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dimanche, 04 février 2018

VOIE DE GARAGE, OU GARE DE TRIAGE ?

Cela va de soi : faire un tri entre les humains, c'est très vilain. L'homme du vingt et unième siècle a trop à l'esprit l'arrivée de certains trains au terminus d'une voie située autour de la ville polonaise d'Oswiecim, plus connue sous son nom allemand, et l'envoi de certains bétails humains, en guise de descente du train, les uns vers l'esclavage du travail forcé non rémunéré, les autres directement vers des douches douteuses alimentées au Zyklon B. Cela se passait il y a un gros demi-siècle.

Il va sans dire que la notion de tri a d'autres bien fâcheuses connotations : on trie les animaux, en fonction de leur aspect, de leur conformation à un standard, de leur potentiel génétique, etc. On trie aussi, depuis déjà quelque temps, les déchets, paraît-il, bien que, nous assure-t-on, la France reste très en retard sur ses voisins européens, s'agissant de la récupération des plastiques.

On se met donc à la place des jeunes, qui renâclent à se laisser sélectionner à l'entrée dans l'enseignement supérieur : on n'est pas des bestiaux. Et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'ils ne sont pas habitués. C'en est au point que le mot "sélection" est désormais interdit de vocabulaire officiel, et même que l'on traque la substance du vocable sous les déguisements lexicaux les plus divers. 

Cette phobie, qui s'ajoute à bien d'autres, s'explique aisément, mais n'en reste pas moins paradoxale. Le féroce égalitarisme soviétique que des idéologues bien placés dans les structures hiérarchiques du ministère de l'Education nationale ont instauré à tous les niveaux de la scolarité jusqu'au baccalauréat a habitué les enfants et adolescents à passer dans la classe supérieure quoi qu'il arrive, jusqu'à la terminale. Les autorités voulaient en finir une fois pour toutes avec les inégalités : louable intention. Résultat des courses : le système éducatif français est, nous dit-on, un des plus inégalitaires qui soit. Un des plus inefficaces aussi. Allez comprendre !

Les ministres successifs ont multiplié les "réformes" et les "trouvailles innovantes" : fin du cours magistral, du classement de fin d'année et de la distribution des prix (surtout ne pas récompenser les meilleurs, dont je n'ai jamais été, mais que j'ai enviés, et alors ?), instauration du collège unique (surtout ne plus rejeter les moins bons dans les filières techniques), abolition du redoublement, multiplication des activités connexes à l'école primaire (invasion de la classe par toutes sortes d'intervenants en musique, langue, sport, etc.), abolition des filières, classes "indifférenciées" du crack au débile léger, dévalorisation de tout l'enseignement technique, instauration des "notations formatives" pour ne plus "stigmatiser" les derniers de la classe, consignes impératives de "générosité" aux correcteurs des épreuves du bac, 80% d'une classe d'âge au bac, etc.

Il est donc normal que les élèves réagissent mal à l'idée de se voir brutalement opposer une fin de non-recevoir à leur désir d'entrer à l'université dans la filière de leur choix : le nouveau bachelier ne veut pas entendre parler de sélection et veut pouvoir entrer dans la formation de son choix, quels qu'en soient les débouchés sur le "marché du travail", et quelles que soient les capacités d'accueil des établissements : l'université n'a qu'à faire ce qu'il faut pour recevoir tous ceux qui le veulent, na ! Et le gouvernement n'a pas intérêt à sucrer nos APL, sinon il va voir !

Tout cela pour dire quoi ? Simple : qu'à toutes les étapes du parcours scolaire (formation initiale), règne un souverain négationnisme de la sélection, et que cela prépare magnifiquement les enfants, puis les jeunes à être accueillis à bras ouverts dans une société qui a aboli depuis longtemps l'idée de sélection. On le constate tous les jours, les patrons d'entreprises souriants et les DRH aimables répètent à tous les vents : « Laissez venir à moi les petits enfants ».

C'est bien connu, la société est accueillante, et le marché du travail est d'une magnanimité sans égale, se moquant éperdument de la qualité de la formation reçue par les candidats à l'emploi. C'est bien connu : quand il y a 200 postulants pour un seul poste offert, le premier qui oserait parler de "sélection" se fait bannir pour obscénité. C'est bien connu : quand un employé rouspète, mécontent de la façon dont on le fait travailler, le DRH ne l'invite jamais à prendre ses cliques et ses claques en lui laissant entendre que 200 remplaçants attendent impatiemment à la porte pour prendre sa place.

C'est bien connu : la société dans son ensemble ignore superbement toute idée de sélection. Et c'est si vrai qu'on a vu proliférer les émissions télévisées fondées sur la compétition. Qu'on parle de chanson, de cuisine, de sport et même de finance, c'est compétition à tous les étages, et dans le consentement général ! Allez comprendre ! On nous a toujours bercés et maternés, et voilà que tout d'un coup, on entend de furieux cris : « Honneur et gloire au vainqueur, malheur et honte au vaincu », nous dit tout le monde moderne ! Le monde moderne veut des agressifs, des gens qui aient la gnaque et n'hésitent pas à marcher sur les pieds des copains, des molosses prêts à se jeter sur les proies qui passent à portée de croc. Le monde moderne serine à l'oreille de chacun : c'est toi le meilleur ! Qu'attend-tu pour y aller ? Pour te jeter dans la bagarre ? Qui ne tente rien n'a rien. 

Dans cette société si égalitaire, on ne compte plus les sportifs avides de se trouver face à des "challenges" à la hauteur de leurs ambitions, qui ne rêvent que de "relever des défis", de "se dépasser", d'être "motivés à 200%". Et ce n'est qu'un exemple parmi cent autres. Curieux contraste, en vérité. 

Je crois qu'il est là, le cancer qui ronge le système éducatif français : l'angélisme perpétuel d'une idéologie de la bienveillance (n'est-ce pas, Yves Michaud ?), dont tout le déroulement postérieur de la vie sociale constitue un démenti formel et de touts les instants. Toute sa vie, le gamin va entendre retentir l'injonction d'avoir à donner le meilleur de lui-même. Le problème, c'est qu'on ne le lui aura jamais dit. L'affrontement pacifique avec les autres, cela s'appelle l'émulation. Mais l'égalitarisme soviétique a rayé l'émulation des moyens offerts aux individus pour progresser. Sauf dans la vraie vie, où la compétition, l'autre nom de l'émulation à l'état aigu, règne en maîtresse.

