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dimanche, 04 février 2018

VOIE DE GARAGE, OU GARE DE TRIAGE ?

Cela va de soi : faire un tri entre les humains, c'est très vilain. L'homme du vingt et unième siècle a trop à l'esprit l'arrivée de certains trains au terminus d'une voie située autour de la ville polonaise d'Oswiecim, plus connue sous son nom allemand, et l'envoi de certains bétails humains, en guise de descente du train, les uns vers l'esclavage du travail forcé non rémunéré, les autres directement vers des douches douteuses alimentées au Zyklon B. Cela se passait il y a un gros demi-siècle.

Il va sans dire que la notion de tri a d'autres bien fâcheuses connotations : on trie les animaux, en fonction de leur aspect, de leur conformation à un standard, de leur potentiel génétique, etc. On trie aussi, depuis déjà quelque temps, les déchets, paraît-il, bien que, nous assure-t-on, la France reste très en retard sur ses voisins européens, s'agissant de la récupération des plastiques.

On se met donc à la place des jeunes, qui renâclent à se laisser sélectionner à l'entrée dans l'enseignement supérieur : on n'est pas des bestiaux. Et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'ils ne sont pas habitués. C'en est au point que le mot "sélection" est désormais interdit de vocabulaire officiel, et même que l'on traque la substance du vocable sous les déguisements lexicaux les plus divers. 

Cette phobie, qui s'ajoute à bien d'autres, s'explique aisément, mais n'en reste pas moins paradoxale. Le féroce égalitarisme soviétique que des idéologues bien placés dans les structures hiérarchiques du ministère de l'Education nationale ont instauré à tous les niveaux de la scolarité jusqu'au baccalauréat a habitué les enfants et adolescents à passer dans la classe supérieure quoi qu'il arrive, jusqu'à la terminale. Les autorités voulaient en finir une fois pour toutes avec les inégalités : louable intention. Résultat des courses : le système éducatif français est, nous dit-on, un des plus inégalitaires qui soit. Un des plus inefficaces aussi. Allez comprendre !

Les ministres successifs ont multiplié les "réformes" et les "trouvailles innovantes" : fin du cours magistral, du classement de fin d'année et de la distribution des prix (surtout ne pas récompenser les meilleurs, dont je n'ai jamais été, mais que j'ai enviés, et alors ?), instauration du collège unique (surtout ne plus rejeter les moins bons dans les filières techniques), abolition du redoublement, multiplication des activités connexes à l'école primaire (invasion de la classe par toutes sortes d'intervenants en musique, langue, sport, etc.), abolition des filières, classes "indifférenciées" du crack au débile léger, dévalorisation de tout l'enseignement technique, instauration des "notations formatives" pour ne plus "stigmatiser" les derniers de la classe, consignes impératives de "générosité" aux correcteurs des épreuves du bac, 80% d'une classe d'âge au bac, etc.

Il est donc normal que les élèves réagissent mal à l'idée de se voir brutalement opposer une fin de non-recevoir à leur désir d'entrer à l'université dans la filière de leur choix : le nouveau bachelier ne veut pas entendre parler de sélection et veut pouvoir entrer dans la formation de son choix, quels qu'en soient les débouchés sur le "marché du travail", et quelles que soient les capacités d'accueil des établissements : l'université n'a qu'à faire ce qu'il faut pour recevoir tous ceux qui le veulent, na ! Et le gouvernement n'a pas intérêt à sucrer nos APL, sinon il va voir !

Tout cela pour dire quoi ? Simple : qu'à toutes les étapes du parcours scolaire (formation initiale), règne un souverain négationnisme de la sélection, et que cela prépare magnifiquement les enfants, puis les jeunes à être accueillis à bras ouverts dans une société qui a aboli depuis longtemps l'idée de sélection. On le constate tous les jours, les patrons d'entreprises souriants et les DRH aimables répètent à tous les vents : « Laissez venir à moi les petits enfants ».

C'est bien connu, la société est accueillante, et le marché du travail est d'une magnanimité sans égale, se moquant éperdument de la qualité de la formation reçue par les candidats à l'emploi. C'est bien connu : quand il y a 200 postulants pour un seul poste offert, le premier qui oserait parler de "sélection" se fait bannir pour obscénité. C'est bien connu : quand un employé rouspète, mécontent de la façon dont on le fait travailler, le DRH ne l'invite jamais à prendre ses cliques et ses claques en lui laissant entendre que 200 remplaçants attendent impatiemment à la porte pour prendre sa place.

C'est bien connu : la société dans son ensemble ignore superbement toute idée de sélection. Et c'est si vrai qu'on a vu proliférer les émissions télévisées fondées sur la compétition. Qu'on parle de chanson, de cuisine, de sport et même de finance, c'est compétition à tous les étages, et dans le consentement général ! Allez comprendre ! On nous a toujours bercés et maternés, et voilà que tout d'un coup, on entend de furieux cris : « Honneur et gloire au vainqueur, malheur et honte au vaincu », nous dit tout le monde moderne ! Le monde moderne veut des agressifs, des gens qui aient la gnaque et n'hésitent pas à marcher sur les pieds des copains, des molosses prêts à se jeter sur les proies qui passent à portée de croc. Le monde moderne serine à l'oreille de chacun : c'est toi le meilleur ! Qu'attend-tu pour y aller ? Pour te jeter dans la bagarre ? Qui ne tente rien n'a rien. 

Dans cette société si égalitaire, on ne compte plus les sportifs avides de se trouver face à des "challenges" à la hauteur de leurs ambitions, qui ne rêvent que de "relever des défis", de "se dépasser", d'être "motivés à 200%". Et ce n'est qu'un exemple parmi cent autres. Curieux contraste, en vérité. 

Je crois qu'il est là, le cancer qui ronge le système éducatif français : l'angélisme perpétuel d'une idéologie de la bienveillance (n'est-ce pas, Yves Michaud ?), dont tout le déroulement postérieur de la vie sociale constitue un démenti formel et de touts les instants. Toute sa vie, le gamin va entendre retentir l'injonction d'avoir à donner le meilleur de lui-même. Le problème, c'est qu'on ne le lui aura jamais dit. L'affrontement pacifique avec les autres, cela s'appelle l'émulation. Mais l'égalitarisme soviétique a rayé l'émulation des moyens offerts aux individus pour progresser. Sauf dans la vraie vie, où la compétition, l'autre nom de l'émulation à l'état aigu, règne en maîtresse.

Je ne dis pas qu'il faut transformer la salle de classe en "arène sanglante", je dis juste que le rôle de l'école est de fournir les outils – et les armes, pourquoi pas ? – pour préparer chacun à entrer un jour dans la compétition, puisque compétition il y a. Et donc qu'il est d'une grande irresponsabilité de nier la dimension sélective d'un système éducatif, quel qu'il soit.

Quand on voit à tous les étages de la société la promotion fanatique de la seule idée de compétition, il est criminel de prêcher solennellement, tout au long de la scolarité, que 

« les hommes naissent libres et égaux en droit ».

Voilà ce que je dis, moi.

mercredi, 15 mai 2013

AH ! RECREER DU LIEN SOCIAL !

