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samedi, 24 novembre 2012

QUELQUES PAS DANS LA MONTAGNE (3/3)

Pensée du jour :

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"VERRE" N°1

 

 

« Réponse de l'ami antisémite à ma lettre du 30 décembre. Il n'a rien compris. Avec l'obstination et l'obturation invincibles des sectaires de son école, il me reparle "exclusivement" des deux races (celle de Jésus et celle de Judas), comme si cela avait un sens. Rien à faire. C'est la présence du démon ».

 

LEON BLOY 

 

MONT BLANC VU DE LYON.jpg

SA MAJESTÉ VUE DE LYON

Le roi des souvenirs de montagne, je vais vous dire, cela restera à jamais Sa Majesté le Mont Blanc. Une belle aventure. Pour l’occasion, CHRISTIAN (pas le même qu’hier) s’était joint à nous. Je dis « une aventure », parce que, pour agrémenter la balade, nous avions décidé de faire la traversée jusqu’à l’Aiguille du Midi, donc en passant par le Mont Maudit et le Mont Blanc du Tacul, pourquoi se gêner ?

 

 

Trois « 4000 » dans la foulée, remarquez, c’est assez courant, pour ne pas dire banal aujourd'hui. Mais il est indipensable d'avoir une belle forme. Or, à part CHRISTIAN, nous avions un mois de courses derrière nous. Aujourd’hui, je crois bien que les cordées ont tendance à partir de l’Aiguille du Midi pour finir au Mont Blanc. Je ne sais pas quel est le mieux. Peut-être est-ce pour être de retour dans la journée ? Cela me paraît un peu beaucoup, mais bon.

 

 

En tout cas, ça n’a pas réussi à une dizaine d’alpinistes chevronnés, il y a quelque temps, qui ont reçu sur la tête une avalanche de glace tombée de la face nord du Tacul, qui les a projetés jusqu’au Plan de l’Aiguille, à quelques centaines de mètres  en contrebas. A l’époque, nous faisions dans le « classique » : monter au « Nid d’Aigle » par le TMB, puis direction refuge de Tête Rousse, et enfin, Aiguille du Goûter par l’arête jusqu’au refuge du même nom.

 

 

Je me suis laissé dire qu’au départ, la traversée du Grand Couloir était devenue périlleuse. Mais le plus dur, je crois, c’était que, de Tête Rousse, on voit déjà briller la paroi du refuge du Goûter, environ 700 mètres plus haut. Il n’est pas conseillé de trop regarder au-dessus dans ces cas-là. Mais enfin on y arrive.

 

 

Et au moment où on arrive, il est à peu près 17 heures, et là je vous garantis que le spectacle en vaut la peine : « Ô récompense après une pensée, qu’un long regard sur le calme des dieux ». Bon, c’est vrai que PAUL VALERY écrivait ça à propos de la mer (« toujours recommencée », comme il se doit). Mais là, vous êtes assis face au couchant, vous fumez votre pipe (depuis, j’ai arrêté), vous regardez le soleil qui décline éclairer la mer de nuages en lumière rasante, et vous vous dites que la vie vaut vraiment la peine d’être vécue. Je n'ai pas pensé à prendre mon appareil photo.

 

 

Ensuite, bien sûr, on n’a pas fini : il faut dormir. Et allez dormir à 3800 mètres : il est conseillé de faire des provisions de dodo en boîte avant de venir. Et je ne parle pas du surpeuplement, dans un lieu prévu pour 80 personnes, et où l’on s’entasse jusqu’à s’assoupir tant bien que mal assis à une table ou sur une marche en bois.

 

 

Heureusement, si l’on peut dire, la nuit sera courte : lever à 2 heures. Il fait encore froid, un temps magnifique, un petit air qui monte de la vallée. Nous sommes prêts les premiers. Le Dôme, le refuge Vallot, avec sa drôle de « porte d’entrée » (si l’on peut dire), l’arête des Bosses proprement dite, et nous voilà au sommet, 1000 mètres accomplis à bonne allure. La montée comme dans un rêve. Et l’arrivée juste au soleil qui se lève à l’horizon.

