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samedi, 28 avril 2012

MONTAIGNE ? UNE PREMIERE TRANCHE

MONTAIGNE – ESSAIS LIVRE I – Chapitre XXVI : De l’institution des enfans.

 

 

Bon, comme c’était promis, je suis bien obligé de tenir parole. MONTAIGNE, en voici la première tranche. Comme c’est une viande assez dense, il faut y aller à petite dose. Et puis, l’assaisonner. Aujourd’hui, vous aurez droit à un assaisonnement « spécial école France 21ème siècle ».

 

 

Si ce disciple se rencontre de si diverse condition, qu’il aime mieux ouyr une fable que la narration d’un beau voyage ou un sage propos quand il l’entendra ; qui, au son d’un tabourin qui arme la jeune ardeur de ses compagnons, se détourne à un autre qui l’appelle au jeu des batteleurs ; qui, par souhait, ne trouve plus plaisant et plus doux revenir poudreux et victorieux d’un combat, que de la paume ou du bal avec le pris de cet exercice : je n’y trouve autre remede, sinon que de bonne heure son gouverneur l’estrangle, s’il est sans tesmoins, ou qu’on le mette patissier dans quelque bonne ville, fust-il fils d’un duc, suivant le precepte de Platon qu’il faut colloquer les enfans non selon les facultez de leur pere, mais selon les facultez de leur ame.

 

 

Là, j’ai laissé l’orthographe telle quelle. En gros et pour résumer, MONTAIGNE propose d'abandonner le cancre à son sort : si, en toute chose, il préfère l'amusement aux choses sérieuses, qu'il aille au diable.

 

 

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LA TOUR OÙ MONTAIGNE AVAIT SA "LIBRAIRIE" 

 

J’aime beaucoup ce passage méconnu, que j’ai déjà cité ici (ce n’est pas dans Lagarde et Michard qu’on le trouverait). MONTAIGNE y va très fort, qui déclare sans sourciller que l’élève rétif à tout enseignement est un bon à rien, que le cancre absolu n’a rien à faire à l’école et qu’il serait absurde de faire quelque effort que ce soit pour lui apprendre quoi que ce soit. On ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif. Il n’y a plus qu’à tirer l’échelle.

 

 

Espérons qu’« étrangle » est une boutade (l'auteur est prudent : "s'il est sans témoin" est délicieux). Quant au « pâtissier », MONTAIGNE ne pouvait certes prévoir que s’il nous fallait aujourd’hui orienter vers la profession tous les élèves incivilisables, il faudrait instaurer un « ordre des pâtissiers », chargé de faire respecter un strict « numerus clausus », sous peine d’avalanche pâtissière.

 

 

Jetons à présent un œil sur le paysage éducatif actuel, et sentons ce qu’il nous reste de cheveux se dresser sur nos têtes. Que voyons-nous ? Que penserait MONTAIGNE de ce qu'est devenue l'instruction publique ? Autrement posé : combien d'élèves actuels faudrait-il étrangler ?

 

 

Un système où – je crois que c’est LIONEL JOSPIN qui avait popularisé la formule – l’élève « est au centre du système », où l’on parle de « communauté éducative », où les enseignants sont sommés de « prendre en compte le projet de l’élève », où ils sont sommés de plaire à leur classe, où le cours commence par une négociation qui consiste à obtenir de la classe, d’une part le silence, d’autre part l’autorisation de lui faire cours, si elle le veut bien.

 

 

Où l’élève qui lance une craie sur l’enseignante et celui qui en traite une autre de « pute » peuvent attendre tranquillement que le conseil de discipline se réunisse, dans six mois, peut-être pour prendre éventuellement, après avis de toute la « communauté éducative », une sanction, assortie du sursis pour commencer.

 

 

 

Bref, appelons tout ça, si vous le voulez bien, « le voyage dans la lune ».

 

 

Et si l’on compare la façon dont un cours se passe dans les systèmes éducatifs européens à ce qu’on voit, par exemple, au Congo Brazzaville, en Chine ou au Japon (selon des témoignages directs), non seulement on comprend, mais on explique aussi de façon lumineuse pourquoi l’enseignement français fait lentement et inexorablement naufrage.

