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lundi, 03 décembre 2012

DES HÔTELS EN TRES HAUTE MONTAGNE

Pensée du jour :

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"SURFACE" N°4

« Le printemps hésite ; à juste titre, car on ne sait pas encore s’il va faire chaud ou froid. Mais il viendra aux premiers beaux jours. Paris est gris autour du dôme des Invalides, et le soir la tour Eiffel darde ses yeux de ténia. L’homme rêve de s’occuper de choses importantes ».

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

 

Je parlais il n’y a pas très longtemps des quelques moments que j’ai consacrés, pendant un temps, à des activités sportives en montagne. On appelle ça « alpinisme », il paraît. Mais déjà, l’été au cours duquel j’ai fait, en compagnie d’ALAIN et CHRISTIAN, l’ascension du Mont Blanc, nous trouvions qu’entre les deux principales voies d’accès (refuge du Goûter et refuge des Grands Mulets), la fréquentation de l’arête des Bosses « atteignait des sommets » (si je peux dire). 

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VU DU BREVENT

En 2005, on a dénombré entre 25.000 et 30.000 personnes sur le Mont Blanc. Certains envisagent même avec horreur (mais réalisme) un chiffre futur de 50.000 à 100.000. A ce compte, ce n’est plus de l’alpinisme, c’est les Champs-Elysées. Sans parler du danger pour les hommes que pourrait représenter cette véritable bousculade, parlons de l’état de la montagne. 

 

 

A commencer par les abords du refuge du Goûter (je parle de l’ancien, pas de l’ « œuf d’inox » qui vient d’être achevé à quelque distance). Imaginez que la foule des marcheurs est composée de personnes qui mangent et qui boivent. Et que, fatalement, ces gens doivent expulser de leur corps les matières liquides et solides qui n’ont pas été assimilées. 

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ET JUSTE DERRIERE L'ANCIEN, QU'ON APERÇOIT AU FOND, IL Y A L'ANCÊTRE

Ajoutez à ces données numériques du problème le fait que la nuitée au refuge est facturée autour de 25 €, et que beaucoup d’amateurs, n’ayant pas les moyens, se contentent de monter avec leur tente. Et aux dernières nouvelles, fort peu de tentes sont équipées de latrines. Le résultat ? Il fut visible (et olfactivement intense, paraît-il) il y a quelques années, où les chutes de neige avaient été insuffisantes : la neige fondant, les abords du refuge étaient devenus un vrai champ d’épandage, sauf que ce n’était pas pour faire pousser des légumes. 

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L'ANCIEN (A DROITE), ET PUIS L'ANCÊTRE (LE SEUL !)

C’est ce moment que le Club Alpin Français choisit pour construire un nouveau refuge, avec une capacité d’accueil de 120 personnes. Révolutionnaire de forme et de conception, le nouveau refuge ! J’ai dit dans un billet précédent à quelles tristes circonstances il est lié, dans mon esprit. J’y pense, mais je n’y reviens pas. 

 

 

ELISABETH CHAMBARD, dans la revue du Conseil Régional, présente la construction comme un « hôtel des sommets ». C’est affreux. Franchement, s’il en est ainsi, je crains le pire. Passe que le refuge Albert 1er soit depuis longtemps considéré comme un hôtel, du fait que télécabine (Charamillon) et télésiège (col de Balme) transforment la « montée en refuge » en promenade, en quelque sorte. Une « nuit en refuge » est une expérience éventuelle, pourquoi pas ?

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BIONNASSAY : SUPERBE !

Mais le Goûter ? D’abord on est à 3.835 mètres. Ensuite, pas de remontée mécanique (si : le TMB vous monte à 2835, mais il vous reste 1.000 mètres à faire par vos propres moyens, et ce n’est pas du sentier, mais une ascension à part entière). C’est sûr, il est très beau, le nouveau Goûter : une architecture audacieuse, un porte-à-faux vertigineux, des perspectives uniques (l’extraordinaire arête et la magnifique aiguille de Bionnassay comme si vous y étiez !). Je dis bravo. 

 

 

Mais quel est le but du Club Alpin Français ? Je vais vous dire mon opinion : il aurait voulu envoyer à tous les amateurs de Mont Blanc un message du genre : « Vous pouvez y aller », il ne s’y serait pas pris autrement. Je me rappelle un matin : nous avions pris le téléphérique de l’aiguille du Midi. Passant sous la paroi rocheuse pour faire l’arête des Cosmiques, nous avons vu quelques cordées qui patientaient au pied, attendant que la cordée précédente ait avancé pour démarrer. 

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VOUS LES VOYEZ, LES BONSHOMMES ?

Et cette paroi (la voie Contamine) est réservée à des varappeurs très expérimentés. Alors imaginez, sur un itinéraire où le minimum exigé n’est pas un gros bagage technique de grimpeur, mais une simple endurance à toute épreuve. Un bon entraînement préalable, et vous êtes candidat « naturel » au Mont Blanc. 

