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lundi, 03 décembre 2012

DES HÔTELS EN TRES HAUTE MONTAGNE

Pensée du jour :

GELEE 3.JPG

"SURFACE" N°4

« Le printemps hésite ; à juste titre, car on ne sait pas encore s’il va faire chaud ou froid. Mais il viendra aux premiers beaux jours. Paris est gris autour du dôme des Invalides, et le soir la tour Eiffel darde ses yeux de ténia. L’homme rêve de s’occuper de choses importantes ».

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

 

Je parlais il n’y a pas très longtemps des quelques moments que j’ai consacrés, pendant un temps, à des activités sportives en montagne. On appelle ça « alpinisme », il paraît. Mais déjà, l’été au cours duquel j’ai fait, en compagnie d’ALAIN et CHRISTIAN, l’ascension du Mont Blanc, nous trouvions qu’entre les deux principales voies d’accès (refuge du Goûter et refuge des Grands Mulets), la fréquentation de l’arête des Bosses « atteignait des sommets » (si je peux dire). 

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VU DU BREVENT

En 2005, on a dénombré entre 25.000 et 30.000 personnes sur le Mont Blanc. Certains envisagent même avec horreur (mais réalisme) un chiffre futur de 50.000 à 100.000. A ce compte, ce n’est plus de l’alpinisme, c’est les Champs-Elysées. Sans parler du danger pour les hommes que pourrait représenter cette véritable bousculade, parlons de l’état de la montagne. 

 

 

A commencer par les abords du refuge du Goûter (je parle de l’ancien, pas de l’ « œuf d’inox » qui vient d’être achevé à quelque distance). Imaginez que la foule des marcheurs est composée de personnes qui mangent et qui boivent. Et que, fatalement, ces gens doivent expulser de leur corps les matières liquides et solides qui n’ont pas été assimilées. 

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ET JUSTE DERRIERE L'ANCIEN, QU'ON APERÇOIT AU FOND, IL Y A L'ANCÊTRE

Ajoutez à ces données numériques du problème le fait que la nuitée au refuge est facturée autour de 25 €, et que beaucoup d’amateurs, n’ayant pas les moyens, se contentent de monter avec leur tente. Et aux dernières nouvelles, fort peu de tentes sont équipées de latrines. Le résultat ? Il fut visible (et olfactivement intense, paraît-il) il y a quelques années, où les chutes de neige avaient été insuffisantes : la neige fondant, les abords du refuge étaient devenus un vrai champ d’épandage, sauf que ce n’était pas pour faire pousser des légumes. 

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L'ANCIEN (A DROITE), ET PUIS L'ANCÊTRE (LE SEUL !)

C’est ce moment que le Club Alpin Français choisit pour construire un nouveau refuge, avec une capacité d’accueil de 120 personnes. Révolutionnaire de forme et de conception, le nouveau refuge ! J’ai dit dans un billet précédent à quelles tristes circonstances il est lié, dans mon esprit. J’y pense, mais je n’y reviens pas. 

 

 

ELISABETH CHAMBARD, dans la revue du Conseil Régional, présente la construction comme un « hôtel des sommets ». C’est affreux. Franchement, s’il en est ainsi, je crains le pire. Passe que le refuge Albert 1er soit depuis longtemps considéré comme un hôtel, du fait que télécabine (Charamillon) et télésiège (col de Balme) transforment la « montée en refuge » en promenade, en quelque sorte. Une « nuit en refuge » est une expérience éventuelle, pourquoi pas ?

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BIONNASSAY : SUPERBE !

Mais le Goûter ? D’abord on est à 3.835 mètres. Ensuite, pas de remontée mécanique (si : le TMB vous monte à 2835, mais il vous reste 1.000 mètres à faire par vos propres moyens, et ce n’est pas du sentier, mais une ascension à part entière). C’est sûr, il est très beau, le nouveau Goûter : une architecture audacieuse, un porte-à-faux vertigineux, des perspectives uniques (l’extraordinaire arête et la magnifique aiguille de Bionnassay comme si vous y étiez !). Je dis bravo. 

