lundi, 11 mai 2015
LE DERNIER FRED VARGAS
Note liminaire : je n'avais pas prévu que Le Masque et la plume inscrirait à son programme du 10 mai le dernier livre de Fred Vargas (ceci dit pour ceux qui ont écouté France Inter hier soir). Sur la chose, le modeste (et néanmoins péremptoire) commentaire qui suit était déjà entièrement écrit.
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Je pensais avoir délaissé le polar pour toujours. Quelqu’un m’a incité, dernièrement, à lire Adieu Lili Marleen, de Christian Roux (Rivages / Thriller, 2015). Désolé, je n’ai pas pu. Cette histoire de pianiste embarqué dans les sales histoires, ça m’est vite tombé des mains. J’ai renoncé. Peut-être à tort, je ne saurai pas, j'accepte l'idée.
L’argument avancé, le miel qui devait attirer l’ours hors de sa tanière, était pourtant alléchant : la musique, et pas n'importe laquelle. Avec des têtes de chapitres du genre interpellant. Pensez : « Opus 111 ». Mieux encore : « Muss es sein ? – Es muss sein ». Vous vous rendez compte ? Mais si, rappelez-vous : la dernière sonate (op. 111 en ut mineur, 1824) et la dernière œuvre (quatuor op. 135 en fa majeur, composé en 1826) écrites par Ludwig van ! De quoi tilter, évidemment, si le mot a encore un sens aujourd’hui. Ben non, je n’ai pas pu.
Mais le quelqu’un en question y est allé plus fort ensuite. Elle est têtue : revenant d’une visite au festival « Quais du polar », qui s’est tenu à Lyon récemment, elle m’a offert le dernier Fred Vargas : Temps glaciaires (Flammarion, 2015). C’est connu : « A cheval donné, on ne regarde pas les dents », tout le monde sait ça.
De Vargas, j'avais déjà lu Pars vite et reviens tard (avec sa fin en pirouette décevante), Sous les vents de Neptune (avec son criminel grandiose qui s'échappe à la fin), Un Lieu incertain (avec son ostéopathe et son évocation originale de Dante Gabriel Rossetti), L'Homme à l'envers (avec son Canadien obsédé par les loups du Mercantour). Des polars corrects qui m'ont laissé des souvenirs assez bons. Pas des chefs d'œuvre, mais. J’ai donc ouvert le livre.
J’ai failli le refermer vite fait. Pour une raison très simple, la même qui m’a fait refermer à toute vitesse Alexandre Dumas, quand j’ai voulu relire dernièrement Les Trois Mousquetaires : le tirage à la ligne. Le moyen est simple : quand vous êtes payé à la ligne, allez à la ligne au bout de trois mots. Les dialogues sont faits pour ça.
Vous organisez une bonne partie de ping-pong verbal entre plusieurs personnages, et vous voilà parti pour un volume épais comme un Bottin de l'ancien temps. C’est flatteur pour vous : vous avez lu cent pages en un temps record. Ici, les personnages ne manquent pas, c'est la brigade que commande le commissaire Adamsberg. A chacun son caractère, et toujours « le petit fait vrai ». C'est merveilleusement interactif. Donc ça permet d'allonger la sauce.
Malheureusement, ça sent le procédé à cent kilomètres. Pourtant, je n’ai pas lâché. A cause d’une circonstance particulière : le livre parle d’Akureyri. Alors là, vaincu, je me suis senti obligé. Je dois quand même dire que si mes chers J. et S. n’étaient pas allés traîner leurs guêtres par là-bas pour guetter les aurores boréales, le nom de la ville serait resté pour moi une suite de sons un peu exotique. Rien de plus. J'aurais laissé tomber.
Timbre portant le cachet de la poste d'Akureyri.
Or il est bel et bien question de l’Islande, dans le roman de Fred Vargas, et de sa région nord : Akureyri, au fond de son fjord, l’île de Grimsey, sur le cercle polaire arctique (66° 66’). Il est question du village de Kirkjubæjarklaustur (ouf !), où est né Almar. Il est aussi question du tölvar, « la sorcière qui compte ». Le tölvar n’est rien d’autre que l’ordinateur, en islandais.