 

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***

 

Plus il y a d’associations (loi 1901), moins ça « fait société ». Je passe sur le fait que ça veut sans doute dire que, en dehors de cet acte volontaire et conscient d’adhésion à un groupe limité en vue d’une certaine activité (une association loi 1901), les gens n’ont plus besoin les uns des autres. Soit dit par parenthèse, je me demande si ce n’est pas précisément ça, « faire société » : avoir besoin les uns des autres. Je ferme la parenthèse.

 

Un moyen de « faire société », ce serait par exemple de se rattacher unanimement à un principe unique. Et de s’y rattacher sans qu’il y ait délibération et acte volontaire : faire société – enfin c'est mon avis : demandez aux Suisses si quelqu'un les a forcés à planter le drapeau rouge à croix blanche dans leur jardin – est de l’ordre du réflexe, c’est de l'ordre du senti, de l'irréfléchi (« Au fait, t’as acheté le sapin ? »). C’est ce qui ne pose pas question, mais s’impose sans forcer personne, à coup d'article défini, c'est-à-dire quelque chose d'inaccessible au doute. Autrefois, le dimanche, on allait même jusqu'à habiller les enfants avec « les habits du dimanche ». On peut dire que ça, c’est fini.

 

Prenez la "nation", par exemple. Il est loin, le temps où Pierre Daninos (est-ce dans Le Jacassin ?) pouvait faire sourire en racontant la douce manie d’un oncle qui, tous les 14 juillet, n’allait assister au défilé des troupes que pour se placer derrière un homme à chapeau et pour, au passage du drapeau, faire voler la coiffe de l’impudent en lui lançant, comminatoire : « Monsieur, on se découvre devant le drapeau ! », approuvé et applaudi par les témoins. Une telle anecdote aujourd’hui aurait des airs kitsch, voire paléontologiques, pour ne pas dire franchement révoltants.

 

Plus sérieusement, que signifie le mot « nation » dans la tête de jeunes générations auxquelles on ne prend même plus la peine d’enseigner (de transmettre) l’histoire de la formation de la nation française ? Qu'est-ce qu'un "patrimoine commun" ? Il paraît que l’Histoire de France est devenue complètement hors de propos, hors de saison, hors-sujet. Etonnez-vous que, au lieu de sentir quelque chose vibrer à l’intérieur en entendant retentir la Marseillaise, des petits cons se mettent à siffler. Où est-elle, l'idée capable de fédérer les Français ?

 

Ajoutez à cela autre chose. Moi qui suis d’une génération qui a été « appelée sous les drapeaux », ne croyez pas que je vais exprimer une quelconque nostalgie de ce qui s’appelait « service militaire », tant j’ai pu toucher du doigt et absorber à haute dose du concentré d’abruti dans le bain où nageaient quelques galonnés conformistes par métier, beaucoup de sous-galonnés bornés par vocation, quand ils n'étaient pas simplement tarés par nature.

 

Mais sans qu'on soit favorable au retour du « service militaire », il faut bien reconnaître ses deux apports : la découverte de gens de milieux absolument hétérogènes, découverte que je n’aurais jamais faite autrement, et dont je suis obligé d'avouer le bénéfice a posteriori ; la reconnaissance de la dignité du drapeau comme symbole national, je veux dire unificateur. Mais si la conscription nationale a été aussi facilement abolie, c'est qu'il y avait un consentement général pour cela. Le ver était dans le fruit. Combien auraient voulu qu'il y en eût encore et toujours, des "conscrits" ?

 

Ne rêvons pas : la France, comme entité nationale, achève de se dissoudre, et ce ne sont pas des groupuscules, appelés « bloc identitaire » ou autre, qui peuvent s’opposer au processus. Aucun groupuscule n’est en mesure d’arrêter un mouvement qui touche la collectivité dans sa globalité. Qui touche les fondements. Tout s’est passé tranquillement, par petites étapes (suppression de l'enseignement de l’histoire de France, instauration de l’armée de métier n’en sont que deux aspects), presque sans douleur.

 

Tout ça fait qu’on peut se demander qui pourrait bien, aujourd’hui, se déclarer « fier d’être Français ». Qui, à part quelques bandes d’excités ou quelques nostalgiques ? Dès lors, difficile de « faire société », pas vrai ?

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

mardi, 23 octobre 2012

BALZAC 1

Pensée du jour : « Toutes les colombes sont des Robespierre à plumes blanches ».

 

HONORÉ DE BALZAC

 

 

Il signa HORACE DE SAINT-AUBIN ces livres qu’on appelle aujourd’hui « romans de jeunesse ». Il devait tenir à la particule, parce que, dans son vrai nom, il s’est tellement peu fait à son absence qu’il a voulu à toute force l’ajouter. Son vrai nom ? HONORÉ BALZAC. Qui, aujourd’hui, songerait à l’en priver, de sa particule imaginaire ? 

 

HONORÉ DE BALZAC, donc. Mon premier contact avec ce monument de la littérature, je ne dis pas « française », mais universelle, remonte à mon adolescence, lorsque mon père se mit à acheter pour moi, mois après mois, chacun des 37 volumes qui constituent l’édition du Cercle du Bibliophile. Cette édition ne vaut certes pas celle, beaucoup plus scientifique (et beaucoup plus chère !), donnée par le Club de l’Honnête Homme, à peu près à la même époque. Mais enfin, je m’en contentais. Il y avait l’essentiel : le texte. 

 

Ce qui a sauvé BALZAC à mes yeux, c’est de n’être jamais devenu un objet d’étude au lycée. Il a évité le grand tort qu’on fait subir aux grands auteurs de tenter de les expliquer en classe. Il a évité le total discrédit injustement tombé sur CORNEILLE, dont monsieur LAMBOLLET avait eu l’idée lumineuse de nous faire étudier la pièce Cinna. CORNEILLE ne s’en est pas remis. C’est un tort, je sais, mais que faire ? 

 

Quelle idée, aussi, de faire travailler des gamins de douze ans (c’était en cinquième) sur une œuvre éminemment politique (le sujet : la clémence d’Auguste envers un comploteur) ? 

 

On ne dira jamais assez combien, à quelques exceptions près, l’enseignement de la littérature tel qu’il était pratiqué, je veux dire : en vue d’obtenir une note au baccalauréat, est un des moyens de dégoûter les jeunes de la littérature. Comment leur donner le goût de la lecture ? Je le déclare solennellement : je n’en sais fichtre rien ! Quant à moi, je l'ai gardé, cultivé, développé. 

 

BALZAC fut donc sauvé. VICTOR HUGO aurait pu l’être aussi. C’est certain, il y a Notre-Dame de Paris, Les Misérables, Quatrevingt-treize. Oui, il y a le fleuve poétique (« Ce que dit la bouche d'ombre », c'est dans Les Contemplations : « Tout vit, tout est plein d'âme »). Mais il fait aussi exprès de se rendre insupportable. Car il y a aussi l’enflure, le déluge des images (« le pâtre promontoire au chapeau de nuée »), et puis il y a le culte, que dis-je, l’idolâtrie de l’antithèse (vous savez, dans Ruy Blas, le « ver de terre amoureux d’une étoile »). 

 

Bon, c’est vrai, HUGO emprunte ce goût du contraste violent au CHATEAUBRIAND des Mémoires d’outre-tombe. Mais ce qui reste mesuré chez celui-ci, HUGO en fait un Everest. Et puis CHATEAUBRIAND, toujours dans les Mémoires, consent à la simplicité du style quand il s’agit de décrire la nature et de raconter son passage du Saint-Gothard. HUGO n’est jamais modeste. J’exagère, je sais. Alors disons qu'il l'est rarement. 

