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mardi, 11 juin 2013

QUI EST NORMAL ?

 

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DES AVEUGLES EN TRAIN DE LIRE, PAR AUGUSTE SANDER

(l'oeuvre de ce photographe vaut qu'on s'y attarde quelque temps)

***

Nous avons vu hier que tout ce qui est normal se situe sur une ligne droite, figurant le déroulement rectiligne du temps, le temps normal, où chaque minute est égale à toutes les autres, précédentes ou suivantes, et que tout segment de droite coupant cette ligne, perpendiculairement ou non, est appelé, selon les cas, « incident », « accident » ou « catastrophe ». C'est ce segment de droite, cette sécante qui personnifie, non, j'exagère, disons qui figure l'anormal.

 

Dans une vie parfaitement et perpétuellement normale, rien n'arriverait. L'ordinaire n'est pas un événement. L'ordinaire exclut l'événement. L'ordinaire, c'est : « Le petit chat est mort ». Ou alors le : « Rien », noté par Louis XVI dans son journal un certain 14 juillet 1789. Lui a-t-on assez reproché !

 

Alors c’est vrai que, jusqu’à présent, j’ai soigneusement évité d’aborder de front les questions qui fâchent. Quand on pose la question : « Qui est normal ? », ou sa frangine bessonne (si si, ça existe, même que ça veut dire "monozygote") : « Qui est anormal ? », tant qu’il s’agit de critères physiques, la réponse est tellement évidente qu’il n’y a pas trop de débats ou d’engueulades. Tout le monde est à peu près d’accord.

 

Je dis « à peu près », parce que ça va déjà commencer à réagir, si je dis que je range parmi les anormaux tous les gens qui se déplacent en fauteuil roulant. Il faudra donc que je précise, si je prends le risque de passer pour un salaud, que l’un des critères de base pour définir une personne normale, est la bipédie qui lui sert de mode de déplacement : deux jambes terminées par deux pieds en état de marche. On sera peut-être d’accord là-dessus, non ?

 

Même chose pour les membres supérieurs. Il m’est arrivé de manger, au 16, quai Tilsitt (1er étage, angle de la rue Sala, en face de l’église Saint-Georges et de la passerelle du même nom), à la table du docteur JD, dont l’épouse fut – avec une autre tante M. – la plus délicieuse vieille dame que j’aie jamais connue. Un bras du docteur JD (droit ou gauche, je ne sais plus) s’arrêtait au-dessus du coude. Pour manger sa viande, il n’avait besoin de personne, mais d’un couteau bien affûté. Un vrai rasoir, mais quand même une belle dextérité.

 

Le docteur JD était-il normal ? J’ai envie de répondre « oui », mais assorti d’un « presque ». Juste parce qu’il était obligé de faire pas tout à fait comme tout le monde. Disons si vous voulez qu’il y avait quelque chose de pas normal chez lui. Un bras en moins, qu’on le veuille ou non, ça suffit pour faire une sacrée différence.

 

Et si certains handicapés sont d’admirables virtuoses du fauteuil roulant, cela n’en fait toujours pas des gens normaux. Sinon il n’y aurait pas lieu, par exemple, d’organiser des Jeux Olympiques spéciaux. Tout simplement parce qu’il faut qu’ils trouvent des solutions, qu’ils luttent, qu’ils compensent, qu’ils surmontent. 

 

Le moindre geste, le moindre mouvement que les gens normaux accomplissent au quotidien sans même y penser, les met face à autant d'épreuves. Qu'on ne me dise pas, dans ces conditions, que les infirmes et autres handicapés sont « comme tout le monde », ou alors en l'assortissant d'un « presque ». Qu'on me comprenne : je ne parle pas d'eux en termes de valeur d'être humain, mais bien de tares (encore un mot qu'on va me reprocher, je sens) physiques. Et de différences concrètes.

 

Les gens normaux n'ont pas à penser à leur corps. Les gens normaux n'ont presque pas de corps. Dans la maladie et le handicap, le corps prend le pouvoir. Et quand c'est le corps qui commande, quand tu es sans arrêt obligé de tenir compte de ses limites, et donc de limiter tes ambitions, la vie devient difficile. Parfois impossible, comme c'est arrivé pas très loin de chez moi récemment. Dans la vie normale, le corps sait se faire oublier, et se contente du rôle ordinaire de simple objet de perception et d'action. De séduction. La vie, quoi.

 

Je signale en passant aux amateurs d’étymologie la curieuse origine du mot « handicap » : il s’agissait d’un jeu anglais consistant à se disputer des objets personnels déposés dans un chapeau, à un prix proposé par un arbitre. Traduit en français, ça donne : « Main dans le chapeau ». En anglais : « Hand in cap ». Et c’est pour égaliser les chances des parieurs que les meilleurs chevaux auraient été lestés de poids variables, « handicaper » devenant synonyme de « amoindrir les chances des meilleurs, pour donner leurs chances aux moins bons, pour donner du palpitant aux paris et faire battre le palpitant des parieurs ». Les sources semblent sérieuses.

 

L’amusant de l’histoire est un éclairage original : l’ « égalité » (à la française) n’est pas exactement l’ « égalité des chances » (à l’anglaise). Chez les uns, l’affaire est politique, donc grave ; chez les autres, c’est de l’ordre du jeu et du plaisir aristocratique. Ah, parlez-moi de l’ « égalité des chances », dans l’Ecole française ! Vincent Peillon, Grand Sorcier, verse-nous ton Mana quotidien d’ « égalité des chances » !

 

Bref, une personne handicapée physique n’est « pas exactement comme tout le monde », c’est-à-dire qu’elle n’est pas normale. Et cela se mesure à son degré de dépendance des autres. Plus elle a besoin des autres, moins elle est normale. Est-ce qu’une telle phrase est obscène ? Alors qu’on me dise ce que c’est, un malade.

 

Une personne handicapée physique est anormale, juste parce qu’elle a une maladie définitive. Juste parce qu’elle n’est pas dans la norme, c’est-à-dire qu’elle se situe hors de l’immense majorité statistique, quelle que soit son habileté dans le maniement du fauteuil roulant.

 

Plus elle dépend des autres, plus elle est anormale, puisque nous raisonnons sur la base de l’autonomie personnelle des individus. Depuis la Révolution de 1789, et plus exactement le 26 août : « Article I : Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux ». C'est une Déclaration qui a fait du bruit, paraît-il.

 

Un socle en basalte, en porphyre, en granit, en ce que vous voulez, mais de toute façon sculpté dans une roche inusable, indestructible. Plus tu es libre, moins tu dépends. Plus tu dépends, moins tu es libre ; moins tu es libre, moins tu es normal. Pas de liberté sans un corps qui sait se faire oublier.