Je ne dis pas qu'il faut transformer la salle de classe en "arène sanglante", je dis juste que le rôle de l'école est de fournir les outils – et les armes, pourquoi pas ? – pour préparer chacun à entrer un jour dans la compétition, puisque compétition il y a. Et donc qu'il est d'une grande irresponsabilité de nier la dimension sélective d'un système éducatif, quel qu'il soit.

Quand on voit à tous les étages de la société la promotion fanatique de la seule idée de compétition, il est criminel de prêcher solennellement, tout au long de la scolarité, que 

« les hommes naissent libres et égaux en droit ».

Voilà ce que je dis, moi.

dimanche, 17 avril 2016

A PROPOS DE BIENVEILLANCE

C'est rigolo, la façon dont les choses se passent parfois.

MICHAUD YVES.jpg

Je viens de lire et commenter le livre d'Yves Michaud, Contre la Bienveillance (Stock, 2016, voir mes billets du 9 au 12 avril), et voilà-t-il pas que je vois, trônant en bonne place dans une page du Monde daté 17-18 avril, une publicité pour une "banque d'un genre nouveau", dont la raison sociale s'assortit du délicieux slogan (et sûrement sincère, n'en doutons pas un instant : enfin une banque à intention "altermondialiste" authentique) "Une autre banque est possible". Allez, mettons ça sur le compte de l'air du temps et n'en parlons plus.

CREDIT COOPE.jpg

En opérant l'agrandissement du mot, j'ai effacé les deux autres coups de bluff (les petites impostures inhérentes à la nature même de toute publicité) : "coopération" et "engagement".

Une preuve quand même qu'Yves Michaud, en critiquant la société du "Care" que certains tentent de promouvoir, a mis le doigt sur un des points les plus antipathiques de l'époque, qui s'efforce de vous attirer dans un maternage hypocrite, pour mieux masquer sa ferme intention de faire en sorte que rien ne bouge dans l'organisation sociale, les hiérarchies et la façon de gouverner. Mon banquier, je ne lui demande pas d'être bienveillant : j'attends qu'il soit honnête, et à tous égards. Pas plus que je ne demande à l'Etat et à l'organisation sociale d'être bienveillants : j'attends qu'ils soient guidés par un esprit de justice.

A noter le souvenir à peine démarqué du slogan de campagne, désormais célébrissime, du candidat Barack Obama : "Yes, we can !" ("avec vous" - qui n'est pas la même chose que "ensemble", autre imposture, en plus subtil - n'étant là que pour interpeller l'éventuel poisson et le motiver à mordre à l'hameçon). A noter aussi l'autre slogan, celui qui irrigue la dite époque et dont on bourre le crâne des populations pour qu'elles obtempèrent à la sommation : "Change is good" (haut de l'image). Sous-entendu : "Changez, ou gare à vous !!!".

A noter enfin le "style BD" de cette publicité, y compris, en arrière-plan, pour faire décontracté, le plan de travail du dessinateur de BD  en personne (il s'appelle Artus), avec ses petits pots, son encre, ses tréteaux, etc. N'est-ce pas que vous avez vraiment l'impression que cette banque vous a compris et s'est mise à votre portée pour combler vos attentes ? Une banque philanthropique, pour sûr !

ON VIT UNE EPOQUE F.jpg

Comme le disait le regretté Jean-Marc Reiser : On vit une époque formidable !

Voilà ce que je dis, moi.

mardi, 12 avril 2016

YVES MICHAUD ET LA BIENVEILLANCE 4

MICHAUD YVES.jpgRésumé des épisodes précédents : la France est malade. Et même la démocratie, c’est vous dire. Yves Michaud pose sur le mal un diagnostic intellectuel, et accessoirement moral. C’est plus grave qu’on pensait : la démocratie à l’américaine prend une bien vilaine tournure. 

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Yves Michaud intitule avec force le quatrième et dernier chapitre de Contre la Bienveillance « Contre la vision morale du monde, contre la bienveillance en politique ». Il débute par un résumé de tout ce qui précède : « Toutes les idées qu’il a fallu remettre en cause dans les chapitres précédents tiennent d’abord à une volonté d’aveuglement face à la réalité, en se berçant d’illusions : qu’il peut y avoir un islam modéré, tolérant et démocratique, que le populisme est un spectre à exorciser sans plus d’explications, qu’une politique conforme à la morale doit guider l’action internationale » (p.127). Je retiens qu’il ne voit qu’illusion dans la notion d’ « islam modéré » que certains malfaiteurs essaient de nous vendre. Il a raison.

Il ajoute aussitôt : « … : on veut croire en un monde où toutes les idées sont respectables, où toutes les différences enrichissent, où les conflits ne sont jamais irréductibles, où les bonnes volontés finissent toujours par s’entendre » (ibid.). Le meilleur des mondes possibles, vraiment ? Si la doxa était un chien, ça s’appellerait caresser à rebrousse-poil : la doxa n’aimerait pas. C’est dire le nombre des gens bien intentionnés qui l’attendent au tournant pour lui caresser les mollets avec leurs crocs. A rebrousse-poil, évidemment. 

L’auteur dénonce le moralisme et le sentimentalisme qui envahissent les médias et les réseaux sociaux, tantôt pour s’apitoyer avec compassion sur les gens au sort misérables, tantôt pour manifester une adoration des idoles qui, parfois, se donnent même le luxe de prendre la défense des mêmes opprimés : au fait, quelle vedette s’est fait grassement payer pour parrainer le Téléthon ? Apparemment, les gens n’en ont pas encore marre de se faire racketter. Un racket présenté sous le masque de la "solidarité". 

« Cette vue compassionnelle du monde et des êtres n’empêche nullement un égoïsme tout aussi bienveillant ». Vous avez dit contradiction ? Michaud est ici un peu injuste : il ne dit pas un mot de l’effarante et infernale mode du bénévolat suscitée par la compassion et le sentiment, et qui a envahi l’espace public et ne manque pas de se manifester à la moindre occasion caritative qui se présente. 

Il fait un petit détour par Hegel pour constater qu’il dit de « la vision morale du monde » qu’elle est pleine d’ambiguïtés : « Ce que Hegel décrit comme conscience morale plaintive, nous le voyons effectivement se réaliser aujourd’hui comme pleurnicherie … » (p.131). « L’homme de notre temps ne pleure pas, il pleurniche. » Cette conscience morale se laisse emporter par ses émotions (« ces très curieuses manifestations qu’on appelle des "marches blanches" »). 

