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jeudi, 22 juin 2023

LES SOULÈVEMENTS DE LA TERRE

Ainsi, notre valeureux ministre de l'Intérieur, monsieur Gérald Darmanin, a fini par le débusquer, le redoutable ennemi public de notre bien-aimée République Française. Les têtes pensantes de ce groupuscule de dangereux activistes s'appellent par exemple Philippe Descola, obscur et détestable anthropologue à la bibliographie universitaire longue comme le bras.

On trouve aussi, parmi ces individus louches qui menacent la paix de nos foyers tout en s'apprêtant sans aucun doute à « égorger nos fils et nos compagnes », des gens aussi peu recommandables que le nommé François Jarrige, qui se dit historien pour avoir co-écrit La Contamination du monde - Une histoire des pollutions à l'âge industriel (Seuil, 2017), redoutable brûlot anti-progressiste.

On trouve enfin et surtout toute une nébuleuse de groupes, organisations et autres rassemblements qui osent s'élever contre l'audacieuse et intrépide volonté d'inaction climatique du président français, de sa première ministre et de son gouvernement.

Quoi qu'il en soit, il n'en menait pas large, notre ministre de l'Intérieur, quand il s'est aventuré, pour annoncer leur dissolution immédiate, dans la tanière où ont coutume de se rassembler les comploteurs avant de s'abattre en rangs serrés, comme un nuage de criquets pèlerins, sur les fertiles champs de nos généreux agriculteurs — je veux parler de ces patrons des industries agro-alimentaires réunis au sein de la F.N.S.E.A., vivier où bouillonnent les innombrables innovations qui permettront - n'en doutons pas un seul instant, voyons ! - à tous les Français de se nourrir au moindre coût et dans le respect absolu des normes environnementales en vigueur.

 

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samedi, 02 février 2019

NUIT DES IDÉES ...

... A QUOI ÇA SERT ?

Il n'y a pas que le "Grand Débat National" dans la vie. En France, quand il n'y a plus de débat, il y a encore du débat. La "Nuit des idées", on ne le sait pas assez, est une invention française. C'est une marmite où l'on met à bouillir les plus belles cervelles du pays pour « débattre des grands défis de notre temps » (Le Monde). Sûr que ça va aider l'humanité à les relever, les grands défis ! J'entendais récemment un journaliste s'exclamer : « Mais où sont les intellectuels ? ». Il parlait de la "crise des gilets jaunes" (autre invention bien française). Je réponds : ils sont partout, les intellectuels. Impossible d'ouvrir un bulletin d'information sans tomber sur un "échantillon représentatif" de chapelles universitaires (sociologue, historien, philosophe, économiste, ...). Si ce ne sont pas des intellectuels, qu'est-ce qu'il lui faut, au journaliste ? Si l'on n'y prend pas garde, c'est la noyade ! Surtout qu'à partir d'un certain stade, c'est tout le monde qui devient intellectuel.

C'est sûr, il y a pléthore. Des intellos comme s'il en pleuvait. N'en jetez plus, la cour est pleine. C'en est au point que tous ces discours plus savants les uns que les autres, qui jettent sur le monde actuel les filets à mailles serrées de leurs concepts et de leurs grilles de lecture pour en rapporter des "significations", s'ajoutent, se juxtaposent, se contredisent ou s'annulent. Résultat des courses ? Un BROUILLARD épais, opaque où le pauvre monde n'a aucune chance de s'y retrouver, et où les "chercheurs" eux-mêmes errent sans boussole, ne sachant plus au bout de quel chemin se trouve Rome, à force de panneaux directionnels contradictoires. Le monde actuel, quand on écoute les discours des intellos, je vais vous dire : il est paumé de chez paumé.