 

Message en passant à tous les adeptes du SM, ces malades de dominer ou de soumettre, qui le prendront comme ils voudront, et qui pourront toujours me répliquer qu’une déviance est une preuve de créativité par rapport à la norme, donc une preuve de liberté. Ouais. Pourquoi pas ? Bien sûr. Certainement. Si vous y tenez.

 

On ne m'enlèvera pas de l'idée qu'il est anormal d'être incapable d'avoir un orgasme sans infliger ou se faire infliger des souffrances physiques ou morales, à coups de fouet ou d'humiliation. Disons le mot : c'est une déviance. Osons le mot "perversion". J'espère que les gens qui s'adonnent à ces « plaisirs » le font comme s'ils étaient dans un jeu de rôles. Mais cela n'est pas certain. Ce n'est d'ailleurs pas exclusif. 

 

Loin de moi l'idée de faire je ne sais quelle police des moeurs, mais je n'aime pas qu'on veuille me faire prendre ma vessie pour une lanterne. « Et alors ? - Et alors il se brûle » (Pierre Dac et Francis Blanche, Le Sâr Rabindranath Duval).

 

Consentants, certes, légalement majeurs, certes, mais pour accéder à la qualité de "humainement majeur", l'âge administratif ne suffit pas. Et puis "majorité humaine", ça ne figure ni sur la carte d'identité, ni dans le casier judiciaire. Nulle part. Est-ce un tort ? Et qui aurait l'autorité et la hauteur de vue pour en décider ? L'égalité, qu'elle soit un but, une condition préalable ou un processus administratif, exclut de son champ la condition humaine, puisque, formulée ainsi, c'est-à-dire philosophiquement, elle est strictement la même pour tous. Mais je me dis que la notion de "majorité humaine" n'est pas complètement vide de sens.

 

Accessoirement, je note que, de nombreuses années après que l'homosexualité a été supprimée de la liste des affections mentales, l'APA (American Psychiatric Association) vient de pondre un dictionnaire des désordres mentaux (DSM 5). Je crois bien avoir lu qu'ils en ont trouvé 500. Coluche aurait dit : « Jusqu'où s'arrêteront-ils ? ». Je pose la question : les psychiatres de l'APA sont-ils normaux ? Beaucoup de psychiatres français semblent penser que non.

 

Il y a des jours où je me félicite d'être né sur le « Vieux Continent ». Jusqu'au jour, si je ne meurs pas avant, où je serai devenu le « Vieil Incontinent ».

 

Quoi, ça ne vous fait pas rire ? Moi si. Positivement, vous ne me voyez pas, mais là, je me marre.

Voilà ce que je dis, moi. 

samedi, 08 juin 2013

QUI EST NORMAL ?

 

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ELLES SONT TOUJOURS UN PEU GLAUQUES, LES PHOTOS DE DON MAC CULLIN : JE NE SAIS PAS VOUS, MAIS MOI, JE ME DEMANDE SI LE CHAT EST NORMAL. IL VIENT DE MANGER ?

 

***

La voilà donc, la réponse à la question lancinante posée par ces quelques billets. Qui est anormal ? Eh bien sur un critère précis,  c’est les quelques pelés et tondus (2 % de chaque côté) rejetés aux extrêmes de la base de la cloche. Et il y a fort à parier que, quel que soit le critère choisi, quand vous STATISTIFIEZ une population, vous arrivez à carillonner de la même façon. Pour trouver les anormaux, regardez sur les bords de la cloche. Pas d’erreur possible, c'est quand la masse de ceux qui sont au centre disent : « Ils sont pas comme nous ».

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AUTRE CLOCHE DE GAUSS, AVEC LE QI EN ABSCISSE

Prenez des critères physiques, comme la taille ou le poids. Par exemple, même avec la montée de l’obésité, je ne veux pas trop m’avancer, mais je ne suis pas sûr que Capel (grandes tailles et personnes fortes) ait vu ses ventes s’accroître outre-mesure.

 

De toute façon, je ne parle pas de l’obésité courante, banalisée, celle dont on parle ordinairement, de l’obésité qui court les rues (scuse l'humour) de nos jours. Je parle évidemment des obèses exceptionnels, des tas de chair grandioses et luxuriants, de ceux qui s’exhibaient autrefois dans les foires ou les cirques.

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 JE TRADUIRAIS "WUNDERKINDER" : ENFANTS PHENOMENAUX

Certes, la taille des gens progresse et toutes les marques de vêtements ont dû modifier leurs patrons pour accompagner le mouvement, mais, d’une part, le pourcentage des individus anormalement gros a-t-il à ce point changé ? Et d’autre part, cela doit-il nous empêcher de dire que c’est anormal ? Quand un être humain, à force de poids, se fusille en peu d’années les chevilles, les genoux, parfois les hanches, est-il obscène de dire que c’est anormal ?

 

Prenez des critères mentaux si vous voulez, comme le QI, ce célèbre Quotient Intellectuel mis au point par Alfred Binet et Théodore Simon en 1905 (LE Binet-Simon), censé mesurer l’intelligence mais mesurant en réalité l’aptitude à répondre à des tests conçus pour qu’on y réponde. Mais laissons la controverse.

 

Le QI, en dessous de 80, je suis désolé, mais s’il peut être qualifié d’ « anormal », c’est juste parce qu’il concerne une infime minorité de la population : « débile léger », peut-on lire sur le dossier médical. Et je ne parle pas des QI de 60. Les bords extrêmes de la cloche de Gauss, encore une fois. Le débile léger peut-il être considéré comme normal ? Non. Il a sa place, bien sûr, mais c'est une place à part. Encore une fois : non, il n'est pas « comme tout le monde ». Oui, finalement, c'est une bonne formule : il n'est pas comme tout le monde.

 

Viendrait-il à l’idée de quelqu’un d’estimer qu’un mongolien – pardon, il faut dire trisomique, c’est les progrès de la science – est « normal » ? Non, j’espère. D’ailleurs si le test prénatal (amniocentèse ou autre) est positif, quelle future mère ne se réjouirait pas qu’on la fasse avorter ? Si un mongolien – pardon, trisomique – n’est pas normal, c’est qu’il est anormal, n'est-ce pas M. de La Palisse ? 

 

La précaution abortive concerne d'ailleurs toutes les malformations détectables à l'échographie : qui aurait envie de mettre au monde un phocomèle (voir note en bas) ? Quoi, eugénisme ? Bien sûr, et alors ? Quoi, Hitler a gagné ? Mais l'avortement, il est autorisé ou pas ? On est en démocratie ou pas ? On a envie d'avoir des enfants normaux, ou pas ? On a la science et les outils ou pas ?