Il est encore question d’un esprit dangereux et impérieux qu’on nomme l’afturganga, qui lance des appels irrésistibles à certains, même très éloignés, et qui châtie à coups de brume absolument impénétrable ceux qui s’attardent chez lui sans son accord. Rögnvar : « L'afturganga ne convoque jamais en vain. Et son offrande conduit toujours sur un chemin » (p. 406). A bon entendeur, salut ! C'est la majestueuse et puissante Retancourt qui sauve in extremis l'équipe et l'enquête. Rögnvar avait raison.
Voilà. Je ne vais pas résumer l’intrigue. Je dois avouer qu’elle est surprenante. En refermant le bouquin, j’ai envie de dire à madame Vargas : « Bien joué ! ». Il est vrai qu’il faut passer par-dessus l’horripilation produite par le choix du mode de relation des faits (le dialogue). La lecture épouse de l'intérieur toutes les circonvolutions cérébrales de l'équipe, les hésitations, conflits plus ou moins larvés entre ses membres, retours en arrière des personnages réunis autour d'Adamsberg. Disons-le : ça peut lasser, si l'on n'est pas prévenu.
L’avantage de l’inconvénient de ce choix narratif, c’est la maîtrise totale du rythme du récit par l’écrivain. Et c’est vrai que ça commence plan-plan, et même que ça se traîne au début. Et puis, insensiblement, ça accélère, ça devient fiévreux, un coup de barre à bâbord, puis à tribord, le vent forcit, la mer se creuse, et ça finit dans les coups de vent et la tempête. Va pour le dialogue, en fin de compte. Je ne suis quand même pas sûr que cette façon d'installer un "climat" soit absolument nécessaire.
A mentionner, le passage par une improbable association d’amoureux de la Révolution française en général et de Robespierre en particulier, qui s’ingénient, à dates fixes, à rejouer les grandes séances des Assemblées, depuis la Constituante jusqu’à la Convention. En perruque et costume, s’il vous plaît. Beaucoup d’adhérents, comme s’ils revivaient les passions de l’époque, se laissent emporter par l’exaltation historique. C’est assez impressionnant. Mettons : original.
Au sujet du bouquin, j’avais lu dans un Monde des Livres un commentaire condescendant d’Eric Chevillard, écrivain de petite renommée hébergé par les Editions de Minuit. J’imagine que dire du mal de la production de Fred Vargas n’est pas un enjeu majeur dans le microcosme littéraire parisien, et que Chevillard ne risque pas grand-chose à flinguer sa consœur. Passons. Quoi qu’il en soit, je sais gré à la dame de s’y être prise assez adroitement pour m’amener à m’intéresser à l’histoire, jusqu’à me permettre de surmonter ma répugnance à affronter tant de parlotes.
Tout juste ai-je noté quelques préciosités de vocabulaire (« alenti », p. 126 ; « étrécies », p. 203) ; quelques bourdes grammaticales ici ou là (« et celle de François Château qui, oui, lui semblait-il, le reconnaissait », au lieu manifestement de « qu’il reconnaissait », p. 193 ; « substituer » au lieu de « subsister », p. 221). Une étourderie scientifique : que je sache, le manchot empereur n'a rien à voir avec les « oiseaux nordiques » (p. 192). Rien de bien grave, comme on voit. Dernière précision : je n'ai jamais vu, dans aucun polar, mettre en œuvre une fausse piste aussi énorme.
Je finirai sur une préoccupation du moment. Manuel Valls, premier ministre, et Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, en plein débat sur la « loi renseignement », ne désavoueraient certainement pas cette parole de Robespierre rapportée p. 331 : « Je dis que quiconque tremble en ce moment est coupable ; car jamais l’innocence ne redoute la surveillance publique ». Robespierre était pour la transparence totale des individus.
Ça fait froid dans le dos, quand on y réfléchit un peu : quand on est innocent, on n'a rien à craindre des intrusions policières. Ça pourrait même faire un argument pour Valls et Cazeneuve : ceux qui protestent contre la « loi renseignement », c'est parce qu'ils sont coupables. Valls + Cazeneuve (+ Hollande) = Robespierre. Drôle d'équation, non ?
Avis à tous les "innocents" qui raisonnent en se disant : « Oh, moi, du moment que je n'ai rien à me reprocher, ils peuvent bien faire ce qu'ils veulent ». En ces temps d'espionnage généralisé et de collecte intégrale des données personnelles, la phrase de Robespierre est d’actualité ou je ne m’y connais pas.
