offrait une perspective analogue sur la disparition programmée de l’humanité, à travers l’œuvre en mouvement de Jed Martin, présenté comme un grand artiste de son temps. Plateforme nous plonge dans la décadence sexuelle de l'Occident en général et de l’Europe vieillissante en particulier. Le personnage principal, qui se nomme là encore Michel, est un obscur fonctionnaire aux Affaires Culturelles, un statut social négligeable. Au début du livre, Michel, qui vient de perdre son père, participe à un voyage organisé en Thaïlande. Il passe bien sûr par des « salons de massage ». Valérie fait partie du groupe, un groupe triste, hétérogène, et bête, avec ça !  

Revenu à Paris, il démarre une relation vraiment amoureuse avec Valérie, qui travaille dans une entreprise de tourisme, sous la direction de Jean-Yves. Lui et Valérie, professionnellement, sont complémentaires. Ils gagnent confortablement leur vie. Une opportunité les propulse à la tête des villages Eldorador.  

C’est dans un village de Cuba que Michel suggère à Jean-Yves, pour rétablir la situation de la société, de faire de ses villages des destinations pour un tourisme, disons … « de charme ». Tout se goupille à merveille, et l’entreprise est florissante, mais ces salauds d’islamistes feront tout capoter, avec à la clé l’insurrection de tout le féminisme français contre l’esclavage dégradant et le tourisme sexuel.   

C’est sûr, l’humanité de Michel Houellebecq n’est pas belle à voir. Au fond, autant vaut qu’elle disparaisse, n’est-ce pas ? J'ai l'impression que les romans de Michel Houellebecq sont des applications romanesques pratiques de la pensée de Günther Anders (L'obsolescence de l'homme), de Hannah Arendt et de Guy Debord. Et le pire, c'est que ces romans paraissent être à peine de la science-fiction. Ce sont, et c'est Philippe Muray qui le dit à propos des Particules élémentaires, des romans de la fin. Très juste.

mardi, 08 mai 2018

LE MONDE DANS UN SALE ÉTAT

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Je ne sais pas si Paul Jorion[1] a raison quand il parle d’un « effondrement général » de l’économie, de l’extinction prochaine de l’espèce humaine et de son remplacement par une civilisation de robots indéfiniment capables de s’auto-engendrer et de s’auto-régénérer. Sans être aussi radical et visionnaire, je me dis malgré tout que la planète va très mal, et que l’espèce qui la peuple, la mange et y excrète les résidus de sa digestion, est dans un sale état. 

Beaucoup des lectures qui sont les miennes depuis quelques années maintenant vont dans le même sens. Pour ne parler que des deux ans écoulés, qu’il s’agisse 

1 - du fonctionnement de l’économie et de la finance mondiales (Bernard Maris[2], Thomas Piketty[3], Paul Jorion[4], Alain Supiot[5], Gabriel Zucman[6]) ; 
2 - de la criminalité internationale (Jean de Maillard[7], Roberto Saviano[8]) ; 
3 - des restrictions de plus en plus sévères apportées aux règles de l’état de droit depuis le 11 septembre 2001 (Mireille Delmas-Marty[9]) ;
4 - de la destruction de la nature (Susan George[10], Naomi Oreskes[11], Fabrice Nicolino[12], Pablo Servigne[13], Svetlana Alexievitch[14]) ; 
5 - de l’état moral et intellectuel des populations et des conditions faites à l’existence humaine dans le monde de la technique triomphante (Hannah Arendt[15], Jacques Ellul[16], Günther Anders[17], Mario Vargas Llosa[18], Guy Debord[19], Philippe Muray[20], Jean-Claude Michéa[21], Christopher Lasch[22]),

[Aujourd'hui (8 mai 2018), j'ajouterais la littérature, avec évidemment Michel Houellebecq en tête de gondole, mais aussi la bande dessinée : j'ai été frappé récemment par l'unité d'inspiration qui réunit Boucq (Bouncer 10 et 11) ;

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Derrière son drôle de masque, la dame à l'arrière-plan, dirige un clan d'amazones impitoyables, qui capturent toutes sortes d'hommes pour qu'ils les fécondent, et pour leur couper la tête juste après l'acte. Et ce n'est que l'une des nombreuses joyeusetés rencontrées.

Hermann (Duke 2) ;

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Yves Swolfs (Lonesome 1) ;

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et d'autres dans un déluge de sang, de violence, de cruauté gratuite et de bassesse dont j'ai bien peur que, sous le couvert de la fiction et du western, ils nous décrivent, avec un luxe de détails parfois à la limite de la complaisance, ce que certains philosophes et sociologues appellent un très actuel "grand réensauvagement du monde". La représentation de plus en plus insupportable et violente d'un monde fictif (je pense aussi à certains jeux vidéos) n'est-elle pas un reflet imaginaire d'une réalité que nos consciences affolées refusent de voir sous nos yeux ?]

quand on met tout ça bout à bout (et ça commence à faire masse, comme on peut le voir en bas de page), on ne peut qu'admettre l’incroyable convergence des constats, analyses et jugements, explicites ou non, que tous ces auteurs, chacun dans sa spécialité, font entendre comme dans un chœur chantant à l’unisson : l’humanité actuelle est dans de sales draps. Pour être franc, j’ai quant à moi peu d’espoir. 

D’un côté, c’est vrai, on observe, partout dans le monde, une pullulation d’initiatives personnelles, « venues de la société civile », qui proposent, qui essaient, qui agissent, qui construisent. Mais de l’autre, regardez un peu ce qui se dresse : la silhouette d’un colosse qui tient sous son emprise les lois, la force, le pouvoir, et un colosse à l’insatiable appétit. On dira que je suis un pessimiste, un défaitiste, un lâche, un paresseux ou ce qu’on voudra pourvu que ce soit du larvaire. J’assume et je persiste. Je signale que Paul Jorion travaille en ce moment à son prochain ouvrage. Son titre ? Toujours d’un bel optimisme sur l’avenir de l’espèce humaine : Qui étions-nous ? 

Car il n’a échappé à personne que ce flagrant déséquilibre des forces en présence n’incite pas à l’optimisme. Que peuvent faire des forces dispersées, éminemment hétérogènes et sans aucun lien entre elles ? En appeler à la « convergence des luttes », comme on l’a entendu à satiété autour de « Nuit Debout » ?

[8 mai 2018. Tiens, c'est curieux, voilà qu'on entend depuis des semaines et des semaines la même rengaine de l'appel à la convergence des luttes. C'est un mantra, comme certains disent aujourd'hui : une formule magique. Ce qu'on observe dans certains cercles contestataires, c'est plutôt la convergence des magiciens, sorciers, faiseurs-de-pluie et autres envoûteurs : ils dansent déjà en rond en lançant les guirlandes de leurs grandes idées et des incantations incantatoires autour du futur feu de joie qu'ils allumeront un de ces jours dans les salons dorés des lieux de pouvoir. Eux-mêmes y croient-ils ?] 

Allons donc ! Je l’ai dit, les forces adverses sont, elles, puissamment organisées, dotées de ressources quasiment inépuisables, infiltrées jusqu’au cœur des centres de décision pour les influencer ou les corrompre, et défendues par une armada de juristes et de « think tanks ». 

Et surtout, elles finissent par former un réseau serré de relations d’intérêts croisés et d’interactions qui fait système, comme une forteresse protégée par de puissantes murailles : dans un système, quand une partie est attaquée, c’est tout le système qui se défend. Regardez le temps et les trésors d’énergie et de persévérance qu’il a fallu pour asseoir l’autorité du GIEC, ce consortium de milliers de savants et de chercheurs du monde entier, et que le changement climatique ne fasse plus question pour une majorité de gens raisonnables. Et encore ! Cela n’a pas découragé les « climato-sceptiques » de persister à semer les graines du doute. 

C’est qu’il s’agit avant tout de veiller sur le magot, n’est-ce pas, protéger la poule aux œufs d’or et préserver l’intégrité du fromage dans lequel les gros rats sont installés. 

Voilà ce que je dis, moi. 

[1] - Le Dernier qui s’en va éteint la lumière, Fayard, 2016. 
[2] - Houellebecq économiste. 
[3] - Le Capital au 21ème siècle. 
[4] - Penser l’économie avec Keynes. 
[5] - La Gouvernance par les nombres.
[6] - La Richesse cachée des nations.
[7] - Le Rapport censuré.
[8] - Extra-pure.
[9] - Liberté et sûreté dans un monde dangereux, Seuil, 2010.
[10] - Les Usurpateurs.
[11] - N.O. & Patrick Conway, Les Marchands de doute.
[12] - Un Empoisonnement universel.
[13] - P.Servigne. & Raphaël Stevens, Comment tout peut s’effondrer.
[14] - La Supplication.
[15] - La Crise de la culture.
[16] - Le Système technicien, Le Bluff technologique.
[17] - L’Obsolescence de l’homme.
[18] - La Civilisation du spectacle.
[19] - Commentaire sur La Société du spectacle.
[20] - L’Empire du Bien, Après l’Histoire, Festivus festivus, …
[21] - L’Empire du moindre mal.
[22] - La Culture du narcissisme, Le Moi assiégé.

samedi, 14 avril 2018

ECOLOGIE POUR UNE AUTRE FOIS

Ce billet du 4 décembre 2011, remis en ligne aujourd'hui, a été assez amplement remanié (comme on dit dans un autre secteur : "Edition revue et corrigée").

Résumé : ce qu'on appelle la pollution n'est rien d'autre que le produit logique de tous les objets qui nous donnent confort et facilité.  

Mais je vais vous dire une bonne chose : la pollution, on n’en parlerait pas si cette façon de vivre était restée confinée et circonscrite. La pollution, on ne saurait même pas ce que c’est. Tu te rends compte, le bonheur ? Au lieu de ça, c'est l'angoisse. Et pourquoi ça, je vous le demande ? Parce que tous les non-occidentaux en ont voulu. Rien que des jaloux. Pas de la pollution : des objets dont nous sommes si fiers. Tu te rends compte, le culot ? Mais c'est la loi : si tu veux les objets, tu prends la pollution dans la foulée, c'est logique et forcé, c'est livré avec. Et plus on se met nombreux à les vouloir, ces sacrés objets, plus grosse elle va devenir, la pollution, c'est logique et forcé. Plus tu consommes, plus tu pollues. C'est proportionnel. Peut-être même que, à certaines conditions, ça peut devenir exponentiel.  

Et c'est vrai, si l'usage des objets fabriqués avait été réservé aux habitants de leur aire de production d'origine, en gros et pour résumer, l’Amérique du Nord, l’Europe occidentale, l’Australie et le Japon, je vous le dis, on n'en serait pas là ! Ce qu’on appelait, il n’y a pas si longtemps, les « pays développés ». Mettons un milliard d’individus. Qui vivaient tranquilles à piller la planète en bons pères de familles. Ça pouvait durer encore un peu. Disons quelques siècles sans se faire trop de mouron. 

Tandis que là, si tout le monde s'y met, ça ne va plus être possible. Qu’est-ce qui leur a pris, à tous les autres, de les vouloir, ces objets ? Ils vivaient heureux (pas les objets, ballot !). Un mode de vie simple, pas de livres donc pas de littérature écrite, une alimentation frugale, des ambitions modestes pour les enfants, pas d'impôts, une existence « à l’ancienne », héritée des ancêtres. Ils avaient tout, sans avoir nos objets. Bon, ils ne gagnaient pas lourd, mais comme la vie ne coûtait rien ... (remarquez que, à la réflexion, c'est peut-être ça, notre problème : que ça ne leur coûte rien, de vivre : une piste à explorer). 

Les femmes gardaient vivants quelques enfants, sur une vingtaine de grossesses. Au moins, la mortalité infantile n’était pas faite pour les chiens. C’était le bon temps. Personne ne se plaignait. C’était comme ça. Quand on excisait, il n’y avait pas vingt clubs de tiers-mondistes huppés et de droits-de-l'hommistes magnanimes pour vous tomber sur le râble et vous faire renoncer à vos coutumes séculaires et barbares.  

Notez que, pour la mortalité infantile, c’était du pareil au même chez nous, deux cents ans avant. Je ne sais plus quel médecin anglais a fait faire un bond à la fertilité finale des femmes quand il a enseigné le lavage des mains aux accoucheuses et à ses collègues (je me rappelle, en janvier 1973, mon étonnement et ma légère incrédulité quand j'avais vu l'accoucheur de ma première fille procéder à un très long et très méticuleux lavage des mains, au savon de Marseille et à l'eau froide, dans un lavabo du large et long corridor de l'ancienne Maternité de la Croix-Rousse, désormais ultramoderne). On a appelé ça le progrès. On y a cru. Dans le fond, c’est la médecine européenne qui a inventé la « bombe démographique ». 

C’est vrai que l’occident, en même temps qu’il voyait se multiplier les sympathiques « créateurs de richesse », le dollar entre les dents, a vu proliférer les indispensables « grandes âmes » (sens du mot magnanime). Comment, se sont-ils écriés, nous allons chercher chez les sauvages les matières qui nous permettent d’avancer sur la voie du Progrès, et nous les laisserions éloignés des bienfaits de ces avancées ? C’est le moment de leur envoyer la médecine, et puis tiens, tant qu'on y est, le docteur Schweitzer à Lambaréné avec dans ses bagages Raoul Follereau pour lutter contre la lèpre. C'est comme ça et pas autrement qu'on a allumé la mèche de la « bombe démographique ». 

La Terre parvient à son 1er milliard vers 1800, à son 2ème vers 1925, à son 6ème en 1999. Elle vient d’atteindre son 7ème milliard (ce sont les chiffres en gros). Aux dernières nouvelles, la Terre, encore toute grosse, aurait déclaré : « Je suis contente, et j’espère faire mieux la prochaine fois ». On se croirait à l’arrivée du critérium de Tence (Haute-Loire) dans les années 1960, quand Fayard arrivait toujours premier. On l’encourage. Et on applaudit très fort. « Tiens bon, la Terre ! Allez, citius, altius, fortius ! », comme aurait dit Coubertin ou son copain curé. 

Donc, le monde non occidental vivait très bien comme ça. Disons qu'il vivait. Et puis le monde occidental a débarqué avec sa médecine. Accessoirement et en même temps, il a voulu apporter l’occident en personne. Autrement dit, en plus de la médecine, les objets, le goût des objets modernes, ceux qui marchent à l’électricité et à l'essence, ceux qui sortent des usines. 

C'est qu'il fallait bien apporter la médecine au Tiers-Monde pour transformer les populations démunies, d’abord en autant de clientèles en bonne santé, ensuite en clientèles solvables. Parce que les usines occidentales crachaient leurs objets à jet continu et que les marchés des pays développés étaient saturés. Il fallait élargir à tout prix. 

On a donc imaginé toutes sortes de « marchés potentiels » pour écouler tous ces surplus. Hannah Arendt explique ça très bien dans Les Origines du totalitarisme (deuxième partie, je crois, celle sur l’impérialisme). Elle intitule d’ailleurs drôlement un paragraphe « Embarras suscités par les droits de l’homme ». Vous m’excusez de la remettre sur le tapis, c’était juste en passant. De toute façon, ce n'est pas tout à fait ça qu'elle dit. 

L’occident a donc exporté l’occident, partout où c’était possible, ce qui veut dire « partout ». L'occident a implanté l'occident dans le monde. Le monde s’est occidentalisé dans la foulée. Et la foulée, qu'est-ce qu'elle a fait ? Elle a continué. Et il faut le comprendre, le monde, il a voulu « vivre à l’occidentale ». C'est-à-dire avec l'électricité, l'essence et l'eau courante. Et quand l'Amérique a pris la tête de l'occident, tout le monde s'est mis à vouloir adopter l' « american way of life ». Ben oui : un Progrès décisif, pour le coup, mais une Catastrophe. 

Surtout l'électricité. Plus de courant ? Rendez compte ? Plus de télévision ! Autant dire plus rien. L'angoisse. Moi, j'en rigole, rien qu'à l'idée de la pléiade d'empaffés qui seraient radicalement privés de montrer leur trombine dans le poste, et d'en toucher les dividendes. Sur la paille, Nagui, Hanouna, Bern, Salamé. Réfléchis : combien de temps passes-tu dans la journée avec quelque chose qui marche à l'électricité ou à l'essence ? Trop. Et l'énergie, électrique ou pétrolière, il faut la produire. Eh oui, les petits enfants, c'est produire et consommer qui se sont mis d'accord pour faire la vilaine pollution.

Vous allez demander s'il est possible de produire sans polluer ? La réponse est oui, mais à deux conditions : d'une part le nombre, la quantité, et d'autre part la simple satisfaction des besoins. Si tu produis juste ce dont tu as besoin, pas de problème. C'est quand l'homme commence à s'ennuyer qu'il se met à éprouver des besoins dont il n'a pas besoin. C'est quand il ne sait plus à quoi elle sert, la vie qu'il vit : il a besoin de se remplir de toutes sortes de choses dont il n'a rien à faire en réalité.    

Vivre à l'occidentale, ça veut dire, en réalité, un poste de télévision dans chaque pièce de la maison, des frigos et congélateurs pleins à ras bord, des voitures, des ascenseurs, des téléphones portables, des ordinateurs, et tout le reste. Bref, vous avez compris, le « confort moderne ». Vivre à l'américaine (ou à l'occidentale), ça veut dire : avoir trop.  

Y a pas de raison que vous autres occidentaux soyez seuls à posséder tout ça. Tout le monde a droit au trop. Et quand on y réfléchit, on se dit que c’est bien vrai : il n’y a aucune raison rationnelle pour priver de nos bienfaits matériels les six milliards d’hommes qui n’en disposaient pas encore. 

Vous avez compris pourquoi la énième conférence sur le climat, qui a lieu en ce moment à Durban, en Afrique du sud, est vraiment très mal partie. On nous dit qu’il faut abonder un fonds mondial pour le climat. D’abord, je demanderai : « Quel argent ? ». Mais l’argent, on en trouve toujours quand c’est important aux yeux des gens importants. 

Ensuite, je demanderai : « Au nom de quelle raison et de quel principe l’occident empêcherait les pays pauvres (et les pays avancés des pays pauvres, les désormais fameux B.R.I.C.S.) d’accéder au même degré de bonheur matériel qu’il a pour son compte atteint autour de 1900 ou 1920 ? ». 

La plaidoirie est remarquable, non ? Merci pour l'orateur. C’est entendu, tout le monde a le droit d’être trop riche et de consommer bien au-delà de ses besoins, exactement comme les occidentaux. Il n’y a pas de raison. Comme ça, l’extraction forcenée des ressources (étape nommée « au départ ») va s’élargir et devenir furieuse, puis tonitruante, et la poubelle (étape nommée « à l’arrivée ») va se rétrécir, puis devenir minable. Et l'humanité va y élire domicile, dans la poubelle. Ce qu'elle a un peu commencé à faire. 

Vous savez comment ça va finir, en toute logique ? Les étapes « au départ » et « à l’arrivée » vont se confondre. Concrètement, ça va donner quoi ? Ben, ça me paraît évident. Quand l’extraction forcenée va arriver dans le mur, eh bien c’est tout simple, elle va extraire directement ce qui se trouve dans la poubelle. C'est pour ça que le recyclage a l'avenir devant lui. Pierre Dac, alias Sar Rabindranath Duval, poursuit illico : « Mais il l'aura dans le dos chaque fois qu'il fera demi-tour ». 

Oui, elle va extraire directement dans la poubelle le carburant qui actionne la production de produits. J’appellerais volontiers ça « la planète autophage ». Sauf que c’est ceux qui s’agitent dessus qui vont creuser le sol sous leurs propres pieds. Je vois bien les dessins d’un nommé Granger qui dessinait dans les années 1970. Un genre d’humanité autophage.

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Il a même dessiné les pochettes des premiers disques du génie musical que le monde entier nous envie : Jean-Michel Jarre (ci-dessus Oxygène, 1976, 18 millions d'exemplaires vendus dans le monde). Bon, c’est vrai qu’il fait plutôt dans l’esbroufe et le spectaculaire que dans le musical, ne parlons même pas de l’artistique, mais Michel Granger, en dessin, ça reste une pointure. Je ne sais pas ce qu’il est devenu. 

L’objectif, c’est que sept, puis neuf milliards d’humains puissent vivre « à l’européenne ». Non, ce serait injuste : autorisons-les à vivre « à l’américaine ». A l'européenne, il faudrait juste trois planètes identiques pour que ça soit viable. A l'américaine, c'est cinq planètes, qu'il faudrait. Comme ça, ce sera plus net. 