 

 

Mais quel est le but du Club Alpin Français ? Je vais vous dire mon opinion : il aurait voulu envoyer à tous les amateurs de Mont Blanc un message du genre : « Vous pouvez y aller », il ne s’y serait pas pris autrement. Je me rappelle un matin : nous avions pris le téléphérique de l’aiguille du Midi. Passant sous la paroi rocheuse pour faire l’arête des Cosmiques, nous avons vu quelques cordées qui patientaient au pied, attendant que la cordée précédente ait avancé pour démarrer. 

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VOUS LES VOYEZ, LES BONSHOMMES ?

Et cette paroi (la voie Contamine) est réservée à des varappeurs très expérimentés. Alors imaginez, sur un itinéraire où le minimum exigé n’est pas un gros bagage technique de grimpeur, mais une simple endurance à toute épreuve. Un bon entraînement préalable, et vous êtes candidat « naturel » au Mont Blanc. 

 

 

En haute montagne, la difficulté technique élimine d’office tous les blagueurs et autres insuffisants. Si vous parlez de difficulté physique, vous élargissez automatiquement la clientèle potentielle. Ouvrez un hôtel au pied de la face sud de l’aiguille du Fou, vous mettrez rapidement la clé sous la porte : les gens capables d’arriver au sommet sont assez rares.

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IL FAUDRAIT ÊTRE FOU POUR Y OUVRIR UN HÔTEL, NON ?

Mais construisez un « hôtel des sommets » au départ d’une « avenue des Champs-Elysées » : c’est l’affluence à Carrefour la dernière semaine avant Noël.

 

 

C'est ça qu'il veut, le Club Alpin Français ?

 

 

Voilà ce que je demande, moi.

 

 

 

 

 

 

 

samedi, 24 novembre 2012

QUELQUES PAS DANS LA MONTAGNE (3/3)

Pensée du jour :

VERRE 1.jpg

"VERRE" N°1

 

 

« Réponse de l'ami antisémite à ma lettre du 30 décembre. Il n'a rien compris. Avec l'obstination et l'obturation invincibles des sectaires de son école, il me reparle "exclusivement" des deux races (celle de Jésus et celle de Judas), comme si cela avait un sens. Rien à faire. C'est la présence du démon ».

 

LEON BLOY 

 

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SA MAJESTÉ VUE DE LYON

Le roi des souvenirs de montagne, je vais vous dire, cela restera à jamais Sa Majesté le Mont Blanc. Une belle aventure. Pour l’occasion, CHRISTIAN (pas le même qu’hier) s’était joint à nous. Je dis « une aventure », parce que, pour agrémenter la balade, nous avions décidé de faire la traversée jusqu’à l’Aiguille du Midi, donc en passant par le Mont Maudit et le Mont Blanc du Tacul, pourquoi se gêner ?

 

 

Trois « 4000 » dans la foulée, remarquez, c’est assez courant, pour ne pas dire banal aujourd'hui. Mais il est indipensable d'avoir une belle forme. Or, à part CHRISTIAN, nous avions un mois de courses derrière nous. Aujourd’hui, je crois bien que les cordées ont tendance à partir de l’Aiguille du Midi pour finir au Mont Blanc. Je ne sais pas quel est le mieux. Peut-être est-ce pour être de retour dans la journée ? Cela me paraît un peu beaucoup, mais bon.

 

 

En tout cas, ça n’a pas réussi à une dizaine d’alpinistes chevronnés, il y a quelque temps, qui ont reçu sur la tête une avalanche de glace tombée de la face nord du Tacul, qui les a projetés jusqu’au Plan de l’Aiguille, à quelques centaines de mètres  en contrebas. A l’époque, nous faisions dans le « classique » : monter au « Nid d’Aigle » par le TMB, puis direction refuge de Tête Rousse, et enfin, Aiguille du Goûter par l’arête jusqu’au refuge du même nom.

 

 

Je me suis laissé dire qu’au départ, la traversée du Grand Couloir était devenue périlleuse. Mais le plus dur, je crois, c’était que, de Tête Rousse, on voit déjà briller la paroi du refuge du Goûter, environ 700 mètres plus haut. Il n’est pas conseillé de trop regarder au-dessus dans ces cas-là. Mais enfin on y arrive.

