dimanche, 06 novembre 2016
ÇA FAISAIT DES BULLES …
… C’ÉTAIT RIGOLO.
Aux cimaises de ma galerie BD.
Tardi, dans (A suivre) n°33 (voir mon billet du 3 octobre, à propos de son puissant Dernier assaut, qui vient de paraître), qui ne s'occupe pas seulement d'Adèle Blanc-Sec, de Brindavoine, du démon des glaces, ou de la guerre de 14-18. C'est dans cette revue qu'il a dessiné le premier "roman graphique" (puisqu'il faut appeler ça ainsi) sur un scénario démoniaque de Jean-Claude Forest (Ici Même), dont le héros, qui habite une improbable maisonnette juchée au sommet d'un mur, a hérité de sa famille tous les murs qui cloisonnent une ancienne immense propriété, et qui est contraint, testament oblige, de courir toute la journée d'un portail à l'autre, sans mettre les pieds sur le sol, pour ouvrir et fermer les portails (c'est lui qui a les clés) aux descendants qui entrent ou qui sortent, et qui ont, eux, hérité les parcelles que le temps, les héritages et les murs ont peu à peu multipliées et divisées.
J'ai découvert Tardi dans Pilote, avec des histoires courtes, comme "La Torpédo rouge sang" (vous dire si ça remonte, je ne me rappelle plus si c'est là-dedans qu'il y a un bouchon de radiateur auquel est attachée une malédiction (note du 6 décembre : j'ai retrouvé le bouchon de radiateur : il est dans la Rubrique-à-brac de Gotlib) ou l'album rigolo et déjà très engagé Rumeurs sur le Rouergue. J'ai ensuite admiré le travail (sur carte à gratter, me semble-t-il) dans Le Démon des glaces. Ensuite, je n'ai plus rien manqué de ce qui a suivi : l'improbable Polonius, fable rétro-science-fictionesque ; le très noir, sinistre Griffu, dans l'éphémère et excellent hebdo des éditions du Square BD. L'hebdo de la BD ; les adaptations de Léo Malet et Jean-Patrick Manchette ; La Débauche, Jeux pour mourir, la série Adèle Blanc-Sec, bien foutraque, quoiqu'un peu lassante à la longue (« Pa ! -Pa-zu ! -Pa-zu-zu ! », l'invasion des limules (la limule étant l'animal qu'Alfred Jarry considérait comme le plus définitivement laid de la création), le ptérodactyle, etc...) ; Varlot, Brindavoine, tout le saint-frusquin industriel et guerrier qui assomme les hommes de 14-18, ensemble au sommet duquel trône encore C'était la Guerre des tranchées, suivi de la litanie : Putain de guerre ! et Le Dernier assaut.
Je n'ai pas attendu Tardi pour être terrassé par la prise de conscience de ce qu'avait été la guerre de 14-18 pour l'Europe et pour l'humanité. J'avais dès longtemps commencé à photographier les monuments aux morts de France sous toutes les coutures, avec les aléas que sont le temps qu'il fait et l'heure d'ensoleillement optimal pour la prise de vue. Mais je dois dire que, quand j'ai découvert la même préoccupation chez ce grand auteur de BD, je lui ai été reconnaissant de me permettre de me sentir, je ne dirai pas en état de connivence, mais en terrain familier.
J'ai encore adoré les quatre volumes du sombre et tragique Cri du peuple, d'après l'œuvre de Jean Vautrin, au titre très julesvallèsien (c'était celui du journal fondé par Jules Vallès, lui-même acteur de la Commune, qui a pu s'exiler à Londres et échapper à la boucherie), qui raconte jusque dans les profondeurs bien sordides, mais de façon admirablement documentée, les deux mois de 1871, d'abord enthousiastes, puis atroces, qui sont restés dans l'histoire sous le nom de "Commune de Paris". Il ne nous épargne pas les horreurs auxquelles se sont livrés les Versaillais, mais aussi les excès commis par les Communards.
Je n'ai calé que sur le stalag où Tardi raconte son père prisonnier de guerre pendant la deuxième g.m. (gaudriole mondiale), et son retour. Que Tardi veuille bien me pardonner la faiblesse. Ce n'est sans doute que partie remise.
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lundi, 24 octobre 2016
ÇA FAISAIT DES BULLES …
… C’ÉTAIT RIGOLO
François Schuitten, dans (A suivre) n°3, avec son incroyable trait en courbes de niveau qui m'évoque irrésistiblement le corps zébré des femmes de Lucien Clergue (ci-dessous).
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dimanche, 23 octobre 2016
ÇA FAISAIT DES BULLES …
… C’ÉTAIT RIGOLO.
Jeanne d'Arc, vue, revue et corrigée en foutraque par F'murr.
F'murrr et ses "r" extensibles, son joyeux et débridé délire : Jehanne Darc, Au Loup (où il assaisonne à sa façon, en de nombreuses variantes frapadingues, le conte du Chaperon rouge), et surtout Le Génie des alpages (au moins une douzaine de volumes),
avec son troupeau de moutons en folie qui suivent les cours de la Bourse, son bélier Romuald, son chien qui explique E=MC², son berger au bord de la crise de nerfs plus souvent qu'à son tour, dans (A suivre) n°1.
Corbeau dessiné en direct par F'murr (avec un coup de main en forme de soleil couchant de Mézières), au temps où je courais les signatures-dédicaces (c'était à la librairie Expérience, fermement tenue par Adrienne, rue Petit-David, juste pas loin du théâtre des Ateliers).
Ceux-ci sont dans Barre-toi de mon herbe.
J'ajoute ceci, qui ouvre sur une perspective un peu plus "contemporaine".
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samedi, 22 octobre 2016
ÇA FAISAIT DES BULLES …
… C’ÉTAIT RIGOLO
Bazooka (Kiki ou Loulou Picasso, je ne sais plus), avec son fascinant graphisme de rupture, dans (A suivre) n°11.
Andreas Baader et Ulrike Meinhof. Au fond, le cadavre de Hans Martin Schleyer après l'assassinat et, comme dans un miroir, la plaque d'immatriculation de sa voiture.
Pas vraiment de la BD, mais un vrai style. Qui triomphe en noir et blanc.
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vendredi, 21 octobre 2016
ÇA FAISAIT DES BULLES …
… C’ÉTAIT RIGOLO.
Aux cimaises de ma galerie BD.
Le regretté Jean-Claude Forest, dans (A suivre) n°24.
Ce sont des gens comme Forest qui font mériter à la BD l'appellation de "Neuvième art".
Ah, Forest et sa talentueuse religion du corps féminin ! Barbarella (avec sa machine à faire mourir de plaisir ; avec son "Aiktor" le robot, disant après la "chose" : « Oh madame, je connais mes faiblesses : mes élans ont quelque chose de mécanique. - Aiktor, vous êtes sublime jusque dans vos répliques », cité de mémoire) pourquoi on ne ressort pas la version originale, celle d'avant la censure, au fait ?) !
Le Semble-lune, cette drôle d'histoire où, sur fond de concurrence compagnonnique (Browningwell contre Spoonlove, alias "Renard de liberté" contre "Varlope filante"), Barbarella va devenir mère en même temps que "mère" compagnonnique et cosmique effigie de la "Science éclairant le monde" (grâce au "Tric-Trac-Transfert"), c'est de la science-fiction si l'on veut, mais c'est surtout du Jean-Claude Forest, en train de parler d'art et d'amour. Et de l'amour de l'art. Et de la conquête des dix-huit planètes du système Faustroll.
J'adore Mystérieuse, matin, midi et soir, avec son "arbre minuit", avec son professeur Alizarine, avec son irruption de Barbarella devenue vieille dame. Pour raconter des histoires à son jeune fils, Fred a inventé l'île A sur la carte de l'Atlantique ; pour rendre hommage à L'Île mystérieuse de Jules Verne, Forest a inventé l'île du Pourquoi, avec sa forme en point d'interrogation.
J'aime beaucoup le cycle des Hypocrite : ...et le monstre du Loch Ness, Comment Décoder l'Etircopyh (à lire dans un miroir), N'Importe quoi de cheval, ce dernier avec son improbable espion Freddy-Fred, dit Le Fred, avec son pont d'Avignon en forme de tigre à dents de sabre, qui finit par s'effondrer, avec son Brise-Bise ronchon mais cœur d'or, avec, avec ...
