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samedi, 25 août 2012

LA METHODE VIALATTE 4/5

Pensée du jour : « Voilà un homme [à propos du Prince de Ligne]. Le reste est plèbe et fibre épaisse, imbécile, et nous vivons dans cet affreux malaise d'une affreuse civilisation qui sécrète elle-même les poisons dont elle mourra, par voie de suicide évidemment, sans trop tarder. Par auto-intoxication. Comme le scorpion qui se pique la nuque avec sa queue ».

 

Alexandre Vialatte

 

***

 

Résumé : je disais donc que la vie n’est qu’une digression. Mais j’en viens à mon sujet initial.

 

Oui, il s’agit bien d’en venir, enfin, à Alexandre Vialatte. Au sourire désolé qu’il pose sur l’époque dans laquelle il est obligé de vivre, à l’angle des rues Léon-Maurice Nordman et de la Santé (l’hôpital Cochin n’est pas loin à droite, la prison est en face). Quand il n'est pas dans son Auvergne. C’est à Paris. Il parle plus de la prison (qu’il a sous ses fenêtres) que de l’hôpital (un peu à l’écart de son champ de vision). On est dans le 13ème, au seuil du 14ème

 

« Les pigeons de Paris, au vol lourd, tournent autour des toits de la Santé et se posent sur le rebord des fenêtres des cellules ; peint en blanc. Et numéroté : 128, 129, 130, ... Seraient-ce les colombes de la Paix ? Sur l'un des rebords il y a un petit pot bleu. En bas tournent les C.R.S., les sergents de ville, ou la garde mobile, la mitraillette braquée. En haut rêvent les détenus.

Ils rêvent, ils font des songes. »

 

Oh, l’époque où il vit, il la voit, il l’entend, il la renifle, il l'ausculte, il en a examiné les moindres coutures, et à son gré, le tissu se découd un peu trop vite. Il voudrait ralentir la chute. La culture, la civilisation (« La civilisation ne cesse de s'effondrer sous l'énergique poussée des hommes »). La langue (« Il ne faut pas de h à Nathalie »). La grammaire, ah, la grammaire (« Pas de subjonctif après après que ») ! La création littéraire. Son éloge incessant du labeur de moine pieux du bon écrivain. L'exaltation de l’artiste peintre maître de son art. La profondeur de son regard sur l’homme qui, par son travail, fait aux hommes le don d'une oeuvre. 

 

Et l'acuité du regard qu'il porte sur la défaite humaine face à l’avènement du règne intraitable des recettes, des concepts et des coups de pub. Devant la victoire de l’idée sur l’œuvre, et du coup de pub sur le talent. L’idée, on la doit à Marcel Duchamp. L’art confondu à la publicité, à Andy Warhol. Les deux meurtriers en chef de tout ce qui, en d’autres temps, s’est appelé « art ». C'est grâce à tout ça qu'on lui doit cette célèbre phrase :

 

« ON N'ARRÊTE PAS LE PROGRES : IL S'ARRÊTE TOUT SEUL ». 

 

La défaite devant le merchandising et le packaging. Le parking et le pressing. Le profiting et le n’importequ’ing. La cotation en bourse. La veuve écossaise. Les valeurs sonnantes. La Rolex à cinquante ans, le bling-bling. Accessoirement la tyrannie exercée par le succès des fausses gloires. L’inconsistance de la « surface médiatique », une surface sans profondeur, ça va de soi. La vanité des sunlights et le toc des plateaux de télévision. Ce qu'il appelle quelque part le « règne du faux ». A son époque, ce n’étaient déjà plus seulement des vues de l’esprit ou des anticipations, mais les stigmates incontestables d'une avancée irrésistible. 

 

Vialatte a observé tout ça. Et nommé. Et envoyé à la poubelle. Avec la souveraine élégance de l’esprit dont il ne s’est jamais départi. C’est de là que lui vient le sourire désolé qui ne quitte jamais sa prose. Il sait que Rome assiégé ne pourra rien contre les barbares qui se pressent sous ses murs. Mais qu'on ne compte pas sur lui pour les laisser entrer : tout ce qu'il écrit a de la tenue.

