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lundi, 05 janvier 2015

LÉGION D’HONNEUR

 

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Petit additif aux propos tenus dans le billet d’hier.

Parmi ceux qui ont refusé de figurer parmi les heureux récipiendaires de la Légion d’Honneur, on relève, hélas, quelques noms que j’aurais crus ou voulus moins soucieux de se préserver de l’infamie en ruban rouge. Parce que je suis obligé d’éprouver le déplaisir de leur reconnaître le droit à une certaine estime de ma part. Parmi ces noms, je relève hélas celui de Brigitte Bardot, mais bon, on ne va pas tirer sur l’ambulance transportant la vieille dame. Surtout sachant cela.

 

Je suis plus marri d’avoir à reconnaître le mérite du refus à une clique de personnages dont la réputation, largement surfaite à mon sens, répand sur toute la culture française du 20ème siècle l’odeur nauséabonde de bien des aspects exécrables de la « modernité ». Je citerai ici les noms de Sartre et Beauvoir, évidemment, ainsi que celui de la plus anodine et anecdotique Geneviève de Fontenay. Je n’aime pas trop le prêcheur Léo Ferré, et son refus de la médaille est bien le minimum syndical que pouvait accomplir cet « anarchiste » autoproclamé.

 

Je mentionne à titre de curiosité la drôle de réponse faite par l’ancien ministre Hervé Morin à Christophe Forcari, journaliste à Libération : « … si j’appartenais au contingent de ceux à qui est attribuée la Légion d’honneur, je la refuserais. Je n’aime pas les décorations. J’ai vu trop de personnes passer mon bureau pour quémander le ruban rouge ». Ce qui confirme, en passant, mon expression d’hier sur le « troupeau des têtes courbées des moutons ». Mais son propos se clôt ainsi : « Pour autant, je ne pense pas qu’il faille revoir les conditions d’attribution ». Faut pas chercher à comprendre.

 

Non, j’aime à compter parmi les vrais « refuzniks » de la Légion d’Honneur, ceux dont l’acceptation m’aurait parue un parjure déshonorant, une tache indélébile sur le blason de leur honneur. Ils s’appellent Jacques Tardi et Thomas Piketty, dont j’ai parlé hier. En leur compagnie, du gratin. Sur le dessus du panier, évidemment, Georges Brassens.

 

Mais je suis heureux d’inscrire au tableau d’honneur des refusants de la Légion des gens aussi divers et prestigieux que Gustave Courbet, Marcel Aymé, Georges Bernanos, Guy de Maupassant, Emile Littré, Bourvil, Hector Berlioz, et, pourquoi pas, George Sand. Dans une sorte de deuxième cercle, j’inscrirais encore volontiers le philosophe Jacques Bouveresse, les écrivains Eugène Le Roy (Jacquou le croquant) et Bernard Clavel (quoique, ce dernier …), l’organiste Jean Guillou et, pourquoi pas, Philippe Séguin, au motif qu'il était souverainiste. Avec, mais juste pour l’anecdote, Jean-Marie Vianney, alias le curé d’Ars.

 

Maintenant, ce qui m’intéresse aussi, ce sont bien sûr les raisons de ces refus. On peut s’incliner devant celles qui poussent Annie Thébaud-Mony (directrice de recherche – cancer – à l’Inserm) : « J’ai été choquée d’être mise devant le fait accompli. Malgré trente ans d’activités scientifiques et citoyennes sur la santé au travail, ce n’était pas le type de reconnaissance auquel je m’attendais ». Elle aurait presque pu dire qu’elle s’était sentie « stigmatisée ».

 

J’aime aussi grandement les motifs de monsieur Henri Torre, ancien ministre de Messmer, dans la charrette duquel figuraient  les vieux chanteurs de variétés Stone et Charden (« Il y a du soleil sur la France ») et qui, pour cette raison, s’est fâché contre « la nomination de n’importe qui » : « Quand on voit que des Takieddine et compagnie l’ont obtenue, je m’excuse mais ce n’est pas mon monde à moi » (voir les « fripouilles » dont je parlais hier). Cher monsieur Torre, ce motif est tout à votre honneur, même si Stone et Charden ne sont pas à proprement parler des fripouilles.

 

La Légion d’Honneur ? D’abord, conduire sa vie comme il faut. Ensuite, ne rien faire pour mériter d'être décoré. Ensuite, surtout ne jamais la demander. Enfin, oui, à la rigueur : comme objet de collection, pour l'esthétique du geste et de la chose.