J'ai une tendresse pour le graphiquement foutraque et déjanté Tiroirs de poche ... (et fonds de miroirs), avec ses chansons sans musique, ses femelles en chaleur et ses mâles au calibre respectable. Probablement sans queue ni tête (façon de parler), sans doute expérimental, mais indispensable.
Bref, ce que je n'aime pas, chez Jean-Claude Forest, c'est tellement peu que c'est ... rien du tout.
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mercredi, 19 octobre 2016
ÇA FAISAIT DES BULLES …
… C’ÉTAIT RIGOLO
Lacroix , dans (A suivre) n°24.
Je ne sais pas si Lacroix a fait beaucoup d'autres BD. Je sais seulement que sous l'alias d'Alias, il a produit un album tout à fait délectable, au titre sympathique de Fariboles sidérales. On y assiste entre autres à une mémorable partie d'échecs spatiaux entre l'espèce humaine et de méchants robots, les "andrinos". Chaque pièce est ici figurée par une flotte spatiale dont tous les membres sont des militaires bornés, impatients d'en découdre, mais attendant avec discipline l'ordre de partir à l'assaut. La flotte principale est évidemment la reine (ci-dessous). C'est celle-ci que le stratège humain décide de sacrifier. Le stratège des "andrinos" se jette sur la proie prestigieuse ainsi offerte, incapable d'imaginer que, trois coups plus tard, il sera mat. Un robot est-il, en 1979, capable de calculer, dans sa logique, le sacrifice de la reine ? Aussi l'humain triomphe-t-il de la machine, grâce à son audace et à son intelligence.
Il n'est pas sûr que Lacroix pourrait imaginer une telle histoire aujourd'hui. C'est que Deep blue est passé par là, en battant le champion du monde Garry Kasparov (1997). Et que depuis, on a fait mieux, puisqu'il existe aujourd'hui des machines programmées pour apprendre en même temps qu'elles fonctionnent, grâce au "deep learning". Tremblez, humains !
On nous dit que c'est ça, le Progrès. Or, c'est bien connu, on n'arrête pas le Progrès.
Mais Alexandre Vialatte (tiens, il y avait longtemps que) a réfuté la maxime de façon définitive :
« On n'arrête pas le progrès : il s'arrête tout seul ».
On peut ne pas être d'accord. Car il n'est pas impossible qu'un de ces jours prochains, le progrès nous marche dessus pour avancer tout seul comme un grand, après s'être débarrassé de l'humanité, ce fardeau encombrant.
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mardi, 18 octobre 2016
ÇA FAISAIT DES BULLES …
… C’ÉTAIT RIGOLO.
Aux cimaises de ma galerie BD.
Mandryka et son Concombre masqué, le légume raisonneur au nez ithyphallique (mais pas pioupiesque), dans (A suivre) n°2.
Mandryka, en compagnie de Gotlib et de Bretécher, avait fondé L'Echo des savanes, cette revue inoubliable et géniale, dans le premier numéro de laquelle Gotlib n'y allait pas de main-morte pour affirmer qu'il faisait désormais de la bande dessinée pour adultes, en réécrivant à sa façon les histoires du Petit Poucet et de ses frères ("gloupfl ! glopfl !"), de Tarzan ("ça dire à toi ?") ou de Blanche-Neige entourée de sept nains qui avaient la particularité intéressante de n'être pas nains partout.
Je me rappelle aussi, de Bretécher, deux adolescentes qui se mettaient dans tous leurs états au moment de leur premier tampax, qui se cachaient pour ça dans un placard, et qui, une fois munies de la chose, descendaient se pavaner dans la rue avec des airs de "grandes".
*******************
Aucun rapport, juste pour expliquer le "pioupiesque" :
« Ithyphalliques et pioupiesques,
Leurs insultes l'ont dépravé ».
A. R.
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dimanche, 16 octobre 2016
ÇA FAISAIT DES BULLES …
… C’ÉTAIT RIGOLO
Le très rabelaisien (et prolifique) Max Cabanes, dans (A suivre) n°1.
De gauche à droite Ysengrin, Hersent et Renart à la main baladeuse, qui n'aime rien tant que "trousser la gueuse" (quoiqu'ici il n'y ait rien à trousser au sens propre), dans la version probablement originale du "doigt d'honneur". Quelle santé ! D'autant que la dame montre à l'occasion toute la chaleur de son tempérament.
Cabanes a récemment (2014 ?) adapté en BD le formidable roman de Jean-Patrick Manchette Fatale, dans lequel une tueuse à gages sème la mort chez les notables d'une ville pourrie, allant jusqu'à faire usage d'une Weatherby 460 (avec sa balle de 32,4g. à comparer aux 10,2 du 357 magnum !), qui a dû sacrément lui démancher l'épaule au moment du tir. Si je me souviens bien, ça finit assez mal pour elle.
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vendredi, 14 octobre 2016
ÇA FAISAIT DES BULLES …
… C’ÉTAIT RIGOLO.
Aux cimaises de ma galerie BD.
Christian Binet dessine ici la moitié postérieure de Madame Bidochon (la série Les Bidochon en était à son vingtième album en 2010, malgré le procès de vrais Bidochon de je ne sais plus où, qui ont mis plus de dix ans à se rendre compte que, leur nom étant devenu célèbre, ils pouvaient gratter quelque chose, mais qui en ont été pour leurs frais), dans (A suivre) n°26.
J'apprécie la série, sans être un fanatique. Là où je me dis que Binet a fait très fort, c'est qu'il a (presque) fait de Bidochon un nom commun, passé dans le langage courant. Ce qui s'appelle, si je ne me trompe, une antonomase dans le langage des fleurs (de rhétorique), pas tout à fait au même titre que Don Juan, Harpagon, Tartuffe ou Apollon, mais pas très loin. Quel était l'écrivain qui rêvait d'inventer un stéréotype, parce qu'il considérait que c'était une preuve du génie (et du succès : je pense ici au "beauf" de Cabu, mot sur lequel certains ont même bâti le mot "beaufitude" ; remarquez que la Ségolène a bien fait "bravitude", alors ... Après tout, ce n'est qu'une histoire de suffixe !) ?
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jeudi, 13 octobre 2016
ÇA FAISAIT DES BULLES …
… C’ÉTAIT RIGOLO.
Sur les bancs du fond des cimaises de ma galerie BD, près du radiateur (« C'est là qu'ils s'épanouissent », disait Jacques Bodoin).
Martin Lodewijk n'est pas un "grand" de la BD, mais le gag est gentil, dans (A suivre) n°11.
Pour la ressemblance, j'hésite entre un souvenir du maître d'hôtel du "Klow", le restaurant syldave du Sceptre d'Ottokar,
et un autre de l'inoubliable maire de Champignac (ici dans une de ses brillantes envolées rhétoriques, moins le chapeau melon, dans Le Prisonnier du Bouddha).
En bas à droite de l'image, juste à côté du préfet qui fait la sieste, le bruit du "Générateur Atomique Gamma" (G.A.G. en abrégé !), cette invention géniale qui confère un sens propre à la vignette suivante, qui finit la phrase : « ... toujours plus hauts ! ».
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mardi, 11 octobre 2016
ÇA FAISAIT DES BULLES …
… C’ÉTAIT RIGOLO.
Aux cimaises de ma galerie BD.
Ted Benoît, que j'avais découvert avec un Hôpital plus vrai que le vécu hospitalier, et qui vient de nous quitter (ici, Ray Banana dans Berceuse électrique, une bonne histoire de détective, de secte d'illuminés envolés vers Sirius et les étoiles, de robots indestructibles, de savant fou et de belles carrosseries américaines des années 1950), dans (A suivre) n°36.
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dimanche, 09 octobre 2016
ÇA FAISAIT DES BULLES …
... C'ÉTAIT RIGOLO.
Aux cimaises de ma galerie BD.
Avoine, dans (A suivre) n°29.
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mercredi, 29 juillet 2015
BD : PRÉFÉRENCES
Ce billet pour confirmer ma préférence pour les dessinateurs qui privilégient le trait par-dessus tout. Mais un trait différent de celui d'Hergé : contrairement au sien, qui lisse tout jusqu'au neutre, j'aime souvent un trait qui manque de propreté (ça dépend comment c'est fait, et puis pas forcément), un trait qui bave un peu, qui bégaie et qui ne s'interdit pas les à-plats noirs. Un trait qui ait l'air un peu bâclé. Un trait aussi qui sache prendre quelques libertés avec l'exactitude et la ressemblance.
