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mardi, 03 avril 2018

LE RÉFUGIÉ SERA LE GENRE HUMAIN

Ils ont raison : laissons Macron détruire la SNCF. Laissons les ultralibéraux instaurer au plan mondial la "concurrence libre et non faussée", la dictature des marchés, la privatisation généralisée des services publics et de tout ce qui était commun, la compétition de tous contre tous, le règne de la force et de la logique économiques. Il faut que l'humanité devienne enfin une machine efficace, capable de "cracher du cash" comme un jackpot de machine à sous, mais sans cette maudite imperfection qu'on appelle le hasard. Les riches seront des rentiers, les pauvres seront de pauvres diables de plus en plus pauvres, qui erreront sur la planète à la recherche d'un peu de nourriture et d'abri. Un programme riche en potentialités de développement : excellentes perspectives donc pour l'industrie de l'humanitaire. Champagne, MSF ! Champagne, CCFD ! Champagne Human Rights Watch ! (ajouté le 3 avril)

 

17 décembre 2017

Des nouvelles de l'état du monde (12).

LE RÉFUGIÉ SERA LE GENRE HUMAIN

(air connu)

Rien ne se perd, dit-on. Le « Réfugié » moins que tout le reste. Plus vous avez de réfugiés, mieux les affaires se portent. Enfin, pour certains. Disons : pour certaines entreprises. Disons : pour Logistic Solutions, entreprise basée à Brie en Ille-et-Villaine, qui a fourni en 2016 plein de très beaux containers en métal blanc pour loger 1.500 réfugiés de la "jungle" de Calais. « On est là pour faire du business », lance un dirigeant de cette entreprise qui a de toute évidence l'âme altruiste. On l'aurait à moins.

Car le "réfugié" est un créneau porteur, voire un marché d'avenir, qu'on se le dise, porté par la vague de l'effondrement annoncé. Entre les réfugiés politiques, les réfugiés économiques, les réfugiés climatiques, les réfugiés religieux (chrétiens d'orient, yézidis, rohingyas, etc.), les réfugiés volontaires, les réfugiés touristiques, les réfugiés professionnels et tous les autres, l'armée des petits soldats de l'intervention humanitaire ne va bientôt plus savoir où donner de la tête, du cœur, de la main secourable et de l'intention louable. Parole de patrons : il va être de plus en plus juteux d'investir des sommes importantes dans le domaine de l'altruisme international, tant s'annonce prometteur le retour sur investissement. Vive l'effondrement, se dit-on dans les entreprises spécialisées !

C'en est au point qu'il y a des "sommets mondiaux de l'humanitaire" qui s'organisent depuis quelque temps, à l'image de celui qui s'est tenu en mai 2016 à Istanbul, sans doute pour commencer à "structurer le marché" et à se répartir les tâches. On y trouve absolument de tout, du plus humble article de camping ("lampe autorechargeable") jusqu'à la cité de containers, et à la ville de toile livrée clé en main (clé de montage Ikéa cela va de soi). On apprend au passage que le réfugié aime assez le camping, même si c'est parfois du camping très sauvage, y compris dans des endroits peu hospitaliers, dépourvus d'eau et de commodités. 

Il y a douze millions de personnes dans le monde qui vivent en camps de réfugiés. Alors vous pensez si ça vaut le coup de s'y intéresser. La demande a tellement enflé en quelques années de chaos variés et d'effondrements plus ou moins locaux, que les Etats ne peuvent plus suivre et que des organisations aussi puissantes et reconnues que le Haut Comité pour les Réfugiés (HCR) font de la sous-traitance à des entreprises privées (comme Logistic Solutions). 

Il faut dire que le HCR de l'ONU, dont le rôle était de colmater les minces fissures apparues sur les murailles compactes de l'action des Etats, doit désormais, vu l'élargissement des fissures en autant de brèches béantes, prendre en charge des tâches qui relevaient jusqu'alors de la responsabilité et de la souveraineté de chacun de ces Etats. Comme si, trop contents d'échapper aux accusations de maltraitance, le Soudan, la Jordanie, le Kenya, et combien d'autres Etats souverains, se désistaient au profit de la « Communauté Internationale », lui abandonnant une part de leur territoire (à condition qu'elle n'empiète jamais sur ses prérogatives régaliennes). Que ceux qui ne voient pas dans ces démissions de l'action publique une aggravation inquiétante lèvent la main.

Le PAM (Programme Alimentaire Mondial, encore l'ONU), sans doute fatigué de distribuer de quoi nourrir les populations en détresse, a même décidé d'ouvrir deux supermarchés dans le camp de Zaatari en Jordanie. Particularité : ce sont des groupes privés qui gèrent ces établissements. On les imagine sans peine en train de prospecter pour trouver le plus bel emplacement : il s'agit d'optimiser la fréquentation et les profits. La maison fera-t-elle crédit ? A-t-on pensé à la ceinture de barbelés ? Ben oui, quoi : il n'y a pas d'attitude plus anti-commerciale et indésirable qu'un pillage par des bandes de nécessiteux affamés et manquant de tout.