 

C’est donc sans y être obligé que j’ai lu toute La Comédie humaine, ou presque. J’ai commencé à faiblir quand sont sortis les volumes contenant les Contes drolatiques, des pastiches bien corsés et bien verts de la langue baroque de RABELAIS et BEROALDE DE VERVILLE, dans la veine des Fabliaux du moyen âge (curés pécheurs jamais repentis, adultères joyeux, …). Quant au théâtre et aux romans de jeunesse, s’il me reste un jour du temps, pourquoi pas ? 

 

La Comédie humaine, c’est déjà un morceau respectable en soi. Je n’ai pas vu le temps passer. Les Illusions perdues ? C’est passé comme un rêve. Rubempré, « plus léger qu’un bouchon [qui dansait] sur les flots », ballotté au gré des D’Arthez et des Lousteau. 

 

Ah, du côté des femmes, Rubempré qui erre de la Bargeton à la Coralie, puis de La Torpille à la Maufrigneuse et à la Sérizy (mais ça, c’est dans Splendeurs et misères des courtisanes) ! On suit. Et on erre en sa compagnie, de la province profonde d’où il essaie de s’arracher jusqu’à son terrible suicide obscur (réussi, celui-là) à la Conciergerie, et des rêveries poétiques en compagnie de David Séchard aux sombres machination en compagnie de Carlos Herrera (alias Vautrin). 

 

Les deux grands BALZAC qui apparaissent dans La Comédie humaine, c’est bien sûr Rubempré et Rastignac. Je ne m’attarderai pas sur le fameux « A nous deux maintenant ! », que ce dernier lance au Paris illuminé qu’il voit du haut du Père Lachaise, où il vient d’être obligé d’emprunter pour payer les fossoyeurs qui ont enterré le père Goriot. Les filles de celui-ci ont eu l’obligeance d’envoyer leurs voitures (vides mais armoriées) à l’enterrement. 

 

On pressent la suite de la carrière d’Eugène dans la dernière phrase du livre (je parle du Père Goriot) : « Et pour premier acte de défi qu’il portait à la Société, Rastignac alla dîner chez madame de Nucingen ». Nuncingen, c’est le banquier dont BALZAC prend soin de rendre l’accent alsacien dans la graphie. Et dont la femme sera la maîtresse de Rastignac. Mais c’est vrai, Rastignac est moins sympathique et pitoyable que Rubempré. Ce dernier a trop besoin d’être aimé. Et Rastignac est trop cynique. 

 

Pourquoi je dis « les deux grands BALZAC » ? Est-ce que ce n’est pas évident ? Rastignac et Rubempré sont des émanations de BALZAC. Mais autant (non, bien davantage) que De Marsay, Maxime de Trailles, voire le dévoué et lucide avoué Derville. D’autres. 

 

N’y a-t-il pas encore de lui dans le banquier Nucingen, le calculateur et spéculateur sans scrupule ? Dans Birotteau, l’entrepreneur patient et honnête qui se fait plumer quand il veut changer d’échelle ? Ce qui hallucine, c’est la capacité de BALZAC à doter tous ses personnages de quelque part de lui-même, selon les aspirations ou les calculs qu’il a besoin de mettre en action.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

A suivre.

mercredi, 18 juillet 2012

LE BAC : UN COURONNEMENT ?

Ainsi donc, le Baccalauréat a encore eu lieu cette année. Il n’y a pas de quoi s’étonner, quand on constate que le niveau des élèves de terminale ne cesse de se hausser à des hauteurs de plus en plus vertigineuses. Le Ministère de l’Education Nationale n’a-t-il pas en effet trouvé la force (en poussant comme un malade, il est vrai) de nicher, en les serrant bien dans d’innombrables cases pas trop larges, 85 % d’une « classe d’âge » (je raffole de la formule).

 

 

Bon, c’est vrai qu’à la sortie, il y a eu un peu de déchet, puisque la proportion de la « classe d’âge » à obtenir le sésame pour l’enseignement supérieur tombe à 77,5 %. Il n’empêche que le niveau de nos jeunes ne cesse de progresser, puisque cette proportion ne cesse de progresser. C’est logique, non ? Et il faut s’en réjouir. Allez, reprenons en chœur : « Alléluia ! Gloria ! ».

 

 

C’est sûr, le niveau des élèves bat d’une année sur l’autre son record précédent. Vous voulez une autre preuve ? Ben, regardez les mentions. En 1967, on comptait, en tout et pour tout, 0,7 % de mentions TB. Qu’est-ce qu’ils étaient mauvais, quand même ! Et les autorités n’avaient pas honte ! Regardez en 2012 : 7 % !!! Un taux dix fois supérieur. Enfoncés, les ancêtres ! LE NIVEAU MONTE, je vous dis. « Jusqu’où s’arrêtera-t-il ? », aurait demandé finement COLUCHE.

 

 

Et les mentions, en général, vous allez me demander, comment ont-elles évolué, entre 2002 et 2012 ? J’allais justement vous le dire : toutes confondues, elles sont passées de 33,1 % à 54,3 %. Un gain d’un tiers (à vue de nez et au doigt mouillé). Plus de la moitié des lycéens français obtiennent le bac avec mention. S’il y en a encore parmi vous qui doutent que LE NIVEAU MONTE, c’est à désespérer.

 

 

Voilà donc le refrain qu’entonne le « journal de référence » (alias « journal du soir », alias Le Monde), avec un gros titre de « une », qui dit bien haut tout le bien qu’il faut penser de la chose : « Objectif atteint : 85 % d’une génération au niveau du bac ». Chacun de nous est évidemment transporté d’aise et « ne se sent plus de joie » (c’est dans quelle fable, déjà ? allez, on se remue les méninges).

 

 

Notez cependant l’hypocrisie du Monde dans son titre : « au niveau du bac ». C’est vouloir à tout prix voir le verre à moitié plein. J’avais une grand-mère qui, à force de vouloir arriver à cent ans, confondait allègrement « 97 années accomplies » et « dans ma 98ème année ». En comptant comme ça, elle avait fini par arriver à quasiment 99. Les cent ans, c’était comme si c’était fait. On n’allait pas avoir la mesquinerie de mégoter là-dessus, quand même : elle était quasiment « au niveau 100 ». Mais oui, Mamie, je t’embrasse. Tu aurais mérité d’y arriver.

 

 

Les 85 % du journal, c’est la même chose : ça tient du coup de pouce. Donc du coup de bluff. Maintenant, trêve de plaisanterie, j'arrête de faire comme si. Naturellement (j'espère), tout le monde a compris que JE ME GAUSSE, que je parle en pouffant (essayez, tiens), que j'ironise : tout le monde, quand il est de bonne foi, sait que tout ça relève de la FARCE.

 

 

Pour une raison simple : la performance globale de l’école française, de moins en moins bien placée dans la « compétition internationale ». Le système éducatif français, pris dans son ensemble, tombe en ruine. Et je le sais : j'y suis entré quand les premières lézardes ont commencé à fendiller les murs.