 

Aucune brèche dans la muraille du style. Cette colonne vertébrale sert à se tenir bien droit. Mais en même temps une bonhomie dépourvue de prétention. Les fureurs injuriantes d’un CÉLINE ne sont pas de sa planète à lui, mais son pessimisme n'a rien à lui envier. Rien que lorsqu'il définit l'homme : « Animal à chapeau mou qui attend l'autobus 27, au coin de la rue de la Glacière ». 

 

Je vais vous dire un truc définitif : Vialatte est un sourire désolé posé sur le monde sinistré qui l’entoure.

 

L’Amérique domine ? Il s’en attriste, certes, mais il refuse obstinément de le laisser paraître. Si, bien sûr, les bulles de colère éclatent à la surface, mais c'est difficile à repérer, car c’est toujours une colère courtoise, civilisée, exprimée dans les formes. Littéraires, évidemment. Et surtout qui n’a jamais l’air d’une colère.

 

Il se sait impuissant contre le « mouvement de l’histoire » et contre la régression tant redoutée vers la barbarie. De ce point de vue, il me fait penser à Claude Lévi-Strauss, celui de Regarder, écouter, lire (en 1993, il a 85 ans, et il meurt centenaire en 2009, il a eu le temps d'en voir). 

 

Comme Vialatte, Lévi-Strauss voit. Sur la fin, il sait toute la saloperie qui est en train d’arriver et qui réduit à néant tout l’effort d’élévation qui fut celui de l’homme depuis ses origines. Il ne joue pas les prophètes. Il voit agoniser un monde qui fut beau. Pas que beau (excusez-moi, mais là, c’est justifié), mais non sans grandeurs diverses. Et voyant cela, il se tourne vers l’essentiel de ce qui constitue SA culture (la mienne aussi), à lui qui a tant œuvré pour les cultures des autres, des « primitifs », comme on disait. 

 

Dans Regarder écouter lire, Lévi-Strauss se tourne vers Poussin, Rameau, Diderot. Il ne se désole pas de l’état du monde tel qu’il est ou sera. Simplement, lui, l’anthropologue et l’ethnologue de peuplades en voie de disparition (et souvent déjà disparues) choisit de s’incliner devant trois statues en or massif, dont chacune figure à elle seule la majesté, la puissance, le génie de l'art français classique, dans la peinture, la musique et la littérature : Poussin, Rameau, Diderot. 

 

Oh, nulle contrition dans son propos. Il assume toujours (hélas !) Roman Jakobson, l'aridité, la sécheresse universitaires de la linguistique et de l’anthropologie structurales. Mais je veux être convaincu que, en écrivant ce livre, Lévi-Strauss s’est rendu compte du destin tragique de SA culture (la mienne aussi), et qu’il y a, dans Regarder écouter lire, au moins en négatif, la manifestation d’un regret

 

 

Sa façon de célébrer, pour finir, trois génies français d'un lointain passé désigne, au moyen même de tout le reste qu'il ne dit pas, le délabrement qu'il ressent de la culture de son époque. La célébration de cet art français vaut condamnation de ce qui se répand au présent sous le nom de culture.

 

Le problème, c'est qu'il a participé à la démolition structuraliste. Rien que le fait de décider que, grâce aux structures des contes, de la parenté ou de je ne sais quoi, on va pouvoir mettre l'humanité entière dans un grand sac unique, ce n'est finalement qu'une idéologie. Et je veux me dire que Lévi-Strauss s'est rendu compte de ce à quoi à servi le structuralisme : le nivellement de tout. La destruction de tous les critères (parce qu'un critère permet un jugement). Il ne faut plus juger. Cela veut dire qu'il ne faut plus différencier. L'autre est devenu le même. Le Mal, c'est le critère de jugement. Il faudra bien que j'y revienne, à cette folie.

