jeudi, 22 janvier 2015
ROBERTO SAVIANO ET CHARLIE
C'était à Lyon le 11 janvier. Pas une manif. Pas de banderoles. Pas de slogans. Pas de cris. Je n'ai jamais vu ça. Je ne savais pas que c'était possible.
Très bonne tribune de Roberto Saviano (Gomorra, Extra pure) dans Libération du 21 janvier. L’auteur sait ce que veut dire vivre sous protection policière depuis qu’il y a un « contrat » sur sa tête à cause de son bouquin sur la Camorra (Campanie, Naples, …), qui révélait les grosses turpitudes de cette mafia napolitaine. Titre de la tribune : « Rendez-vous au prochain attentat ». C’est sûr que la mort de Cabu, Wolinski et les autres, ça a dû lui donner du souci.
Il doit se dire que la présence policière n’empêchera rien face à un commando organisé, entraîné militairement et déterminé. Il n’a pas tort : quand la routine de cette présence finit par laisser la confiance revenir, on ne s’attend pas à ce qu’il se passe quoi que ce soit. On n’y croit pas. La preuve ? Sigolène Vinson, la chroniqueuse judiciaire de Charlie, l’explique très bien dans Le Monde daté 14 janvier. Elle était là, le 7 janvier. Elle a vu Franck Brinsolaro faire un geste de la main vers l’étui de son arme de service. Son signal d’alarme cérébral a eu à peine le temps de se déclencher. Trop tard. Sa méfiance était en sommeil. Kouachi ne lui a laissé aucune chance.
Je retiens juste ce passage de Saviano : « J’ai été frappé par cette phrase prophétique de Charb : "Je n’ai pas peur des représailles. Je n’ai pas de gosses, pas de femme, pas de voiture, pas de crédit. C’est peut-être un peu pompeux ce que je vais dire, mais je préfère mourir debout que vivre à genoux." On dirait la profession de foi d’un moine soldat, d’un volontaire au combat, quelqu’un qui sait que chacun de ses choix peut coûter cher à ceux qui l’entourent. Charb était dessinateur, il dirigeait Charlie Hebdo, mais ses paroles sont celles d’un homme qui part au front, d’un médecin en mission en plein cœur de l’épidémie ».
Je me dis amèrement que si telle était bien la mentalité qui habitait l’équipe de Charlie sous la direction de Charb, je m’étonne moins de la montée de la haine contre lui dans le monde. A sa manière, il faisait le djihad. Autant je me sentais proche de Charlie Hebdo quand il était fait par des allumés géniaux, par des artistes plus-ou-moins-anars qui savaient avec art se moquer de tout, par des amoureux de la vie et de l’amour, par des rêveurs impénitents d'une société mieux faite, autant je me sens loin de tous les raseurs-nuisibles-qui-ont-une-cause-à-défendre. Très loin, en particulier, d'un type qui se fait un étendard de n'avoir ni gosses, ni femme, ni voiture. Mais bon, paix à ses cendres.
Pour le crédit, je suis prêt à lui faire crédit : tous ceux que leur banque tient en laisse ne peuvent que souhaiter la mort de leur créancier, sans sépulture ni héritier. Pour ce qui est des raseurs nuisibles, je voulais parler, évidemment, des MILITANTS, ces militaires sans uniforme qui agitent des drapeaux au-dessus de leur tête. Un drapeau, c'est déjà un uniforme.
Le vieux Charlie Hebdo ne portait pas d’uniforme, ne brandissait aucun drapeau. Fournier, l'écologiste de La Gueule ouverte et de Charlie avait demandé à tous les gens qui se pressaient à ses manifs de confectionner des drapeaux de toutes sortes et de toutes couleurs. A seule fin que nul drapeau dûment répertorié (tricolore, rouge, noir, rouge et noir, etc.) ne prît le dessus pour s'accaparer le bénéfice de l'événement.
Cabu, Wolinski, Reiser, Gébé, Delfeil de Ton, Choron, Cavanna, Siné, aucun de la bande n’avait envie de jouer au « moine soldat ». Chacun avait sa vie à nourrir et à vivre. Et ils la gagnaient en faisant partager le regard qu’ils portaient sur le monde, la société. En se marrant, en s’engueulant, en picolant (pas tous).
La peste soit des militants qui se sont mis au service exclusif d'une cause. La peste soit des causes à défendre. Dans le Timbuktu de Abderrahmane Sissako (Cavanna disait : je l'ai pas lu, je l'ai pas vu, mais j'en ai entendu causer), le vieil imam est seul dans le vrai, qui a mené le « djihad » en priorité sur lui-même, quand les jeunes exaltés, totalement ignorants, bornés et incultes, coupent des mains, détruisent des sanctuaires, brûlent des manuscrits anciens.
Qu'est-ce qu'un monde qui oblige les braves gens à se muer en défenseurs de causes ? Une cause à défendre ? Mais elles se bousculent au portillon, elles se marchent sur les pieds, tellement elles sont nombreuses, et se livrent une concurrence acharnée pour capter les créneaux médiatiques disponibles (pour « sensibiliser et alerter les consciences ») et les ressources qui en découleront.