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ZAATARI

Il est à craindre qu'on demande prochainement aux 80.000 réfugiés de patienter quelque temps au camp de Zaatari (deuxième plus grand au monde, un aperçu ci-dessus, loin derrière Dadaab au Kenya, qui en compterait 500.000 ; ne parlons pas de Khor al Waral au Soudan, de ... et de ... sans oublier les camps palestiniens : douze rien qu'au Liban, ouverts entre 1948 et 1963, plus de 225.000 "habitants", 1.120.000 si l'on totalise tous les Palestiniens "réfugiés"), avant de retourner chez eux en Syrie. Habitants provisoires de lieux eux-mêmes provisoires, il n'est pas impossible qu'il leur faille un jour considérer comme logements définitifs les containers et les tentes dont la "communauté internationale" leur avait confié la garde pour un temps. On se console comme on peut, en se disant que containers et tentes, c'est tout de même mieux que les cartons de nos SDF et de nos clochards (au fait, qui a dit qu'il ne voulait plus personne à la rue avant la fin de l'année ?).

On est à peu près sûrs en effet que toutes les solutions improvisées dans l'urgence vont durer, et sans doute s'éterniser car, parmi tous les projets que les humains échafaudent pour donner une forme à leur avenir, l'hypothèse d'un chaos – global cette fois – est de moins en moins farfelue aux yeux des gens sérieux. Le camp de réfugiés deviendra peut-être la norme, vu que l'état d'urgence sera l'état normal de l'humanité. Eugène Pottier aurait dit : « L'état d'urgen-en-en-en-ce sera le genre humain » (en rythme, s'il vous plaît). S'il avait vécu aujourd'hui, c'est ça qu'il écrirait. Cela s'appellerait "L'Internationale". Pas sûr que ça fasse un hymne prolétarien.

Face à l'inflation promise des réfugiés – marché à l'expansion potentielle indéfinie – les Etats n'ont plus l'efficacité d'intervention voulue, ni les moyens nécessaires. Soyons juste : les Etats n'ont plus envie non plus. Heureusement, l'entreprise privée est là, fière et brave, pour relever le gant du défi. Fière et brave, mais pas désintéressée. Car l'instabilité mondiale grandissante ouvre d'excellentes perspectives et laisse entrevoir des opportunités inespérées pour qui a un goût très sain, une énergie gonflée à bloc et une intacte volonté d'agir et d'entreprendre. Produit final, fatal et délocalisé de l'instabilité géo-écolo-économo-politique, le réfugié est parti pour former ailleurs que chez lui l'ossature d'un futur système solide, durable et lucratif. 

Dans le mouvement mondial de la Grande Privatisation de Tout (GPT), les Etats se frottent les mains : ça tombe à pic avec la cure d'amaigrissement qu'ils ont commencée dans les années 1970, quand Reagan et Thatcher ont, d'un commun accord, décidé de « réveiller et libérer les énergies et les forces vives en sommeil dans la société » (en français : lâcher la bride aux appétits voraces et à l'enrichissement illimité des riches, on voit ce qu'il en est quarante ans après). Les Etats n'ont qu'une envie : se retirer du jeu, et laisser toute l'initiative aux forces du marché. Inutile de dire que les dites "forces" sont aux anges : le marché de l'humanitaire pèserait déjà aux environs de 20 milliards d'euros. De quoi boucher quelques dents creuses et de voir venir l'avenir avec le sourire.

Avis aux urbanistes visionnaires, genre Oscar Niemeyer (Brasilia) ou Le Corbusier (Chandigarh) : sachant que "le camp de réfugiés sera le genre urbain" (voir plus haut), lequel d'entre vous sera assez inventif et audacieux pour concevoir au meilleur coût le plus beau design pour la future "cité radieuse du Réfugié" appelée à en accueillir le prochain milliard dans les conditions définies par le cahier des charges de l'ONU (contenance, esthétique, confort, déontologie, lumière, commodités diverses, éthique, qualité des matériaux, etc. : ne jamais oublier dans un dossier de faire valoir l'argument de l'éthique, et encore mieux "l'éthique des droits de l'homme") ?

L'altruisme n'a pas de limites. Le monde a le cœur sur la main, à condition que ça rapporte. 

Voilà ce que je dis, moi.

Le contenu et le ton de ce billet, ouvert sur un avenir radieux en même temps que sur un monde meilleur quoique futur, ont été suscités par le compte rendu ("Réfugiés, un marché à part entière") paru dans Le Monde (16 décembre 2017), signé Mathieu Aït Lachkar, du documentaire diffusé dimanche 17 en soirée sur France 5 : "Réfugiés, un marché sous influence", de Nicolas Autheman et Delphine Prunault. 

vendredi, 11 septembre 2015

LA PESTE EMOTIONNELLE

« UNE VAGUE D'ÉMOTION SANS PRÉCÉDENT »

Entendu dans les médias en général (et sur France Culture le 9 septembre en particulier, dont un chroniqueur (Stéphane Robert) vient d'avoir (11-09) cette formule extraordinaire : « Jusqu'à un avenir récent » !), après la publication de la photo du cadavre du petit

AYLAN KURDI.