 

 

En haute montagne, la difficulté technique élimine d’office tous les blagueurs et autres insuffisants. Si vous parlez de difficulté physique, vous élargissez automatiquement la clientèle potentielle. Ouvrez un hôtel au pied de la face sud de l’aiguille du Fou, vous mettrez rapidement la clé sous la porte : les gens capables d’arriver au sommet sont assez rares.

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IL FAUDRAIT ÊTRE FOU POUR Y OUVRIR UN HÔTEL, NON ?

Mais construisez un « hôtel des sommets » au départ d’une « avenue des Champs-Elysées » : c’est l’affluence à Carrefour la dernière semaine avant Noël.

 

 

C'est ça qu'il veut, le Club Alpin Français ?

 

 

Voilà ce que je demande, moi.

 

 

 

 

 

 

 

samedi, 24 novembre 2012

QUELQUES PAS DANS LA MONTAGNE (3/3)

Pensée du jour :

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"VERRE" N°1

 

 

« Réponse de l'ami antisémite à ma lettre du 30 décembre. Il n'a rien compris. Avec l'obstination et l'obturation invincibles des sectaires de son école, il me reparle "exclusivement" des deux races (celle de Jésus et celle de Judas), comme si cela avait un sens. Rien à faire. C'est la présence du démon ».

 

LEON BLOY 

 

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SA MAJESTÉ VUE DE LYON

Le roi des souvenirs de montagne, je vais vous dire, cela restera à jamais Sa Majesté le Mont Blanc. Une belle aventure. Pour l’occasion, CHRISTIAN (pas le même qu’hier) s’était joint à nous. Je dis « une aventure », parce que, pour agrémenter la balade, nous avions décidé de faire la traversée jusqu’à l’Aiguille du Midi, donc en passant par le Mont Maudit et le Mont Blanc du Tacul, pourquoi se gêner ?

 

 

Trois « 4000 » dans la foulée, remarquez, c’est assez courant, pour ne pas dire banal aujourd'hui. Mais il est indipensable d'avoir une belle forme. Or, à part CHRISTIAN, nous avions un mois de courses derrière nous. Aujourd’hui, je crois bien que les cordées ont tendance à partir de l’Aiguille du Midi pour finir au Mont Blanc. Je ne sais pas quel est le mieux. Peut-être est-ce pour être de retour dans la journée ? Cela me paraît un peu beaucoup, mais bon.

 

 

En tout cas, ça n’a pas réussi à une dizaine d’alpinistes chevronnés, il y a quelque temps, qui ont reçu sur la tête une avalanche de glace tombée de la face nord du Tacul, qui les a projetés jusqu’au Plan de l’Aiguille, à quelques centaines de mètres  en contrebas. A l’époque, nous faisions dans le « classique » : monter au « Nid d’Aigle » par le TMB, puis direction refuge de Tête Rousse, et enfin, Aiguille du Goûter par l’arête jusqu’au refuge du même nom.

 

 

Je me suis laissé dire qu’au départ, la traversée du Grand Couloir était devenue périlleuse. Mais le plus dur, je crois, c’était que, de Tête Rousse, on voit déjà briller la paroi du refuge du Goûter, environ 700 mètres plus haut. Il n’est pas conseillé de trop regarder au-dessus dans ces cas-là. Mais enfin on y arrive.

 

 

Et au moment où on arrive, il est à peu près 17 heures, et là je vous garantis que le spectacle en vaut la peine : « Ô récompense après une pensée, qu’un long regard sur le calme des dieux ». Bon, c’est vrai que PAUL VALERY écrivait ça à propos de la mer (« toujours recommencée », comme il se doit). Mais là, vous êtes assis face au couchant, vous fumez votre pipe (depuis, j’ai arrêté), vous regardez le soleil qui décline éclairer la mer de nuages en lumière rasante, et vous vous dites que la vie vaut vraiment la peine d’être vécue. Je n'ai pas pensé à prendre mon appareil photo.

 

 

Ensuite, bien sûr, on n’a pas fini : il faut dormir. Et allez dormir à 3800 mètres : il est conseillé de faire des provisions de dodo en boîte avant de venir. Et je ne parle pas du surpeuplement, dans un lieu prévu pour 80 personnes, et où l’on s’entasse jusqu’à s’assoupir tant bien que mal assis à une table ou sur une marche en bois.

 

 

Heureusement, si l’on peut dire, la nuit sera courte : lever à 2 heures. Il fait encore froid, un temps magnifique, un petit air qui monte de la vallée. Nous sommes prêts les premiers. Le Dôme, le refuge Vallot, avec sa drôle de « porte d’entrée » (si l’on peut dire), l’arête des Bosses proprement dite, et nous voilà au sommet, 1000 mètres accomplis à bonne allure. La montée comme dans un rêve. Et l’arrivée juste au soleil qui se lève à l’horizon.

