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lundi, 11 mai 2015

LE DERNIER FRED VARGAS

VARGAS TEMPS GLACIAIRES.jpgNote liminaire : je n'avais pas prévu que Le Masque et la plume inscrirait à son programme du 10 mai le dernier livre de Fred Vargas (ceci dit pour ceux qui ont écouté France Inter hier soir). Sur la chose, le modeste (et néanmoins péremptoire) commentaire qui suit était déjà entièrement écrit. 

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Je pensais avoir délaissé le polar pour toujours. Quelqu’un m’a incité, dernièrement, à lire Adieu Lili Marleen, de Christian Roux (Rivages / Thriller, 2015). Désolé, je n’ai pas pu. Cette histoire de pianiste embarqué dans les sales histoires, ça m’est vite tombé des mains. J’ai renoncé. Peut-ROUX CHRISTIAN.jpgêtre à tort, je ne saurai pas, j'accepte l'idée. 

L’argument avancé, le miel qui devait attirer l’ours hors de sa tanière, était pourtant alléchant : la musique, et pas n'importe laquelle. Avec des têtes de chapitres du genre interpellant. Pensez : « Opus 111 ». Mieux encore : « Muss es sein ? – Es muss sein ». Vous vous rendez compte ? Mais si, rappelez-vous : la dernière sonate (op. 111 en ut mineur, 1824) et la dernière œuvre (quatuor op. 135 en fa majeur, composé en 1826) écrites par Ludwig van ! De quoi tilter, évidemment, si le mot a encore un sens aujourd’hui. Ben non, je n’ai pas pu. 

Mais le quelqu’un en question y est allé plus fort ensuite. Elle est têtue : revenant d’une visite au festival « Quais du polar », qui s’est tenu à Lyon récemment, elle m’a offert le dernier Fred Vargas : Temps glaciaires (Flammarion, 2015). C’est connu : « A cheval donné, on ne regarde pas les dents », tout le monde sait ça.

De Vargas, j'avais déjà lu Pars vite et reviens tard (avec sa fin en pirouette décevante), Sous les vents de Neptune (avec son criminel grandiose qui s'échappe à la fin), Un Lieu incertain (avec son ostéopathe et son évocation originale de Dante Gabriel Rossetti), L'Homme à l'envers (avec son Canadien obsédé par les loups du Mercantour). Des polars corrects qui m'ont laissé des souvenirs assez bons. Pas des chefs d'œuvre, mais. J’ai donc ouvert le livre. 

J’ai failli le refermer vite fait. Pour une raison très simple, la même qui m’a fait refermer à toute vitesse Alexandre Dumas, quand j’ai voulu relire dernièrement Les Trois Mousquetaires : le tirage à la ligne. Le moyen est simple : quand vous êtes payé à la ligne, allez à la ligne au bout de trois mots. Les dialogues sont faits pour ça.

Vous organisez une bonne partie de ping-pong verbal entre plusieurs personnages, et vous voilà parti pour un volume épais comme un Bottin de l'ancien temps. C’est flatteur pour vous : vous avez lu cent pages en un temps record. Ici, les personnages ne manquent pas, c'est la brigade que commande le commissaire Adamsberg. A chacun son caractère, et toujours « le petit fait vrai ». C'est merveilleusement interactif. Donc ça permet d'allonger la sauce.

Malheureusement, ça sent le procédé à cent kilomètres. Pourtant, je n’ai pas lâché. A cause d’une circonstance particulière : le livre parle d’Akureyri. Alors là, vaincu, je me suis senti obligé. Je dois quand même dire que si mes chers J. et S. n’étaient pas allés traîner leurs guêtres par là-bas pour guetter les aurores boréales, le nom de la ville serait resté pour moi une suite de sons un peu exotique. Rien de plus. J'aurais laissé tomber.

AKUREYRI TIMBRE.jpg

Timbre portant le cachet de la poste d'Akureyri.

 

Or il est bel et bien question de l’Islande, dans le roman de Fred Vargas, et de sa région nord : Akureyri, au fond de son fjord, l’île de Grimsey, sur le cercle polaire arctique (66° 66’). Il est question du village de Kirkjubæjarklaustur (ouf !), où est né Almar. Il est aussi question du tölvar, « la sorcière qui compte ». Le tölvar n’est rien d’autre que l’ordinateur, en islandais.

Il est encore question d’un esprit dangereux et impérieux qu’on nomme l’afturganga, qui lance des appels irrésistibles à certains, même très éloignés, et qui châtie à coups de brume absolument impénétrable ceux qui s’attardent chez lui sans son accord. Rögnvar : « L'afturganga ne convoque jamais en vain. Et son offrande conduit toujours sur un chemin » (p. 406). A bon entendeur, salut ! C'est la majestueuse et puissante Retancourt qui sauve in extremis l'équipe et l'enquête. Rögnvar avait raison.