 

Voilà ce que je dis, moi.

samedi, 22 septembre 2012

AU PAS (MUSICAL), CAMARADE !!

Pensée du jour : « L'homme n'est que poussière. C'est dire l'importance du plumeau » (La Montagne, 14 août 1962).

ALEXANDRE VIALATTE

 

 

Le fond sonore que nous enregistrons sans l’écouter (car nul doute que nous l'enregistrons), vaguement rythmé par les battements d’un cœur inhumain à force d’être électrique, c’est à ça qu’il sert. Certes, je l'ai dit, vous n’avez pas (encore) à marcher au pas, mais le tonal binaire amplifié boumboum, c’est un peu comme si vous défiliez aux Champs Elysées le 14 juillet au son des clairons. 

 

Sauf que ce 14 juillet banalisé, pour tout le monde, c’est tous les jours. C'est tous les jours qu'on vous berce les viscères, les organes, les neurones (à prononcer mezzo voce et avec tendresse, une voix d'hôtesse d'accueil) : « Dodo, l'enfant do, tu n'es pas seul, tu n'es jamais seul. Quelqu'un, quelque part, s'occupe de toi. Je ne suis pas ta mère, mais presque. Pose ta tête ». Sans que personne y prête attention.

 

Ce n'est pas pour rien que les hypermarchés ont longtemps diffusé de la « muzak » (c'est le terme approprié) à un niveau tout juste accessible au seuil de la conscience. Seigneur, donnez-nous notre 14 juillet quotidien ! Pas le national. Juste un 14 juillet personnel et permanent. Même pas une fête. Et même le contraire d'une fête. A ce bal-là, on danse tout seul. En rond. Tout le temps. 

 

Ainsi bercé, à quoi ne consentirait-on pas ? Et c'est d'autant plus vrai que ce n'est pas une musique qu'on écoute pour l'écouter. Pour laquelle on est prêt à poser ses fesses. C'est une musique "mode-de-vie". Une musique à tout faire. Un robinet à ouvrir. A fermer quand on est forcé. Conçue pour ne pas être du vide environnemental. Ou plutôt conçue pour faire le vide autour. 

 

Du rien ontologique (attention, garez-vous, les grands mots sont de sortie). Cette musique joue les dames de compagnie. Elle fait les auxiliaires de vie sociale (AVS). C'est une béquille pour vie intérieure bancale ou embryonnaire.

 

 

Une musique qui aide à traverser la rue. A faire ses courses (sauf à la caisse, où le chiffre aide à revenir au réel). Pourquoi pas de la musique de soins palliatifs (voir l'euthanasie en douceur musicale du vieux, le magnifique EDWARD G. ROBINSON, dans Soleil vert, de RICHARD FLEISCHER, 1973) ? 

 

Disons-le : cette musique est un vulgaire parasite. L'individu humain qui se balade coiffé de sa musique, il se laisse sucer la moelle. Il consent à transférer ailleurs un peu de son existence, et surtout à laisser dormir le reste. A faire taire l'essentiel. Le robinet musical, c'est du vide existentiel. Il y a du vampirisme dans ce mode de vie. 

 

« Est-ce ainsi que les hommes vivent ? », demandent Louis Aragon et Léo Ferré. 

 

Vous avez compris que, si j’ai un message, c’est celui-ci : la musique étiquetée « tonal binaire amplifié boumboum » joue (attention, toute proportion gardée) aujourd’hui le rôle des sergents recruteurs dans les armées d’Ancien Régime. On se débrouille pour que le garçon du village ne soit pas encore trop ivre pour qu’il puisse encore tracer sur le papier la croix de sa signature. Après ? Quand il se réveille, il en a pris pour cinq ans minimum. A ses risques et périls.

 

Cela me fait penser au long règne absolu du cinéma hollywoodien sur l'imaginaire occidental. Mais je préfère penser ici à l'hypothèse intéressante formulée par GÜNTHER ANDERS (premier mari de HANNAH ARENDT) à propos de la science-fiction : si cette littérature a tant de succès, dit-il, c'est qu'elle constitue une autre forme de domestication des foules (c'est quelque part dans L'Obsolescence de l'homme).

 

Dans la S.-F., selon lui, la technique comme force autonome détachée de l'humanité est présentée de telle façon que les masses humaines, avant même que l'innovation existe, adhèrent déjà, par principe, à son irruption comme preuve de progrès. Ce n'est pas l'éruption volcanique (dans un bocal assez vaste quand même) de la sortie de l'iPhone 5 d'Apple qui va administrer la preuve du contraire !