 

Alexandre Vialatte lui, n’a jamais été structuraliste : il a donc eu moins à se faire pardonner. Il n'a jamais été un homme de la théorie englobante. Disons que, s’il a souri désolément, c’est d’une autre manière, plus directe et franche peut-être. La "pensée du jour" qui ouvre cette note espère en être une vive illustration. Il lui arrive même, à Vialatte, d'être terrible de noirceur.

 

On ne peut pas lui donner tort, tant le vingtième siècle a détruit : la première guerre de destruction des hommes (14-18), la première guerre de destruction des femmes et des enfants (39-45), mais aussi, tout au long du siècle, et de plus en plus arrogante, la première guerre de destruction américaine, pacifique et commerciale des racines des peuples, et le rouleau compresseur n'a pas fini d'avancer.

 

Pas de théorie donc chez Vialatte, certes, mais une méthode. Et sa méthode, il en fait cadeau : « Je ne vends pas la recette, je la donne ». Ecrivain, il a prouvé aux éclairés qu’il sait écrire des romans (Battling le ténébreux, et surtout Les Fruits du Congo, si vous ne connaissez pas, jetez-vous). Peu connu, mais estimé de confrères qui comptent, il livre donc sa recette à tous ceux – et ils sont nombreux – qui se proposent d’écrire : « Commencez par n’importe quoi », dit-il martialement.

 

Et plus loin : « Pour la conclusion, même principe : concluez sur n’importe quoi ». Ainsi, vous avez votre première page et la dernière. Quant au reste : « Mais que doit-on mettre entre la préface et l’épilogue ? Qu’on ne me le demande jamais, car je ne l’ai jamais su ». Voilà qui a le mérite de la netteté, même si ça n’arrange pas le débutant. Et l’on peut être sûr qu’il est sincère.

 

Voilà ce que je dis, moi.

vendredi, 24 août 2012

LA METHODE VIALATTE 3/5

Pensée du jour : « Tout y est dans le ton, dans le timbre, dans l'accent. C'est une immense leçon de style. Il n'est que style. Mais cherchez-y le style et vous ne l'y trouverez pas. C'est un serviteur invisible. Il a dressé la table, allumé les lumières, ordonné les fleurs dans les vases. Il est parti, ne nous laissant que la fête. Elle tient toute dans un éclairage. Le style est une fête donnée par un absent ».

 

Alexandre Vialatte, parlant de Jacques Chardonne (la  formule magique est soulignée par moi). 

 

***

 

Résumé : les livres, c’est comme les voyages. Certains écrivent des sommes écrasantes comme des systèmes solaires. D’autres se contentent de musarder au gré des chemins creux. Le véritable dilettante (c'est celui qui aime avant tout se délecter, comme son nom l'indique) est capable de bouleverser son programme à cause du son lumineux de la cloche qu’il vient d’entendre au loin, alors que la nuit va tomber. 

 

Je dirai, pour introduire mon introduction (je ne veux pas fixer de date pour la conclusion, parce que, finalement, tant qu’on est en vie, on ne se croit jamais arrivé à la conclusion), que la digression est la vie, parce que la vie, à tout prendre, est une plus ou moins longue digression entre deux points d’une histoire qui la dépasse par tous les bouts.

 

Finalement, combien de gens arrivés à l’article de la mort ont l’impression de n’avoir pas vraiment achevé l'introduction, encore moins ébauché le développement ? Tout au moins de ne pas les avoir écrits comme ils auraient voulu, rétrospectivement ? Et qui voudraient tout réécrire ? Combien de paragraphes de leur vie voudraient-ils corriger ? Combien de phrases à supprimer ? Combien de vocables à mieux choisir ? 

 

Dans le fond, chacun de nous n’est-il pas, en soi, une digression ? Une digression qui se déroule à son insu et qui ne se voit dans son entier (et encore, par temps clair : il faut au moins qu’on puisse voir le Mont Blanc depuis le Gros-Caillou, 154 km exactement en ligne droite, j'ai mesuré, moi-même en personne) qu’au moment où elle s’achève ?