C’est bien vrai, finalement, que l’occident (américanisé jusqu'à l'âme) est schizophrène. D’un côté, l’économie, la richesse, le progrès, le confort, la croissance, la technique. De l’autre, les principes, la justice, les droits de l’homme, les grandes âmes (« mahatma », en hindi), l'humanitaire et la charité publique, internationale et "sans frontières". D’un côté, la liberté (de s’enrichir). De l’autre, l’égalité et la justice. On est donc devant cette belle équation à résoudre : comment continuer à croître, tout en voulant imposer la justice ? 

Drôle de paradoxe, quand même : liberté + égalité = planète invivable. Vous ne trouvez pas que c'est bizarre ? Et si vous ajoutez le troisième terme, la fraternité, je crois que c'est plutôt une sorte de guerre qui se profile à l'horizon, vous ne croyez pas ?  

Je la vois déjà, la planète à 9 milliards d’hommes égaux en richesse à l’Américain moyen d’aujourd’hui. Allez, gardons le sourire. Plus ce sera rapide, moins ce sera douloureux. C'est déjà ça de gagné.

On pensera à l'écologie la prochaine fois. Ou alors une autre fois. Ou alors ... 

Voilà ce que je dis, moi.

mercredi, 29 mars 2017

OBSOLESCENCE PROGRAMMÉE ?

ANDERS 3.jpgGÜNTHER ANDERS : L’OBSOLESCENCE DE L’HOMME

(Tome II, éditions Fario, 2011).

Introduction : les trois révolutions industrielles (1979)

Collage de citations, épisode II.

(Voir présentation hier.) 

Aujourd’hui, les pays technocratiques ne sont plus unis par une même foi [judéo-chrétienne]. Au contraire, c’est l’athéisme (à vrai dire rarement exprimé mais pourtant très répandu) qui est la base des sciences physiques et naturelles (malgré les déclarations de foi occasionnelles de certains physiciens), et qui unit désormais ces pays.

La quatrième "révolution" contenue à l’intérieur de la troisième révolution – c’est d’elle que je vais traiter maintenant – est la tendance à rendre l’homme superflu, aussi absurde que cette formule puisse sembler. Elle cherche à remplacer le travail de l’homme par l’automatisme d’instruments ; à réaliser un état dans lequel on ne peut pas dire que personne n’est requis, mais seulement le moins de travailleurs possible, car il s’agit bien entendu d’un processus asymptotique.

L’une des caractéristiques essentielles de la phase de la révolution industrielle appelée "rationalisation" tient au fait qu’elle liquide l’homme en tant qu’homo faber ; au fait qu’elle provoque une situation dans laquelle le travail devient jour après jour plus rare et plus inhabituel ; une situation dans laquelle ce dernier, loin de continuer à valoir comme une malédiction – sur ce point la Bible a aujourd’hui complètement tort – finira par être revendiqué comme un droit et un privilège réservé à une élite chaque jour plus réduite.

Le temps libre, c’est-à-dire le non-travail, sera au contraire ressenti comme une malédiction. Et à la place de la célèbre sentence biblique (Genèse, 3, 17), il faudra alors dire : "Tu devras caler ton derrière dans un fauteuil et rester bouche bée devant la télévision toute ta vie !".

La machine est redevenue une concurrente et une ennemie. Mais la crise n’est pas seulement de retour : cette fois-ci, elle est incomparablement plus dangereuse qu’autrefois. Et cela, non seulement parce que ceux qu’elle touche aujourd’hui et ceux qu’elle touchera demain ne sont pas une minorité, mais surtout parce que, cette fois, il n’y aura plus de refuge. "Où, dans quel espace vide, dans quels espaces de travail encore inexistants, et qui ne seront d’ailleurs jamais produits, pourront bien être neutralisées les masses dont on n’aura plus besoin ?" – la question reste ouverte.

Les quelques privilégiés qui auront encore le droit de travailler n’échapperont pas non plus à ce destin, même pas pendant leurs heures de travail. On les privera, eux aussi, de la chance de réaliser leur désir de travail et de prendre du plaisir à travailler, puisqu’ils devront se contenter du rôle de "bergers des automates" : ils exerceront des activités qui ne se distinguent plus de l’inactivité que parce qu’elles sont rémunérées.

Cette irrésistible évolution en direction de la "vie vide", qui a débuté il y a juste un demi-siècle à l’époque de la mise au chômage du monde, et a trouvé son "terme" sanglant dans le national-socialisme, est l’une des caractéristiques principales de la troisième révolution industrielle dont il est question dans ce deuxième tome. Puisqu’à l’époque des médias électroniques il n’existe plus d’endroit où l’on pourrait ne pas être informé ou plutôt désinformé, ou encore, pour être plus précis, plus d’endroit où l’on pourrait échapper à la contrainte d’être informé, puisqu’il n’existe plus aucune province, il n’existe donc plus d’endroit où l’on n’a pas les oreilles saturées des bavardages sur la "perte de sens" des philosophes ordinaires, des psychanalystes, des prêcheurs des ondes ou encore des "cassettes automatiques de consolation" à écouter par téléphone.

Le monde est considéré comme une mine à exploiter. Nous ne sommes pas tenus d’exploiter tout ce qui est exploitable mais aussi de découvrir l’exploitabilité "cachée" en toute chose (et même dans l’homme). La tâche de la science actuelle ne consiste dès lors plus à découvrir l’essence secrète et donc cachée du monde ou des choses, ou encore les lois auxquelles ils obéissent, mais à découvrir le possible usage qu’ils dissimulent. L’hypothèse métaphysique (elle-même habituellement tenue secrète) des recherches actuelles est donc qu’il n’y a rien qui ne soit exploitable.

Tout cela est écrit en 1979. Certaines assertions me semblent stupéfiantes de clairvoyance.

On comprend ici, entre autres, le désespoir que recouvre sans le dire la proposition du "revenu universel". Ce qui est sûr, c'est que c'est la "civilisation" elle-même qui sera menacée par l'existence de masses énormes de populations condamnées à l'inoccupation. Il s'agira bien, comme dit Anders, de les "neutraliser". Faisons confiance à l'humanité, qui a démontré, au cours du XX° siècle, qu'elle connaît quelques moyens radicaux. On trouve déjà, dans Les Origines du totalitarisme (Hannah Arendt, 1951), l'expression "populations superflues". On peut craindre que la Terre soit amenée à porter de plus en plus d'hommes qui ne servent à rien : l'humanité surnuméraire. On a une idée de ce qui risque d'arriver, en regardant ce qui se passe en tout petit, par exemple, à Mayotte ou en Guyane où une natalité galopante jointe à l'absence structurelle de travail fait du désœuvrement de foules de jeunes la cause de bien des troubles. Que se passera-t-il quand il viendra à l'idée des masses de gens inoccupés que leur avenir n'est pas au programme des puissants ?

Dans L'Obsolescence de l'homme, Günther Anders, contrairement au reproche qu'il fait à Ernst Bloch, montre qu'il a "le courage de cesser d'espérer". J'ai comme l'impression que le philosophe ne croit guère au pouvoir de l'action (politique) ni à la possibilité de modifier le cours des choses. Parce que, pour lui, le mal est fait et que, selon toute probabilité, il est irrémédiable. A transmettre à Paul Jorion.

samedi, 28 mai 2016

NARCISSE SERA LE GENRE HUMAIN

LASCH CHRISTOPHER CULTURE NARCISSISME.jpg1 

La Culture du narcissisme (Climats, 1979) est la « Sublime Porte » par laquelle j’étais entré dans l’œuvre de Christopher Lasch (après avoir été incité à lire l’œuvre de ce penseur puissant par la première page de L’Enseignement de l’ignorance, de Jean-Claude Michéa, tout petit livre au titre percutant et pertinent). J’avais lu ce maître-livre en 2006. Dix ans après, j’y suis revenu, et je ne le regrette pas : la teneur du propos m’apparaît, me semble-t-il, de façon plus claire et probante qu’à la première lecture. 

Christopher Lasch commence très fort. Pour donner le ton, dernière phrase de la préface de l’auteur : « Le refus du passé, attitude superficiellement progressiste et optimiste, se révèle, à l’analyse, la manifestation du désespoir d’une société incapable de faire face à l’avenir ». Avis à tous les fidèles croyants qui se prosternent devant le dieu « Progrès », devant la moindre « avancée » sociétale et devant la moindre innovation technique, et qui pensent régler les problèmes actuels en persévérant dans la même voie, par exemple en ajoutant de la technique à la technique pour résoudre les problèmes posés par l'expansion des moyens techniques. 

Le même mépris pour les incroyants, la même foi, le même aveuglement, le même fanatisme les poussent à traiter de « passéistes », « nostalgiques », « archaïques », « arriérés », « dépassés », « obsolètes » et autres fadaises à la mode, si possible injurieuses, ces affreux pessimistes qui, face à la montée des multiples menaces suspendues au-dessus de l’humanité et de la planète, regardent la réalité en face, et crient « au fou ! ». Bien sûr sans aucune chance d’être entendus. "Au fou ! Au fou !" Damia chantait déjà ça il y a fort longtemps (« Tout fout le camp », 2'51", 1937 ou 1939, suivant les sources en ligne - "Damia" ou "Raymond Asso", le parolier).


Ce que j’apprécie dans la prose de Christopher Lasch, c’est d’abord l’effort de lucidité sur le sens qu’il faut accorder à la façon dont la civilisation évolue, et que le système en place présente comme le Progrès, forcément désirable. Et l’effort est intense : que n’a-t-il pas lu pour alimenter sa réflexion ! Le nombre et la diversité des auteurs chez lesquels il puise impressionnent. 

Ensuite, je suis reconnaissant à Christopher Lasch de ne pas se payer de mots, je veux dire qu’il ne se réfère pas aux grands penseurs qui ont élaboré de complexes systèmes philosophiques très abstraits, purement théoriques (Kant, Hegel, Heidegger, …), et qui vous martèlent le crâne à coups de concepts abstrus et baragouineux. Les paroles verbales, c’est pas son truc. L’auteur ne s’adresse pas à de purs esprits, à des initiés, à des spécialistes : il veut se faire comprendre du vulgum pecus. Cela tombe bien : je suis du vulgum pecus. S’il est philosophe, c’est à hauteur d’homme ordinaire. 

Pour faire contraste, je viens de faire l’effort de tenter de relire La Barbarie de Michel Henry (Grasset, 1987) : je n'ai pas pu, il m’est tombé des mains. Il y a des phrases qui me font hurler de rire : « Mais l’auto-affection n’est pas un concept vide ou formel, une proposition spéculative, elle définit la réalité phénoménologique de la vie elle-même – une réalité dont la substantialité est sa phénoménalité pure et dont la phénoménalité pure est l’affectivité transcendantale » (p.30-31). Faut-il vous l’envelopper ? Rien à voir avec La Défaite de la pensée, d’Alain Finkielkraut, paru la même année. Le pire, c’est que l’auteur de cette phrase (qui n’est pas la pire qui se puisse trouver) devait en être assez fier. 

Le registre auquel se tient Christopher Lasch, tout à fait concret, recourt heureusement à des écrivains, sociologues, chercheurs qui, observant leur époque et s’interrogeant sur la direction prise par la civilisation et sur la signification des innovations techniques et sociétales qu’elle met en place, proposent des analyses qui tantôt applaudissent à la façon dont la société évolue, tantôt critiquent tel ou tel aspect de cette évolution, mais d’une façon qui selon l’auteur ne va pas au fond des choses ou tape à côté de la cible. Lasch s'en prend à la façon dont les différents pouvoirs tentent d'imposer des représentations qui leur soient idéologiquement favorables, plus ou moins relayés par les auteurs auxquels il se réfère. Il soumet à des critiques de fond, les plus englobantes possibles, ces représentations et les discours qu'elles fabriquent.

Que dit Christopher Lasch de la société américaine et de la civilisation qu’elle a fini par imposer au reste du monde, y compris à toutes sortes d’islamo-machins qui traitent (officiellement, car il faut regarder derrière le rideau pour savoir ce qu’il en est en réalité) les Etats-Unis de « Grand Satan » ? Eh bien, pour tout dire, il n’est pas fier du résultat, non plus que de la tournure qu’ont prise les choses au moment où il publie son livre (1979, c’était hier). 

Il puise son pessimisme, je l’ai dit, dans des écrits de tous horizons, qui vont d’ouvrages de sciences humaines, philosophiques ou autres, à la littérature pure. Ce qu’il cherche, c’est à s’imprégner de la façon dont ces écrivains perçoivent le monde dans lequel ils vivent, dont ils l’interprètent et en rendent compte. De tout ce matériau qu’il s’efforce de synthétiser, il élabore sa propre interprétation en la situant au fur et à mesure par rapport à eux. 

La tendance dominante qui permet de comprendre et d’expliquer ce qui se passe est, selon lui, au premier chef, le narcissisme. Le titre de son premier chapitre, « L’invasion de la société par le moi », n'y va pas par quatre chemins. Il attribue la montée irrésistible du narcissisme dans la psychologie collective à une résignation devant l’ordre des choses, que les gens ont longtemps espéré pouvoir changer, et qui s’est révélé beaucoup plus rétif aux changements qu’ils ne l’envisageaient. 

D’où un certain désenchantement : « Après le tumulte politique des années 1960, les Américains se sont repliés vers des préoccupations purement personnelles. N’ayant pas l’espoir d’améliorer leur vie de manière significative, les gens se sont convaincus que, ce qui comptait, c’était d’améliorer leur psychisme » (p.31). S’ensuivent un tas d’activités qui se développent autour des soins du corps et de l’âme, et un centrage de l’attention sur soi-même. 

J’ajoute pour mon compte qu’on a pu observer l’invraisemblable allongement des rayons consacrés par les supermarchés du livre aux rubriques « bien-être » et « développement personnel ». Et tout cela est produit par le désinvestissement du politique, c’est-à-dire par l’abandon de l’idée qu’une volonté politique peut agir sur le réel pour le transformer et l’améliorer. Ce que Hannah Arendt considère comme l'activité humaine la plus noble est l'action, et dans la sphère politique : la faculté d'agir collectivement pour orienter la société dans telle ou telle direction. C'est en cette affirmation de la liberté que les gens, selon Lasch, ne croient plus.

A la longue, ce besoin régressif d’être pris en charge, ce besoin que quelqu’un vous donne des conseils sur la marche à suivre, ce besoin que quelqu’un vous mette en sécurité et vous donne la solution du bonheur immédiat a, depuis l’écriture du livre de Christopher Lasch, donné naissance à un monde où les gens, se sentant de moins en moins autonomes, ont remis les clés de leur existence à je ne sais combien de « spécialistes », « entraîneurs » et autres « guides spirituels » plus ou moins illuminés. Le métier de « coach » prolifère comme la vermine, comme si les gens avaient perdu leur propre nord. Il y a ici à l'oeuvre un processus d'infantilisation.

De quoi se demander, quand les populations elles-mêmes sont dans un tel état de délabrement intérieur, ce que devient la volonté de liberté, condition sine qua non de l’exercice effectif de la démocratie. 

Voilà ce que je dis, moi.

mardi, 19 avril 2016

I WILL SURVIVE

CHRISTOPHER LASCH : LE MOI ASSIÉGÉ 

Quelques réflexions après lecture. Attention : la lecture de ce billet est déconseillée aux personnes à tendance dépressive : Le Moi assiégé est un livre démoralisant, ... et indispensable pour comprendre un aspect non négligeable et peu reluisant des conditions qui sont faites aux gens qui vivent dans le monde moderne (cf. Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne).

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Gloria Gaynor, c'est juste pour mettre un peu de baume sur la plaie.

C’est une obsession particulièrement américaine : « Elle trouve son obsession la plus caractéristique et insidieuse, son expression ultime, dans l’illusion de guerres nucléaires que l’on pourrait remporter ; mais elle ne s’épuise aucunement dans l’anticipation de calamités ahurissantes » (p.57). Il parle sans doute de ces citoyens qui ont assez de moyens pour se doter de bunkers souterrains dans leurs jardins et de réserves de survie pour une durée suffisante en vue de ressortir à l’air libre sans risquer la mort, dans on ne sait combien de temps. 

Je ne suis pas sûr que l’Américain moyen soit en possession de ces moyens. Mais la mentalité qui va avec, qu’on ait les moyens ou pas, s’est répandue ailleurs qu’aux USA, quoiqu’avec retard, en même temps que la culture spécifiquement américaine conquérait les esprits un peu partout. Car cette mentalité a gagné le monde (des vertus du "soft power") : qu'on le veuille ou non, le monde est grosso modo américanisé. L'Amérique a universalisé beaucoup de ses problématiques propres, même si celles-ci sont plus ou moins forcées de s'adapter aux cultures locales pour coller au terrain et avoir une chance de prendre racine (pour vendre les produits qui vont avec).

Il ne s’agit donc pas que de moyens : c’est toute une mentalité qui s’est ainsi organisée autour de la nécessité de se préparer à survivre à des conditions extrêmes faites à l’existence de l’humanité ordinaire. L’une des conséquences de la montée du survivalisme, c’est la disparition dans les mentalités de toute possibilité de consacrer son existence à la réalisation d’idéaux quels qu’ils soient, pour lesquels on serait capable d’aller jusqu’au « sacrifice personnel ». Tout ce qui ressemble à de l’héroïsme apparaît comme étrange ou incongru, voire anormal. 

Or, avoir un idéal, quel qu’il soit, permet de donner un sens à sa vie (à tort ou à raison, on y croit). Le dilemme est le suivant : dans les conditions qui sont faites à toutes les populations par le système industriel et la société marchande, faut-il se contenter de survivre par tous les moyens, ou doit-on chercher à donner un sens à la présence humaine sur terre ? L’homme ne se considère plus comme un « agent moral » (doté de volonté et de rationalité), mais comme la « victime » d'un système impitoyable qui le domine et l'exploite : « … la protestation politique dégénère en apitoiement sur soi » (p.75). 

Le plus effrayant dans le survivalisme, par la folie qu’il y a à faire certains rapprochements, c’est que ses partisans vont chercher dans l’histoire du 20ème siècle des points de comparaison pour qualifier le sort que la société moderne fait aux hommes et pour justifier leur théorie. C’est dans ce but qu’ils s’appuient sur l’exemple des camps de concentration et des camps de la mort, malgré l’énormité du culot et la disproportion flagrante des situations en nombre de victimes et en atrocités subies. 

Christopher Lasch se réfère ici à Hannah Arendt, qui pense que les totalitarismes du 20ème siècle, hitlérisme et stalinisme, représentent « une solution, certes irrationnelle, aux problèmes non résolus de la société industrielle » (p.106), problèmes au premier rang desquels se situe la production par la dite société d’une part toujours plus grande de « populations superflues ». Que faut-il faire de l'hitlérisme et du stalinisme ? Des repoussoirs ? Des préfigurations ?

Faut-il, à la suite d’Arendt, considérer le génocide des juifs par Hitler comme un fait radicalement sans précédent ? On perd alors « la faculté de la mettre en perspective » historique pour établir des comparaisons et des correspondances possibles. Faut-il au contraire englober le génocide des juifs dans une problématique plus vaste qui permettrait d’évaluer « la culture et la politique modernes » ? On masque alors « son horreur particulière » (p.103), tout à fait spécifique du sort fait aux juifs sous le régime hitlérien. 

On le voit, la question est difficile à trancher. Quand je vois le sort fait aux aliments destinés aux hommes dans les système de la production agricole industrielle, quand je vois le sort fait aux animaux destinés à l'alimentation des hommes dans la production industrielle des animaux comestibles, j'ai tendance à me dire que la structure même qui a permis aux camps de la mort d'exister a été grosso modo transplantée de l'univers nazi dans l'univers capitaliste, sans que la signification intime et profonde de la structure en soit bouleversée.

J’ai personnellement du mal à perdre de vue que l’uniformisation actuelle du monde sous la bannière de la production industrielle généralisée de la totalité de ce dont nous avons besoin pour vivre, rend les produits comme les hommes insignifiants, interchangeables, et par suite, jetables : les camps de la mort, pour aberrants, odieux et innommables qu’ils soient, n'étaient d’une certaine manière que l’application du même principe, sauf que, cette fois, c’est de la mort que l’industrie rendue folle s’était mise à produire. 