 

 

Je veux bien sûr parler de la REFORMITE, cette maladie gouvernementale qui a consisté à inlassablement déstabiliser l'édifice et à vouloir mieux démolir tout en prétendant reconstruire. Ce résultat vaut mieux que toutes les eaux de rose et tous les rubans fleuris dont les ministres de l'Education (droite comme gauche) ont enrobé et emballé leur action quand ils étaient « aux affaires » (quand Louis XIV était "à ses affaires", il faut le savoir, il était assis sur sa chaise percée).

 

 

Ce n’est pas pour rien que 140.000 élèves par an, entre 2005 et 2007 sont sortis sans aucun diplôme du système éducatif. Ce n’est pas pour rien que le temps effectif de cours, sur une séance de cinquante minutes (la norme), diminue inexorablement (temps de mise au travail, bruit de fond permanent (basse continue ou ostinato, je ne sais pas)dû aux bavardages, élèves de plus en plus incontrôlables et imperméables, …).

 

 

Tiens, rien que pour rire un peu et only for fun, et si on faisait passer aux élèves d'aujourd'hui (supposons la formation et les programmes identiques) les épreuves d'il y a quarante ans ? Non ? Vous croyez que ce serait trop cruel ? Bon, tant pis pour mon idée fumeuse.

 

 

JEAN-PIERRE CHEVENEMENT avait une bonne intention (l’enfer en est pavé, paraît-il) en fixant, avec son idéal d’ « élitisme républicain », la barre à 80 % d’une classe d’âge au bac. Mais tout le monde a fort bien compris que, s’il y a, proportionnellement, dix fois plus de mentions Très Bien en 2012 qu’on 1967, ce n’est pas parce que le niveau a monté : c’est parce qu’on a descendu la barre, il n’y a pas à sortir de là.

 

 

Sinon, comment expliquer qu'entre l'activité des élèves constatée par les professeurs et les résultats au baccalauréat, s'est progressivement creusé un abîme insondable qui, au vu des "mentions" accordées, fait se tordre les boyaux aux observateurs les plus neutres, je veux dire ceux qui ne tordent pas la réalité pour qu'elle colle à leur doctrine ?  

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

A suivre.


 

jeudi, 23 février 2012

DE L'ELECTEUR SPONGIEUX (suite et fin)

LE FLÉAU DU DROIT DE VOTE, ÉPISODE 6

 

 

Proverbe tibétain : « En période électorale, l'anus du candidat se pare de ses plus beaux atours ».

 

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DES ELECTEURS SPONGIEUX 

 

Résumé : seul un effort massif dans l’éducation est à même de faire naître une véritable société démocratique et de rendre les individus imperméables à la propagande.

 

 

Au lieu de la noble aspiration de CONDORCET, qu’est-ce que nous voyons ? Du côté de l’instruction, nous ne voyons hélas pas grand-chose, parce qu’il n’en reste pas grand-chose. Sans nous appesantir sur le débaptême de l’ « instruction » en « éducation », sur lequel il y aurait pourtant à dire, contentons-nous d’observer un savant et constant démantèlement de l’institution chargée de transmettre aux jeunes tous les savoirs nécessaires. [Voix off : « mission accomplie ».]

 

 

Constatons l’opiniâtreté de certaines forces qui, sous couvert d’égalité, ont arasé, appauvri et uniformisé le niveau des matières contenues dans les crânes. Ecoutez, ça fait floc-floc. Pour détruire un système éducatif, commencez par le réformer à tout bout de champ. En gros, je vous conseille de conduire une réforme par an pendant cinquante ans : à la fin, vous êtes sûr que plus personne ne sait qui fait quoi, ni qui doit faire quoi. [Voix off : « mission accomplie »].

 

 

Reléguez les enseignements techniques au fond de la cour à côté des WC, puisque vous avez prévu la future division internationale du travail, que vous supputez les travaux sales en Chine, et que vous pensez attirer tous les emplois à « haute valeur ajoutée » – ah zut, ça délocalise à tout va ! Vite, clamez qu’il faut « réindustrialiser » ! Ah zut, on a déjà eu le temps de perdre les savoir-faire (aciéries, industrie textile, ...) ! Mondieu, mondieu, que de malchances successives ! [Voix off : « mission accomplie ».]

 

 

Mettez l’accent non plus sur les contenus et les disciplines d’enseignement, mais sur les méthodes pédagogiques de ces salauds d’enseignants crispés sur leurs privilèges exorbitants et engourdis dans leurs routines crasseuses et paresseuses. Simultanément, faites comprendre aux élèves qu’ils ont eux aussi, après tout, des droits, et qu’il serait bon qu’ils le fissent sentir aux enseignants trop imbus de leurs personnes. [Voix off : « mission accomplie ».]

 

 

Vous aurez partie gagnée quand le cours commencera par une longue invocation au silence des élèves et se poursuivra par une harangue destinée à convaincre les dits élèves que ce qui sera dit pourra ne pas leur être complètement inutile. Certains esprits mal tournés pourraient penser que c’est le chaos ? [Voix off : « mission accomplie ».]

 

 

[Mine de rien, sous le masque habile de l’avocat du diable, l’auteur de ces lignes, pourtant en général d’un naturel épais, rustique et grossier, parfois même vulgaire, synthétise fort subtilement trois des nombreux problèmes qui ont commencé à envahir les enceintes scolaires – enceintes dont on ne sait trop de quelle catastrophe future elles accouchent – et à ébranler les fondations d’un système éducatif « que le monde entier nous envie ». Note de l’éditeur.]

 

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CE QUI SORT DE L'ANUS DU CANDIDAT

(merda d'artista, piero manzoni, 1961)

 

Conclusion : avec un système éducatif dans un état toujours plus flageolant, branlicotant et vacillant depuis une quarantaine d’années, si même il n’est pas déjà à l’état de ruine prémonitoire ou imminente, comment croire encore au talent de la mentalité française collective ?

 

 

 

Avec la télévision comme outil perfectionné de propagande à formater les esprits et machine à réduire les têtes, comment croire à la qualité de jugement collectif d’une population soumise à ce bombardement ? En quel honneur spécial, le Français échapperait-il à l'état spongieux qui caractérise tous les électorats démocratiques ?

 

 

Comment le « corps électoral » serait-il, dans ces conditions, autre chose qu’un niais, un gobe-mouche béat ? Comment le « corps électoral » pourrait-il ne pas être frappé de la crédulité médusée de la grenouille happée par la couleuvre ? Comment le « corps électoral » pourrait-il échapper à cet état spongieux qui fait tout avaler ?  Sinon, SARKOZY aurait-il été élu ? Remarquez que, si ç’avait été SEGOLENE, je n’aurais eu que le nom propre à modifier.

 

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GOBE-MOUCHE BEAT SANS COLLIER

(EN BEATITUDE)

 

A ceux qui m’accuseraient de partialité, je réponds en citant l’avis porté par EMMANUEL TODD sur les classes politiques occidentales en général : même s’il n’est pas une autorité infaillible, son point de vue reste intéressant. Il considère que, globalement, les personnels politiques du monde occidental sont d’une MÉDIOCRITÉ affligeante. Je pose donc la question : si les hommes politiques sont médiocres, cela ne vient-il pas du fait que les populations sont elles-mêmes médiocres ?

 

 

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L’un des facteurs de cette médiocrité foncière des « élites » censées être à même de gouverner serait donc la médiocrité des gouvernés eux-mêmes. Un autre facteur pourrait être l’extrême verrouillage du système politique, avec ses aiguillages, ses tiroirs, ses cases déjà toutes étiquetées, avec son fonctionnement désormais institutionnalisé, ses rouages trop bien huilés, en « carrières » dûment répertoriées.

