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samedi, 14 avril 2018

ECOLOGIE POUR UNE AUTRE FOIS

Ce billet du 4 décembre 2011, remis en ligne aujourd'hui, a été assez amplement remanié (comme on dit dans un autre secteur : "Edition revue et corrigée").

Résumé : ce qu'on appelle la pollution n'est rien d'autre que le produit logique de tous les objets qui nous donnent confort et facilité.  

Mais je vais vous dire une bonne chose : la pollution, on n’en parlerait pas si cette façon de vivre était restée confinée et circonscrite. La pollution, on ne saurait même pas ce que c’est. Tu te rends compte, le bonheur ? Au lieu de ça, c'est l'angoisse. Et pourquoi ça, je vous le demande ? Parce que tous les non-occidentaux en ont voulu. Rien que des jaloux. Pas de la pollution : des objets dont nous sommes si fiers. Tu te rends compte, le culot ? Mais c'est la loi : si tu veux les objets, tu prends la pollution dans la foulée, c'est logique et forcé, c'est livré avec. Et plus on se met nombreux à les vouloir, ces sacrés objets, plus grosse elle va devenir, la pollution, c'est logique et forcé. Plus tu consommes, plus tu pollues. C'est proportionnel. Peut-être même que, à certaines conditions, ça peut devenir exponentiel.  

Et c'est vrai, si l'usage des objets fabriqués avait été réservé aux habitants de leur aire de production d'origine, en gros et pour résumer, l’Amérique du Nord, l’Europe occidentale, l’Australie et le Japon, je vous le dis, on n'en serait pas là ! Ce qu’on appelait, il n’y a pas si longtemps, les « pays développés ». Mettons un milliard d’individus. Qui vivaient tranquilles à piller la planète en bons pères de familles. Ça pouvait durer encore un peu. Disons quelques siècles sans se faire trop de mouron. 

Tandis que là, si tout le monde s'y met, ça ne va plus être possible. Qu’est-ce qui leur a pris, à tous les autres, de les vouloir, ces objets ? Ils vivaient heureux (pas les objets, ballot !). Un mode de vie simple, pas de livres donc pas de littérature écrite, une alimentation frugale, des ambitions modestes pour les enfants, pas d'impôts, une existence « à l’ancienne », héritée des ancêtres. Ils avaient tout, sans avoir nos objets. Bon, ils ne gagnaient pas lourd, mais comme la vie ne coûtait rien ... (remarquez que, à la réflexion, c'est peut-être ça, notre problème : que ça ne leur coûte rien, de vivre : une piste à explorer). 

Les femmes gardaient vivants quelques enfants, sur une vingtaine de grossesses. Au moins, la mortalité infantile n’était pas faite pour les chiens. C’était le bon temps. Personne ne se plaignait. C’était comme ça. Quand on excisait, il n’y avait pas vingt clubs de tiers-mondistes huppés et de droits-de-l'hommistes magnanimes pour vous tomber sur le râble et vous faire renoncer à vos coutumes séculaires et barbares.  

Notez que, pour la mortalité infantile, c’était du pareil au même chez nous, deux cents ans avant. Je ne sais plus quel médecin anglais a fait faire un bond à la fertilité finale des femmes quand il a enseigné le lavage des mains aux accoucheuses et à ses collègues (je me rappelle, en janvier 1973, mon étonnement et ma légère incrédulité quand j'avais vu l'accoucheur de ma première fille procéder à un très long et très méticuleux lavage des mains, au savon de Marseille et à l'eau froide, dans un lavabo du large et long corridor de l'ancienne Maternité de la Croix-Rousse, désormais ultramoderne). On a appelé ça le progrès. On y a cru. Dans le fond, c’est la médecine européenne qui a inventé la « bombe démographique ». 

C’est vrai que l’occident, en même temps qu’il voyait se multiplier les sympathiques « créateurs de richesse », le dollar entre les dents, a vu proliférer les indispensables « grandes âmes » (sens du mot magnanime). Comment, se sont-ils écriés, nous allons chercher chez les sauvages les matières qui nous permettent d’avancer sur la voie du Progrès, et nous les laisserions éloignés des bienfaits de ces avancées ? C’est le moment de leur envoyer la médecine, et puis tiens, tant qu'on y est, le docteur Schweitzer à Lambaréné avec dans ses bagages Raoul Follereau pour lutter contre la lèpre. C'est comme ça et pas autrement qu'on a allumé la mèche de la « bombe démographique ». 

La Terre parvient à son 1er milliard vers 1800, à son 2ème vers 1925, à son 6ème en 1999. Elle vient d’atteindre son 7ème milliard (ce sont les chiffres en gros). Aux dernières nouvelles, la Terre, encore toute grosse, aurait déclaré : « Je suis contente, et j’espère faire mieux la prochaine fois ». On se croirait à l’arrivée du critérium de Tence (Haute-Loire) dans les années 1960, quand Fayard arrivait toujours premier. On l’encourage. Et on applaudit très fort. « Tiens bon, la Terre ! Allez, citius, altius, fortius ! », comme aurait dit Coubertin ou son copain curé. 

Donc, le monde non occidental vivait très bien comme ça. Disons qu'il vivait. Et puis le monde occidental a débarqué avec sa médecine. Accessoirement et en même temps, il a voulu apporter l’occident en personne. Autrement dit, en plus de la médecine, les objets, le goût des objets modernes, ceux qui marchent à l’électricité et à l'essence, ceux qui sortent des usines. 

C'est qu'il fallait bien apporter la médecine au Tiers-Monde pour transformer les populations démunies, d’abord en autant de clientèles en bonne santé, ensuite en clientèles solvables. Parce que les usines occidentales crachaient leurs objets à jet continu et que les marchés des pays développés étaient saturés. Il fallait élargir à tout prix. 

On a donc imaginé toutes sortes de « marchés potentiels » pour écouler tous ces surplus. Hannah Arendt explique ça très bien dans Les Origines du totalitarisme (deuxième partie, je crois, celle sur l’impérialisme). Elle intitule d’ailleurs drôlement un paragraphe « Embarras suscités par les droits de l’homme ». Vous m’excusez de la remettre sur le tapis, c’était juste en passant. De toute façon, ce n'est pas tout à fait ça qu'elle dit. 

L’occident a donc exporté l’occident, partout où c’était possible, ce qui veut dire « partout ». L'occident a implanté l'occident dans le monde. Le monde s’est occidentalisé dans la foulée. Et la foulée, qu'est-ce qu'elle a fait ? Elle a continué. Et il faut le comprendre, le monde, il a voulu « vivre à l’occidentale ». C'est-à-dire avec l'électricité, l'essence et l'eau courante. Et quand l'Amérique a pris la tête de l'occident, tout le monde s'est mis à vouloir adopter l' « american way of life ». Ben oui : un Progrès décisif, pour le coup, mais une Catastrophe. 