L’horreur en moins, le sort de l’humanité en devient-il pour autant plus enviable ? L’idolâtrie et le culte fasciné dont l’innovation technologique (dernièrement, la puce qui rend possible au tétraplégique des gestes de la main, demain l’humanité « augmentée ») est aujourd’hui l’objet a tendance à m’apparaître comme le symptôme inquiétant d’un mal moral délétère (irréversible ?), qui voit l’homme se réjouir d’être bientôt débarrassé du fardeau de la liberté et de la volonté, et de pouvoir bientôt s’en remettre aux machines du souci d’exister. 

Christopher Lasch, dans Le Moi assiégé, ne s’aventure pas aussi loin ni sur un terrain aussi risqué : c'est moi qui parle ici. Il semble trancher le dilemme en laissant la parole aux survivants des camps eux-mêmes : « Ce sont les survivants qui voient leur expérience comme une lutte non pas pour survivre mais pour rester humains » (p.129). Rester humain ? Je pense à l'inoubliable L'espèce humaine, du grand et bien oublié Robert Antelme. Rester humain, c'est tout de même tout autre chose que survivre !

Si tel est bien le cas, quand le personnage principal du film Pasqualino (Lina Wertmüller, 1976), un petit truand minable qui survivra au camp grâce à sa débrouillardise et sa totale absence de scrupules, suscitera l’admiration des foules, Lasch semble pointer ce qui différencie radicalement l’expérience réelle rapportée par les survivants des camps, et la dérision de toute valeur dans l’exaltation d’un personnage moralement infinitésimal, voire répugnant. 

Car si les foules se reconnaissent en lui, une triste perspective s’ouvre, qui en dit long sur la valeur du mot "valeur", que tant d'authentiques salopards au pouvoir ont en permanence à la bouche, alors qu'ils savent que c'est l'insignifiance et la dérision qui nous guettent. 

On les comprend : eux aussi, ils veulent "survivre".

Voilà ce que je dis, moi.

vendredi, 25 mars 2016

GEORGES PEREC : W OU ...

... LE SOUVENIR D'ENFANCE

1975 W OU LE SOUVENIR D'ENFANCE.jpgDécidément, la biographie de Georges Perec par David Bellos a eu sur moi un effet magique. Dans la foulée de La Disparition, j’ai relu W ou le souvenir d’enfance, de Georges Perec. Un drôle de livre, en vérité. D’abord, pourquoi W, et pas X ou Y ? Ici, W est une île perdue du côté de la Terre de Feu, dont la société installée là est entièrement et exclusivement organisée autour du sport. Une histoire inventée, dit l’auteur, alors qu’il avait treize ans, et dont, bien des années plus tard, il ne lui reviendra que les deux éléments cités. 

Mais on a rencontré un W dans La Vie mode d’emploi. C’est celui de Gaspard Winckler qui, mourant trois ans avant son richissime client Bartlebooth, aura eu le temps de lui fabriquer les cinq cents puzzles commandés, mais surtout, d’ourdir une vengeance absolument machiavélique, précisément grâce à un W qui s’avérera fatal pour le commanditaire, arrivé à la fin du quatre cent trente-neuvième. 

Pas la peine de chercher à quoi se rattache le choix du W : je crois me souvenir que même David Bellos, dans sa biographie très complète, avoue son ignorance. Quoi qu’il en soit, ce qui frappe, dans W …, c’est la composition : trente-sept chapitres (onze + vingt-six)  où, en alternance, Georges Perec rassemble les lambeaux de souvenirs qui lui restent de son enfance, et décrit l’univers concentrationnaire et sportif qui est celui des habitants de W (mais les chapitres impairs, jusqu’au 11, semblent annoncer un autre livre). Quoi qu’il en soit, si W … est une autobiographie, elle est « visiblement, violemment clivée » (Claude Burgelin, Georges Perec, Seuil, 1988, p. 138). 

Les deux parties sont séparées par un (…) qui n’est pas sans poser question. Laissons cela : l’enquête que doit mener le Gaspard Winckler adulte sur le sort du Gaspard Winckler enfant dont un réseau mystérieux lui a attribué le nom pour le sauver d’un mauvais pas, cette enquête n’aboutira pas. On n’aura même aucune nouvelle de l’enquêteur qui porte le même nom : Perec laisse tomber son personnage comme une vieille chaussette. Quoique ...

L’enfant, atteint d’une mélancolie inguérissable, met sa mère au désespoir. Comme elle a les moyens, elle décide de lui faire voir le monde, et passe pour cela par la voie des mers. Hélas, on apprend que le bateau s’est éventré sur un rocher, quelque part vers la Terre de Feu. Et l’on apprend que le Gaspard Winckler enfant n’a pas été retrouvé parmi les cadavres.  Que de mystères. On devine vaguement, malgré tout, que les deux Gaspard Winckler ne font qu'un seul et même Georges Perec : à la fois celui qui cherche et celui à la recherche de qui on part.

Dans les chapitres autobiographiques, Georges Perec a voulu, apparemment, adopter l’attitude d’un greffier (ou d’un gendarme, avec deux doigts, sur une machine à écrire mécanique) en train de taper un rapport administratif : le ton est neutre, absolument dépourvu de pathos, jusqu’à donner parfois l’impression que l’auteur parle de quelqu’un d’autre que lui, tant il met de distance entre lui-même et son passé. Ce n’est d’ailleurs pas entièrement faux : l’enfant qu’il fut semble comme objectivé par un adulte en position d’observateur. 

Une curieuse impression de froideur s’en dégage à la lecture : mes souvenirs sont-ils vraiment mes souvenirs (et toute cette sorte de considérations) ? Le deuxième chapitre, qui commence d’ailleurs de façon tout à fait paradoxale, explique cela, au moins en partie : « Je n’ai pas de souvenirs d’enfance. Jusqu’à ma douzième année à peu près, mon histoire tient en quelques lignes : j’ai perdu mon père à quatre ans, ma mère à six ; j’ai passé la guerre dans diverses pensions de Villard-de-Lans. En 1945, la sœur de mon père et son mari m’adoptèrent.

         Cette absence d’histoire m’a longtemps rassuré : sa sécheresse objective, son évidence apparente, son innocence, me protégeaient, mais de quoi me protégeaient-elles, sinon précisément de mon histoire, de mon histoire vécue, de mon histoire réelle, de mon histoire à moi qui, on peut le supposer, n’était ni sèche, ni objective, ni apparemment évidente, ni évidemment innocente ? » (p.13). Quoi ? Pas le plus petit souvenir-écran ? Tout est scotomisé ? Forclos ? Refoulé ? Comme si le petit Georges était pour le grand Perec un territoire à (re)conquérir ? 

Quant aux chapitres consacrés à la fiction sportive et totalitaire – et totalitaire parce que totalement sportive – (à partir du 12), ils sont conçus à la manière d’une démarche proprement ethnologique : sur cet îlot de la Terre de Feu vit une peuplade particulière, avec son organisation, ses rituels. Il s’agit de décrire avec exactitude les différents aspects du système. Là encore, le ton est neutre, mais pour une raison plus normale, pourrait-on dire. 

Disons-le, c’est une société militarisée. Toute l’île est une immense et rigide caserne, où le destin de chacun suit une voie toute tracée : participer un jour à la guerre de tous contre tous. Une société qui ne fait place à rien d’autre qu’au sport. A l’âge requis, tous les garçons entrent dans la compétition, parfois d’une brutalité et d’une sauvagerie sans nom. Va se dessiner une hiérarchie entre individus, qui dépend des performances dont chacun est capable. Mais une hiérarchie précaire et constamment sujette à modification. 

Les filles, de leur côté, servent exclusivement à produire les futurs athlètes, sûres qu’elles sont d’être un jour violées par les coureurs les plus rapides lancés à leur poursuite, au cours d’une compétition prévue à cet effet. Bref, un monde admirable et attrayant, que je ne détaillerai pas davantage. 

Pour synthétiser l’idée qu’on peut se faire d’un tel monde, il faut se référer à ce que dit Hannah Arendt dans Les Origines du totalitarisme. Un passage de W … le résume à merveille : « La Loi est implacable, mais la Loi est imprévisible. Nul n’est censé l’ignorer, mais nul ne peut la connaître » (p.155). Saisissante synthèse de l'essence viscéralement arbitraire de tout système totalitaire. L'état de droit, en quelque sorte, mais en l'occurrence l'état de non-droit.  

En fin de compte, W ou le souvenir d’enfance me reste un livre déroutant et inclassable. Cette impression est peut-être liée à ce que dit Claude Burgelin, qui a très bien connu l’auteur, dans son Georges Perec : « un livre lentement, difficilement élaboré. Commencé dès 1969, il paraît l’année même où Perec achève son analyse. Si ce travail analytique n’est jamais mentionné, W en est à l’évidence marqué » (p.137, voir ici aux 16-17 février). 

Seule réserve que je me permettrai : je regrette que Perec, dans son chapitre XXXVII, explicite aussi nettement la signification qu’il faut donner à son livre. Il cite L’Univers concentrationnaire de David Rousset et évoque les « camps de déportation » installés par le Chili de Pinochet en Terre de Feu. 

On n’avait pas besoin de ça : on avait compris. 

Voilà ce que je dis, moi.

mardi, 08 décembre 2015

LE VINGTIÈME SIÈCLE ET LES ARTS 3/9

Drapeau-France.jpg

ESSAI DE RECONSTITUTION D’UN ITINÉRAIRE PERSONNEL

(récapitulation songeuse et un peu raisonnée)

3/9

De l'importance de la lecture.

Ce qui est sûr, c’est que l’art contemporain, la musique contemporaine, la poésie contemporaine (en ai-je bouffé, des manuscrits indigestes, futiles, vaporeux ou dérisoires, au comité de lecture où je siégeais !), tout cela est tombé de moi comme autant de peaux mortes. De ce naufrage, ont surnagé les œuvres de quelques peintres, de rares compositeurs, d’une poignée de poètes élus. Comme un rat qui veut sauver sa peau, j’ai quitté le navire ultramoderne. J'ai déserté les avant-gardes. C’est d’un autre rivage que je me suis mis à regarder ce Titanic culturel qui s’enfonçait toujours plus loin dans des eaux de plus en plus imbuvables. 

Comment expliquer ce revirement brutal ? Bien malin qui le dira. Pour mon compte, j’ai encore du mal. Je cherche. Le vrai de la chose, je crois, est qu’un beau jour, j'ai dû me poser la grande question : je me suis demandé pourquoi, tout bien considéré, je me sentais obligé de m’intéresser à tout ce qui se faisait de nouveau. 

Mais surtout, le vrai du vrai de la chose, c’est que j’ai fait (bien tardivement) quelques lectures qui ont arraché les peaux de saucisson qui me couvraient les yeux quand je regardais les acquis du 20ème siècle comme autant de conquêtes victorieuses et de promesses d'avenir radieux. J’ai fini par mettre bout à bout un riche ensemble homogène d’événements, de situations, de manifestations, d’analyses allant tous dans le même sens : un désastre généralisé. C’est alors que le tableau de ce même siècle m’est apparu dans toute la cohérence compacte de son horreur, depuis la guerre de 14-18 jusqu’à l’exploitation et à la consommation effrénées des hommes et de la planète, jusqu'à l’humanité transformée en marchandises, en passant par quelques bombes, quelques génocides, quelques empoisonnements industriels. 

ORIGINES DU TOTALITARISME.jpgAu premier rang de ces lectures, je crois pouvoir placer Les Origines du totalitarisme, de Hannah Arendt : un panorama somme toute effrayant sur l'histoire longue de l'Europe. A tort ou à raison, j’ai déduit de ce livre magnifique et complexe que le nazisme et le stalinisme étaient non pas des parenthèses monstrueuses de l’histoire, mais deux formes de parfait accomplissement du système capitaliste, en phases simultanées de rationalisation intégrale de la vie et de despotisme halluciné de l’irrationnel. Un système totalitaire met en œuvre de façon parfaitement rationnelle un délire absolu. A moins qu'il ne mette en œuvre de façon totalement délirante un absolu de la Raison.

A tort ou à raison, j’ai conclu de cette lecture décisive qu’Hitler et Staline, loin d’être les épouvantails, les effigies monstrueuses et retranchées de l’humanité normale qui en ont été dessinées, n’ont fait que pousser à bout la logique à la fois rationnelle et délirante du monde dans lequel ils vivaient pour la plier au fantasme dément de leur toute-puissance. Hitler et Staline, loin d’être des monstres à jamais hors de l’humanité, furent des hommes ordinaires (la « Banalité du Mal » dont parle Hannah Arendt à propos du procès Eichmann). Il n'y a pas de pommes s'il n'y a pas de pommier. Ils se contentèrent de pousser jusqu’à l’absurde et jusqu’à la terreur la logique d’un système sur lequel repose, encore et toujours, le monde dans lequel nous vivons. 

Hitler et Staline (Pol Pot, …) ne sont pas des exceptions ou des aberrations : ils sont des points d’aboutissement. Et le monde actuel, muni de toutes ses machines d’influence et de propagande, loin de se démarquer radicalement de ces systèmes honnis qu’il lui est arrivé de qualifier d’ « Empire du Mal », en est une continuation qui n’a eu pour talent que de rendre l’horreur indolore, invisible et, pour certains, souhaitable. 

Un exemple ? L’élimination à la naissance des nouveau-nés mal formés : Hitler, qui voulait refabriquer une race pure, appelait ça l’eugénisme. Les « civilisés » que nous sommes sont convenus que c’était une horreur absolue. Et pourtant, pour eux (pour nous), c’est devenu évident et « naturel ». C’est juste devenu un « bienfait » de la technique : permettre de les éliminer en les empêchant de naître, ce qui revient strictement au même. C’est ainsi que, dans quelques pays où la naissance d’une fille est une calamité, l’échographie prénatale a impunément semé ses ravages. 

ELLUL BLUFF TECHNO.jpgD’ailleurs c’est au sujet de la technique que, grâce à un certain nombre d’autres lectures, s’est poursuivi le travail qui a fini par saper en moi, jusqu'aux fondations, la croyance dans le « Progrès ». Les ouvrages de Jacques Ellul (Le SystèmeANDERS GÜNTHER.jpg technicien, Le Bluff technologique) ont, entre autres, marqué cette facette de l’évolution. La lecture récente de L’Obsolescence de l’homme, de Günther Anders (premier mari de Hannah Arendt), n’a rien fait pour arranger ma vision des choses. 

Je citerai une troisième facette de ladite évolution : une réflexion tirée d’ouvrages d’économistes, parmi lesquels ceux du regretté Bernard Maris (à MARIS BERNARD ANTIMANUEL 1.jpgcommencer par les deux volumes de son Antimanuel d’économie), assassiné en janvier 2015 dans les locaux de Charlie Hebdo. Dans ses débats hebdomadaires avec l’ultralibéral Jean-Marc Sylvestre, le vendredi, il m’avait ouvert les yeux sur la possibilité de conserver une société humaniste fondée sur le partage et la redistribution des richesses, en opposition frontale avec les tenants de la dérégulation illimitée de l’économie (« pour libérer les énergies », autrement dit pour entrer dans la grande compétition planétaire, forme économique de la guerre de tous contre tous). 

MURAY ESSAIS.jpgJ’allais oublier, dans l’énumération de ces lectures décisives, celle, plus récente, de l’énorme pavé (1764 pages) des Essais de Philippe Muray (L'Empire du Bien, Après l'Histoire I, II, Exorcismes spirituels I, II, III, IV, Les Belles Lettres, 2010, que j'ai lus dans l'ardeur et la gratitude). Cette ponceuse puissante a achevé de me décaper des dernières traces du verni de l’ancienne dévotion qui me faisait m’agenouiller devant l’idole « Modernité ». C'est au Philippe Muray des Essais que je dois de m'être débarrassé des derniers remords que j'aurais pu nourrir suite à la grande volte-face qui s'est opérée en moi en face de la « Modernité ».

Mais je doisFINKIELKRAUT DEFAITE PENSEE.jpg reconnaître que Muray avait été précédé, trente ans auparavant par le mémorable La Défaite de la pensée (Alain Finkielkraut, Gallimard, 1987, lu à parution et plusieurs fois relu), qui avait préparé et balisé le chemin, avec son désormais célèbre chapitre « Une paire de bottes vaut Shakespeare ».

MICHEA ENSEIGNEMENT IGNORANCE.jpgIl faudrait citer bien d'autres lectures (les quatre volumes d'Essais, articles, lettres de George Orwell, les bouquins de Jean-ClaudeLASCH CHRISTOPHER CULTURE NARCISSISME.jpg Michéa (L'enseignement de l'ignorance, L'Empire du moindre mal, ...), La Culture du narcissisme, Le Moi assiégé de Christopher Lasch, ...). Inutile, peut-être, de dire que quand j'ai découvert Michel Houellebecq (c'était avec La Carte et le territoire), la "conversion" était accomplie. C’en était fini des mirages du Progrès. J'avais choisi mon camp : celui des « Dissidents de l'époque » (infiniment préférable à celui, tellement commode, de "réactionnaires").

L'Histoire (le Pouvoir, la Politique), la Technique, l'Economie, donc : la trinité qui fait peur.

Restent les Lumières originelles : étonnamment et bien que je ne sache pas si le résultat est très cohérent, au profond de moi, elles résistent encore et toujours à l'envahisseur. Sans doute parce qu'en elles je vois encore de l'espoir et du possible. 

Voilà ce que je dis, moi.

jeudi, 24 septembre 2015

L'HOMME OBSOLÈTE

GÜNTHER ANDERS : L’OBSOLESCENCE DE L’HOMME 4 

Sur la bombe et les causes de notre aveuglement face à l’Apocalypse 

La remarque la plus étonnante – la plus amusante si l’on veut – qu’on trouve dans ce dernier essai composant L’Obsolescence de l’homme, se trouve p. 283. C’est le titre du §8 : « L’assassin n’est pas seul coupable ; celui qui est appelé à mourir l’est aussi ». Il se trouve que j’étais en train de lire Maigret et le clochard. Les hasards de l’existence … On lit en effet au chapitre IV ce petit dialogue entre M. et Mme Maigret : « – Les criminologistes, en particulier les criminologistes américains, ont une théorie à ce sujet, et elle n’est peut-être pas aussi excessive qu’elle en a l’air … – Quelle théorie ? – Que, sur dix crime, il y en a au moins huit où la victime partage dans une large mesure la responsabilité de l’assassin ». Le rapprochement s’arrête évidemment à cette coïncidence. 

Günther Anders analyse ici les implications et significations de la bombe atomique. Il reprend une idée exprimée dans Sur la Honte prométhéenne : « Nous lançons le bouchon plus loin que nous ne pouvons voir avec notre courte vue » (p.315). Autrement dit, nous agissons sans nous préoccuper des conséquences de nos actes, et nous inventons des choses qui finissent par nous dépasser, voire se retourner contre nous. 

Je me contenterai de picorer ici des réflexions qui m’ont semblé intéressantes. D’abord cette idée que, aujourd’hui, « c’est nous qui sommes l’infini », qui dit assez bien ce que la bombe, fruit de l’ingéniosité humaine, a d’incommensurable avec l’existence humaine : nous éprouvons désormais « la nostalgie d’un monde où nous nous sentions bien dans notre finitude ».  

Faust est mort, dit l’auteur, précisément parce qu’il est le dernier à se plaindre de sa « finitude ». Je ne sais plus où, dans le Second Faust, le personnage s’adresse à Méphisto : « Voilà ce que j’ai conçu. Aide-moi à le réaliser ». Notons au passage qu’aux yeux de Goethe, c’est la technique en soi qui a quelque chose de diabolique, puisque c’est Méphisto qui l’incarne. 

Une autre idée importante, je l’ai rencontrée récemment dans la lecture de La Gouvernance par les nombres d’Alain Supiot (cf. ici, 9 et 10/09) : ce dernier appelle « principe d’hétéronomie » l’instance d’autorité qui, surplombant et ordonnant les activités des hommes, s’impose à tous. Or ce principe, dans une civilisation dominée par la technique, tend à devenir invisible, conférant alors au processus lui-même une autorité d’autant plus inflexible qu’elle n’émane pas d’une personne. Ce qui fait que la finalité de la tâche échappe totalement à celui qui l’accomplit, avec pour corollaire : « Personne ne peut plus être personnellement tenu pour responsable de ce qu’il fait » (p.321). 

