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samedi, 04 janvier 2020

2020 : DES MECS A ABATTRE

Ecrit en pensant à Christophe Ruggia, à Roman Polanski, à Gabriel Matzneff et à tous ceux qui attendent le couperet dans l’antichambre de la guillotine médiatique.

Je hais l'idée qu'un adulte ose concevoir les enfants comme des partenaires amoureux, mais je refuse de hurler avec les louves : je déteste encore plus les charognards.

On l'a peut-être oublié, mais il fut un temps pas si lointain (2001) où le célèbre Daniel Cohn-Bendit fut désagréablement chatouillé sous les aisselles par une presse qui venait de déterrer quelques déclarations où le désormais retraité des navigations politico-médiatiques se gardait de condamner l'amour avec les enfants, alors qu’il travaillait dans une « école alternative ». Les vautours de la "morale", les obsédés de "l'envie de pénal" étaient en train de prendre leur essor, comme l'avait déjà noté notre cher Philippe Muray. 

Je précise tout de suite que l'on s'en prend à quelque chose qui était assez banal dans les milieux qu'on disait à l'époque (la queue de comète de Mai 68) « avancés en matière de mœurs ». Cette tendance à ce qui est désormais souillé du nom de l'infamie (« pédophilie ») avait des pages ouvertes jusque dans les journaux les plus vendus à l'époque, et même à la télévision. 

Je ne me rappelle plus en quelle année j'avais capté un morceau d'une émission consacrée au sujet, où des amoureux des enfants (c’était ce que les Grecs de l’antiquité regroupaient sous le nom de « pédérastie », lire Le Banquet de Platon) s'étaient présentés sur le plateau de façon à ne pas pouvoir être identifiés (j'imagine que l'époque ne se prêtait déjà plus trop à l'étalage de telles préférences). Je mentionne pour mémoire un livre de Tony Duvert (Quand Mourut Jonathan, Minuit, 1978), où le personnage principal, un artiste, se borne à une sodomie superficielle avec le jeune garçon qui lui est confié pour un temps par sa famille.

J'ai encore dans mes archives quelques exemples de ces « faits sociaux » qui atterriraient aujourd'hui directement sur les unes des journaux, sur le banc des prévenus en correctionnelle et derrière les barreaux des centres de détention (j'ai entendu quelque part : « Ça mérite perpète »). J'en fournirai peut-être des images, mais seulement après les avoir "expurgées".

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Dessin du groupe "Bazooka Production" (Chapiron ? Kiki Picasso ?). Recueilli dans les pages "Petites Annonces" (annonces "taulards" si je ne me trompe pas) du journal Libération daté 5 novembre 1978. Vous imaginez ça, aujourd'hui ? Moi non. La liberté d'expression est très mal en point : d'innombrables sortes de gens, pour d'innombrables raisons qui leur sont particulières, considèrent que nul n'a le droit de 

HEURTER LEUR SENSIBILITÉ.

A croire que les épidermes contemporains sont devenus hypersensibles, voire allergiques.

D'innombrables sortes de gens ont les moyens de faire taire les gens libres. C'est de ça qu'elle est en train de crever, la liberté d'expression. C'est de ça qu'elle va crever, la liberté.

Même le journal Libération, qui a grandi dans les flammes de tous les non-conformismes amoureux, dont il a longuement fait la publicité dans ses pages « Petites Annonces »,  se repent à présent, à grand bruit et à grands renforts de "mea culpa" sonores, d'avoir donné de l’audience aux goûts de Gabriel Matzneff en matière sexuelle.

Ses goûts ? En dehors des 1.800 conquêtes féminines (« Ma in ispagna son gia mille tre ») du Don Giovanni de Mozart-Da Ponte, le célèbre "air du catalogue" chanté par Leporello les précisait : « Sua passion predominante È la giovin principiante » (ce que Don Juan préfère, c’est la "jeune débutante"). 

Il faut le dire : il y eut "table ouverte" dans les médias pour les formes non-conformes de sexualité dans toutes sortes de milieux plus ou moins considérés comme "progressistes". Combien de temps a duré la levée de ce tabou ? Difficile à dire. Je dirais à vue de nez que les quinze à vingt ans qui ont suivi mai 68 ont été propices à toutes sortes d’expérimentations dans ce domaine (y compris l’arrivée de Mitterrand au pouvoir le 10 mai 1981).

Un exemple : je me souviens d’avoir lu, au début des années 1970, Journal d’un éducastreur (si, si, vous avez bien lu), écrit par un certain Jules Celma (éditions Champ libre, 1971). Il est instituteur remplaçant. Je vous cite une phrase de la notice que lui consacre l’encyclopédie en ligne : « Il laisse à ses élèves une liberté totale afin d'encourager leur épanouissement et leur expression non autocensurée ».

Le résultat ne se fait pas attendre : au cours d’un jeu qui se déroule dans la classe, les gamins se mettent à mimer des scènes de sodomie, parfumées d’un zeste de sadisme. Celma lui-même en restait baba d’admiration. Il considérait que toute éducation appauvrit drastiquement le potentiel créatif de l’enfant ! Et on a vu de drôle de trucs au sein des « Ecoles Nouvelles » fondées par des gens qui avaient mal digéré la lecture de Libres enfants de Summerhill (A.S. Neill).

