vendredi, 23 novembre 2012
QUELQUES PAS DANS LA MONTAGNE (2/3)
Pensée du jour :
"RUPESTRE" N°7
(je défie qui que ce soit de trouver l'emplacement du gisement)
« Une chère âme nous visite ... Je ne peux rien dire de plus. Il y a des créatures que Dieu a formées tout exprès pour les envoyer, en temps utile, à ceux de ses amis qu'afflige la tristesse. Elles ont, sans le savoir, la mission de présenter le douloureux miroir où la Face de Jésus est empreinte, et c'est la consolation suprême réservée seulement à quelques-uns ».
LEON BLOY
Des jolies choses que nous avons faites ensemble, ALAIN et moi (je devrais dire « sous sa direction », parce que), j’en garde quelques-unes en mémoire : une belle arête Forbes (le Chardonnet), une Aiguille d’Argentière par le couloir en Y, quelques autres.
ARÊTE FORBES, CÔTÉ GLACIER DU TOUR (le soir)
Je me souviens en particulier d’une arête sud du Moine, que nous avions attaquée beaucoup trop bas. Une perte de temps qui aurait pu s’avérer fatale. Une fois au sommet, à peine le temps de casse-croûter, je ne sais plus par quel côté accouraient les nuages, mais il a fallu nous précipiter dans la voie de descente, accompagnés gentiment par la foudre qui tombait dru, alternativement sur une arête et sur l’autre, pendant que les prises se garnissaient de grésil et que nous enchaînions les rappels rapides, tant bien que mal.
Il ne faisait pas encore nuit quand nous sommes rentrés au refuge du Couvercle, mais le gardien s’apprêtait à s’occuper de notre cas. Le plus fort, c’est qu’ALAIN a profité de ce qu’il restait de lumière pour redescendre dans la vallée. Malgré les Egralets et la Mer de Glace.
LES EGRALETS
Et quand, à la nuit complètement tombée, il est arrivé au Montenvers, pas question de prendre le sentier : il a tout bonnement suivi la voie ferrée. Ah c’est sûr, il n’avait vraiment pas envie que sa famille s’inquiète. Quant à moi, qui n’avais plus un sou, c’est le gardien qui, au matin, m’a offert mon petit déj’ : il ne voulait pas me laisser partir le ventre vide.
Ma plus belle frayeur, cependant, ce n’est pas avec ALAIN que je l’ai vécue. C’était dans le cadre du CAF, un stage basé à La Bérarde, dans l’Oisans (une route intéressante pour y arriver). Je ne me rappelle plus comment s’appelait mon camarade de cordée. Nous faisions l’ascension du Glacier Long, j’étais en tête. Vingt mètres au-dessus du camarade, mon pied gauche ripe. Or, j’avais des crampons à l’ancienne, et aux pointes émoussées (toutes les piques à angle droit, depuis on a trouvé mieux).
GLACIER LONG
Je me cramponne (le cas de le dire) à la pointe de mon piolet et à celle de la dernière dent de mon crampon droit. Je le regarde, le camarade, à vingt mètres en dessous : il me regarde. Si je tombe, sa broche à glace saute, c’est sûr, et on se retrouve en bas. Dans quel état, je le sais, il le sait. Mais je ne pense plus à rien, je suis vide. Nous sommes tout seuls : les autres ont déjà basculé au soleil, par en haut.
Je vous jure, sur le moment, même pas peur : je sens juste la pointe de mon piolet et la pointe de mon crampon qui m’accrochent à la vie. Je peux le dire : je n’ai que très rarement éprouvé ma propre vie avec autant d’intensité.
Je pense au « novillo » des arènes de Nîmes face auquel je me suis retrouvé étourdiment (mais c’est vraiment de la rigolade, surtout avec les cornes « emboulées »), et je pense à CLARA, dans une tour un peu écroulée du château d’un petit patelin du Bade Wurtemberg, code postal 7108 (là, c’était plus sérieux, mais autre chose, comme plongeon). Je pense à quelques autres moments. Peut-être ce que le grand photographe HENRI CARTIER-BRESSON appelait « l’instant décisif ». Bon, je suis là pour en parler.
Mais il n’y a pas que la frayeur, dans la vie. Il y a aussi de belles courses. J’étais à ce moment à Samoëns. On était en août. La pleine lune s’annonçait pour la nuit suivante. CHRISTIAN me dit : « Et si on montait au Buet, assister au lever de soleil ? ». C’est parti mon kiki. A 22 heures, nous voilà à pied d’œuvre.
CHRISTIAN, il connaît le coin comme sa poche. Ce n'est qu'après qu'il est devenu curé. Le Buet (3109 mètres), par le côté Sixt, c’est de la rando, pas de l’alpinisme. C’est plus compliqué que difficile, à cause de l’itinéraire à trouver, surtout de nuit, comme bien vous pensez. On a du mal à se représenter ça, mais une fois que les yeux se sont habitués à la clarté lunaire, ça marche beaucoup mieux qu’on n’imagine. Les rochers sont, d’un côté, habillés d’une blancheur vague, et de l’autre, tout à fait obscurs. L’ambiance est étonnante.