Là, on sent que l’auteur pense de nouveau à BHL (« … partons libérer les Libyens de leur tyran ! ») : finalement, l’effet du rôle joué par le clown s’avère beaucoup plus pernicieux qu’on l’imaginait. Car c’est un mal apparemment contagieux qui est ici pointé, puisqu’il semble avoir gagné la planète (au moins l’occidentale) et les plus hautes sphères, où le responsable se doit de se montrer en empathie avec les victimes, et exhiber toute la compassion qu’il éprouve au fond de son cœur meurtri. 

Yves Michaud évoque ensuite la façon dont a été conceptualisée l’éthique de la bienveillance, qui se trouve être d’origine anglo-américaine. Je me suis demandé s’il n’était pas un tantinet sexiste : il ne cesse de parler, en effet, des « théoriciennes du soin » (le "care"). A l’appui, il cite Carol Gilligan, Nel Noddings, Sara Ruddick, Fabienne Brugère, Joan Tronto, … L’éthique du « care » est-elle une invention féminine ? Merci les femmes ! Déjà qu’on doit les « gender studies » (« études de "genre" ») à Judith Butler. La question se pose. Je me garderai d’y répondre. Par prudence. 

Si j’ai bien compris, l’éthique du soin et de la bienveillance cherche à éliminer le Mal de la surface de la Terre : « … il faudrait que le monde fût sans drame, sans mort, sans destruction … » (p.141). Ou plutôt, on fait comme s'il n'y en avait pas : du rousseauisme devenu fou, car Rousseau, s'il disait : « L'homme est né bon », ajoutait aussitôt : « La société l'a perverti ». On ne sait vraiment plus quoi faire avec le Mal, on n'arrive pas à se dire : "il faut faire avec". Or pour faire avec, il faut le regarder en face, et puis trouver les moyens d'organiser les hommes pour canaliser. En même temps que, par cette vision irénique et idyllique des choses, on ouvre toute grande la porte à la censure des mots et des pensées, au motif que « ce n’est pas bien ! », c’est une énorme dénégation de la réalité. 

Grâce à ce subterfuge, on élimine par principe toute perspective sur le tragique fondamental de l’existence humaine et sur « le côté obscur de la Force » qui mène les hommes. Avec l’éthique du soin, on est prié de nager dans le sirop, dans le sucré, dans la confiture. Eh bien non merci. 

Il faut abattre les frontières, nous dit-on, entre morale et politique, entre relations interpersonnelles et organisation sociale, entre « sphère publique et sphère privée ». Autrement dit, tout est dans tout et réciproquement. Dans cette optique, il faudrait établir un « principe de responsabilité sociale comme quoi chacun devrait être pris en considération selon son besoin de soin et sa capacité à en dispenser » (p.147). Je vois dans cette façon de formuler des devoirs mutuels (mais attention : mutuels à sens unique) un excellent moyen de faire du sentiment de culpabilité un moteur politique. Vous l’imaginez vivable, cette société ?

Ce serait « une société où toutes les particularités ont voix égale » : c’est-à-dire une société entièrement parcellisée, fragmentée en communautés multiples luttant chacune pour son propre intérêt. Une société où chacun aurait le droit d’interdire à tout le monde ce qui le blesse, d’après lui. Une société où chacun serait censeur de tous les autres. Une société collectionnant les interdits édictés par chaque groupe au nom de ses allergies personnelles. Le contraire d’une société, quoi.  En réalité, la notion de contrat social sert à « constituer une communauté solide à partir de citoyens, de faire une société qui tienne, une société robuste » (p.148). 

Bon, je vais arrêter là, je me suis suffisamment étendu. J’imagine qu’Yves Michaud se doutait bien qu’en écrivant ce livre, il faisait tout ce qu’il faut pour se faire accueillir, aux yeux de toutes les belles âmes et les bonnes consciences morales, dans les rangs des « réactionnaires » répertoriés par le justicier Daniel Lindenberg (cf. Le Rappel à l’ordre : essais sur les nouveaux réactionnaires, Seuil, 2002), et des « islamophobes ».   

Contre la bienveillance n'est pas un Traité, c'est un petit livre d’intervention, salutaire et stimulant. 

Voilà ce que je dis, moi.

lundi, 11 avril 2016

YVES MICHAUD ET LA BIENVEILLANCE 3

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Ce qu’Yves Michaud, dans son deuxième chapitre, appelle le populisme, est causé selon lui par quatre fractures. Il fait d’abord allusion à une autre cause, beaucoup plus diffuse : les partis populistes (Front National, Cinq Etoiles, Podemos, Syriza) prospèrent sur l’impression des populations d’avoir perdu leur souveraineté, d’avoir de moins en moins de prise sur leur destin, de voir leur propre vie leur échapper. C’est du moins ainsi que je comprends ce paragraphe : « En fait, tous ces "partis" savent à peu près ce dont ils ne veulent pas : des "diktats" de l’Union européenne, du pouvoir des banques, de la crise, du chômage, de la retraite retardée, de la caste politique installée, du dégraissage des services publics – en ajoutant, pour la droite, les immigrés, les sans-papiers, les réfugiés, les islamistes. Ça fait des programmes d’opposition et de dénonciation, pas des programmes d’exercice du pouvoir » (p.63). 

Les facteurs qui « désarticulent le champ social » sont donc les suivants : une fracture générationnelle (« économique, culturelle, technologique, de distribution de pouvoir et de rationalité ») ; une fracture ethnique (de souche / immigrés) ; une fracture "de classe" (riches / pauvres) ; une fracture éducative ("cognitive", dit aussi l’auteur, entre les formés et les tôt déscolarisés). L’inventaire de ces fractures fait peur à lui tout seul. Il en ajoute deux autres, « plus spécifiquement françaises » : une fracture entre ceux qui vivent à l’abri de l’insécurité et ceux qui y sont confrontés dans leur vie quotidienne ; une autre fracture, entre « personnes à statut protégé et celles exposées à la précarité » (les fonctions publiques / les autres). N’en jetez plus : ça fait beaucoup. 

Je suis entièrement d’accord avec ce diagnostic inquiétant : la France souffre de « fractures multiples ». Quand un pays fait face à un tel champ de mines à fragmentation, l’impression qui domine, c’est le risque de démembrement. J'ajoute que ce risque est encore accentué par les particularismes revendicatifs émanant d’une kyrielle de « minorités » ou de « communautés » réclamant des « droits » spécifiques au nom de l’ « égalité ». 