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LA VERTE (4122) AU FOND, ESQUISSE DES JORASSES A DROITE, AIGUILLE DU MIDI (3842), MONT BLANC DU TACUL (4248), MONT MAUDIT (4465, PREMIER PLAN)

(pour aujourd'hui, on se contentera des trois premiers, photos prises à ma deuxième ascension, je veux dire plus tard dans le matin)

Bon, je sais qu’aujourd’hui, c’est une armée quotidienne de plusieurs centaines de manifestants (selon les syndicats et selon la police) qui se lance victorieusement à l’assaut de cette montagne qui n’est plus sacrée depuis longtemps, et que l’aventure est devenue une routine, mais je peux vous dire que le spectacle est à la hauteur de l’altitude atteinte. C’est bien simple : vous voyez tout en dessous de vous. Et, encore plus fort, rien au-dessus. Si : au-dessus, il y a l'air libre. Le ciel immense. L'azur à l'infini. On s'en remet, mais ça marque au fer rouge.

 

 

L’Aiguille Verte ? Regardez : on la voit toute petite, au loin. Alors autant ne rien dire des 4000 italiens (hors-champ). Un moment de repos, on grignote, et c’est reparti. Mais : « Vous êtes sûrs que vous allez par là ? ». C’est un type à bonnet et lampe frontale qui demande. « Ben oui ». Direction col de la Brenva, par le Mur de la Côte, déjà touché par le soleil, mais la neige, comme on dit, est « bon dur ».

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DEPUIS LA BRENVA, PETIT COUP D'OEIL EN ARRIERE ET SUR LE CÔTÉ ITALIEN

Au col, on se dit que, côté italien, il y a la voie de la « Sentinelle Rouge », et j’ai (aujourd’hui) une pensée pour ETIENNE, qui est mort en la gravissant, la « Sentinelle Rouge ». Ce n’était pas un enfant de chœur, je peux vous dire. Après le col, il faut remonter vers le Mont Maudit. CHRISTIAN donne des signes, mais enfin, ce n’est pas le moment. Il faut ensuite assurer la redescente au nord-est vers le col Maudit : le soleil est plus haut, on fait attention, la neige est molle.

 

 

Mais ce n’est pas fini : il faut encore remonter vers le Mont Blanc du Tacul. On n’arrivera pas au sommet. Il faut redescendre. Par la face nord, vers l’Aiguille du Midi. Dernier obstacle : la rimaye, cette grosse crevasse qui marque la rupture de pente. Pas d’autre moyen que de sauter. En queue de cordée, je saute le premier, assuré par ALAIN, qui fait de même avec CHRISTIAN, puis je m’occupe d’ALAIN. Réception impeccable.

 

 

Il ne reste plus qu’à franchir les 300 mètres (en hauteur) qui nous séparent du téléphérique et de la vallée. Je ne dirai pas que c’est le plus dur, mais alors, je vous jure : la soif de ma vie, c'est là et nulle part ailleurs, et ce n’est pas le filet d’eau de neige mise à fondre dans ma gourde qui pouvait me désaltérer. Même pas la double bière que je m’offre, arrivé au bar. Et nous constatons avec plaisir ou vanité que la file d’attente pour redescendre est divisée en « touristes » et « alpinistes ». Un sorte de hiérarchie des valeurs, si vous voulez. Voilà, ce n’est pas grand-chose. Mais c’est beaucoup.

 

 

Mon expérience de l'alpinisme ne fut certes pas himalayenne, elle ne fut pas de « haut niveau », c'est certain. Ce que le français désignait comme « médiocre », avant que le mot ne devienne franchement dépréciatif (ce qu'il n'était pas au départ), c'est là que je situe mon expérience de la haute montagne. Pour dire le vrai de la chose, de ce médiocre-là, j'ai appris quelques petites choses essentielles.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

vendredi, 23 novembre 2012

QUELQUES PAS DANS LA MONTAGNE (2/3)

Pensée du jour :

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"RUPESTRE" N°7

(je défie qui que ce soit de trouver l'emplacement du gisement)

« Une chère âme nous visite ... Je ne peux rien dire de plus. Il y a des créatures que Dieu a formées tout exprès pour les envoyer, en temps utile, à ceux de ses amis qu'afflige la tristesse. Elles ont, sans le savoir, la mission de présenter le douloureux miroir où la Face de Jésus est empreinte, et c'est la consolation suprême réservée seulement à quelques-uns ».

 

LEON BLOY

 

 

Des jolies choses que nous avons faites ensemble, ALAIN et moi (je devrais dire « sous sa direction », parce que), j’en garde quelques-unes en mémoire : une belle arête Forbes (le Chardonnet), une Aiguille d’Argentière par le couloir en Y, quelques autres.