 

Regardez l'Inde : quelle femme aurait l'idée bizarre d'avoir envie de mettre au monde une fille ? Même que des échographistes itinérants proposent leurs services aux futures mères. C'est Hitler, mais en douceur. De l'Hitler préventif, en quelque sorte. L'eugénisme, c'est totalitaire et nazi, mais c'est la science qui dit que c'est bien et sans danger, et qui l'installe. Et ça change tout. Ah bon ? Ça change tout ? Content de l'apprendre.

 

Prenez le critère que vous voulez, la conformation physique, les capacités intellectuelles, la sexualité (pardon, dans la novlangue, il faut dire « orientation sexuelle »), les relations sociales ou autre, la norme est donnée par la moyenne, la moyenne est donnée par la statistique. Autour de l’axe de la moyenne s’ébauche la partie haute de la cloche où le statisticien loge une grosse majorité de la population. Sur les bords de la cloche, le long de l’abscisse (c'est en bas), la fraction, qui peut être infinitésimale, de ceux qui s’écartent le plus de la moyenne : les anormaux.

 

Question subsidiaire : y a-t-il un moyen sûr de reconnaître un anormal à son aspect extérieur ? La réponse est non. En cas d’anomalie physique, aisément et immédiatement identifiable, pas de problème. Sinon, c’est la bouteille à l’encre.

 

Comme le constate Hannah Arendt à Jérusalem au procès d’Eichmann (prénom Adolf (= « noble loup »), c’est une coïncidence, mais même aujourd’hui, en France et en Allemagne, ça ne doit pas courir les rues, les Adolf, à moins que ...), un homme anormal ressemble à un homme normal comme une goutte d’eau à une autre goutte d'eau. Comme disait Karl Marx : « Si l’apparence des choses coïncidait avec leur essence, la science serait totalement inutile ». J'ai trouvé cette citation chez Philippe Muray.

 

La justice non plus, soit dit en passant, ne servirait à rien. Ben oui quoi, si l'apparence collait à l'essence, le Mal se verrait comme le nez au milieu de la figure, et la Nature ferait le nécessaire : le boulot de sélection pour lequel elle n'est pas payée. A défaut, un chirurgien à gages pas trop gourmand ferait l'affaire. Qui ne serait prêt à payer ?

 

« Wah, cette parole est forte ! », s'exclame Tatanka Ohitika, Montagnais, alias "Le rêve de la pierre sacrée".

 

Mais aujourd’hui, ce n’est pas moi qui vais remettre sur le tapis le vieux débat Nature / Culture, qui commence à me râper menu le fromage de la tête (et autres parties intimes).

 

Voilà ce que je dis, moi.

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Note : je me rends compte que j'ai omis de préciser le sens de "phocomèle". Le terme désigne un individu né avec des "membres de phoque", c'est-à-dire avec les pieds directement branchés sur le bassin et les mains directement aux épaules. J'ai croisé la route d'un gamin presque normal quant aux jambes (mais ...), et les mains comme j'ai dit. La grande frayeur de l'institutrice était de le voir jouer au football avec les copains. On la comprend : il vaut mieux s'écorcher les mains que se fracasser le crâne. Je ne sais pas ce qu'il est devenu.

 

 

 

 

 

vendredi, 07 juin 2013

QUI EST NORMAL ?

 

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ON PEUT S'APPELER ELLIOTT ERWITT, ÊTRE UN GRAND PHOTOGRAPHE, ET GARDER UN HUMOUR JUVENILE, PRIMESAUTIER ET, POUR TOUT DIRE, FACETIEUX.

 

***

Alors cette fois, à force de tourner autour, il va bien falloir y arriver, il va falloir le dire, ce que tu as sur le cœur. Tu vas finir par avouer : qui est normal ? Tu vas la déballer, ta marchandise, blogueur à rallonge ? Bon, maintenant, je crois qu’on peut y aller.

 

Mais j’aimerais que les quelques lecteurs de ces modestes billets soient convaincus que j’ai moins tourné autour du pot que je n’ai essayé de voir ce qui se passait dans les environs du pot, pour situer l’objet dans son paysage, avec les résonances qui vont avec, quelques harmoniques pour faire bon poids, au moins telles que je les entends.

 

Celui qui est normal, c’est celui qui est dans la moyenne. J’ai dit pis que pendre de la moyenne, de la statistique et de tout ce qui s’ensuit. Certes, mais voilà, ce n’est pas moi qui ai décidé de vivre avec les autres. J’ai bien été obligé de « faire avec ». Pas moi non plus qui ai décidé que ces autres formeraient tout autour une « société de masse ». Et ça c’est autrement compliqué à gérer qu’une tribu. Comme on dit : il faut faire avec, et développer les outils adéquats. Parce qu’on ne peut pas faire autrement. Du moins, je crois.

 

Ce que je regrette, c’est de m’être brouillé très tôt avec les mathématiques. Mais je défie quiconque a eu Monsieur Guigues en 6ème et 5ème de devenir un crack méritant la médaille Fields (prix Nobel pour les math.). Si tel n’avait pas été le cas, j’aurais ici même expliqué en long et en large la courbe de Gauss, cette grosse cloche qui lance la volée de ses plus belles vibrations quand tout le monde se retrouve sous le même carillon, ne laissant sur les marges que les marginaux. Ceux qui s’écartent trop de la moyenne.

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CE N'EST PAS MOI QUI L'AI ECRIT, "NORMALE" 

Tout le monde a compris. Voilà : celui qui est normal, c’est celui qui est, avec tout le monde, sous la partie la plus large de la cloche de la courbe de Gauss. La norme c’est ça : la loi de la majorité. Et même de l’immense majorité. Par exemple, les humains normaux sont dotés de deux yeux. Ceux qui n’en ont qu’un sont, en plus d’être anormaux, des cyclopes. Parmi eux, ceux qui s’appellent Polyphème sont en plus méchants. Heureusement, ils sont moins futés qu’Ulysse.

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PETIT POLYPHÈME EN PUISSANCE, QUE DE SAGES MESURES SANITAIRES PROPHYLACTIQUES ONT HEUREUSEMENT EMPÊCHÉ DE NUIRE. 

Cela les rejette très loin du centre de la cloche de Gauss, et les rapproche du même coup de la gauche de Dieu, c’est-à-dire tout ce qui s’abouse dans les chaudrons de Satan. Tous les Polyphème sont des anormaux. Dieu n’en veut pas (pas des Polyphème, des anormaux en général), qu’est-ce qu’il en ferait ? C’est même peint sur le mur du fond – du côté droit pour le spectateur – de la Chapelle Sixtine, pour dire que je n’invente rien, et que tout ça est vrai. Heureusement, Dieu ne fait plus la loi. Pour dire que la laïcité sert à quelque chose.

 

 

Même chose en ce qui concerne l’intelligence, comme le montre le graphique (plus haut). Combien ils sont, au centre ? 68%. Ce sont les tout à fait normaux. A gauche et à droite, vous avez deux fois 2% de marginaux, ceux qui sont carrément au-delà du plafond, et ceux qui sont relégués tout au fond de la classe, sous le plancher, on espère que c’est près d’un radiateur.