 

 

Et au moment où on arrive, il est à peu près 17 heures, et là je vous garantis que le spectacle en vaut la peine : « Ô récompense après une pensée, qu’un long regard sur le calme des dieux ». Bon, c’est vrai que PAUL VALERY écrivait ça à propos de la mer (« toujours recommencée », comme il se doit). Mais là, vous êtes assis face au couchant, vous fumez votre pipe (depuis, j’ai arrêté), vous regardez le soleil qui décline éclairer la mer de nuages en lumière rasante, et vous vous dites que la vie vaut vraiment la peine d’être vécue. Je n'ai pas pensé à prendre mon appareil photo.

 

 

Ensuite, bien sûr, on n’a pas fini : il faut dormir. Et allez dormir à 3800 mètres : il est conseillé de faire des provisions de dodo en boîte avant de venir. Et je ne parle pas du surpeuplement, dans un lieu prévu pour 80 personnes, et où l’on s’entasse jusqu’à s’assoupir tant bien que mal assis à une table ou sur une marche en bois.

 

 

Heureusement, si l’on peut dire, la nuit sera courte : lever à 2 heures. Il fait encore froid, un temps magnifique, un petit air qui monte de la vallée. Nous sommes prêts les premiers. Le Dôme, le refuge Vallot, avec sa drôle de « porte d’entrée » (si l’on peut dire), l’arête des Bosses proprement dite, et nous voilà au sommet, 1000 mètres accomplis à bonne allure. La montée comme dans un rêve. Et l’arrivée juste au soleil qui se lève à l’horizon.

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LA VERTE (4122) AU FOND, ESQUISSE DES JORASSES A DROITE, AIGUILLE DU MIDI (3842), MONT BLANC DU TACUL (4248), MONT MAUDIT (4465, PREMIER PLAN)

(pour aujourd'hui, on se contentera des trois premiers, photos prises à ma deuxième ascension, je veux dire plus tard dans le matin)

Bon, je sais qu’aujourd’hui, c’est une armée quotidienne de plusieurs centaines de manifestants (selon les syndicats et selon la police) qui se lance victorieusement à l’assaut de cette montagne qui n’est plus sacrée depuis longtemps, et que l’aventure est devenue une routine, mais je peux vous dire que le spectacle est à la hauteur de l’altitude atteinte. C’est bien simple : vous voyez tout en dessous de vous. Et, encore plus fort, rien au-dessus. Si : au-dessus, il y a l'air libre. Le ciel immense. L'azur à l'infini. On s'en remet, mais ça marque au fer rouge.

 

 

L’Aiguille Verte ? Regardez : on la voit toute petite, au loin. Alors autant ne rien dire des 4000 italiens (hors-champ). Un moment de repos, on grignote, et c’est reparti. Mais : « Vous êtes sûrs que vous allez par là ? ». C’est un type à bonnet et lampe frontale qui demande. « Ben oui ». Direction col de la Brenva, par le Mur de la Côte, déjà touché par le soleil, mais la neige, comme on dit, est « bon dur ».

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DEPUIS LA BRENVA, PETIT COUP D'OEIL EN ARRIERE ET SUR LE CÔTÉ ITALIEN

Au col, on se dit que, côté italien, il y a la voie de la « Sentinelle Rouge », et j’ai (aujourd’hui) une pensée pour ETIENNE, qui est mort en la gravissant, la « Sentinelle Rouge ». Ce n’était pas un enfant de chœur, je peux vous dire. Après le col, il faut remonter vers le Mont Maudit. CHRISTIAN donne des signes, mais enfin, ce n’est pas le moment. Il faut ensuite assurer la redescente au nord-est vers le col Maudit : le soleil est plus haut, on fait attention, la neige est molle.

 

 

Mais ce n’est pas fini : il faut encore remonter vers le Mont Blanc du Tacul. On n’arrivera pas au sommet. Il faut redescendre. Par la face nord, vers l’Aiguille du Midi. Dernier obstacle : la rimaye, cette grosse crevasse qui marque la rupture de pente. Pas d’autre moyen que de sauter. En queue de cordée, je saute le premier, assuré par ALAIN, qui fait de même avec CHRISTIAN, puis je m’occupe d’ALAIN. Réception impeccable.