 

C’est pourquoi, en attendant que se referme sur moi-même la parenthèse ouverte depuis lurette par l’homme et la femme qui m’ont occasionné, je ballotte aujourd’hui avec une sérénité somme toute appréciable au gré de mon petit cours d'eau, en me cramponnant à ma coquille de noix : « La tempête a béni mes éveils maritimes. Plus léger qu’un bouchon, j’ai dansé sur les flots Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes, Dix nuits, sans regretter l’œil niais des falots ». Ceci pour dire que s’il y a errance, c'est le bateau qui est ivre. Je me sens accompagné par quelque autorité en la matière. Cette compagnie me tient. 

 

Je ne sais pas si mon rafiot avance dans le courant principal, ou si, rejeté sur le côté du fleuve, paralysé par divers courants et tourbillons, je ne finirai pas comme les conquistadors montés sur l’un des radeaux d’Aguirre (Klaus Kinski), dans le sublime film de Werner Herzog, Aguirre, la colère de Dieu (1972).

 

La digression, c’est la vie : « Va petit mousse, Où le vent te pousse, Où te portent les flots. Sur ton navire, Vogue ou chavire, Vogue ou chavire jusqu’au fond des flots » (Planquette, Les Cloches de Corneville). Louis-Ferdinand Céline aimait cette opérette. 

 

Vous voulez en trouver une preuve en vous-même ? Par vous-même ? Souvenez-vous juste du moindre de vos repas entre copains ou en famille : à table, on cause, non ? Au bout d’une demi-heure, quelqu’un s’avise de se demander d’où on est parti.

 

Vous vous rappelez forcément ces moments : vous êtes partis du président Fallières (supposons), et vous en êtes arrivés au tigre du Bengale (ou à la pomme de Newton), après être passés par vos dernières vacances au camping de Sisteron, la folie de Khadafi, les « allées couvertes » du Cap Sizun, le prix du carburant, l’irruption de loups des Abruzzes dans le parc du Mercantour et l’invention de Lucy par Yves Coppens en 1974, au son d'une chanson des Beatles. Peut-être même l'entrée de René Caillé à Tombouctou le 20 avril 1828, qui vaut celle d'Alexandra David-Néel à Lhassa, le 28 janvier 1924. Presque cent ans plus tard. C'est normal, c'est une femme, et on est au 20 ème siècle.

 

Vous vous dites que vous tenez, dans ces errances conviviales, un compendium de l’histoire humaine, que je résumerai par une seule question : « Comment en est-on arrivé là ? ». C’est sûr, une conversation de table résume à chaque fois, à sa manière, l’histoire de l’humanité. Pour peu qu’on insiste un peu. Qu’on sache remonter au point de départ (pour Vialatte, le point de départ, c'est forcément « la plus haute antiquité »). Qu'on ait le souci de retourner dans les détails de la chose.

 

Que voulez-vous ? L’homme, dans sa caverne comme devant son poste, en a une vive conscience. Il aime à se demander comment il en est arrivé là. Et il tente laborieusement de reconstituer la trajectoire sinueuse, le cheminement biscornu observable depuis qu’il est parti. Parfois. Pas toujours. Parions que cette tentative de reconstitution est à l’origine de la littérature. Mais ne nous laissons pas impressionner par les plus lourds que l’air.

 

J’entends à l'instant dans mon casque une interpellation vibrante : « Bon alors, blogueur à rallonge, ta "méthode Vialatte", elle va finir par arriver, ou il faut aller la chercher ? », (je cite textuellement, bien sûr, je ne me permettrais pas, pensez). Sache, lecteur pressé d’arriver au bout (au bout de quoi, je le demande ?), que le fleuve, dans ses méandres les plus acrobatiques et ses détours les plus sophistiqués, ne perd jamais de vue la mer dans laquelle il jettera tôt ou tard son être tout entier.