 

Entre les deux vous avez ce qu'on pourrait appeler les "presque", qui aimeraient bien aller vers les extrêmes, mais qui n'osent pas franchir le pas, qui restent plus ou moins attachés à la masse qui occupe le centre, parce qu'on a l'impression de rester au chaud. Pour le franchir, le pas, il faut s'appeler François Augiéras, Antonin Artaud ou Donatien-Alphonse-François (les prénoms de Sade). Il faut accepter d'être unique, donc d'être épouvantablement seul, et qui plus est, en butte à l'hostilité et aux pires tribulations. Il faut du courage, ou alors être un peu inconscient. Et il faut surtout ne pas pouvoir faire autrement.

 

Pour arriver à ça, il faut assumer d'être anormal. Comme un « signe particulier » sur les anciennes cartes d'identité.

 

Je note qu’il y a autant de petits génies que de grands débiles. Sans doute pour compenser. Je veux dire que les surdoués sont aussi anormaux que les attardés mentaux. Le problème des attardés mentaux, c’est peut-être qu’ils sont moins aptes (peut-être qu’ils s’en préoccupent un petit peu moins) à vouloir faire le bonheur des autres. Pour ça peut-être aussi que je me méfie des surdoués : ils pensent trop aux autres, à mon goût, c'est sans doute pour ça qu'on les appelle des politiciens. Quoi, surdoué, François Hollande ?

 

Eh bien merde alors, je l'aurais pas cru ! De quoi y perdre son latin ou son dentier.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

mardi, 25 septembre 2012

MARIAGE HOMO, MENAGE EGO !

Pensée du jour : « Alors que l'économie du Nouveau Monde a tout d'abord entamé un processus d'amélioration progressive, elle a eu tendance, au cours de son expansion, à se transformer en un nivellement par le bas, jusqu'à atteindre un point mort de médiocrité et de banalité. Finalement, elle a cherché à effacer toutes les différences entre haut et bas, bon et mauvais, entre ce qui se développe et ce qui se dégrade, en niant même l'existence de valeurs, ou du moins d'en établir la hiérarchie ».

 

LEWIS MUMFORD

 

 

 

Nous parlions de deux normes concurrentes.

 

Soit dit en passant, je doute fort que deux normes concurrentes puissent coexister : il y a LA norme (sociale, statistique, sexuelle, ...), un point, c'est tout. Que certains aient du mal à l'admettre, peut-être. Mais priver un groupe humain de toute norme revient à imiter Cléopâtre (celle d'Astérix) plongeant des perles dans le vinaigre (sa boisson préférée) d'une coupe qu'elle passe à son goûteur (« Pouah ! J'ai horreur du vinaigre trop perlé », dit celui-ci). Les perles se dissolvent.

 

 

Ensuite, que certains aient du mal à intérioriser cette norme, et qu'ils se sentent exclus de ce fait, c'est forcément possible. Cela montre au moins qu'une société humaine n'est pas une société de numéros exclusivement assignés à une fonction. La norme étant le cadre, on espère qu'à l'intérieur de ce cadre normatif, on puisse laisser flotter les rubans et laisser respirer l'animal.

 

 

 

Que des individus échappent à la normalisation inhérente à toute vie en collectivité et à toute société, je trouve ça plutôt rassurant. Il serait même fort inquiétant que quiconque soit normal à 100 %. Pour moi, normal à 100 %, c'est un robot. Ou JEAN-LOUIS TRINTIGNANT dans Le Conformiste (BERNARDO BERTOLUCCI, 1970). 

 

 

 

Et qu'il y ait du particulier, du local, de l'arbitraire, du coutumier et du contingent dans la norme, (comme le hurlent les « déconstructeurs »), c'est absolument certain : c'est même pour ça qu'elle est faite, la norme ! Séparer le normal de l'anormal. Impossible de faire autrement !

 

 

La fonction de la norme, en dehors de son aspect statistique (mesurer des moyennes), est exactement de faire le départ entre un « soi » et un « non-soi ». La norme n'a pas seulement à voir avec une loi morale, l'intolérance, des obligations. Elle a aussi à voir avec quelque chose de nature identitaire. Mais je reviendrai une autre fois sur ce mot de norme qui fait peur, et qui me semble indispensable et structurant. Indispensable parce que structurant.

 

 

Dire qu'il pourrait y avoir deux normes ? Autant dire qu'il n'y en aurait plus du tout. Peut-être, après tout, est-ce l'objectif inavoué ? L'abolition des critères ? Le nivellement (voir "pensée du jour") ? Après, ça ne dit rien des attitudes et comportements que la majorité doit adopter à l'égard de ceux qui ne sont pas dans la norme (par choix ou par nécessité, je pense aux handicapés, par exemple).

 

 

C’est ainsi qu’on discerne finalement, dans cette catégorie d'homosexuels, deux réclamations contradictoires : afficher un label « non-conforme », tout en réclamant comme un droit une estampille de « conformité ». C'est le non-conformiste qui exigerait d'être considéré comme conforme. Bizarre façon de tordre le sens des mots.  Une façon de manger en même temps à deux râteliers opposites. Cela sent le sophisme pur et simple. Il faudrait clarifier. Ce n'est pas net. Au minimum, c'est de l'intimidation, façon hooligan du PSG.

 

 

Ça ne vous paraît pas bizarre ? La logique de cet homosexuel est d'ordre (qu'on me pardonne le mot) oxymorique : on ne peut guère, théoriquement, désirer à la fois quelque chose et son contraire. Ou alors c'est le signe d'une légère ambivalence. Peut-être pire. Une aberration notionnelle ? Une perversion intellectuelle ? Un dévoiement moral ? Un cheval de course ? Un raton laveur ?

 

 

C'est ainsi que, après avoir campé la silhouette de « Barbe-Noire », l'homosexuel individualiste, non-conformiste et ostensiblement hors de toute institution, nous voyons se dessiner l'autre silhouette homosexuelle. Tout le monde connaît bien maintenant le couple Bidochon, imaginé par CHRISTIAN BINET.

 

 

Eh bien, la figure qui me semble correspondre le mieux à cet homosexuel-là, qui veut gagner sur tous les tableaux, pourrait se résumer dans une formule oxymorique du genre : le BIDOCHON CONQUISTADOR. Alexandre le Grand part à la conquête du monde, mais sans oublier ses pantoufles, et la petite laine que bobonne lui a tricotée pendant qu'il courait les routes, en prévision des soirées fraîches sous la tente.

BIDOCHON 4.jpg 

Ben si, réfléchissez. D’un côté, le fier colonisateur de territoires occupés par des populations (et administrés selon des principes) dont il nie la légitimité, et qu’il va chasser de leur trône, il en est sûr, il a le vent en poupe.