On l’a vu de façon saisissante au moment du vote de la loi éminemment clientéliste ouvrant l'institution du mariage aux homosexuels, qui a donné une idée approchante de ce qu'est une guerre civile, les morts en moins. Toute promotion d’une « minorité » au motif qu’elle subit une « discrimination » ou une « stigmatisation », et au nom d'une prétendue « égalité », est en soi un facteur de désunion. L’érection de la « discrimination » et de la « stigmatisation » au rang de délits pénaux est en soi un facteur de dissolution de l’unité nationale. Je sais que cette seule idée va passer pour une horreur, mais qu’on y réfléchisse : plus la collectivité fait droit à des groupes particuliers qui tirent à eux la couverture et font braquer les projecteurs médiatiques sur leur sort d’ « opprimés » spécifiques, plus elle accumule les clivages au sein de la population. Et plus elle amenuise les chances de cette population d'envisager pour elle dans sa globalité un avenir commun. 

L’addition des fractures et la prolifération des particularismes revendicatifs constituent en soi une négation de tout rassemblement, de toute unité, de toute recherche de l’éventuelle et souhaitable entité surplombante – autrefois la nation, la patrie, … –  capable d’englober tous les particularismes, tous ces sous-ensembles disparates, hétérogènes et, bien souvent, inconciliables. La République a désormais un cœur d'artichaut : les « minorités » viennent se servir, comme au supermarché.

En l’état actuel des choses, je ne vois pas par quel moyen qui que ce soit serait en mesure de « remembrer » la France. Deux solutions : soit dénicher l’homme d’assez vaste stature et carrure pour donner à penser aux gens qu’ils peuvent se rassembler autour de lui ; soit demander aux acteurs de la politique de faire abstraction de leurs calculs pour rechercher un consensus dans l’intérêt général. Vous avez déjà deviné ce que j’en pense. Mais je suis un affreux pessimiste. 

Dans son troisième chapitre, consacré à la politique internationale, Yves Michaud commence par faire le tour de toutes les menaces qui se sont fait jour après la chute du mur et de l’empire soviétique, qui semblait promettre à la démocratie un avenir radieux. Il a fallu déchanter. Vingt-cinq ans après, force est de constater que le monde a rarement été aussi instable. Et l’Europe est devenue un monstre froid, mou et sans boussole (cf. Le Doux monstre de Bruxelles, de Hans Magnus Enzensberger). 

Le reste du chapitre est consacré à la critique de l’idéalisme en politique internationale, au nom du réalisme (la « Realpolitik ») dans la manière d’aborder les rapports de force. Un bref historique de l’idéalisme politique en philosophie (Grotius, Kant) permet à l’auteur d’en discerner trois sortes : « … soit caricatural, soit léger, soit formel ». La première est celle portée par B.-H. Lévy (il faut sauver Benghazi !) ou B. Kouchner (il faut nourrir les Somaliens !). Michaud présente ainsi BHL : « Le bhlisme, du nom de Bernard-Henri Lévy, cinéaste, homme d'affaires et essayiste français » (p.95). J'aime beaucoup les trois facettes qu'il retient, et surtout l'omission d'une quatrième, la préférée du personnage, l'étiquette sous laquelle il s'était fait connaître. Portrait net et sans bavure.

La deuxième est « celle des militants et théoriciens des droits de l’homme et du monde des ONG », ceux qui vont sur le terrain, poussés par de nobles motivations et une vision optimiste, souvent irénique de l’humanité : « L’idéalisme cosmopolitique flotte aussi au-dessus de la réalité en refusant de voir que ses interventions ont plutôt tendance à enkyster les crises en installant les populations déplacées dans des situations de "réfugiés perpétuels" sur le mode des Palestiniens, des Sahraouis, des réfugiés du Darfour et du Soudan » (p.114). Il faut intervenir pour sauver les hommes partout où ils sont menacés, sans se poser d'autres questions. Cela s'appelle foncer tête baissée : tant pis pour les effets pervers, dont parle Yves Michaud.

La troisième est celle du droit international « cosmopolitique », qui a tant de mal à se mettre en place. On vient de voir une curieuse manifestation de cette justice supranationale : la CPI, à quelques jours d’intervalle, a condamné Radovan Karadzic, tête pensante si l’on veut, à quarante ans de prison, mais a acquitté Vojislav Seselj, le chef de milices serbes sans pitié. 

Quoi qu’il en soit, la politique idéaliste a montré ses limites : « A plus long terme, le bilan est en réalité désastreux » (p.120). Tout simplement parce que « L’idéalisme politique méconnaît en fait les grandes déterminations de l’histoire » (p.121). Qu’il s’agisse des organisations socio-politiques traditionnelles, des croyances et religions, les données lourdes de la démographie. 

Moralité : il faut que les bonnes âmes et les humanistes optimistes abandonnent leur nuage de bons sentiments et de grandes idées, redescendent sur terre et reprennent pied dans la réalité épineuse. La politique internationale ne se conduit pas à coups de jugements de moralité, attitude splendide et totalement inefficace. 

La pauvre Caroline Fourest peut toujours asséner ses sentences vertueuses à l’encontre de Poutine, du roi d’Arabie et d’autres : ça ou cracher en l’air, ça revient au même. Un journaliste peut bien dénoncer le « double discours » de François Hollande, quand il appelle, d’une moitié de la bouche, les Africains à promouvoir l’état de droit et, de l’autre moitié, soutient Idriss Déby, ce dictateur à la Tchadienne au pouvoir depuis 1990. Ça ou faire des ronds dans l’eau … 

L’appel d’Yves Michaud à faire preuve de réalisme dans la politique internationale est bien venu. Dans l’histoire, la morale et les intérêts des nations ont rarement fait bon ménage. Nos gouvernants n’ont pas toujours tort de veiller aux intérêts de la France. 

Voilà ce que je dis, moi. 

Suitetfin demain.

dimanche, 10 avril 2016

YVES MICHAUD ET LA BIENVEILLANCE 2

MICHAUD YVES.jpgLa deuxième menace qui pèse aujourd’hui, selon Yves Michaud, sur la démocratie, et pas seulement en France (l’auteur cite l’Espagne, l’Italie et la Grèce), c’est le populisme : « Le populisme s’exprime aujourd’hui de deux manières : des votes en progrès constant en faveur de partis nouveaux venus qui appellent à en finir avec la caste des partis installés et, dans le même temps, une forte abstention de la part de citoyens qui se désintéressent de la politique et "n’y croient plus" » (p.61). Il ajoute : (« … mais ça veut dire aussi que plus de 55% des citoyens ont déserté la politique ou adoptent des positions populistes », (p.62). Faire de l'abstentionnisme une manifestation de populisme me semble assez curieux.