 

Cette musique omniprésente, je ne dis pas que c’est le facteur principal (il faudrait aussi parler de la télévision, de la publicité, de la propagande en général, mais c'est justement trop général), je dis qu’elle participe à l'entreprise d’embrigadement et de domestication des esprits.

 

Elle les rend dociles en les habituant à considérer l'environnement sonore dans lequel ils baignent en permanence comme un environnement naturel. De l'ordre de ce qui ne saurait se remettre en question. Ce qui nous ramène à la "pensée du jour" de HANNAH ARENDT, liminaire de la note d'hier : « La fonction politique du raconteur d'histoire - historien ou romancier - est d'enseigner l'acceptation des choses telles qu'elles sont ». J'ajoutais le musicien pop-rock. 

 

Quoi, j'exagère ? Quoi, je dramatise ? Sûrement, sûrement. Vous avez sûrement raison. 

 

Mais voilà ce que je dis, moi.

Cette fois, promis, je passe à autre chose. Ça commence à bien faire.

dimanche, 21 août 2011

GEORGES BRASSENS : PUTAIN DE TOI !

C’est évidemment une chanson que j’adore. C’était l’époque où, dit-il : « je chantais pour des prunes, Et tendais la patte aux chats perdus ». C’est vrai qu’il a connu des temps de « vaches maigres », comme on disait autrefois, avant l’ère définitive de prospérité et d’abondance que nous connaissons désormais, depuis que la finance s’est abattue sur le pauvre monde, comme on le constate depuis 2007.

 

 

GEORGES BRASSENS, car c’est bien sûr de lui qu’il s’agit, a gagné beaucoup d’argent, mais ç’a été après. J’adore en particulier la deuxième strophe : « Un soir de pluie, v’là qu’on gratte à ma porte, Je m’empresse d’ouvrir (sans doute un nouveau chat). Nom de Dieu ! L’beau félin que l’orage m’apporte, C’était toi, c’était toi, c’était toi… ». Le dernier vers de la strophe est exceptionnel, vous avez bien lu : « C’était toi, c’était toi, c’était toi… ». Comme trois coups de marteau sur la tête. Pas besoin de plus.

 

 

Chacun voit l’apparition selon son bon plaisir, mais c’est quand même, à la base, une APPARITION. Bon, c’est vrai, ça finit comme souvent, mais même là, il fait fort : faire rimer « salope » et « escalope ». J’avoue qu’il faut être gonflé. Et ça passe.

 

 

J’aime aussi énormément « Le mauvais sujet repenti » à cause d’un drôle de jeu sur les valeurs morales convenues. « L’avait le don, c’est vrai j’en conviens, L’avait le génie, Mais sans technique, un don n’est rien Qu’une sale manie… ». « Sans technique, un don n’est rien qu’une sale manie » : quelle formule ! Car, disons-le, dans le métier qu’elle exerce : « Le difficile est de bien savoir Jouer des fesses ». Dans ce métier : « On ne tortille pas son popotin De la même manière, Pour un droguiste, un sacristain, Un fonctionnaire ».

 

 

Il devient donc le maquereau de la demoiselle. Mais elle prend un jour « une maladie honteuse » : « Elle me passa la moitié de ses microbes … ». L’image est drôle, même si on pourrait objecter qu’une contamination n’est pas exactement un partage, car ça aurait plutôt tendance à démultiplier les animalcules, alors que partager, c'est diviser. Il la quitte ensuite sur une formule géniale (je ne trouve pas d’autre mot) : « Comme je n’étais qu’un salaud, Je me fis honnête… ». Elle finit mal, en « maison », comme on ne dit plus. Et le pire, c’est qu’il « paraît qu’elle se vend même à des flics, Quelle décadence ! Y a plus de moralité publique dans notre France … ».

 

 

Tout le monde connaît le « tube » « Les copains d’abord », mais on connaît moins « Le vieux Léon », qui tient pourtant des propos identiques sur un thème identique. Dans l’une, c’est : « Quand l’un d’entre eux manquait à bord C’est qu’il était mort, Oui mais jamais au grand jamais Son trou dans l’eau ne se refermait … ». Dans l’autre : « Y a tout à l’heure Quinze ans de malheur Mon vieux Léon Que tu es parti Au paradis de l’accordéon » ; et « Tous sont restés Du parti des Myosotis ». C’est vrai que « Le vieux Léon » fait moins fanfare.