Ne pas oublier que la période où "l'Incorruptible" dominait porte encore le nom de Terreur. Heureusement, il y eut le 9 thermidor an II (27 juillet 1794). Avis aux actuels adeptes de la « surveillance publique ».
Voilà ce que je dis, moi.
Note : le sanglier visible sur la couverture est un vrai personnage. Il s'appelle Marc. Il protège Céleste. Il a une hure douce comme un bec de canard. Il est à deux doigts d'y passer, à coups de rafales de MP5 (ci-contre) (cliquez pour 1'48"). On est content qu'il survive. Même si les infirmiers ne sont pas contents. Un sanglier à l'hôpital ? Vous n'y pensez pas !!!
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : festival quais du polar, lyon, littérature, littérature française, polar, roman policier, fred vargas, lili marleen christian roux, beethoven, opus 111, muss es sein es muss sein, opus 135, temps glaciaires flammarion, alexandre dumas les trois mousquetaires, commissaire adamsberg, akureyri, aurores boréales, islande, tölvar, éric chevillard, éditions de minuit, manuel valls, bernard cazeneuve, françois hollande, manchot empereur, robespierre, révolution française, loi renseignement, l'incorruptible, la terreur, pars vite et reviens tard, sous les vents de neptune, un lieu incertain, l'homme à l'envers
dimanche, 03 mai 2015
L'ETAT DE DROIT FOUT LE CAMP
Y a pas que la littérature, dans la vie. Y a aussi des lectures sérieuses. « Nous l'allons montrer tout à l'heure » (air connu).
L’inconvénient des formations juridiques, c’est qu’elles donnent en fin de parcours aux étudiants une tournure d’esprit excessivement attachée à la « lettre » du droit. D’où une certaine rigidité intellectuelle. Je ne sais pas si vous avez jamais mis le nez dans le texte de la « Convention Internationale relative aux Droits de l’Enfant » (1989) : à vous dégoûter de faire des enfants.
Et je ne parle pas du « Traité établissant une Constitution pour l’Europe », de sinistre mémoire, dont le pavé particulièrement indigeste (191 pages découpées en un déluge de parties, de chapitres, de sections, d'articles et de paragraphes), envoyé à tous les Français en 2005, leur a été enfoncé de force, légalement et démocratiquement dans la gorge par Nicolas Sarkozy, un peu plus tard, parce qu'ils avaient "mal voté" la première fois.
Libertés et sûreté dans un monde dangereux (Seuil, 2010), le livre de Mireille Delmas-Marty n’échappe pas à cette rigidité. En revanche, si les formations juridiques ont l'inconvénient que j'ai dit, elles ont l'avantage qui en découle : précision et exactitude. On appellera ça la rigueur. Un certain aspect « scolaire », si l’on veut, dans l’effort de construction, un peu « dissertation », avec introduction générale, trois parties subdivisées et chaque fois introduites et conclues, et une conclusion générale. Personne ne peut se perdre sur un parcours aussi visiblement balisé. La supériorité indéniable de cette méthode, c’est son impeccable netteté.
Alors, de ce livre un peu ardu pour l'éternel néophyte que je suis dans la langue des juristes, je ne retiens pas tout. Je laisse en particulier de côté ce qui fait la complexité et les vents contraires qui agitent les relations entre les instances juridiques nationales, européennes et internationales, les subsidiarités, les conflits, les résistances.
Je garderai juste la convergence de vues entre l’auteur et un juge dont j’ai lu récemment Le Rapport censuré (Jean de Maillard, voir mon billet du 9 mars), au sujet du poids incroyable que pèsent les Etats-Unis dans le domaine des relations (judiciaires et autres) internationales. Si je voulais résumer en simplifiant, je dirais que les Etats-Unis, non seulement se permettent tout quand leurs intérêts sont en jeu (Guantanamo, Bagram, …), mais font pression sur les autres nations pour qu’elles adoptent les mêmes critères qu’eux dans la « lutte contre le terrorisme ». Traduction : ils les y obligent, au motif de la loi du plus fort (le juge Maillard parle des transactions commerciales en dollar, qui doivent impérativement passer par une banque américaine sous peine de).