C’est aussi dans le présent essai qu’on trouve le chapitre intitulé « L’homme est plus petit que lui-même ». Je ne reviens pas en détail sur cette idée formidable, qui développe d’une certaine manière les grands mythes modernes suscités par la créature du Dr Frankenstein (Mary Shelley) ou par le Golem (Gustav Meyrink) : l’homme, en déléguant sa puissance à la technique, a donné naissance à une créature qui lui échappe de plus en plus. Avec pour conséquence de multiplier les risques pour l’humanité : « Ce qui signifie que, dans ce domaine, personne n’est compétent et que l’apocalypse est donc, par essence, entre les mains d’incompétents » (p.301). Autrement dit, l’humanité a construit un avion pour lequel il n’existe pas de pilote. 

Je signale une expression qui m’a aussitôt fait penser à Hannah Arendt : « cette horrible insignifiance de l’horreur » (p.304). 

Pour terminer, ce passage (l'auteur vient d'évoquer Les Frères Karamazov) : « Accepter que le monde qui, la veille encore, avait un sens exclusivement religieux devienne l’affaire de la "physique" ; reconnaître, en lieu et place de Dieu, du Christ et des saints, "une loi sans législateur", une loi non sanctionnée, sans autre caution que sa seule existence, une loi absurde, une loi ne planant plus, « implacablement », au-dessus de la nature, bref la « loi naturelle » – ces nouvelles exigences imposées à l’homme de l’époque, il lui était tout simplement impossible de s’y plier » (p.333). Le « Système technicien » (Jacques Ellul) s’est autonomisé. L’homme se contente de suivre la logique de ce système, de se mettre à son service pour qu’il se développe encore et toujours et, pour finir, de lui obéir aveuglément. 

Au total, un livre qui secoue pas mal de cocotiers. 

Voilà ce que je dis, moi.

 

FIN

mercredi, 23 septembre 2015

L'HOMME OBSOLÈTE

GÜNTHER ANDERS : L’OBSOLESCENCE DE L’HOMME 3 

Le Monde comme fantôme et comme matrice 

Le monde qu’analyse cet essai est celui de la médiatisation triomphante de tout. Günther Anders parle seulement de la radio et de la télévision, mais je suis sûr qu’il ne verrait aucun obstacle à étendre ses analyses aux médias qu’une frénésie d’innovation technique a inventés depuis son essai (1956). Aujourd’hui, tout le monde est « connecté », au point qu’être privé de « réseau » peut occasionner de graves perturbations psychologiques. 

Il commence par nier la valeur de l’argument habituel des défenseurs de la technique face à ceux qui s’indignent de certains « dommages collatéraux » : ce n’est pas la technique qui est mauvaise, ce sont les usages qu’on en fait (air connu). Cet argument rebattu fait semblant d’ignorer que « les inventions relèvent du domaine des faits, des faits marquants. En parler comme s’il s’agissait de "moyens" – quelles que soient les fins auxquelles nous les faisons servir – ne change rien à l’affaire » (p.118). 

Notre existence, dit-il, ne se découpe pas en deux moitiés séparées qui seraient les « fins » d’une part, les « moyens » d’autre part. L’ « individu », par définition, ne peut être coupé en deux (cf. le jugement de Salomon). L’argument n’a l’air de rien, mais il est puissant. Conclusion, il est vain de se demander si c’est la technique qui est mauvaise en soi, ou les usages qui en sont faits ensuite : une poêle sert à griller des patates, elle peut servir à assommer le voisin qui fait du bruit à deux heures du matin. 

Pour qui est familiarisé avec les critiques lancées contre la télévision dans la dernière partie du 20ème siècle, le propos de Günther Anders compose un paysage connu. Les Situationnistes en particulier, à commencer par Guy Debord, ont constamment passé dans leur moulinette virulente la « société spectaculaire-marchande ». Il n’est d’ailleurs pas impossible que Debord (La Société du spectacle date de 1967) ait picoré dans l’essai d’Anders (paru en 1956). 

Si les films, marchandises standardisées, amènent encore les masses à se réunir dans des salles pour assister collectivement à la projection, la télévision semble livrer le monde à domicile. Pour décrire l’effet produit par ce changement, Anders a cette expression géniale : « Le type de l’ "ermite de masse" était né ». « Ermite de masse » est une trouvaille, chacun étant chez soi, en quelque sorte, « ensemble seul ». 

On peut ne pas être d’accord avec l’auteur quand il met exactement sur le même plan radio et télévision, car la réception d’images visuelles change pas mal de choses. Le point commun réside dans l’action de médiatisation : l’écran de télévision, et dans une moindre mesure le poste de radio, littéralement, « font écran » entre le spectateur et la réalité concrète du monde, qui du coup n’est plus l’occasion d’une expérience individuelle par laquelle chacun teste sa capacité d’action sur celle-ci. 

L’auteur le dit : le monde, qui est servi « à domicile », n’est plus que le « fantôme » de lui-même : « Maintenant, ils sont assis à des millions d’exemplaires, séparés mais pourtant identiques, enfermés dans leurs cages tels des ermites – non pas pour fuit le monde, mais plutôt pour ne jamais, jamais manquer la moindre bribe du monde "en effigie" ». L’exagération ne peut toutefois s’empêcher de ressurgir : « Chaque consommateur est un travailleur à domicile non rémunéré [il faudrait même dire "payant"] qui contribue à la production de l’homme de masse ». Mais on a bien compris l’idée. 

Autrement intéressante est l’idée que radio et télévision induisent l’établissement, entre la source et le récepteur (entre les animateurs du spectacle et les auditeurs et téléspectateurs) une « familiarité » pour le moins étrange, qui semble tisser entre eux des liens de proximité immédiate, du seul fait que ces voix semblent s’édresser à eux personnellement. On pense ici à tout ce que peuvent déclarer de charge affective et d’identification les consommateurs quand ils s’adressent aux animateurs par oral ou par écrit. De plus, ces liens apparents entraînent une relative déréalisation des proximités concrètes (exemple p. 148-149). Ces liens sont en réalité une grande imposture qui fait que l’ « individu devient un "dividu" » (p.157). C’est bien trouvé. 

Anders évoque aussi l’espèce d’ubiquité que produit le média et la schizophrénie artificiellement produite qui en découle. S’il voyait aujourd’hui avec quelle attention fascinée passants, clients de terrasses de bistrots et passagers du métro fixent l’écran de leur téléphone, même marchant ou en compagnie, il serait encore plus catastrophé par le monde que les hommes ont continué à fabriquer. 

Faisant semblant d’être ici (puisqu’ils « communiquent » et sont « connectés ») et faisant semblant d’être ailleurs (pour les mêmes raisons !), ils constituent une sorte d’humanité « Canada dry », cette boisson qui « ressemble à de l’alcool, mais ce n’est pas de l’alcool ». Voilà : ça ressemble à de l’humanité, mais ce n’est pas de l’humanité. L’incessante innovation technique au service de la marchandise tient l’humanité en laisse. 

Je n’insiste pas sur le conditionnement du désir, en amont de la manifestation d’une volonté et d’une liberté, pour orienter celui-ci sur des marchandises. Je n’insiste pas sur le caractère impérieux, voire vaguement totalitaire, de cette façon d’imposer une représentation du monde (une idéologie) : « Que ma représentation soit votre monde » (p. 195), façon plus sophistiquée que celle qu’Hitler utilisait pour formater les esprits. Günther Anders suggère que le règne de la radio et de la télévision produit un autre totalitarisme. 

L’essai Le monde comme fantôme et comme matrice (titre pastichant Schopenauer), par sa radicalité dans l’analyse de la radio et de la télévision, indique assez que son auteur n’attend rien de bon de l’évolution future de l’humanité et du sort que l’avenir, sous l’emprise de la technique, lui réserve. 

Il serait désespéré que ça ne m’étonnerait pas. Sa réflexion, qui remonte à plus d’un demi-siècle, n’a en tout cas rien perdu de sa force. 

Voilà ce que je dis, moi.

mardi, 22 septembre 2015

L’HOMME OBSOLÈTE

 

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Je disais que, selon Günther Anders, l'homme n'est plus à la hauteur du monde qu'il a fabriqué.

 

Sur la honte prométhéenne 

Le premier essai de l’ouvrage, développe cette idée. L’auteur parle de la réaction de son ami T. lors de leur visite à une exposition technique : « Dès que l’une des machines les plus complexes de l’exposition a commencé à fonctionner, il a baissé les yeux et s’est tu ». Il va jusqu’à cacher ses mains derrière son dos. L'auteur en déduit que T. est saisi de honte devant tant de perfection, honte motivée par la cruauté de la comparaison entre l’organisme humain, fait d’ « instruments balourds, grossiers et obsolètes » et des « appareils fonctionnant avec une telle précision et un tel raffinement ». 

J’imagine que certains trouveront gratuite l’interprétation de l’attitude de T., mais je pense à une page de Zola (L’Assommoir ?), où Coupeau et Gervaise visitent une usine, page où Zola décrit les machines comme douées de vie propre, alors que les visiteurs semblent rejetés hors de l’existence. Et Coupeau, abattu et découragé après une bouffée de colère contre les machines, de conclure : « Ça vous dégomme joliment, n’est-ce pas ? ». C’est bien une réaction du même genre. 

Moralité : l’homme est « inférieur à ses produits ». J’avoue que je me tapote le menton quand il énonce : « Avec cette attitude, à savoir la honte de ne pas être une chose, l’homme franchit une nouvelle étape, un deuxième degré dans l’histoire de sa réification ». Mais après tout, quand on sait ce que suppose l’apprentissage des gestes sportifs et la discipline requise dans les sports de haut niveau aujourd’hui, on est obligé de se dire que le corps des plus grands champions que les foules vénèrent s'est peu ou prou mécanisé. 

Il est de notoriété publique que l’industrie européenne a été amplement délocalisée dans les pays à bas coût de main d’œuvre. Et que quand on parle aujourd’hui de « relocalisation industrielle », c’est pour installer des usines entièrement robotisées, où une quinzaine d’humains suffisent pour surveiller et maintenir en état, quand l’installation précédente, avant délocalisation, avait besoin de plusieurs centaines d’ouvriers. Et Günther Anders a publié L’Obsolescence … en 1956 ! L’homme devient l’accessoire de la machine. 

De même, l’auteur attige quand il affirme : « … les choses sont libres, c’est l’homme qui ne l’est pas ». De même : « Il espère, avec leur aide, obtenir son diplôme d’instrument et pouvoir ainsi se débarrasser de la honte que lui inspirent ses merveilleuses machines ». C’est la qu’on voit à l’œuvre la méthode de « l’exagération ». Il y a visiblement, dans cette façon de prendre les perceptions ordinaire à rebrousse-poil, un goût du paradoxe et un désir de provoquer. 

Il n’empêche que, quand on prend conscience de l’emprise de plus en plus grande des machines sur le cadre et les conditions de notre vie, on se dit que les caricatures et hyperboles formulées par Günther Anders recèlent leur part de vérité. Il est assez juste de soutenir comme il le fait que l’homme « n’est plus proportionné à ses propres productions », même si ce qu’il dit un peu plus loin de « l’hybris » (démesure, orgueil) le conduit à tenir un raisonnement alambiqué. 

Ce qui reste très étonnant malgré tout dans la lecture de « Sur la honte prométhéenne », c’est que l’auteur pressent quelques conséquences de la frénésie d’innovation technologique. Je pense au clonage, évoqué indirectement dans un très beau passage : « Mais si on la considère en tant que marchandise de série, la nouvelle ampoule électrique ne prolonge-t-elle pas la vie de l’ancienne qui avait grillé ? Ne devient-elle pas l’ancienne ampoule ? Chaque objet perdu ou cassé ne continue-t-il pas à exister à travers l’Idée qui lui sert de modèle ? L’espoir d’exister dès que son jumeau aura pris sa place, n’est-ce pas une consolation pour chaque produit ? N’est-il pas devenu "éternel" en devenant interchangeable grâce à la reproduction technique ? Mort, où est ta faux ? » (p.69). Devenir éternel en devenant interchangeable, c’est à peu de chose près le programme du héros de La Possibilité d’une île, de Michel Houellebecq. Il suffit de remplacer par l’être humain l’objet fabriqué. Pour Anders, l’homme est inférieur puisqu’une telle immortalité lui est refusée : à son époque, le clonage était inconcevable. 

Pour être franc, je ne suis guère convaincu, à l’arrivée, par le concept de « honte », qui me semble inopérant. L’expression oxymorique « honte prométhéenne » est à prendre (selon moi) pour un tour de force intellectuel, pour un jeu conceptuel virtuose si l’on veut. 

Dernier point : tout le §14 est étonnamment consacré à la musique de jazz. Je ne sais pas bien à quel genre de jazz pense Günther Anders en écrivant. En 1956, la vague « be-bop » est encore bien vivante. Miles Davis (Ascenseur pour l’échafaud, 1957) et Ornette Coleman (Change of the century, 1959) vont bientôt donner quelques coups de fouet à cette musique. Inutile de dire que le développement est fait pour choquer l’amateur de jazz, à commencer par celui (dont je suis) qui préfère les petites formations fondées sur le trio rythmique, éventuellement augmenté d’un ou plusieurs « souffleurs », où les uns et les autres ne cessent de se relancer, de se répondre et de se stimuler. 

Le §14 est intitulé « L’orgie d’identification comme modèle du trouble de l’identification. Le jazz comme culte industriel de Dionysos » (p.103). Je me demande ce qui prend à l’auteur d’affirmer : « La "fureur de la répétition", qui neutralise en elles tout sentiment du temps et piétine toute temporalité, est la fureur du fonctionnement de la machine » (p.104). Je me dis pour l’excuser que la techno n’existait pas : il faut avoir assisté (je précise : par écran interposé !) à une « rave party » pour avoir une idée modernisée de ce qu’est le « culte industriel de Dionysos ». 

Désolé, M. Anders, rien de moins machinal que le jazz auquel je pense. 

Voilà ce que je dis, moi.

lundi, 21 septembre 2015

L’HOMME OBSOLÈTE

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L’Obsolescence de l’homme, (éditions de l’Encyclopédie des Nuisances + éditions Ivréa, Paris, 2002) du philosophe Günther Anders, voilà un livre qui m’a donné du fil à retordre (comme le montre ci-contre l'état de la couverture). Mais un livre important. 

L’idée surgit au 20ème siècle : l’homme est désormais « de trop ». La preuve, l'homme (pas le même) est capable de l’éliminer en masse de 1914 à 1918, puis de 1939 à 1945. La preuve, Staline a supprimé sans doute cinquante millions de « mauvais soviétiques ». La preuve, les nazis furent les premiers industriels de la mort de populations civiles. La preuve, les Américains ont effacé de la surface de la Terre deux villes « ennemies », avec leurs habitants. D’autres preuves ne manquent pas, inutile d’énumérer. 

Cette idée que l’homme a été rendu « superflu », je l’avais découverte en lisant Les Origines du totalitarisme, le grand ouvrage de Hannah Arendt. Pierre Bouretz la souligne dès son introduction (Gallimard-Quarto, 2002) : « Son horizon est un système dans lequel "les hommes sont superflus" » (p.151). Arendt enfonce le clou dans sa deuxième partie (« L’impérialisme »), attribuant à la « monstrueuse accumulation du capital » la production d’une richesse superflue et d’une main d’œuvre superflue (p.405). A deux doigts d'expliquer ainsi la concurrence colonialiste entre puissances européennes.

Je viens de trouver la même idée (pas tout à fait : "superflu" n’est  pas "obsolète", mais le résultat est le même, répondant à la même question : « A quoi sers-je ? ») exprimée dans le dernier livre paru de Paul Jorion (Penser tout haut l’économie avec Keynes, Odile Jacob, septembre 2015), qui cite le célèbre économiste britannique : « Mais l’effet des machines des générations les plus récentes est toujours davantage, non pas de rendre les muscles de l’homme plus efficaces, mais de les rendre "obsolètes" » (p.94). Il écrivait cela en 1928. Que dirait-il aujourd’hui, où la numérisation bat son plein et où la robotisation avance par vent arrière et a sorti le spinnaker  ? 

Le livre de Günther Anders, sous-titré « Sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle », publié en 1956, s’il n’invente pas la notion, la place en tant que telle au centre de la réflexion du philosophe. C’est du brutal. A noter que la notion d’ « obsolescence programmée » est inventée à la fin des années 1920, quand les fabricants d’ampoules lumineuses se rendent compte que si celles-ci sont éternelles ou presque (comme ils sont parfaitement capables de le faire), leurs entreprises ne survivront pas longtemps. 

Je l’avoue : il m’arrive de lire des philosophes. J’exècre, je l’ai dit, les économistes qui jargonnent pour bien faire comprendre leur supériorité sur les gens ordinaires en usant de concepts sophistiqués et d’un vocabulaire amphigourique. C’est la même chose pour la psychanalyse : Lacan me fait rire, contrairement à quelqu’un comme Didier Anzieu, qui n’abrite pas son « autorité » derrière un sabir ou un volapük motivé selon lui par l’extrême précision technique que requiert sa discipline. 

C’est encore la même chose avec les philosophes. Je ne suis pas familier de la discipline, mais il m’arrive d’en fréquenter, tout au moins parmi ceux qui me paraissent fréquentables, dans la mesure où ils écrivent pour être compris du commun des mortels, et non du seul petit cercle de leurs confrères spécialistes de la spécialité. Pour rendre intelligible leur pensée, en rédigeant en « langue vulgaire », c’est-à-dire – au sens latin – la langue « commune à tous ». 

Ce qui est curieux (et qui rend la lecture tant soit peu ardue), avec le livre de Günther Anders, c’est qu’il cumule. Je m’explique. Il s’exprime dans une langue très accessible, sans toutefois s’interdire de recourir à l’occasion au dialecte propre à quelques philosophes (Hegel, Heidegger, …). Mais il accroît la difficulté : le contenu même des idées est fait pour rebuter le lecteur, dans la mesure où celui-ci se retrouve démuni et perdu, faute d’apercevoir quelques points de repère grâce auxquels il ait l’impression d’être en terrain connu. Indéniablement, on a à faire à un original authentique. L’éditeur le déclare d’entrée de jeu : si la traduction française paraît près d’un demi-siècle après l’édition allemande, « La difficulté du texte y est certainement pour quelque chose … ».  

Anders (pseudo signifiant « autre », son vrai nom étant Stern) est un philosophe de toute évidence marginal, à cause de sa radicalité, et surtout à cause d’une « méthode » pour le moins idiosyncrasique. Il revendique en effet le droit à l’exagération comme méthode. Il justifie ce choix en comparant sa recherche à celles que mène un virologue, dont l’outil principal est le microscope : que serait une « virologie à l’œil nu » (encyclopédie en ligne) ? 

L’argument semble d’autant plus valable qu’il soutient que ce n’est pas lui mais le monde dont il parle qui exagère : ce qu’il écrit « … n’est que l’exposé outrancier de ce qui a déjà été réalisé dans l’exagération » (p.35). Il le dit ailleurs : l’humanité a commencé à fabriquer « un monde au pas duquel nous serions incapables de marcher ». La grande idée qui traverse tout l’ouvrage est que certes, par son génie, l’homme a élaboré un monde qui tend à se rapprocher des œuvres divines, mais que, par sa nature, il en reste à jamais « pas à la hauteur ». 

« L’homme est plus petit que lui-même » est d’ailleurs le titre d’un des chapitres. Le pataphysicien pense bien sûr au chapitre IX du livre II de Faustroll : « Faustroll plus petit que Faustroll ». « Tout est dans Faustroll », s’écriait d’ailleurs le docteur Irénée-Louis Sandomir (fondateur du Collège de 'Pataphysique), pour bien signifier qu’Alfred Jarry reste un grand précurseur.   

L’homme n’est pas à la hauteur du monde qu’il a fabriqué à partir du 20ème siècle. Il y faudrait, comme dit Jarry, un SURMÂLE, du type d'André Marcueil.

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Dessin de Pierre Bonnard pour Le Surmâle, d'Alfred Jarry.

Mais il n'y a pas de surmâle, comme le montre la baudruche appelée indûment Superman. Comme par hasard américaine. 

Voilà ce que je dis, moi.

samedi, 08 juin 2013

QUI EST NORMAL ?

 

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ELLES SONT TOUJOURS UN PEU GLAUQUES, LES PHOTOS DE DON MAC CULLIN : JE NE SAIS PAS VOUS, MAIS MOI, JE ME DEMANDE SI LE CHAT EST NORMAL. IL VIENT DE MANGER ?