 

 

D’un autre côté, le couple façon Bonne soirée, avec charentaises et feu dans la cheminée, qui ne rêve que popote, ragoût de mouton préparé par Germaine, routine dans la chaleur des jours qui se suivent, enfants qui courent dans le jardinet. La duplicité de l'image a quelque chose de pathétique. Quel horizon, ma parole !

 

 

Vu la tournure des évolutions récentes, et vu le caractère résolument « en dehors » de l’homosexuel antédiluvien (Barbe-Noire), il me semble que le plus bel avenir est promis au « Bidochon conquistador », façon PIERRE BERGÉ (le financier de la revue Têtu qui, après une amère déception avec BERNARD BUFFET, trouva le repos de l'âme et la stabilité conjugale (sans épousailles) auprès de YVES SAINT-LAURENT, ils furent heureux et eurent beaucoup de duplicata). J'espère que cette idée éclaircit le titre de cette note.

 

 

Bienvenue au Bidochon Conquistador de la cause homosexuelle ! Flamberge au vent. Et bon vent (amical, dans le fond), pour finir, aux homosexuels « normaux » (là, je suis quand même obligé de mettre les guillemets) : laissons-les vivre !

 

 

Et réciproquement, s'il vous plaît !

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

FIN

 

lundi, 24 septembre 2012

MARIAGE HOMO, MENAGE BADAUD

Pensée du jour : « J'aimerais bien dire qu'il fait soleil. Ou alors qu'il pleut. Ou qu'il gèle. Rien ne campe mieux le décor d'une chronique. Malheureusement, il ne fait pas de temps. Ce n'est pas ma faute ». 12 octobre 1965

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

La dernière fois, donc, nous brossions des silhouettes.

 

 

Ce deuxième type homosexuel, c’est un subversif, un militant, un guerrier. Un vindicatif : il en veut à la société d'avoir dessiné les cadres de la sexualité comme ci et pas comme ça. Il ne se satisfait pas d’être cantonné dans une marge plus ou moins sulfureuse, plus ou moins tolérée.

 

 

De plus, il est intimement convaincu que sa sexualité particulière donne des droits, qui découlent de ses désirs. Il l'a abondamment théorisé. Il revendique. Il veut toucher aux institutions, forcément injustes à son égard. Il se sent l'homosexualité conquérante. Il a déclaré une fois pour toutes qu'il est aussi normal que n'importe qui. C’est sa marque. Pour un peu, cet homosexuel-là voudrait que tout le monde soit « normal » à sa façon à lui. D'ailleurs, plus personne ne peut utiliser le terme "normal" sans rougir ou sans s'attirer les foudres des mânes des « déconstructeurs » qui ont nom DELEUZE, DERRIDA, FOUCAULT, BOURDIEU.

 

 

Lui, ce qu’il veut, c’est élever son « orientation », sa « préférence » à la dignité de Grand-Croix du Normal ; il veut étendre l’ombre de sa minorité sur l’ensemble du territoire social. Il part à la conquête de la Toison d’Or : la création d’un ordre officiel de l’homosexualité.

 

 

 

Y aura-t-il des grades, comme dans la Légion d'Honneur (chevalier, officier, grand-officier, commandeur) ? Si UBU était là, il demanderait où sont le petit (Bougrelas) et le grand (le capitaine Bordure) bougres (Ubu roi). Ce bougre-là, grand ou petit, de toute façon, demande l'inscription de la sexualité particulière de sa personne dans les lois de la République.

 

 

Il y a donc bien une dimension anthropologique dans cette revendication, puisqu'il veut qu'un particularisme, un mode d'être statistiquement marginal, soit considéré à égalité avec une généralité humaine immémoriale : le mécanisme naturel de la reproduction sexuée, concrétisé dans la cellule institutionnelle de la famille.

 

 

Il croit d'ailleurs légitime de nier ce mécanisme, en s'appuyant sur tous les moyens offerts par la science, la technique et diverses "combinaisons" imaginables pour le contourner. C'est vrai que la science et la technique ont procuré à l'homme les moyens de tricher avec le destin. Peut-être devrait-on plutôt dire : tricher avec la condition humaine, n'est-ce pas, HANNAH ARENDT ?.

 

 

Il veut faire de l'exception la règle. Je veux dire : de l'exception homosexuelle la règle générale possible. Ainsi , ne voit-on pas circuler à présent des films "pédagogiques", où l'homosexualité est présentée aux enfants du primaire comme un chemin possible, à égalité avec l'hétérosexualité, présentée, elle, comme une possibilité parmi d’autres ? Voire comme une norme, et comme telle insupportable, pour ne pas dire totalitaire.

 

 

« Laissez venir à moi les petits enfants », dit quelqu'un qui a requis l'anonymat (initiales J.C.). Mais c'était autrefois, et dans d'autres circonstances. Là, il s’agit de rendre l’existence concrète la plus compliquée et problématique possible, dès le plus jeune âge. Il n’y a pas de raison que les petits n’en bavent pas autant que tous leurs aînés.

 

 

Soit dit par parenthèse, la présente conception de l'égalité me semble renouveler de fond en comble le corps de doctrine, et me fait penser à cette blague de l'époque soviétique : « Ce qui est à moi est à moi. Maintenant, ce qui est à toi, ça peut se négocier ». Cette vision de l'égalité a quelque chose de léonin.

 

 

En disant aux enfants "vous avez le choix", on leur présente dès l’âge de huit  ou dix ans l'aiguillage entre deux sexualités possibles, comme si elles étaient égales en valeur. Comme si étaient disposées, sur un rayon de supermarché, les différentes sexualités possibles, et qu'on disait au gamin : « Laquelle tu veux ? ». C’est évidemment dans le but louable d'éviter qu'ils se sentent coupables d'être attirés par des gens de leur sexe ? D'échapper au carcan des codes sociaux ?

 

 

Quel progrès, mes amis ! Je suis curieux de voir les effets à long terme d'une telle audace "pédagogique". Et de voir, dans l'immédiat, la tête des gamins découvrant la chose. Leur perplexité, pour le moins. Et moi qui croyais que former l'esprit des enfants consistait d'abord à lui fournir un cadre le plus stable et simple possible, pour lui donner quelques points d'ancrage, de repère. Sans doute suis-je bien arriéré. "Cadre", "points de repère" ? Foutaises !

 

 

Je regrette au passage que ces pédagogues n'exigent pas dans la foulée le droit de vote pour ces enfants assez mûrs, selon eux, pour entendre parler d'homosexualité avant même d'avoir entendu parler de sexualité (et ne me ressortez pas, s'il vous plaît, la "période de latence", car si on parle de latence, ce n'est pas pour rien).