 

 

Pourtant, malgré l’état de délabrement de ce « corps électoral », selon la stricte légalité, ce sont les membres de cette population progressivement décervelée qu’on persiste à appeler, contre tout bon sens, des citoyens. Et ce sont eux, gavés d’images publicitaires vantant des produits politiques, qui vont accomplir leur « devoir électoral ».

 

 

Comment voulez-vous, dans ces conditions, que le meilleur soit élu (au cas où ce « meilleur » existerait, ce qui n’est nullement avéré, voyez le sort réservé à EVA JOLY, celle qui n’a visiblement pas été coulée dans le moule, et quelque discutable que soit la personne) ?

 

 

Ce sont eux qui, en 2007, ont élu NICOLAS SARKOZY, sur la foi d’images et de discours méticuleusement manufacturés, ciselés, chantournés, limés, rabotés dans des ateliers de communication publicitaire de haute performance. Le quinquennat leur a ouvert les yeux. Mais en 2012, même « déçus du sarkozysme », auront-ils compris comment ça marche ?

 

 

Soumis au pilonnage en règle des médias qui vont nous faire bouffer de la présidentielle jusqu’à l'écoeurement, jusqu'à l’occlusion intestinale, leur esprit, réfugié au fond de la tranchée, saura-t-il résister au bombardement, aux nouveaux discours, aux nouvelles images qui vantent à longueur d’ « informations » le FRANÇOIS HOLLANDE nouveau et le NICOLAS SARKOZY, jeune perdreau qui vient de naître, bref, les « nouvelles » marchandises « politiques » ?

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

 

 

vendredi, 16 décembre 2011

ALORS, DESSIN OU ARTS PLASTIQUES ?

Je vous préviens : surtout ne dites jamais à CHANTAL F. qu’elle enseigne le dessin. Elle va vous voler dans les plumes, vous vous en souviendrez, juré, craché. D’abord, comme petit boulot, quand elle était étudiante, elle bossait dans un abattoir, où elle était fracasseuse de crânes de cochons. Voilà, je vous ai prévenus, vous ne viendrez pas vous plaindre. Qu’on se le dise : elle enseigne les « Arts plastiques ».  Appellation d’origine contrôlée. C’est comme si on m’accusait d’enseigner les « Lettres ». Je n’ai jamais enseigné les « Lettres ». C’est vrai que ça me frustre.

 

 

Ce qui me frustre, aussi, c’est que je ne suis pas peintre. Croyez bien que je le regrette, mais c’est comme ça. Infoutu de manier les couleurs. C’est une infirmité. Peut-être de naissance. J’étais nul, que ce fût avec M. ROCHE, M. LAMBERT, M. POITEVIN ou M. MASSON (autrement dit, dans le désordre, de la sixième à la troisième, où les cours de dessin (ben oui, CHANTAL, on ne disait pas encore « arts plastiques ») étaient obligatoires).

 

 

C’était plus fort que moi, dès que je commençais à marier les gouaches

qui sortaient des tubes Lefranc & Bourgeois, j’obtenais invariablement (et désespérément) des teintes qui allaient, selon les jours, et pour être gentil, du caca « terre de sienne brûlée » à la merde « terre d’ombre naturelle ». Je n’ai pas insisté, et j’ai préféré laisser d’autres se salir les doigts dans ces matières-là.

 

 

Qu’est-ce que j’ai retenu de mes cours de dessin ? Eh bien, finalement, plus que je ne pensais. J’ai retenu un cours de M. LAMBERT, qui tâchait de m’apprendre à remplir au crayon une surface donnée. Il fallait m’efforcer de rendre invisibles les coups de mon crayon. Pour cela, je devais tenir l’instrument couché, pour que le trait suivant, de toute la hauteur de la mine, recouvrît en partie le trait précédent.

 

 

Pour faire comprendre ça, il nous avait raconté une petite histoire : un club de football pauvre, pour empêcher tout resquillage, avait eu l’idée de disposer autour du terrain, une palissade de planches se recouvrant les unes les autres partiellement. Voilà le trait de génie de M. LAMBERT : le club de football. Il n’y a pas meilleure pédagogie, la preuve, c’est que je m’en souviens encore. En plus, j’ai gardé une préférence pour le trait, au détriment de la surface. Purement véridique, évidemment.

 

 

M. POITEVIN, lui, a imaginé qu’il était en mesure de m’imposer (en pure perte, je précise tout de suite) une parfaite maîtrise du dégradé de couleurs. Ah, le dégradé de couleurs, comme c’est beau ! Pour arriver à ses fins, il accordait une confiance inébranlable et absolue au ROBOT. C’était un androïde bien carré aux angles, segmenté en une dizaine de parties de la « tête » aux « pieds », dont il fallait remplir les segments, du plus clair au plus foncé.

 

 

Inutile de dire que je rentrais tous les soirs avec un robot supplémentaire à remplir, vu l’état lamentable de mes travaux. Ce furent, pendant quelque temps, les punitions du soir de mon père, qui avait certes beaucoup plus que moi « la main ». Merci papa. M. POITEVIN se fatigua plus vite que lui. Moi, je n’en parle même pas.

 

 

M. MASSON fut le premier à espérer nous rendre sensibles à l’art. Je me souviens qu’il nous mit en présence d’un tableau du grand PIERO DELLA FRANCESCA, La Visite de la reine de Saba, en particulier du détail montrant un visage de face et un profil, qu’il s’agissait, si je me souviens bien, de reproduire plus ou moins fidèlement.

 

 

C’est aussi dans sa classe qu’il m’a fallu pour la première fois réaliser un dessin d’après nature, un volume quelconque, posé sur une sellette et éclairé par la lumière du jour, qui venait de côté. Mais je l’ai dit, je n’étais pas doué. Je n’ai jamais cherché à identifier à quelle essence M. MASSON se parfumait, ni à approfondir certaines rumeurs courant sur sa propension à corriger le travail d’un élève en laissant traîner la main sur son épaule. Je n’étais visiblement pas assez doué pour l’intéresser, Dieu merci.

 

 

Quant à M. ROCHE, dont la salle (n° 700, dans mon souvenir) était perchée au septième étage du Lycée Ampère, ce qui était déjà toute une aventure, je lui dois d’avoir brillé une fois, la  seule et unique fois où j’eus, non seulement, la moyenne, mais une note frisant le maximum. Il avait fallu reproduire, selon la méthode du quadrillage, le dessin d’une espèce de dindon égyptien ou aztèque, sur une plaque carrée de linoléum.

 

 

Si je dis que c’était toute une aventure, de monter en salle 700, c’est qu’on quittait l’itinéraire rebattu du grand escalier : il fallait emprunter un mystérieux couloir menant aux appartements privés du personnel, puis passer par une porte « secrète » percée dans un mur épais comme une forteresse, puis grimper encore trois ou quatre étages, pour arriver enfin à cette salle vraiment panoramique, la plus haute du lycée et des environs immédiats. Un vrai donjon. Toujours visible.

 

 

J’avais été parfait dans le maniement de la gouge, paraît-il. M. ROCHE m’avait fait l’insigne honneur et privilège de me désigner imprimeur. J’avais donc rejoint à la presse, à cette occasion, THIERRY D., l’abonné des meilleures notes en la matière, pour encrer et imprimer sur du Canson les travaux de tous nos camarades. Ce succès claironna  l’Austerlitz de mes aventures picturales. Mais en même temps, s’il en marqua le point culminant, c’en fut aussi le point final.