Ce qui m’a en revanche intéressé au plus haut point dans le livre de Mireille Delmas-Marty, c’est tout ce qu’elle dit de l’évolution inquiétante du droit, qu’il soit national ou international. Et pas dans le sens de l’Etat de droit. Je le dis tout net : tout en n’étant pas juriste, j’ai trouvé passionnante l’analyse qu’elle fait de deux conceptions opposées du droit, qui renvoient à deux conceptions antinomiques de l’humanité, l’une de tradition « humaniste », l’autre de tradition « guerrière ». Les gens au courant trouveront sûrement "basique" cette petite leçon de philosophie du droit. Elle est à mon niveau.
En France, traditionnellement, la justice attend qu'un individu ait commis un délit ou un crime pour le juger et le condamner, après établissement irréfutable des faits. L’auteur appelle cela « le couple culpabilité / punition », ajoutant que cette « école pénale » est « fortement influencée par Kant et Beccaria », c’est-à-dire qu’elle repose sur « l’universalisme des droits de l’homme » (p. 84-85)
Mais elle repose aussi sur l'idée que l'individu, sauf circonstances spéciales, sait ce qu'il fait. Il est mû par la raison, il est libre, donc il est responsable. "Justiciable", comme on dit. Le corollaire, c’est que personne ne peut être poursuivi avant. C’est l’acte qui fait le délinquant. C’est l’infraction qui justifie la poursuite. C’est un individu particulier qui est présenté au juge ("individualisation de la peine").
Or il existe une « école pénale » qui prône des idées radicalement autres. Une école dont la philosophie repose sur une « anthropologie guerrière ». Une école « positiviste », qui fait de l'homme, non un être libre et responsable, mais un être entièrement déterminé. Une école fondée par un certain docteur Lombroso au tournant du 20ème siècle. Une école qui invente le concept de « criminel-né ». Un juriste allemand, Carl Schmitt (1932), ira jusqu’à formuler l’idée d’ « ennemi absolu ». Deux concepts qui semblent s'imposer de nos jours.
Cette école divise donc l'humanité en une masse de gens normaux d'une part, et d'autre part une catégorie d’humains naturellement prédisposés à commettre des crimes. Des humains dans lesquels le Mal est inné (à supposer que tous les autres en naissent exempts). Mais le soupçon peut se porter pratiquement sur n'importe qui, étant donné que cette prédisposition ne se porte pas sur le visage. La preuve, c'est la stupéfaction des voisins quand le père tranquille tue sa femme, ou autres circonstances tragiques.
Selon cette conception, on ne parle plus de « culpabilité », mais de « dangerosité potentielle ». On ne parle plus de « peines de prison », mais de « mesures de sûreté », aux contours éminemment flous, à durée indéfinie. Ce n'est plus ce que vous avez fait qui compte, mais ce qu'un collège d' « experts » vous aura jugé capable de commettre dans l'avenir.
Autrement dit, on passe du diagnostic (acte avéré) au pronostic (acte potentiel, virtuel ). Sarkozy, on s’en souvient, était même allé jusqu’à proposer un « dépistage » précoce (dès trois ans) de la dangerosité future des enfants. Si vous enfermez un type pour des actes qu’on l’imagine potentiellement capable de commettre, il passera sa vie derrière les barreaux, plus sûr moyen de ne jamais savoir s’il en aurait commis.
Autrement dit, dès la naissance, il y a les humains et les autres. Des « monstres », pourquoi pas. Souvent présentés comme tels, en tout cas. Cette conception est éminemment anti-humaniste. Je reste convaincu qu'Adolf Hitler, Staline, Pol Pot et consort ne sont pas des monstres inhumains, mais qu'ils font hélas partie de l'espèce humaine. Hitler et Pol Pot sont nos semblables. Je déteste l'idée, mais je la crois vraie. L'horreur est humaine, trop humaine.
De plus, Mireille Delmas-Marty pointe, chez Carl Schmitt, une tendance à assimiler dans la même personne l’ « ennemi absolu » et le « criminel-né ». C’est-à-dire qu’il fusionne potentiellement deux institutions : celle destinée à maintenir l’ordre et celle destinée à défendre le territoire national contre une attaque étrangère.
