mercredi, 25 février 2015
L'INDUSTRIE CONTRE LA NATURE
La presse vient à point nommé au secours des gens qui s'inquiètent pour la planète dans un avenir hélas pas très lointain. Et qui s'inquiètent d'autant plus que les résistances au changement dans les façons de produire et de consommer sont infiniment plus grandes, plus riches et plus puissantes que les actions qui tentent de se mettre en place pour faire face aux changements climatiques.
Les industries, qui sont toutes, à des degrés divers, responsables de la pollution et du réchauffement climatique, pour cause de combustibles fossiles extraits et brûlés en masse pour faire tourner nos machines, freinent des quatre fers quand il s'agit de se demander si cette façon de consommer la planète ne serait pas, sait-on jamais, porteuse de quelques nuisances à long terme (on observera la modération extrême des termes employés).
Sait-on jamais ? La réponse est : oui, on sait. Et la planète Gaïa, dans un avenir hélas pas très lointain, s'apprête à le faire savoir à l'humanité, sans colère, mais implacablement : de ça on peut être sûr. Des nantis bien armés et protégés s'y préparent déjà. Tant pis pour les autres. Et ça va saigner dans les chaumières.
Venons-en à la presse et à l'actualité.
1 - L'industrie consomme de l'énergie, le CO2 ainsi produit provoque, par effet de serre, le réchauffement climatique, c'est désormais une certitude acquise scientifiquement. Et le réchauffement est de plus en plus visible à cause du devenir des glaciers de l'Himalaya, des Andes (d'énormes lacs d'altitude se sont formés, surplombant des régions densément peuplées) et des Alpes.
M, le magazine du Monde, publie, le samedi 21 février, un article sur l'évolution de la Mer de Glace : le plus grand glacier de France a perdu 700 mètres en longueur depuis 1993. Sans doute 700 de plus d'ici vingt ans. Et en épaisseur, c'est le plus spectaculaire : le glacier a tellement diminué que, pour y accéder, il a fallu construire un escalier. Il comporte actuellement 435 marches. On en ajoute chaque année.
On n'a pas oublié la guérite du caissier. J'hallucine quand même : j'ai connu ces lieux vierges de toute installation autre qu'extrêmement rudimentaire. Il fallait juste chausser les crampons pour traverser le glacier sans risquer de glisser sur la patinoire, après une bonne pluie d'été. Au contraire, plusieurs jours de beau temps chaud faisaient une glace bulleuse, bulbeuse et grumeleuse, voire acérée, ça craquait sous la semelle, ça crissait : rien de plus sûr et stable pour la chaussure.
Et je me demande comment on fait aujourd'hui pour rejoindre le sentier du refuge du Couvercle, bien plus loin en amont, de l'autre côté (mais je dois avouer que j'ai oublié la configuration exacte des lieux). Le Couvercle, c’était le camp de base de tous ceux qui voulaient attaquer soit l’un des sommets de la « Chaîne ecclésiastique » (Le Moine, La Nonne, L’Evêque), soit l’un de ceux de la ligne « Verte-Triolet » (Aiguille Verte, Aiguilles Droites, Ravanel-Mummery, Aiguilles Courtes, Col des Cristaux, Triolet). J'ai raconté il y a longtemps (trois ans ?) mon aventure au Moine, en compagnie de mon ami Alain.
Le refuge du Couvercle, de mon temps, on y accédait par une « Via Ferrata». Ça ne s'appelait pas comme ça, à l'époque. Ça s'appelait Les Egralets : échelles, passerelles et rampes métalliques scellées dans le rocher. Ce n’était pas de la tarte, déjà, pour le souffle. J’ai peine à imaginer ce qu’il en est aujourd’hui.
2 – a) Le Monde daté du 24 février publie deux articles. Dans l'un, l'un des principaux scientifiques qui s'est mis à la tête du courant « climato-sceptique» (Wei-Hock Soon) a été pris en flagrant délit : il a "oublié" de déclarer, comme l'y obligeait la charte éthique des revues scientifiques où il publiait ses articles, qu'il avait reçu plus d'un million de dollars (1.300.000 $) des industriels des combustibles fossiles, pour affirmer que le réchauffement climatique était exclusivement dû à l'activité du soleil, et en aucun cas aux activités humaines. Des journalistes ont essayé de le joindre : il est aux abonnés absents.
