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dimanche, 06 mars 2022

LE CHOIX DU CHÔMAGE (fin)

Pour terminer cette petite série consacrée à la façon dont des générations d'hommes politiques ont "abordé" la question du chômage, je voudrais rendre hommage aux auteurs de Le Choix du chômage (Futuropolis, 2021), le journaliste Benoît Collombat et le dessinateur Damien Cuvillier, ainsi qu'à leur éditeur Futuropolis en la personne de Claude Gendrot.

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Tout commence lors d'une rencontre en octobre 2016 à Saint Malo, au Festival Quai des Bulles, autour d'une table.

Car s'il s'agit au départ d'un projet qui pourrait sembler un peu trop ambitieux, on trouve à l'arrivée un ouvrage très important pour qui veut comprendre comment il se fait que la France ait, au cours du temps, laissé démanteler toutes les structures qui faisaient de la collectivité française un Etat social. C'est-à-dire un pays, pour ce qui touche les fournitures d'eau, gaz, électricité, les services de la Poste et autres institutions contrôlées par l'Etat, où l'on ne parlait pas de "client" mais d'"usager des services publics". On admettra sans trop de façons, j'espère, que ça change tout. Collombat et Cuvillier ont, pour faire aboutir le projet, abattu une besogne pharaonique pour rassembler, "scripter" et dessiner la substance du sujet. Grâce leur soit rendue.

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Il n'a jamais été question pour moi de faire ici le tour exhaustif de ce bouquin majeur en entrant dans toute la complexité des notions et dans la succession des moments de la mise en place douloureuse du nouveau système économique, inspiré et importé directement des pays anglo-saxons. C'est avec raison que les auteurs parlent dans leur sous-titre de "violence économique". J'ai voulu simplement donner une place visible (tant que faire se peut) à une démarche peu banale, engagée et surtout salutaire. Peut-être que ces quelques pages donneront l'envie à quelques-uns de lire le livre ? Après tout, est-il prouvé qu'il n'y a pas de miracle ?

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Je retiendrai en particulier deux ou trois citations de la page 20 (ci-dessus), tirées d'un livre paru en 1985 et signé d'un certain Jean-François Trans, pseudonyme collectif pour François Hollande, Jean-Yves Le Drian, Jean-Pierre Jouyet et Jean-Pierre Mignard, dont trois au moins se sont fait largement connaître ensuite. Certaines de ces citations permettront de comprendre pourquoi la gauche a trahi la classe des travailleurs en se ralliant à l'économie de marché.

D'abord un belle énormité : « Lever les barrières qui protègent les secteurs assistés, car la concurrence est fondamentalement une valeur de gauche ». C'est-y pas clair, tout ça ?

Et puis cette perle : « La gauche épuise son crédit quand elle s'acharne à surestimer le nombre des démunis et la fortune des plus favorisés ». C'est-y pas beau, celle-là ?

Et puis ces deux professions de foi : « Le choix de la compétitivité .... La baisse des prélèvements obligatoires ... ». Déjà des traîtres.

Si le total des candidats de gauche à la présidentielle arrive tout suant et à bout de souffle à 20% dans les sondages, ce n'est que justice, finalement. Il n'y a plus de parti socialiste, le champion des trahisons des "idéaux" de la gauche. Le parti communiste a porté à sa tête un type qui a l'air bien (Fabien Roussel), mais pourquoi ces gens persistent-ils à s'appeler "communistes" ? Mélenchon a gardé, sous le vernis d'arrondissement des angles, son côté "olibrius", malgré ses indéniables qualités d'orateur (mais Macron en est un autre).

Du coup, c'est l'ensemble des classes populaires qui se retrouvent à poil, sans défenseurs, parce qu'elles ont été lâchées par des gens qui ont promis, promis, promis et qui, dans leur cuisine à l'abri des regards, ont concocté la nouvelle donne, celle que l'on connaît aujourd'hui : chômage, précarité, et ce qui s'ensuit : la colère. On peut compter sur le prochain probable président de la République pour continuer dans la même voie et pour aggraver la situation du plus grand nombre. Heureusement, il reste les bâtons et autres instruments de la police, comme on l'a vu avec les "gilets jaunes" il n'y a pas si longtemps. 

On l'a compris : ce que je retiens en priorité de Le Choix du chômage, de Benoît Collombat, journaliste, et Damien Cuvillier, dessinateur, c'est qu'ils racontent l'histoire de l'offensive du néolibéralisme anglo-saxon en France, offensive menée par des forces néolibérales proprement françaises, convaincues par nature, mais qui s'est révélée victorieuse grâce à la complicité active de gens qui se disaient de gauche, et qui ont fait fi de – disons – "l'identité française", pour des motivations purement économiques, en même temps qu'ils jetaient aux orties les vieilles convictions de justice sociale, de bien commun, voire d'universalité des valeurs.

Je veux dire que, s'ils se sont fait "une certaine idée de la France", c'était celle d'une simple machine productive qu'il s'agissait de rendre puissante et compétitive sur un marché de plus en plus soumis non plus à la volonté politique des peuples, mais aux lois aveugles de l'économie, et dans un monde de plus en plus fondé sur la compétition entre nations, voire entre individus, et pour tout dire, un monde de plus en plus concurrentiel et globalisé. Il s'agissait d'adapter et de fondre l'identité de la France dans le "concert" (je me gausse) des nations, au lieu de promouvoir contre vents et marées - et pourquoi pas imposer en Europe - les structures d'un Etat social à la française. Les auteurs nomment cela la violence économique. C'est la pure vérité.