 

 

Il ne reste plus qu’à franchir les 300 mètres (en hauteur) qui nous séparent du téléphérique et de la vallée. Je ne dirai pas que c’est le plus dur, mais alors, je vous jure : la soif de ma vie, c'est là et nulle part ailleurs, et ce n’est pas le filet d’eau de neige mise à fondre dans ma gourde qui pouvait me désaltérer. Même pas la double bière que je m’offre, arrivé au bar. Et nous constatons avec plaisir ou vanité que la file d’attente pour redescendre est divisée en « touristes » et « alpinistes ». Un sorte de hiérarchie des valeurs, si vous voulez. Voilà, ce n’est pas grand-chose. Mais c’est beaucoup.

 

 

Mon expérience de l'alpinisme ne fut certes pas himalayenne, elle ne fut pas de « haut niveau », c'est certain. Ce que le français désignait comme « médiocre », avant que le mot ne devienne franchement dépréciatif (ce qu'il n'était pas au départ), c'est là que je situe mon expérience de la haute montagne. Pour dire le vrai de la chose, de ce médiocre-là, j'ai appris quelques petites choses essentielles.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

jeudi, 22 novembre 2012

QUELQUES PAS EN MONTAGNE

Pensée du jour :

MUR 15.jpg

"MUR" N°15

« L'imbécillité sentimentale du Protestantisme, compliquée vaguement des saloperies du Spiritisme, quoi de plus invincible ? ».

 

LEON BLOY

 

 

REFUGE GOÛTER NOUVEAU 3.jpgJe dédie cette note à PATRICK, qui n’était pas alpiniste, mais qui travaillait aux refuges du Club Alpin Français, et qui est mort, le 15 novembre 2011, en tombant de la coursive du nouveau refuge du Goûter, parce qu’il a voulu, en bon professionnel, vérifier le bon fonctionnement d’une pièce qui ouvrait sur un vide insondable. PATRICK, tu manques à tous ceux qui ont eu le bonheur de te connaître.

 

*** 

 

Je ne sais plus en quelle année j’ai fait mon premier « stage » d’alpinisme. C’était à l’UNCM (rebaptisé plus tard UCPA) au centre Jean Bouvier de La-Salle-les-Alpes, un beau cube en béton déguisé en chalet de montagne, isolé au milieu de nulle part. Enfin, quand je dis « nulle part » : à égale distance de deux villages : Le Bez et La-Salle. C’est la vallée de la Guisane, entre le col du Lautaret et Briançon. La Guisane continue après, mais bon, c’est après avoir quitté les altitudes, ce n’est plus intéressant.

 

 

Au bout d’une semaine de pluie obsédante et déprimante, les responsables, voyant les jeunes occuper leur temps à opérer un rapprochement entre les sexes, ont décidé d’envoyer les « stagiaires » faire de l’escalade dans les Calanques. Une semaine de camping à Mazargues. Au soleil. Je suis retourné dans ces deux endroits : méconnaissables !!! Du béton partout !!! Des tours comme aux Minguettes, à Vénissieux. Un raz de marée en dur et en gris !!! C’est le Progrès, on me dit.

 

 

Et les Calanques ! Sormiou, Morgiou, Sugiton ! On y allait à pied. En-Vau, c’était plus loin. Trop loin. Trop près de Cassis, sans doute. Le matin, escalade, l’après-midi, bain de mer, et dans une eau tellement transparente ! ANNE était ma préférée. J’ai beaucoup aimé, quand elle a marché sur un oursin qui paressait sur un rocher. Mais pas facile de lui retirer tous les piquants du talon.

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Eh oui, ça a duré, que voulez-vous. La plage déserte, une cabane où l’on pouvait se procurer un coca ou une bière. Le gars survivait, à l’abri de la foule. Pour voir ça, aujourd’hui, il faut une imagination débordante, une imagination qui tiendrait de l’hallucination. Aujourd'hui, dans les Calanques, ce n'est pas le métro à six heures, mais c'est déjà Carrefour le samedi matin.

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LES CALANQUES AUJOUD'HUI !!!

Je n’aimais pas le calcaire des Calanques, pour l’escalade. Ni celui du massif des Cerces (c’est ailleurs). Ça fusille le bout des chaussures. Je préférais de loin le bon et franc granit du Moine : le granit ne ment pas. Le calcaire est plus traître. Et puis ce n’est pas la montagne. Mais quelles vacances, mes aïeux ! L’été suivant, ce fut le centre du Tour, arrêt en gare de Montroc-le-Planet. Il y eut encore Les Contamines, et puis je ne sais plus.