Je me réjouis de cette information, qui apporte une confirmation éclatante à ce que décrivent par le menu Naomi Oreskes et Erik M. Conway dans leur livre magistral paru en français en 2012, Les Marchands de doute, que je viens de terminer : depuis les années 1950, les industries les plus polluantes ont dépensé des sommes faramineuses pour littéralement enfumer l’opinion publique, avec la complicité plus ou moins passive des médias de masse, et avec la complicité active et grassement rémunérée de véritables scientifiques, dans le seul but d’empêcher les décideurs politiques de prendre des mesures de régulation ou de réglementation qui auraient nui à leurs affaires et à leurs profits. S’il ne s’agit pas de scientifiques corrompus, je voudrais bien qu’on me dise ce que c’est.
b) Dans l'autre, on apprend que les températures à New York pourraient s'élever de 7°C d'ici à la fin du siècle, et le niveau de l'océan pourrait dans le même temps grimper d'1,82 mètre.
Tout ça me fait dire qu’on n’a peut-être pas tout vu, et que l’humanité n’est pas au bout de ses peines.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans UNE EPOQUE FORMIDABLE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : réchauffement climatique, défense de l'environnement, écologie, fonte des glaces, gaïa, journal le monde, magazine m, mer de glace, montenvers, refuge couvercle, massif mont blanc, aiguille verte, aiguille du moine, col des cristaux, via ferrata, les égralets, climatosceptiques, wei-hock soon, oreskes et conway les marchands de doute
vendredi, 23 novembre 2012
QUELQUES PAS DANS LA MONTAGNE (2/3)
Pensée du jour :
"RUPESTRE" N°7
(je défie qui que ce soit de trouver l'emplacement du gisement)
« Une chère âme nous visite ... Je ne peux rien dire de plus. Il y a des créatures que Dieu a formées tout exprès pour les envoyer, en temps utile, à ceux de ses amis qu'afflige la tristesse. Elles ont, sans le savoir, la mission de présenter le douloureux miroir où la Face de Jésus est empreinte, et c'est la consolation suprême réservée seulement à quelques-uns ».
LEON BLOY
Des jolies choses que nous avons faites ensemble, ALAIN et moi (je devrais dire « sous sa direction », parce que), j’en garde quelques-unes en mémoire : une belle arête Forbes (le Chardonnet), une Aiguille d’Argentière par le couloir en Y, quelques autres.
ARÊTE FORBES, CÔTÉ GLACIER DU TOUR (le soir)
Je me souviens en particulier d’une arête sud du Moine, que nous avions attaquée beaucoup trop bas. Une perte de temps qui aurait pu s’avérer fatale. Une fois au sommet, à peine le temps de casse-croûter, je ne sais plus par quel côté accouraient les nuages, mais il a fallu nous précipiter dans la voie de descente, accompagnés gentiment par la foudre qui tombait dru, alternativement sur une arête et sur l’autre, pendant que les prises se garnissaient de grésil et que nous enchaînions les rappels rapides, tant bien que mal.
Il ne faisait pas encore nuit quand nous sommes rentrés au refuge du Couvercle, mais le gardien s’apprêtait à s’occuper de notre cas. Le plus fort, c’est qu’ALAIN a profité de ce qu’il restait de lumière pour redescendre dans la vallée. Malgré les Egralets et la Mer de Glace.
LES EGRALETS
Et quand, à la nuit complètement tombée, il est arrivé au Montenvers, pas question de prendre le sentier : il a tout bonnement suivi la voie ferrée. Ah c’est sûr, il n’avait vraiment pas envie que sa famille s’inquiète. Quant à moi, qui n’avais plus un sou, c’est le gardien qui, au matin, m’a offert mon petit déj’ : il ne voulait pas me laisser partir le ventre vide.
Ma plus belle frayeur, cependant, ce n’est pas avec ALAIN que je l’ai vécue. C’était dans le cadre du CAF, un stage basé à La Bérarde, dans l’Oisans (une route intéressante pour y arriver). Je ne me rappelle plus comment s’appelait mon camarade de cordée. Nous faisions l’ascension du Glacier Long, j’étais en tête. Vingt mètres au-dessus du camarade, mon pied gauche ripe. Or, j’avais des crampons à l’ancienne, et aux pointes émoussées (toutes les piques à angle droit, depuis on a trouvé mieux).
GLACIER LONG
Je me cramponne (le cas de le dire) à la pointe de mon piolet et à celle de la dernière dent de mon crampon droit. Je le regarde, le camarade, à vingt mètres en dessous : il me regarde. Si je tombe, sa broche à glace saute, c’est sûr, et on se retrouve en bas. Dans quel état, je le sais, il le sait. Mais je ne pense plus à rien, je suis vide. Nous sommes tout seuls : les autres ont déjà basculé au soleil, par en haut.
Je vous jure, sur le moment, même pas peur : je sens juste la pointe de mon piolet et la pointe de mon crampon qui m’accrochent à la vie. Je peux le dire : je n’ai que très rarement éprouvé ma propre vie avec autant d’intensité.