Toujours dans les mêmes années, j’ai lu Douze poèmes pour Francesca (1977). Je n’ai gardé aucun souvenir des textes écrits par Gabriel Matzneff (oui, oui, le même qu’aujourd’hui). Ce qui est sûr, c’est que la Francesca en question ne devait avoir guère plus de quinze ans. Matzneff aimait les très jeunes filles, et en plus, il ne s’en cachait pas du tout.

Celui que de bonnes âmes traitent aujourd’hui de monstre était couramment reçu par Bernard Pivot sur le plateau d’Apostrophes. Il avait même écrit une pétition de soutien à trois pédophiles qui passaient alors en correctionnelle, et celle-ci avait été signée, entre autres, par Simone de Beauvoir et Louis Aragon, pour dire la carrure de quelques signataires. On peut en trouver ces jours-ci une resucée sur le site internet de Libération.

Le cas de Roman Polanski est-il si différent ? La fille de 13 ans (en 1977 ?) qui avait porté plainte contre lui après une nuit « agitée » a abandonné toute poursuite contre lui. C’est la vindicte d’un procureur particulier qui a réveillé l’affaire : les Américains sont, paraît-il, intransigeants sur la morale et intraitables avec les actes « inappropriés ». Et c’est au moment où sort en France son film J’Accuse qu’un livre de Valentine Monnier vient opportunément dénoncer l’inqualifiable comportement que le cinéaste a eu à l’égard de celle qui n’était alors qu’une très jeune fille.

Christophe Ruggia, cinéaste lui aussi, subit les foudres de l’actrice Adèle Haenel depuis que celle-ci s’est souvenue qu’il avait eu, lorsqu’elle avait 12 ans, des gestes totalement déplacés. Elle est née en 1989, la fin trouble des années 1970, elle ne connaît pas, c’est certain.

Mais là, je dis : où étaient les parents, au moment où elle se faisait peloter, voire pire ? Pareil pour la très jeune Vanessa Springora, tombée entre les griffes du pervers quand elle avait 14-15 ans : où étaient les parents ? Que je sache, la majorité est à 18 ans : avant, c’est aux parents qu’il faut s’en prendre pour les fautes dont leurs enfants ont été victimes.

Non, j'ai beau haïr l'instrumentalisation du corps des enfants par des adultes anormaux, je trouve que cette atmosphère devient vraiment irrespirable. Je ne supporte plus cette « levée en masse » des justiciers qui crient « A mort ! » contre des gens qui ont, il y a quarante ans, pris au mot le graffiti soixante-huitard « Il est interdit d’interdire ». Le slogan est insensé, je suis d’accord. Mais tout ça ressemble à des vengeances rétrospectives et à des représailles par procuration. Tout ça me fait horreur. Et la présente unanimité des glapisseurs de la morale me semble de très mauvais augure pour les partisans de la liberté. 

 

La censure s'est démocratisée. Je veux dire qu'elle s'est universalisée : tout individu est un censeur en puissance. Et il ne s'en prive pas.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

***

Note.

La BD était évidemment au diapason de cette époque post-soixante-huitarde qui subit aujourd'hui toutes les diatribes et indignations vertueuses. A commencer par la très féministe (quoiqu'éphémère) revue Ah Nana ! Ci-dessous la couverture du n°9, le dernier, paru en septembre 1978. Les tentations étaient certes nombreuses et multiples, sans parler de l'envie des jeunes pubères de tester leur pouvoir.

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Le grand Robert Crumb lui-même allait encore plus loin (je crois que c'était dans les pages de la revue Actuel).

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vendredi, 20 novembre 2015

I’M A POOR LONESOME COWBOY

 

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LUCKY LUKE CONTRE JOSS JAMON (N°11)

Ce "Lucky Luke" est le seul (de Morris et Goscinny !) où l'on voit à la fin le héros marcher vers le soleil couchant en dirigeant Jolly Jumper vers la gauche de l'image : je n'en tire aucune conclusion.

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Oui, je suis vraiment, et plus que jamais, de ce pays.

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Ici, un lien vers la liste complète des victimes des attentats de vendredi 13 novembre (merci à Mediapart).

Lisez les 123 noms (sur 129) les uns après les autres.

Dites ces mots : "Leur vie" et retenez vos larmes, si vous pouvez (Aragon + Brassens, 3'32").

 

samedi, 22 septembre 2012

AU PAS (MUSICAL), CAMARADE !!

Pensée du jour : « L'homme n'est que poussière. C'est dire l'importance du plumeau » (La Montagne, 14 août 1962).