C'est mineur, je sais, mais regardez un peu le rendu du végétal à l'arrière-plan.
Pour résumer, un trait qui ne soit pas asservi à la réalité, tout en la traduisant. Un trait qui triche tant soit peu avec elle, qui attire l'attention sur soi et la subjectivité qu'il exprime. Un travail qui s'apparente, je trouve, à l'œuvre du peintre Giorgio Morandi et à certaines œuvres des Lyonnais Truphémus ou Régis Bernard : à mi-chemin entre la chose et sa représentation, comme pour dire en somme que le réel, ça ne va pas de soi. Ce qui prime, dans l'art comme dans la vie humaine, c'est le regard porté sur les choses et sur les autres.
Ces dessinateurs, j’en citerai encore trois, soit parce que leur nom n’est pas apparu, soit parce que je n’ai pas assez insisté, soit parce que j’ai envie d’y revenir. Ça n’épuise pas le sujet, évidemment.
Les trois se nomment Bazooka (enfin, pas toute la bande), Michelangeli, Crespin. J’aurais bien voulu retrouver dans mes affaires quelques traces d'Edmond Baudoin, mais peine perdue. Bazooka, je l’ai évoqué récemment : c’est le groupe au sein duquel travaillaient, entre autres, Kiki et Loulou Picasso. J’aimais beaucoup moins ce que faisait le reste du groupe, en particulier Olivia Clavel, mais bon. Lulu Larsen, pourquoi pas ?
Publicité parue dans (A suivre) : un petit coucou au cubisme.
Michelangeli (voir les trois premières vignettes, plus haut), j’ai vu ses images de loin en loin. Totalement absent de l’index du BDM (Béra-Denni-Mélot), qui recense tout ce qui a trait à la BD, je me dis qu’il a mis son talent au service d’autre chose que la bande dessinée (illustration, …). Dommage.
J'ai toujours été sensible aux lieux et aux choses sur lesquels le temps a passé et qui n'ont pas été ripolinés pour faire croire que c'est tout neuf. Alors quand un dessinateur abonde dans ce sens ...
Le cas de Michel Crespin est plus clair, donc plus satisfaisant. J’avais été saisi lors de la parution de Marseil dans Métal Hurlant. Le dessin se passe à merveille de la couleur. Là encore, c’était moins l’histoire (tant soit peu vaseuse, à la fois - il faut le faire - baba-cool, post-atomique et dangereuse, qui fait la part belle à une arme américaine célèbre, qui fait de beaux trous, chambrée en 5,56 (1300 m/s en V0) : drôles de baba-cool) que le trait qui avait attiré mon attention. Un trait qui fait la part belle aux traces que le temps laisse sur les choses quand on se garde d'intervenir.
Ce n'est pas du Auclair (voir avant-hier), mais ça pourrait.
Métal Hurlant fut une excellente revue (Moebius, Druillet, Tardi, Gillon, Hermann, etc.). A mon vif regret, j’ai été obligé de jeter l’intégralité de ma collection, un jour, après être descendu dans ma cave : l’humidité avait transformé toute la pile en un conglomérat noir et dur comme un pavé, tout était soudé. Je ne savais pas que le papier couché pouvait coller à ce point. Et un poids !!! J'aurais peut-être dû le proposer au sculpteur Bernard Pagès, allez savoir : il l'aurait peut-être ajouté à sa série des "Totems penchés".
Ça pourrait être du Moebius. Ce n'est que du Philippe Francq (Largo Winch). Un bon élève.
Métal Hurlant ? Un "totem penché" ? Affreux.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans BANDE DESSINEE, LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, bande dessinée, charlie mensuel, revue à suivre, michelangeli bd, bazooka production, kiki picasso, moebius dessinateur, jean giraud, gir
lundi, 27 juillet 2015
BD : LA REVUE (À SUIVRE)
J'ai commencé à dire du mal de l'évolution du monde de la BD à l'orée de l'ère de l'ultralibéralisme désentravé et décomplexé et de la financiarisation de l'économie (l'ère Reagan-Thatcher, années 1970). On me dira que ça n'a rien à voir. Mais le fait qu'une grosse maison comme Casterman (assise sur un trône en or massif appelé Tintin) publie à partir de 1978 la revue (A suivre) est quand même le signe que la bande dessinée quitte le bac à sable pour partir à la conquête du monde (je crois que le premier numéro avait été tiré à 100.000). Le lien n'est certes pas direct, mais je note la concomitance. Une évolution regrettable. Le début de la dictature du "Marché", des "Bourses", des fonds de pension et de la veuve écossaise. Et le début de la BD industrielle.
Il est loin, le temps d'Adrienne et de sa minuscule boutique fraternelle. "Expérience", ça s'appelait. Elle se situait rue du Petit-David. L'incroyable vogue des mangas (ces petits bouquins "dessinés" (?) à la va-vite et produits à la chaîne dans des usines à dessiner) est une autre preuve de ce passage à l'étape industrielle de la production de la BD : performance, productivité, prolifération. Et pour finir : surproduction. En Périgord, on appelle ça le gavage. Et ça donne ces beaux foies cirrhosés dont nous faisons nos délices (mais il faut tuer l'animal avant). Si quelqu'un a quelque chose à dire, qu'il le dise. Sinon, qu'il se taise. Mais s'il s'agit seulement de remplir des tuyaux (les "contenus"), on change de monde.
On voit que les écoles de BD, les festivals de BD, les "Prix" de la BD, les "Histoires de la BD", les cotes BDM (1ère édition en 1979) du "marché" n'ont pas tardé à fleurir et à occuper le paysage. On croit fermement que la bande dessinée, enfin devenue « adulte » et arrivée à maturité, est désormais un genre à part entière, tout à fait digne de l’intérêt des gens sérieux et responsables. Et soucieux de rester "modernes", "à la page" et "dans le coup". Quelle sottise !
N°5. Cabanes (avec Forest aux manettes du scénario) réécrit Le Roman de Renart. Ici, Hersent la louve (= madame Ysengrin) demande à Renart de la sauter. Inutile de dire que Renart s'empresse d'accéder à la supplique. Les gniards n'en perdent pas une miette. Hersent remercie Renart après le troisième service.
Il ne vient à l’idée de personne de se demander si ce ne serait pas plutôt un signe que les adultes de l’époque ont un peu perdu en maturité (bienvenue en enfance : voir l'irruption et le triomphe du jeu vidéo sur le marché des distractions). Qu'en est-il aujourd'hui ? Il ne semble pas que la tendance à l'infantilisation des foules se soit interrompue, bien au contraire. Et il n'y a pas que la BD pour s'en rendre compte.
N°1. Fmurrrrr. Il n'a pas fait que Le Génie des alpages, la BD qui fracasse l'élevage montagnard à grands coup de fantaisie et de n'importe quoi. Ici, il nous raconte une scène méconnue et jubilatoire de la vie de Jeanne d'Arc, quand celle-ci, complètement pétée, danse sur la table, et qu'elle commence à cuver quand le rideau est tombé (j'espère que le lecteur peut déchiffrer les légendes).
Comme il ne vient à l'idée de personne de se dire que c’est lorsque le ludique et l’amusant commencent à se prendre au sérieux qu’ils ne sont plus du tout ludiques ni amusants. C'est horrible à dire, mais avec A suivre, la BD commence à se prendre au sérieux. La BD devient presque pédante et donneuse de leçons. Pour un peu, elle prendrait de haut la grande littérature. Avec (A suivre), la maison Casterman se hausse du col.
Quelle idée aussi, de vouloir donner de la noblesse à une simple distraction, vaguement régressive au demeurant ! (A suivre) se propose donc de publier de véritables "romans graphiques" (ça ne s'appelle pas comme ça à l'époque, juste "romans", pour affirmer la prétention).
N°24. Jean-Claude Forest. Cet homme mérite un billet à lui tout seul : Hypocrite, La Jonque fantôme, Mystérieuse, l'Hydragon, tout ça est magnifique. Ici, une scène de "tendresse" dans un monde de brutes, décidée par une femme d'initiative (ne pas oublier que Forest est d'abord l'auteur de Barbarella). En matière de distribution de la "lumière", cette planche est admirable.