Qui est capable de voir un peu clair dans le maquis emberlificoté des causes à défendre ? Et que veut dire l'empressement des foules à expulser de leurs préoccupations l'énorme masse des causes à défendre, pour en élire une seule et unique, selon l'arbitraire de leur bon plaisir, à laquelle elles se dévouent corps et âme, jetant ainsi toutes les autres à la poubelle ?
Je ne vais pas en faire la liste : on en aurait jusqu'à demain.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : 11 janvier, charlie hebdo, je suis charlie, lyon, cabu, wolinski, charb, union nationale, roberto saviano, gomorra, extra pure, camorra napolitaine, mafia, journal libération, journal le monde, sigolène vinson, franck brinsolaro, frères kouachi, pierre fournier, la gueule ouverte, reiser, gébé, delfeil de ton, professeur choron, cavanna, siné, hara kiri hebdo, hara kiri, timbuktu, abderrahmane sissako, djihad, tombouctou
mardi, 07 août 2012
TINTINOPHILE OU TINTINOLOGUE ?
Météo des Jeux : bonne nouvelle, USAIN BOLT et quelques autres sont enfin parvenus à parcourir 100 mètres. Certains en doutaient. Les voilà rassurés. Ils s'en félicitent. Moi je dis : peut mieux faire. J'espère qu'ils pourront aller un peu plus loin, parce que, franchement, quand tu as fait 100 mètres, tu n'as rien fait, ou si peu que rien. Ils n'ont plus qu'à persévérer s'il veulent arriver au bout.
Prêts pour une Grande Digression Symphonique, en forme d’entrée en matière ?
« Tintinophile », qu’est-ce que ça veut dire ? D’abord et déjà, je ne sais pas si tout le monde sait ce qu’est un « colombophile ». Si vous pensez que c’est un fan de l’acteur PETER FALK (lieutenant Columbo), un continuateur de la mémoire de CHRISTOPHE COLOMB, un habitant de Saint-Colomban (c’est en Loire-Atlantique) ou un amateur de voyages en Colombie, vous avez tout faux. C’est quelqu’un qui aime les pigeons, en particulier les pigeons voyageurs. N’en tirez aucun jugement péremptoire.
Le colombophile fait travailler les pigeons pour lui, pour son compte, pour son seul plaisir, gratuitement. C'est une sorte de maquereau, quoi. Sauf que ses putes lui rapportent nib de nib. Disons qu'il s'est fait souteneur pour soutenir la cause. C'est du dévouement, je me tue à vous le dire. La preuve ? Il offre gratuitement le gîte et le couvert à ses gagneuses et à ses gagneurs. C'est bien le moins, vous avouerez.
Pour ce qui est du gîte, certains colombophiles fanatiques, voire enragés, n’hésitent devant aucune folie dispendieuse, comme en témoigne cette photo d’un authentique pigeonnier, digne d'être homologué hôtel cinq étoiles (quoique sans ascenseur ni salle de bains), quelque part dans le nord-est de la France. On peut dire que R. n’a reculé devant aucun sacrifice pour offrir à ses oiseaux le luxe le plus tapageur et le plus extrême.
DANS UN PAREIL 5 ETOILES, TRES PEU DE PIGEONS SE PLAIGNENT DE LEUR SORT
(ET LES ROUCOULEMENTS DE MASSE, IL PARAÎT QU'ON S'Y HABITUE)
Mais en contrepartie, disons carrément que R. exploite honteusement la capacité innée que ces volatiles ont de retrouver leur nid après en avoir été honteusement éloignés à dessein. Au top départ, toutes les cases du camion collecteur s’ouvrent brusquement, dans la région de Narbonne, libérant les pauvres bêtes, dès lors obligées de se creuser la cervelle (sans carte et sans boussole, s’il vous plaît !) et de se rapatrier par leurs propres moyens vers les brumes du nord-est. Le taux de réussite est généralement bon, mais l'aventure connaît parfois quelques ratés, on est obligé de le reconnaître.
Il m’est en effet arrivé de convoyer jusqu’à son point d’origine (enfin, disons pas loin) un de ces malheureux oiseaux qui s’était égaré pas trop loin de chez moi (à 600 km de chez lui, quand même !), pour le restituer (gratuitement, s’il vous plaît, mais combien volontiers !) à son propriétaire. Il lui manquait beaucoup, paraît-il. Pourtant, les 399 autres qu’il possède (authentique, évidemment) devaient l’occuper largement. Que voulez-vous, aurait dit LAMARTINE, « un seul pigeon vous manque, et tout est dépeuplé », n’est-ce pas, R. ?