Maintien de l’ordre et guerre reviendraient alors à une tâche unique. Armée et police même combat, avec pour conséquence l'extension de la notion d' « état d'urgence » dans le temps et dans l'espace, avec toutes les restrictions à l' « état de droit » que cela suppose. Je pose la question : qu'est-ce que c'est, l'opération « Vigipirate » (à laquelle vient de succéder « Sentinelle ») ? La « loi renseignement » est du même tonneau.
Elle cite un certain Gunther Jakobs, qui réclame le droit pour la société de « se défendre par des mesures radicales comme l’internement de sûreté ou la création de camps du type de celui de Guantanamo ou de Bagram ». Le vocabulaire employé pour justifier aujourd'hui l'action de l'armée française en Afrique et ailleurs (« Sécurité » ? « Maintien de la Paix » ? « Guerre au terrorisme » ?) est assez élastique pour tout confondre.
Pour le coup, l'état d'urgence tend à se pérenniser, étant entendu que l'urgence devient une norme permanente. C'est comme la drogue : ça commence par le plaisir, ça continue par la dépendance, et après une phase d'accoutumance (augmentation incessante de la dose), ça finit par une overdose.
Ce qui ressort, en définitive, de tout le livre, c’est ce qu’on voit se développer dans toutes les directions depuis le 11 septembre 2001 : la collecte généralisée des données, en particulier des données personnelles. Le nœud coulant policier, dans le monde entier, se resserre autour du cou des individus, que ce soit pour des raisons commerciales (profilage algorithmique des habitudes des consommateurs) ou pour satisfaire le besoin toujours accru de sécurité collective (repérage de mots-clés supposés se rapporter au terrorisme).
Tout cela se passe avec la complicité des plus hautes instances juridiques (Conseil constitutionnel en France, Cour constitutionnelle de Karlsruhe en Allemagne, …) qui avalisent, non sans contradictions, des lois restreignant les droits, même si d’autres institutions font de la résistance (Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), par exemple).
Bref, en plein débat sur la « loi renseignement », ce livre de 2010 est encore plus actuel, et devrait alerter les défenseurs de ce qui reste de l’ « état de droit ». Un témoignage de plus sur l’aspect peu ragoûtant du monde qui est en train de mijoter sur les fourneaux de tous les pouvoirs.
Merci madame, pour la confirmation. Total respect.
Voilà ce que je dis, moi.
Note : Je passe sous silence l'optimisme de commande que Mireille Delmas-Marty manifeste en conclusion. Elle préfère parier sur la raison des hommes et leur « communauté de destin », plutôt que sur la crainte que s'établissent des « sociétés de la peur ». Je veux bien. C'est son droit. En tant que grande universitaire, elle ne se sent peut-être pas le droit de faire autrement. On n'est pas obligé de partager cet optimisme, vu les évolutions actuelles sur de multiples terrains différents (politique, société, économie, écologie, ...).
09:00 | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : france, société, politique, europe, union européenne, constitution européenne, référendum 2015, nicolas sarkozy, mireille delmas-marty, libertés et sûreté dans un monde dangereux, éditions du seuil, droits de l'homme, loi renseignement, manuel valls, jean de maillard, le rapport censuré, docteur lombroso, criminel né, carl schmitt, hitler, pol pot, 11 septembre 2001, cedh, cour européenne des droits de l'homme
mercredi, 29 avril 2015
L'ETAT FOUT LE CAMP ...
... MAIS LE POLICIER PROSPÈRE.
2/3
Parlant des outils que certains (comme Alain Bauer, « criminologue », grand copain en maçonnerie de Manuel Valls (avec Stéphane Fouks), "ami" de Nicolas Sarkozy, accessoirement franc-maçon haut placé et propriétaire d’une société privée (tiens donc !) de conseil en sécurité) tentent de mettre en place, l'au-dessus de tout soupçon juriste Mireille Delmas-Marty écrit en effet : « Baptisées "sciences criminologiques", ces analyses de risque, soutenues par une industrie de la surveillance en pleine expansion où des cadres issus des écoles de commerce côtoient des retraités des armées et des services de police et de renseignement, permettraient de prédire le risque de récidive » (p. 47). Je retiens surtout que l’ "industrie de la surveillance" est "en pleine expansion" et que les commerciaux copinent sans problème avec policiers et militaires.