 

 

Et surtout, après, j’ai fait équipe avec ALAIN, quelqu’un de sûr et solide. Plus expérimenté aussi. Une cordée, ça s’appelle. Chamonix. Des bambées formidables ! Dans les Aiguilles Rouges. Et puis du nord au sud du massif du Mont Blanc. Oh, on a toujours fait à notre niveau, c’est-à-dire moyen, mais de bien jolies choses quand même. La face sud du Fou ou de l’Aiguille du Midi, la face nord des Jorasses ou le Grand Pilier d’Angle, ce n’était pas pour nous, trop largement au-dessus de nos forces et de nos moyens techniques.

 

 

En haute montagne, il n’est pas conseillé de péter plus haut que son cul. En haute mer, il paraît que c’est pareil. Je me rappelle qu’un jour, nous étions allés exercer nos crampons sur la langue terminale du glacier des Bossons. Un glacier, après une bonne pluie, c’est aussi lisse qu’un miroir. Mais là, comme il avait fait chaud plusieurs jours, la glace était toute crevassée, comme croûteuse. Cela craquait sous nos pas.

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Quelle mauvaise idée il a eue, le brave homme, de venir s’y balader en baskets et torse nu ! Il a évidemment dérapé. Je ne vous raconte pas le tableau de son dos après le dérapage : il a fallu un hélicoptère pour le redescendre. Et ce n’était pas grand-chose : on était tout en bas !

 

 

Enfin, pour trouver le « tout en bas » du glacier d’aujourd’hui, il faut quand même monter plus haut qu’avant. C’est aussi là qu’on le voit, le réchauffement climatique. Sans parler de l’itinéraire pour gagner le refuge du Couvercle à partir de la gare du Montenvers : ce qu’il faut descendre puis remonter du côté des Egralets (on n’appelait pas encore ça « Via Ferrata »).

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LES EGRALETS 

 

Bon, il paraît qu’aucun glacier n’y échappe, même en Himalaya. Et je ne vois pas les Chinois faire comme les Suisses, qui couvrent en été leurs glaciers d’immenses bâches, pour arrêter l’action corrosive du soleil.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.


 

vendredi, 24 août 2012

LA METHODE VIALATTE 3/5

Pensée du jour : « Tout y est dans le ton, dans le timbre, dans l'accent. C'est une immense leçon de style. Il n'est que style. Mais cherchez-y le style et vous ne l'y trouverez pas. C'est un serviteur invisible. Il a dressé la table, allumé les lumières, ordonné les fleurs dans les vases. Il est parti, ne nous laissant que la fête. Elle tient toute dans un éclairage. Le style est une fête donnée par un absent ».

 

Alexandre Vialatte, parlant de Jacques Chardonne (la  formule magique est soulignée par moi). 

 

***

 

Résumé : les livres, c’est comme les voyages. Certains écrivent des sommes écrasantes comme des systèmes solaires. D’autres se contentent de musarder au gré des chemins creux. Le véritable dilettante (c'est celui qui aime avant tout se délecter, comme son nom l'indique) est capable de bouleverser son programme à cause du son lumineux de la cloche qu’il vient d’entendre au loin, alors que la nuit va tomber. 

 

Je dirai, pour introduire mon introduction (je ne veux pas fixer de date pour la conclusion, parce que, finalement, tant qu’on est en vie, on ne se croit jamais arrivé à la conclusion), que la digression est la vie, parce que la vie, à tout prendre, est une plus ou moins longue digression entre deux points d’une histoire qui la dépasse par tous les bouts.

 

Finalement, combien de gens arrivés à l’article de la mort ont l’impression de n’avoir pas vraiment achevé l'introduction, encore moins ébauché le développement ? Tout au moins de ne pas les avoir écrits comme ils auraient voulu, rétrospectivement ? Et qui voudraient tout réécrire ? Combien de paragraphes de leur vie voudraient-ils corriger ? Combien de phrases à supprimer ? Combien de vocables à mieux choisir ? 

 

Dans le fond, chacun de nous n’est-il pas, en soi, une digression ? Une digression qui se déroule à son insu et qui ne se voit dans son entier (et encore, par temps clair : il faut au moins qu’on puisse voir le Mont Blanc depuis le Gros-Caillou, 154 km exactement en ligne droite, j'ai mesuré, moi-même en personne) qu’au moment où elle s’achève ?