Surtout l'électricité. Plus de courant ? Rendez compte ? Plus de télévision ! Autant dire plus rien. L'angoisse. Moi, j'en rigole, rien qu'à l'idée de la pléiade d'empaffés qui seraient radicalement privés de montrer leur trombine dans le poste, et d'en toucher les dividendes. Sur la paille, Nagui, Hanouna, Bern, Salamé. Réfléchis : combien de temps passes-tu dans la journée avec quelque chose qui marche à l'électricité ou à l'essence ? Trop. Et l'énergie, électrique ou pétrolière, il faut la produire. Eh oui, les petits enfants, c'est produire et consommer qui se sont mis d'accord pour faire la vilaine pollution.

Vous allez demander s'il est possible de produire sans polluer ? La réponse est oui, mais à deux conditions : d'une part le nombre, la quantité, et d'autre part la simple satisfaction des besoins. Si tu produis juste ce dont tu as besoin, pas de problème. C'est quand l'homme commence à s'ennuyer qu'il se met à éprouver des besoins dont il n'a pas besoin. C'est quand il ne sait plus à quoi elle sert, la vie qu'il vit : il a besoin de se remplir de toutes sortes de choses dont il n'a rien à faire en réalité.    

Vivre à l'occidentale, ça veut dire, en réalité, un poste de télévision dans chaque pièce de la maison, des frigos et congélateurs pleins à ras bord, des voitures, des ascenseurs, des téléphones portables, des ordinateurs, et tout le reste. Bref, vous avez compris, le « confort moderne ». Vivre à l'américaine (ou à l'occidentale), ça veut dire : avoir trop.  

Y a pas de raison que vous autres occidentaux soyez seuls à posséder tout ça. Tout le monde a droit au trop. Et quand on y réfléchit, on se dit que c’est bien vrai : il n’y a aucune raison rationnelle pour priver de nos bienfaits matériels les six milliards d’hommes qui n’en disposaient pas encore. 

Vous avez compris pourquoi la énième conférence sur le climat, qui a lieu en ce moment à Durban, en Afrique du sud, est vraiment très mal partie. On nous dit qu’il faut abonder un fonds mondial pour le climat. D’abord, je demanderai : « Quel argent ? ». Mais l’argent, on en trouve toujours quand c’est important aux yeux des gens importants. 

Ensuite, je demanderai : « Au nom de quelle raison et de quel principe l’occident empêcherait les pays pauvres (et les pays avancés des pays pauvres, les désormais fameux B.R.I.C.S.) d’accéder au même degré de bonheur matériel qu’il a pour son compte atteint autour de 1900 ou 1920 ? ». 

La plaidoirie est remarquable, non ? Merci pour l'orateur. C’est entendu, tout le monde a le droit d’être trop riche et de consommer bien au-delà de ses besoins, exactement comme les occidentaux. Il n’y a pas de raison. Comme ça, l’extraction forcenée des ressources (étape nommée « au départ ») va s’élargir et devenir furieuse, puis tonitruante, et la poubelle (étape nommée « à l’arrivée ») va se rétrécir, puis devenir minable. Et l'humanité va y élire domicile, dans la poubelle. Ce qu'elle a un peu commencé à faire. 

Vous savez comment ça va finir, en toute logique ? Les étapes « au départ » et « à l’arrivée » vont se confondre. Concrètement, ça va donner quoi ? Ben, ça me paraît évident. Quand l’extraction forcenée va arriver dans le mur, eh bien c’est tout simple, elle va extraire directement ce qui se trouve dans la poubelle. C'est pour ça que le recyclage a l'avenir devant lui. Pierre Dac, alias Sar Rabindranath Duval, poursuit illico : « Mais il l'aura dans le dos chaque fois qu'il fera demi-tour ». 

Oui, elle va extraire directement dans la poubelle le carburant qui actionne la production de produits. J’appellerais volontiers ça « la planète autophage ». Sauf que c’est ceux qui s’agitent dessus qui vont creuser le sol sous leurs propres pieds. Je vois bien les dessins d’un nommé Granger qui dessinait dans les années 1970. Un genre d’humanité autophage.

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Il a même dessiné les pochettes des premiers disques du génie musical que le monde entier nous envie : Jean-Michel Jarre (ci-dessus Oxygène, 1976, 18 millions d'exemplaires vendus dans le monde). Bon, c’est vrai qu’il fait plutôt dans l’esbroufe et le spectaculaire que dans le musical, ne parlons même pas de l’artistique, mais Michel Granger, en dessin, ça reste une pointure. Je ne sais pas ce qu’il est devenu. 

L’objectif, c’est que sept, puis neuf milliards d’humains puissent vivre « à l’européenne ». Non, ce serait injuste : autorisons-les à vivre « à l’américaine ». A l'européenne, il faudrait juste trois planètes identiques pour que ça soit viable. A l'américaine, c'est cinq planètes, qu'il faudrait. Comme ça, ce sera plus net. 

C’est bien vrai, finalement, que l’occident (américanisé jusqu'à l'âme) est schizophrène. D’un côté, l’économie, la richesse, le progrès, le confort, la croissance, la technique. De l’autre, les principes, la justice, les droits de l’homme, les grandes âmes (« mahatma », en hindi), l'humanitaire et la charité publique, internationale et "sans frontières". D’un côté, la liberté (de s’enrichir). De l’autre, l’égalité et la justice. On est donc devant cette belle équation à résoudre : comment continuer à croître, tout en voulant imposer la justice ? 

Drôle de paradoxe, quand même : liberté + égalité = planète invivable. Vous ne trouvez pas que c'est bizarre ? Et si vous ajoutez le troisième terme, la fraternité, je crois que c'est plutôt une sorte de guerre qui se profile à l'horizon, vous ne croyez pas ?  

Je la vois déjà, la planète à 9 milliards d’hommes égaux en richesse à l’Américain moyen d’aujourd’hui. Allez, gardons le sourire. Plus ce sera rapide, moins ce sera douloureux. C'est déjà ça de gagné.

On pensera à l'écologie la prochaine fois. Ou alors une autre fois. Ou alors ... 

Voilà ce que je dis, moi.

mercredi, 19 octobre 2016

ÇA FAISAIT DES BULLES …

… C’ÉTAIT RIGOLO

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Lacroix , dans (A suivre) n°24.