 

 

Le myosotis fleurit aussi dans « Les deux oncles », dans ses versions anglaise et allemande (forget me not et vergissmeinnicht), qu’on n’entend jamais. Sur les ondes, de loin en loin, « Le parapluie », peut-être à cause de la durée, quelques autres, plus rarement, mais BRASSENS, qui forme un continent à lui tout seul, reste largement inexploré.

 

 

Par exemple, sous l’angle autobiographique. Ça surprend, a priori, parce que « tonton Georges » reste de toute façon toujours pudique. Mais il y a trois chansons que je considère comme relatant des épisodes empruntés à sa vie. Il y en a sans doute d’autres (« Jeanne », « La cane de Jeanne », …), mais de mon point de vue, le tiercé gagnant est : « Les quatre bacheliers », « La princesse et le croque-note », « Stances à un cambrioleur ».

 

 

Le cas de la dernière est assez clair. Il y parle de son portrait : « L’exécrable portrait Que l’on m’avait offert à mon anniversaire ». Puis : « Respectueux du brave travailleur, tu n’a Pas cru décent de me priver de ma guitare, Solidarité sainte de l’artisanat ». Mais un cambriolage, cela peut être vécu comme un viol, mais ça garde un côté un peu anecdotique. Après tout, ce ne sont que des choses. J’en parle par expérience.

 

 

Le fond de réalité qui sert de base à la première est semble-t-il connu, puisqu’on trouve ça sur la notice wikipédia. « Les quatre bacheliers », c’est un très bel hommage au père, parce qu’il a su pardonner la peccadille de son petit. J’avais eu très tôt la puce à l’oreille, à cause d’une curiosité grammaticale. Pas grand-chose, vous allez me dire, mais quand même. Pensez, BRASSENS commence en disant « Nous étions quatre bacheliers ». Et puis il continue : « Nous nous fîmes un peu voleur » (de quelques bijoux de sa propre sœur quand même !). Enfin : « Les sycophantes du pays (…) Aux gendarmes nous ont trahis ».

 

 

A partir de là, fini le « nous ». Il passe à la troisième personne du singulier et du pluriel. J’ai toujours trouvé ça louche. Et j’ai donc eu confirmation en faisant quelques recherches. « Mais je sais qu’un enfant perdu (…) A de la corde de pendu (…) A de la chance quand il a (…) Un père de ce tonneau-là ». Franchement, j’aurais aimé être en mesure de rendre un hommage aussi magnifique, de là où je suis.

 

 

Quant à « La princesse et le croque-note », je ne sais pas si GEORGES BRASSENS a confié quoi que ce soit au sujet d’une telle histoire. On trouve aussi un tel refus chez LEO FERRÉ : « S’il n’y avait entre nous, petite, le CODE PENAL » (je cite de mémoire). Et puis SERGE REGGIANI, mais pour d’autres raisons, moins nobles, je trouve, car la réaction du vieux devant la jeune amoureuse est de penser au qu’en-dira-t-on : « Vraiment de quoi aurions-nous l’air, J’entends déjà les commentaires », ce qui manque peu ou prou de noblesse.

 

 

Tout ça me fait penser à la « scène de la Lettre », dans Eugène Onéguine : fa, mi, ré, ré, ré, do (bémol), si (double bémol), la, quand Tatiana déclare son amour à Onéguine (il me semble que c’est une première, dans l’opéra, de la part d’une jeune fille). Onéguine regrettera finalement amèrement de l’avoir alors repoussée. Ici, l’âge n’intervient pas, c’est un « simple », disons, « déphasage chronologique » : ils n’aiment pas au même moment. Mais c’est le même refus. A cause de la loi, dans les cas de BRASSENS et FERRÉ.

 

 

« Or, un soir, Dieu du ciel, protégez-nous ! La voilà qui monte sur les genoux Du croque-notes et doucement soupire, En rougissant quand même un petit peu : "C’est toi que j’aime et, si tu veux, tu peux M’embrasser sur la bouche et même pire." ». Il faut croire que le gratteur de guitare a eu la trouille, car il part dès le lendemain, sans demander son reste, « dans la charrette Des chiffonniers… ». Si quelqu’un a des lumières là-dessus, merci d’avance.

 

 

 Bon, sur ce, je vais prendre quelques vacances. Merci aux visiteurs d'avoir visité ce blog, et de revenir dans une quinzaine. Le 4 septembre, pour être précis.