Je pense au « novillo » des arènes de Nîmes face auquel je me suis retrouvé étourdiment (mais c’est vraiment de la rigolade, surtout avec les cornes « emboulées »), et je pense à CLARA, dans une tour un peu écroulée du château d’un petit patelin du Bade Wurtemberg, code postal 7108 (là, c’était plus sérieux, mais autre chose, comme plongeon). Je pense à quelques autres moments. Peut-être ce que le grand photographe HENRI CARTIER-BRESSON appelait « l’instant décisif ». Bon, je suis là pour en parler.
Mais il n’y a pas que la frayeur, dans la vie. Il y a aussi de belles courses. J’étais à ce moment à Samoëns. On était en août. La pleine lune s’annonçait pour la nuit suivante. CHRISTIAN me dit : « Et si on montait au Buet, assister au lever de soleil ? ». C’est parti mon kiki. A 22 heures, nous voilà à pied d’œuvre.
CHRISTIAN, il connaît le coin comme sa poche. Ce n'est qu'après qu'il est devenu curé. Le Buet (3109 mètres), par le côté Sixt, c’est de la rando, pas de l’alpinisme. C’est plus compliqué que difficile, à cause de l’itinéraire à trouver, surtout de nuit, comme bien vous pensez. On a du mal à se représenter ça, mais une fois que les yeux se sont habitués à la clarté lunaire, ça marche beaucoup mieux qu’on n’imagine. Les rochers sont, d’un côté, habillés d’une blancheur vague, et de l’autre, tout à fait obscurs. L’ambiance est étonnante.
Et comme le côté Sixt est orienté (en gros) sud-ouest, ce n’est pas le ciel qui va vous informer de l’écoulement du temps. Et là encore, la récompense vient avec le sommet : certes, pour avoir le massif du Mont Blanc bien en face, il vaut mieux aller au refuge du Lac Blanc (les Jorasses au fond), à La Flégère ou au Brévent.
TOUTES LES AIGUILLES, DE REPUBLIQUE-CHARMOZ-GREPON JUSQU'AU GOÛTER, EN PASSANT PAR BLAITIERE, PLAN, ET LES TROIS SEIGNEURS DE 4000
(sans doute vu du Lac Blanc, je ne me rappelle plus)
Le Buet, c'est plus au nord, mais il n’y a pas à dire, l’arrivée au sommet vous offre d’un seul coup tout ce qui se trouve « de l’autre côté », et quel qu’il soit, « l’autre côté » vous donne quelque chose qui peut difficilement se formuler. C’est non seulement du « panorama », c’est aussi un peu de « monde en plus » qui vous arrive. Et jamais personne ne vous enlèvera ça. Vous mourrez avec.
Je reviens à ma cordée avec ALAIN. Par rapport au Glacier Long, la longue glissade dans laquelle je l’ai entraîné, c’est du pipi de chat. Et c’est encore mon pied qui ripe, cette fois, mais dans la neige un peu molle qui précède le rocher, au moment d’attaquer l’arête de la Chapelle, dans les Aiguilles Rouges. Nous étions évidemment encordés.
EPAULE SUD, CHAPELLE ET CLOCHER (DANS L'ORDRE)
(tout en haut à droite)
Nous avons atterri dans les pierrailles, pas tout à fait sans dommages, mais pour ainsi dire : si peu que rien. Un accident, c’est intéressant quand c’est déjà un peu grave, sinon on la ferme. Ce n’est pas comme les motards qui, eux, prennent plaisir à se raconter leurs glissades, en se bourrant les épaules à coups de : « Tu te souviens ? ». Je suis rentré la queue basse à la maison. Je m'en voulais.
En revanche, la traversée Midi-Plan est une jolie course, comme un balcon vertigineux au-dessus de la vallée de Chamonix, qui se termine par un passage au refuge du Requin, pour la pause bière, puis par la Vallée Blanche et la Mer de Glace. C’était un jour de fin juillet. Je me rappelle que le glacier était très « ouvert », et qu’il a fallu contourner je ne sais combien de crevasses avant d’arriver.
Et nous pensons tous deux en passant que c’est au bord d’une de ces crevasses que se sont arrêtées un jour les traces de ski du grand LIONEL TERRAY (Carnets du vertige). Lui, il a participé à la première de l'Annapurna. Dont un certain MAURICE HERZOG s'est approprié tous les mérites. Et ça ne m'étonne pas : après, il a fait de la politique !
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie, léon bloy, littérature, montagne, alpinisme, caf, massif du mont blanc, argentière, chaîne ecclésiastique, aiguille du moine, escalade, varappe, refuge du couvercle, club alpin français, maurice herzog, lionel terray, vallée blanche, mer de glace, traversée midi-plan