M CHAÎNE MONT BLANC 1971.jpg

LA VERTE (4122) AU FOND, ESQUISSE DES JORASSES A DROITE, AIGUILLE DU MIDI (3842), MONT BLANC DU TACUL (4248), MONT MAUDIT (4465, PREMIER PLAN)

(pour aujourd'hui, on se contentera des trois premiers, photos prises à ma deuxième ascension, je veux dire plus tard dans le matin)

Bon, je sais qu’aujourd’hui, c’est une armée quotidienne de plusieurs centaines de manifestants (selon les syndicats et selon la police) qui se lance victorieusement à l’assaut de cette montagne qui n’est plus sacrée depuis longtemps, et que l’aventure est devenue une routine, mais je peux vous dire que le spectacle est à la hauteur de l’altitude atteinte. C’est bien simple : vous voyez tout en dessous de vous. Et, encore plus fort, rien au-dessus. Si : au-dessus, il y a l'air libre. Le ciel immense. L'azur à l'infini. On s'en remet, mais ça marque au fer rouge.

 

 

L’Aiguille Verte ? Regardez : on la voit toute petite, au loin. Alors autant ne rien dire des 4000 italiens (hors-champ). Un moment de repos, on grignote, et c’est reparti. Mais : « Vous êtes sûrs que vous allez par là ? ». C’est un type à bonnet et lampe frontale qui demande. « Ben oui ». Direction col de la Brenva, par le Mur de la Côte, déjà touché par le soleil, mais la neige, comme on dit, est « bon dur ».

M MONT BLANC VU DE LA BRENVA.jpg

DEPUIS LA BRENVA, PETIT COUP D'OEIL EN ARRIERE ET SUR LE CÔTÉ ITALIEN

Au col, on se dit que, côté italien, il y a la voie de la « Sentinelle Rouge », et j’ai (aujourd’hui) une pensée pour ETIENNE, qui est mort en la gravissant, la « Sentinelle Rouge ». Ce n’était pas un enfant de chœur, je peux vous dire. Après le col, il faut remonter vers le Mont Maudit. CHRISTIAN donne des signes, mais enfin, ce n’est pas le moment. Il faut ensuite assurer la redescente au nord-est vers le col Maudit : le soleil est plus haut, on fait attention, la neige est molle.

 

 

Mais ce n’est pas fini : il faut encore remonter vers le Mont Blanc du Tacul. On n’arrivera pas au sommet. Il faut redescendre. Par la face nord, vers l’Aiguille du Midi. Dernier obstacle : la rimaye, cette grosse crevasse qui marque la rupture de pente. Pas d’autre moyen que de sauter. En queue de cordée, je saute le premier, assuré par ALAIN, qui fait de même avec CHRISTIAN, puis je m’occupe d’ALAIN. Réception impeccable.

 

 

Il ne reste plus qu’à franchir les 300 mètres (en hauteur) qui nous séparent du téléphérique et de la vallée. Je ne dirai pas que c’est le plus dur, mais alors, je vous jure : la soif de ma vie, c'est là et nulle part ailleurs, et ce n’est pas le filet d’eau de neige mise à fondre dans ma gourde qui pouvait me désaltérer. Même pas la double bière que je m’offre, arrivé au bar. Et nous constatons avec plaisir ou vanité que la file d’attente pour redescendre est divisée en « touristes » et « alpinistes ». Un sorte de hiérarchie des valeurs, si vous voulez. Voilà, ce n’est pas grand-chose. Mais c’est beaucoup.