 

Mon propos étant intitulé La Méthode Vialatte, j’ose affirmer que ce n’est pas pour rien, et que je n’ai garde de l’oublier. C’est pour demain, la révélation. Je le jure. A moins que … une digression se présente. De toute façon, Alfred de Musset l’a dit : Il ne faut jurer de rien (1836). J'obtempère : je jure donc de ne jurer de rien.

 

Voilà ce que je dis, moi.

mercredi, 22 août 2012

LA METHODE VIALATTE 1/5

Pensée du jour : « Aussi les pères de famille avisés attachent-ils par une corde courte au piquet central de la tente les grand-mères et les enfançons. Une barrière de barbelés isole du monde ces radeaux de la Méduse. Un haillon vert y sèche à côté d'une loque rose. La vache vient, contemple et s'étonne, le prisonnier se souvient et passe, le promeneur regarde et fuit épouvanté. C'est ce qu'on appelle un camping de vacances ».

 

Alexandre Vialatte

 

***

 

Je m’adresse aujourd’hui – j’aime autant annoncer la couleur –, à ceux de mes lecteurs que je déboussole, que je décontenance, que je dépayse, que sais-je, que je dérange, déroute, voire désarçonne ou désoriente (j’en ai d’autres dans la musette, au cas où …, par exemple « agace ») par la tentation à laquelle je cède un peu trop volontiers, de me laisser, faute de rigueur intellectuelle, embarquer dans des « arabesques », comme les appelle Chateaubriand dans Mémoires d’Outre-Tombe, c'est-à-dire des « digressions »   (« parabases », pour les amateurs).

 

La digression, parfaitement, voilà l’ennemi, paraît-il. Je me propose de traiter le sujet en tant que tel, dignement, et de le traiter d’une manière formellement idoine à la matière. « Il ne faut pas confondre la forme et le fond », proclamait pourtant, affolé, Monsieur René Bady, dans un des cours les plus mouvementés (il n'avait jamais eu autant d'auditeurs) de sa tranquille histoire de professeur d’université. Il reste l’auteur d’une thèse de doctorat qui est restée dans les mémoires : tout le monde se souvient de De Montaigne à Bérulle. La modernité lui a répliqué : « La forme doit épouser le fond ». 

 

Le pauvre homme, qui était admirablement humble et catholique, ne s’y est pas retrouvé. Le garnement infernal que je fus se souvient des cours sur l’ode au 16ème siècle (aussi, a-t-on idée !) : le cours durait quelques minutes, avant d’être sommairement exécuté par les ballons bondissant de mains en mains. Malheureux René Bady ! Tout perclus de savoirs précieux, mais sortis de l’usage et du respect, il rangeait tristement ses notes sérieuses et quittait l’amphithéâtre, accompagné de nos aboiements féroces et déracinés. 

 

Cette série de notes se propose rien de moins que de faire l'éloge du contournement, de la trajectoire déviée, de l'embardée poétique et du désir de musarder en route au lieu d'aller bêtement d'un point à un autre en TGV. Car ces lecteurs bienveillants, mais exigeants, me reprochent de faire comme les parents du Petit Poucet, je veux dire de vouloir les perdre dans la forêt. L'enjeu est de taille, on en conviendra. 

 

Je réponds d’urgence à ce reproche, dans un premier temps, que les cailloux blancs ne manquent jamais chez moi pour retrouver le râtelier parental, même quand il n’y a rien à y ruminer. Je veux dire que ma flèche ne perd jamais de vue le centre de la cible, ni le terme final de sa trajectoire ondulante et sinusoïdale. Que le Nord est toujours inscrit au fronton de ma boussole capricieuse.

 

 

Dans un deuxième temps, je dirai que la tentation est une chose trop sérieuse pour ne pas appeler une réponse vigoureuse et adéquate. Il faut y réagir vivement pour en prévenir les effets néfastes. La tentation ? Quelle horreur ! Le mieux est donc d'y céder aussitôt qu’elle se présente. Et de réserver les éventuelles velléités de résistance pour des combats plus formidables et plus essentiels. 