 

 

Je ne serai jamais un peintre. Ainsi va la vie. « Il faut subir ce qu’on ne peut empêcher » (je ne sais plus si c’est un proverbe bantou ou une citation de JORGE LUIS BORGÈS). Je tâcherai de me faire une raison. Je me dis malgré tout qu’il m’en est resté, des souvenirs, vous ne trouvez pas ? Disons que chaque prof semble s’être débrouillé pour m’en laisser au moins un. Et finalement d’une précision honnête.

 

 

Notez que je n’incrimine en aucune façon le corps enseignant. Je sais bien que les cours de musique et de dessin, euh non, « d’arts plastiques », pardon CHANTAL, sont souvent considérés par les morveux comme des récrés, et que ça ne facilite pas le travail, c’est le moins qu’on puisse dire. A quoi c’est dû, je me garderai d’avancer une quelconque hypothèse.

 

 

Je constate les dégâts, c’est tout. Dit pompeusement : l’état de la sensibilité esthétique d’une population dépend étroitement de la façon dont elle est transmise, n’est-il pas vrai ? Ah, la transmission, comme c’est beau ! Si ce n’est pas vrai, je veux bien qu’on me les coupe, les cheveux. Vu qu’il m’en reste trois, ça ne me fera même pas défaut l’hiver prochain.

 

 

Si le cours de dessin, plutôt que de préparer pour la fin de l’année une exposition des travaux des élèves, qui laisse en général ceux-ci  sceptiques et leurs parents compatissants, perplexes et déprimés, pouvait déjà, modestement, leur apprendre à regarder les œuvres, je dis que ce ne serait pas si mal. Qu’est-ce qu’un trait, une surface, une couleur, une lumière, une proportion, enfin bref, des éléments qui leur donneraient un regard analytique ? Quelques bases, quoi.

 

 

Car je constate que la sensibilité esthétique des Français est, en moyenne, aujourd’hui, en dessous de la ligne de flottaison. Qui est-ce qui sait regarder ? Je sais bien que le professeur est supposé « donner le goût » à ses élèves, mais pour cela, il faut, soit être un excellent acteur, soit avoir une existence personnelle très riche et être très généreux. Car le « goût » dont je parle, il doit « émaner » de la personne qui est censé le « donner ». J'espère que ce n'est pas une matière de savoir à inculquer. Le ministre est-il en droit de l’exiger ?

 

 

Tout ça n’empêche pas les gens de regarder des tableaux et d’avoir un  avis bien arrêté. Ce n’est pas pour rien qu’on dépose des livres d’or aux sorties des expositions, pour que les gens puissent se soulager, s’agissant d’art contemporain, avec des remarques du genre : « Mon chien en ferait autant ». Sans vouloir dénigrer la gent canine, car j’aime beaucoup les chiens, comme je l’ai déjà dit ici, je me permets d’affirmer qu’une telle profération me semble soit présomptueuse, soit injurieuse, peut-être les deux.

 

 

Et tout ça n’empêche pas les gens de rester stupides comme des blocs de matière brute devant Allégorie sacrée de GIOVANNI BELLINI ou La Vierge, l’enfant Jésus et Sainte Anne, de LEONARD. Même sans aller

de cet extrême au précédent, et sans vouloir radoter, qui est-ce qui sait regarder, de nos jours ? Je dis bien "regarder" et non laisser les yeux réciter ce qu’ils ont appris.  

 

 

Comme le dit un bien connu proverbe bantou : « Le touriste ne voit que ce qu’il sait ». Ils ont bien raison, les Bantous.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

 

 

 

lundi, 28 novembre 2011

HANNAH ARENDT ET MONSIEUR BERNARD

Hannah Arendt est une philosophe magnifique. Et magnifique à tout point de vue. Regardez donc la photo que Gallimard a choisie pour orner le dos de son volume « Quarto »  : je craque, j'attends qu'on me la présente. Elle est belle. Une jeune femme superbe, au regard ardent, au visage ovale de madone.

 

On comprend que Martin Heidegger ait succombé, même si c'est Günther Anders qui l'eut le premier, comme premier mari de la dame, lui-même un gusse de première, avec L’Obsolescence de l’homme, que je recommande chaudement.

 

J’ai lu, il y a quelques années, Les Origines du totalitarisme, le gros  maître-livre de Hannah Arendt, le livre d’une vie, même si l’ouvrage est loin d’épuiser l’œuvre de la philosophe. Sa lecture constitue néanmoins une grande aventure, dont mes modestes moyens sont bien loin de pouvoir prétendre dénouer tous les fils.

 

Je dois dire ici que la lecture des Origines du totalitarisme restera pour moi un moment de basculement. Ce livre, avec quelques autres de la même que j’ai lus, sinon assimilés, a modifié en profondeur ma façon d’être au monde. Peu de livres peuvent se vanter de cet exploit. L’une des premières raisons, c’est probablement l’énormité de la matière brassée et l’impression de maîtrise qui s’en dégage.

 

Mine de rien et à part ça, je suis épastrouillé du nombre et de la diversité des gens qui se réfèrent à ses travaux, fût-ce pour en critiquer tel aspect. En particulier, les critiques se concentrent sur Eichmann à Jérusalem, que j’avais lu dans la foulée. Il est vrai qu’elle a assisté au procès en tant que journaliste envoyée par le New Yorker, mais qu’elle en est partie avant la fin. Sa thèse sur la « banalité du Mal » est connue, souvent mal comprise.

 

Mais ce qui lui est surtout reproché, c’est d’avoir minimisé le rôle d’Eichmann dans l’exécution de la « solution finale », en en faisant un exécutant de bas étage, ce qu’elle aurait évité en assistant à la fin du procès, où la véritable personnalité de l’accusé est alors, semble-t-il, apparue en pleine lumière.

 

Pour ne rien arranger, Hannah Arendt ne porte visiblement pas dans son cœur le président du tribunal, qu’elle trouve, si je me souviens bien, d’une partialité assez marquée. On comprend que ça la chiffonne, malgré tout, d’assister au procès du bourreau par les coreligionnaires de ses victimes : il y a quelque chose de bizarre dans le tableau. Sans parler de l’enlèvement du bourreau (en Argentine, je crois).

 

La « banalité du Mal », en gros, c’est quand un individu, parce qu’il est pris dans une organisation sociale où il est intégré en se réduisant à un  simple rouage mécanique, en vient à infliger le Mal à d’autres individus au nom du bon fonctionnement de la dite organisation. Un Mal infligé de façon administrative et neutre, en quelque sorte. Je parlerai quelque jour prochain de La Crise de la culture, le livre sans doute le plus diffusé de Hannah Arendt.

 

Aujourd’hui, c’est plutôt de Condition de l’homme moderne que je voudrais parler, un livre fort et dense. Heureusement, il faut attendre la page 280 pour tomber sur une énorme bourde grammaticale, l’impardonnable faute de conjugaison qui déconsidère son auteur : « le moins remarqué certainement fut l’addition d’un certain instrument à l’outillage déjà considérable de l’homme, bien qu’il s’agissât du premier appareil purement scientifique qui eût jamais été inventé ». Même mon correcteur grammatical, qui ne remarque pas grand-chose, l’a souligné en rouge.