Personnellement, je ne suis pas sûr que le mot "populisme", devenu peu ou prou un cliché en bonne et due forme, soit pertinent ou puisse être d’une grande utilité opérationnelle dans l’analyse. Car je crois que la menace qui pèse sur la démocratie est différente : pour se limiter au cas français, j’ai la conviction que le Front National et l’abstention sont, en avers et revers inséparables, le symptôme d’un seul mal, beaucoup plus profond : la déliquescence morale de la classe dirigeante en général et du personnel politique en particulier. Je ne connais pas assez la situation dans les pays voisins pour me prononcer.

C’est ne rien apprendre à personne que de dénoncer l’insane médiocrité d’une large majorité du personnel politique français, choisi par cooptation après contrôle méticuleux des allégeances, des servilités et des performances administratives, affligé d’une effrayante courte vue, obsédé par l’unique souci de sa réélection, soumis à toutes sortes d'influences inavouées et de pressions intéressées dans la prise de décision et, plus gravement, incompétent parce qu’incapable d’agir sur la réalité et sur la marche des choses pour le bien du plus grand nombre. S'ajoute à cela la frontière de plus en plus floue entre une "droite" et une "gauche", entre deux camps qui font semblant de s'opposer sur des "valeurs", qui se croient de ce fait tenus d'entrer dans des rôles obligés, ce qui les amène, une fois au pouvoir, à défaire ce que l'autre a fait et, le reste du temps, à théâtraliser leurs gesticulations.

Les politiciens, en désespoir de cause, se sont rabattus de l’action sur le discours, le fétichisme des mots, l’incantation et la "communication" (les fameux "éléments de langage"). Les politologues, politistes et éditorialistes peuvent ensuite tout à leur aise constater l'incapacité à proposer ce qu’ils appellent niaisement un « grand récit » (mythe national, si vous voulez). A partir du moment où vous désignez ainsi la nation, ce grand principe d’appartenance, d’identité et d’unité, vous montrez que vous n'y croyez pas un instant, vous conceptualisez et vous rendez impossible la narration d’un quelconque "grand récit", au motif que le moindre historien, soucieux d’historicité scientifique, aura beau jeu de pointer les insuffisances et l’incomplétude du récit proposé. Sans même parler des rivaux dans la conquête du pouvoir : quand on sait qu’on nous raconte une histoire, on attend, au mieux, de la littérature, en aucun cas de l’action politique. 

L’entité « FRANCE » (l’identité nationale des Français), si elle a une réalité, tient, pour une large part, de la fiction. Et cette fiction a besoin d’une volonté et d’une adhésion, c'est-à-dire avec une croyance, plutôt qu’avec un savoir estampillé par l’Université. Pour que cette fiction ait une chance d’être collectivement éprouvée en réalité, il ne faut pas être trop intelligent ou savant : parler ici de « mythe » ou de « grand récit », si c’est scientifiquement plus exact, c'est désigner tout le fictif de l'affaire ; c’est en soi dévitaliser la chose, en la renvoyant dans les antiquités primitives. Moi qui suis plutôt un "intellectuel" (à ne pas confondre avec "intello"), je crois ne pas méconnaître la force d'entraînement que constituent la croyance, la foi, l'adhésion.

Donner de l’autorité au savoir universitaire en la matière, c’est déjà une démission du politique : la politique n'est pas de l'ordre du savoir. Le responsable a-t-il le droit de confier les manettes à des "experts" ? La croyance, pour être efficace et valide, a besoin, sinon d’une adhésion unanime, du moins de ne pas être constamment un objet de débat ou de dispute entre doctes : René Girard dit avec force que le sacrifice, pour ressouder valablement le corps social, nécessite la pleine adhésion d’une croyance exaltée. Pour "faire société", il ne faut pas s'en remettre à l'intelligence pieds et poings liés. Je me demande si le problème dans lequel la France donne aujourd’hui l’impression de se dissoudre ne se situe pas à cet endroit. Il faut comprendre qu'il n'est pas nécessaire de tout comprendre pour établir les conditions de la "bonne vie en commun". 

C’est là qu’Yves Michaud, me semble-t-il, se trompe : « Qu’il s’agisse de l’identité des personnes, des groupes ou des choses, il n’y a pas de substantialité de l’identité. Toute identité est une construction et une fiction » (p.159). Tout à fait d’accord, et je viens de le dire. Malheureusement, le problème n’est pas là : pour être français, il ne suffit pas d’une carte d’identité, encore faut-il y croire, encore faut-il se sentir français. Malheureusement, ce n'est pas mesurable, et sans doute pas conceptualisable. Bien sûr, il est vain de tenter de lister les items qui constituent notre identité. L’identité est un tissu serré, en chaîne d’une foule de traits d’appartenance, en trame d’une foule de traits de différenciation, dont dix ans de psychanalyse écouent à faire l'inventaire. Il n'existe pas deux identités superposables.

Ce n’est donc pas à ce niveau qu’il faut chercher. Il suffit de se rappeler la foire d’empoigne à laquelle a donné lieu le débat sur l’identité nationale suscité en son temps par Nicolas Sarkozy, pour se rendre compte que, s’il est effectivement impossible de dessiner avec exactitude le portrait de l’identité française, les réactions exacerbées auxquelles le débat a donné lieu ont amplement montré qu’on touche, en abordant la question, à un point névralgique, absolument crucial. 

Et je me demande si ce point, loin d’être cantonné dans la sphère rationnelle, n’a pas quelque chose à voir avec – excusez le grand mot – l'ordre du « sacré ». L’identité française ne peut certes pas être définie en détail, mais constatons quand même qu’il ne faut pas trop y toucher, sous peine de se faire mordre : je n’interprète pas autrement la réaction outragée de Jacques Chirac, lorsque la Marseillaise avait été sifflée (par qui, on se demande) en préambule à un match de football opposant la France à l’Algérie. 

Et je me demande si le mal français ne prend pas sa source, précisément, dans le fait que l’idée française, l’identité française, l’idée de la nation française a déserté massivement l’esprit de notre classe dirigeante en général, et de notre personnel politique en particulier (Chirac étant l'exception). Nos élites à profil de premier-de-la-classe semblent ne plus y croire et avoir définitivement abandonné l’idée que les carrières politiques doivent être mises au service de quelque chose de plus grand que les hommes qui s’y engagent.