Romans graphiques, pourquoi pas ? Je ne dis pas qu’A suivre n’y a pas réussi, je dis juste que c’est au moment où la BD, élargissant sa « cible », passe d’un « marché de niche » au « grand marché », qu’elle a commencé à m’ennuyer. Quand elle a commencé à se dire que la "Croissance", ce n'était pas fait pour les chiens. Qu'elle aussi avait sa place dans le monde de la production industrielle, du rendement, de la performance et de la productivité.
La vogue du manga n'est qu'une folle excroissance cancéreuse de cette frénésie. Je ne sais plus quel dessinateur français travaillant au Japon fut obligé de se plier au rythme stakhanoviste de production des planches par semaine. Il n'empêche que, dans les mangas, l'effort d'expressivité pousse au simplisme des physionomies, à la caricature des émotions et des mimiques, tout étant mis au service de la narration (tendance qui culmine dans la vogue des "emoji"). Le stéréotype règne, tout-puissant. Il faut aller vite. Défense d'être subtil ou raffiné. Rien à voir avec le labeur de moine copiste auquel se livrent nos grands de la BD à la française (et à la belge).
N°1. Tardi, dans Ici-même, sur scénario de maître Forest. Désolé, je trouve que ça ne marche pas. Le travail des deux est admirable, mais. A bien y réfléchir, c'est peut-être l'argument de base qui fout tout en l'air (une histoire de murs restés le seul bien de l'héritier du jadis immense domaine de Mornemont, alors il passe son temps à courir dessus. Rien qu'à voir sa "maison" ...).
Pas question de nier la réussite de la revue : Tardi, Forest, Bourgeon et d’autres grandes pointures du récit dessiné. On ne regrette pas.
N°1. Sa Majesté Hugo Pratt. Ici (Corto Maltese en Sibérie), il montre qu'il sait tout faire : Corto Maltese rentre chez lui (en Chine !) : tout y passe, le cadrage, le trait et la surface, le noir et le blanc (admirez l'inversion positif-négatif à la troisième bande), l'ambiance. Un "Gentilhomme de fortune" avec une nostalgie de confort bourgeois.
Je place quant à moi deux auteurs très loin au-dessus de la pile : Hugo Pratt (ci-dessus), présent dès le premier numéro avec Corto Maltese en Sibérie, (mais c'est Pif Gadget qui a publié les premiers épisodes de Corto en France) et l’œuvre insurpassable de Didier Comès : Silence (ci-dessous), à partir du n°13.
N°13. Didier Comès : "je mapel silence é je sui genti" (le débile de Daniel Keyes dans Des Fleurs pour Algernon, a quelque chose à voir). J'ai moins aimé ce qu'il a fait avant et après (quoique La Belette ..., mais Ergün l'errant, franchement ...). Un fascinant sommet de la BD à mes yeux.
Les planches que je montre ici résument les préférences que j’ai marquées à l’époque, préférences que je ne regrette toujours pas aujourd’hui. On constatera sans doute, je ne peux le nier, que celles-ci donnent la priorité au trait. La "Ligne claire", quoi. Ben oui. Le trait, vous dis-je : hors du trait, point de salut ! N'est-ce pas Charles Trenet qui chante : « Fidèle, fidèle, je suis resté fidèle, A des choses sans importance pour vous » ? Moi, c'est le trait.
Je ne dirai rien de toutes les planches que je ne montre pas.
Voilà ce que je dis, moi.
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dimanche, 26 juillet 2015
BD : LA REVUE (À SUIVRE)
Je me propose de continuer à célébrer ici la bande dessinée, un genre de littérature un peu décrié, certes mineur, mais pas nul, et même parfois admirable. Oui, ça peut arriver. Ce sera cette fois à travers la revue (A suivre) (1978-1997), et plus particulièrement à travers quelques planches que je persiste à trouver dignes d'intérêt.
N°1. Auclair n'a pas fait que Simon du fleuve. On est à l'époque du retour à la terre, de l'âge baba-cool, de l'antinucléaire et du repli (rebaptisé "revendication") régionaliste (l'auteur rappelle la sommation : "Défense de parler breton et de cracher par terre") parfois guerrier. Bran Ruz (ci-dessus), c'est le retour de l'âge celtique dans la modernité, et du breton-langue-vivante. Bilal, dans Le Vaisseau de pierre, en faisait autant. Dans les deux cas, esthétiquement, c'est une réussite. Je ne parle pas de l'idéologie.
Nul ne peut affirmer qu’il aime LA musique. Certains me font bien rire quand, à la question : « Qu’est-ce que tu écoutes ? », ils répondent crânement : « Toutes les musiques ! ». De deux choses l’une : ils mentent, ou ce sont des ignorants pur sucre. Je penche pour la deuxième hypothèse, renforcée par l'arrogance de ceux qui croient que le monde est né en même temps qu'eux.
N°6-7. Jean-Claude Claeys, qui travaille d'après photo, fait des merveilles avec Marlène Dietrich, Humphrey Bogart, le corps des femmes ou le corps des armes. C'est beau, mais est-ce de la bande dessinée ? La preuve c'est qu'il a fini par se reconvertir dans l'illustration pour la couverture des romans noirs et policiers.
Il faut m’y résigner : il y a les musiques que j’écoute, et puis il y a toutes les autres, celles qui ne me disent rien, m’indiffèrent, m’horripilent ou me cassent les oreilles. Et puis celles que je n’entendrai jamais.
N°4. Ferrandez. Simplement estimable. Ici une histoire de malédiction dynastique : il y a de la tragédie, et même de l'égorgement dans l'air.
Pour la BD, c’est du pareil au même : il y a celles que je relis, et puis celles que je n’aurais pas même l’idée d’ouvrir. Donc je n’aime pas LA bande dessinée. Car ce "LA" n'existe pas plus dans la musique que dans la bande dessinée (et dans beaucoup d'autres domaines, je le crains).
N°26.Violeff. Pas mon préféré, mais des mimiques faciales à la Buster Keaton, qui introduisent une distance avec le cynisme et la violence de l'histoire, et des planches finalement très équilibrées.
Cela dépend des auteurs, des volumes, des époques, des humeurs. Et rares sont les auteurs dont j’apprécie tout le travail. Rien que de très ordinaire.
N°29. Tito. Ça se passe, je crois, en Espagne. Visez un peu l'amour et la dévotion avec lesquels Tito a dessiné le visage de sa grand-mère (il faut que ce soit elle), en haut à droite de la planche. Et puis ce bras, simplement posé ... j'en ai connu un pareil.
J’ai récemment rouvert de vieux Charlie mensuel : il y a beaucoup de déchet. Et puis je rouvre (A suivre) : même constat, il n’y a pas de raison. Mais en pire : on passe des "Trente Glorieuses", finalement jouissives, aux débordements ultralibéraux de l'ère Reagan-Thatcher, qui serrent le cou du destin du monde pour qu'il avoue dans quelle cachette il a déposé le trésor de l'humanité, afin de faire main basse sur celui-ci.
N°34. Ted Benoit. Ça se trouve au début, je crois, de Berceuse électrique, une histoire que je trouve encore très lisible. Une histoire un peu vaseuse ("Akasidi Akasodo"), où les personnages ont une existence flottante sur le plan romanesque (on ne sait jamais dans quel état ils errent !), mais une existence somme toute assez dense.
Entre Charlie et A suivre, il y a en effet un énorme fossé : dans Charlie, Wolinski, entouré de sa bande de potes (Cabu, avec Catherine, Reiser avec La vie au grand air, …), voulait faire connaître ses BD de prédilection, souvent les américaines de la grande époque (Dick Tracy, Peanuts, Krazy Kat, …), mais aussi donner leur chance à quelques-uns. En tout, un artisanat d’amateurs au meilleur sens du mot.
N°3. François Schuitten. Je n'ai jamais pu arriver au bout de son histoire (La Terre creuse), mais admirez un peu le trait que trace le monsieur, qui me fait évidemment penser à certaines photos de Lucien Clergue (la série des "nus zébrés", ci-contre).
Par rapport à Charlie, A suivre change d’échelle et d'univers, parce qu’on a de l’ambition, et qu’on croit à l’ouverture d’un véritable « marché », sur un « créneau » très prometteur. A suivre est une entreprise, à tous les sens (modernes) du mot. Efficace (dans un sens) et haïssable (dans un autre). C'est du professionnalisme pur et dur.