 

Le coupable s’appelle Georges Fradier, le traducteur. Faisons-lui : « Hououou, les cornes ! », qu’il paie sa tournée, et passons à autre chose. Le titre lui-même pourrait poser un petit problème : comment passe-t-on de The Human condition à Condition de l’homme moderne ? Je n’ai pas l’explication.

 

Ne cherchons pas à le nier : ce livre m’a demandé quelque effort de contention mentale. Je le conseillerais moins à un ami qui voudrais découvrir Hannah Arendt, que La Crise de la culture, de hautes volée et portée, sans doute, mais beaucoup plus accessible.

 

Attention, déviation. Mesdames et messieurs, nous allons digresser.

 

En général, je n’aime guère me plonger dans les livres de « philosophie philosophique ». Soit dit aussi en général, je n’ai pas grand-chose à faire avec les constructeurs de systèmes (philosophiques, politiques, et tout ça). C’est ce qui m’a vite éloigné d’un auteur comme René Girard, dont je dois bien avouer que La Violence et le sacré m’avait passionné.

 

Pour tout dire, les constructeurs de systèmes sont de deux sortes : soit ce sont des utopistes, et dans ce cas, rien n’empêche de les laisser rêver, quitte à ce que leurs projets fassent semblant de se réaliser (Phalanstère, communauté de la Cecilia, etc.) avant de se casser la gueule sans faire trop de bruit. C’est le cas des « écoles parallèles » suscitées par 1968, dans la foulée de Summerhill et A. S. Neill.

 

Soit ils sont dangereux, comme Lénine, ses sbires et ses suiveurs sinistres, qui ont fait croire qu’ils construisaient la société communiste, alors que ce qui s’est effondré en 1989-1991 n’est rien d’autre qu’un système où régnait un Capitalisme d’Etat (totalitaire, au surplus), simple rival du Capitalisme Libéral (dont je ne suis pas sûr qu’il ne soit pas lui-même totalitaire, à sa manière). Alors là, il faut évidemment les combattre.

 

Pierre Bourdieu est un autre de ces systémistes que je redoute et fuis autant que je peux. Pour vous dire, mon premier contact avec la philosophie, je veux dire en dehors de toute école, ce furent Friedrich Nietzsche, Henri Bergson et Gaston Bachelard. Je mets Platon à part, dont les dialogues ressemblent plutôt à des conversations familières qu'à des manuels de philosophie. Rien de moins scolaire. Rien de plus courtois.

 

J'ai fait, comme tout le monde un tout petit détour du côté d’Alain. Propos sur le bonheur, c'est le livre de la philosophie du gros bon sens ("il faut attendre que le sucre fonde", "cherchez l'épingle", etc.), le livre d'un philosophe qui sent encore la glèbe et le cul des vaches, un livre pour adolescents. Globalement, c'est quand même un détour qui vaut le détour. J’avais seize ou dix-sept ans. Tous ces livres ouverts au hasard, je ne savais pas que c'était ça, la philosophie. C’était avant la classe de philo, les manuels, l'ennui.

 

La Généalogie de la morale, La Naissance de la tragédie, Les Deux sources de la morale et de la religion, Essai sur les données immédiates de la conscience, La Terre et les rêveries du repos, La Terre et les rêveries de la volonté, L’Eau et les rêves, L’Air et les songes. Il est là, mon premier manuel de philosophie, d’avant la classe de philo. Je lisais ça à la façon dont j’ai lu plus tard la poésie. Avec le même sentiment de m’élever et d'explorer.

 

Avec la classe de philo, ce ne fut plus jamais pareil, mais « ce-qu’il-faut-savoir-pour-réussir-l’examen ». Emmanuel Kant m’a fait mal au pied quand Critique de la raison pure m’est tombé des mains à la moitié de la page douze. S’il m’a fallu côtoyer René Descartes, nous nous croisons depuis ce temps, le matin, à la boulangerie, courtoisement, sans toutefois nous serrer la main.

 

J’ai suivi quelques conférences de Jacques Bouveresse exposant les détails de la grande controverse entre Leibniz et Spinoza. Voyez un peu ce qu’il m’en reste : nib de nib. Dans le fond, j’ai gardé précieusement mes affections et fantaisies dénuées d’école. Nietzsche et Bergson me semblent toujours éminemment courtois, parce que lisibles.

 

Car la classe de philo, pour moi, ce ne furent pas les grands philosophes, à l'exception des noms que j'ai cités, plus quelques autres. Ce furent Monsieur Bernard, Monsieur Stora, Monsieur Girerd. Trois professeurs pour le prix d’un. En une seule année. Le premier, on l’a gardé six ou huit semaines, et puis il est mort. C’est dommage, parce que les débuts étaient prometteurs. Je m’en souviens comme si c’était hier. Nous n'étions pour rien dans ce décès, je le jure.

 

Premier cours avec Monsieur Bernard, vous voulez que je vous fasse le dessin ? Il entre dans la salle, il chope une chaise à la volée, il la place au fond de la travée centrale, il s’assied, il commence à parler. Déjà ça, c’est du brutal. Mais quand on sait que son premier cours, c’est Le Cimetière marin de Paul Valéry, ça refroidit le plus audacieux. On dira « élitiste », bien sûr. J’étais émerveillé, tétanisé sur mon siège et ne comprenant que pouic.

 

Souvenir extraordinaire d’un choc, même si je reconnais que la poésie de Paul Valéry me semble aujourd’hui avoir quelque chose de fané, de desséché. Quelque chose du stérile des mécaniques horlogères de haute précision, je ne sais comment dire. Quoi qu’il en soit, ceci reste bien beau :

 

« Ce toit tranquille où marchent les colombes,

Entre les pins palpite, entre les tombes ;

Midi le juste y compose de feux

La mer, la mer, toujours recommencée !

Ô récompense après une pensée

Qu’un long regard sur le calme des dieux ! »
 

Je suis allé à son enterrement, qui a dû avoir lieu en décembre. Il fumait (pas ce jour-là, qu'est-ce que vous allez me faire dire !) comme trois pompiers (les professeurs fumaient pendant leurs cours ! ah ! la pipe de tabac gris de Monsieur Zilliox !), et ne dédaignait pas « l’annexe », pendant les récréations, avec un agréable Côtes-du-Rhône, en compagnie de Delmas et Wulschleger. Ce fut donc un cours plutôt bref.

 

Je revois encore, dans la cour n°1 (des « grands ») du lycée Ampère, ce grand monsieur Bernard, finir sa cigarette avant d’entrer en cours. Son collègue Chopelin lui parlait fiévreusement, l’asticotait, vibrionnait et semblait monter à l’assaut de la haute stature qui restait de marbre, mais toujours courtois. C'est ça qui compte, non ?

 

A suivre, pour la suite et la fin de la digression, promis.

vendredi, 04 novembre 2011

ENFANCE : A PROPOS D'UNE IMPOSTURE

DE LA BEAUTE D'UN SLOGAN : « JE VEUX APPRENDRE »

 

 

Il existe non loin de chez moi un lieu paradisiaque réservé aux enfants. Il porte le doux nom de « Maison de l’enfance », et le monde entier nous l’envie. Enfin, « paradisiaque », je n’en sais rien. C’est en tout cas l’impression laissée par la décoration extérieure.