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ARÊTE FORBES, CÔTÉ GLACIER DU TOUR (le soir)

Je me souviens en particulier d’une arête sud du Moine, que nous avions attaquée beaucoup trop bas. Une perte de temps qui aurait pu s’avérer  fatale. Une fois au sommet, à peine le temps de casse-croûter, je ne sais plus par quel côté accouraient les nuages, mais il a fallu nous précipiter dans la voie de descente, accompagnés gentiment par la foudre qui tombait dru, alternativement sur une arête et sur l’autre, pendant que les prises se garnissaient de grésil et que nous enchaînions les rappels rapides, tant bien que mal.

 

 

Il ne faisait pas encore nuit quand nous sommes rentrés au refuge du Couvercle, mais le gardien s’apprêtait à s’occuper de notre cas. Le plus fort, c’est qu’ALAIN a profité de ce qu’il restait de lumière pour redescendre dans la vallée. Malgré les Egralets et la Mer de Glace.

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LES EGRALETS

Et quand, à la nuit complètement tombée, il est arrivé au Montenvers, pas question de prendre le sentier : il a tout bonnement suivi la voie ferrée. Ah c’est sûr, il n’avait vraiment pas envie que sa famille s’inquiète. Quant à moi, qui n’avais plus un sou, c’est le gardien qui, au matin, m’a offert mon petit déj’ : il ne voulait pas me laisser partir le ventre vide.

 

 

Ma plus belle frayeur, cependant, ce n’est pas avec ALAIN que je l’ai vécue. C’était dans le cadre du CAF, un stage basé à La Bérarde, dans l’Oisans (une route intéressante pour y arriver). Je ne me rappelle plus comment s’appelait mon camarade de cordée. Nous faisions l’ascension du Glacier Long, j’étais en tête. Vingt mètres au-dessus du camarade, mon pied gauche ripe. Or, j’avais des crampons à l’ancienne, et aux pointes émoussées (toutes les piques à angle droit, depuis on a trouvé mieux).

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GLACIER LONG

Je me cramponne (le cas de le dire) à la pointe de mon piolet et à celle de la dernière dent de mon crampon droit. Je le regarde, le camarade, à vingt mètres en dessous : il me regarde. Si je tombe, sa broche à glace saute, c’est sûr, et on se retrouve en bas. Dans quel état, je le sais, il le sait. Mais je ne pense plus à rien, je suis vide. Nous sommes tout seuls : les autres ont déjà basculé au soleil, par en haut.

 

 

Je vous jure, sur le moment, même pas peur : je sens juste la pointe de mon piolet et la pointe de mon crampon qui m’accrochent à la vie. Je peux le dire : je n’ai que très rarement éprouvé ma propre vie avec autant d’intensité.

 

 

Je pense au « novillo » des arènes de Nîmes face auquel je me suis retrouvé étourdiment (mais c’est vraiment de la rigolade, surtout avec les cornes « emboulées »), et je pense à CLARA, dans une tour un peu écroulée du château d’un petit patelin du Bade Wurtemberg, code postal 7108 (là, c’était plus sérieux, mais autre chose, comme plongeon). Je pense à quelques autres moments. Peut-être ce que le grand photographe HENRI CARTIER-BRESSON appelait « l’instant décisif ». Bon, je suis là pour en parler.

 

 

Mais il n’y a pas que la frayeur, dans la vie. Il y a aussi de belles courses. J’étais à ce moment à Samoëns. On était en août. La pleine lune s’annonçait pour la nuit suivante. CHRISTIAN me dit : « Et si on montait au Buet, assister au lever de soleil ? ». C’est parti mon kiki. A 22 heures, nous voilà à pied d’œuvre.

 

 

CHRISTIAN, il connaît le coin comme sa poche. Ce n'est qu'après qu'il est devenu curé. Le Buet (3109 mètres), par le côté Sixt, c’est de la rando, pas de l’alpinisme. C’est plus compliqué que difficile, à cause de l’itinéraire à trouver, surtout de nuit, comme bien vous pensez. On a du mal à se représenter ça, mais une fois que les yeux se sont habitués à la clarté lunaire, ça marche beaucoup mieux qu’on n’imagine. Les rochers sont, d’un côté, habillés d’une blancheur vague, et de l’autre, tout à fait obscurs. L’ambiance est étonnante.

 

 

Et comme le côté Sixt est orienté (en gros) sud-ouest, ce n’est pas le ciel qui va vous informer de l’écoulement du temps. Et là encore, la récompense vient avec le sommet : certes, pour avoir le massif du Mont Blanc bien en face, il vaut mieux aller au refuge du Lac Blanc (les Jorasses au fond), à La Flégère ou au Brévent.

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TOUTES LES AIGUILLES, DE REPUBLIQUE-CHARMOZ-GREPON JUSQU'AU GOÛTER, EN PASSANT PAR BLAITIERE, PLAN, ET LES TROIS SEIGNEURS DE 4000

(sans doute vu du Lac Blanc, je ne me rappelle plus)

 

Le Buet, c'est plus au nord, mais il n’y a pas à dire, l’arrivée au sommet vous offre d’un seul coup tout ce qui se trouve « de l’autre côté », et quel qu’il soit, « l’autre côté » vous donne quelque chose qui peut difficilement se formuler. C’est non seulement du « panorama », c’est aussi un peu de « monde en plus » qui vous arrive. Et jamais personne ne vous enlèvera ça. Vous mourrez avec.