N°15. Munoz. Avec Sampayo, il a fait Alack Sinner, Le Bar à Joe, ... On essaie de copier les effets du cinéma. Une utilisation impressionnante du noir et blanc.
On entre dans la phase industrielle de la production de BD. La phase détestable, qui fait passer le nombre des publications de cent cinquante par an à dix fois plus. La BD devient une machine économique. Ça sent la gestion prévisionnelle, et ça crache. Surabondance. Engorgement. Indigestion. Hypermarché (Charlie fait vraiment "petit commerce", en comparaison).
L'amateur n'en peut plus et ne sait plus ou donner de la tête. Résultat, la segmentation en ghettos soigneusement délimités pour satisfaire chaque clientèle précise (héroïc fantasy, fantastique, space opéra, etc.). Un exemple : sur l'aviation de chasse, il y avait Tanguy et Laverdure, et puis Buck Danny (scénario de Charlier dans les deux cas, en plus). Aujourd'hui, regardez les présentoirs : ça déborde, ça fourmille de "chevaliers du ciel", actuels ou anciens.
Passer de cent cinquante albums de BD par an à mille cinq cents ! Et combien aujourd'hui ? Oui, c'est d'un vrai changement d'ère qu'il s'agit.
Voilà ce que je dis, moi.
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jeudi, 16 juillet 2015
BANDE DESSINÉE : GOLO & FRANK
FEUILLETON GREC
L'Europe institutionnelle, l'Europe des Traités est, face à la Grèce, en train de faire du plagiat. Le trio allemand Schäuble-Gabriel-Merkel, la folie guerrière en moins (quoique ...), est une réplique du trio néo-conservateur de sinistre mémoire, Bush-Cheney-Rumsfeld (n'oublions pas Wolfowitz), à qui nous devons le chaos actuel au moyen Orient. Il est à craindre que la folie bureaucratique de Schäuble-Gabriel-Merkel aboutisse, en Grèce et en Europe, au même genre d'instabilité généralisée, avec tous les risques que cela comporte. Même l'ultralibéral FMI supplie les instances européennes d'annuler une partie de la dette grecque, c'est dire ! C'est au trio allemand que nous devrons les conséquences de ce fanatisme. Apprêtons-nous à dire : « Merci pour tout ! ». Je voudrais savoir en quoi la privatisation à tout va des biens publics grecs doit être considérée comme LE remède miracle.
Ne pas oublier que la marque Merkel fabrique des fusils de chasse.
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Dans le monde de la bande dessinée, il y a les majestés souveraines, dont la statue équestre en bronze doré trône définitivement sur un piédestal de marbre noir (et dont la cote BDM interdit aux bourses plates l’accès aux éditions originales). Je parle évidemment des phares : Hergé, Franquin, Jacobs, Pratt, et quelques autres. Mais il y a aussi des « petits maîtres » tout à fait singuliers et tout à fait intéressants.
En peinture, en musique, on dira la même chose : à côté des Everest qui ont nom Rembrandt ou Delacroix, il y a, par exemple, le sympathique Monticelli, le peintre marseillais. Dans la bande dessinée, et je regrette qu’ils n’aient pas davantage produit, j’ai un penchant pour un tandem qui a fait parler de lui dans les années 1980 : celui qui tient le crayon s’appelle Golo, la plume est tenue par Frank.
Pour la couleur du récit, on reste résolument dans le noir, le crade. Peu de chose permet de différencier le voyou du flic. Tout se passe entre les appétits de pouvoir et d’argent et les bas-fonds plus ou moins glauques (Brassens dirait « interlopes », quoiqu’il chante : « … et non dans un chou, comme ces gens plus ou moins louches »). Il y a des prolos, des arabes, des putes, des travestis, des mauvais garçons, des drogués, bref : une faune peu reluisante.
Pour le dessin, le trait ressemble au contenu : il est sale à souhait, bien qu’il faille le rattacher à l’école de la ligne claire. Les contrastes sont accusés. Les traits des personnages sont découpés à la hache, au risque parfois de tomber dans la caricature des caractérologies de l’ancien temps, vous savez, Louis XVI décrit comme NENAS, traduction « Non Emotif, Non Actif, Secondaire », et toutes les salades du même acabit.
Par exemple, l’un des deux tueurs, dans Les Noces d’argot, un gras chauve balourd, s’il est doté d’un psychisme rudimentaire, ça ne l’empêche pas d’être un vrai méchant, même s’il se trouve sous la coupe du petit teigneux qui mène la chasse. Il y a aussi des allumés prêts à tout pour obéir au chef de je ne sais plus quelle Eglise universelle, mais qui se font dégommer par les précédents. Il y a aussi un bâton sur lequel est gravée une formule secrète : « Aura clausa patent » (L’or ouvre ce qui est fermé). L’histoire avait commencé à paraître dans Charlie mensuel.
Mais que Golo et Frank me pardonnent : ma préférence ne va pas aux trois épisodes des Noces d’argot (Dargaud éditeur, that’s a joke ?). Ils n’avaient qu’à ne pas commettre deux chefs d’œuvre : Ballades pour un voyou (1983) et La Variante du dragon (1989, d’abord publié dans la revue A Suivre).
Le premier raconte une arnaque à l’assurance, montée par Jeannot (qui sort de taule) et sa petite bande. L’idée qui rend le livre mémorable a été de truffer le récit d’évocations de chansons populaires qui parlent de la débine, des voyous, de la prostitution, de la révolte, de l’amour, etc. Le scénario se paie le luxe de rester à l’arrière-plan. L’avant-scène est occupé par les personnages, je devrais dire les « figures », voire les trognes, les trombines, les caractères, tous typés de façon presque brutale.
Trois camps s’affrontent, dont deux sont liés : la bande de blousons noirs aux insignes nazis qui tient les murs du café « Chez Riton », à qui il arrive de « travailler » pour Frankel, un juif antipathique dont la vitrine – le restaurant « Mittel Europa » – dissimule des affaires louches. Il « mouche à la pèlerine », c’est-à-dire qu’il est « protégé » par la commissaire Castagne, Marie-Aurore de son prénom. Drôle de couple, qui se livre à l’occasion à des jeux sado-maso, où la commissaire tient le fouet. Et elle chante la Marseillaise au moment où son doigt déclenche l’orgasme.
Boris, le yiddish, quand il se fâche vraiment.
Face à la bande de loubards et aux flics « ripoux », la bande de copains réunie autour de Jeannot. Il y a sa copine Babet, Vlad, qui trouve le coup à faire, et puis surtout, il y a Boris, juif de même origine que Frankel, qu’il fait chanter à l’occasion, parce qu’il en sait long sur lui. Il vous taille un faux diamant plus vrai que le vrai. Et il a la rancune aussi tenace que le culot. Ce personnage est la vraie trouvaille de ce récit, qui finit par une petite scène de guerre urbaine, où Boris tire sur les flics, avant de se jeter du toit de l’immeuble.
L’idée géniale qui dirige l’action dans La Variante du dragon (qui fait allusion à la « défense sicilienne », pour les connaisseurs) est d'organiser le récit sur le modèle d'une partie d'échecs. Pas n’importe laquelle : celle disputée au 16ème siècle par un certain Paolo Boï, qui a, paraît-il, gagné pas mal d’argent grâce à sa maîtrise du jeu d’échecs. Une partie où il aurait joué, dit-on, contre le diable, à cause d’un coup incompréhensible, qui donne la victoire à celui qui se croyait vaincu.
Sainte-Croix est la tête pensante et le financier d’un vaste réseau de trafic d’héroïne. A son service, le commissaire Sissa est l’ordonnateur exécutif de la chose. D’autres personnages importants gravitent autour de ces deux-là : Won Ton Charlie, qui représente les fournisseurs de came, Andréani, Catherine, Chérif, Bigaille, Tonton et Tonton, Fianchetto. A noter que Golo a donné à Sainte-Croix la belle gueule de crapaud difforme de Jean-Paul Sartre, quand il finissait sa vie en grenouille tombée accidentellement du bénitier. De tels détails réjouissent le cœur de l'homme.
Tous ces jolis cocos ont un gros souci : un petit malin s’est glissé dans le réseau et détourne à son profit toute la came, et le pognon qui va avec. Ce petit malin s’appelle Vétiver, parce qu’il a l’habitude de se parfumer à cette essence : « … un mec qui se fait des couilles en or … avec une idée, mais brillante ! ».