Je ne sais pas si Lacroix a fait beaucoup d'autres BD. Je sais seulement que sous l'alias d'Alias, il a produit un album tout à fait délectable, au titre sympathique de Fariboles sidérales. On y assiste entre autres à une mémorable partie d'échecs spatiaux entre l'espèce humaine et de méchants robots, les "andrinos". Chaque pièce est ici figurée par une flotte spatiale dont tous les membres sont des militaires bornés, impatients d'en découdre, mais attendant avec discipline l'ordre de partir à l'assaut. La flotte principale est évidemment la reine (ci-dessous). C'est celle-ci que le stratège humain décide de sacrifier. Le stratège des "andrinos" se jette sur la proie prestigieuse ainsi offerte, incapable d'imaginer que, trois coups plus tard, il sera mat. Un robot est-il, en 1979, capable de calculer, dans sa logique, le sacrifice de la reine ? Aussi l'humain triomphe-t-il de la machine, grâce à son audace et à son intelligence.

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Il n'est pas sûr que Lacroix pourrait imaginer une telle histoire aujourd'hui. C'est que Deep blue est passé par là, en battant le champion du monde Garry Kasparov (1997). Et que depuis, on a fait mieux, puisqu'il existe aujourd'hui des machines programmées pour apprendre en même temps qu'elles fonctionnent, grâce au "deep learning". Tremblez, humains !

On nous dit que c'est ça, le Progrès. Or, c'est bien connu, on n'arrête pas le Progrès. 

Mais Alexandre Vialatte (tiens, il y avait longtemps que) a réfuté la maxime de façon définitive :

« On n'arrête pas le progrès : il s'arrête tout seul ».

On peut ne pas être d'accord. Car il n'est pas impossible qu'un de ces jours prochains, le progrès nous marche dessus pour avancer tout seul comme un grand, après s'être débarrassé de l'humanité, ce fardeau encombrant.

mercredi, 28 octobre 2015

VIVE LA VIANDE ROUGE

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Malgré ce que nous disent les laboratoires.

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Même si ça donne le cancer. Mais on vit une époque formidable : pendant les massacres, la science continue à vouloir sauver l'humanité. L'humanité n'a qu'à bien se tenir !

Qui a dit qu'un "Progrès" s'accompagne mécaniquement d'un "Régrès" ? On n'arrête pas plus le Progrès que le Régrès.

Tout ce qui est inhumain est humain.

dimanche, 23 juin 2013

PARLONS DE PHILIPPE MURAY

 

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LA PHOTO EST PRISE EN 1913. LE MONSIEUR EST PAYSAN (SI !). PHOTO D'AUGUST SANDER.

 

***

Philippe Muray cherche ses références chez les ennemis de la Révolution et des Lumières. Par exemple, il se tourne de temps en temps vers Joseph de Maistre, dont il dit, par exemple : « Plus on cesse de croire au démon, prophétise-t-il, et plus il s’imprime en vous comme une séduction ». C’est, soit dit modestement, dans cette voie que s’engageaient mes balbutiements récents autour de la question : « Que faire avec le Mal ? ».

 

C’est vrai que je suis gêné aux entournures, et même davantage, face à ce problème, parce que, pour parler franchement, j’appartiens à cette race des enfants des Lumières, et j’ai grandi dans la vénération de 1789 et de 1848. Ce n'est certainement pas hérité de famille : grand-mère Croix-de Feu, Grand Oncle adepte des "Charles Martel", ...). 

 

Puisqu'il en était ainsi, je me suis mis à téter la République à la mamelle, et j’ai bien longtemps eu le culte de Marianne et de sa fière devise. J’ai frissonné au récit de la soirée du 26 août 1789 et au tableau de cet élan fraternel et généreux qui guida la main des rédacteurs de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

 

Je l’avoue, j’ai gobé comme un œuf primordial l’espoir d’une émancipation humaine universelle et la croyance dans un Progrès ininterrompu, dans la marche opiniâtre d’une humanité pacifiée vers l’amélioration de son sort dans tous ses aspects. J’ai fait mienne toute la mythologie narrant par le menu cet avenir riant qui s’ouvrait devant l’humanité régénérée, dans laquelle tout individu est réputé en valoir un autre (Egalité), et où chacun est invité à promouvoir et à défendre si besoin la Liberté contre tout ce qui la menace.

 

C’est de là que je viens, et j’ai encore du mal à m’en défaire. Et le photographie,august sander,allemagne,hommes du 20ème siècle,philippe muray,le 19ème siècle à travers les âges,révolution,1789,lumières,déclaration des droits de l'homme,progrès,liberté égalité fraternité,cimetière des innocents,église catholique,francs-maçons,roi de france,bourbonspropos de Philippe Muray ne vient qu’appuyer le doute qui s’est glissé dans mon paysage depuis déjà quelque temps (j'en parlerai peut-être). Son 19ème siècle à travers les âges confirme diverses lectures précédentes. Je suis frappé par la justesse de considérations comme la suivante.

 

Montrant que le 19ème a réhabilité Satan et retourné le Mal en Bien (il faut extirper jusqu’au moindre germe de culpabilité chrétienne, dans le même temps qu’on arrache jusqu’aux racines de l’Eglise catholique) : « … ce qui apparaissait comme négatif se révèle comme persécuté … » (p.645). Les signes se sont inversés. Quelle formule géniale ! Le « négatif » (alias le Mal, le démon, Satan, la sorcière, les anormaux, les pécheurs, …) devient le « persécuté » (le handicapé, le sans-papiers, la femme, l’homosexuel, le musulman, …). Le porteur du Mal est transformé en victime. La Trouvaille !

 

Selon cette nouvelle grille de lecture, c’est donc la Société qui est coupable, ce qui inaugure mécaniquement l’ère du règne de la victime. L'avènement de la victime, prise dans les griffes de la Société. Corollaire immédiat : puisque la Société n'est plus détentrice de la Vérité et du Bien comme de critères normatifs intangibles, c'est elle-même qui produit le Mal dont elle pâtit. Et elle ne va cesser de se fouiller les entrailles et de se battre la coulpe à coups de Michel Foucault, pour extirper ce Mal d'un nouveau "genre". Cela rejoint finalement les préoccupations que j’exposais dans ma petite série de billets intitulée : « Qui est normal ? ». Tout cela semble donc se tenir assez bien.

 

La réponse à cette question, la conclusion logique du défroquage général (les hommes revêtus du noir de la soutane sont devenus, au sens propre, les « bêtes noires »)  et en profondeur de la Société et de l’enfouissement des restes du catholicisme dans ce qu’on espère être des oubliettes ? « Tout le monde est normal », chante la Société, dans le grand cantique de l'élan de communion universelle et de syncrétisme total dont elle se sent portée vers la Lumière apportée par les « Lumières ».