 

C’est pourquoi, en attendant que se referme sur moi-même la parenthèse ouverte depuis lurette par l’homme et la femme qui m’ont occasionné, je ballotte aujourd’hui avec une sérénité somme toute appréciable au gré de mon petit cours d'eau, en me cramponnant à ma coquille de noix : « La tempête a béni mes éveils maritimes. Plus léger qu’un bouchon, j’ai dansé sur les flots Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes, Dix nuits, sans regretter l’œil niais des falots ». Ceci pour dire que s’il y a errance, c'est le bateau qui est ivre. Je me sens accompagné par quelque autorité en la matière. Cette compagnie me tient. 

 

Je ne sais pas si mon rafiot avance dans le courant principal, ou si, rejeté sur le côté du fleuve, paralysé par divers courants et tourbillons, je ne finirai pas comme les conquistadors montés sur l’un des radeaux d’Aguirre (Klaus Kinski), dans le sublime film de Werner Herzog, Aguirre, la colère de Dieu (1972).

 

La digression, c’est la vie : « Va petit mousse, Où le vent te pousse, Où te portent les flots. Sur ton navire, Vogue ou chavire, Vogue ou chavire jusqu’au fond des flots » (Planquette, Les Cloches de Corneville). Louis-Ferdinand Céline aimait cette opérette. 

 

Vous voulez en trouver une preuve en vous-même ? Par vous-même ? Souvenez-vous juste du moindre de vos repas entre copains ou en famille : à table, on cause, non ? Au bout d’une demi-heure, quelqu’un s’avise de se demander d’où on est parti.

 

Vous vous rappelez forcément ces moments : vous êtes partis du président Fallières (supposons), et vous en êtes arrivés au tigre du Bengale (ou à la pomme de Newton), après être passés par vos dernières vacances au camping de Sisteron, la folie de Khadafi, les « allées couvertes » du Cap Sizun, le prix du carburant, l’irruption de loups des Abruzzes dans le parc du Mercantour et l’invention de Lucy par Yves Coppens en 1974, au son d'une chanson des Beatles. Peut-être même l'entrée de René Caillé à Tombouctou le 20 avril 1828, qui vaut celle d'Alexandra David-Néel à Lhassa, le 28 janvier 1924. Presque cent ans plus tard. C'est normal, c'est une femme, et on est au 20 ème siècle.

 

Vous vous dites que vous tenez, dans ces errances conviviales, un compendium de l’histoire humaine, que je résumerai par une seule question : « Comment en est-on arrivé là ? ». C’est sûr, une conversation de table résume à chaque fois, à sa manière, l’histoire de l’humanité. Pour peu qu’on insiste un peu. Qu’on sache remonter au point de départ (pour Vialatte, le point de départ, c'est forcément « la plus haute antiquité »). Qu'on ait le souci de retourner dans les détails de la chose.

 

Que voulez-vous ? L’homme, dans sa caverne comme devant son poste, en a une vive conscience. Il aime à se demander comment il en est arrivé là. Et il tente laborieusement de reconstituer la trajectoire sinueuse, le cheminement biscornu observable depuis qu’il est parti. Parfois. Pas toujours. Parions que cette tentative de reconstitution est à l’origine de la littérature. Mais ne nous laissons pas impressionner par les plus lourds que l’air.

 

J’entends à l'instant dans mon casque une interpellation vibrante : « Bon alors, blogueur à rallonge, ta "méthode Vialatte", elle va finir par arriver, ou il faut aller la chercher ? », (je cite textuellement, bien sûr, je ne me permettrais pas, pensez). Sache, lecteur pressé d’arriver au bout (au bout de quoi, je le demande ?), que le fleuve, dans ses méandres les plus acrobatiques et ses détours les plus sophistiqués, ne perd jamais de vue la mer dans laquelle il jettera tôt ou tard son être tout entier.

 

Mon propos étant intitulé La Méthode Vialatte, j’ose affirmer que ce n’est pas pour rien, et que je n’ai garde de l’oublier. C’est pour demain, la révélation. Je le jure. A moins que … une digression se présente. De toute façon, Alfred de Musset l’a dit : Il ne faut jurer de rien (1836). J'obtempère : je jure donc de ne jurer de rien.

 

Voilà ce que je dis, moi.