ISLANDE 3 SATELLITE.jpg

Voilà. Je ne vais pas résumer l’intrigue. Je dois avouer qu’elle est surprenante. En refermant le bouquin, j’ai envie de dire à madame Vargas : « Bien joué ! ». Il est vrai qu’il faut passer par-dessus l’horripilation produite par le choix du mode de relation des faits (le dialogue). La lecture épouse de l'intérieur toutes les circonvolutions cérébrales de l'équipe, les hésitations, conflits plus ou moins larvés entre ses membres, retours en arrière des personnages réunis autour d'Adamsberg. Disons-le : ça peut lasser, si l'on n'est pas prévenu. 

L’avantage de l’inconvénient de ce choix narratif, c’est la maîtrise totale du rythme du récit par l’écrivain. Et c’est vrai que ça commence plan-plan, et même que ça se traîne au début. Et puis, insensiblement, ça accélère, ça devient fiévreux, un coup de barre à bâbord, puis à tribord, le vent forcit, la mer se creuse, et ça finit dans les coups de vent et la tempête. Va pour le dialogue, en fin de compte. Je ne suis quand même pas sûr que cette façon d'installer un "climat" soit absolument nécessaire.

A mentionner, le passage par une improbable association d’amoureux de la Révolution française en général et de Robespierre en particulier, qui s’ingénient, à dates fixes, à rejouer les grandes séances des Assemblées, depuis la Constituante jusqu’à la Convention. En perruque et costume, s’il vous plaît. Beaucoup d’adhérents, comme s’ils revivaient les passions de l’époque, se laissent emporter par l’exaltation historique. C’est assez impressionnant. Mettons : original.

Au sujet du bouquin, j’avais lu dans un Monde des Livres un commentaire condescendant d’Eric Chevillard, écrivain de petite renommée hébergé par les Editions de Minuit. J’imagine que dire du mal de la production de Fred Vargas n’est pas un enjeu majeur dans le microcosme littéraire parisien, et que Chevillard ne risque pas grand-chose à flinguer sa consœur. Passons. Quoi qu’il en soit, je sais gré à la dame de s’y être prise assez adroitement pour m’amener à m’intéresser à l’histoire, jusqu’à me permettre de surmonter ma répugnance à affronter tant de parlotes. 

Tout juste ai-je noté quelques préciosités de vocabulaire (« alenti », p. 126 ; « étrécies », p. 203) ; quelques bourdes grammaticales ici ou là (« et celle de François Château qui, oui, lui semblait-il, le reconnaissait », au lieu manifestement de « qu’il reconnaissait », p. 193 ; « substituer » au lieu de « subsister », p. 221). Une étourderie scientifique : que je sache, le manchot empereur n'a rien à voir avec les « oiseaux nordiques » (p. 192).  Rien de bien grave, comme on voit. Dernière précision : je n'ai jamais vu, dans aucun polar, mettre en œuvre une fausse piste aussi énorme.

Je finirai sur une préoccupation du moment. Manuel Valls, premier ministre, et Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, en plein débat sur la « loi renseignement », ne désavoueraient certainement pas cette parole de Robespierre rapportée p. 331 : « Je dis que quiconque tremble en ce moment est coupable ; car jamais l’innocence ne redoute la surveillance publique ». Robespierre était pour la transparence totale des individus.

Ça fait froid dans le dos, quand on y réfléchit un peu : quand on est innocent, on n'a rien à craindre des intrusions policières. Ça pourrait même faire un argument pour Valls et Cazeneuve : ceux qui protestent contre la « loi renseignement », c'est parce qu'ils sont coupables. Valls + Cazeneuve (+ Hollande) = Robespierre. Drôle d'équation, non ?

Avis à tous les "innocents" qui raisonnent en se disant : « Oh, moi, du moment que je n'ai rien à me reprocher, ils peuvent bien faire ce qu'ils veulent ». En ces temps d'espionnage généralisé et de collecte intégrale des données personnelles, la phrase de Robespierre est d’actualité ou je ne m’y connais pas. 

Ne pas oublier que la période où "l'Incorruptible" dominait porte encore le nom de Terreur. Heureusement, il y eut le 9 thermidor an II (27 juillet 1794). Avis aux actuels adeptes de la « surveillance publique ». 

Voilà ce que je dis, moi. 

 

MP5.jpgNote : le sanglier visible sur la couverture est un vrai personnage. Il s'appelle Marc. Il protège Céleste. Il a une hure douce comme un bec de canard. Il est à deux doigts d'y passer, à coups de rafales de MP5 (ci-contre) (cliquez pour 1'48"). On est content qu'il survive. Même si les infirmiers ne sont pas contents. Un sanglier à l'hôpital ? Vous n'y pensez pas !!!

lundi, 26 janvier 2015

CHRISTINE ANGOT A LA HAINE 2/?