 

Cette solution lumineuse, simplissime et fructueuse me fut dévoilée un beau jour, en dehors des adventicités naturelles du quotidien, dans un petit livre que je recommande vivement : La Papesse Jeanne, d’Emmanuel Rhoïdès (ou Roïdis, éditions Actes-Sud). Je ne l’aurais sans doute jamais lu s’il n’avait pas été traduit en français par Alfred Jarry en 1900 et des poussières.

 

Revigorant, et même coruscant. Je le confesse : il prêche une morale que les normes admises, certes, désavoueraient, mais qui le fait de façon si aimable, et sur un ton si espiègle que les normes elles-mêmes se disent qu'au fond, pourquoi pas ? 

 

Les esprits perspicaces ont déjà perçu la digression qui me tend les bras : c’est quoi, cette histoire de « Papesse Jeanne » ? Pour vous montrer que le pire n’est pas toujours sûr, sachez que, pour une fois, je ne céderai pas à la tentation. Même si vous aimeriez bien en savoir plus. Le devoir avant tout. Plus tard peut-être. En attendant, voici une photo prise à l'époque des faits relatés (et qui illustre le scandale).

 

Dans un troisième temps, qu’on se le dise, si la notion de « digression » (ou d’« excursus ») existe, ce n’est pas moi qui l’ai inventée. Or, il faut savoir que tout ce qui a été inventé par l’homme depuis la nuit des temps, l’homme s’en est servi, de la fourchette à la bombe atomique, en passant par le pédalo, la pince à épiler, le ticket de métro, l’assiette anglaise et le soc de charrue. Mais sait-on encore ce qu’est une « assiette anglaise » ? 

 

J’ajoute que, si c’est à ma disposition, je serais bien bête de ne pas en profiter : après tout, la digression n’est pas faite pour les chiens. C’est vrai, ça : un chien, même mal éduqué, ne digresse jamais. La digression est hors de portée du règne animal. Le règne animal se déroule en ligne droite. Enfin je crois. 

 

Et comme la digression est gratuite, elle est dans mes moyens. Dans le jardin où l’on cultive toutes les fleurs de rhétorique de la création, « chacune a quelque chose pour plaire, chacune a son petit mérite » (Georges Brassens, pour retrouver le titre, je vous laisse faire). 

 

De toute façon, dit Antonin Artaud (c’était avant les électrochocs aimablement et doctrinalement administrés par le docteur Ferdière, dans son service psychiatrique de Rodez) : « Il n’y a pas d’art au Mexique, et les choses servent ». Il était en villégiature chez les Indiens Tarahumaras, dont il appréciait le plat principal, le cactus nain appelé « peyotl », chargé de forces mystérieuses. Après tout, c’est peut-être au peyotl qu’il la doit, Artaud, son « exaltation » ?

 

Pour la suite de la digression, merci d'attendre à demain. 

 

Voilà ce que je dis, moi.

mardi, 07 août 2012

TINTINOPHILE OU TINTINOLOGUE ?

Météo des Jeux : bonne nouvelle, USAIN BOLT et quelques autres sont enfin parvenus à parcourir 100 mètres. Certains en doutaient. Les voilà rassurés. Ils s'en félicitent. Moi je dis : peut mieux faire. J'espère qu'ils pourront aller un peu plus loin, parce que, franchement, quand tu as fait 100 mètres, tu n'as rien fait, ou si peu que rien. Ils n'ont plus qu'à persévérer s'il veulent arriver au bout.

 

 

Prêts pour une Grande Digression Symphonique, en forme d’entrée en matière ?

 

 

« Tintinophile », qu’est-ce que ça veut dire ? D’abord et déjà, je ne sais pas si tout le monde sait ce qu’est un « colombophile ». Si vous pensez que c’est un fan de l’acteur PETER FALK (lieutenant Columbo), tintin,les aventures de tintin et milou,jeux olympiques,usain bolt,digression,colombophilie,pigeons,christophe colomb,peter falkun continuateur de la mémoire de CHRISTOPHE COLOMB, un habitant de Saint-Colomban (c’est en Loire-Atlantique) ou un amateur de voyages en Colombie, vous avez tout faux. C’est quelqu’un qui aime les pigeons, en particulier les pigeons voyageurs. N’en tirez aucun jugement péremptoire.