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SANS PRÉCÉDENT, VRAIMENT ?

 

1967-1970 Guerre du Biafra. Souvenons-nous d'une couverture du magazine Life et des photos des petits Biafrais.

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1972 - Le photographe Nick Ut Cong Huyn prend une photo qui ne sera pas pour rien dans la fuite des Américains hors du Vietnam. Avant d’acheminer la photo pour la faire publier, il emmène la petite fille, Phan Thi Kim Phuc, qui vient d’être gravement brûlée au napalm (essence solidifiée au palmitate de sodium, d'où "Na-Palm"), à l’hôpital pour la faire soigner.

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1985 - Un photographe immortalise les derniers instants d’Omayra Sanchez, dont seul le haut du corps émerge de l’eau boueuse, le bas étant coincé irrémédiablement. Elle est une des victimes des torrents déclenchés sur la ville d’Armero par l’éruption du Nevado del Ruiz.

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1993 - Kevin Carter, reporter sud-africain, prend ce cliché d’une petite Soudanaise (d’autres sources soutiennent que c’est un garçon) en proie à la famine. Cette image de l’enfant dont un rapace attend la mort pour s’en nourrir (l'enfant mourra, semble-t-il, du paludisme, quatorze ans plus tard) a obtenu un prix Pulitzer qui a déclenché une polémique (qui est le rapace ?). Kevin Carter s’est suicidé l’année suivante, à 33 ans. Une amie précise qu’il avait fait plusieurs tentatives avant de prendre cette photo, et que la polémique qui a suivi l'attribution du Pulitzer n'est pour rien dans le geste.

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1997 - Les GIA (Groupements Islamiques Armés) viennent de faire mourir la famille de cette femme, connue, depuis que Hocine Zaourar, photographe algérien, a immortalisé sa douleur, sous le nom de « La Madone de Bentalha ».

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2015 - La belle Nilufer Demir, photographe turque, photographie le cadavre du petit Aylan Kurdi sur une plage du pays. Dans les jours qui suivent, l’Allemagne annonce qu’elle est prête à accueillir 800.000 réfugiés sur son sol.

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Il y a encore, dans le désordre, le tsunami sur l’île de Phuket, le tsunami du côté du tristement célèbre Fukushima, le tremblement de terre de Port-au-Prince, le séisme au Népal, l’ouragan Katrina à La Nouvelle-Orléans (pour ne parler que de catastrophes « naturelles »), etc... J'en oublie beaucoup, forcément.

La générosité, la solidarité s’expriment au travers de grands « Élans », qui reposent principalement sur l’émotion. Qu’aurait fait l’Allemagne sans la photo du petit Aylan Kurdi de la photographe Nilufer Demir ? Notez que les enfants sont les sujets privilégiés de la plupart des photos : les faits sont malheureux quand il s'agit d'hommes, terribles quand il s'agit de femmes, mais alors quand c'est un enfant, on est dans le tragique !

Traduction de la question : faut-il attendre que la sensibilité des masses soit frappée à l’estomac pour que l’ordre mondial consente, pour un moment, à lutter contre le Mal qui le ronge en permanence ? Ce qui veut dire, soit dit en passant, que le Mal, quand il n'est pas spectaculaire et violent, mais intégré de longue date dans les points de repère, est tolérable. L'humanité médiatique démontre une résilience à toute épreuve face au Mal médiatisé. Sauf quand elle est frappée par « Le Choc des Photos ». Les mots ne pèsent rien. L'Image fabrique l'Urgence.

Pourquoi n’est-il pas possible en permanence à l’humanité de fabriquer en permanence, dans le calme, en usant en permanence de ses facultés rationnelles, un ordre équilibré, où la photo du petit Aylan serait une pure et simple obscénité passible d'un tribunal ? Pourquoi recourt-on à chaque catastrophe aux grands « Élans des émotions » pour « sensibiliser » le grand public ? 

Pourquoi une injustice ne révolte-t-elle pas en permanence, mais seulement lorsqu’une image vient percuter l’épiderme chatouilleux des foules civilisées ? 

L’émotion provoquée par une image est une imposture. Elle ne change rien à l'ordre des choses : elle vise à l'estomac. Elle vous empêche de réfléchir en décrétant l'état d'urgence.   

Dans l’urgence, on ne réfléchit pas. Et quand il n’y a plus d’état d’urgence, on ne réfléchit plus. On oublie. On reprend son train-train. 

Le train-train, avec son cortège d'absences d'événements.

Jusqu'à la prochaine sonnerie du tocsin, du haut de nos beffrois télévisés.

La peste soit de cette émotion-là !

Voilà ce que je dis, moi.