vendredi, 19 octobre 2012
L'AVENIR DE L'IDENTITE NATIONALE
Pensée du jour : « Malheur à celui qui n'a pas mendié ! Il n'y a rien de plus grand que de mendier. Dieu mendie. Les anges mendient. Les rois, les prophètes et les Saints mendient ».
LEON BLOY
Ceci est la dernière note sur le sujet.
J’étais donc parti, le 14 octobre, sur une question d’une gravité philosophique qui n’a certainement échappé à personne : « Qu’est-ce que l’identité nationale ? ». Je répondais intrépidement : « sentiment d’appartenance » et « exigence de différenciation ». C’était mes deux idées de départ. Ce qui m’intéresse dans ces deux notions, c’est qu’elles marchent aussi bien au niveau individuel que national.
L’individu est un entrecroisement proprement inextricable de critères d’appartenance et de critères de différenciation (nom, prénom, date et lieu de naissance, profession, adresse, etc.). La nation, c’est un peu pareil. A ce titre, la caractéristique principale de toute identité, c’est qu’elle se compose de données tout à fait indénombrables. Je dirais même « inépuisables ». Chercher à définir l’un ou l’autre de façon exhaustive est voué à l’échec. Et je trouve ça rassurant : la part de mystère de tout ce qui se rattache au vivant, en quelque sorte.
Maintenant, la question qui vient est : « Qu’est-ce qu’on fait de tout ça ? ». Je veux dire : de quel côté va-t-on tirer la question ? Beaucoup de problèmes du monde actuel en découlent. Ne parlons pas des Kurdes, peuple à cheval sur quatre Etats (le cas des Basques est analogue). Ne parlons pas des Ouïghours, peuple musulman égaré en Chine (mais aussi, que sont-ils allés faire dans cette galère ?).
Ne parlons pas des Ecossais, qui sont en train de préparer leur sécession de la couronne britannique. Ne parlons pas des Flamands ou des Slovaques. Ne parlons pas des Catalans, qui vivent sur un trou financier, mais que ça n’empêche pas de réclamer l’indépendance de la province. Et qui abolissent la corrida parce qu’ils la considèrent comme espagnole. Au fait, jusqu’où va la Catalogne, au nord de la frontière ? Perpignan ? Narbonne ? Je ne me rappelle plus où commencent les panneaux routiers bilingues.
Le point de départ de l’identité, c’est au total deux affirmations : « Nous sommes ce que nous sommes » (appartenance) et « Nous ne sommes pas ce que nous ne sommes pas » (différenciation). Ce qui veut dire : « Nous ne sommes pas ce que vous êtes ». Ça a l’air très bête, dit comme ça (deux atroces tautologies, pour ceux que ça intéresse), mais ça tient la route. Qui peut dire où se situe le point d’équilibre ? Y a-t-il seulement un point d’équilibre ? Ce qui est sûr, c’est qu’on peut choisir de tirer sur l’un ou sur l’autre des deux fils.
Si vous tirez le fil de l’appartenance, nul doute que vous englobez. Quoi ? Ce n’est pas le problème. Le problème, de ce côté-là, c’est que, plus vous englobez, plus vous risquez d’aller vers un ensemble hétérogène, au point, éventuellement, de passer par-dessus des différences irréductibles.
C’est ce qui s’est passé pour l’Empire Romain à l’époque de TRAJAN (53-117) : la plus grande extension, avant le démembrement (la "décadence"). C’est de l’ordre de la dénégation, du refoulement, de l’angélisme : prêcher à toute force, à genoux et les mains jointes, que l’unité règne. Par exemple, qu’est-ce qui est à l’œuvre, quand un blanc, dans une rue française, se fait traiter de « fromage blanc », ou pire, de « sale Français » ?
Si vous tirez le fil de la différenciation, nul doute que vous accusez l’épaisseur du trait qui sépare. ANDERS BERING BREIVIK, le Norvégien massacreur, a tiré ce fil-là (et tiré sur tous ceux qui militent pour une appartenance toujours plus grande, je veux parler d’une certaine gôche métissante à tout crin, vous savez, la tarte à la crème de tout ce qui se veut et se prétend « sans frontières »).
Il y a un début d’hostilité dans le simple fait d’exalter sa propre différence (la revendication dite « identitaire » : « Je ne suis pas ce que tu es », « Nous ne sommes pas ce que les autres sont », étrangère, pour l'instant, à toute idée de supériorité de "je" ou "nous" sur "tu" ou "les autres").