 

***

La voilà donc, la réponse à la question lancinante posée par ces quelques billets. Qui est anormal ? Eh bien sur un critère précis,  c’est les quelques pelés et tondus (2 % de chaque côté) rejetés aux extrêmes de la base de la cloche. Et il y a fort à parier que, quel que soit le critère choisi, quand vous STATISTIFIEZ une population, vous arrivez à carillonner de la même façon. Pour trouver les anormaux, regardez sur les bords de la cloche. Pas d’erreur possible, c'est quand la masse de ceux qui sont au centre disent : « Ils sont pas comme nous ».

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AUTRE CLOCHE DE GAUSS, AVEC LE QI EN ABSCISSE

Prenez des critères physiques, comme la taille ou le poids. Par exemple, même avec la montée de l’obésité, je ne veux pas trop m’avancer, mais je ne suis pas sûr que Capel (grandes tailles et personnes fortes) ait vu ses ventes s’accroître outre-mesure.

 

De toute façon, je ne parle pas de l’obésité courante, banalisée, celle dont on parle ordinairement, de l’obésité qui court les rues (scuse l'humour) de nos jours. Je parle évidemment des obèses exceptionnels, des tas de chair grandioses et luxuriants, de ceux qui s’exhibaient autrefois dans les foires ou les cirques.

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 JE TRADUIRAIS "WUNDERKINDER" : ENFANTS PHENOMENAUX

Certes, la taille des gens progresse et toutes les marques de vêtements ont dû modifier leurs patrons pour accompagner le mouvement, mais, d’une part, le pourcentage des individus anormalement gros a-t-il à ce point changé ? Et d’autre part, cela doit-il nous empêcher de dire que c’est anormal ? Quand un être humain, à force de poids, se fusille en peu d’années les chevilles, les genoux, parfois les hanches, est-il obscène de dire que c’est anormal ?

 

Prenez des critères mentaux si vous voulez, comme le QI, ce célèbre Quotient Intellectuel mis au point par Alfred Binet et Théodore Simon en 1905 (LE Binet-Simon), censé mesurer l’intelligence mais mesurant en réalité l’aptitude à répondre à des tests conçus pour qu’on y réponde. Mais laissons la controverse.

 

Le QI, en dessous de 80, je suis désolé, mais s’il peut être qualifié d’ « anormal », c’est juste parce qu’il concerne une infime minorité de la population : « débile léger », peut-on lire sur le dossier médical. Et je ne parle pas des QI de 60. Les bords extrêmes de la cloche de Gauss, encore une fois. Le débile léger peut-il être considéré comme normal ? Non. Il a sa place, bien sûr, mais c'est une place à part. Encore une fois : non, il n'est pas « comme tout le monde ». Oui, finalement, c'est une bonne formule : il n'est pas comme tout le monde.

 

Viendrait-il à l’idée de quelqu’un d’estimer qu’un mongolien – pardon, il faut dire trisomique, c’est les progrès de la science – est « normal » ? Non, j’espère. D’ailleurs si le test prénatal (amniocentèse ou autre) est positif, quelle future mère ne se réjouirait pas qu’on la fasse avorter ? Si un mongolien – pardon, trisomique – n’est pas normal, c’est qu’il est anormal, n'est-ce pas M. de La Palisse ? 

 

La précaution abortive concerne d'ailleurs toutes les malformations détectables à l'échographie : qui aurait envie de mettre au monde un phocomèle (voir note en bas) ? Quoi, eugénisme ? Bien sûr, et alors ? Quoi, Hitler a gagné ? Mais l'avortement, il est autorisé ou pas ? On est en démocratie ou pas ? On a envie d'avoir des enfants normaux, ou pas ? On a la science et les outils ou pas ?

 

Regardez l'Inde : quelle femme aurait l'idée bizarre d'avoir envie de mettre au monde une fille ? Même que des échographistes itinérants proposent leurs services aux futures mères. C'est Hitler, mais en douceur. De l'Hitler préventif, en quelque sorte. L'eugénisme, c'est totalitaire et nazi, mais c'est la science qui dit que c'est bien et sans danger, et qui l'installe. Et ça change tout. Ah bon ? Ça change tout ? Content de l'apprendre.

 

Prenez le critère que vous voulez, la conformation physique, les capacités intellectuelles, la sexualité (pardon, dans la novlangue, il faut dire « orientation sexuelle »), les relations sociales ou autre, la norme est donnée par la moyenne, la moyenne est donnée par la statistique. Autour de l’axe de la moyenne s’ébauche la partie haute de la cloche où le statisticien loge une grosse majorité de la population. Sur les bords de la cloche, le long de l’abscisse (c'est en bas), la fraction, qui peut être infinitésimale, de ceux qui s’écartent le plus de la moyenne : les anormaux.

 

Question subsidiaire : y a-t-il un moyen sûr de reconnaître un anormal à son aspect extérieur ? La réponse est non. En cas d’anomalie physique, aisément et immédiatement identifiable, pas de problème. Sinon, c’est la bouteille à l’encre.

 

Comme le constate Hannah Arendt à Jérusalem au procès d’Eichmann (prénom Adolf (= « noble loup »), c’est une coïncidence, mais même aujourd’hui, en France et en Allemagne, ça ne doit pas courir les rues, les Adolf, à moins que ...), un homme anormal ressemble à un homme normal comme une goutte d’eau à une autre goutte d'eau. Comme disait Karl Marx : « Si l’apparence des choses coïncidait avec leur essence, la science serait totalement inutile ». J'ai trouvé cette citation chez Philippe Muray.

 

La justice non plus, soit dit en passant, ne servirait à rien. Ben oui quoi, si l'apparence collait à l'essence, le Mal se verrait comme le nez au milieu de la figure, et la Nature ferait le nécessaire : le boulot de sélection pour lequel elle n'est pas payée. A défaut, un chirurgien à gages pas trop gourmand ferait l'affaire. Qui ne serait prêt à payer ?

 

« Wah, cette parole est forte ! », s'exclame Tatanka Ohitika, Montagnais, alias "Le rêve de la pierre sacrée".

 

Mais aujourd’hui, ce n’est pas moi qui vais remettre sur le tapis le vieux débat Nature / Culture, qui commence à me râper menu le fromage de la tête (et autres parties intimes).

 

Voilà ce que je dis, moi.

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Note : je me rends compte que j'ai omis de préciser le sens de "phocomèle". Le terme désigne un individu né avec des "membres de phoque", c'est-à-dire avec les pieds directement branchés sur le bassin et les mains directement aux épaules. J'ai croisé la route d'un gamin presque normal quant aux jambes (mais ...), et les mains comme j'ai dit. La grande frayeur de l'institutrice était de le voir jouer au football avec les copains. On la comprend : il vaut mieux s'écorcher les mains que se fracasser le crâne. Je ne sais pas ce qu'il est devenu.

 

 

 

 

 

jeudi, 01 novembre 2012

LA MALEDICTION DE LA CURIOSITE

Pensée du jour :

 

« L'intellectuel est si souvent un imbécile que nous devrions toujours le tenir pour tel, jusqu'à ce qu'il nous ait prouvé le contraire ».

 

GEORGES BERNANOS

 

 

Résumé : le champ des sciences humaines, fruits abondants de la curiosité de l'homme pour l'homme, est aussi vaste que l'humanité elle-même, mais encore plus morcelé, tronçonné, parcellisé et cloisonné (si c'est possible). Personne n'y comprend plus rien. Personne n'y voit plus goutte. Il fait plus noir que dans l'anus d'un nègre.

 

 

 

On se demande un peu ce qui explique cette prolifération de disciplines et de "sciences". Je me dis quant à moi qu'il ne faut pas chercher des poires sous un pommier et la main de ma soeur dans la culotte du zouave. Nous vivons dans un système industriel et technique voué au changement permanent. Quand ça bouge sans arrêt, impossible de fixer une quelconque définition. 

 

 

Ce changement incessant fait que le système est totalement incapable de se connaître lui-même, et qu'il est constamment obligé de réajuster sa connaissance de soi, s'il veut garder une chance de se gouverner. Est-ce qu'on ne peut pas dire que les sciences humaines découlent de cet effort ? Et que leur prolifération cancéreuse va avec l'accroissement et le creusement de l'ignorance à laquelle notre système est condamné ?

 

 

 

Le résultat, rétrospectivement prévisible, c’est que les disciplines intellectuelles qui consistent à décortiquer le fonctionnement et l’évolution des sociétés humaines et de l’esprit des individus n’ont jamais autant foisonné, et que quand il s’agit de faire appel à un spécialiste, quelle que soit la question soulevée, le journaliste ne sait plus où donner de la tête, tellement son carnet d’adresses ressemble à un bottin pour le nombre de pages.

 

 

Jamais autant qu’aujourd’hui, les sociétés n’ont rémunéré autant d’experts en toutes sortes de spécialités pour qu’ils auscultent les groupes humains d’une multitude de points de vue. Impossible d'allumer la radio ou la télé sans tomber sur de l'expert ou du spécialiste. Parce qu’en fait, chaque discipline, dès le moment qu’elle dispose d’un enseignement à l’université, n’a de cesse que de faire comme n’importe quel groupuscule trotskiste : se subdiviser en deux. Quel disciple n’aspire pas à devenir un maître ? Avec son école et ses adeptes bien à lui ?

 

 

Tenez, tapez « liste branches "sociologie" » sur Gogol, pour voir, allez sur wiki, et vous serez content du voyage. Rien que pour les méthodologies, vous avez l’embarras du choix : vous pouvez opter pour la « sociologie clinique, économique, historique, juridique, mathématique, politique, rurale, urbaine », et j’en oublie. Quant aux domaines d’étude, c’est la rafale de kalachnikov : « sociologie de l’art, des catastrophes, de la communication, de la connaissance, de l’éducation, de la famille, de l’imaginaire », et j’arrête, parce que trop c’est trop et qu’on a compris.

 

 

Et je n’ai pas parlé des « écoles », dont chaque maître à penser (DURKHEIM, WEBER, GURVITCH, BOURDIEU, ...) élève entre ses adeptes et le reste de la profession des cloisons étanches, et gare à eux s’ils vont voir ailleurs, comme on l’a beaucoup vu dans la psychanalyse : c’est l’excommunication. On ne dit plus "bondieuserie", on dit "bourdieusien" ("champ", "habitus", ...) : génuflexion conseillée, sous peine de ...

 

 

Prenez ce que vous voulez, histoire, « sciences [sic !!!] de l’éducation » (excusez-moi, je pouffe, c'est nerveux), économie, psychologie, prenez n’importe quelle « science humaine », vous tombez sur un champ d’étude si vaste et si « éparpillé par petits bouts façon puzzle » (BERNARD BLIER dans Les Tontons flingueurs), qu’il faudrait un cartographe de l’IGN pour que la poule retrouve chacun de ses poussins bien à sa place. Soit dit en passant, quelle prétention ne faut-il pas à des gens qui se prétendent sérieux pour s’intituler « chercheurs en sciences de l’éducation » ?

 

 

Conclusion ? Je m’en tiendrai à l’essentiel : déjà que dans les « sciences dures », un spécialiste en biologie moléculaire est incompétent en microbiologie ou en biochimie (malgré le "bio" commun aux trois), imaginez ce que ça donne, la parcellisation des tâches (cf. GEORGES FRIEDMANN) dans les « sciences molles » ! Sans parler de l’incroyable prétention à toutes ces dernières à se voir conférer le statut de « sciences » !

 

 

Je veux dire que, sans même parler de la « scientificité » (disons le mot) de ces disciplines, quel imposteur oserait prétendre qu’il est capable de faire la SYNTHÈSE de ce magma ? De proposer une explication globale ? Certainement aucun des « experts » ou « spécialistes » issus de l’une quelconque des spécialités.

 

 

L’explication de notre monde, qu’on se le dise, ne saurait en aucun cas venir d’un tenant de quelque discipline précise que ce soit. Il faudrait, pour avoir le sens de la chose, un PHILIPPE MURAY, un JACQUES ELLUL, une HANNAH ARENDT. Autrement dit un philosophe moraliste. Cela signifie à mes yeux que plus personne, parmi les médiocres et les bandits qui nous gouvernent, n’a de cap pour diriger le navire. Que plus personne n’est en mesure de dire où nous allons, ni même où il faudrait aller. A commencer par les "experts" et les "spécialistes". Plus ça va, moins nous y voyons clair.

 

 

 

La dernière preuve m'en a été fournie hier ou avant-hier chez MARC VOINCHET, sur France Culture, qui avait invité deux économistes (experts en « science économique », excusez-moi, je pouffe, c'est nerveux) pour parler de la crise. Ils n'étaient pas de la même "école". Chacun a pu parler en paix environ trois minutes vingt-deux secondes. Après, comme c'était sans doute trop, il a fallu que l'animateur s'interpose entre les ennemis pour éviter qu'il y ait du sang sur la moquette du studio. J'en conclus qu'on n'est pas sortis de la crise.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

Allez, promis cette fois, à demain la dernière louche. Je vous assure que je n'y peux rien. Et surtout, je ne veux pas faire trop long. Enfin, j'essaie. Là, ce sera vraiment le dernier feu.

 

 

 

vendredi, 19 octobre 2012

L'AVENIR DE L'IDENTITE NATIONALE

Pensée du jour : « Malheur à celui qui n'a pas mendié ! Il n'y a rien de plus grand que de mendier. Dieu mendie. Les anges mendient. Les rois, les prophètes et les Saints mendient ».

 

LEON BLOY

 

 

Ceci est la dernière note sur le sujet.

 

 

J’étais donc parti, le 14 octobre, sur une question d’une gravité philosophique qui n’a certainement échappé à personne : « Qu’est-ce que l’identité nationale ? ». Je répondais intrépidement : « sentiment d’appartenance » et « exigence de différenciation ». C’était mes deux idées de départ. Ce qui m’intéresse dans ces deux notions, c’est qu’elles marchent aussi bien au niveau individuel que national.

 

 

L’individu est un entrecroisement proprement inextricable de critères d’appartenance et de critères de différenciation (nom, prénom, date et lieu de naissance, profession, adresse, etc.). La nation, c’est un peu pareil. A ce titre, la caractéristique principale de toute identité, c’est qu’elle se compose de données tout à fait indénombrables. Je dirais même « inépuisables ». Chercher à définir l’un ou l’autre de façon exhaustive est voué à l’échec. Et je trouve ça rassurant : la part de mystère de tout ce qui se rattache au vivant, en quelque sorte.

 

 

Maintenant, la question qui vient est : « Qu’est-ce qu’on fait de tout ça ? ». Je veux dire : de  quel côté va-t-on tirer la question ? Beaucoup de problèmes du monde actuel en découlent. Ne parlons pas des Kurdes, peuple à cheval sur quatre Etats (le cas des Basques est analogue). Ne parlons pas des Ouïghours, peuple musulman égaré en Chine (mais aussi, que sont-ils allés faire dans cette galère ?).

 

 

Ne parlons pas des Ecossais, qui sont en train de préparer leur sécession de la couronne britannique. Ne parlons pas des Flamands ou des Slovaques. Ne parlons pas des Catalans, qui vivent sur un trou financier, mais que ça n’empêche pas de réclamer l’indépendance de la province. Et qui abolissent la corrida parce qu’ils la considèrent comme espagnole. Au fait, jusqu’où va la Catalogne, au nord de la frontière ? Perpignan ? Narbonne ? Je ne me rappelle plus où commencent les panneaux routiers bilingues.

 

 

Le point de départ de l’identité, c’est au total deux affirmations : « Nous sommes ce que nous sommes » (appartenance) et « Nous ne sommes pas ce que nous ne sommes pas » (différenciation). Ce qui veut dire : « Nous ne sommes pas ce que vous êtes ». Ça a l’air très bête, dit comme ça (deux atroces tautologies, pour ceux que ça intéresse), mais ça tient la route. Qui peut dire où se situe le point d’équilibre ? Y a-t-il seulement un point d’équilibre ? Ce qui est sûr, c’est qu’on peut choisir de tirer sur l’un ou sur l’autre des deux fils.

 

 

Si vous tirez le fil de l’appartenance, nul doute que vous englobez. Quoi ? Ce n’est pas le problème. Le problème, de ce côté-là, c’est que, plus vous englobez, plus vous risquez d’aller vers un ensemble hétérogène, au point, éventuellement, de passer par-dessus des différences irréductibles.

 

 

C’est ce qui s’est passé pour l’Empire Romain à l’époque de TRAJAN (53-117) : la plus grande extension, avant le démembrement (la "décadence"). C’est de l’ordre de la dénégation, du refoulement, de l’angélisme : prêcher à toute force, à genoux et les mains jointes, que l’unité règne. Par exemple, qu’est-ce qui est à l’œuvre, quand un blanc, dans une rue française, se fait traiter de « fromage blanc », ou pire, de « sale Français » ?

 

 

Si vous tirez le fil de la différenciation, nul doute que vous accusez l’épaisseur du trait qui sépare. ANDERS BERING BREIVIK, le Norvégien massacreur, a tiré ce fil-là (et tiré sur tous ceux qui militent pour une appartenance toujours plus grande, je veux parler d’une certaine gôche métissante à tout crin, vous savez, la tarte à la crème de tout ce qui se veut et se prétend « sans frontières »).

 

 

Il y a un début d’hostilité dans le simple fait d’exalter sa propre différence (la revendication dite « identitaire » : « Je ne suis pas ce que tu es », « Nous ne sommes pas ce que les autres sont », étrangère, pour l'instant, à toute idée de supériorité de "je" ou "nous" sur "tu" ou "les autres").

 

 

Le point extrême de la différenciation, c’est évidemment le concept de « pureté de la race », avec toutes les implications qu’on a pu observer dans l’histoire du 20ème siècle. L’autre point extrême, qu’on pourrait appeler « la grande appartenance », ou « tout est dans tout (et réciproquement) », c’est ce qui a été baptisé du noble nom de « métissage ».

 

 

Le grand laboratoire grandeur nature de la pureté de la race, c’est, comme chacun sait,  l’Allemagne hitlérienne. Pas besoin d’épiloguer. Le grand laboratoire grandeur nature du métissage se trouve, quant à lui, en Amérique latine, sorte de concentré de tous les continents. L’Argentine n’a-t-elle pas eu un président nommé NESTOR KIRCHNER (nom germanique) ? Le Pérou, en 1990, a élu au même poste ALBERTO FUJIMORI (nom japonais). L'actuel Bolivien EVO MORALES AYMA (nom amérindien) est d’origine Aymara. Toute l’onomastique latino-américaine reflète ce qui a bouillonné dans ce chaudron.

 

 

Le problème de l’identité nationale française, tel qu’il se pose aujourd’hui, est là. Qu’elle se dilue, cela ne fait guère de doute. On peut faire pousser dans son jardinet les reliques que l’on veut. Mais à propos de l’identité nationale française, cela s’en va, si j’ose dire, par « en haut » et par « en bas ».

 

 

Par en haut, c’est évidemment toute la supranationalité qui tend à s’imposer aux membres de l’Union Européenne en général, à la France en particulier. Par en bas, c’est ce qui nous vient à la fois de la double nationalité (un petit peu) et du regroupement familial (très beaucoup). Ajoutons, pour faire bonne mesure, la naturalisation, et le million de nouveaux citoyens, qu'elle ajoute aux Français tous les 11 ans environ (à peu près 85.000 par an).

 

 

Qu’est-ce qui domine la scène, sur ce plateau ? Difficile à dire. D’un côté, vous avez JEAN-FRANÇOIS COPÉ (et une forte partie de l’UMP) qui parle de « racisme anti-blanc », et qui dénonce le fait d’arracher à un collégien (une collégienne ?) son pain au chocolat, sous prétexte qu’on est en ramadan. Visiblement, le monsieur en question tire sur le fil de la différenciation et privilégie l’aspect identitaire. Et c'est vrai que le laïciste que je suis réagit très mal à l'irruption du religieux (fortement teinté de politique) dans notre espace public.

 

 

De l’autre côté, vous avez FRANÇOIS HOLLANDE (et tout le Parti Socialiste, en plus de quelques gauchistes et chrétiens sociaux au grand cœur) qui, en tant qu’universaliste et « porteur de valeurs », propose d’accorder le droit de vote aux étrangers dans les élections locales.

 

 

Vous avez RESF (réseau « éducation sans frontières ») et autres associations humanistes, qui luttent contre les centres de rétention, l’expulsion des enfants d’immigrés scolarisés, le sort fait aux sans-papiers. Soit dit en passant, ce sont les mêmes qui s’apprêtent à défaire l’institution du mariage en l’ouvrant aux homosexuels, sous prétexte d’ « égalité ». C’est vraiment bizarre, ce que c’est devenu, « être de gauche » : éliminer à toute force tout ce qui différencie, hiérarchise, distingue, "discrimine".