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Oui, je n’aurais rien dit, mais voilà, celle qui n’a aucune parenté avec la seule Madame Angot qui vaille à mes yeux (ou plutôt à mes oreilles : c'est la fille de la dame, selon Charles Lecoq), n’est pas seulement « écrivain » : elle est aussi, avec une apparente satisfaction, un personnage médiatique important. Elle consent à se laisser présenter à l’occasion micros et caméras quand des journalistes en mal de papier font appel à elle pour remplir leurs obligations, croient-ils, professionnelles.

LECOQ CHARLES ANGOT.jpg

Sous la direction de Jésus Etcheverry.

Et puis là, elle se laisse offrir, avec répugnance (qu'elle prétend, mais elle ne répugne pas longtemps), une page entière du Monde (daté 16 janvier). Quatre colonnes larges et bien tassées. Si la dame n’est pas une autorité, au moins est-on sûr qu’elle « a de la surface ». Et des relations bien placées. 

 

Au moins est-on sûr qu'elle est du bon côté de l'establishment, tous gens garnis de bonne conscience, sûrs de leur bon droit, édictant au nom de l'Empire du Bien (cf. Philippe Muray) ce qu'il est loisible, voire licite de faire, et ce qui doit être conduit devant les tribunaux populaires.

 

Toute un grande page du Monde, donc. Et pour parler de quoi ? De qui ? De Houellebecq ! Farpaitement. Angot qui se mêle de critique littéraire ! On aura tout vu ! Il est vrai que certains enfants croient mordicus que c'est à eux d'apprendre à leur mère à faire des enfants ! Au point où on en est !...

 

Notez que si je l’ai traitée de « pauvre pomme tombée d’un poirier », c’est qu’elle l’a bien cherché. Pensez, sous le gros pavé du titre (« C’est pas le moment de chroniquer Houellebecq », mais dans le texte, elle met la négation, c’est bien un coup du Monde, ça), elle n’y va pas par quatre chemins : Houellebecq, elle n’aime pas. C'est son droit. Ensuite, ça dépend de la façon dont on s'y prend pour le dire.

 

Moi, Houellebecq, je ne le connais pas. Ce que je connais, ce sont ses romans. Et ce que je sais, c'est que ces romans sont les meilleurs que j'aie lus, tous auteurs français confondus, depuis fort longtemps, quoi qu'en disent des gens que j'ai appréciés par ailleurs. Par exemple Eric Naulleau, qui traite Houellebecq de « romancier de gare » en 2005 (Au Secours, Houellebecq revient !, Chiflet et Cie). Je ne sais pas s'il est revenu entre-temps sur cette erreur manifeste de jugement.

 

Naulleau s'est racheté en 2008 en assaisonnant Christine Angot, façon pimentée, qu'il habillait pour les hivers les plus rigoureux, dans un livre très drôle et très juste : Le Jourde et Naulleau, Mango. Ma doué, quelle avoinée il lui mettait ! Comme quoi les ennemis de mes ennemis ne sont pas forcément mes amis, mais j'ai de l'affection pour certains. D'autant plus que je note que Houellebecq ne figure pas dans le jeu de massacre auquel se livrent les deux compères dans leur bouquin. S'il n'y a pas amende honorable, on n'est pas loin. Et ça rassure.

 

Exemple de prose sur laquelle Naulleau dirigeait ses boulets rouges, pour montrer de quoi la dame est capable : « Vous avez beaucoup approuvé la construction de L'Inceste, qu'elle était remarquable. C'était complètement un hasard, c'était un moteur en marche, ça suffit vos appréciations, stylistiques, narrotologiques [sic], techniques. Construit, construit veut dire enfermé, enfermé veut dire emprisonné, emprisonné veut dire puni, puni veut dire bêtise, bêtise veut dire faute, faute, erreur, erreur, faute de goût ou morale très grave, moi je n'ai rien fait de mal donc il n'y a aucune raison que je me construise une raison et une construction. Compris cette fois, Quitter la ville, pas de construction » (Quitter la ville, p.79, cité p. 29 du livre de Jourde et Naulleau). Angot, c'est bête, à chaque nouveau bouquin, j'entrouvre, je feuillette, ça confirme, je repose. Vous comprenez maintenant pourquoi.