Tenez, si on lit Le Monde daté 31 janvier, on trouve, pour amorcer la pompe de la "Nuit des idées", un quatuor d'interventions qui donne une petite idée du monstre qui sortira de la manifestation officielle. Faisons une exception pour Hannah Arendt, appelée à la rescousse alors qu'elle ne nous parle plus que par livres interposés (elle est morte en 1975), aussi pertinent que soit le rappel. Mais le reste est gratiné. On trouve un article de François Hartog, historien, doctement intitulé « Le présent n'est pas le même pour tous ». Tu l'as dit, bouffi ! Il dissèque en effet le mot "présent", il le découpe en ses plus petits éléments, et il conclut de tout ça qu'il y a un « présent présentiste ». Fallait y penser, non ?  Sûr que le concept va aider l'humanité à survivre. Bon, j'admets que j'exagère.

Je passe à Philippe Descola, anthropologue. Il dit, quant à lui, au moins une chose amusante (pas besoin de savoir à propos de quoi) : « C'est un problème de temporalité. C'est comme les trains qui circulent à des vitesses différentes. Comme on croise des trains qui roulent plus lentement, on a l'impression qu'ils sont à l'arrêt, mais c'est une illusion ». Ce qui est rigolo ici, c'est "on croise" : en réalité, dès que votre train est à vitesse de croisière, vous savez que quand il croise un autre train, celui-ci disparaît du paysage en un clin d’œil, avant même que vous ayez pris conscience du choc. Je n'en veux pour preuve (attention : a contrario) que ce qui arrive aux Dupondt à la fin de Tintin au pays de l'or noir (p.55), quand Tintin, lancé à toute vitesse au volant de la voiture de l'émir à la poursuite de Müller, laisse sur place la Jeep qui roule pépère, au point que le passager moustachu croit être à l'arrêt. Et voilà ce que ça donne.

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Il est évident que les deux véhicules ne se croisent pas, mais vont dans le même sens. Mettons cela sur le compte de l'étourderie : ça arrive à tout le monde. 

Cela dit, Descola montre que pour ce qui est du diagnostic et de l'analyse des causes, beaucoup d'intellectuels disposent d'outils impeccables, et que c'est la catégorie "solutions" qui fait le maillon le plus chétif de la chaîne du raisonnement. Car il pose par ailleurs un regard assez lucide sur le temps présent et la catastrophe qui nous guette : « Je ne sais pas si on pourra l'éviter », répond-il à Nicolas Truong. Bien dit. Qui peut supporter l'absence d'espoir ? Même si la formule de Descola ne ferme pas la porte, ça ne l'empêche pas de proposer plus loin une "solution", mais de l'ordre du miraculeux : « Ce phénomène de privatisation s'est mis en place avec le mouvement des enclosures à la fin du Moyen Age et n'a cessé de croître. Pour le stopper, il faut une révolution mentale ». Ah, "Il faut", la clé qui ouvre toutes les serrures, même celles qui n'existent pas, a donc encore frappé ! La solution au problème ? "Une révolution mentale" : voyons, monsieur Descola, est-ce bien sérieux ? On mesure ici l'infinitésimale probabilité que l'espoir de Descola soit exaucé. Y croit-il lui-même ?

Après une telle entrée en matière, la "Nuit des idées" est bien partie pour participer puissamment à l'inflation de blabla qui nous submerge, et que le "Grand Débat National" cher à Emmanuel Macron a déjà commencé à alimenter en abondance. Le brouillard n'est pas près de se dissiper. Je dirai même que plus on produit du débat (du discours) sur les choses, plus le brouillard s'épaissit. Ce n'est certainement pas débattre qu'il faut, si l'humanité veut sortir de la nasse où le capitalisme ultralibéral l'a ligotée, c'est agir : ce n'est pas le "débat démocratique" qui peut quoi que ce soit contre les forces actuellement agissantes. C'est une très hypothétique "force" capable de faire reculer ces dernières. La question est : « Qui, dans les sphères de décision, est en état d'agir ? ». Je pense avoir la réponse.

Promis, demain je vous donne à renifler de près l'odoriférante, la somptueuse, la plantureuse bouse qui clôt le dossier.

Voilà ce que je dis, moi.