Là-dessus, quinze ans après avoir quitté la place, débarque son ancienne connaissance, Evereste Puig, qui a purgé quelque part une peine dans un bagne pour on ne saura trop quelle raison, et qui a besoin de se refaire une santé. L’avantage, c’est qu’il y est devenu redoutable aux échecs. Malheureusement, il va tomber raide dingue amoureux de Catherine, face à qui il a été obligé de coucher son roi.
Entre la drogue et les drogués, l’histoire navigue violemment d’un meurtre à l’autre, au rythme où pions et pièces se font prendre au cours de la partie. Tout est crade et impitoyable dans ce chaudron. L’histoire finit dans un bain de mort, où les moins mauvais s’en sortent.
C'est presque une morale. Pas tout à fait quand même.
Voilà ce que je dis, moi.
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samedi, 18 mai 2013
RECAPITULONS 2
UN : Plus il y a de l’ « Associatif », moins il y a de « Société ».
DEUX : Moins il y a de « Nation », moins il y a de « Société ».
TROIS : Plus il y a de « Privé », moins il y a de « Société ».
Privatisation à outrance et en accéléré de tout ce qui ressemble à du « bien commun ». J’ai pris l’exemple de Lyon et de la vente de ses bijoux de famille par son « grand-maire » Gérard Collomb, mais j’aurais pu aller chercher de multiples exemples, ne serait-ce que dans la capitale, avec le scandale du « Balardgone » (futur ministère de la Défense) décrit dans Le Canard enchaîné., comme application dans les grandes largeurs de ces PPP tant vantés aujourd'hui, depuis les sévices que Nicolas Sarkozy a fait subir à la France. PPP, c'est du "partenariat public - privé" : pour faire passer une belle arnaque, il faut une belle appellation.
LE CANARD ENCHAÎNÉ DE MERCREDI DERNIER (15 MAI)
J’ai pris l’exemple de la multinationale Monsanto, la reine des OGM, bien loin devant BayerCropScience ou Syngenta, et parlé à son propos de « privatisation du vivant ». Il faut savoir ce que signifie concrètement l’expression, dans la vie réelle des praticiens de l'agriculture : Monsieur Vernon Hugh Bowman, 75 ans, producteur de soja dans l’Indiana, a commis le crime de lèse-majesté en achetant ses semences dans un silo à grains de la région, au lieu de payer la redevance à Monsanto en personne. Résultat, il a semé des gènes brevetés Monsanto sans payer la dîme.
Il vient de prendre en pleine poire un violent « jab » (un "direct" à la face) de la droite de la Cour Suprême : après un procès de six ans, il est condamné sans recours à verser 85.000 dollars à Monsieur Adolf Monsanto, qui ne s’arrêtera que lorsqu’il aura étendu pour 1000 ans son empire totalitaire sur l’ensemble des plantes cultivées, et que les paysans, chaque année à date fixe, viendront remplir son bas de laine pour avoir seulement le droit d’enfouir dans le sol des graines dont il possède (pour l’avoir inventée et mise au point) une minuscule séquence du génome, sur laquelle il garde un droit de propriété. Ne pas confondre « droit d’enfouir » et « droit de propriété ».
M. VERNON HUGH BOWMAN N'A PAS L'AIR CONTENT. IL A DE BONNES RAISONS.
J’ai entendu de savants économistes vanter les bienfaits des PPP, initiés par feu (si seulement ça pouvait être vrai !) Nicolas Sarkozy. Les « Partenariats Public-Privé », paraît-il, c’est le fin du fin en matière d’action publique. Sauf que, après avoir laissé les « investisseurs » investir dans l’édification des bâtiments, la « puissance publique » (c’est le contribuable) paiera à Bouygues, Eiffage ou Vinci un loyer astronomique pendant plusieurs dizaines d’années.
Ce à quoi on a assisté depuis trente ou quarante ans, c’est au naufrage de ce qu’on appelait précisément la « puissance publique ». Mais un naufrage sciemment provoqué, comme si le capitaine fracassait lui-même à coups de hache la coque de son navire pour le faire couler.
Les coups ont été portés par l’américanisation des mœurs (y compris juridiques), par un bourrage de crâne incessant, par une « construction européenne » fondée sur une libéralisation à tout crin et une « concurrence libre et non faussée », où les « services publics à la française » faisaient figure de diplodocus et de brontosaures égarés dans la modernité marchande. Les « responsables » (sic !!!) politiques ont tous abondé dans le même sens, de Giscard à Hollande. Tous responsables, tous coupables.
L’OCDE en a décidé ainsi il y a bien trente ans : plus rien ne doit subsister de ce qui ressemble à un monopole d’Etat (transports, hôpital, éducation, etc., qu’on appelle aussi le bien commun), et tout doit pouvoir être mis en concurrence, comme n’importe quelle marchandise. Regardez l’arnaque qui se prépare dans les négociations entre Europe et Etats-Unis en vue d’un espace commun, absolument libre-échangiste.
Il faut à tout prix empêcher les peuples de persister à « faire société ». Pour ça, rien de mieux que la guerre de tous contre tous. Dans cette perspective, je conseille aux peuples de bien s’accrocher aux branches, parce que ça va souffler encore plus fort !
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans UNE EPOQUE FORMIDABLE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bande dessinée, martin veyron, humour, revue à suivre, nicolas sarkozy, bouygues, eiffage, vinci, ocde
vendredi, 17 mai 2013
RECAPITULONS 1
***
Récapitulons :
UN : La « Société » est devenue une abstraction, dénuée à ce titre de toute consistance vivante. Les gens qui vivent quand même à sa base essaient vaille que vaille d’y remédier en se groupant par centres d’intérêt (collectionneurs de timbres, amicale bouliste des cheminots, etc.) ou pour défendre des intérêts particuliers : malades du lupus érythémateux (AFL, vous pouvez vérifier mes sigles), peau noire (CRAN), sexe féminin (collectif la barbe, chiennes de garde ou, plus récentes, les ″femens″, etc.), sexe orienté homo (LGBT, Act Up, etc.), usagers des transports (AUT) ou de l’administration (ADUA), victimes des sectes (ADFI), et tutti quanti.
On appelle ça des « Associations loi 1901 ». Si je me permets de juger préoccupante leur prolifération, c’est pour la raison discutable mais impérieuse qu’on peut y voir le signe d’une décomposition du « corps social » dans son ensemble, les gens se rassemblant justement pour défendre, qu’on le veuille ou non, des intérêts particuliers. Plus il y a d’associations, ai-je dit, moins il y a de société (dit autrement : d’ « intérêt général »).
On pourrait en dire autant des « Organisations Non Gouvernementales » (ONG). Chacun en pensera ce qu’il voudra, mais selon moi, quand c’est une association qui agit sur un terrain (Restos du cœur, Banque alimentaire, Médecins sans frontières, etc.), c’est qu’il y a substitution de l’action privée à l’action publique, provoquée par la démission de celle-ci.
L'action privée des associations repose qui plus est sur le bénévolat. Mais des millions de bénévoles, cela suffit-il pour « recréer du lien social » ? Je dirais plutôt que le bénévolat est la preuve de la disparition du lien social. Les « hommes de bonne volonté » sont nombreux, mais l'adversaire est trop puissant. Et qu'on ne me parle pas de l'action militante. J'aimerais me tromper.
DEUX : Dissolution de tous les symboles fédérateurs qui permettraient aux Français de « faire société ». J’ai pris l’exemple de la nation française, dont on peut dire qu’elle n’existe plus que dans le rétroviseur de générations plus ou moins vieillissantes. Dans les faits, la nation s’évanouit dans les bras de l’incertaine Europe, dont les « directives » imprègnent d’ores et déjà 60 % des lois « françaises ». Au reste, ne suffit-il pas d’entendre certains (Nicolas Dupont-Aignan, Jean-Pierre Chevènement, et quelques autres) se faire traiter de « souverainistes », insulte méprisante dans la bouche de ceux qui prononcent le mot.
« Espèce de souverainiste ! ». Se déclarer ou être déclaré tel, c’est être catalogué partisan du passé, inscrit au fichier des grands nostalgiques, féroce et indécrottable adversaire du moderne et de l’indifférencié. C’est même pire : accepter de passer pour un facho, crispé sur l’improbable souvenir d’une « identité nationale » désormais périmée, et rangé parmi les épigones du Front National. Et ça, ba-caca, c'est horriblement vilain, les associations en ont décidé ainsi.