On peut bien ressortir du placard le moulin à prières pour en appeler aux mânes de De Gaulle. Il avait beau être de grande taille (1,92 m., si je me souviens bien), De Gaulle se considérait comme plus petit que la France. Il mettait la France au-dessus de lui. Qui est aujourd'hui à la hauteur de cette "petitesse" ? Donnez-moi une classe politique qui soit à cette hauteur-là, capable de modifier le réel dans un sens favorable aux hommes, et vous verrez le Front National repasser dans l'autre sens à la trappe dont il est sorti. Et les électeurs revenir aux urnes en masse.

C'est De Gaulle qui était dans le vrai.

Voilà ce que je dis, moi. 

A suivre ...

Note : oui, je sais, c’est moins un compte rendu du livre d’Yves Michaud qu’une réflexion suscitée par la lecture, ô combien stimulante, de Contre la Bienveillance

samedi, 09 avril 2016

YVES MICHAUD ET LA BIENVEILLANCE 1

MICHAUD YVES.jpgLe philosophe Yves Michaud vient de faire paraître Contre la Bienveillance (Stock, 2016). Ce titre a si bien caressé le poil de ma curiosité dans le bon sens que je me le suis procuré sans attendre. Je ne suis pas déçu par ce petit livre (un peu moins de 180 pages) : j’ai eu l’impression de me retrouver au milieu d’un paysage intellectuel enfin normal, d’aplomb. Un paysage avec le sol en bas, le ciel en haut, les arbres verticaux et l’horizon tout au fond. Une lecture salutaire. 

Un nuage de gaz anesthésiant s’est en effet abattu depuis plusieurs années (combien, au juste ?) sur la façon dont les doctes et les puissants autoproclamés racontent le monde au bon peuple qui forme le gros du public accouru pour applaudir toutes sortes de batteurs d’estrades : je veux bien sûr parler des téléspectateurs, des contribuables, des automobilistes, des consommateurs, bref, pour le dire d’un mot, des électeurs. 

Une guimauve insipide de moralisme impérieux et obtus, de bons sentiments, d’émotion dégoulinante, de compassion et d’altruisme bénévole a revêtu de sa couche poisseuse tout ce qui relevait jadis de la sphère politique, c’est-à-dire de ce forum virtuel où est censée s’organiser la vie en commun dans une société donnée. La société française tout entière semble prise dans cette glu culpabilisante.

Respiré à forte dose, ce gaz a la particularité de faire basculer le paysage intellectuel. Vous vous retrouvez cul par-dessus tête, avec du ciel partout et l’horizon nulle part. Quant au sol, il s’est dérobé, trop spongieux et mouvant pour porter les pas de l’homme sensé. 

Parmi les nombreux responsables (qui s’imaginent peut-être ainsi attirer sur eux les suffrages de la population), on trouve des gens comme Martine Aubry (le « pot à tabac », selon le si gentil Fabius), qui fut, je crois, la première « femme politique » (sic) à utiliser le mot « care », et en anglais dans le texte : « la société du "care" » (en 2010, je crois). Autrement dit : l’humanitaire érigé en principe d’organisation politique des citoyens ! Un oxymore rationnel ! 

Yves Michaud lui joint, mais en caricatural cette fois, d’autres grands amateurs de plateaux médiatiques : « Bhlisme (l’idéalisme de la bling-bling politique), kouchnerisme (l’idéalisme du baba humanitarisme) et hulotisme (l’idéalisme de l’ULM-écologie), variétés de l’affairisme compassionnel et communicationnel, doivent être renvoyés là d’où ils n’auraient jamais dû sortir : à la rubrique mondaine » (p.161). Un tel paragraphe ne peut que m’aller droit au cœur, et me console de l’horripilation provoquée par la complaisance que mettent les médias à procurer à ces clowns (BHL, Kouchner, Hulot) tant d’occasions de nous infliger le spectacle hautain, racoleur et donneur de leçons de leurs grandes âmes et de leurs belles intentions. 

Yves Michaud n’aime pas le personnage que BHL donne à voir de lui-même avec tant de complaisance et de savoir-faire. Je dirai que c’est bien le moins : il est bon que le pantin de cet imposteur soit redescendu manu militari du piédestal sur lequel il s’est propulsé, et se fasse qualifier d’ « essayiste », et non de « philosophe », par quelqu’un de sérieux (et plus qualifié que moi en la matière). Sur le personnage en question, on se rappelle Une Imposture française, de Nicolas Beau & Olivier Toscer (éd. Les Arènes, 2006). Que monsieur Lévy puisse être considéré comme un penseur digne de ce nom par nombre de nos compatriotes est en soi un symptôme inquiétant de l'état "culturel" de la France.

Qu’on se le dise : BHL ne s’autorise que de son humeur et de son image. La dernière fois que j’ai évoqué ce sinistre bouffon, c’était pour commenter le « livre » que Michel Houellebecq, à mon avis passablement retors dans cette occasion, a hélas consenti à publier en compagnie de BHL, ce Narcisse invétéré doublé d’un naïf abyssal (Ennemis publics, Flammarion-Grasset, 2008 – voir mon assaisonnement détaillé ici même les 14, 15, 16 et 17 avril 2015). 

Contre la bienveillance est un livre qui traite de politique. Je reformulerais volontiers la thèse soutenue par Yves Michaud dans une phrase simple : « Il ne faut pas confondre morale et politique ». Par "morale", il faut entendre tout ce qui, louable dans les relations interpersonnelles, devient calamiteux dans la sphère publique où se décide et se structure l’institution de la société tout entière : affectivité, émotion, sentiment, compassion, altruisme : « Si nous voulons que le mot citoyen garde le sens qu’il a pris depuis les théories du contrat social, il nous faut en finir avec la bienveillance, la compassion et le moralisme, et revenir aux conditions strictes de l’appartenance à une communauté républicaine, revenir aux conditions strictes du contrat politique » (p.16). Cette invasion du domaine public (« Le Commun ») par le domaine privé est de très mauvais augure. 

Les trois problèmes qui, en France aujourd’hui, menacent la communauté politique sont, selon l’auteur, le fondamentalisme religieux, le populisme et la façon d’envisager la politique internationale. Ce qu’Yves Michaud appelle le "fondamentalisme religieux" n’a pas d’autre nom que l’islam sunnite, et même salafiste qui, ayant pris pied sur le sol européen, s’efforce de s’enraciner et de contaminer les esprits, par des prêches de plus en plus radicaux tenus dans des mosquées mal contrôlées par les autorités. 