 

 

On en acquiert aussitôt le sentiment infaillible que les autorités compétentes ont pris le « problème » de l’enfance tout à la fois aux cheveux, à gauche, à cœur, au mot, au sérieux et à bras le corps (n'en jetez plus !). C’est clair : on ne se fout de la gueule d’absolument personne. Je n'en sais rien, mais il y a fort à parier qu’un tel bâtiment a été inauguré par notre « grand-maire » lui-même, GERARD COLLOMB.  

 

 

L’artiste qui a été rémunéré pour donner au message envoyé par notre « grand-maire » GERARD COLLOMB à la planète et à la ville (traduire Urbi et Orbi) toute l’ampleur esthétique que requiert l’importance du problème, l’artiste, disons-le sans ambages, s’est surpassé.

 

 

Sur les deux pans de murs qui font l’angle des rues Chariot-d’Or et Dumont-d’Urville, il a disposé, en très grand, ce qui ressemble à un dessin d’enfant, avec, sur plusieurs lignes orientées en biais, sans doute pour simuler la touchante maladresse de la main enfantine, une écriture d’enfant à la gloire du bonheur d’apprendre.

 

 

Le couronnement de cette authentique « œuvre d’art » consiste en le visage d’un petit garçon et d’une petite fille pointant leur regard et leur visage rayonnant vers un avenir radieux, autrement dit en haut à droite. Sur une sorte de phylactère semblant sortir de leur bouche, probablement inspiré d’une miniature médiévale, on lit cette phrase où se résume la philosophie de notre « grand-maire » GERARD COLLOMB et de notre époque tout entière : « JE VEUX APPRENDRE ».

 

 

Cette simple phrase, ça n’a l’air de rien, c’est plat, une simple petite phrase simple, affirmative, sujet, verbe, C. O. D., même un enfant est en mesure de la comprendre. « JE VEUX APPRENDRE ». C’est dans ce genre d’occasion qu’on découvre le démesuré des grands sentiments que les adultes éprouvent pour les enfants. Enfin, pas exactement : que les adultes éprouvent à la place des enfants. Ce n’est même pas exactement ça : que les adultes veulent à tout prix que les enfants éprouvent. Enfin : « voudraient » serait plus exact que « veulent ».

 

 

On a vraiment l’impression au premier rabord que l’enfant est de lui-même porté vers et par la volonté d’apprendre. En réalité, il n’en est rien, car la phrase ne veut pas dire ce qu’elle semble dire. L’enfant n’a jamais VOULU apprendre. Simplement, il a consenti à faire ce qu’on lui disait de faire. Et si ça lui a plu, il a continué, il y a même peut-être pris goût.

 

 

Cette phrase signifie exactement ceci : « Enfant, toi qui entres dans cette Maison de l’Enfance que la collectivité a édifiée à ton seul bénéfice, et que notre « grand-maire » GERARD COLLOMB a inauguré sans dissimuler l’immense amour qu’il a mis dans l’entreprise, tu es invité, ou plutôt, tu es SOMMÉ d’obtempérer à l’ordre qui t’est donné par cette petite phrase anodine. Parce que toi, à proprement parler, tu ne veux rien, rien que barbouiller (pardon : dessiner), jouer et courir, si possible en criant ».

 

 

« JE VEUX APPRENDRE », ça illustre bien l’hypocrisie, et je dirai la perversité de l’adulte qui prend ses désirs pour des réalités et voudrait à toute force que ça se traduise dans la réalité. La France dispose d’ailleurs, en la personne de NICOLAS SARKOZY, d’une sorte de modèle du genre : « (je veux) travailler plus pour gagner plus », on a vu ce que ça voulait dire une fois traduit en français profond. « Je veux apprendre », il faut donc le traduire : « tu dois apprendre ».

 

 

Et pour éviter de faire apparaître le principe d’autorité que cache la petite phrase anodine, notre « grand-maire » et ses complices ont fait semblant d’être des enfants. Ils disent : « Tu ne voudrais tout de même pas décevoir toute l’attente et tout l’espoir que nous affirmons fort et clair à nos électeurs vouloir mettre dans notre volonté enthousiaste de construire l’avenir, conformément à nos cent dix promesses électorales. N’est-ce pas, que tu vas faire des efforts pour m’éviter d’avoir menti ? ». La manœuvre est claire : imposer en culpabilisant, en faisant intérioriser  l’ordre qui lui est finalement donné de l’extérieur. Je serais désolé de n’avoir pas été assez clair.  

 

 

C’est de plus en plus évident : le principe d’autorité aujourd’hui est devenu inavouable comme un vice abominable. C’est l’entreprise qui a montré le chemin. On ne parle plus, et depuis longtemps, d’ « employés », mais de « collaborateurs ». Il n’y a plus de « chef du personnel », mais un « directeur des ressources humaines ».

 

 

Moyennant quoi les travailleurs ne vont plus travailler, mais œuvrer à la réussite du groupe. Il ne s’agit plus de remplir une tâche contre  rémunération, mais de contribuer personnellement au développement de l’entreprise. Ce n’est plus seulement le corps qui doit fournir les efforts dus à celui qui paie, c’est l’âme tout entière qui est impérieusement invitée à se confondre avec la tâche rémunérée.

 

 

Chacun sera désormais personnellement impliqué dans le process, et aura à cœur de porter les valeurs propres à l’entreprise. Chacun désirera intimement que l’entreprise se développe à l’export, convaincu au plus profond de lui qu’une dynamique forte permettra de dépasser les objectifs fixés par le dircom.

 

 

Il faut intérioriser ce monde, ce langage, ces notions. Sinon, nous sommes désolés, cher collaborateur, votre implication au sein de l’équipe a été jugée insuffisante par le management, qui se voit au regret de devoir se passer de votre précieuse collaboration et se séparer de votre personne. Croyez bien que nous le déplorons. Autrement dit, le principe d’autorité n’a pas disparu. C’est même le contraire : il est d’autant plus puissant que dissimulé.  

 

 

Au collège, au lycée, c’est la même chose. Le cours magistral ? Une vieillerie. L’autorité du maître ? Un fascisme insupportable. Des devoirs notés de 0 à 20 ? Un abus de pouvoir, et qui plus est dévalorisant. Le maître lui-même ? Au mieux, un animateur, au pire un empêcheur. Faisons donc disparaître le principe d’autorité. Les élèves auront donc désormais les mêmes droits que le maître. Moyennant quoi celui-ci devra, au début de CHAQUE cours, quémander à ceux-là le droit de leur enseigner ce qu’il sait.

 

 

L’autorité a-t-elle pour autant disparu ? Que nenni, messires, que nenni ! Le principe d’autorité aura peut-être déserté l’institution scolaire, et ce beau résultat est en passe d’être atteint. Il s’est simplement réfugié ailleurs. Où cela ? Pas loin : il attend avec sa matraque, juste derrière la porte de sortie de l’école. Il s’est déguisé et a pris d’autres noms : recherche de travail, entretien d’embauche, chômage, etc. Le principe d’autorité, il s’est simplement réfugié dans ce qu’il faut bien appeler la réalité des rapports sociaux.

 

 

Et l’enfant qui entrera dans le monde du travail, ayant été ainsi trahi par l’école même qui était censée lui donner les armes, eh bien si j’étais à sa place, j’aurais vraiment envie, là, de devenir violent.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.