Le point extrême de la différenciation, c’est évidemment le concept de « pureté de la race », avec toutes les implications qu’on a pu observer dans l’histoire du 20ème siècle. L’autre point extrême, qu’on pourrait appeler « la grande appartenance », ou « tout est dans tout (et réciproquement) », c’est ce qui a été baptisé du noble nom de « métissage ».
Le grand laboratoire grandeur nature de la pureté de la race, c’est, comme chacun sait, l’Allemagne hitlérienne. Pas besoin d’épiloguer. Le grand laboratoire grandeur nature du métissage se trouve, quant à lui, en Amérique latine, sorte de concentré de tous les continents. L’Argentine n’a-t-elle pas eu un président nommé NESTOR KIRCHNER (nom germanique) ? Le Pérou, en 1990, a élu au même poste ALBERTO FUJIMORI (nom japonais). L'actuel Bolivien EVO MORALES AYMA (nom amérindien) est d’origine Aymara. Toute l’onomastique latino-américaine reflète ce qui a bouillonné dans ce chaudron.
Le problème de l’identité nationale française, tel qu’il se pose aujourd’hui, est là. Qu’elle se dilue, cela ne fait guère de doute. On peut faire pousser dans son jardinet les reliques que l’on veut. Mais à propos de l’identité nationale française, cela s’en va, si j’ose dire, par « en haut » et par « en bas ».
Par en haut, c’est évidemment toute la supranationalité qui tend à s’imposer aux membres de l’Union Européenne en général, à la France en particulier. Par en bas, c’est ce qui nous vient à la fois de la double nationalité (un petit peu) et du regroupement familial (très beaucoup). Ajoutons, pour faire bonne mesure, la naturalisation, et le million de nouveaux citoyens, qu'elle ajoute aux Français tous les 11 ans environ (à peu près 85.000 par an).
Qu’est-ce qui domine la scène, sur ce plateau ? Difficile à dire. D’un côté, vous avez JEAN-FRANÇOIS COPÉ (et une forte partie de l’UMP) qui parle de « racisme anti-blanc », et qui dénonce le fait d’arracher à un collégien (une collégienne ?) son pain au chocolat, sous prétexte qu’on est en ramadan. Visiblement, le monsieur en question tire sur le fil de la différenciation et privilégie l’aspect identitaire. Et c'est vrai que le laïciste que je suis réagit très mal à l'irruption du religieux (fortement teinté de politique) dans notre espace public.
De l’autre côté, vous avez FRANÇOIS HOLLANDE (et tout le Parti Socialiste, en plus de quelques gauchistes et chrétiens sociaux au grand cœur) qui, en tant qu’universaliste et « porteur de valeurs », propose d’accorder le droit de vote aux étrangers dans les élections locales.
Vous avez RESF (réseau « éducation sans frontières ») et autres associations humanistes, qui luttent contre les centres de rétention, l’expulsion des enfants d’immigrés scolarisés, le sort fait aux sans-papiers. Soit dit en passant, ce sont les mêmes qui s’apprêtent à défaire l’institution du mariage en l’ouvrant aux homosexuels, sous prétexte d’ « égalité ». C’est vraiment bizarre, ce que c’est devenu, « être de gauche » : éliminer à toute force tout ce qui différencie, hiérarchise, distingue, "discrimine".
Il me semble que c’est dans Les Origines du totalitarisme (Gallimard « Quarto », 2002) que HANNAH ARENDT déclare que l’époque de l’impérialisme (= déversement de capitaux et de populations européens superflus sur le reste du monde, environ 1850-1900) est celle du déclin des Etats-nations. Peut-être a-t-elle tort, après tout. Mais est-ce bien sûr ?
Ce qui est sûr, en revanche, c’est que les capitaux sont en train d’achever la planète, et que les populations sont de plus en plus superflues. Alors, dans ce magma, vous pensez, l’identité nationale française ! …
Voilà ce que je dis, moi.
FIN
09:00 Publié dans UNE EPOQUE FORMIDABLE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : léon bloy, littérature, france, nation politique, société, identité nationale, nationalité, etat, kurdes, basque, ouïghour, chine, écossais, flamands, catalans, catalogne, empire romain, trajan, anders breivik, norvège, métissage, argentine, nestor kirchner, pérou, alberto fujimori, bolivie, evo morales, amérindiens, union européenne, europe, jean-françois copé, ump, françois hollande, parti socialiste, hannah arendt, les origines du totalitarisme, identitaires, identité française