Et comme le côté Sixt est orienté (en gros) sud-ouest, ce n’est pas le ciel qui va vous informer de l’écoulement du temps. Et là encore, la récompense vient avec le sommet : certes, pour avoir le massif du Mont Blanc bien en face, il vaut mieux aller au refuge du Lac Blanc (les Jorasses au fond), à La Flégère ou au Brévent.
TOUTES LES AIGUILLES, DE REPUBLIQUE-CHARMOZ-GREPON JUSQU'AU GOÛTER, EN PASSANT PAR BLAITIERE, PLAN, ET LES TROIS SEIGNEURS DE 4000
(sans doute vu du Lac Blanc, je ne me rappelle plus)
Le Buet, c'est plus au nord, mais il n’y a pas à dire, l’arrivée au sommet vous offre d’un seul coup tout ce qui se trouve « de l’autre côté », et quel qu’il soit, « l’autre côté » vous donne quelque chose qui peut difficilement se formuler. C’est non seulement du « panorama », c’est aussi un peu de « monde en plus » qui vous arrive. Et jamais personne ne vous enlèvera ça. Vous mourrez avec.
Je reviens à ma cordée avec ALAIN. Par rapport au Glacier Long, la longue glissade dans laquelle je l’ai entraîné, c’est du pipi de chat. Et c’est encore mon pied qui ripe, cette fois, mais dans la neige un peu molle qui précède le rocher, au moment d’attaquer l’arête de la Chapelle, dans les Aiguilles Rouges. Nous étions évidemment encordés.
EPAULE SUD, CHAPELLE ET CLOCHER (DANS L'ORDRE)
(tout en haut à droite)
Nous avons atterri dans les pierrailles, pas tout à fait sans dommages, mais pour ainsi dire : si peu que rien. Un accident, c’est intéressant quand c’est déjà un peu grave, sinon on la ferme. Ce n’est pas comme les motards qui, eux, prennent plaisir à se raconter leurs glissades, en se bourrant les épaules à coups de : « Tu te souviens ? ». Je suis rentré la queue basse à la maison. Je m'en voulais.
En revanche, la traversée Midi-Plan est une jolie course, comme un balcon vertigineux au-dessus de la vallée de Chamonix, qui se termine par un passage au refuge du Requin, pour la pause bière, puis par la Vallée Blanche et la Mer de Glace. C’était un jour de fin juillet. Je me rappelle que le glacier était très « ouvert », et qu’il a fallu contourner je ne sais combien de crevasses avant d’arriver.
Et nous pensons tous deux en passant que c’est au bord d’une de ces crevasses que se sont arrêtées un jour les traces de ski du grand LIONEL TERRAY (Carnets du vertige). Lui, il a participé à la première de l'Annapurna. Dont un certain MAURICE HERZOG s'est approprié tous les mérites. Et ça ne m'étonne pas : après, il a fait de la politique !
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie, léon bloy, littérature, montagne, alpinisme, caf, massif du mont blanc, argentière, chaîne ecclésiastique, aiguille du moine, escalade, varappe, refuge du couvercle, club alpin français, maurice herzog, lionel terray, vallée blanche, mer de glace, traversée midi-plan
vendredi, 20 janvier 2012
TÊTE DE LOUIS XVI ET PENDULE DES JORASSES
Aujourd’hui, ça part d’assez loin. Mais je vous promets que j’y arrive, à mon sujet du jour. LAO-TSEU l’a dit : « La rivière de la vérité ne craint pas les méandres de la pensée qui déverse son eau de vaisselle à gros bouillons dans la mer des Sargasses à l’époque de la reproduction des anguilles qui en sont très friandes ». Après un truc pareil, je crois que j’ai mérité quelques minutes de repos, rien que pour le plaisir de contempler. Je me dis que FREDERIC DARD devait faire pareil après une page bien sentie sur Bérurier.
Alors voilà, bon, ça commence. Quand on sort de la gare du Montenvers et qu’on regarde vers le fond de la Vallée Blanche, on repère immédiatement la grande barrière rocheuse qui sépare la France de l’Italie. Cela s’appelle Les Grandes Jorasses. Respect. La pointe la plus à gauche (c’est-à-dire à l’est), c’est la « Walker » (4200 et des poussières).
LES GRANDES JORASSES
AU-DESSUS DE LA VALLEE BLANCHE
Il y a des gens, on se demande pourquoi, qui ne rêvent que d’une chose : arriver au sommet. Les plus cinglés d’entre eux ont tracé sur une photo de la face nord (côté Chamonix, celle qu’on voit) une ligne droite qui part d’en bas et arrive en haut. Quelques-uns sont parvenus à la suivre. Ils sont fous, ces Romains !