Cette expansion est un signe des temps et éclaire d’un jour curieux le débat autour de la « loi renseignement », je trouve. Légaliser l’intrusion policière dans les vies privées par des instances étatiques, ça revient finalement à calquer « ce qui reste de l’Etat » sur la façon dont n’importe quelle entreprise commerciale (mettons Google ou Facebook) est organisée en vue d’une efficacité parfaite dans le ciblage du client potentiel.
Je vais même vous dire : ce n'est rien d'autre qu'un énorme sondage d'opinions généralisé, permanent et en temps réel. Un sondage d'opinion un peu spécial : on ne vous demande pas si vous voulez répondre à des questions. On a votre réponse avant que quiconque vous ait posé la question. C'est même vous qui l'avez fait spontanément.
Je sais, vous allez dire : « Tant que je n'ai rien à me reprocher ». Eh oui, je sais, vous avez déjà intériorisé l'Etat policier. Vous anticipez : vous concevez vos idées en fonction de ce qui risque de vous être reproché. Et tout ça démocratiquement. Bravo, nous construisons l'avenir radieux.
Je vais vous dire : les nouvelles méthodes commerciales et policières d'intrusion, de pistage et de traçage des trajectoires individuelles constituent l'absolu du marketing publicitaire appliqué à la gestion sécuritaire de la société. L’Etat-puissance-publique aligne son fonctionnement sur le management « à l’américaine » des entreprises privées : se retrouver « aux affaires », c’est être amené à se conformer à la « politique managériale » la plus efficace possible.
Et les gestionnaires actuels de l’Etat français sont tout bonnement en train d’appliquer à la puissance publique ce qui se pratique dans les entreprises privées : les principes du « lean management », dont le but est de débarrasser l’entreprise de toute la graisse qui entrave et ralentit le processus productif, y compris les stations devant la machine à café (« lean » veut dire « maigre », cf. la RGPP, non-remplacement de fonctionnaires partant à la retraite, si chère à Sarkozy). T'échanges trois mots avec ton collègue du service voisin : tu fais perdre du fric à ton entreprise ! Simple comme bonjour. Soumettre l'Etat au plus sévère régime d'amaigrissement possible, tout en accroissant son efficacité policière. Fallait y penser.
Car le renseignement n’est qu’un aspect de la question. J’ai en effet tendance à mettre bout à bout plusieurs annonces récentes du même tonneau où l’anodin le dispute au correctionnel. Sur le modèle de la Belgique et du Luxembourg, on parle d’instaurer en France le vote obligatoire, en prenant soin de préciser qu’au grand-duché, l’infraction coûte 1.000 €. Vous serez citoyens, ou vous ne serez pas. On vous forcera à être des électeurs libres et responsables. C’est pas fini.
Sur le modèle de la Suède, cette fois, on parle de faire une loi anti-fessée. On vous forcera à être des parents « immer korrect » (c’est-à-dire, comme ça se passe en Suède, sans cesse en train de négocier avec le gamin pour le persuader de se laisser éduquer parce que c'est pour son bien), sous peine de vous voir déchus de vos droits.
Pour la loi prochainement destinée à criminaliser les paroles (déjà que) de ceux qu’on traite d’antisémites, d'islamophobes ou d'homophobes, on ne fera pas une loi « sur le modèle de », parce que le lobby est assez puissant en France pour agir en amont de toute déclaration d’allégeance à un modèle quelconque.
En France, le lobby anti-antisémite, antisexiste, anti-islamophobe, anti-homophobe est devenu une composante du pouvoir. Par exemple, studieux et obéissant, le président de la République Française défère à l'injonction, comminatoire et annuelle, d'avoir à se présenter, en tant qu'ultime élu de la dite République, au congrès du CRIJF ou dans une synagogue, si possible en couvrant son crâne d'une kippa (après les attentats de janvier) ! Je renonce à comprendre.
Notez que le vocabulaire se prête volontiers à tous les trafics : le mot « racisme » a une portée beaucoup plus générale qu’« antisémitisme ». C'est sans doute pour ça qu'il a été ajouté a posteriori pour donner l'acronyme LICRA, ligue qui, si je ne me trompe, a été fondée par un juif, et qui, au départ, ciblait exclusivement l’antisémitisme. Le R de "racisme" a permis d’embellir le présentoir dans la vitrine et d'élargir la clientèle, pour mieux vendre une idée déjà instrumentalisée.