 

 

Mon expérience de l'alpinisme ne fut certes pas himalayenne, elle ne fut pas de « haut niveau », c'est certain. Ce que le français désignait comme « médiocre », avant que le mot ne devienne franchement dépréciatif (ce qu'il n'était pas au départ), c'est là que je situe mon expérience de la haute montagne. Pour dire le vrai de la chose, de ce médiocre-là, j'ai appris quelques petites choses essentielles.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

vendredi, 23 novembre 2012

QUELQUES PAS DANS LA MONTAGNE (2/3)

Pensée du jour :

RUPESTRE 7.jpg

"RUPESTRE" N°7

(je défie qui que ce soit de trouver l'emplacement du gisement)

« Une chère âme nous visite ... Je ne peux rien dire de plus. Il y a des créatures que Dieu a formées tout exprès pour les envoyer, en temps utile, à ceux de ses amis qu'afflige la tristesse. Elles ont, sans le savoir, la mission de présenter le douloureux miroir où la Face de Jésus est empreinte, et c'est la consolation suprême réservée seulement à quelques-uns ».

 

LEON BLOY

 

 

Des jolies choses que nous avons faites ensemble, ALAIN et moi (je devrais dire « sous sa direction », parce que), j’en garde quelques-unes en mémoire : une belle arête Forbes (le Chardonnet), une Aiguille d’Argentière par le couloir en Y, quelques autres.

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ARÊTE FORBES, CÔTÉ GLACIER DU TOUR (le soir)

Je me souviens en particulier d’une arête sud du Moine, que nous avions attaquée beaucoup trop bas. Une perte de temps qui aurait pu s’avérer  fatale. Une fois au sommet, à peine le temps de casse-croûter, je ne sais plus par quel côté accouraient les nuages, mais il a fallu nous précipiter dans la voie de descente, accompagnés gentiment par la foudre qui tombait dru, alternativement sur une arête et sur l’autre, pendant que les prises se garnissaient de grésil et que nous enchaînions les rappels rapides, tant bien que mal.

 

 

Il ne faisait pas encore nuit quand nous sommes rentrés au refuge du Couvercle, mais le gardien s’apprêtait à s’occuper de notre cas. Le plus fort, c’est qu’ALAIN a profité de ce qu’il restait de lumière pour redescendre dans la vallée. Malgré les Egralets et la Mer de Glace.

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LES EGRALETS

Et quand, à la nuit complètement tombée, il est arrivé au Montenvers, pas question de prendre le sentier : il a tout bonnement suivi la voie ferrée. Ah c’est sûr, il n’avait vraiment pas envie que sa famille s’inquiète. Quant à moi, qui n’avais plus un sou, c’est le gardien qui, au matin, m’a offert mon petit déj’ : il ne voulait pas me laisser partir le ventre vide.

 

 

Ma plus belle frayeur, cependant, ce n’est pas avec ALAIN que je l’ai vécue. C’était dans le cadre du CAF, un stage basé à La Bérarde, dans l’Oisans (une route intéressante pour y arriver). Je ne me rappelle plus comment s’appelait mon camarade de cordée. Nous faisions l’ascension du Glacier Long, j’étais en tête. Vingt mètres au-dessus du camarade, mon pied gauche ripe. Or, j’avais des crampons à l’ancienne, et aux pointes émoussées (toutes les piques à angle droit, depuis on a trouvé mieux).

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GLACIER LONG

Je me cramponne (le cas de le dire) à la pointe de mon piolet et à celle de la dernière dent de mon crampon droit. Je le regarde, le camarade, à vingt mètres en dessous : il me regarde. Si je tombe, sa broche à glace saute, c’est sûr, et on se retrouve en bas. Dans quel état, je le sais, il le sait. Mais je ne pense plus à rien, je suis vide. Nous sommes tout seuls : les autres ont déjà basculé au soleil, par en haut.

 

 

Je vous jure, sur le moment, même pas peur : je sens juste la pointe de mon piolet et la pointe de mon crampon qui m’accrochent à la vie. Je peux le dire : je n’ai que très rarement éprouvé ma propre vie avec autant d’intensité.

 

 

Je pense au « novillo » des arènes de Nîmes face auquel je me suis retrouvé étourdiment (mais c’est vraiment de la rigolade, surtout avec les cornes « emboulées »), et je pense à CLARA, dans une tour un peu écroulée du château d’un petit patelin du Bade Wurtemberg, code postal 7108 (là, c’était plus sérieux, mais autre chose, comme plongeon). Je pense à quelques autres moments. Peut-être ce que le grand photographe HENRI CARTIER-BRESSON appelait « l’instant décisif ». Bon, je suis là pour en parler.