 

Et : « Il ne faut laisser personne sur le bord de la route ». Voilà le grand nouveau Credo, l’hymne supranational, la grande marche non-militaire qui doit conduire l’humanité, au prix, il est vrai, de torsions et supplices divers infligés à la langue et au sens des mots.

 

Je parle d’ « enfouissement » : c’est le sujet du premier chapitre du livre de Philippe Muray. Une idée lumineuse ! Peut-être un trait de génie, je ne sais pas trop. C’est l’histoire du déménagement officiel mais nocturne du Cimetière des Innocents. En 1786, ce n’est plus un cimetière, c’est un dangereux entassement de morts. L’espace dépasse la chaussée, par endroits, de plusieurs mètres. Les murs de certaines caves s’effondrent. Le voisinage des morts, sous la pression des « Lumières », est devenu gênant, voire incompréhensible. Pensez : depuis le moyen âge, qu’on enterre les morts dans ce lieu.

 

Muray fait du déménagement du cimetière et de l’enfouissement des restes humains qu’il contenait dans ce qu’on appela « Catacombes de Paris » le fait inaugural de ce qu’il désigne sous le nom de « dixneuviémité », d’ « homo dixneuviemis ». Muray avance le nombre de 11 millions d'individus, dont les os sont entreposés dans les Catacombes, à la fin du siècle « nécromantique ». Un précurseur de la Révolution, pas moins. En même temps qu’un aboutissement des Lumières. Et en même temps que l’offensive déterminante qui devait en finir théoriquement avec le règne de l’Eglise catholique.

 

Certains (n’est-ce pas, R. ?) pensent que ce sont les francs-maçons qui ont eu la peau de l’Eglise catholique. C’est sûr, ils font partie de  la conjuration. Peut-être même un élément moteur. Mais je suis convaincu, pour ma part, que jamais cette élite de l’élite n’aurait pu peser d’un poids suffisant pour mettre la papauté et tout son clergé hors d’état de nuire, et cela en un peu plus d’un siècle, s'il n'y avait pas eu consentement général (voir la fin peu glorieuse des Bourbons en 1830 et la farce louis-philipparde et "juste-milieu" qui s'en est suivie).  

 

Les francs-maçons, je veux bien, mais s’il n’y avait pas eu un mouvement intellectuel dans les profondeurs de très larges couches du « corps social », et si les francs-maçons avaient été seuls à la manoeuvre, l’offensive anti-catholique aurait pu durer encore des siècles.

 

C’est ce qui apparaît de façon claire dans le livre de Philippe Muray. La coalition des forces anti-pape est tout à fait hétéroclite et multiforme. A ses yeux s’esquisse une sorte de ligue : celle de tous ceux qui, à coups de théories socialistes, souvent fumeuses, parfois carrément délirantes, de plans phalanstériens et de tables tournantes, ont pour objectif de conduire, d’une main sûre, l’humanité vers les jours radieux d’un bonheur sans mélange.

 

C’est sûr que les théories, projets et utopies socialistes, voire communistes, ont fleuri au 19ème siècle comme bleuets et coquelicots en champ de blé (c’était autrefois). Heureusement, tous ces mirages sont allés jusqu’à effacer leurs propres traces, pour bien montrer qu’il n’aurait pas fallu, qu’ils n’auraient pas dû. Exactement la définition du mirage. Ils avaient eu le tort d’apparaître aux yeux de quelques Dupondt en train de traverser le désert sur une Jeep, allant se fracasser le nez sur l’étendue de sable qui leur faisait miroiter faussement les eaux d’un lac hospitalier (Tintin au pays de l’or noir, p. 20).

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NOTONS QUE DANS LA JEEP, LES DUPONDT AVAIENT LEURS MAILLOTS DE BAIN. C'EST LA FORCE D'HERGÉ.

Là où j'ai un peu de mal à suivre la thèse de Muray, c'est dans l'effort incroyable qu'il fait pour mettre l'occultisme au centre du processus. Ou plutôt dans les fondations et soubassements du processus. Comme une sorte d'impensé ou de refoulé de la rationalité révolutionnaire, sous la forme des croyances bizarres partagées par un grand nombre d'écrivains (George Sand, Hugo, Nerval, ...) : tables tournantes, revenants, esprit des morts, ectoplasmes, métempsycose, etc.

 

Mais là où je le rejoins totalement, c’est quand il pointe le lien de filiation assez direct qu’on peut établir entre les rêveurs infernaux du 19ème siècle (Saint-Simon et les saint-simoniens, Fourier, Proudhon, Marx, Engels et beaucoup d’autres) – qui avaient dressé les plans du bonheur définitif et universel de l’humanité sur leurs planches à dessin, magiques comme des tapis moins lourds que l’air et doués de motilité grâce aux « forces de l'esprit » (F. Mitterrand en personne, avant de mourir), – et les réalisateurs de ces rêves fous au 20ème siècle, qui portèrent les noms délicieux de Lénine, Staline, Hitler, Pol Pot et quelques autres.

 

Franchement, une fois le livre refermé, je ne vois vraiment pas ce que l’hypothèse occultiste − à laquelle Philippe Muray s’accroche comme Ismaël à son cercueil flottant à la fin de Moby Dick, quand le cachalot universel a détruit le Pequod particulier, le capitaine Achab et tout ce qui s’ensuit – apporte à l’histoire de la guerre menée par toute une société (ou pas loin) à la religion catholique, dans un gigantesque effort qu'on appelle « sécularisation », et qui aboutira au confinement de l'exercice catholique dans la seule sphère spirituelle. Autrement dit à la « laïcité ».

 

Voilà ce que je dis, moi.  

 

 

mardi, 04 juin 2013

QUI EST NORMAL ?

 

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WILLIAM CLAXTON PHOTOGRAPHIA, ENTRE AUTRES, LES GRANDS DU JAZZ.

ICI, SA MAJESTÉ CHET BAKER. AH ! "MY FUNNY VALENTINE" ! MÊME MILES DAVIS, QUI A LONGTEMPS FAIT SA CHOCHOTTE, A FINI PAR Y VENIR, A "MY FUNNY VALENTINE".

 

***

Episode précédent : les institutions sont donc faites, selon les thuriféraires stipendiés ou non de la modernité urgente, pour s'adapter aux désirs successifs et changeants des populations. Il n'y a plus de vérité absolue. L'humanité est devenue un énorme, permanent et profond sable mouvant conceptuel.