Je ne m’attarde pas trop sur ce point : j’en ai assez parlé ici (tag "islam" pour s’en convaincre si besoin). Je citerai juste ce petit paragraphe, net et sans bavure : « L’islam sunnite, en attendant le moment où il deviendrait tolérant et s’ouvrirait à la critique, est aujourd’hui une religion obscurantiste, intolérante et antidémocratique » (p.31). J’ajoute quand même que le "en attendant" est d’une gentillesse (ou d’une prudence ?) outrancière. Autant chanter : « Quand les hommes vivront d’amour » (ne pas oublier que ça finit sur « Mais nous, nous serons morts, mon frère »). 

Il faut que les Européens soient aveugles ou particulièrement cyniques ou suicidaires, pour ne pas considérer tous les débats qui tournent autour de l’islam, du modéré jusqu’au djihadiste, comme des preuves et des suites de l’offensive généralisée lancée en 1979 contre l’Occident par un certain Khomeiny. 

Il suffit, à partir de cette date, de dessiner sur une carte les progrès de la ligne de front de l’islamisme radical, et férocement prosélyte, pour prendre conscience que, modéré ou pas, l’islam en soi est résolument insoluble dans le judéo-chrétien, le gréco-latin, l’humanisme et les Lumières de la Raison. Je veux dire qu’il est définitivement inassimilable par le corps de l’Europe. 

Laïcité ou pas, l’islam est en soi la négation de l’ensemble de cet héritage. Le principe de tolérance, en la circonstance, est hallucinant d’aveuglement. Yves Michaud, en circonscrivant la menace aux seuls « fondamentalistes », minimise à mon avis le problème.

De là où il est, il ne pouvait peut-être pas dire autre chose. 

Voilà ce que je dis, moi.

A suivre ...

jeudi, 24 mars 2016

LA VIE DERRIÈRE LA VITRE

KOLIBRI.JPG

L'atelier de reliure.

Photo Frédéric Chambe.

Ci-dessous : détails.

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J'avais bien aimé Chirac dans le texte, livre dans lequel Yves Michaud décryptait le langage de l'ancien président. Une démarche salutaire, qu'il faudrait conseiller aux journalistes de généraliser et de systématiser, eux qui, si souvent, n'exercent pas leur métier, mais jouent les porte-voix des politiques, quand ils n'en sont pas de simples perroquets.

Le Canard enchaîné (23 mars) nous annonce la parution de Situation de la France (Desclée de Brouwer), nouveau livre du même Yves Michaud, et je dois dire que l'article de Frédéric Pagès me donne bien envie d'aller voir de plus près de quoi il retourne. Je passe sur ce que l'auteur pense du « Care » (c'était la sinistre Martine Aubry qui avait importé cette notion américaine dans la politique française), mot que Michaud traduit par "bienveillance".

Je retiens juste, pour l'instant, les propos rapportés par le journal, concernant l'islam. Attention les yeux, le philosophe n'y va pas de main morte avec le dos de la cuillère à pot : il parle en effet de l'islam, « "religion obscurantiste, intolérante et antidémocratique" qui ne reconnaît pas la "liberté d'apostasie", c'est-à-dire le droit de la quitter ».

J'approuve entièrement cette façon de considérer l'islam. J'en ai assez, après tout, d'entendre une pléiade de prétendus laïcards plaider sur tous les tons pour la liberté religieuse, pour la tolérance et contre une purement fantasmatique « islamophobie ».

J'avais eu l'impression que les agressions sexuelles contre les femmes dans la nuit de la Saint-Sylvestre à Cologne ressemblaient à s'y méprendre à un attentat concerté. Et j'avais été stupéfait par certaines manifestations, faisant suite à ces attentats sexuels, où ce n'était pas le machisme et le sexisme en vigueur chez les arabes qui était dénoncé, mais le racisme, la xénophobie, l'islamophobie de ceux qui avaient réagi et protesté contre les agressions. Le législateur devrait accorder à certains mots le droit de se défendre et de tirer à vue.

J'en ai assez d'entendre le chœur des loups qui hurlent contre l'écrivain Kamel Daoud, suite à la tribune parue dans Le Monde en réaction à Cologne, au prétexte qu'il y dénonce "la misère sexuelle du monde arabe". 

Qu'on se le dise, il est interdit de nommer les choses et d'appeler un chat un chat : le gang des dénégateurs veille. Eh bien non : l'islam est vraiment une "religion obscurantiste, intolérante et antidémocratique". La France, par rapport à l'islam en tant que tel, est en état d'incompatibilité.

Bienvenue, monsieur Yves Michaud, au club des islamophobes. Alexandre Vialatte pourrait-il encore conclure ses chroniques de son habituel : « Et c'est ainsi qu'Allah est grand » ?

Pas sûr.

Voilà ce que je dis, moi.

mardi, 18 mars 2014

POLITIQUES EN DECOMPOSITION

LA CLASSE POLITIQUE FRANÇAISE EN ETAT DE DECOMPOSITION AVANCEE

 

 

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VUE PLONGEANTE, PRISE SUR LE VIF, SUR LA CLASSE POLITIQUE FRANÇAISE

 

Je sais que je ne suis pas le seul à penser ce que j’écrivais hier sur l’invraisemblable médiocrité crasse de tout le personnel que les Français ont la veulerie d’accepter pour les gouverner. Le plus étonnant dans l’affaire, c’est que, dans la presque totalité des cas, il s’agit d’une masse de « premiers de la classe », c’est-à-dire de gens supposés très intelligents, loin au-dessus de la moyenne.

 

Paradoxe : comment ces brillants sujets passés par les plus grandes écoles peuvent-ils sans en éprouver la moindre honte se comporter aussi minablement ? Mystère. Ou plutôt non : s’ils brillent, c’est exclusivement pour leur propre compte. Quelqu’un peut-il me citer un seul de ces sinistres individus qui soit capable de penser à autre chose qu’à lui-même, à sa longue carrière, à son cumul des mandats ? De toute façon, s’il y en avait un seul, les requins de la chose auraient tôt fait de s’entendre pour l’éliminer.

 

Ceux qui font exception à la loi de « premier de la classe » (du genre de Rachida Dati ou Nicolas Sarkozy, je prends au hasard) sont dotés de canines d’une taille exceptionnelle, montées sur des mâchoires d’une puissance exceptionnelle et, à force de frapper aux grandes portes quand ils sont jeunes et de servir de paillasson ou de poupée gonflable aux puissants du moment, ces carnassiers se font peu à peu une place au milieu des autres fauves. En passant, ils collectionnent les fiches d’informations glanées à droite et à gauche, déposées dans des coffres très sûrs pour le jour où leur tour sera venu.