 

 

Mais il n’y a pas que la frayeur, dans la vie. Il y a aussi de belles courses. J’étais à ce moment à Samoëns. On était en août. La pleine lune s’annonçait pour la nuit suivante. CHRISTIAN me dit : « Et si on montait au Buet, assister au lever de soleil ? ». C’est parti mon kiki. A 22 heures, nous voilà à pied d’œuvre.

 

 

CHRISTIAN, il connaît le coin comme sa poche. Ce n'est qu'après qu'il est devenu curé. Le Buet (3109 mètres), par le côté Sixt, c’est de la rando, pas de l’alpinisme. C’est plus compliqué que difficile, à cause de l’itinéraire à trouver, surtout de nuit, comme bien vous pensez. On a du mal à se représenter ça, mais une fois que les yeux se sont habitués à la clarté lunaire, ça marche beaucoup mieux qu’on n’imagine. Les rochers sont, d’un côté, habillés d’une blancheur vague, et de l’autre, tout à fait obscurs. L’ambiance est étonnante.

 

 

Et comme le côté Sixt est orienté (en gros) sud-ouest, ce n’est pas le ciel qui va vous informer de l’écoulement du temps. Et là encore, la récompense vient avec le sommet : certes, pour avoir le massif du Mont Blanc bien en face, il vaut mieux aller au refuge du Lac Blanc (les Jorasses au fond), à La Flégère ou au Brévent.

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TOUTES LES AIGUILLES, DE REPUBLIQUE-CHARMOZ-GREPON JUSQU'AU GOÛTER, EN PASSANT PAR BLAITIERE, PLAN, ET LES TROIS SEIGNEURS DE 4000

(sans doute vu du Lac Blanc, je ne me rappelle plus)

 

Le Buet, c'est plus au nord, mais il n’y a pas à dire, l’arrivée au sommet vous offre d’un seul coup tout ce qui se trouve « de l’autre côté », et quel qu’il soit, « l’autre côté » vous donne quelque chose qui peut difficilement se formuler. C’est non seulement du « panorama », c’est aussi un peu de « monde en plus » qui vous arrive. Et jamais personne ne vous enlèvera ça. Vous mourrez avec.

 

 

Je reviens à ma cordée avec ALAIN. Par rapport au Glacier Long, la longue glissade dans laquelle je l’ai entraîné, c’est du pipi de chat. Et c’est encore mon pied qui ripe, cette fois, mais dans la neige un peu molle qui précède le rocher, au moment d’attaquer l’arête de la Chapelle, dans les Aiguilles Rouges. Nous étions évidemment encordés.

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EPAULE SUD, CHAPELLE ET CLOCHER (DANS L'ORDRE)

(tout en haut à droite)

Nous avons atterri dans les pierrailles, pas tout à fait sans dommages, mais pour ainsi dire : si peu que rien. Un accident, c’est intéressant quand c’est déjà un peu grave, sinon on la ferme. Ce n’est pas comme les motards qui, eux, prennent plaisir à se raconter leurs glissades, en se bourrant les épaules à coups de : « Tu te souviens ? ». Je suis rentré la queue basse à la maison. Je m'en voulais.

 

 

En revanche, la traversée Midi-Plan est une jolie course, comme un balcon vertigineux au-dessus de la vallée de Chamonix, qui se termine par un passage au refuge du Requin, pour la pause bière, puis par la Vallée Blanche et la Mer de Glace. C’était un jour de fin juillet. Je me rappelle que le glacier était très « ouvert », et qu’il a fallu contourner je ne sais combien de crevasses avant d’arriver.

 

 

Et nous pensons tous deux en passant que c’est au bord d’une de ces crevasses que se sont arrêtées un jour les traces de ski du grand LIONEL TERRAY (Carnets du vertige). Lui, il a participé à la première de l'Annapurna. Dont un certain MAURICE HERZOG s'est approprié tous les mérites. Et ça ne m'étonne pas : après, il a fait de la politique !

 

 

Voilà ce que je dis, moi.