 

Quand on parle de norme, de normal et d’anormal, il s’agit de bien identifier la personne à laquelle on a à faire. On appellera « progressistes » tous ceux qui s’efforcent de faire « bouger » les choses, à force de « transgressions » de la norme, qui veulent « briser » les « tabous », et qui s'en prennent à tout ce qui emprisonne l’individu dans le « carcan d'intolérances » dues au crétinisme des « gens normaux ».

 

En face de ces enthousiastes de « l’empire du Bien », on appellera « nouveaux réactionnaires » (Philippe Muray en est une des figures principales) tous ceux qui se cramponnent à des valeurs plus anciennes, immobiles, a priori suspectes au plus grand nombre, du seul fait qu’elles avaient cours avant, ce qui les dévalue irrémédiablement, forcément et par principe. Il s’agit d’envoyer aux oubliettes les tenants de ce qui existe, puisque ce qui existe a le défaut rédhibitoire d’avoir existé. « Du passé faisons table rase ! », leur crie la « modernité » en colère.

 

De là (aux environs de mai 1968), datent ces slogans fulgurants d’audace : « Changez ! », « Bougez ! ». Sous-entendu : ce que vous êtes, ce que vous pensez, la façon dont vous vivez, c’est de la merde. Ce que vous êtes aujour'hui n'est que de l'étron infâme et informe, laissez-vous façonner, sculpter par les temps nouveaux qui viennent vous libérer de toutes les pesanteurs. Léger, léger, léger. Ce qui était ne doit plus être. Ce que vous étiez doit se soumettre à la nouvelle loi : la transformation perpétuelle de l'un dans l'autre. 

 

Sous-entendu aussi : ce qui ne bouge pas, ce qui ne change pas est figé, froid, cadavérique. La voilà, la norme énorme d’aujourd’hui : menace de mort. Et l’anormal, d’avance condamné, c’est celui qui, s’en tenant à de l’existant, refuse obstinément d’ « avancer » du même pas que les autres sur la voie lumineuse du merveilleux et impérieux « Progrès ». Pour rester vivant, paraît-il. 

 

Pourquoi faut-il changer, au fait ? Parce que c'est comme ça, parce qu'il faut, parce que le monde aujourd'hui est comme ça, parce que ..., parce que ... Finalement, quand tu réfléchis, tous ces adeptes du respect de l'identité qui se ruent sur le changement d'identité pour rester quelque chose, ça finit par faire bizarre. Moi qui croyais qu'une vérité, quelle qu'elle fût, se remarquait au fait qu'elle était durable. Quelle désillusion !

 

Eh bien si c’est comme ça, je me sens furieusement « anormal ». Mais alors là attention : du genre anormal assumé, endurci, récidiviste et irrécupérable. Pour un peu, j'en deviendrais presque arrogant. Et pour montrer que les anormaux comme moi ne pèchent pas par ignorance de ce qui se passe sous leurs yeux, je propose d'organiser prochainement (ben oui, c'est l'époque, la Fête de la Musique est dans pas longtemps, ça ferait de l'animation), un de ces quatre, une splendide « Anormal Pride » ?

 

Puisqu'il s'agit de nos jours de s'affirmer à travers des « marches des fiertés », il n'y a aucune raison pour que les anormaux de mon espèce, redressant leur front suppliant vers des cieux qui braquent leurs yeux intransigeants sur leurs errances coupables, n'aient pas enfin, à leur tour, leur moment de fierté, eux qui sont invités en permanence à revêtir des imperméables gris pour raser les murs en espérant passer inaperçus, courbés sous le poids de la honte.

 

Le plus curieux dans l'affaire, c'est qu'une telle « marche des fiertés » des nouveaux anormaux serait potentiellement en mesure de réunir une majorité de citoyens. Mais qui est désormais fier d'être normal ? Il n'y a pas à être fier d'être normal, puisque c'est normal d'être normal. C'est là le drame.

 

MURAY FESTIVUS.jpgJe note que ce mouvement accompagne la naissance du nouvel homme, que Philippe Muray nomme « homo festivus », voire « homo festivus festivus » (voir ses entretiens avec Elisabeth Lévy, ci-contre, chez Fayard). C’est vrai qu’il est un peu hallucinant d’entendre les gens se plaindre que, dans leur hameau, leur village ou leur ville, « il ne se passe jamais rien », quand aucun « événement » ne s’y produit. Il faut savoir que l' « événementiel » est devenu une branche florissante de l'entreprise et du commerce, et que des entrepreneurs audacieux s'y sont accrochés avec succès.

 

C’est vrai qu’aujourd’hui vous ne commencez à vous sentir mériter d'exister que si une caméra de la télé, branchée sur le direct, est présente pour vous le confirmer. Quand on a ainsi « mérité l'événement », l'existence en prend une densité et une saveur nouvelles. Quand je pense que le pauvre Sartre croyait avoir compris et être capable d’expliquer toute l’époque dans Huis-clos, avec son : « L’enfer c’est les autres » ! Juste de quoi rire un peu, somme toute, avec le recul.

 

Quand les gens trouvent qu’il ne se passe rien chez eux, d’abord, comprenez qu’ils ne connaissent pas leur bonheur, ensuite entendez qu’il ne s’y donne aucun spectacle, qu’aucune « animation » ne vient l’ « animer », que le Tour de France ne s’y est jamais arrêté, que Gérard Collomb, merdelyon, n’a jamais eu l’idée d’y organiser les « Nuits Sonores » que le monde entier nous envie, et toute cette sorte de choses.

 

Que dirait Montaigne aujourd’hui, lui qui affirmait : « Je suis desgousté de la nouvelleté » (Essais, I, 23), et qui répondait à un ami qui se plaignait de n’avoir « rien fait » de sa journée : « Eh ! Avez-vous pas vécu ? » ? Aujourd’hui ? Montaigne aurait tout faux. Il n’aurait rien compris à la loi de la modernité : « Changez ! », « Bougez ! ».

 

Comme si les gens, dans ces occasions, oubliaient que leur existence ne s’est pas interrompue malgré l’absence de tout événement extérieur ou de toute caméra de télé. La population se sentirait-elle à ce point vide ? 

 

Bon sang mais c'est bien sûr : c'est donc pour ça que marchands de smartphones dernier cri avides de deniers et politiciens avides de bouts de papier imprimés à leur nom s’entendent à merveille pour faire croire au vulgum pecus que, sans leurs initiatives, prises en vue du bien de tous (la FÊTE conjuguée à tous les temps et à tous les modes), l’existence de tous serait un désert, un espace inutile occupé par le vide intersidéral.