On pavoise encore pour la forme les mairies et autres édifices officiels, mais qu’est-ce qu’elle est devenue, la symbolique du drapeau ? Qu’est-ce qu’elle est devenue, la « patrie-des-droits-de-l’homme » ? Qu’est-ce qu’elle est devenue, la « fierté-d’être-Français » ?
Par là je ne veux pas dire qu’il faudrait être fier de ça. Je dis juste que s’il n’y a plus aucune raison d’en être fier, c’est que la chose a perdu son sens. Et que la France, après sa défaite définitive, a signé l’acte de capitulation sans condition par lequel elle se remet pieds et poings liés, entre les mains des modernes forces d’occupation. Et cette fois, les collabos ont pignon sur rue.
Comme symbole fédérateur, j’aurais tout aussi bien pu prendre l’exemple de la démocratie représentative, dans laquelle j’ai personnellement cessé de croire depuis déjà quelque temps. Mais je suis loin d’être le seul à m’abstenir d’aller voter aux élections, quelles qu’elles soient. Les journalistes sont satisfaits quand l’abstention ne dépasse pas 30 % : un tiers de déchet ne leur semble pas trop catastrophique, pour dire si le ver a déjà bien croqué dans le fruit.
TROIS : ... Ah non, je vois que ça fait trop long. Il faut donc que je procrastine. A demain.
Voilà ce que je dis, moi.
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lundi, 13 mai 2013
AH, "FAIRE SOCIETE" !
***
Les « zompolitics » (pour faire Coluche, il faudrait avoir le son) en ont plein la bouche. Députés, ministres, chefs de parti ne parlent « à regonfle » (comme on disait chez moi quand le patois lyonnais voulait encore dire quelque chose) que du « vivrensemble », de « faire société », de « refaire du lien social ». Les journalistes s'y sont mis.
Il paraît que ce genre d'affirmation, ça pose son homme, et ça donne une idée de son sens des responsabilités et de sa volonté de se dévouer pour ses semblables, en espérant toucher les dividendes de son investissement. Je n’exagère pas, tous ceux qui lisent cette note peuvent s’en convaincre en allumant le poste à l’heure de la propagande (je parle évidemment du 20 heures de TF1 ou de France 2) ou en donnant l'obole à leur quotidien de dilection morose. Ah, le « vivrensemble» !
ALLEZ ! TOUT LE MONDE REPREND EN CHOEUR AU REFRAIN !
C’est à qui en fera le plus pour apparaître, au milieu du cheptel politique (vaste troupeau de bovins carnivores, je veux dire de "vaches folles", mais ce sont ces mêmes vaches qui traient les bouseux que nous sommes, le monde à l'envers) comme le plus sérieusement convaincu que le « collectif » est le bien suprême, mais surtout que c’est lui qui s’en occupe le plus sérieusement.
Le problème, c’est que « faire société », ce n’est pas un individu, si haut qu’il soit placé, qui peut le décider. Regardez par exemple ce que c’est très vite devenu, la « fête des voisins » : une table, quelques chaises, des verres et des bouteilles. Des conneries. Quoi, c’est tout ? Oui, un point c’est tout.
Ce n’est pas la « fête des voisins » qui peut changer un iota au rythme et à la vitesse de croisière auxquels chaque individu se déplace dans sa propre vie quotidienne. Et ce n’est pas de crier « tous ensemble tous ensemble ouais ! » en arpentant les rues principales des grandes villes pour protester contre le gouvernement (10.000 selon la police) qui y changera une virgule.
Regardez l'énorme n’importe quoi qu’est immédiatement devenue la « fête de la musique » décidée par l’inénarrable pantin Jack Lang : une innommable bouillie sonore à coups de décibels électriques avec, dans certains quartiers urbains, un « orchestre » de jeunes « rockeurs » malhabiles appuyés sur la puissance d’amplificateurs qui leur donnent l’impression de faire de la « musique », alors qu’il ne font que du bruit, à peine compensé par le bruit que fait le groupe suivant, à cinquante mètres de là.
Soit dit en passant, en traitant Jack Lang d’inénarrable pantin, je suis d’une affabilité excessive, quand je lis ce qu’en écrivait Philippe Muray en 1998 dans la préface à la réédition son Empire du Bien : « A ce propos, je dois avouer mon étonnement de n’avoir nulle part songé, en 1991, à outrager comme il se devait le plus galonné des festivocrates, je veux parler de Jack Lang ; lequel ne se contente plus d’avoir autrefois imposé ce viol protégé et moralisé qu’on appelle Fête de la Musique, … ». Et ce n'est pas fini, mais j’arrête la fusillade.
« Faire société », il faudrait bien s’en convaincre, ça ne se décide pas. Pour une raison assez simple : c’est quand ça « ne fait plus société » qu’on se rend compte qu’il y en avait une, de société. C’est quand chacun des atomes que nous sommes est réduit à sa simple fonction de numéro dans une liste de numéros qu’on se rend compte qu’une société, ce n’est pas une liste d’individus. Il ne faut pas confondre « faire société » et administrer la société.
En effet, tant qu’on peut parler de « corps social », on a de quoi se faire une petite idée de ce que c’est, une société. Est-ce qu’il suffit pour cela d’avoir des institutions en état de marche avec des gens pour les faire fonctionner ? Je me permets d’en douter. Car qu’est-ce que c’est, un corps social ? C’est forcément une métaphore. Mais qui veut bien dire ce qu’elle dit. Comme dit Paul Ricœur, en titre merveilleux d’une de ses belles œuvres, c’est une « métaphore vive ». Et ça, y a pas à tortiller, ça ne s'administre pas.
Voilà ce que je dis, moi.
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vendredi, 10 mai 2013
LE PORTATIF DE PHILIPPE MURAY
OUI, JE SAIS, CE N'ETAIT PAS ENCORE L'EURO
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Ça fait une paie que je n’ai pas évoqué la haute figure de Philippe Muray. C’est regrettable : lire un peu de Philippe Muray chaque jour, c’est une excellente hygiène de l’esprit, en même temps que ça permet d’affûter la lame du regard jeté sur notre époque.
C’en est au point qu’au sujet de la pensée de Philippe Muray, je pourrais dire la même chose que Tonton Georges (mais lui, c’est d’une femme qu’il parle) : « Tout est bon chez elle, Y a rien à jeter ». Quoique je ne sois pas sûr qu’on puisse vraiment parler de la « pensée » de Philippe Muray. Il ne se prétendit jamais philosophe, Dieu merci. Après tout, je ne trouve rien de plus pertinent que « regard ». Un regard acéré, pour sûr.
Je n’ai pas lu tout Philippe Muray, juste les essais, et ses entretiens avec Elisabeth Lévy dans Festivus festivus (Fayard, 2005). Même pas tous les essais : j’ai calé, je l’avoue humblement, au bout de deux centaines de pages (sur 670) de Le 19ème siècle à travers les âges. Qu’est-ce qu’il a aussi besoin de faire bourgeonner à l’infini son cumulo-nimbus conceptuel ? La prolixité, moi, j’ai du mal. Et dans ce bouquin, s'il y a des idées proprement géniales, je n'y peux rien, la surabondance de l'expression m'intimide au point de me paralyser. Mais promis, je vais tâcher de m'y remettre.
En dehors de ça, je m’étais carrément régalé à la lecture du gros (1800 pages) volume publié par Les Belles Lettres, regroupant sous le titre Essais (2010) tout ce que Philippe Muray a publié dans des revues diverses et variées, articles plus ou moins développés, plus ou moins regroupés par thèmes, par dates ou par supports. Successivement, ça donne L'Empire du Bien, Après l'histoire, Exorcismes spirituels. Comme le conclut le rapport déposé par Superdupont sur la nouille française dans la Rubrique-à-brac (Marcel Gotlib, bien sûr) : « Rien que du bon : 98 %, Sel, 2 %».
Franchement, pour qui veut confirmer et conforter l’exécrable opinion qu’il a du « monde tel qu’il est », c’est une lecture de nécessité vitale, apte à rendre au suicidaire l’envie de retarder le geste fatal (dans le 813 de Maurice Leblanc, c’est ce qu’aura seulement réussi à faire Arsène Lupin, avec son obscur Leduc (le trop bien nommé), dont il aurait voulu poser le cul sur le prestigieux trône du grand-duché de Deux-Ponts-Veldenz).