LUI, C'EST "RED CHAMPION"
(c'est un vrai de vrai, bien sûr)
Le colombophile, c’est donc celui qui aime les volatiles de course (y compris à table, farcis, à condition qu’ils soient jeunes, et là, à table, je me suis aperçu que moi aussi, j'avais des tendances colombophiles), qui gagne des trophées à la sueur de leur front (qu’ils ont fort étroit, par bonheur), qui les laisse régulièrement se dégourdir les ailes pour s’entraîner, en priant cependant le dieu des pigeons qu’aucun autour des palombes, qu’aucun faucon pèlerin ou autre nuisible ne rôde par là ou ne s’est mis à l’affût dans le coin. En un mot, c’est quelqu’un qui ne compte ni son temps, ni son argent, ni son énergie pour perpétuer une espèce qui, par bonheur et pour cette raison, n’est pas en voie de disparition.
EN PLUS, ILS SONT BEAUX, NON, LES CHAMPIONS ?
CE N'EST PAS DU PIGEON DE VULGUM PECUS !
Bon, pour un préambule, ça commence à faire très long. Je me suis encore laissé entraîner, ma parole. Aucune rigueur, tout dans les « arabesques ». Vous pourriez me le signaler, quand ça se produit ! M'arrêter ! Pourtant, je vous jure, j’essaie de me refréner. Mais à chaque fois, ça y est, le démon me reprend, la digression me tend les bras, et je m’y jette avec emportement. Il ne faudrait pas, avec ça, que l’envie me prenne, un de ces jours prochains, d’enseigner ou de devenir professeur. Vous voyez d’ici la catastrophe ?
Imaginez-moi en professeur qui commencerait sur « Mignonne allons voir … » et qui déboucherait sur le burnous trop vaste de RENÉ CAILLÉ, premier blanc arrivé à Tombouctou. C’était le 20 avril 1828. Il profitait de ses larges manches pour griffonner des notes au crayon sur son petit carnet. Là-dessus, vous avez bien compris que je pourrais embrayer sur les djihadistes actuels d'AQMI qui détruisent des mausolées musulmans. Décidément, l'Islam est de plus en plus énigmatique. Mais ici, comme vous le constatez, je résiste à la digression.
Vous voyez ? Une digression, c’est si vite fait. Presque pas le temps de s’en apercevoir. Je tâcherai donc de m’orienter, pour gagner mon pain, dans une autre branche professionnelle que l’Education Nationale. Cela vaudra mieux pour tout le monde. Si Dieu et le Conseiller d’Orientation n'en décident pas autrement.
Cela donnerait aux rabat-joie de l’anti-France (quand reviendras-tu, Super Dupont ?) une occasion nouvelle de crier au déclin des valeurs, des brosses à dents et du confit de canard. J’éviterai par conséquent de prêter le flanc. De toute façon, je ne suis guère prêteur. Surtout du flanc. Ah si, pourtant : je ne sais plus à quel ami j’ai prêté mon coffret Catalogue d’oiseaux d’OLIVIER MESSIAEN, auquel je tiens tant. Si vous l’apercevez, merci de me tenir au courant.
En revanche, j’ai retrouvé (par hasard) la personne à laquelle j’avais prêté Antiquité du grand chosier d’ALEXANDRE VIALATTE. Et si à ce jour je n’ai pas recouvré mon livre, j’ai du moins retrouvé le sommeil. Conclusion ? J’admire les gens qui, contre vents et marées, savent résister à la digression. Quelle fermeté d’âme est la leur ! Vous avez ci-dessus un compendium de ce qu'il ne faut pas faire, quand on prétend avoir de la fermeté dans l'âme.
Remarquez, je me rappelle les cours du vendredi à 14 heures, avec Monsieur DELMAS, alias Le Baron. C’était, au moins sur le papier, de l’histoire-géographie. Mais c’était une matière qui pouvait aller du montant d’un salaire à consacrer au loyer par un jeune ménage aux souvenirs bretons de vacances de rêve remontant à l’été dernier, en passant par l’immense intérêt qu’il y a pour la jeunesse à apprendre les langues étrangères. Le vendredi à 14 heures, Monsieur DELMAS était le roi de l’ « arabesque » ainsi entendue.
Car, contrairement aux cours qui avaient lieu tôt le matin, la figure de Monsieur DELMAS, à ce moment de la journée, arborait une teinte qui variait, suivant les semaines, et selon les menus et les quantités absorbés au restaurant voisin en compagnie de quelques collègues, du rubescent à peine marqué, au cramoisi le mieux venu, en passant par toutes sortes d’enluminures cuivrées, de pourpres congestifs et de flammes incarnates. Il n’y a pas à en douter, le gras double, le tablier de sapeur et le Chiroubles du patron de « La Meunière », rue Neuve, à deux pas du lycée Ampère, avaient le don d’inciter Monsieur DELMAS à l’arabesque.
LES SALLES D'HISTEGEO ETAIENT AU DERNIER ETAGE, DROIT DEVANT
Promis, après cette « mise en bouche », dès demain, j’en arrive à Tintin.
Voilà ce que je dis, moi.
09:04 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tintin, les aventures de tintin et milou, jeux olympiques, usain bolt, digression, colombophilie, pigeons, christophe colomb, peter falk, columbo, lamartine, rené caillé, tombouctou, mignonne allons voir si la rose, éducation nationale, super dupont, olivier messiaen, catalogue d'oiseaux, alexandre vialatte, antiquité du grand chosier, monsieur delmas, lycée ampère