 

« Mais elle est passée où, la vie intérieure ? », se demande l’anormal attardé, perdu au milieu de ce nulle part en carton pâte, en attendant que passe l'improbable « Anormal Pride ». L’anormal attardé ne se rend même pas compte qu’il vient encore de proférer un gros mot. Si, il s'en rend compte, hélas.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

samedi, 11 août 2012

METEO DES JEUX

Pensée du jour : « Les Sioux ont l'accent chinois, leur manière de vivre est celle des Tartares.» (ABBE FLEXIER DE REVAL, 1735-1802).

 

 

Résumé : nous disions donc : « La chaussure, voilà l’ennemi ».

 

 

C’est ce que se disait DENIS DUFOUR, compositeur attachant que j’ai rencontré du temps où je ne manquais rien de ce qui se faisait en musique contemporaine. Lui, son truc, c’était la musique électro-acoustique. Ne pas confondre avec HUGUES DUFOURT, adepte d’une musique moins contemporaine, puisqu’elle se joue avec de vrais instruments fabriqués par des ébénistes. DUFOUR 1 DENIS.jpg

 

 

 

DENIS DUFOUR marche pieds nus, qu'on se le dise (Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, extraordinaire texte de KNUT HAMSUN, Dix portraits, …). Parce que, m’a-t-il dit – et ce n’est sans doute pas dénué de vérité –, ne pas avoir de semelle permet de ressentir des vibrations physiques que ne perçoit pas l’oreille. L’avantage, c’est que, vu la couleur de ses pieds le soir, il ne risque pas qu’un quelconque lèche-bottes vienne lui faire des compliments sur sa musique, puisqu’il n’en a pas, de bottes. Le pied nu constitue, en quelque sorte, le fin du fin du retour à la nature.

 

 

Ce qui prouve par a + b que l’homme, en inventant la chaussure, s’est séparé de la nature il y a 4000 ans, quand il interposa entre lui et le sol une lamelle de cuir plus ou moins épaisse. De plus en plus perfectionnée. Pour s’épargner les injures faites à son pied par les cailloux du chemin. Nous sommes devenus trop sensibles, voire hypersensibles.

 

 

 

Un rien (qu’est-ce que 15 cm de neige ?) nous pousse à l'émeute contre nos dirigeants. Plus nous avons perfectionné et accru notre confort, plus nous sommes devenus vulnérables, craintifs et vindicatifs. Peut-être voudrions-nous reconstituer les conditions de la maternation originaire. Attendons-nous, dans ce cas, à quelques déconvenues funestes.

 

 

Ce qui prouve accessoirement que les travaux d’Hercule (qui vainquit Antée, en le privant de tout contact avec la Terre, qui n'était autre que sa mère Gaïa, et on considère encore aujourd'hui que ce fut un progrès) HERCULE ANTEE JEAN DE BOLOGNE.gif ont accéléré le mouvement de rejet de la Nature. A mon avis, Hercule avait  des chaussures aux pieds. Ah, qui dira le joli temps des écuries d’Augias (« les deux pieds les deux mains dans la merde ») ? Hydre de Lerne, reviens parmi nous !

 

 

Cela nous en dit long, soit dit en passant, sur les chances que l’homme industriel a de se réconcilier avec sa planète. C’est vrai que j’ai perdu pas mal de mes capacités à lover mes côtes et mes vertèbres entre les cailloux et les racines des terrains de camping. J’ai noté, en particulier, que les racines de pin sont résolument invincibles.

 

 

C’en est même un brin paradoxal, vous ne trouvez pas ? Ben oui, quoi, plus nous nous fleurbleuisons, plus nous nous écologisons, plus nous nous renaturisons sous l'égide de MAMÈRE NOËL (je ne peux pas croire que les parents ne lui ont pas joué un tour en lui donnant ce prénom) et CECILE DUFLOT (qui ne s’est pas risquée à accepter un poste de ministre de la Nature), plus nous avons peur que la Nature nous fasse du mal (tsunami, éruption, cyclone …).

 

 

Mais allez marcher pieds nus sur les trottoirs de nos villes, aujourd’hui ! Nos trottoirs rendraient indispensables et obligatoires, d’une part, le pédiluve (dans le temps, on disait « bain de pieds »), du fait de la caniphilie urbaine généralisée, et d’autre part la boîte à pharmacie, pour réparer les dégâts commis par les débris de bouteilles de bière. Il faut savoir que la merde de chien et la bouteille cassée sont le principal apport de la modernité au trottoir urbain macadamisé. Vivre sans chaussures en milieu aussi hostile, c’est accepter de vivre dangereusement. La Nature s'éloigne de l'homme inexorablement. A moins que ce ne soit l'inverse.

 

 

N’empêche que, quoi qu’on dise, courir sans semelle entraîne une flexion accrue : l’amorti en devient articulaire ! Je n'invente rien. Courir pieds nus permet d’éviter les ampoules et de limiter les risques de tendinites. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est scientifique. Les mêmes scientifiques affirment que si la fantaisie vous prend de vous mettre au « freedom running », mieux vaut y aller doucement.

CHAUSSURE 32 FIVE FINGERS.jpg

 

 Progressivement. Fiez-vous aux marques : elles ont d’ores et déjà inventé la chaussure minimaliste, semelles fines comme des crêpes et « five fingers » pour ganter les doigts de pieds.

 

 

PIED 2.jpg

MAIS POUR CE PIED, QU'EST-CE QU'ON FAIT, DOCTEUR ?

ON APPELLE CELA POLYDACTYLIE : IL Y A ENCORE PLUS FORT

 

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SEIZE ORTEILS A LA NAISSANCE : QUI DIT MIEUX ?

 

En six ou douze mois, quand vous aurez usé huit paires de semelles fines et de « five fingers », vous pourrez passer au « barefoot » et au « freedom running ». Les marques ont même inventé les « barefoot shoes ». Comme disait ALEXANDRE VIALATTE, « le progrès fait rage ».CHAUSSURE 16.jpg

 

 

Vous pourrez même, suprême raffinement, vous passer de toute chaussure. Après avoir, nous l’espérons, contribué de vos deniers au redressement productif des entreprises spécialisées dans la semelle fine et dans la « barefoot shoe ». Pendant six à douze mois. Mais restez prudent. Oui, à ce moment, il est alors possible d’effectuer quelques sorties pieds nus. Et rendez-vous compte, vous verrez de la corne, carapace naturelle de la peau, se développer autour du pied afin de le protéger. Comme disait ALEXANDRE VIALATTE : « On n’arrête pas le progrès : il s’arrête tout seul ». C’est fort bien dit.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

lundi, 16 mai 2011

VOUS AVEZ DIT PSYCHANALYSE ?