 

 

 

Prosélytisme homosexuel, dites-vous ? L'armée recrute ? Mais êtes-vous fou ? Qu'allez-vous chercher ? N'allez pas me dire maintenant que l'homosexualité est une religion à laquelle les adeptes chercheraient à convertir les masses humaines ? Horresco referens !

 

 

Depuis que l'homosexualité a été rayée de la liste des délits, puis des maladies mentales, cet homosexuel irait même jusqu'à contester que ce soit un particularisme. A défaut de faire la Révolution et de mettre à bas l'ordre public, l'Etat, la République, il se contentera de la subversion du Code Civil. Ce qui n'est déjà pas mal.

 

 

Mais paradoxalement et inversement, en même temps qu’il exige que sa sexualité particulière soit érigée en norme concurrente de la traditionnelle, il demande à la société de considérer comme banal son désir de fonder une cellule familiale ordinaire, avec tous les droits y afférents. Je ne sais pas vous, mais moi je vois là la stratégie du bernard l'hermite. A ceci près que celui-ci vide la coquille institutionnelle pour pouvoir s'y loger. C'est là que ça devient intéressant.

 

 

Voilà ce que je dis, Moi.

 

 

A suivre.

mercredi, 30 novembre 2011

DU SAVOIR COURTOIS A HANNAH ARENDT

Résumé : après diverses considérations sur le « savoir courtois », retour laborieux à HANNAH ARENDT.

 

 

A propos de « savoir courtois », il faut dire que, si je fuis tous les « systématistes » et autres élaborateurs extrêmement savants de globalités, de généralités et autres totalités totalisantes, voire totalitaires, il y a bien sûr une part de décision, une décision quasiment politique, le refus horrifié d’une menace qu’on fait peser sur l’individu. Mais il n’y a pas que ça. Il y a aussi une infirmité. Enfin, c’est peut-être une infirmité. Pas sûr.

 

 

Vous voulez que je vous fasse une confidence ? Vous vous rappelez sans doute le 12 juillet 1998, n’est-ce pas ? Eh bien, pendant que deux personnes qui me sont très chères avaient décidé d’aller au cinéma, juste parce que c’était gratuit ce soir-là pour les dames (H.) et demoiselles (J.), j’ai choisi d’écouter Cosi fan tutte, le casque sur les oreilles, qui m’a permis d’échapper aux trois énormes clameurs de la soirée. Je l’ai d’autant moins regretté que les deux personnes en question se sont laissé détourner par « l’ambiance d’enfer » qui régnait place Bellecour, où de gigantesques écrans avaient été dressé. Abdication pitoyable.

 

 

Ce n’est pas pour me vanter, mais j’ai lu Masse et puissance, de ELIAS CANETTI. Un drôle de livre, bizarre, atypique, qui m’a laissé perplexe,  dont le sujet avoué est une analyse du processus qui transforme une « meute » conduite par un chef en « masse » conduite par un « führer », suivez mon regard. Un drôle de livre, qui ne ressemble à aucun autre quant à son objet ou à sa méthode. Où ELIAS CANETTI veut-il en venir ? Ce n’est pas évident. Si je me souviens bien et pour résumer, l’individu, dans la meute, a encore une existence propre, qu’il perd quand celle-ci se transforme en masse. Mais c’est sûrement plus compliqué que ça.

 

 

Pour vous dire, si j’ai fait de l’alpinisme, c’est qu’au sommet du « Moine », du « Grépon » ou de « Trélatête », il y a place pour trois, allez : quatre si on se serre. On est encore des individus. Et on fait de la place au saucisson et au kil de rouge (à 3500 mètres, « la plus humble piquette » (BRASSENS, « Le grand Pan ») se transforme en nectar. Or c’est  le même homme de bien qui l’a dit : « Le pluriel ne vaut rien à l’homme et sitôt qu’on / Est plus de quatre, on est une bande de cons » (« Le pluriel »).

 

 

C’est pourquoi j’ai tiré il y a fort longtemps un trait violent sur les plages du Midi en été, le supermarché le samedi matin, l’autoroute A7 pendant les week ends de « pont », et un certain nombre d’autres lieux qui attirent la concentration du genre humain, devenus comme des camps de sinistre mémoire.

 

 

L’agglutiné vit au rebours de sa propre vie. Ou c’est que je ne sais rien. Je commence à respirer quand l’humain se raréfie. Quand l'individu se dessine et prend forme et consistance.  Supermarché, cinéma ou remonte-pente, l’un des fléaux de notre temps est la file d’attente. Quand il s’agit de faire nombre, je me désagrège. Car il s’agit de faire nombre, il paraît. Il paraît aussi, d’ailleurs, que ça se mesure. Scientifiquement, même.

 

 

J’adapterais volontiers la fable du Corbeau et du Renard en la faisant finir par une sentence comme : « Sachez que tout sondeur vit aux dépens de celui qui répond. Cette leçon vaut bien mon fromage, pauv’con !». J’ai pris « sondeur » parce que ça passait mieux que « statisticien ».  

 

 

J’envierais celui qui porterait sur sa carte d’identité une mention du genre : « Celui qui ne ressemble pas ». Ou : « Perturbateur de statistiques officielles ». Et l’expression « fondu dans la masse » me semble d’une terrifiante vérité. « Fondre » à une température donnée, n’est-ce pas perdre ses contours, ses traits ? Disparaître ? A cet égard, je suis profondément occidental.

 

 

Il paraît que l’oriental se vit comme simple élément d’un grand tout, ce qui a au moins le mérite de faciliter sa disparition, alors que chaque occidental se vit comme une réplique en miniature du centre du monde, et comme tel, irremplaçable. C’est pour ça que SARKOZY se sent obligé de payer des rançons quand des Français sont enlevés au Mali ou au Yémen. Même et surtout quand il nie avoir payé un seul centime.

 

 

Occidental, je suis, occidental je reste. J’accepte l’héritage de l’individu et des Lumières. Plus consciemment et plus volontairement que des gens prêts à piétiner leurs semblables pour rejoindre leur petit carré de plage, parfumé à l’ambre solaire et au suint bestial des animaux vautrés. 

 

 

Vous avez compris pourquoi la télévision n’a jamais franchi mon seuil : être comptabilisé comme un petit sept milliardième de l’humanité ou le  six millionième de l’audience de FRANÇOIS HOLLANDE à la télé m’importe autant que le slip de flanelle que portait le président CARNOT quand il fut assassiné. Le problème de la télévision, c’est qu’elle fait disparaître les individus qui la regardent sans que ces individus s’en rendent seulement compte.