 

 

Le colombophile fait travailler les pigeons pour lui, pour son compte, pour son seul plaisir, gratuitement. C'est une sorte de maquereau, quoi. Sauf que ses putes lui rapportent nib de nib. Disons qu'il s'est fait souteneur pour soutenir la cause. C'est du dévouement, je me tue à vous le dire. La preuve ? Il offre gratuitement le gîte et le couvert à ses gagneuses et à ses gagneurs. C'est bien le moins, vous avouerez.

 

 

Pour ce qui est du gîte, certains colombophiles fanatiques, voire enragés, n’hésitent devant aucune folie dispendieuse, comme en témoigne cette photo d’un authentique pigeonnier, digne d'être  homologué hôtel cinq étoiles (quoique sans ascenseur ni salle de bains), quelque part dans le nord-est de la France. On peut dire que R. n’a reculé devant aucun sacrifice pour offrir à ses oiseaux le luxe le plus tapageur et le plus extrême.

 

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DANS UN PAREIL 5 ETOILES, TRES PEU DE PIGEONS SE PLAIGNENT DE LEUR SORT

(ET LES ROUCOULEMENTS DE MASSE, IL PARAÎT QU'ON S'Y HABITUE)

 

Mais en contrepartie, disons carrément que R. exploite honteusement la capacité innée que ces volatiles ont de retrouver leur nid après en avoir été honteusement éloignés à dessein. Au top départ, toutes les cases du camion collecteur s’ouvrent brusquement, dans la région de Narbonne, libérant les pauvres bêtes, dès lors obligées de se creuser la cervelle (sans carte et sans boussole, s’il vous plaît !) et de se rapatrier par leurs propres moyens vers les brumes du nord-est. Le taux de réussite est généralement bon, mais l'aventure connaît parfois quelques ratés, on est obligé de le reconnaître.

 

 

Il m’est en effet arrivé de convoyer jusqu’à son point d’origine (enfin, disons pas loin) un de ces malheureux oiseaux qui s’était égaré pas trop loin de chez moi (à 600 km de chez lui, quand même !), pour le restituer (gratuitement, s’il vous plaît, mais combien volontiers !) à son propriétaire. Il lui manquait beaucoup, paraît-il. Pourtant, les 399 autres qu’il possède (authentique, évidemment) devaient l’occuper largement. Que voulez-vous, aurait dit LAMARTINE, « un seul pigeon vous manque, et tout est dépeuplé », n’est-ce pas, R. ?

 

PIGEON 25 RED CHAMPION.jpg

LUI, C'EST "RED CHAMPION"

(c'est un vrai de vrai, bien sûr)

 

Le colombophile, c’est donc celui qui aime les volatiles de course (y compris à table, farcis, à condition qu’ils soient jeunes, et là, à table, je me suis aperçu que moi aussi, j'avais des tendances colombophiles), qui gagne des trophées à la sueur de leur front (qu’ils ont fort étroit, par bonheur), qui les laisse régulièrement se dégourdir les ailes pour s’entraîner, en priant cependant le dieu des pigeons qu’aucun autour des palombes, qu’aucun faucon pèlerin ou autre nuisible ne rôde par là ou ne s’est mis à l’affût dans le coin. En un mot, c’est quelqu’un qui ne compte ni son temps, ni son argent, ni son énergie pour perpétuer une espèce qui, par bonheur et pour cette raison, n’est pas en voie de disparition.

 

CLEEBOURG 8.JPG

EN PLUS, ILS SONT BEAUX, NON, LES CHAMPIONS ?

CE N'EST PAS DU PIGEON DE VULGUM PECUS !