Quoi que puisse en dire le nouveau pape auto-proclamé de la philosophie Michel Onfray dans Le Crépuscule d’une idole (sous-titré « l’affabulation freudienne »), la théorie freudienne n’a pas disparu, submergée, paraît-il, par ses « affabulations ». En passant, de même que Nicolae Ceaucescu était de son vivant immortalisé dans la formule « Danube de la pensée », on pourrait surnommer Michel Onfray « Amazone de la philosophie », si j’en juge au débit du fleuve éditorial qu’il fait couler : wikipédia indique, depuis l’an 2000, pas moins de 49 titres d’ouvrages. Cet homme-là doit être quadrumane et insomniaque : il faut des mains au bout des bras et des jambes et travailler 24/24, 7/7.  Six titres en 2008, cinq titres en 2010 : Comment fait-il ? Ce n’est plus de la pensée. On appelle ça « logorrhée ». C’est une pathologie.  Mais revenons à Sigmund Freud.

 

L’effort d’Onfray pour abolir la psychanalyse est pathétique, et peut-être pathologique : je ne me prononce pas (enfin : presque pas). Il est sûr que Freud, avec la psychanalyse, aura réussi à contrarier, à emmerder le maximum de monde, et les tentatives d’annulation sont innombrables, indénombrables et insubmersibles. Aussi insubmersibles que la psychanalyse elle-même. Je me souviens du chapitre que le grand René Girard consacre au freudisme dans son grand ouvrage La Violence et le sacré (Grasset, 1972) : il estime que sa théorie du « désir mimétique » englobe et invalide celle du « complexe d’Œdipe ». Je n’entre pas ici dans le débat.

 

Ce qui m’intéresse, c’est l’incomparable succès, l’invraisemblable prospérité, l’inimaginable fortune accumulée par la théorie psychanalytique : je n’exagère pas. C’est une véritable caverne d'Ali Baba. Si un lecteur frotté de psychanalyse découvre cette affirmation, il doit déjà être en train de se tapoter la tempe droite avec l’index (s’il est droitier). Certes, il y a de l’argent, dans les circuits, tous « psys » confondus (y compris la saloperie importée d’Amérique qu’on appelle « cognitivo-comportementale », dont la principale finalité est de fonctionner comme les « camps de réadaptation » mis en place en Chine sous Mao, sauf que là, il faut, en plus, payer le tortionnaire), mais moins que dans la poche de Zinedine Zidane. Et puis surtout, la caverne est métaphorique et même involontaire. C’en est au point que Sigmund Freud lui-même n’aurait pour rien au monde voulu ça, s’il avait pu le prévoir (enfin j’espère).

 

C’est comme Pierre et Marie Curie : s’ils avaient pu prévoir quels usages seraient faits du « radium » et de la radioactivité, peut-être auraient-ils laissé en plan leurs travaux, un demi-siècle avant Hiroshima. S’ils avaient pu deviner les dégâts que causerait, du vivant même de Marie, un médicament comme le Radithor (on lit distinctement sur l’étiquette : « radioactive water »), ils auraient sans doute fermé leur laboratoire. C’est la même chose pour la psychanalyse : quel cerveau de psychanalyste malade, qu’il fût orthodoxe ou hétérodoxe, aurait pu imaginer que quelques piliers de la théorie serviraient un jour à la plus gigantesque entreprise de domestication des peuples ? J’exagère à peine, comme je vais essayer de le montrer.

 

On n’est jamais si bien trahi que par les siens, et personne n’est parfait : Sigmund Freud a un neveu, et plutôt deux fois qu’une, puisque fils de sa sœur et du frère de sa femme (une variante, sans doute, de la double peine). Freud épouse Martha Bernays. Monsieur Bernays épouse Anna, sœur de Freud. Naîtra de cette union, en 1891, le petit Edward, Eddy pour les intimes, qui portera donc, et pendant 103 ans, le nom d’Edward Bernays (il est mort en 1995 : y a de la veine que pour la canaille). Cela valait le coup de s’attarder un peu : vous allez voir. Je ne sais pas quand sa famille a émigré en Amérique. Toujours est-il qu’il a eu le génie d’organiser un drôle de mariage entre les Etats-Unis et la vieille Europe, un mariage d’une originalité inouïe, jugez plutôt.

 

D’un côté, la théorie révolutionnaire d’un Autrichien qui dévoile les petits secrets bien cachés de l’âme humaine (c’est de tonton Freud que je parle). De l’autre, l’industrieuse et industrielle Amérique, en plein processus d’invention de la future « société de consommation ». D’un côté, la découverte de l’inconscient, du subconscient, bref, des motivations secrètes des individus. De l’autre, la découverte du moyen le plus moderne de s’enrichir : produire en masse, donc vendre en masse. D’un côté, une connaissance qui ira en s’affinant et se perfectionnant sans cesse des ressorts secrets du psychisme. De l’autre, le besoin pressant des industriels de convaincre le plus de gens possible d’acheter toutes affaires cessantes les marchandises produites.

 

Edward Bernay est encore bien jeune quand il fait partie d’un groupe mis en place par le président américain, chargé de trouver les moyens de convaincre la population du bien-fondé d’une entrée des Etats-Unis dans la 1ère guerre mondiale. Très tôt donc, il est mis en face de la question : comment amener une masse de gens à changer d’avis sur des questions importantes ? Autrement dit : comment agir sur l’esprit et le comportement des hommes, sans que ceux-ci s’en rendent compte ? Dit encore autrement : comment manipuler les esprits ? Et il était malin, le bougre, et s’était fait une doctrine solide sur les masses, considérées comme incapables de penser, tout juste capables d’exprimer des pulsions. C’est là que les idées de son tonton vont lui être très utiles : pour agir sur les foules, il ne faut surtout pas s’adresser à la Raison, par un Discours. C’est peine perdue.

 

Bon, c’est vrai qu’il n’est pas tout seul à penser ainsi : Walter Lippmann, par exemple, qui se demande, on est dans les années 1920, comment « fabriquer du consentement » (manufacture of consent, en langue originale). Années 1920 : c’est dire combien tout cela a été mûrement, longuement réfléchi, mis au point dans les moindres détails, et combien le travail sur les effets attendus a été minutieusement conduit, longtemps avant Patrick Champagne (Faire l’opinion, 1990) qui, lui, se contente de « décrypter » les données d’une pratique (les sondages) qui s’est tellement banalisée qu’elle en a acquis la force de l’évidence. Alors que des gens comme Lippmann et Bernays, entre autres, ont établi les codes qui servent encore de base à tout ce qui travaille sur l’opinion.