 

 

Je reviens à ma cordée avec ALAIN. Par rapport au Glacier Long, la longue glissade dans laquelle je l’ai entraîné, c’est du pipi de chat. Et c’est encore mon pied qui ripe, cette fois, mais dans la neige un peu molle qui précède le rocher, au moment d’attaquer l’arête de la Chapelle, dans les Aiguilles Rouges. Nous étions évidemment encordés.

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EPAULE SUD, CHAPELLE ET CLOCHER (DANS L'ORDRE)

(tout en haut à droite)

Nous avons atterri dans les pierrailles, pas tout à fait sans dommages, mais pour ainsi dire : si peu que rien. Un accident, c’est intéressant quand c’est déjà un peu grave, sinon on la ferme. Ce n’est pas comme les motards qui, eux, prennent plaisir à se raconter leurs glissades, en se bourrant les épaules à coups de : « Tu te souviens ? ». Je suis rentré la queue basse à la maison. Je m'en voulais.

 

 

En revanche, la traversée Midi-Plan est une jolie course, comme un balcon vertigineux au-dessus de la vallée de Chamonix, qui se termine par un passage au refuge du Requin, pour la pause bière, puis par la Vallée Blanche et la Mer de Glace. C’était un jour de fin juillet. Je me rappelle que le glacier était très « ouvert », et qu’il a fallu contourner je ne sais combien de crevasses avant d’arriver.

 

 

Et nous pensons tous deux en passant que c’est au bord d’une de ces crevasses que se sont arrêtées un jour les traces de ski du grand LIONEL TERRAY (Carnets du vertige). Lui, il a participé à la première de l'Annapurna. Dont un certain MAURICE HERZOG s'est approprié tous les mérites. Et ça ne m'étonne pas : après, il a fait de la politique !

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

vendredi, 20 janvier 2012

TÊTE DE LOUIS XVI ET PENDULE DES JORASSES

Aujourd’hui, ça part d’assez loin. Mais je vous promets que j’y arrive, à mon sujet du jour. LAO-TSEU l’a dit : « La rivière de la vérité ne craint pas les méandres de la pensée qui déverse son eau de vaisselle à gros bouillons dans la mer des Sargasses à l’époque de la reproduction des anguilles qui en sont très friandes ». Après un truc pareil, je crois que j’ai mérité quelques minutes de repos, rien que pour le plaisir de contempler. Je me dis que FREDERIC DARD devait faire pareil après une page bien sentie sur Bérurier.

 

 

Alors voilà, bon, ça commence. Quand on sort de la gare du Montenvers et qu’on regarde vers le fond de la Vallée Blanche, on repère immédiatement la grande barrière rocheuse qui sépare la France de l’Italie. Cela s’appelle Les Grandes Jorasses. Respect. La pointe la plus à gauche (c’est-à-dire à l’est), c’est la « Walker » (4200 et des poussières).

 

 

 

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LES GRANDES JORASSES

AU-DESSUS DE LA VALLEE BLANCHE

 

 

 

Il y a des gens, on se demande pourquoi, qui ne rêvent que d’une chose : arriver au sommet. Les plus cinglés d’entre eux ont tracé sur une photo de la face nord (côté Chamonix, celle qu’on voit) une ligne droite qui part d’en bas et arrive en haut. Quelques-uns sont parvenus à la suivre. Ils sont fous, ces Romains !

 

 

Mais on n’est pas là pour parler d’alpinisme. La voie directe comporte une particularité particulière : le « PENDULE ». Qu’ès aco ? Tout le monde connaît le professeur Tryphon Tournesol : « Un peu plus à l’ouest » est dans toutes les mémoires.

 

 

Un pendule, c’est un petit objet chargé de graviter au bout d’un fil, et dont les mouvements donnent aux initiés des informations très claires et très mystérieuses. Sur quoi ? Je répondrai que ça les regarde. Approchez voir un pendule d’une télévision (cathodique), et vous verrez la samba, plus la lambada, plus la bossa-nova ! C’est magique ! Mieux que le Carnaval de Rio.

 

 

Dans la paroi rocheuse dont il est question, le pendule, ça veut dire qu’arrivé en un certain point, tu installes la corde une longueur (30 mètres) au-dessus. Tu redescends. Tu te lances alors dans un joli balancement pendulaire. Tu prends pied sur une vire située latéralement un peu plus loin, mais juste dans l’axe vertical de la voie. A ce moment-là, réfléchis bien avant de commettre l’irréparable : tu récupères la corde !

 

 

 

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On suppose que tu sais ce que tu fais. Parce qu’à partir de là, toute retraite est coupée, même en rappel. Ce n’est plus le temps d’avoir des regrets. Une seule solution : sortir par le sommet. Aucun retour en arrière n’est plus possible. Ça veut dire qu’il faut être vraiment sûr de toi et du copain de cordée. Ça veut dire qu’il faut oser. Voilà, c’est ça, le « pendule ».