Quel est le propos de Philippe Muray, pour ce que je peux en connaître ? Pour résumer et simplifier, il n’a pas un « système » à proprement parler, simplement il regarde, il écoute, il existe et il juge. Ce qu’il reproche à l’époque, c’est tout d’abord qu’il n’aime pas qu’on se paie sa tête en se payant de mots. Car on est à l’époque du bobard généralisé, du travestissement et du détournement des mots, de l’instauration du règne du langage perverti.
Ce qui me plaît aussi, dans la démarche de Muray, c’est qu’il refuse cette espèce de lâcheté tiédasse qui doit, paraît-il, habiller la pensée de tout universitaire qui se respecte : Muray n’est pas de ces « intellos » qui développent à n’en plus finir des argumentaires spécieux et interminables pour montrer qu’ils ont examiné la question sous toutes les coutures, et décider de ne rien décider tout en s’efforçant d’entortiller un peu de fantôme de réalité dans l’inextricable réseau de lianes de leurs raisonnements ou dans le serpentin labyrinthique de l’alambic de leurs systèmes abstrus.
Philippe Muray ne consent pas : il existe.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : philippe muray, élisabeth lévy, littérature, bande dessinée, martin veyron, revue à suivre, gotlib, rubrique-à-brac, georges brassens, festivus festivus, le xixè à travers les âges, l'empire du bien, après l'histoire, exorcismes spirituels, superdupont, maurice leblanc, arsène lupin
lundi, 06 mai 2013
DE "SILENCE" A "LA BELETTE"
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L’histoire de La Belette ? Il y en a plusieurs. Le père Renard est à la recherche du trésor que Théophile a patiemment accumulé, et qu’il a forcément planqué quelque part dans la maison, d’où des incursions discrètes à des moments divers. Manque de pot, le curé lui révèlera que Théo a tout légué à une société spirite : c'est bien la peine de se casser le cul à jeter des sorts pour pousser au suicide.
Hermann, l’Allemand toujours rejeté par les villageois, ne se console pas du suicide de son ami, un geste qui ne lui ressemble pas. Il brûle de se faire inviter dans la maison pour entrer en communication avec l’esprit de Théophile et avoir le fin mot de l’histoire.
NON, CE N'EST PAS LE CURÉ DE CAMARET,
MAIS LE "SORCIER" DE LA GROTTE, DESSINÉ PAR COMÈS
Les praticiens de la « vieille religion », Noël et sa fille, surnommée "La Belette", s’efforcent de la perpétuer en faisant de nouveaux adeptes. Pourquoi n’initieraient-ils pas le jeune autiste, qui leur semble très différent (sacralisation du paria), et entouré d'une aura de mystère qui leur ressemble ?
L'ORIGINAL "SORCIER" DU SANCTUAIRE DE LA GROTTE DES "TROIS FRERES", ARIEGE
Quand au curé, il redoute d’être bientôt obligé de dire la messe pour lui tout seul. Aussi est-il prêt à tout pour amadouer et séduire des fidèles potentiels, quitte à utiliser les grands moyens pour faire revenir les « brebis égarées » au sein de « notre sainte mère l’Eglise ».
LE "VENTRE-A-VENTRE" DE LA FUTURE MÈRE AVEC LA "MÈRE" PRIMORDIALE
La « vieille religion » se pratique en deux endroits : le fond d’une caverne avec une peinture rupestre, un « sorcier » (voir plus haut) emprunté à la grotte des « Trois Frères », dans l’Ariège ; en terrain dégagé, un cercle délimité par huit menhirs, au centre duquel se dresse une « Vénus de Lespugue », une « mère » auprès de laquelle elle se sent en sécurité.
La trouvaille de Comès, c'est de l'avoir faite géante (la vraie mesure 14,7 cm, pas un mm de plus, elle vient de Haute-Garonne et remonte, comme le "sorcier", au paléolithique supérieur, autour de 20.000 ans avant nous, ci-contre de 3/4 face, et ci-dessous, de 4/4 fesses). Cela prouve au moins que Comès et votre serviteur sont des gens sérieux, et qu'ils ne négligent rien quand il s'agit d'exactitude et de précision.
LA VRAIE (ET ADMIRABLE) "VENUS DE LESPUGUE" : C'EST DE L' IVOIRE DE MAMMOUTH
La Parisienne, qui se rend compte que « quelque chose » se produit en Pierre au contact de ces gens bizarres (contre toute attente, après son initiation, il parle enfin), finit par se rapprocher de la Belette, au point qu’elle reprendra son rôle quand la chouette (« oiseau de malheur », je crois bien que c'est une chevêche) dans laquelle elle s’était réincarnée aura été abattue par le père Renard. Ajoutons que Pierre semble bientôt doté de mystérieux pouvoirs (il assomme sa mère en mouvant un cendrier par la seule force de son esprit, puis il efface avec les mains la grave brûlure qu'elle s'est faite à cause de lui).
Quant à Hermann, croyant n’avoir rien obtenu après la séance de spiritisme dans la maison d’Hippolyte, il se suicide avec sa dague d’ancien SS. En réalité, l’esprit du mort est bien venu, mais l’ectoplasme de sa main est sorti de la bouche de Pierre endormi, et a indiqué à Anne la planche sous laquelle elle trouvera une des réponses à ses questions.
L'ECTOPLASME
Anne montre au curé la poupée au cou ficelé et la photo de l’envoûtement (qu'elle a trouvées sous la planche désignée). Il la met en garde contre les « mauvaises influences » et compte bien baptiser le petit qu’elle porte quand il sera né. En attendant, il brûle ces objets du diable. Disons qu’entre 1 - le curé catholique, 2 - les envoûteurs et autres sorciers, 3 - les amis adeptes du spiritisme et 4 - ceux de la « vieille religion », ça finit par faire beaucoup pour un seul livre. Comès a sans doute voulu faire un concentré de croyances, mais ça sent la surcharge. Et « surcharger » est de la même famille que « caricaturer ».
Bon, abrégeons : le fils Renard, à gueule de gnome, qui passait son temps à reluquer la Parisienne quand elle était à poil, sera noyé par le curé dans la fosse à purin (et pan pour la luxure !). Noël, le père de la Belette, subira, de la part du même prêtre si charitable, un coup de masse fatal, on le retrouvera sous une masse de rochers en bas de la carrière (et pan pour les superstitions !). Deux à zéro pour le curé.
ON SE RASSURE EN SE DISANT QUE, SI CE CURÉ-LÀ NE MANQUE PAS DE POIGNE, IL N'A RIEN D'UN PEDOPHILE
Mais la Belette a deviné (ci-contre, croa-croa) qui était l’assassin. Déguisée en chouette, elle empêchera le prêtre Noël (si !) de tuer la future mère. Ecervelée, elle lui avait déclaré qu’elle se mettait sous la protection de Déméter, la « Mère », le jetant dans une fureur homicide. Et finalement, c’est lui qui y passe. Bien fait, tiens !
Pour conclure, donc, des personnages aux traits et aux caractères tranchés jusqu’à la caricature. Le roman (il faut bien parler de roman) est construit de façon plus sommaire que Silence, se contentant de faire croître les péripéties en intensité du début à la fin, plutôt que de ménager, tout au long de l’action, des changements de points de vue. L’ensemble est efficace, c’est sûr, mais bon, Comès a peut-être voulu surfer sur le coup de foudre qu'avait été Silence.
D'ACCORD, ÇA FINIT ASSEZ NUNUCHE, MAIS REGARDEZ AUJOURD'HUI TOUTES LES "MAMANS" QUI SE BALADENT AVEC LEUR MERDEUX SUR LE BIDE
On est quand même un peu surpris que la morale de l’histoire fasse triompher la « vieille religion », toutes les autres croyances ayant échoué ou failli. La régression massive dans le sein de Déméter (étym. la « Mère des peuples »), vieille divinité grecque et néanmoins primitive, que semble recommander Comès, si elle résulte d’un bon diagnostic sur la faillite de la civilisation « spectaculaire-marchande » (Guy Debord), ne me semble à moi rien augurer de bon pour l’humanité.
On me dira de ne pas confondre le réel et le fictif. Bien sûr, mais quand on regarde le réel aujourd'hui, on se dit que Didier Comès, en 1981, n'avait pas que des fantasmes, loin de là.
Voilà ce que je dis, moi.