 

 

 

Il me semble que c’est dans Les Origines du totalitarisme (Gallimard « Quarto », 2002) que HANNAH ARENDT déclare que l’époque de l’impérialisme (= déversement de capitaux et de populations européens superflus sur le reste du monde, environ 1850-1900) est celle du déclin des Etats-nations. Peut-être a-t-elle tort, après tout. Mais est-ce bien sûr ?

 

 

Ce qui est sûr, en revanche, c’est que les capitaux sont en train d’achever la planète, et que les populations sont de plus en plus superflues. Alors, dans ce magma, vous pensez, l’identité nationale française ! …

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

FIN

 

 

vendredi, 05 octobre 2012

REVENIR AU BEL CANTO ?

Pensée du jour : « Si les élections permettaient vraiment de changer les choses, il y a longtemps qu'elles auraient été interdites ».

BERTOLT BRECHT

 

 

Qu’est-ce que je reproche, principalement, à la « musique contemporaine » ? Pourquoi, en fin de compte, me suis-je détourné de la création la plus actuelle, dont j’ai si longtemps été un adepte ô combien fidèle, voire exalté, et que, pour cette raison, je connais assez bien ? C’est très simple : je lui reproche de ne plus pouvoir être chantée par n’importe qui, n’importe où, dans la rue, dans la voiture, sous la douche. Une musique produite par un corps humain.

 

 

J’en ai tiré un enseignement, qui ne vaut certes que ce qu’il vaut, mais qui vaut aussi tout ce qu’il vaut : ce qui n’est pas CHANTABLE en dehors d’un "bac + 12" obtenu au Conservatoire Supérieur, même adoubé par les pairs, même validé par l’institution, même décrété par les autorités médiatiques, n’est pas de la musique humaine. C’était devenu pour moi une conviction. J’en ai fait un principe. Ai-je tort ? C'est possible.

 

 

Je me suis dit un jour que c’était bizarre, en définitive. Quoi, pendant tant de siècles, des gens extrêmement savants ont composé de la musique dans l’unique but de procurer du plaisir à ceux qui devaient l’écouter ? De leur flatter l'oreille ? Et puis un jour l’artiste, promu chercheur scientifique, a décidé, du fond de ce qui était devenu son laboratoire, que l’auditeur devait désormais se plier à sa volonté à lui ? Au nom du Progrès ? Au nom de l’Histoire (qui forcément avance, comme on sait) ?

 

 

Et ne venez pas me rappeler que BEETHOVEN avait déjà fait le coup (« Est-ce que je me soucie de vos boyaux de chat, quand l'inspiration me visite ? », lançait-il furibond à SCHUPPANZIGH, le violoniste qui a créé la plupart de ses quatuors, et qui se plaignait de certaines difficultés). Chez BEETHOVEN, qu'on se le dise, ça chante sans arrêt, même si, dans ses oeuvres pour voix (prenez Christus am Ölberg, par exemple) l'écriture va toujours se percher assez haut.

 

 

L’injustice faite à l’artiste par la société bourgeoise, dès ce moment, révulse les bonnes âmes. Le premier « Salon des Refusés » remonte à 1863, la première exposition impressionniste à 1874, la première édition des Poètes maudits, de PAUL VERLAINE (« pauvre lélian ») à 1884. Une trouvaille digne d'un grand publicitaire, entre nous, ce "maudits".

 

 

 

Le fanatisme de la technique fonctionne comme une idéologie, dont la propagande s’empare pour mieux s’emparer des esprits. JULES VERNE laisse libre cours à son enthousiasme technophile dès l’année 1863 (Cinq semaines en ballon). GUSTAVE EIFFEL, avec le même enthousiasme, envahit le ciel de Paris en 1888.

 

 

Il n’est plus possible de ne plus courber la tête devant le Dieu Progrès. L’inventeur devient la figure privilégiée du bienfaiteur de l’humanité. Ce qu’il trouve, du moment que c’est nouveau, ne saurait apporter que le Bien. L’innovation fait figure de sacrement laïque. Le brevet industriel devient l’emblème privilégié et prioritaire du Génie Humain.

 

 

Et ce qui vaut dans les techniques et l’industrie se transporte sans difficulté dans les arts : musique, peinture, sculpture, poésie, tous les arts sont sommés de se soumettre à la dictature de l’innovation. Il faut, sous peine de disparaître dans les profondeurs abyssales de la poubelle du passé, adhérer au mouvement qui porte irrésistiblement l’humanité vers le PLUS, selon le précepte bien connu : « Plus qu'hier et bien moins que demain ».

 

 

C’est en 1896 qu’ont lieu les premiers « Jeux Olympiques » modernes, qui proclament fièrement : « citius, altius, fortius » (plus vite, plus haut, plus fort, ça interroge salement, je trouve). Ce que le très vulgaire (je parle du vulgarisateur) FRANÇOIS DE CLOSETS traduira plus tard par « toujours plus ! ».

 

 

C’est quand j’ai compris la logique de cette Histoire que je me suis mis à regimber, à renâcler, à me soustraire à la musique "contemporaine". Cela m’a demandé un effort épouvantable. Pensez que j’ai été nourri au lait de l’Humanisme et des Lumières. L’humanisme de RABELAIS, de MONTAIGNE, de RONSARD. Les Lumières, principalement, de DIDEROT et de ROUSSEAU. Le Progrès, oui, parlons-en, du "Progrès".

 

 

Ajoutez, je veux bien, la prise de la Bastille et l’Egalité des citoyens devant la loi. C’est tout cet édifice qui est tombé en ruine, quand j’ai compris la logique de cette Histoire. Cette logique d’une certaine idée du « Progrès ». Je ne m'en suis pas remis. La faute à HANNAH ARENDT, JACQUES ELLUL, PHILIPPE MURAY et quelques autres lectures, beaucoup trop tardives.

 

 

L’artiste est donc sommé de faire du neuf, sous peine de ne pas exister. Le nouveau ne sera plus jamais fortuit : le nouveau est désormais le Saint Graal. Le but ultime. La Pierre Philosophale. Depuis, on n’arrête plus. On est harcelé par le nouveau. Quelque chose qui est là, du seul fait qu’il existe, est désormais vieillot. Ce qui est d’hier ne saurait être d’aujourd’hui. Ce qui est d’"avant" est interdit de "maintenant". Périmé. Sans parler du mouvement de "dynamisme" économique imprimé par l' « obsolescence programmée », théorisée dans les années 1920.

 

 

C’est sûr, je réhabiliterai un jour prochain ce qu’un « vulgum pecus » nuisible et inconscient appelle un « stéréotype ». Car si l’on y réfléchit un moment, qu’est-ce qui nous impose de « changer » (notez la construction « absolue », je veux dire le verbe sans complément) ? « CHANGEZ », entend-on de toute part. En même temps, il est amusant d'entendre le refrain exactement contraire : « SOYEZ VOUS-MÊME » ("venez comme vous êtes", serine une publicité).

 

 

J’ai oublié le jour où est apparue, dans le ciel des démocraties européennes, l’exigence de « réforme ». Mettons trente ou quarante ans. « La France est incapable de se réformer », entend-on constamment. Mais réformer quoi ? Dans quel but ? Avec quelle intention ? Qui le sait ? Personne, je crois bien. Qu’est-ce qu’elle recouvre, finalement, cette haine du stéréotype ? Peut-être bien la haine de ce qui est, vous ne croyez pas ? Mais c'est vrai : comment pourrait-on aimer ce monde, tel qu'il est ?

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

lundi, 24 septembre 2012

MARIAGE HOMO, MENAGE BADAUD

Pensée du jour : « J'aimerais bien dire qu'il fait soleil. Ou alors qu'il pleut. Ou qu'il gèle. Rien ne campe mieux le décor d'une chronique. Malheureusement, il ne fait pas de temps. Ce n'est pas ma faute ». 12 octobre 1965

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

La dernière fois, donc, nous brossions des silhouettes.

 

 

Ce deuxième type homosexuel, c’est un subversif, un militant, un guerrier. Un vindicatif : il en veut à la société d'avoir dessiné les cadres de la sexualité comme ci et pas comme ça. Il ne se satisfait pas d’être cantonné dans une marge plus ou moins sulfureuse, plus ou moins tolérée.

 

 

De plus, il est intimement convaincu que sa sexualité particulière donne des droits, qui découlent de ses désirs. Il l'a abondamment théorisé. Il revendique. Il veut toucher aux institutions, forcément injustes à son égard. Il se sent l'homosexualité conquérante. Il a déclaré une fois pour toutes qu'il est aussi normal que n'importe qui. C’est sa marque. Pour un peu, cet homosexuel-là voudrait que tout le monde soit « normal » à sa façon à lui. D'ailleurs, plus personne ne peut utiliser le terme "normal" sans rougir ou sans s'attirer les foudres des mânes des « déconstructeurs » qui ont nom DELEUZE, DERRIDA, FOUCAULT, BOURDIEU.

 

 

Lui, ce qu’il veut, c’est élever son « orientation », sa « préférence » à la dignité de Grand-Croix du Normal ; il veut étendre l’ombre de sa minorité sur l’ensemble du territoire social. Il part à la conquête de la Toison d’Or : la création d’un ordre officiel de l’homosexualité.

 

 

 

Y aura-t-il des grades, comme dans la Légion d'Honneur (chevalier, officier, grand-officier, commandeur) ? Si UBU était là, il demanderait où sont le petit (Bougrelas) et le grand (le capitaine Bordure) bougres (Ubu roi). Ce bougre-là, grand ou petit, de toute façon, demande l'inscription de la sexualité particulière de sa personne dans les lois de la République.

 

 

Il y a donc bien une dimension anthropologique dans cette revendication, puisqu'il veut qu'un particularisme, un mode d'être statistiquement marginal, soit considéré à égalité avec une généralité humaine immémoriale : le mécanisme naturel de la reproduction sexuée, concrétisé dans la cellule institutionnelle de la famille.

 

 

Il croit d'ailleurs légitime de nier ce mécanisme, en s'appuyant sur tous les moyens offerts par la science, la technique et diverses "combinaisons" imaginables pour le contourner. C'est vrai que la science et la technique ont procuré à l'homme les moyens de tricher avec le destin. Peut-être devrait-on plutôt dire : tricher avec la condition humaine, n'est-ce pas, HANNAH ARENDT ?.

 

 

Il veut faire de l'exception la règle. Je veux dire : de l'exception homosexuelle la règle générale possible. Ainsi , ne voit-on pas circuler à présent des films "pédagogiques", où l'homosexualité est présentée aux enfants du primaire comme un chemin possible, à égalité avec l'hétérosexualité, présentée, elle, comme une possibilité parmi d’autres ? Voire comme une norme, et comme telle insupportable, pour ne pas dire totalitaire.

 

 

« Laissez venir à moi les petits enfants », dit quelqu'un qui a requis l'anonymat (initiales J.C.). Mais c'était autrefois, et dans d'autres circonstances. Là, il s’agit de rendre l’existence concrète la plus compliquée et problématique possible, dès le plus jeune âge. Il n’y a pas de raison que les petits n’en bavent pas autant que tous leurs aînés.

 

 

Soit dit par parenthèse, la présente conception de l'égalité me semble renouveler de fond en comble le corps de doctrine, et me fait penser à cette blague de l'époque soviétique : « Ce qui est à moi est à moi. Maintenant, ce qui est à toi, ça peut se négocier ». Cette vision de l'égalité a quelque chose de léonin.

 

 

En disant aux enfants "vous avez le choix", on leur présente dès l’âge de huit  ou dix ans l'aiguillage entre deux sexualités possibles, comme si elles étaient égales en valeur. Comme si étaient disposées, sur un rayon de supermarché, les différentes sexualités possibles, et qu'on disait au gamin : « Laquelle tu veux ? ». C’est évidemment dans le but louable d'éviter qu'ils se sentent coupables d'être attirés par des gens de leur sexe ? D'échapper au carcan des codes sociaux ?

 

 

Quel progrès, mes amis ! Je suis curieux de voir les effets à long terme d'une telle audace "pédagogique". Et de voir, dans l'immédiat, la tête des gamins découvrant la chose. Leur perplexité, pour le moins. Et moi qui croyais que former l'esprit des enfants consistait d'abord à lui fournir un cadre le plus stable et simple possible, pour lui donner quelques points d'ancrage, de repère. Sans doute suis-je bien arriéré. "Cadre", "points de repère" ? Foutaises !

 

 

Je regrette au passage que ces pédagogues n'exigent pas dans la foulée le droit de vote pour ces enfants assez mûrs, selon eux, pour entendre parler d'homosexualité avant même d'avoir entendu parler de sexualité (et ne me ressortez pas, s'il vous plaît, la "période de latence", car si on parle de latence, ce n'est pas pour rien).

 

 

 

Prosélytisme homosexuel, dites-vous ? L'armée recrute ? Mais êtes-vous fou ? Qu'allez-vous chercher ? N'allez pas me dire maintenant que l'homosexualité est une religion à laquelle les adeptes chercheraient à convertir les masses humaines ? Horresco referens !

 

 

Depuis que l'homosexualité a été rayée de la liste des délits, puis des maladies mentales, cet homosexuel irait même jusqu'à contester que ce soit un particularisme. A défaut de faire la Révolution et de mettre à bas l'ordre public, l'Etat, la République, il se contentera de la subversion du Code Civil. Ce qui n'est déjà pas mal.

 

 

Mais paradoxalement et inversement, en même temps qu’il exige que sa sexualité particulière soit érigée en norme concurrente de la traditionnelle, il demande à la société de considérer comme banal son désir de fonder une cellule familiale ordinaire, avec tous les droits y afférents. Je ne sais pas vous, mais moi je vois là la stratégie du bernard l'hermite. A ceci près que celui-ci vide la coquille institutionnelle pour pouvoir s'y loger. C'est là que ça devient intéressant.

 

 

Voilà ce que je dis, Moi.

 

 

A suivre.

samedi, 22 septembre 2012

AU PAS (MUSICAL), CAMARADE !!

Pensée du jour : « L'homme n'est que poussière. C'est dire l'importance du plumeau » (La Montagne, 14 août 1962).

ALEXANDRE VIALATTE

 

 

Le fond sonore que nous enregistrons sans l’écouter (car nul doute que nous l'enregistrons), vaguement rythmé par les battements d’un cœur inhumain à force d’être électrique, c’est à ça qu’il sert. Certes, je l'ai dit, vous n’avez pas (encore) à marcher au pas, mais le tonal binaire amplifié boumboum, c’est un peu comme si vous défiliez aux Champs Elysées le 14 juillet au son des clairons. 

 

Sauf que ce 14 juillet banalisé, pour tout le monde, c’est tous les jours. C'est tous les jours qu'on vous berce les viscères, les organes, les neurones (à prononcer mezzo voce et avec tendresse, une voix d'hôtesse d'accueil) : « Dodo, l'enfant do, tu n'es pas seul, tu n'es jamais seul. Quelqu'un, quelque part, s'occupe de toi. Je ne suis pas ta mère, mais presque. Pose ta tête ». Sans que personne y prête attention.

 

Ce n'est pas pour rien que les hypermarchés ont longtemps diffusé de la « muzak » (c'est le terme approprié) à un niveau tout juste accessible au seuil de la conscience. Seigneur, donnez-nous notre 14 juillet quotidien ! Pas le national. Juste un 14 juillet personnel et permanent. Même pas une fête. Et même le contraire d'une fête. A ce bal-là, on danse tout seul. En rond. Tout le temps. 

 

Ainsi bercé, à quoi ne consentirait-on pas ? Et c'est d'autant plus vrai que ce n'est pas une musique qu'on écoute pour l'écouter. Pour laquelle on est prêt à poser ses fesses. C'est une musique "mode-de-vie". Une musique à tout faire. Un robinet à ouvrir. A fermer quand on est forcé. Conçue pour ne pas être du vide environnemental. Ou plutôt conçue pour faire le vide autour. 

 

Du rien ontologique (attention, garez-vous, les grands mots sont de sortie). Cette musique joue les dames de compagnie. Elle fait les auxiliaires de vie sociale (AVS). C'est une béquille pour vie intérieure bancale ou embryonnaire.

 

 

Une musique qui aide à traverser la rue. A faire ses courses (sauf à la caisse, où le chiffre aide à revenir au réel). Pourquoi pas de la musique de soins palliatifs (voir l'euthanasie en douceur musicale du vieux, le magnifique EDWARD G. ROBINSON, dans Soleil vert, de RICHARD FLEISCHER, 1973) ? 

 

Disons-le : cette musique est un vulgaire parasite. L'individu humain qui se balade coiffé de sa musique, il se laisse sucer la moelle. Il consent à transférer ailleurs un peu de son existence, et surtout à laisser dormir le reste. A faire taire l'essentiel. Le robinet musical, c'est du vide existentiel. Il y a du vampirisme dans ce mode de vie. 

 

« Est-ce ainsi que les hommes vivent ? », demandent Louis Aragon et Léo Ferré. 

 

Vous avez compris que, si j’ai un message, c’est celui-ci : la musique étiquetée « tonal binaire amplifié boumboum » joue (attention, toute proportion gardée) aujourd’hui le rôle des sergents recruteurs dans les armées d’Ancien Régime. On se débrouille pour que le garçon du village ne soit pas encore trop ivre pour qu’il puisse encore tracer sur le papier la croix de sa signature. Après ? Quand il se réveille, il en a pris pour cinq ans minimum. A ses risques et périls.

 

Cela me fait penser au long règne absolu du cinéma hollywoodien sur l'imaginaire occidental. Mais je préfère penser ici à l'hypothèse intéressante formulée par GÜNTHER ANDERS (premier mari de HANNAH ARENDT) à propos de la science-fiction : si cette littérature a tant de succès, dit-il, c'est qu'elle constitue une autre forme de domestication des foules (c'est quelque part dans L'Obsolescence de l'homme).

 

Dans la S.-F., selon lui, la technique comme force autonome détachée de l'humanité est présentée de telle façon que les masses humaines, avant même que l'innovation existe, adhèrent déjà, par principe, à son irruption comme preuve de progrès. Ce n'est pas l'éruption volcanique (dans un bocal assez vaste quand même) de la sortie de l'iPhone 5 d'Apple qui va administrer la preuve du contraire !

 

Cette musique omniprésente, je ne dis pas que c’est le facteur principal (il faudrait aussi parler de la télévision, de la publicité, de la propagande en général, mais c'est justement trop général), je dis qu’elle participe à l'entreprise d’embrigadement et de domestication des esprits.

 

Elle les rend dociles en les habituant à considérer l'environnement sonore dans lequel ils baignent en permanence comme un environnement naturel. De l'ordre de ce qui ne saurait se remettre en question. Ce qui nous ramène à la "pensée du jour" de HANNAH ARENDT, liminaire de la note d'hier : « La fonction politique du raconteur d'histoire - historien ou romancier - est d'enseigner l'acceptation des choses telles qu'elles sont ». J'ajoutais le musicien pop-rock. 

 

Quoi, j'exagère ? Quoi, je dramatise ? Sûrement, sûrement. Vous avez sûrement raison. 

 

Mais voilà ce que je dis, moi.

Cette fois, promis, je passe à autre chose. Ça commence à bien faire.

vendredi, 21 septembre 2012

L'EMBRIGADEMENT PAR LA MUSIQUE

Pensée du jour : « La fonction politique du raconteur d'histoire - historien ARENDT 6.gifou romancier - est d'enseigner l'acceptation des choses telles qu'elles sont ».

HANNAH ARENDT

 

 

N'EST-CE PAS QU'ELLE EST BELLE ?

 

Petit commentaire de la pensée du jour (une fois n'est pas coutume) : j'ajouterais à l'historien et au romancier d'HANNAH ARENDT le musicien de pop-rock. L'histoire qu'il nous raconte ? C'est une histoire tonale et binaire.

 

 

Le pop-rock est une musique de conte de fées, qui nous dit que le monde est harmonie (dans la musique tonale, les notes ont pour devoir de consonner, c'est-à-dire de vivre ensemble en bonne entente, sans dissonance) et stabilité (la musique binaire marche sur deux pieds, pieds dont on peut faire deux moulages contrastés, intitulés « vouloir vivre» (pied gauche) et « savoir vivre » (pied droit). Allez, vous direz ce que vous voudrez, ça va loin).