 

Bref : l’idée est certainement dans l’air, comme on dit. Donc, il s’agit de s’adresser tout de suite à l’en-deçà de la conscience, qu’on appelle le « subconscient ». On ne va pas construire des raisonnements et des discours comme dans l’ancien temps (vous savez, les vieilles lunes de la rhétorique classique : « inventio, dispositio, elocutio »). On va montrer des images, des formes symboliques : c’est d’autant plus facile que les moyens de communication sont en train de faire un véritable bond technologique (les « médias de masse »). Par exemple, Bernays, qui travailla pour l’industrie de la cigarette, va utiliser le « symbole phallique » (merci tonton Freud) pour étendre l’usage de ladite cigarette à l’autre moitié de la population américaine, celle pour laquelle fumer était très vilain, autrement dit à ce « gisement inexploité », ce « marché potentiel » constitué par les femmes. Et ça marche ! A coups de défilés de jeunes et jolies fumeuses (« les torches de la liberté », selon la notice wikipédia) : la femme aussi est libre de se goudronner les poumons.

 

C’est donc ça, la publicité ? Oui : ni plus ni moins. Et ça marche. Et depuis toutes ces dizaines d’années. Public opinion de Walter Lippmann date de 1922. Edward Bernays publie son ouvrage principal en 1928, sous le titre Propaganda.  Propagande : le mot sert aujourd’hui dans les petites joutes politiques pour accuser l’adversaire de « bourrer le crâne », ou alors il est censuré, rhabillé en « publicité », en « communication », en « communication politique » : cela s’appelle des euphémisme (vous savez : « non voyant », « à mobilité réduite », etc.). J’ai déjà parlé de la « propagande », dont un pape fut l’inventeur en 1622, quand il s’agissait de propager la « vraie foi » (autrement dit de convertir les mécréants). Il n’y a aucun hasard si Joseph Goebbels, « ministre du Reich à l’éducation et à la Propagande », s’inspirera de la théorie d’Edward Bernays, de même que Staline.

 

Cela veut dire quelque chose de finalement assez simple : En quoi, aujourd’hui, se différencient régime de terreur et régime « démocratique » ? Dans l'un comme dans l'autre, le principal problème d’un gouvernement, c’est de savoir comment diriger une population (on ne parle évidemment plus du tout de « peuple ») : susciter son adhésion, spontanée ou imposée, à ceux qui gouvernent, lui faire admettre la domination des dominants. Face à la « nécessité » d’adapter l’idée démocratique à la complexité du système économique, donc à la « nécessité » de gérer les foules, Edward Bernays et Walter Lippmann, par des chemins différents, ont abouti aux mêmes conclusions : il est indispensable de façonner les esprits, de manipuler les gens, de les amener à penser et à agir dans le sens voulu par les dirigeants. C'est pour avoir compris ça que le capitalisme a triomphé du communisme.

 

Cela veut dire aussi que la « démocratie » repose aujourd’hui sur une industrie qui, grâce à la psychanalyse, s’est développée en allant débusquer dans la tête des gens le moindre détail de leurs désirs plus ou moins secrets et de leurs motivations intimes : l'industrie de la propagande, tant dans la politique que dans le commerce marchand (pardon pour le pléonasme). Il n’y a plus aucun secret pour ceux qui gouvernent (président d’un pays ou d’une grande société commerciale) : après leur enquête dans les tréfonds autrefois obscurs de l’individu (le « subconscient »), ils élaborent en laboratoire des produits qui sont ensuite vendus au même gogo, qui ne se demande même pas : « Mais comment ont-ils fait pour deviner ce dont j’avais envie ? », et qui paie pour se procurer la marchandise qu’on a, en réalité, tirée de lui-même (à la caisse du supermarché ou dans l’urne électorale : le processus est strictement le même, et Edward Bernays, le père du marketing, vendra ses « conseils » aussi bien aux hommes politiques qu’aux grandes entreprises). Faut-il vous l’envelopper, votre « idéal du moi » ? De quelle couleur la voulez-vous, votre « libido » ? Nos créatifs ont fait de gros efforts sur le packaging de votre « refoulé ». Mes yaourts sont-ils assez « narcissiques » ?

 

Cela veut dire, enfin, qu’une découverte majeure du 20ème siècle, la psychanalyse, même si elle reste tout à fait controversée dans ses principes, ses modalités, son efficacité, son prix, tant qu’on se limite à son domaine (thérapeutique des névroses), s’est répandue très concrètement dans tous les aspects et tous les moments de la vie quotidienne, tout simplement parce qu’Edward Bernays (et quelques autres) ont compris à quoi elle pouvait très concrètement servir : gérer les masses humaines. Et je me demande pour finir, si ce n’est pas exactement la même chose pour toutes les disciplines qu’on appelle « sciences humaines ». Il ne s’est passé rien d’autre dans les sciences « dures » : aurait-on eu la bombe H sans la physique ? La dernière catastrophe financière sans les mathématiques ? Le contrôle social le plus dur sans la puce électronique ? L’explosion démographique sans la médecine ? Aurait-on eu l’infamie publicitaire sans Sigmund Freud (c’est vrai qu’il est loin d’être tout seul) ?

 

Le savant est tout à fait inoffensif, dans son laboratoire, avec sa blouse blanche, son air gentil, tout obsédé de compréhension et de connaissance, et pour qui le monde dans lequel il vit est une entité vague et vaguement abstraite. Mais il y a son double démoniaque : l’aventurier, l’explorateur, l’homme d’action, tout avide de richesse, de gloire et de puissance, qui guette tout ce qui va sortir de ce « bureau d’études » pour en tirer le maximum, très concrètement. C’est un médecin, le docteur Freud, qui a inventé la psychanalyse, dans le but de soigner l’homme, peut-être même de le guérir. C’est un homme d’action, son neveu Edward Bernays, qui va mettre à profit (au sens plein du terme) la découverte, très concrètement. D'un côté, la connaissance, qu'on nous vend comme le bien suprême. De l'autre, l'action, mot dont les médias regorgent dans le registre positif. Mais soigeusement séparés : on appelle ça la division du travail : que ma main gauche, surtout, ignore ce que fait ma main droite. La "main gauche" (Freud) s'appelle la science. La "main droite" (Edward Bernays) s'appelle la technique.  

 

C’est Edward Bernays qui déclara : « L’ingénierie du consentement est l’essence même de la démocratie, la liberté de persuader et de suggérer ». Et « La propagande est l’organe exécutif du gouvernement invisible ». C’est cet homme qui est souvent considéré comme un des personnages les plus influents du 20ème siècle.

 

Elle est pas belle, ma « démocratie » ? Allez, quoi : achetez !!!

 

A suivre …