 

 

Bon, je vais quand même tâcher de revenir à HANNAH ARENDT. J’ai un peu l’impression de piétiner à l’entrée. Voire de reculer. Enfin, je me dis que je ne quitte pas tout à fait le terrain. Si j’insiste, c’est que je crois que cette femme, sans a priori, sans volonté de « faire système », nous parle du monde qui est le nôtre, et essaie d’en dégager pour nous le sens. Ce n’est pas une négatrice. Je crois même qu’elle ne l’est pas assez. Mais c’est qu’elle reste attachée à une démarche profondément philosophique.

 

 

Il faut d’abord dire que la Grèce ancienne fascine HANNAH ARENDT, qu’elle est très souvent présente à son esprit comme modèle insurpassé de civilisation, auquel il convient de se référer en priorité. C’est un socle. Pour parler franchement, j’ai buté sur la distinction entre « privé » et « public », et il y a des maillons du raisonnement qui m’échappent.

 

 

« Privé » ? « Public » ? On se rappelle les batailles de chiffonniers qui ont été livrées autour des chiffons « islamiques ». Qu’est-ce que c’est, « l’espace public » ? Il me semble qu’aujourd’hui, on peut dire qu’on entre dans l’espace public dès qu’on sort de chez soi. Si c’est bien ça, ce dont je ne suis pas si sûr, finalement, l’espace privé, j’en conclus que c’est tout simplement « chez soi ». C’est pas logique, ça ? Et bien pour les Grecs de l’antiquité, pas du tout, figurez-vous.

 

 

Si j’ai correctement compris, les Grecs opposaient le social (autrement dit le privé) et le politique (autrement dit le public). Du côté du social, la famille, cellule de base, où le père règne en despote, la famille qui est régie par la nécessité. ARENDT semble soutenir que toute l’économie antique relevait exclusivement de la sphère privée. Du côté du social et de la nécessité, encore, le travail. Tout cela est donc considéré comme relevant de la sphère du privé.

 

 

Du côté du politique, il y a la cité, la « polis » (πόλις), où règne l’égalité entre des individus libres. Être libre, c’est n’être ni chef, ni sujet. C’est dans cette sphère publique que se réalise la politique, que s’exerce le gouvernement. Pour HANNAH ARENDT, cette division des tâches semble être la plus noble qui puisse être, car c'est au niveau de cette vie publique que s'organise la société des hommes.

 

 

Ensuite, ça se complique. Au moyen âge, le privé prend de l’extension, donc le politique en perd logiquement, parce que le gâteau essentiel n’est pas plus gros qu’avant, ce qui entraîne une contamination du politique par le social, et de ce fait même, une réduction de l’homme à une fonction économique. Jusque-là, c’est logique.

 

Si j’ai correctement compris, c’est au 18ème siècle qu’apparaît la notion d’intimité. Et c’est là que, pris en sandwich entre le « public » proprement politique et le « privé » (tout le reste ?), s’interpose quelque chose qu’elle appelle le « social ». Et si j’ai correctement compris, ce dernier est assez envahissant. On change de dimension. On passe de la famille à la société, mais en gardant le despotisme. Dans la famille ancienne, le despote, c’est le « paterfamilias ». Dans la société, c’est la MAJORITÉ, le despote.

 

 

Et qu’est-ce qu’elle devient, l’égalité ? Ben oui, c’est quand même dans la devise républicaine, non ? Là, HANNAH ARENDT a une idée qui me semble GENIALE. L’égalité des Grecs anciens, c’est de n’être ni chef, ni sujet. Notre égalité à nous, c’est le CONFORMISME. Parfaitement ! C’est rude, je sais. Et un conformisme conscient, lucide, voulu par la structure elle-même. La preuve ? La statistique, mon bon monsieur. La reine des sciences sociales. « La science sociale par excellence », dit HANNAH ARENDT.

 

 

Là, je ne peux pas faire moins que de renvoyer à mon blog KONTREPWAZON et aux articles sur les statistiques et le terrorisme de la moyenne (2008). Pourquoi ? Parce que je crois que l’entrée de la société dans la statistique fait passer l’Occident d’une ère proprement politique de la vie humaine en liberté à l’ère de la gestion comptable de l’humanité réduite à l’état de stock.

 

 

Même si ce n’est qu’une hypothèse, ça mérite d’être médité, en ces temps de propagande enfoncée dans le crâne des foules à coups de télévision et de radio (tous partis confondus). Attention, mesdames et messieurs, c’est qu’il y a de la pensée, ici !

 

 

Ben réfléchissez ! Au moment où la statistique et la moyenne font leur apparition, l’attitude et le comportement des dirigeants CHANGENT. Avant, qu’est-ce qu’ils ont, comme outils ? Rien. On commence aux missi dominici, aux préfets, aux commissaires, aux fermiers généraux, qui sont tous envoyés par le haut pour faire régner l’ordre du haut. C’est, on l’admettra facilement, ALEATOIRE.  

 

 

A partir du moment où, tout en haut, on sait, par exemple, sur combien d’hommes costauds on peut compter pour la prochaine guerre, parce qu’on a pris le soin de les compter, mais rendez-vous compte de l’avantage ! Il semblerait que ça ait commencé avec LOUIS XIV. Et la statistique, qui n’est pas une science, mais une suite d’opérations, va permettre l’épanouissement d’une autre discipline, une discipline dévorante, qui va bientôt prétendre au noble statut de science alors qu’elle n’y a aucun droit : l’ECONOMIE.

 

 

HANNAH ARENDT écrit : « L’économie ne put prendre un caractère scientifique que lorsque les hommes furent devenus des êtres sociaux et suivirent certaines normes de comportement ». Ce qui est extraordinaire, dans cette mutation brutale (« rupture », mais pas en termes sarkozystes), c’est que la moyenne statistique s’impose bientôt comme une NORME. Autrement dit, magie-magie : le simple constat prend force de loi.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

A suivre ? Peut-être.

 

 

 

 

samedi, 15 octobre 2011

"GENRE" ET BOURRE ET RATATOUILLE

Je vais vous dire, ça commence à me fatiguer. Voilà qu’ils remettent ça, les adeptes du « genre ». Ma parole, ils ont le feu quelque part. C’est pire que « un, deux, trois, soleil ! » : on n’a pas encore tourné le dos qu’ils ont déjà avancé de trois cases. L’offensive bat son plein. Comment ? Mais bien sûr, que c’est une offensive ! Ils ont déjà réussi quelque chose, c’est à mettre le bazar dans les points de repère. Remarque, peut-être qu’ils étaient suffisamment mal en point et que le bazar y était déjà.

 

 

Quand j’entends deux intellectuels (j’ai oublié les noms, mais ils sont forcément éminents, parce qu’ils étaient chez ALAIN FINKIELFRAUT, sur France Culcul Ture) se chicorner comme samedi dernier, je me dis que les gars ont fait très fort. Tout le monde s’y est mis, tout le monde place son mot (moi y compris). La dame, elle disait comme ça que le genre, hé ben le genre, mon gars, c’est pas une « théorie », c’est une « substance », comme j’te l’dis. Si c’est ça être philosophe, je pouffe.