 

 

Un certain Agathocle (Ἀγαθοκλῆς, on est en 311 avant « le » J. C.), qui menait une guerre contre Carthage, avait fait preuve de la même détermination en débarquant de Sicile sur la terre africaine : pour montrer à ses hommes qu’il avait bien l’intention d’aller jusqu’au bout, il avait fait brûler les vaisseaux qui les avaient conduits jusque-là, rendant tout retour impossible. Agathocle est sorti des mémoires, mais l’expression « brûler ses vaisseaux » est restée. C’est la même chose que le « pendule des Jorasses ».

 

 

J’allais prendre, comme troisième exemple, celui de l’homme qui, après avoir bien fixé la corde au crochet du plafond, fait tomber la chaise sur laquelle il est monté et qui reste pendu par le cou, mais s’il y a des enfants qui lisent ce blog, je ne voudrais pas risquer qu’on me fasse des reproches, alors je n’en parlerai pas (les rhétoriciens attentifs auront noté ici une prétérition). Cela n’empêche pas que le principe est toujours le même : quand tu n’a plus rien à perdre, tu te débrouilles pour te couper tout espoir de retraite. La chaise qui tombe, c’est le « pendule des Jorasses ».

 

 

Le 21 janvier 1793, c’est le geste fou qu’elle a fait, la Révolution française. Elle s’est élancée vers la Walker des Jorasses. Elle a « brûlé ses vaisseaux ». A-t-elle fait tomber la chaise ? C’est beaucoup moins sûr. C’est vrai que la décision s’était prise quelques jours avant, exactement le 17, à 21 heures : « La peine prononcée contre LOUIS CAPET est celle de mort ». C’est VERGNIAUD qui parle.

 

 

 

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LOUIS, SEIZIEME DU NOM

 

 

 

Il faut dire que, comme c’est lui qui préside la « Convention », c’est à lui d’annoncer. Ils ont été 334 à s’opposer à la condamnation à mort. Mais depuis que c’est la majorité des voix qui emporte la décision (ça ne fait pas très longtemps, vérifiez), ils ne peuvent rien contre les 387 régicides.

 

 

Il est vrai que le scrutin est entaché de divers soupçons de fraude (achats de voix (déjà !), marchandages, tripatouillages divers). Il faudra en organiser un second, le lendemain. Le résultat est beaucoup plus serré : 361 contre 360. Il n’empêche, c’est bien la majorité plus une voix qui l’emporte. Le 21 janvier 1793, le roi de France, LOUIS, seizième du nom, est donc exécuté sur la place qui n’est pas encore « de la Concorde ».

 

 

Alors on me demandera peut-être comment, en partant des Grandes Jorasses, j’arrive à l’exécution de LOUIS XVI. C’est une bonne question et je vous remercie de l’avoir posée. Je réponds benoîtement que c’est la même chose. Mais si ! A partir du 21 janvier 1793, toute retraite est coupée. Il ne sera plus jamais possible de faire comme si on ne lui avait pas coupé le cou suivant le pointillé, à CAPET. Cela fera demain 219 ans que cet irréparable s’est accompli.

 

 

Ce soir, messe royaliste à l’église Saint Denis de la Croix-Rousse, rue Hénon, à 18 heures trente.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

Suite et fin demain.

 

 

 

mercredi, 30 novembre 2011

DU SAVOIR COURTOIS A HANNAH ARENDT

Résumé : après diverses considérations sur le « savoir courtois », retour laborieux à HANNAH ARENDT.

 

 

A propos de « savoir courtois », il faut dire que, si je fuis tous les « systématistes » et autres élaborateurs extrêmement savants de globalités, de généralités et autres totalités totalisantes, voire totalitaires, il y a bien sûr une part de décision, une décision quasiment politique, le refus horrifié d’une menace qu’on fait peser sur l’individu. Mais il n’y a pas que ça. Il y a aussi une infirmité. Enfin, c’est peut-être une infirmité. Pas sûr.

 

 

Vous voulez que je vous fasse une confidence ? Vous vous rappelez sans doute le 12 juillet 1998, n’est-ce pas ? Eh bien, pendant que deux personnes qui me sont très chères avaient décidé d’aller au cinéma, juste parce que c’était gratuit ce soir-là pour les dames (H.) et demoiselles (J.), j’ai choisi d’écouter Cosi fan tutte, le casque sur les oreilles, qui m’a permis d’échapper aux trois énormes clameurs de la soirée. Je l’ai d’autant moins regretté que les deux personnes en question se sont laissé détourner par « l’ambiance d’enfer » qui régnait place Bellecour, où de gigantesques écrans avaient été dressé. Abdication pitoyable.