 

 

La France oublie, ce faisant, qu’elle a dû sa relative primauté parmi les nations, entre autres, à l’ambition éducative démesurée qu’elle a manifestée à travers les lois sur l’instruction obligatoire (1881-1882). Mais nul n'arrive à la cheville des réformateurs de tout poil pour ce qui est d'emballer et d'enrober le dit naufrage dans la rutilance somptueuse de discours sur les missions sacrées de l'école. Ah, pour ce qui est de l'enrobage dans le sucre des discours, ils sont forts. Tiens, un exemple. Vous savez comment, dans ce langage, il faut appeler un cancre ? « Un apprenant à apprentissage différé ». Je vous laisse savourer cette trouvaille extraordinaire.

 

 

 

Je ne vois pour eux qu'une issue : LE PAL. 

 

 

 

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On aura beau me bistourner dans tous les sens les boyaux de la tête, personne n’arrivera à me convaincre que l’élève est à l’école pour faire autre chose qu’apprendre (voir le chapitre « la crise de l’éducation » dans La Crise de la culture, d’HANNAH ARENDT, je vous épargne la digression, mais vous avez compris l'esprit). Qu'il soit souhaitable que le jeune s'épanouisse, rien de plus vrai, mais que cela doive se passer au sein de l'école, dans le cadre même de l'instruction publique, rien de plus scandaleusement faux.

 

 

Les philosophes « déconstructionnistes » auront beau déconstruire le principe d’autorité, sans lequel il n'est pas d'éducation possible ou envisageable, le juger historiquement arbitraire, psychologiquement abusif, sociologiquement intolérable … « et moralement indéfendable » (Le Tour de Gaule d’Astérix, p. 21, citons nos sources), ils n’empêcheront pas l’autorité, une fois qu’elle aura été définitivement mise hors d’état de nuire au sein de l’école, de régner plus despotiquement, plus tyranniquement à l’extérieur, dans la société, partout. Une fois sorti de l'enceinte scolaire, le jeune aura à faire face à la tyrannie du « principe de réalité », et il est facile de prédire que le contact sera rude.

 

 

En France, les gouvernements successifs, toutes tendances confondues, ont sciemment instrumentalisé les doctrines égalitaristes d’idéologues fanatiques (l’élève est l’égal du maître, d’ailleurs, il n’y a plus de « maîtres », l'élève doit construire lui-même son propre « parcours d’apprentissage », et autres « fariboles sidérales » (excellent et méconnu album de BD d'ALIAS, alias CLAUDE LACROIX) et sidérantes, comme « il faut apprendre à apprendre », il faut donner la priorité aux méthodes sur les contenus, etc.).

 

 

Et puis surtout, depuis 1975 en particulier, les gouvernements n’ont pas cessé de réformer, de réformer la réforme précédente, de réformer au carré et de réformer au cube, au point qu’aujourd’hui, plus personne ne sait par quel bout prendre l'animal monstrueux qu'est devenu le système éducatif français. Et certains vertueux font mine de s’étonner que le classement de la France (puisqu’on raffole des classements) régresse d’année en année, au plan international.

 

 

La RGPP (alias Révision Générale des Politiques Publiques, euphémisme alambiqué, masque et faux nez de la hache chargée de tailler en pièces ce qui s'appelait la Fonction Publique d'Etat, police, armée, enseignement, etc.) de NICOLAS SARKOZY (60.000 postes non renouvelés après départ en retraite depuis 2007) n’est pas négligeable, dans le processus, mais elle n’est que la dernière paire de banderilles allègrement plantée dans l’animal monstrueux gravement blessé, qui se démène de plus en plus faiblement face à ses multiples matadors, et qui avait pour nom « Instruction Publique ». « Requiescat in pace ».

 

 

Quoi ? Mais oui, je le sais, que récriminer comme ça est totalement vain. En plus, ça fait ringard, réactionnaire, et tout et tout. Moi, je dis que c’est moins réactionnaire que conservateur. Au vrai sens du mot « conservateur », comme on est conservateur de bibliothèque, de musée, des eaux et forêts ou des hypothèques. Ça s’appelle : conserver pour éviter que l’essentiel ne meure.

 

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

Vous avez aussi compris que MONTAIGNE n’était qu’un prétexte. Promis, demain, ce sera plus frivole.

 

 


 

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