Cette France marchande gouvernée par les forces de l'argent n'est pas la mienne. Oui, je sais, ma France a disparu corps et bien, sans espoir de retour : aucune illusion là-dessus. Mais je réponds que je peux me permettre de ne pas adhérer. 

Voilà ce que je dis, moi.

mardi, 28 avril 2015

L'ETAT FOUT LE CAMP ...

... MAIS LE POLICIER PROSPÈRE.

1/3 

François Sureau déclarait dernièrement : « Ce qui reste de l’Etat s’en va par pans entiers » (citation approximative). Venant d’un si grand connaisseur du droit et du fonctionnement de l’Etat, j’ai tendance à accorder un certain crédit à ce propos. D’autant qu’il corrobore les bribes d’analyse que mes faibles moyens me permettent tant bien que mal de conduire, aidé par quelques lectures. 

L’Etat, en France, fout le camp à toute vitesse. Il se débarrasse le plus vite possible de ses meubles, dont l'entretien lui revient trop cher, paraît-il. Les rats qui sont aux commandes quittent le navire national. La puissance publique vend les bijoux de famille (immeubles prestigieux, autoroutes, …) aux investisseurs privés.

L'Etat se déleste de tout ce qui faisait le « Bien commun », que ses « serviteurs » se font fort et s'enorgueillissent (quand ils sont en public) de défendre, alors même qu’ils le bradent effrontément, en toute impunité. Et en même temps, le chroniqueur Philippe Manière peut déclarer : « Les finances publiques font eau de toute part » (ce matin même sur France Culture). Je renonce à comprendre.

Tiens, un exemple à propos de défense : le ministre ad hoc, Jean-Yves Le Drian, insiste beaucoup en ce moment pour obtenir que des investisseurs achètent le matériel militaire que l’armée française leur louerait ensuite (voir Libération, 20 avril, p. 14-15). La juriste Mireille Delmas-Marty souligne les risques que fait courir la sous-traitance (« externalisation », faut-il dire) des forces publiques (police et armée) à des sociétés privées, qu’elle qualifie d’érosion du monopole d’Etat. 

Pas seulement en France : voir les sales histoires liées à la présence des mercenaires de l’armée privée Blackwater en Irak. Plusieurs pays sont en train de privatiser, au moins partiellement, leur police et leur armée. La mode est à l’abandon de souveraineté. Au nom de quels intérêts ? Devinez.

L’Etat français se « désengage » (euphémisme), comme s’en plaignaient dernièrement et financièrement, parmi beaucoup d’autres, les maires ruraux auprès de Marylise Lebranchu, ministre de quelque chose. Les dotations à Radio-France, les subventions aux théâtres, aux festivals, aux associations maigrissent à vue d’œil. Plus grave et plus globalement, les « transferts de moyens » n’ont jamais suivi les « transferts de compétences » voulus par la régionalisation. Les impôts locaux augmentent. Qu’ont-ils fait du fric ? Que font-ils du fric ? Qui siphonne l'argent public ?

Le refrain destiné à enrober la réalité de plus en plus squelettique ? « L’Etat n’a plus les moyens. » Traduit en français : l’Etat a capitulé face au « Marché ». Il renonce à protéger les citoyens, à réguler les flux. Or quand l’Etat se délite, à plus ou moins long terme, on aboutit à des situations comme celle que connaît en ce moment la Libye, suite à la lumineuse intervention de Sarkozy (avec Cameron), sur la suggestion lumineuse du « Phare de l'Occident », un certain BHL. Bernard-Henri Lévy ! En personne ! V'rendez compte ? « Mon prince on a les phares du temps jadis qu'on peut. » Pardon, Tonton Georges. Les optimistes diront que la France n’en est pas là. Je veux bien, mais. 

C’est donc très mauvais signe. Ça veut dire qu’on va vers un monde dominé par les forces du « Marché », de plus en plus tout-puissant, impérieux, tyrannique. Les populations n’ont qu’à bien se tenir et se préparer au pire. On va vers un monde entièrement privatisé, d’où la notion de « Bien public » aura totalement disparu, un monde bientôt contraint de se plier à l’exigence de rentabilité maximum.

On pressurera le rentable, pour installer des robinets en or massif à la baignoire, et on jettera le non rentable à la poubelle et aux bidonvilles. Ce n’est pas pour rien que Nicolas Sarkozy a donné libre essor aux PPP (Partenariats Public / Privé), ces machines destinées à siphonner pour très longtemps les finances publiques (bail emphytéotique ou autre). 

Dans ce monde que je vois venir (en croisant les doigts dans l’espoir que je suis un âne, bête à manger du foin, que j’ai tort et que je me trompe du tout au tout, mais), quelques monstres trouveront tous les moyens pour que la population, une fois rentabilisée, soit aussi de plus en plus surveillée, pour empêcher les opposants de s’opposer et les récalcitrants de récalcitrer. 

Car, presque paradoxalement, la société que nous prépare « ce qui reste de l’Etat » a de plus en plus nettement, clairement, arrogamment un profil policier. Je suis en train d’achever la lecture du très austère mais très costaud livre de Mireille Delmas-Marty, Liberté et sûreté dans un monde dangereux (Seuil, 2010), où elle pointe, dans un vocabulaire à la précision scalpelliforme et avec une rigueur intellectuelle de juriste consommée, les dérives sécuritaires des législations dans les pays démocratiques depuis le 11 septembre 2001 (en réalité depuis plus longtemps). En plein débat sur la « loi renseignement », cette lecture ne pouvait pas mieux tomber. 

Voilà ce que je dis, moi.