 

Je passe sur l'état larvaire de la langue et sur l'infantilisme qui conclut le tout à fait étrange enchaînement associatif (« Mais j'ai rien fait, m'sieur ! »). Je note juste que l'auteur propose le magma et le chaos de la pensée (si on peut appeler ça pensée) comme principe de création littéraire. C'est pourquoi le relatif succès de ses livres comporte quelque chose d'inquiétant quant à l'état intellectuel de la partie de la population qui les achète.

 

Aux yeux des autres (ceux qui ne lisent pas ça), j'espère que ce bref aperçu sur la panade que constitue la prose de la dame rend superflu une analyse en détail. Chacun peut percevoir l'état pathétique de ce que des esprits aveuglés, stipendiés ou pervers n'hésitent pas à appeler une entreprise littéraire innovante. Tout juste bonne, l'entreprise littéraire innovante, à finir dans une poubelle du musée de l'Art Brut (vous savez, cette PME spécialisée dans le recyclage des déchets de l'Art).

 

Houellebecq, Angot ne l'aime pas. On commence à comprendre pourquoi. Elle le dit, et ça m'a tout l'air d'être viscéral. Alors là, je dis non : « Touche pas à mon Houellebecq ! ». Remarque, je dis ça pour pasticher, parce qu'il se défend très bien tout seul, celui qui vient de perdre son ami Bernard Maris. Bel élan d’humanité, belle élégance du geste, soit dit en passant, de la dénommée Christine Angot en direction de l’équipe de Charlie Hebdo, que de s'en prendre à un livre que le dit Bernard Maris venait d'encenser dans l'hebdomadaire, dans son tout dernier article.

 

Quoi, toute une belle page du « journal de référence » ! Et pour dégoiser quel genre de gandoises, s’il vous plaît ? Remarquez qu’on pouvait s’y attendre : la démonstration lumineuse que Christine Angot n’a rien compris.  Houellebecq, elle n’y entrave que pouic. Rien de rien. J’ajoute que par-dessus le marché, elle n’a sans doute aucune idée de ce qu'est la chose littéraire. Bon, elle n’est pas la seule à sortir des sottises au sujet de « l’écrivain controversé ». Dans le genre gognandises savantes, j’ai entendu de belles pommes tomber aussi de la bouche poirière d’un certain Eric Fassin. J’en ai parlé.

 

Et puis Houellebecq n’est pas le seul à subir les foudres féminines. Il n’y a pas si longtemps (2012), l’excellent Richard Millet s’est fait dégommer par la très oubliable Annie Ernaux qui, dans une tribune parue dans Le Monde (tiens tiens !), traitait l’auteur de « fasciste ». Rien de moins. Il faut dire que le cousin n’y allait pas de main morte : faire l’éloge "littéraire" d’Anders Breivik, auteur d’une tuerie en Norvège, était pour le moins une prise de risque.

 

Certaines femmes n’aiment vraiment pas les mots de certains hommes ! Elles sont les modernes Fouquier-Tinville. C'est sûrement un hasard : Millet, Houellebecq, Philippe Muray en son temps, vous ne trouvez pas que ça commence à dessiner un profil ? Comme si des rôles étaient en train de se distribuer. D'un côté, tous ceux (en l'occurrence toutes celles) qui lancent des fatwas. De l'autre, ... c'est facile à deviner. Gare la suite !

 

C’est dans un jardin public de Tarbes que Jean Paulhan trouva l’idée d’un de ses titres (Les Fleurs de Tarbes), parce qu’il avait lu cette inscription à l’entrée : « Il est interdit d’entrer dans le jardin avec des fleurs à la main » (si je me souviens bien). Le sous-titre était plus explicite : « La Terreur dans les Lettres ». La Terreur, il n'y a pas seulement celle de fanatiques qui répandent le sang pour la gloire d’Allah (ou d'Akbar, je n’ai pas bien compris de qui il s’agit, peut-être deux frangins ?), il y a aussi celle de fanatiques socio-culturels, bien décidés à imposer dans les esprits leur propre conception de l'art, de la littérature et de la vie en société. A faire régner leur ordre.

 

Après la Terreur de la vérité maoïste imposée en son temps par Tel Quel et Philippe Sollers (dont Simon Leys a fait amplement et durablement les frais), la Terreur des impératifs moraux selon les Papesses Jeanne des Lettres françaises actuelles, Annie Ernaux et Christine Angot. Les temps changent, la Terreur reste.

 

Nous sommes pris entre celle que font régner les modernes Fouquier-Tinville et celle que lancent des imams (quand ce ne sont pas des ayatollahs). Sale temps pour la culture et la vie de l'esprit. Il y aura toujours des braves gens pour tirer la chevillette pour faire choir la bobinette de la guillotine morale sur le cou des créateurs de littérature. Virtuel, le cou, heureusement. Tant que ce ne sont pas des balles islamistes qui le coupent ...

 

Voilà ce que je dis, moi.