 

 

Ce n’est pas pour me vanter, mais j’ai lu Masse et puissance, de ELIAS CANETTI. Un drôle de livre, bizarre, atypique, qui m’a laissé perplexe,  dont le sujet avoué est une analyse du processus qui transforme une « meute » conduite par un chef en « masse » conduite par un « führer », suivez mon regard. Un drôle de livre, qui ne ressemble à aucun autre quant à son objet ou à sa méthode. Où ELIAS CANETTI veut-il en venir ? Ce n’est pas évident. Si je me souviens bien et pour résumer, l’individu, dans la meute, a encore une existence propre, qu’il perd quand celle-ci se transforme en masse. Mais c’est sûrement plus compliqué que ça.

 

 

Pour vous dire, si j’ai fait de l’alpinisme, c’est qu’au sommet du « Moine », du « Grépon » ou de « Trélatête », il y a place pour trois, allez : quatre si on se serre. On est encore des individus. Et on fait de la place au saucisson et au kil de rouge (à 3500 mètres, « la plus humble piquette » (BRASSENS, « Le grand Pan ») se transforme en nectar. Or c’est  le même homme de bien qui l’a dit : « Le pluriel ne vaut rien à l’homme et sitôt qu’on / Est plus de quatre, on est une bande de cons » (« Le pluriel »).

 

 

C’est pourquoi j’ai tiré il y a fort longtemps un trait violent sur les plages du Midi en été, le supermarché le samedi matin, l’autoroute A7 pendant les week ends de « pont », et un certain nombre d’autres lieux qui attirent la concentration du genre humain, devenus comme des camps de sinistre mémoire.

 

 

L’agglutiné vit au rebours de sa propre vie. Ou c’est que je ne sais rien. Je commence à respirer quand l’humain se raréfie. Quand l'individu se dessine et prend forme et consistance.  Supermarché, cinéma ou remonte-pente, l’un des fléaux de notre temps est la file d’attente. Quand il s’agit de faire nombre, je me désagrège. Car il s’agit de faire nombre, il paraît. Il paraît aussi, d’ailleurs, que ça se mesure. Scientifiquement, même.

 

 

J’adapterais volontiers la fable du Corbeau et du Renard en la faisant finir par une sentence comme : « Sachez que tout sondeur vit aux dépens de celui qui répond. Cette leçon vaut bien mon fromage, pauv’con !». J’ai pris « sondeur » parce que ça passait mieux que « statisticien ».  

 

 

J’envierais celui qui porterait sur sa carte d’identité une mention du genre : « Celui qui ne ressemble pas ». Ou : « Perturbateur de statistiques officielles ». Et l’expression « fondu dans la masse » me semble d’une terrifiante vérité. « Fondre » à une température donnée, n’est-ce pas perdre ses contours, ses traits ? Disparaître ? A cet égard, je suis profondément occidental.

 

 

Il paraît que l’oriental se vit comme simple élément d’un grand tout, ce qui a au moins le mérite de faciliter sa disparition, alors que chaque occidental se vit comme une réplique en miniature du centre du monde, et comme tel, irremplaçable. C’est pour ça que SARKOZY se sent obligé de payer des rançons quand des Français sont enlevés au Mali ou au Yémen. Même et surtout quand il nie avoir payé un seul centime.

 

 

Occidental, je suis, occidental je reste. J’accepte l’héritage de l’individu et des Lumières. Plus consciemment et plus volontairement que des gens prêts à piétiner leurs semblables pour rejoindre leur petit carré de plage, parfumé à l’ambre solaire et au suint bestial des animaux vautrés. 

 

 

Vous avez compris pourquoi la télévision n’a jamais franchi mon seuil : être comptabilisé comme un petit sept milliardième de l’humanité ou le  six millionième de l’audience de FRANÇOIS HOLLANDE à la télé m’importe autant que le slip de flanelle que portait le président CARNOT quand il fut assassiné. Le problème de la télévision, c’est qu’elle fait disparaître les individus qui la regardent sans que ces individus s’en rendent seulement compte.

 

 

Bon, je vais quand même tâcher de revenir à HANNAH ARENDT. J’ai un peu l’impression de piétiner à l’entrée. Voire de reculer. Enfin, je me dis que je ne quitte pas tout à fait le terrain. Si j’insiste, c’est que je crois que cette femme, sans a priori, sans volonté de « faire système », nous parle du monde qui est le nôtre, et essaie d’en dégager pour nous le sens. Ce n’est pas une négatrice. Je crois même qu’elle ne l’est pas assez. Mais c’est qu’elle reste attachée à une démarche profondément philosophique.

 

 

Il faut d’abord dire que la Grèce ancienne fascine HANNAH ARENDT, qu’elle est très souvent présente à son esprit comme modèle insurpassé de civilisation, auquel il convient de se référer en priorité. C’est un socle. Pour parler franchement, j’ai buté sur la distinction entre « privé » et « public », et il y a des maillons du raisonnement qui m’échappent.