C’est sûr, Philippe Muray était dans le vrai, quand il dénonçait l’ « envie de pénal ». Tous les prétextes sont bons aux yeux des modéliseurs et spécialistes du formatage de l’humain, habités par l’obsession de fabriquer par décret une humanité exempte de tout Mal originel. De toute impureté biologique. De toute idéologie déviante.
Il faut empêcher une fois pour toutes le Mal de nuire. Il suffit de décréter que le Mal est définitivement banni de notre « Empire du Bien » (Philippe Muray, bien sûr) pour éliminer les infâmes nuisibles qui osent voir dans ce « Bien » même le germe d’un nouveau Mal : tous ceux qui ne sont pas d’accord avec cette vision irénique et policière des choses, tous les méchants qu’on a rassemblés dans ce centre de rétention d’un nouveau genre qu’est l’étiquette « Nouveaux Réactionnaires ». Notez bien "irénique et policière".
Le "Nouveau Réactionnaire", voilà l'ennemi, voilà le nuisible à éliminer du champ de vision. Je suis toujours étonné du nombre de gens qui se portent volontaires pour faire la police sur la voie publique de la pensée et des opinions. Toujours prêts à porter l'affaire devant la justice pour "incitation à la haine". Il faut faire taire les "Nouveaux Réactionnaires".
En commençant par les empêcher de s’exprimer. C’est la vision néo-conservatrice fanatique et fondamentaliste à la George W. Bush qu’on importe ainsi en France. A une grande différence près : privée de la complète liberté d’expression en vigueur aux USA. Appelons ça la double peine. Fait pas bon passer pour un réactionnaire, de nos jours. Alors que l' "incitation à la haine", elle ne vient pas de là où l'on pense.
Je signale que le mot "réactionnaire" désignait au départ tous ceux qui, après la Révolution, militaient pour rétablir la monarchie absolue, à l'exemple de Joseph de Maistre. Aujourd'hui, il désigne sous forme d'insulte tous ceux qui ne sont pas béats d'admiration devant le processus en cours, dont la seule ambition est d'instaurer un nouvel ordre moral.
« Ce qui reste de l'Etat » sera policier ou ne sera pas.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : société, france, état policier, criminologie, alain bauer, francs-maçons, manuel valls, nicolas sarkozy, stéphane fouks, mireille delmas-marty, loi renseignement, état français, rgpp, vote obligatoire, antisémitisme, islamophobie, homophobie, sexisme, féminisme, crijf, république française, kippa, licra, philippe muray, nouveaux réactionnaires, l'empire du bien, george w bush, joseph de maistre
mardi, 28 avril 2015
L'ETAT FOUT LE CAMP ...
... MAIS LE POLICIER PROSPÈRE.
1/3
François Sureau déclarait dernièrement : « Ce qui reste de l’Etat s’en va par pans entiers » (citation approximative). Venant d’un si grand connaisseur du droit et du fonctionnement de l’Etat, j’ai tendance à accorder un certain crédit à ce propos. D’autant qu’il corrobore les bribes d’analyse que mes faibles moyens me permettent tant bien que mal de conduire, aidé par quelques lectures.
L’Etat, en France, fout le camp à toute vitesse. Il se débarrasse le plus vite possible de ses meubles, dont l'entretien lui revient trop cher, paraît-il. Les rats qui sont aux commandes quittent le navire national. La puissance publique vend les bijoux de famille (immeubles prestigieux, autoroutes, …) aux investisseurs privés.
L'Etat se déleste de tout ce qui faisait le « Bien commun », que ses « serviteurs » se font fort et s'enorgueillissent (quand ils sont en public) de défendre, alors même qu’ils le bradent effrontément, en toute impunité. Et en même temps, le chroniqueur Philippe Manière peut déclarer : « Les finances publiques font eau de toute part » (ce matin même sur France Culture). Je renonce à comprendre.