ALEXANDRE VIALATTE

 

 

Le fond sonore que nous enregistrons sans l’écouter (car nul doute que nous l'enregistrons), vaguement rythmé par les battements d’un cœur inhumain à force d’être électrique, c’est à ça qu’il sert. Certes, je l'ai dit, vous n’avez pas (encore) à marcher au pas, mais le tonal binaire amplifié boumboum, c’est un peu comme si vous défiliez aux Champs Elysées le 14 juillet au son des clairons. 

 

Sauf que ce 14 juillet banalisé, pour tout le monde, c’est tous les jours. C'est tous les jours qu'on vous berce les viscères, les organes, les neurones (à prononcer mezzo voce et avec tendresse, une voix d'hôtesse d'accueil) : « Dodo, l'enfant do, tu n'es pas seul, tu n'es jamais seul. Quelqu'un, quelque part, s'occupe de toi. Je ne suis pas ta mère, mais presque. Pose ta tête ». Sans que personne y prête attention.

 

Ce n'est pas pour rien que les hypermarchés ont longtemps diffusé de la « muzak » (c'est le terme approprié) à un niveau tout juste accessible au seuil de la conscience. Seigneur, donnez-nous notre 14 juillet quotidien ! Pas le national. Juste un 14 juillet personnel et permanent. Même pas une fête. Et même le contraire d'une fête. A ce bal-là, on danse tout seul. En rond. Tout le temps. 

 

Ainsi bercé, à quoi ne consentirait-on pas ? Et c'est d'autant plus vrai que ce n'est pas une musique qu'on écoute pour l'écouter. Pour laquelle on est prêt à poser ses fesses. C'est une musique "mode-de-vie". Une musique à tout faire. Un robinet à ouvrir. A fermer quand on est forcé. Conçue pour ne pas être du vide environnemental. Ou plutôt conçue pour faire le vide autour. 

 

Du rien ontologique (attention, garez-vous, les grands mots sont de sortie). Cette musique joue les dames de compagnie. Elle fait les auxiliaires de vie sociale (AVS). C'est une béquille pour vie intérieure bancale ou embryonnaire.

 

 

Une musique qui aide à traverser la rue. A faire ses courses (sauf à la caisse, où le chiffre aide à revenir au réel). Pourquoi pas de la musique de soins palliatifs (voir l'euthanasie en douceur musicale du vieux, le magnifique EDWARD G. ROBINSON, dans Soleil vert, de RICHARD FLEISCHER, 1973) ? 

 

Disons-le : cette musique est un vulgaire parasite. L'individu humain qui se balade coiffé de sa musique, il se laisse sucer la moelle. Il consent à transférer ailleurs un peu de son existence, et surtout à laisser dormir le reste. A faire taire l'essentiel. Le robinet musical, c'est du vide existentiel. Il y a du vampirisme dans ce mode de vie. 

 

« Est-ce ainsi que les hommes vivent ? », demandent Louis Aragon et Léo Ferré. 

 

Vous avez compris que, si j’ai un message, c’est celui-ci : la musique étiquetée « tonal binaire amplifié boumboum » joue (attention, toute proportion gardée) aujourd’hui le rôle des sergents recruteurs dans les armées d’Ancien Régime. On se débrouille pour que le garçon du village ne soit pas encore trop ivre pour qu’il puisse encore tracer sur le papier la croix de sa signature. Après ? Quand il se réveille, il en a pris pour cinq ans minimum. A ses risques et périls.

 

Cela me fait penser au long règne absolu du cinéma hollywoodien sur l'imaginaire occidental. Mais je préfère penser ici à l'hypothèse intéressante formulée par GÜNTHER ANDERS (premier mari de HANNAH ARENDT) à propos de la science-fiction : si cette littérature a tant de succès, dit-il, c'est qu'elle constitue une autre forme de domestication des foules (c'est quelque part dans L'Obsolescence de l'homme).

 

Dans la S.-F., selon lui, la technique comme force autonome détachée de l'humanité est présentée de telle façon que les masses humaines, avant même que l'innovation existe, adhèrent déjà, par principe, à son irruption comme preuve de progrès. Ce n'est pas l'éruption volcanique (dans un bocal assez vaste quand même) de la sortie de l'iPhone 5 d'Apple qui va administrer la preuve du contraire !

 

Cette musique omniprésente, je ne dis pas que c’est le facteur principal (il faudrait aussi parler de la télévision, de la publicité, de la propagande en général, mais c'est justement trop général), je dis qu’elle participe à l'entreprise d’embrigadement et de domestication des esprits.

 

Elle les rend dociles en les habituant à considérer l'environnement sonore dans lequel ils baignent en permanence comme un environnement naturel. De l'ordre de ce qui ne saurait se remettre en question. Ce qui nous ramène à la "pensée du jour" de HANNAH ARENDT, liminaire de la note d'hier : « La fonction politique du raconteur d'histoire - historien ou romancier - est d'enseigner l'acceptation des choses telles qu'elles sont ». J'ajoutais le musicien pop-rock. 

 

Quoi, j'exagère ? Quoi, je dramatise ? Sûrement, sûrement. Vous avez sûrement raison. 

 

Mais voilà ce que je dis, moi.

Cette fois, promis, je passe à autre chose. Ça commence à bien faire.