 

 

Le Monde s’y est mis aussi, et pas qu’un peu : trois grandes pages, enfin presque, parce qu’une bonne part de la surface est occupée par les très seyantes photos d’une série pertinemment intitulée « Androgyne », de  THIBAULT STIPAL, qui confirme assez bien ce que je disais ici même le 5 octobre, et qui annonce très clairement la couleur de l’offensive en question.   

 

 

En un mot comme en cent : le « genre » est le char d'assaut de l'offensive homosexuelle. On est dans une guerre  idéologique. C’est, si je puis ainsi dire, le « coin » enfoncé dans la brèche faite à la normalité sexuelle (je ne mets pas de guillemets au mot normalité, qui effarouche tant certains). Le but de l’offensive, c’est évidemment la prise de la citadelle de la normalité et la promotion de l’homosexualité en norme. L’habileté de la chose, c’est évidemment qu’elle n’est pas annoncée comme explicitement d’origine homosexuelle, mais qu’elle se présente dans le décor et sous le masque neutres de la science et du discours objectif.

 

 

Or, si l’on considère la norme comme un outil statistique, l’hétérosexualité  est la norme de l’histoire de l’humanité. Je me permets d’ajouter que, en l’absence d’une norme hétérosexuelle, je me demande où en serait l’humanité. Par ailleurs, est-il tout à fait illégitime et incompréhensible que la norme statistique soit devenue normative, c’est-à-dire s’impose à tous ? Si c'est le cas, j'aimerais qu'on me l'explique autrement que par l'argument de l'odieux arbitraire que ferait peser l'ordre hétérosexuel sur l'humanité.

 

 

Bien sûr, TOUTES les institutions humaines, depuis qu'il y en a, sont essentiellement arbitraires dans leur conception, leur mise en place et leur mise en oeuvre, à commencer par la façon dont la sexualité est instituée. J'aimerais aussi qu'on m'explique par quels miracles l'humanité aurait pu éviter de procéder ainsi. S'agit-il d'autre chose que d'instaurer  des règles, des codes, des conventions, des institutions, pour rendre possible la vie avec les autres ?

 

 

Tous les peuples se sont donné à eux-mêmes leurs propres règles, fondées sur l'idée qu'ils se faisaient de leur identité. J'aimerais qu'on m'explique sur quels concepts universels on s'appuie pour contester cet arbitraire-là (et un universel qui ferait spontanément un adhésion unanime, évidemment). Existe-t-il une unité de mesure admise par tout le monde qui permette de mesurer la légitimité de cet arbitraire-là ? Non. Sinon, je ne sais plus ce que c'est que la différence avec l'autre, non plus que la tolérance. 

 

 

En fait, il est impossible de légitimer, dans l'absolu et selon la nature, l'institution humaine, parce qu'elle est d'ordre conventionnel, et qu'il ne saurait y avoir de convention naturelle. L'expression « convention naturelle » est un oxymore, une contradiction dans les termes. Vouloir remplacer le sexe par le « genre », c'est donc uniquement vouloir substituer un arbitraire à un autre.  

 

 

On aura beau argumenter, pérorer, ratiociner tant qu’on voudra, on aura beau inventer des utérus artificiels, des grossesses masculines et autres fantaisies « meilleurdesmondesques », la norme veut qu’un homme anatomique et une femme anatomique s’emboîtent pour se perpétuer. Le socle et la condition de l’humanité, c’est la différence des sexes. Cette réalité NATURELLE ne plaît pas à tout le monde. Et la norme elle-même est maintenant considérée comme épouvantable et philosophiquement rédhibitoire.

 

 

Le problème, avec le MILITANT (le conducteur du char d’assaut, Act Up, PIERRE BERGÉ, tout ce qu’on voudra), c’est qu’il n’a aucune envie de discuter de quoi que ce soit avec qui que ce soit. Lui, il a sa vérité, il combat pour une cause, et il n’aura de cesse que de l’avoir fait triompher de ses ennemis. Alors pour lui, l’habillage neutre de la « science » est une précaution très utile.

 

 

Car il faut que ça se sache : oui, ce sont des homosexuels qui ont inventé, et surtout diffusé le « genre », à commencer par la fondatrice des « études de genre », JUDITH BUTLER, qui s’inspire des travaux de MICHEL FOUCAULT. S’ils ne l’ont pas inventé à proprement parler, sans eux, il n’aurait jamais connu un tel succès.

 

 

JUDITH BUTLER ne s’en cache aucunement : elle est lesbienne depuis l’âge de quatorze ans. Quant à MICHEL FOUCAULT, cette Tour Eiffel de la pensée française exportée aux Etats-Unis, il était homosexuel et ne s’en cachait guère. C’est grâce à lui, par exemple, que MATHIEU LINDON (Ce qu’aimer veut dire, éditions P. O. L.) a « revendiqué son homosexualité, commencé à se rendre dans les backrooms et assumé ce que les méchantes langues disaient alors de lui : "pédé, drogué et ami de Michel Foucault" » (site bibliobs.nouvelobs).

 

 

Le « genre », à cet égard, c’est une trouvaille, dont la théorie (j’ai l’impression d’être bouché quand j’entends nier que c’en soit une) est fondée sur un truisme : le sexe psychologique ne correspond pas forcément au sexe anatomique. La belle affaire ! Quelle découverte majeure !

 

 

Il est vrai que la théorie du « genre » va plus loin : elle postule qu’il ne faut pas ériger en « donnée naturelle » ce qui n’est que l’effet d’une « construction culturelle ». C’est entendu, « on ne naît pas femme, on le devient » (c’est de l’affligeante SIMONE DE BEAUVOIR). C’est entendu, on ne naît pas homme, on le devient. La belle affaire ! Tous ces gens redécouvre le binôme « NATURE / CULTURE » ! Je leur fais remarquer qu’ils devraient séance tenante se pencher sur le cas du fil à couper le beurre, de l’eau tiède, et de tout un tas d’inventions à refaire.

 

 

Là où les militants d’Act Up et autres chars d’assaut du « genre » deviennent des prestidigitateurs, c’est quand ils font tout simplement disparaître le socle « naturel » derrière la « construction culturelle ». Désolé, le « genre » n'abolit pas le sexe. Désolé, les gars, l’humain a beau être un produit de plus en plus raffiné et élaboré de nos « constructions culturelles », il reste quelque chose, tout au fond. Ben oui quoi : l’animal, la bête, enfin ! La Nature. L’ACQUIS n’a pas encore éliminé totalement l’INNÉ. Ça viendra peut-être. On en sera alors arrivé à la conclusion des Particules élémentaires de MICHEL HOUELLEBECQ.  

 

 

A suivre …