Mais on n’est pas là pour parler d’alpinisme. La voie directe comporte une particularité particulière : le « PENDULE ». Qu’ès aco ? Tout le monde connaît le professeur Tryphon Tournesol : « Un peu plus à l’ouest » est dans toutes les mémoires.
Un pendule, c’est un petit objet chargé de graviter au bout d’un fil, et dont les mouvements donnent aux initiés des informations très claires et très mystérieuses. Sur quoi ? Je répondrai que ça les regarde. Approchez voir un pendule d’une télévision (cathodique), et vous verrez la samba, plus la lambada, plus la bossa-nova ! C’est magique ! Mieux que le Carnaval de Rio.
Dans la paroi rocheuse dont il est question, le pendule, ça veut dire qu’arrivé en un certain point, tu installes la corde une longueur (30 mètres) au-dessus. Tu redescends. Tu te lances alors dans un joli balancement pendulaire. Tu prends pied sur une vire située latéralement un peu plus loin, mais juste dans l’axe vertical de la voie. A ce moment-là, réfléchis bien avant de commettre l’irréparable : tu récupères la corde !
On suppose que tu sais ce que tu fais. Parce qu’à partir de là, toute retraite est coupée, même en rappel. Ce n’est plus le temps d’avoir des regrets. Une seule solution : sortir par le sommet. Aucun retour en arrière n’est plus possible. Ça veut dire qu’il faut être vraiment sûr de toi et du copain de cordée. Ça veut dire qu’il faut oser. Voilà, c’est ça, le « pendule ».
Un certain Agathocle (Ἀγαθοκλῆς, on est en 311 avant « le » J. C.), qui menait une guerre contre Carthage, avait fait preuve de la même détermination en débarquant de Sicile sur la terre africaine : pour montrer à ses hommes qu’il avait bien l’intention d’aller jusqu’au bout, il avait fait brûler les vaisseaux qui les avaient conduits jusque-là, rendant tout retour impossible. Agathocle est sorti des mémoires, mais l’expression « brûler ses vaisseaux » est restée. C’est la même chose que le « pendule des Jorasses ».
J’allais prendre, comme troisième exemple, celui de l’homme qui, après avoir bien fixé la corde au crochet du plafond, fait tomber la chaise sur laquelle il est monté et qui reste pendu par le cou, mais s’il y a des enfants qui lisent ce blog, je ne voudrais pas risquer qu’on me fasse des reproches, alors je n’en parlerai pas (les rhétoriciens attentifs auront noté ici une prétérition). Cela n’empêche pas que le principe est toujours le même : quand tu n’a plus rien à perdre, tu te débrouilles pour te couper tout espoir de retraite. La chaise qui tombe, c’est le « pendule des Jorasses ».
Le 21 janvier 1793, c’est le geste fou qu’elle a fait, la Révolution française. Elle s’est élancée vers la Walker des Jorasses. Elle a « brûlé ses vaisseaux ». A-t-elle fait tomber la chaise ? C’est beaucoup moins sûr. C’est vrai que la décision s’était prise quelques jours avant, exactement le 17, à 21 heures : « La peine prononcée contre LOUIS CAPET est celle de mort ». C’est VERGNIAUD qui parle.
LOUIS, SEIZIEME DU NOM
Il faut dire que, comme c’est lui qui préside la « Convention », c’est à lui d’annoncer. Ils ont été 334 à s’opposer à la condamnation à mort. Mais depuis que c’est la majorité des voix qui emporte la décision (ça ne fait pas très longtemps, vérifiez), ils ne peuvent rien contre les 387 régicides.
Il est vrai que le scrutin est entaché de divers soupçons de fraude (achats de voix (déjà !), marchandages, tripatouillages divers). Il faudra en organiser un second, le lendemain. Le résultat est beaucoup plus serré : 361 contre 360. Il n’empêche, c’est bien la majorité plus une voix qui l’emporte. Le 21 janvier 1793, le roi de France, LOUIS, seizième du nom, est donc exécuté sur la place qui n’est pas encore « de la Concorde ».
Alors on me demandera peut-être comment, en partant des Grandes Jorasses, j’arrive à l’exécution de LOUIS XVI. C’est une bonne question et je vous remercie de l’avoir posée. Je réponds benoîtement que c’est la même chose. Mais si ! A partir du 21 janvier 1793, toute retraite est coupée. Il ne sera plus jamais possible de faire comme si on ne lui avait pas coupé le cou suivant le pointillé, à CAPET. Cela fera demain 219 ans que cet irréparable s’est accompli.
Ce soir, messe royaliste à l’église Saint Denis de la Croix-Rousse, rue Hénon, à 18 heures trente.
Voilà ce que je dis, moi.
Suite et fin demain.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lao tseu, frédéric dard, bérurier, grandes jorasses, alpinisme, chamonix, vallée blanche, professeur tournesol, tintin, carnaval de rio, pendule, agathocle, louis 16, louis xvi, le roi, révolution française, régicide, royaliste