 

Bon, pour un préambule, ça commence à faire très long. Je me suis encore laissé entraîner, ma parole. Aucune rigueur, tout dans les « arabesques ». Vous pourriez me le signaler, quand ça se produit ! M'arrêter ! Pourtant, je vous jure, j’essaie de me refréner. Mais à chaque fois, ça y est, le démon me reprend, la digression me tend les bras, et je m’y jette avec emportement. Il ne faudrait pas, avec ça, que l’envie me prenne, un de ces jours prochains, d’enseigner ou de devenir professeur. Vous voyez d’ici la catastrophe ?

 

 

Imaginez-moi en professeur qui commencerait sur « Mignonne allons voir … » et qui déboucherait sur le burnous trop vaste de RENÉ CAILLÉ, premier blanc arrivé à Tombouctou. C’était le 20 avril 1828. Il profitait de ses larges manches pour griffonner des notes au crayon sur son petit carnet. Là-dessus, vous avez bien compris que je pourrais embrayer sur les djihadistes actuels d'AQMI qui détruisent des mausolées musulmans. Décidément, l'Islam est de plus en plus énigmatique. Mais ici, comme vous le constatez, je résiste à la digression.

 

RENE CAILLE 3.jpg

 

Vous voyez ? Une digression, c’est si vite fait. Presque pas le temps de s’en apercevoir. Je tâcherai donc de m’orienter, pour gagner mon pain, dans une autre branche professionnelle que l’Education Nationale. Cela vaudra mieux pour tout le monde. Si Dieu et le Conseiller d’Orientation n'en décident pas autrement.

 

 

Cela donnerait aux rabat-joie de l’anti-France (quand reviendras-tu, Super Dupont ?) une occasion nouvelle de crier au déclin des valeurs, des brosses à dents et du confit de canard. J’éviterai par conséquent de prêter le flanc. De toute façon, je ne suis guère prêteur. Surtout du flanc. Ah si, pourtant : je ne sais plus à quel ami j’ai prêté mon coffret Catalogue d’oiseaux d’OLIVIER MESSIAEN, auquel je tiens tant. Si vous l’apercevez, merci de me tenir au courant.

 

MESSIAEN CATALOGUE D'OISEAUX.jpg

 

En revanche, j’ai retrouvé (par hasard) la personne à laquelle j’avais prêté Antiquité du grand chosier d’ALEXANDRE VIALATTE. Et si à ce jour je n’ai pas recouvré mon livre, j’ai du moins retrouvé le sommeil. Conclusion ? J’admire les gens qui, contre vents et marées, savent résister à la digression. Quelle fermeté d’âme est la leur ! Vous avez ci-dessus un compendium de ce qu'il ne faut pas faire, quand on prétend avoir de la fermeté dans l'âme.

 

 

Remarquez, je me rappelle les cours du vendredi à 14 heures, avec Monsieur DELMAS, alias Le Baron. C’était, au moins sur le papier, de l’histoire-géographie. Mais c’était une matière qui pouvait aller du montant d’un salaire à consacrer au loyer par un jeune ménage aux souvenirs bretons de vacances de rêve remontant à l’été dernier, en passant par l’immense intérêt qu’il y a pour la jeunesse à apprendre les langues étrangères. Le vendredi à 14 heures, Monsieur DELMAS était le roi de l’ « arabesque » ainsi entendue.

 

 

Car, contrairement aux cours qui avaient lieu tôt le matin, la figure de Monsieur DELMAS, à ce moment de la journée, arborait une teinte qui variait, suivant les semaines, et selon les menus et les quantités absorbés au restaurant voisin en compagnie de quelques collègues, du rubescent à peine marqué, au cramoisi le mieux venu, en passant par toutes sortes d’enluminures cuivrées, de pourpres congestifs et de flammes incarnates. Il n’y a pas à en douter, le gras double, le tablier de sapeur et le Chiroubles du patron de « La Meunière », rue Neuve, à deux pas du lycée Ampère, avaient le don d’inciter Monsieur DELMAS à l’arabesque.

 

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LES SALLES D'HISTEGEO ETAIENT AU DERNIER ETAGE, DROIT DEVANT

 

Promis, après cette « mise en bouche », dès demain, j’en arrive à Tintin.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.