 

 

« Privé » ? « Public » ? On se rappelle les batailles de chiffonniers qui ont été livrées autour des chiffons « islamiques ». Qu’est-ce que c’est, « l’espace public » ? Il me semble qu’aujourd’hui, on peut dire qu’on entre dans l’espace public dès qu’on sort de chez soi. Si c’est bien ça, ce dont je ne suis pas si sûr, finalement, l’espace privé, j’en conclus que c’est tout simplement « chez soi ». C’est pas logique, ça ? Et bien pour les Grecs de l’antiquité, pas du tout, figurez-vous.

 

 

Si j’ai correctement compris, les Grecs opposaient le social (autrement dit le privé) et le politique (autrement dit le public). Du côté du social, la famille, cellule de base, où le père règne en despote, la famille qui est régie par la nécessité. ARENDT semble soutenir que toute l’économie antique relevait exclusivement de la sphère privée. Du côté du social et de la nécessité, encore, le travail. Tout cela est donc considéré comme relevant de la sphère du privé.

 

 

Du côté du politique, il y a la cité, la « polis » (πόλις), où règne l’égalité entre des individus libres. Être libre, c’est n’être ni chef, ni sujet. C’est dans cette sphère publique que se réalise la politique, que s’exerce le gouvernement. Pour HANNAH ARENDT, cette division des tâches semble être la plus noble qui puisse être, car c'est au niveau de cette vie publique que s'organise la société des hommes.

 

 

Ensuite, ça se complique. Au moyen âge, le privé prend de l’extension, donc le politique en perd logiquement, parce que le gâteau essentiel n’est pas plus gros qu’avant, ce qui entraîne une contamination du politique par le social, et de ce fait même, une réduction de l’homme à une fonction économique. Jusque-là, c’est logique.

 

Si j’ai correctement compris, c’est au 18ème siècle qu’apparaît la notion d’intimité. Et c’est là que, pris en sandwich entre le « public » proprement politique et le « privé » (tout le reste ?), s’interpose quelque chose qu’elle appelle le « social ». Et si j’ai correctement compris, ce dernier est assez envahissant. On change de dimension. On passe de la famille à la société, mais en gardant le despotisme. Dans la famille ancienne, le despote, c’est le « paterfamilias ». Dans la société, c’est la MAJORITÉ, le despote.

 

 

Et qu’est-ce qu’elle devient, l’égalité ? Ben oui, c’est quand même dans la devise républicaine, non ? Là, HANNAH ARENDT a une idée qui me semble GENIALE. L’égalité des Grecs anciens, c’est de n’être ni chef, ni sujet. Notre égalité à nous, c’est le CONFORMISME. Parfaitement ! C’est rude, je sais. Et un conformisme conscient, lucide, voulu par la structure elle-même. La preuve ? La statistique, mon bon monsieur. La reine des sciences sociales. « La science sociale par excellence », dit HANNAH ARENDT.

 

 

Là, je ne peux pas faire moins que de renvoyer à mon blog KONTREPWAZON et aux articles sur les statistiques et le terrorisme de la moyenne (2008). Pourquoi ? Parce que je crois que l’entrée de la société dans la statistique fait passer l’Occident d’une ère proprement politique de la vie humaine en liberté à l’ère de la gestion comptable de l’humanité réduite à l’état de stock.

 

 

Même si ce n’est qu’une hypothèse, ça mérite d’être médité, en ces temps de propagande enfoncée dans le crâne des foules à coups de télévision et de radio (tous partis confondus). Attention, mesdames et messieurs, c’est qu’il y a de la pensée, ici !

 

 

Ben réfléchissez ! Au moment où la statistique et la moyenne font leur apparition, l’attitude et le comportement des dirigeants CHANGENT. Avant, qu’est-ce qu’ils ont, comme outils ? Rien. On commence aux missi dominici, aux préfets, aux commissaires, aux fermiers généraux, qui sont tous envoyés par le haut pour faire régner l’ordre du haut. C’est, on l’admettra facilement, ALEATOIRE.  

 

 

A partir du moment où, tout en haut, on sait, par exemple, sur combien d’hommes costauds on peut compter pour la prochaine guerre, parce qu’on a pris le soin de les compter, mais rendez-vous compte de l’avantage ! Il semblerait que ça ait commencé avec LOUIS XIV. Et la statistique, qui n’est pas une science, mais une suite d’opérations, va permettre l’épanouissement d’une autre discipline, une discipline dévorante, qui va bientôt prétendre au noble statut de science alors qu’elle n’y a aucun droit : l’ECONOMIE.

 

 

HANNAH ARENDT écrit : « L’économie ne put prendre un caractère scientifique que lorsque les hommes furent devenus des êtres sociaux et suivirent certaines normes de comportement ». Ce qui est extraordinaire, dans cette mutation brutale (« rupture », mais pas en termes sarkozystes), c’est que la moyenne statistique s’impose bientôt comme une NORME. Autrement dit, magie-magie : le simple constat prend force de loi.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

A suivre ? Peut-être.