Tiens, un exemple à propos de défense : le ministre ad hoc, Jean-Yves Le Drian, insiste beaucoup en ce moment pour obtenir que des investisseurs achètent le matériel militaire que l’armée française leur louerait ensuite (voir Libération, 20 avril, p. 14-15). La juriste Mireille Delmas-Marty souligne les risques que fait courir la sous-traitance (« externalisation », faut-il dire) des forces publiques (police et armée) à des sociétés privées, qu’elle qualifie d’érosion du monopole d’Etat.
Pas seulement en France : voir les sales histoires liées à la présence des mercenaires de l’armée privée Blackwater en Irak. Plusieurs pays sont en train de privatiser, au moins partiellement, leur police et leur armée. La mode est à l’abandon de souveraineté. Au nom de quels intérêts ? Devinez.
L’Etat français se « désengage » (euphémisme), comme s’en plaignaient dernièrement et financièrement, parmi beaucoup d’autres, les maires ruraux auprès de Marylise Lebranchu, ministre de quelque chose. Les dotations à Radio-France, les subventions aux théâtres, aux festivals, aux associations maigrissent à vue d’œil. Plus grave et plus globalement, les « transferts de moyens » n’ont jamais suivi les « transferts de compétences » voulus par la régionalisation. Les impôts locaux augmentent. Qu’ont-ils fait du fric ? Que font-ils du fric ? Qui siphonne l'argent public ?
Le refrain destiné à enrober la réalité de plus en plus squelettique ? « L’Etat n’a plus les moyens. » Traduit en français : l’Etat a capitulé face au « Marché ». Il renonce à protéger les citoyens, à réguler les flux. Or quand l’Etat se délite, à plus ou moins long terme, on aboutit à des situations comme celle que connaît en ce moment la Libye, suite à la lumineuse intervention de Sarkozy (avec Cameron), sur la suggestion lumineuse du « Phare de l'Occident », un certain BHL. Bernard-Henri Lévy ! En personne ! V'rendez compte ? « Mon prince on a les phares du temps jadis qu'on peut. » Pardon, Tonton Georges. Les optimistes diront que la France n’en est pas là. Je veux bien, mais.
C’est donc très mauvais signe. Ça veut dire qu’on va vers un monde dominé par les forces du « Marché », de plus en plus tout-puissant, impérieux, tyrannique. Les populations n’ont qu’à bien se tenir et se préparer au pire. On va vers un monde entièrement privatisé, d’où la notion de « Bien public » aura totalement disparu, un monde bientôt contraint de se plier à l’exigence de rentabilité maximum.
On pressurera le rentable, pour installer des robinets en or massif à la baignoire, et on jettera le non rentable à la poubelle et aux bidonvilles. Ce n’est pas pour rien que Nicolas Sarkozy a donné libre essor aux PPP (Partenariats Public / Privé), ces machines destinées à siphonner pour très longtemps les finances publiques (bail emphytéotique ou autre).
Dans ce monde que je vois venir (en croisant les doigts dans l’espoir que je suis un âne, bête à manger du foin, que j’ai tort et que je me trompe du tout au tout, mais), quelques monstres trouveront tous les moyens pour que la population, une fois rentabilisée, soit aussi de plus en plus surveillée, pour empêcher les opposants de s’opposer et les récalcitrants de récalcitrer.
Car, presque paradoxalement, la société que nous prépare « ce qui reste de l’Etat » a de plus en plus nettement, clairement, arrogamment un profil policier. Je suis en train d’achever la lecture du très austère mais très costaud livre de Mireille Delmas-Marty, Liberté et sûreté dans un monde dangereux (Seuil, 2010), où elle pointe, dans un vocabulaire à la précision scalpelliforme et avec une rigueur intellectuelle de juriste consommée, les dérives sécuritaires des législations dans les pays démocratiques depuis le 11 septembre 2001 (en réalité depuis plus longtemps). En plein débat sur la « loi renseignement », cette lecture ne pouvait pas mieux tomber.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : société, politique, capitalisme, forces du marché, françois sureau, france, privatisation, jean-yves le drian, ministre de la défense, journal libération, mireille delmas-marty, lliberté et sûreté dans un monde dangereux, monopole d'état, blackwater irak, marylise lebranchu, radio-france, état français, nicolas sarkozy, bhl, bernard-henri lévy, georges brassens, tonton georges, ppp, partenariat public privé, loi renseignement, manuel valls