 

 

Ce qu'elle dit, cette musique ? « Acceptez les choses telles qu'elles sont ». Entre parenthèses, on a là une magnifique définition du modernissime (parce que venu des Amériques) STORYTELLING (analysé en français par l'excellent CHRISTIAN SALMON, et exploité en français, pendant un temps, par l'inénarrable et désopilant NICOLAS SARKOZY, que je m'en tords encore de rire).

 

 

Suite de la note précédente.

 

 

La panne ? C’est la hantise première. Le cauchemar principal. Le blocage du détroit d’Ormuz ? Les petites crottes des îlots Senkaku (mer jaune orientale) ? Les schistes enfouis très loin (1500 à 3000 mètres) sous nos pieds ? L'enclave de Cabinda ? Les réserves sous le Pôle Nord ? Autant de raisons de faire la guerre. Des guerres pour éviter des pannes ! Nous sommes de plus en plus « modernes », que diable ! Sursum corda et haut les coeurs !

SENKAKU 2.jpg

SI J'AI BIEN COMPRIS, LE JAMBON CHINOIS EST PRIS

ENTRE DEUX TRANCHES JAPONAISES (MÊME PAS BEURRE !)

Car il est entendu que, puisque l’unique objectif mondial est désormais de « croître et enlaidir », la consommation d’énergie ne fera à l’avenir que battre sans cesse ses propres records. On ne sera content que le jour où la planète aura été vidée de toute sa substance énergétique, comme une poire à lavement dans l'anus de nos machines.

 

 

Les machines nous la restitueront ensuite sous forme d'objets aussi indispensables qu'un caillou au fond de la chaussure.FRAISEUSE.jpg Tout ça étant massivement présenté comme une manifestation du PROGRÈS de l’humanité. On s'y attendait un peu, remarquez. Qui serait prêt, par exemple, à abandonner sa table d'usinage multifonctions ? Sa fraiseuse-rainureuse (surtout si c'est la Dewalt DW685) ? Je pose la question.

 

 

Moi, si j’avais à expliquer ce que c’est, la « société de consommation de masse », plutôt que le bricolage, je prendrais l’exemple de la musique. Parce qu’il s’agit de quoi, finalement ? Pour permettre aux trop nombreux individus qui chargent la barque de la planète de croiser tous les autres, à tout moment, sans trop se fâcher avec eux, rien de mieux que de faire en sorte qu’ils réagissent tous d'une manière identique aux mêmes « stimuli » externes, pas vrai ?

 

 

Qu'ils aillent à peu près tous dans le même sens. Quand il s'agit de veaux et de brebis, c'est facile à faire entrer dans l'enclos. Mais les hommes ... Le salafiste fait exception : quand il s'agit d'aller hurler « Mort à l'Occident ! », pourvu que ce soit devant les caméras occidentales, il entre dans l'enclos sans aucun chien pour lui gnaquer les mollets. Suffit d'un "tweet". Il est bien dressé, lui. Remarquez, c'est peut-être lui, le chien ? Le veau ? Et la brebis ? Et le fusil ? Et la balle ? Alouette !

 

 

Donc il s'agit de faire en sorte que tout le monde suive le mouvement. Pas marcher au pas, quand même, on n'en est pas encore là (bien que le militaire soit du binaire bien carré). Juste que tous les gens aient le même comportement. Pour que tout se passe, disons, pas trop mal (mais pas trop bien non plus, faudrait pas exagérer), il est indispensable d'unifier les comportements, c'est EDWARD BERNAYSbernays 2.jpg (le promoteur du « gouvernement invisible ») qui le dit, dès 1928.

 

 

De faire en sorte que tout le monde appuie sur le bouton de la télé le soir. Notons que la liberté reste intacte : ils n'allument pas le poste au même moment. Si ce n'est pas une preuve, ça. Alors dites-moi, maintenant, comment s’appelle l’ensemble des procédés qui permettent d’atteindre ce but ? Parfaitement, vous avez raison : le CONDITIONNEMENT.

 

 

Les procédés ne manquent pas. Mais retenez bien celui-ci : l'oeil et l'oreille sont les meilleurs moyens de pénétrer à l'intérieur de la personne pour en prendre possession subrepticement, sans qu'elle identifie ça comme une intrusion malveillante. Mieux que ça : en obtenant préalablement consentement et adhésion.

 

 

Qui ne sourit pas béatement, en entendant un petit Pink Floyd ? Un vieux King Crimson ? DEEP PURPLE.jpgUn bon Deep Purple ? Ça ne peut pas faire de mal, voyons ! Est-il vrai qu'il y a des gens qui vont pisser pendant les films, mais ne manqueraient pour rien au monde les spots publicitaires ? Je veux dire la propagande marchande ? Ils sont consentants. Personne ne les force. Ils sont formatés. Ça leur convient. On dit aussi bourrage de crâne. Matraquage est admis. C'est à ça qu'il sert, aussi et entre autres, le tonal binaire amplifié boumboum.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

mercredi, 19 septembre 2012

DANS NOTRE BAIGNOIRE SONORE

Pensée du jour : « Evitons tout malentendu : il me semble que le hannah arendt,littérature,éducation,musique,pop,rock,france culture,marc voinchet,musique tonale,jean-sébastien bach,clavier bien tempéré,blues,chick webb,ella fitzgerald,jazz,batterie,daniel humair,rené urtreger,christian vander,éducation nationale,fête de la musiqueconservatisme, pris au sens de conservation, est l'essence même de l'éducation, qui a toujours pour tâche d'entourer et de protéger quelque chose - l'enfant contre le monde, le monde contre l'enfant, le nouveau contre l'ancien, l'ancien contre le nouveau ».

 

HANNAH ARENDT

 

 

 

Bon, c’est sûr, après ces quelques notes qui maltraitent (si c'est possible !) la musique techno (et ses dommages collatéraux), qui passe pour une forme modernissime de la civilisation, je vais passer pour un gros « bloc », échoué par erreur du moyen âge d'une planète lointaine sur les rives lumineuses d'un nouveau paradis originel. Tant pis. D'ailleurs, puisque c'est comme ça, je vais aggraver mon cas, car c’est tout l’univers sonore qui s’impose à nous que je trouve difficile à supporter. Tenez, même le très élitiste France culture est contaminé.

 

 

On pense ce qu’on veut de monsieur MARC VOINCHET,hannah arendt,littérature,éducation,musique,pop,rock,france culture,marc voinchet,musique tonale,jean-sébastien bach,clavier bien tempéré,blues,chick webb,ella fitzgerald,jazz,batterie,daniel humair,rené urtreger,christian vander,éducation nationale,fête de la musique de sa « matinale », de ses « bien sûr » obsessionnels et de sa serinette compulsive, à coups de « franceculture.fr », de ses formules toutes faites adaptées à diverses circonstances (« ladies first », « vous avez votre rond de serviette aux "matins" », ...). Il place toujours, vers la fin, un morceau de musique. Eh bien, la plupart du temps, c’est de la musique « actuelle ». Je veux dire qu’elle se caractérise par : 1 – Le Tonal ; 2 – Le Binaire ; 3 – L’Amplification électrique ; 4 – Le Boum-boum. Autrement dit, le tonal binaire amplifié boumboum.

 

 

Vous avez dit TONAL ? Do majeur (do-mi-sol), ré majeur (ré-fa dièse-la), sol septième (sol-si-ré-fa), apprend le grattouilleur de guitare débutant. C’est ça, la tonalité. Et ça rassure, parce que ça donne une idée de l’harmonie. On dit aussi « consonance ». Pour se faire une idée complète de la chose, on s'instruira durablement à visiter le Temple absolu des 24 déesses Tonalités, édifié par JEAN-SEBASTIEN BACH dans Le Clavier bien tempéré (par GLENN GOULD ou SVJATOSLAV RICHTER), qui les explore méthodiquement. La tonalité est signalée par l’armure à la clé (combien de bémols ? de dièses ?).

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HOMME BINAIRE DE RODIN 

Vous avez dit BINAIRE ? C’est l’homme qui marche : on n’a jamais marché à trois temps. Dansé, peut-être, mais pas marché. A la rigueur, on pourrait comparer avec le cœur qui bat ou le tic-tac de l’horloge. Là, on parle du nombre (pair) de « temps » dans la mesure (2, 4, 8).

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HOMME BINAIRE DE GIACOMETTI

 

Le tonal et le binaire, c’est le socle de toute la musique qu’engloutissent les entonnoirs de nos oreilles à longueur de journée, dans la rue, les commerces, les bus, le métro, sans parler de la radio et de la télé. Toute la pop rock (à part quelques courants d'allumés qui lorgnent du côté de la musique contemporaine atonale) roule là-dessus depuis ses origines, aussi stridentes que soient les guitares, dissonants les accords de passage, hurlant le chanteur. Aussi fantaisistes soient les rythmes et le savoir-faire du batteur.

 

 

 

TOUTE la musique pop-rock, à tout prendre, se caractérise par cet aspect éminemment primitif. Disons rudimentaire si vous préférez. Je ne méprise pas. Je peux même dire que je goûte. Comme je l'ai dit récemment (à propos de littérature policière, il me semble) : « Une place pour chaque chose, chaque chose à sa place ».

 

 

La musique pop-rock est de conception très simple sur le fond, quelles que soient la virtuosité, l'imagination et le savoir-faire des musiciens et des arrangeurs, trop souvent soucieux de saturer l'espace en forme de mille-feuilles sonore. Je rappelle que le blues repose, en tout et pour tout, sur TROIS tonalités (= accords).  Sa pauvreté ne l'empêche pas de donner lieu à des formes et à des styles innombrables et infiniment riches. Et que c’est de là que toute la pop-rock est sortie. Ne pas renier ses origines. Et ne pas confondre musique populaire et musique savante.

 

 

Quant à l'amplifié et au boum-boum, après le tonal et le binaire, ce n’est plus une question de conception, c’est une question de moyens. Or il faut se convaincre que l'amplification électrique n’apporte strictement rien à ce qu’il y a de strictement musical dans la musique. Surtout, elle ne donne aucun talent, contrairement à ce que croient bien des boutonneux. 

 

 

Ce qu’elle fait, l'électricité ? La même chose que toutes les machines : elle se contente d'amplifier le pouvoir de l’homme. Jusqu’à donner au moindre apprenti Ten Years Aftercarla bruni,hannah arendt,littérature,éducation,musique,pop,rock,france culture,marc voinchet,musique tonale,jean-sébastien bach,clavier bien tempéré,blues,chick webb,ella fitzgerald,jazz,batterie,daniel humair,rené urtreger,christian vander,éducation nationale,fête de la musique,ten years after,alvin lee,pierre michelot,guitare gibson,gibson les paul,dick rivers (allez, soyons sincères, qui n'a pas ambitionné pour ses doigts l'avenir de ceux d'ALVIN LEE ?) une sorte de vertige quasi-prométhéen. Un vertige de puissance. Rien d’autre et rien de plus.

 

 

 

Par exemple, c'est l'électricité qui autorise CARLA BRUNI à se faire passer pour une chanteuse (j'ai les noms de beaucoup d'autres). Ici, vous voudriez bien une photo de CARLA pas trop habillée, hein ! Allez, je vais faire ça pour vous, bien que ça n'ait aucun rapport avec mon sujet. C'est juste pour détendre l'atmosphère. De toute façon, ça faisait longtemps. Une petite pause non musicale, quoi.

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Quand au boumboum, je signale qu’il n’y avait pas de batterie dans les premiers orchestres de jazz (plus ou moins 1915, BUDDY BOLDEN, ...), ou si peu. Une grosse caisse, certes, mais peut-on faire plus basique ? Disons que c'est pour le battement du coeur, et n'en parlons plus.

 

 

La preuve ? Le talentueux batteur et chef d’orchestre CHICK WEBB (années 1930), chez qui eut l’honneur de commencer la toute jeune ELLA FITZGERALD (écoutez le délicieux, joyeux et à double fond A tisket a tasket, a little yellow basket), s’ingéniait à assurer la rythmique de tout l’orchestre comme s’il était dans la coulisse : un cœur battait, mais il fallait l’écouter pour l’entendre.

 

 

On n’est pas plus modeste et discret. Et efficace ! Ecoutez son roulement métronomique : il faut vraiment tendre l'oreille, mais s’il n’était pas là, les moineaux de l’orchestre se volatiliseraient dans la nature. Le coeur de l’orchestre de CHICK WEBB, c’est CHICK WEBB.

 

 

Aujourd'hui cette modestie n'est plus de mise. Le batteur dit aux copains : « Ôte-toi de là que je m'y mette ». Il s'agit de faire du bruit. Il est devenu (avec le chant et la guitare solo) le personnage central du groupe, il trône, il règne, comme je l’avais vu faire un soir à l'énorme DANIEL HUMAIR, qui faisait disparaître sous son Himalaya sonore le pauvre piano de l’excellent RENÉ URTREGER. Ne parlons pas de la contrebasse de PIERRE MICHELOT.

 

 

 

Regardez ci-dessous la muraille de tambours et de cymbales derrière laquelle se calfeutre CHRISTIAN VANDER (Magma). Et ce n'est pas le pire. Pas de « groupe » sans batteur. Pour emprunter au domaine des armes à feu, disons que la modernité a inventé la musique « à percussion centrale » (servez-vous, c'est sans droits d'auteur).

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Voilà  donc ce que je reproche à tous ceux qui fabriquent notre environnement auditif, et voilà, pour l’essentiel, la « musique » que s’inoculent à tour de bras, comme avec de grandes seringues hypodermiques, tous les zombies qui hantent les rues, les métros et les bus, recroquevillés derrière le rempart des écouteurs qu’ils se sont fait greffer : le tonal binaire amplifié boumboum.

 

 

Comment voulez-vous, quand on est gavé de ça jusqu'à la cirrhose des oreilles, admettre quelque maqâm, quelque râga, quelque velléité atonale, quelque gamme pentatonique que ce soit ? Banni, cher KHALED, ton oud, avec ses quarts de ton !

 

 

Prenez toutes les tendances de la musique « pop-rock » (80 % minimum, de la diffusion musicale sur NRJ et autres commerces des ondes) depuis cinquante ans. Faites abstraction de tout ce qui les différencie. Qu’est-ce qui reste ? Du tonal binaire amplifié boum-boum. Sans doute ce que les ministres de l’Education Nationale appellent le « socle commun de connaissances » ? Allez savoir.  

 

 

Et que le « tonal binaire amplifié boum-boum » soit devenu l’immense toile de fond sonore de la scène où se déroulent nos existences à tous, conformément au programme de colonisation culturelle du monde (avec le cinéma hollywoodien) par les Etats-Unis, croyez-vous vraiment que le phénomène soit parfaitement inoffensif et dénué de sens ? Pourquoi les neuf dixièmes (je suis gentil) des musiciens qui se produisent sur les trottoirs tous les 21 juin ont-ils besoin de branchement électrique ? carla bruni,hannah arendt,littérature,éducation,musique,pop,rock,france culture,marc voinchet,musique tonale,jean-sébastien bach,clavier bien tempéré,blues,chick webb,ella fitzgerald,jazz,batterie,daniel humair,rené urtreger,christian vander,éducation nationale,fête de la musique, ten years after, alvin lee,pierre michelot,

 

 

 

Demandez à monsieur LES PAUL (prononcer lèss, ci-contre une Gibson Les Paul 1958) : « Je m'sens comme une Gibson. Notre train abandonne ... ». C'était le vieux DICK RIVERS qui chantait ça. N'empêche que LES PAUL est à jamais indélébile. Je crois qu'il est mort il n'y a pas si longtemps. Vieux et content. Est-ce que c'est mal, ce qu'il a fait ? Franchement, convient-il de répondre à cette question idiote ? Je m'en dispenserai donc.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

 

 

 

 

jeudi, 06 septembre 2012

QUEL ULTRALIBERAL ÊTES-VOUS ?

Pensée du jour : « Notre héritage n'est précédé d'aucun testament », écrit RENÉ CHAR dans Feuillets d'Hypnos (fragment 62). HANNAH ARENDT fait de la formule la phrase inaugurale de La Crise de la culture.

 

 

Le fond doctrinal du libéral, chacun en sera d’accord, c’est l’autonomie accordée aux individus par la société. Qui dit liberté, dit par là même responsabilité de l’individu. Plus on est libre, plus on est responsable. Il n’y a pas à tortiller. Enfin, on me l’a dit. Et – théoriquement – plus épais et consistants sont les comptes à  rendre.

 

 

J’observe cependant que les contradictions ne manquent pas. Je me propose de me pencher sur quelques curieux paradoxes. Ainsi, dans le domaine économique, catalogue-t-on A DROITE (politiquement) des gens qui soutiennent mordicus la liberté d’entreprendre, d’embaucher et de débaucher les travailleurs au gré des conjonctures. Ce qu’on appelle la « flexibilité » du marché du travail. Pour que l’affaire marche, on a bien compris, il faut que le patron ait les mains libres. Plus il les a libres, les mains, mieux c’est. Et on le comprend.

 

 

C’est vrai que pour qu’une affaire marche, il est nécessaire d’équilibrer les charges : comme disait le dernier Guide Suprême de la France, celui qui a été battu lors du dernier Combat des Chefs, il faut penser aux trois acteurs : l’actionnaire (le propriétaire qui attend le retour sur investissement) ; le dirigeant, qui prépare l’avenir en adaptant la production au marché et en modernisant sans cesse l’outil de travail ; le travailleur (comme c’est devenu un gros mot, je dirai plus loin le dernier acteur cité), qui font tourner l’outil de travail avec leur « force de travail ».

 

 

En face, on étiquette A GAUCHE des gens qui, spontanément ou non, préoccupés par le sort fait au dernier acteur cité, qui n’a en sa possession que sa force de travail (selon la grille marxiste, mais on ne peut pas dire que ce soit faux), se portent à son secours pour le protéger d’un rapace (c’est l’actionnaire) qui incite un tyran (c’est le dirigeant) à toujours réduire les coûts. Demandons-nous en passant pourquoi le rapace et le tyran rangent le travail du dernier acteur cité dans la colonne des coûts, et non celle des investissements. Passons.

 

 

On voit tout de suite le conflit des deux intérêts : Monsieur DEDROITE actionnaire veut que sa poche se gonfle le plus possible ; le dirigeant y a par nature intérêt, sinon, s’il n’est pas le propriétaire, celui-ci, mécontent, l’éjecte. Monsieur DEGAUCHE veut empêcher le dirigeant de nuire sans mesure au dernier acteur cité.

 

 

Pour décrire les choses simplement, disons que Monsieur DEDROITE veut que la machine tourne, Monsieur DEGAUCHE lutte contre l’esclavage. A l'un la "réalité" concrète, à l'autre le brassage d'idées.

 

 

Notons en passant que Monsieur DEGAUCHE, concrètement (et bizarrement), s’en prend très rarement au propriétaire-actionnaire, sauf en campagne électorale (« Mon ennemi, c’est la finance ! », lança bravement, mais étourdiment, FRANÇOIS HOLLANDE). Pour une raison simple : il faudrait inscrire au programme du parti la destruction du SYSTEME qui fait de l’actionnaire la source de l’économie. Et cela n’est pas au programme, mais alors pas du tout. Car cela s’appelle la révolution.

 

 

Oui, je parle, on l’a compris, de la gauche « responsable », de la gauche « de gouvernement ». Cet homme de gauche-là ne veut surtout pas détruire le système. Il en aime les pantoufles. Je traduis en français : depuis 1983, le Parti Socialiste s’est converti à l’économie de marché. Fini le militant en bras de chemise et la clope au bec : la rue de Solférino ne laisse entrer dans ses murs que des costumes trois-pièces armés d’attachés-cases et sortant de l’ENA. Le Parti Socialiste n'est plus à gauche, mais à GÔCHE. Et ça change tout.

 

 

L’économie de marché (autrement dit la jungle de l’offre et de la demande), elle place à son sommet et (!!!) à sa base l’actionnaire. Renverser cet ordre, seuls de dangereux utopistes osent en rêver. Qui rêvent en douce de grimper au sommet de leur échelle de l’Egalité.

 

 

Donc, l’homme de gôche a renoncé à la révolution, donc il accepte le règne de l’actionnaire. On voit par là qu’entre l’actionnaire-marteau et l’homme de gauche-enclume (une enclume pas toujours au service du dernier acteur cité), le dirigeant a intérêt à avoir pris des leçons de diplomatie auprès des intrigants florentins du 16ème siècle ; des leçons de méthode auprès des grands stratèges (CLAUSEWITZ, SUN TSU) ; des leçons de ruse auprès des vizirs arabes. S’il veut sauver sa peau.

 

 

Résumons-nous : l’homme de droite réclame le maximum de liberté (d’entreprendre) ; l’homme de gauche réclame le maximum de justice (sociale). « Liberté n’est pas licence ». Paraît-il. L’homme de droite, en économie, est favorable au « libéralisme », qui permet à l’entrepreneur de s’enrichir. L’homme de gauche, pour l’empêcher de se servir du dernier acteur cité comme d’un simple citron à presser, exige que l’économie soit « administrée ». La liberté s’oppose à la régulation, comme le pôle nord au pôle sud. Et lycée de versailles.

 

 

Je résume ce qui précède : l’Entrepreneur est contre l’Etat et pour la Liberté. La Sécurité Sociale et le Code du Travail sont contre l’Esclavage qui découle de cette Liberté. En très gros. J’espère que vous suivez. Je schématise, mais il y a de ça.

 

 

Entre la liberté (d’entreprendre) et la protection (sociale), c’est une sourde et permanente lutte pour pousser le curseur du « bon » côté. En ce moment, on pourrait dire par exemple que l’esclavage a le vent en poupe. Et que l’Etat est devenu le toutou de l’Entreprise : « Donne la papatte, allez, fais le beau, JEAN-MARC AYRAULT ». Et JEAN-MARC AYRAULT donne la patte, fait le beau et remue la queue. C’était l’autre jour au MEDEF.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

A suivre : promis, demain, étonnant renversement de perspective et de rôle.

 

Dernière minute pour les Lyonnais : a lieu ce soir le vernissage d'une exposition. La galerie Gilbert Riou (1, place d'Ainay, 18 heures) montre des oeuvres tout à fait estimables d'AGATHE DAVID, qui s'est inspirée des Psaumes de David pour faire surgir des souvenirs de bestiaires, de la botanique et des livres d'heures.

 

 

 

lundi, 14 mai 2012

ENCORE UNE LOUCHE DE MONTAIGNE (fin)

Restons encore un peu en compagnie de MONTAIGNE, dans les Essais et dans sa "librairie".

ACRIVAIN MONTAIGNE LIBRAIRIE.jpg

On trouve, au chapitre « De l’ivrognerie » (Livre II), en dehors d’un certain nombre de considérations très sages (MONTAIGNE est quelqu’un qui tient par-dessus tout à rester mesuré), une histoire digne d’être retenue.

 

 

De l’ivrognerie.

 

Et ce que m’apprit une dame que j’honore et prise singulièrement, que près de Bordeaux, vers Castres où est sa maison, une femme de village, veuve, de chaste réputation, sentant les premiers ombrages de grossesse, disait à ses voisines qu’elle penserait être enceinte si elle avait un mari. Mais, du jour à la journée croissant l’occasion de ce soupçon et en fin jusques à l’évidence, elle en vint là de faire déclarer au prône de son église que, qui consentirait à reconnaître ce fait en l’avouant, elle promettait de le lui pardonner, et, s’il le trouvait bon, de l’épouser. Un sien jeune valet de labourage, enhardi de cette proclamation, déclara l’avoir trouvée, ayant bien largement pris son vin, si profondément endormie près de son foyer, et si indécemment, qu’il s’en était pu servir sans l’éveiller. Ils vivent encore mariés ensemble.

 

 

Elle est pas mignonne, l’histoire ? Une variante, en quelque sorte, de la chanson « Emmener sa femme au champ pour la…bourer ». « Qu’il s’en était pu servir ». Et on nous raconte que ce furent des époques puritaines ? Qu’est-ce que c’est que cette fable ? J’ai plutôt l’impression que le puritanisme a rarement été aussi actuel (le puritanisme est copain comme cochon, comme l’avers avec le revers, avec tout ce qui porte l’étiquette X).

 

 

Le passage suivant est beaucoup plus moral, mais il jette un drôle de jour sur la façon dont nous (moi le premier) nous extasions au-dessus du berceau d’un nouveau-né. N’y a-t-il pas quelque ressemblance avec ce que nous faisons devant le chiot ou le chaton que la chienne ou la chatte a mis bas quelque temps avant ? MONTAIGNE parle, quant à lui, de « guenon ». Sûr que ça fait plus exotique.

 

 

Chapitre VIII : De l’affection des pères aux enfants. (A madame d’Estissac.)

 

 

Comme, sur ce sujet de quoi je parle, je ne puis recevoir cette passion de quoi on embrasse les enfants à peine encore nés, n’ayant ni mouvement en l’âme, ni forme reconnaissable au corps, par où ils se puissent  rendre aimables. Et ne les ai pas soufferts volontiers nourris près de moi [d’où le recours à la nourrice]. Une vraie affection et bien réglée devrait naître et s’augmenter avec la connaissance qu’ils nous donnent d’eux ; et lors, s’ils le valent, la propension naturelle marchant quant et [du même pas que] la raison, les chérir d’une amitié vraiment paternelle ; et en juger de même, s’ils sont autres, nous rendant toujours à la raison, nonobstant la force naturelle. Il en va forcément au rebours ; et le plus communément nous nous sentons plus émus des trépignements, jeux et niaiseries puériles de nos enfants, que nous ne faisons après de leurs actions toutes formées, comme si nous les avions aimés pour notre passe-temps, comme des guenons, non comme des hommes.

 

 

« S’ils le valent » : au moins c’est clair, le sentiment paternel est loin d’être naturel, comme le bruit s’en est colporté depuis JEAN-JACQUES ROUSSEAU (que cela n’a jamais empêché de mettre à l’Assistance les enfants qu’il a eus avec THERESE LEVASSEUR), et comme le montre ELISABETH BADINTER dans L’Amour en plus (1980). Est-ce que c’est MONTAIGNE qui est un salopard ? Est-ce que c’est nous qui sommes fondus gaga ?

 

 

Ce qui m’impressionne ici, c’est qu’il attend pour se faire une opinion que l’enfant ait assez grandi pour montrer aux yeux de tous quelle forme allait prendre l’être en devenir qu’il était exclusivement au départ. Nous, qui vivons à une époque qui se met à plat-ventre devant l’enfant, à l’époque de l’ « enfant au centre du système », de l’enfant-roi, ne pouvons plus guère, me semble-t-il, comprendre un tel propos.

 

 

Le plus drôle, c’est que nous nous chagrinons, plus tard, de l’écart éventuel entre l’enfant espéré et l'être accompli. MONTAIGNE, lui, n’attend rien de précis. Il attend de voir ce que ça va donner, le gamin. HANNAH ARENDT ne dit pas autre chose, dans La Crise de la culture, quand elle conteste radicalement qu’il existe un quelconque « monde de l’enfance », qui serait autonome, et insiste sur la nécessité de ne voir dans un enfant qu'un être humain en devenir. Rien de moins, certes, mais rien de plus.

 

 

Il y a bien du ridicule dans le seul fait d'avoir pensé qu'il fallait absolument que les instances internationales signassent une mirifique "Déclaration des Droits de l'Enfant". Tiens, mettez-y le nez ici, pour voir, et vous comprendrez pourquoi les Français ont rejeté la Constitution Européenne : il faut une formation juridique au moins de bac + 12 pour s'y retrouver, et rien que pour arriver jusqu'au bout.

 

 

Mais il est vrai que MONTAIGNE ignorait tout de ce qu’est un « marché », découpé en divers « segments » (5-9 ans, 9-12 ans, etc.), la consommation, et tous les objets qui se proposent en permanence d’irriguer notre besoin de bonheur, ce qui est de toute évidence un progrès incommensurable.

 

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

Ce sera tout pour cette fois.

samedi, 28 avril 2012

MONTAIGNE ? UNE PREMIERE TRANCHE

MONTAIGNE – ESSAIS LIVRE I – Chapitre XXVI : De l’institution des enfans.

 

 

Bon, comme c’était promis, je suis bien obligé de tenir parole. MONTAIGNE, en voici la première tranche. Comme c’est une viande assez dense, il faut y aller à petite dose. Et puis, l’assaisonner. Aujourd’hui, vous aurez droit à un assaisonnement « spécial école France 21ème siècle ».

 

 

Si ce disciple se rencontre de si diverse condition, qu’il aime mieux ouyr une fable que la narration d’un beau voyage ou un sage propos quand il l’entendra ; qui, au son d’un tabourin qui arme la jeune ardeur de ses compagnons, se détourne à un autre qui l’appelle au jeu des batteleurs ; qui, par souhait, ne trouve plus plaisant et plus doux revenir poudreux et victorieux d’un combat, que de la paume ou du bal avec le pris de cet exercice : je n’y trouve autre remede, sinon que de bonne heure son gouverneur l’estrangle, s’il est sans tesmoins, ou qu’on le mette patissier dans quelque bonne ville, fust-il fils d’un duc, suivant le precepte de Platon qu’il faut colloquer les enfans non selon les facultez de leur pere, mais selon les facultez de leur ame.

 

 

Là, j’ai laissé l’orthographe telle quelle. En gros et pour résumer, MONTAIGNE propose d'abandonner le cancre à son sort : si, en toute chose, il préfère l'amusement aux choses sérieuses, qu'il aille au diable.

 

 

montaigne,littérature,société,éducation

LA TOUR OÙ MONTAIGNE AVAIT SA "LIBRAIRIE" 

 

J’aime beaucoup ce passage méconnu, que j’ai déjà cité ici (ce n’est pas dans Lagarde et Michard qu’on le trouverait). MONTAIGNE y va très fort, qui déclare sans sourciller que l’élève rétif à tout enseignement est un bon à rien, que le cancre absolu n’a rien à faire à l’école et qu’il serait absurde de faire quelque effort que ce soit pour lui apprendre quoi que ce soit. On ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif. Il n’y a plus qu’à tirer l’échelle.

 

 

Espérons qu’« étrangle » est une boutade (l'auteur est prudent : "s'il est sans témoin" est délicieux). Quant au « pâtissier », MONTAIGNE ne pouvait certes prévoir que s’il nous fallait aujourd’hui orienter vers la profession tous les élèves incivilisables, il faudrait instaurer un « ordre des pâtissiers », chargé de faire respecter un strict « numerus clausus », sous peine d’avalanche pâtissière.

 

 

Jetons à présent un œil sur le paysage éducatif actuel, et sentons ce qu’il nous reste de cheveux se dresser sur nos têtes. Que voyons-nous ? Que penserait MONTAIGNE de ce qu'est devenue l'instruction publique ? Autrement posé : combien d'élèves actuels faudrait-il étrangler ?

 

 

Un système où – je crois que c’est LIONEL JOSPIN qui avait popularisé la formule – l’élève « est au centre du système », où l’on parle de « communauté éducative », où les enseignants sont sommés de « prendre en compte le projet de l’élève », où ils sont sommés de plaire à leur classe, où le cours commence par une négociation qui consiste à obtenir de la classe, d’une part le silence, d’autre part l’autorisation de lui faire cours, si elle le veut bien.

 

 

Où l’élève qui lance une craie sur l’enseignante et celui qui en traite une autre de « pute » peuvent attendre tranquillement que le conseil de discipline se réunisse, dans six mois, peut-être pour prendre éventuellement, après avis de toute la « communauté éducative », une sanction, assortie du sursis pour commencer.

 

 

 

Bref, appelons tout ça, si vous le voulez bien, « le voyage dans la lune ».

 

 

Et si l’on compare la façon dont un cours se passe dans les systèmes éducatifs européens à ce qu’on voit, par exemple, au Congo Brazzaville, en Chine ou au Japon (selon des témoignages directs), non seulement on comprend, mais on explique aussi de façon lumineuse pourquoi l’enseignement français fait lentement et inexorablement naufrage.

 

 

La France oublie, ce faisant, qu’elle a dû sa relative primauté parmi les nations, entre autres, à l’ambition éducative démesurée qu’elle a manifestée à travers les lois sur l’instruction obligatoire (1881-1882). Mais nul n'arrive à la cheville des réformateurs de tout poil pour ce qui est d'emballer et d'enrober le dit naufrage dans la rutilance somptueuse de discours sur les missions sacrées de l'école. Ah, pour ce qui est de l'enrobage dans le sucre des discours, ils sont forts. Tiens, un exemple. Vous savez comment, dans ce langage, il faut appeler un cancre ? « Un apprenant à apprentissage différé ». Je vous laisse savourer cette trouvaille extraordinaire.

 

 

 

Je ne vois pour eux qu'une issue : LE PAL. 

 

 

 

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On aura beau me bistourner dans tous les sens les boyaux de la tête, personne n’arrivera à me convaincre que l’élève est à l’école pour faire autre chose qu’apprendre (voir le chapitre « la crise de l’éducation » dans La Crise de la culture, d’HANNAH ARENDT, je vous épargne la digression, mais vous avez compris l'esprit). Qu'il soit souhaitable que le jeune s'épanouisse, rien de plus vrai, mais que cela doive se passer au sein de l'école, dans le cadre même de l'instruction publique, rien de plus scandaleusement faux.

 

 

Les philosophes « déconstructionnistes » auront beau déconstruire le principe d’autorité, sans lequel il n'est pas d'éducation possible ou envisageable, le juger historiquement arbitraire, psychologiquement abusif, sociologiquement intolérable … « et moralement indéfendable » (Le Tour de Gaule d’Astérix, p. 21, citons nos sources), ils n’empêcheront pas l’autorité, une fois qu’elle aura été définitivement mise hors d’état de nuire au sein de l’école, de régner plus despotiquement, plus tyranniquement à l’extérieur, dans la société, partout. Une fois sorti de l'enceinte scolaire, le jeune aura à faire face à la tyrannie du « principe de réalité », et il est facile de prédire que le contact sera rude.

 

 

En France, les gouvernements successifs, toutes tendances confondues, ont sciemment instrumentalisé les doctrines égalitaristes d’idéologues fanatiques (l’élève est l’égal du maître, d’ailleurs, il n’y a plus de « maîtres », l'élève doit construire lui-même son propre « parcours d’apprentissage », et autres « fariboles sidérales » (excellent et méconnu album de BD d'ALIAS, alias CLAUDE LACROIX) et sidérantes, comme « il faut apprendre à apprendre », il faut donner la priorité aux méthodes sur les contenus, etc.).

 

 

Et puis surtout, depuis 1975 en particulier, les gouvernements n’ont pas cessé de réformer, de réformer la réforme précédente, de réformer au carré et de réformer au cube, au point qu’aujourd’hui, plus personne ne sait par quel bout prendre l'animal monstrueux qu'est devenu le système éducatif français. Et certains vertueux font mine de s’étonner que le classement de la France (puisqu’on raffole des classements) régresse d’année en année, au plan international.

 

 

La RGPP (alias Révision Générale des Politiques Publiques, euphémisme alambiqué, masque et faux nez de la hache chargée de tailler en pièces ce qui s'appelait la Fonction Publique d'Etat, police, armée, enseignement, etc.) de NICOLAS SARKOZY (60.000 postes non renouvelés après départ en retraite depuis 2007) n’est pas négligeable, dans le processus, mais elle n’est que la dernière paire de banderilles allègrement plantée dans l’animal monstrueux gravement blessé, qui se démène de plus en plus faiblement face à ses multiples matadors, et qui avait pour nom « Instruction Publique ». « Requiescat in pace ».

 

 

Quoi ? Mais oui, je le sais, que récriminer comme ça est totalement vain. En plus, ça fait ringard, réactionnaire, et tout et tout. Moi, je dis que c’est moins réactionnaire que conservateur. Au vrai sens du mot « conservateur », comme on est conservateur de bibliothèque, de musée, des eaux et forêts ou des hypothèques. Ça s’appelle : conserver pour éviter que l’essentiel ne meure.

 

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

Vous avez aussi compris que MONTAIGNE n’était qu’un prétexte. Promis, demain, ce sera plus frivole.

 

 


 

lundi, 09 avril 2012

ALORS, L'ISLAM : TOTALITAIRE ?

L’Islam est-il totalitaire par nature ? Evidemment non, mais il faudrait y regarder de plus près. Y a-t-il des musulmans qui ont des visées totalitaires ? La réponse est : oui.

 

 

Rien qu’à la façon dont se sont instaurées les trois religions du « Livre », tiens, on peut s’en apercevoir. Je ne vais pas remonter aux origines de la religion juive. Ici, le peuple se confond avec la religion qu’il pratique. Et si je ne me trompe pas, il n’y a jamais eu de prosélytisme juif. Aucun juif, sauf erreur de ma part, n’a jamais essayé de faire que d’autres se convertissent au judaïsme.

 

 

Il me semble même plutôt que les juifs (à la fois en tant que peuple et que croyants) ont toujours cherché à préserver l’homogénéité (la « pureté », si l’on veut, du « peuple élu ») de leur communauté et de leurs dogmes. La philosophe HANNAH ARENDT insiste assez sur cette caractéristique des juifs (vivre entre soi) dans sa préface au monumental Les Origines du totalitarisme.

 

 

Il est de notoriété publique que le mariage entre des hommes ou des femmes juifs et des « goyim », c’est compliqué (je pense à la modeste comédie La Vérité si je mens). La ligne directrice des juifs, c’est plutôt la logique du « vase clos » : restons entre nous, ne nous mélangeons pas. Une preuve en est donnée par la floraison d’établissements confessionnels (Ozar Hatorah, entre autres) réservés aux juifs.

 

 

En passant, je signale que le seul concept d' « école coranique » me fait frémir. Mais pas plus que celui d' « école catholique » : en France, pourtant, les écoles catholiques ensiegnent autre chose que la Bible, et sont obligées de respecter les programmes imposés par le ministère de l'Instruction Publique (je déteste l'expression "éducation nationale").

 

 

La façon dont le christianisme est arrivé et a fini par s’imposer dans l’antiquité est toute différente : Jésus, c’est l’homme de la paix et de l’amour, jusqu’au sacrifice de soi. Bon, qu’il soit « fils de Dieu », pourquoi pas ? L’essentiel est que le message du christ est essentiellement pacifique.

 

 

A cet égard, certains analystes vont jusqu’à le considérer comme le seul vrai chrétien dans l’histoire. Car le véritable fondateur du christianisme, c’est un soldat qu’on appellera plus tard Saint Paul. Qui prendra au pied de la lettre l’expression : « Allez enseigner toutes les nations ». Ce premier prosélytisme massif se déroule de façon pacifique pendant plusieurs siècles. C’est la période des persécutions et des martyrs.

 

 

Le christianisme change de nature en devenant avec Constantin un rouage de l’Etat, un instrument du pouvoir, en quelque sorte. Dès lors, il a eu vocation à s’étendre par le prosélytisme et la conversion. Le christianisme, pacifique au départ, est devenu guerrier, quand le temporel et le spirituel se sont fondus pour exercer le pouvoir. Inutile de revenir sur les conversions forcées, massives qui ont accompagné les conquêtes coloniales, par le « bois » et le « fer » (la croix et l’épée). La terreur, quoi.

 

 

Pour l’Islam, c’est différent, dès le départ. Les Kuraïchis (tribu bédouine à laquelle appartenait Mahomet) persécutèrent celui qui prétendait parler au nom d’Allah, et le chassèrent de La Mecque en 622 (début de l’hégire, qui est aussi celui du calendrier musulman).

 

 

Mais le 10ème jour du mois de ramadan de l’an 8 de l’hégire (= 11 janvier 630), il se met à la tête d’une armée de 10.000 hommes et conquiert la ville, dont il fait le centre absolu de la nouvelle religion. L’Islam a donc démarré dans l’histoire par un acte de guerre, même si la légende prétend que la bataille s’acheva sans qu’une goutte de sang eût été versée. Il y a du guerrier potentiel dans tout musulman. Il ne faut jamais l’oublier.

 

 

Aujourd’hui, les musulmans qui interprètent au pied de la lettre l’appel au « djihad » formulé dans le Coran sont nombreux. Cela donne les massacres de chrétiens dans le nord du Nigéria. Cela donne les violences contre les coptes dans l’Egypte « révolutionnaire ».

 

 

Cela donne diverses persécutions dans les pays du Proche et du Moyen Orient, en particulier en Irak, où les chrétiens préfèrent s’exiler. J’aurais tendance à en conclure que les musulmans, en général, n’aiment pas les chrétiens. Et je ne parle pas de l’antisémitisme, largement partagé parmi les musulmans.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

A suivre.