 

Je disais que je ne suis pas le seul à penser ça. Des gens très bien (beaucoup mieux placés que moi pour observer les choses et les gens), du haut de l’autorité qu’ils ont acquise dans des travaux intelligents et opiniâtres, font le même diagnostic, avec des arguments autrement peaufinés que les miens.

 

Prenez Yves Michaud. Il est philosophe. J’avais lu son Chirac dans le texte (2004), sous-titré « la parole et l’impuissance ». Même si son livre n'a servi à rien, il tapait très juste et très fort sur l’imposture de ce prestidigitateur qui recrutait ses affidés à coups de billets de banque et qui montra à son successeur qu’on peut faire subir à la vérité des mots les pires tortures et que plus un mensonge est énorme, plus il a de chances de passer comme une lettre à la poste. Cela n'a pas empêché les Français de lui donner en 2002, avec 82 % des voix, une victoire « démocratique » digne de tyrans aussi reconnus que Brejnev, Ben Ali, Moubarak ou Kadhafi. Cela en dit long sur l'état moral et intellectuel d'une population hypnotisée et anesthésiée par une propagande, pour le coup, aussi carrément « décomplexée » que massive.

 

Là c’est juste un article de journal qu’Yves Michaud propose aux lecteurs du Monde. Le titre me semble hautement recommandable : « Le trafic d’influence est devenu l’instrument du pouvoir contemporain ». Il figure dans un dossier intéressant (une vraie double page !), si l’on excepte le « Notre parti doit repenser son éthique », fastidieuse langue de bois récitée par les plumes de trois secrétaires nationaux de l’UMP. Normal : pour défendre la boutique, les épiciers montent au créneau, du moins si ça ne mange pas de pain et à condition qu'il n'y ait pas trop de risques.

 

Heureusement, lui faisant face, « Un délitement de l’UMP » de Florence Haegel a relativisé par avance la minable portée des stéréotypes minablement exposés par le trio grotesque. Deux autres articles tiennent compagnie à celui d’Yves Michaud : « Du scandale comme arme politique » d’Alain Garrigou, et « La pathologie du secret » d’Eric Alt (pour l’association Anticor). Mais je passe sur les comparses (intéressants tout de même, ce qui fait quatre sur cinq) pour m’intéresser au protagoniste.

 

Yves Michaud élargit le champ en même temps que la profondeur de champ de sa réflexion, en ne se limitant pas à un seul individu, ni à l’analyse d’un seul discours. Il dénonce un système. Or, quand quelque chose « fait système », c’est que ce quelque chose est le principe premier, le noyau autour duquel s’organise un univers (cf. Le Système technicien de Jacques Ellul).

 

Le premier paragraphe annonce la couleur, en faisant apparaître les noms bien connus de Sarkozy, Buisson, Copé, Tapie, Guéant, puis encore Copé et Sarkozy, puis Cahuzac, Guérini, Kucheida, DSK. Avec des points de suspension en fin de liste, pour que personne ne puisse imaginer qu’elle puisse être close. Sans doute.

 

Que dénonce Yves Michaud ? Eh bien rien de nouveau, rien que du bien connu. Un peu le « mélange des genres », mais c’est l’époque qui veut ça (vous savez, le « genre ») : quand un directeur de journal mange régulièrement à la même table qu’un capitaine d’industrie et qu’un député (ou qu’un président de la Chambre), surtout s’il s’y ajoute deux ou trois hauts fonctionnaires, cela confine au jeu du « chamboule tout » : on pratique à tout va le jeu du réseau d’influence et de la solidarité mutuelle. On abat les frontières entre les fonctions en se rendant de petits services et de grandes amabilités. Rien ne peut arriver : on est entre mafias. La connivence règne.

 

Car la clé d’inspiration de l’article me semble être la phrase : « Résultat : il est difficile de tracer une frontière entre trafic d’influence, accomplissement de promesses électorales catégorielles [mariage homosexuel ?], renvois d’ascenseurs et lobbying ». Le mot « corruption » est beaucoup trop banalisé aujourd’hui, et c’est sans doute parce que le phénomène s’est lui-même banalisé et généralisé. L’expression « trafic d’influence », quoique moins chatoyante, est en même temps plus précise, bien que signifiant strictement une tout aussi grande turpitude.

 

Le diagnostic global d’Yves Michaud est impitoyable et se résume dans cette phrase : « La démocratie est l’apparence, l’oligarchie l’effectivité ». Va pour « effectivité ». Il dénonce l’action des « intermédiaires », des « conseillers de l’ombre », des « amis qui servent de prête-noms », et même des avocats, le drôle ! Avocats dont il dit que « la profession est loin d’être aussi blanche qu’elle le prétend en brandissant ses droits à la confidentialité ». Certaines choses font du bien quand on les entend (façon de parler).

 

Quelqu’un qui se drape dans sa dignité offensée et son honneur humilié quand il est attaqué me semble désormais suspect du seul fait qu’il se drape. C’est dire la déconfiture des points de repère et de la possibilité d’accorder sa confiance. Celui qui se drape, il attend qu'on lui envoie les preuves, qui sont plus facile à évoquer qu'à trouver.

 

Ce qu’Yves Michaud pointe, c’est les soupçons mais aussi le désarroi des juges chargés de ce genre d’affaire. On les comprend : il est tellement difficile d’établir la preuve des faits que l’on comprendrait qu’ils finissent par se décourager : « subtilité des montages », « omerta », « ingéniosité procédurière des avocats » se tiennent les coudes quand les puissants ont la maladresse ou la malchance de se voir mis en cause.

 

Bon, je vais m’arrêter là. Le reste est à lire dans Le Monde daté du 14 mars. Impérativement. C’est la confirmation d’un diagnostic de grosse vérole posé par quelqu’un qui, à ce que je sache, n’est pas partie prenante dans les « affaires ». L'expression « TOUS POURRIS » n'a jamais été autant d'actualité, quoi qu'en pense la cohorte de tous ceux qui ne veulent pas « pratiquer d'amalgame » et « ne pas mettre tout le monde dans le même sac », pour « ne surtout pas faire le jeu du Front National ». Désolé, quand quelque chose « fait système » et que ce quelque chose est dans un tel état de décomposition, je dis que les carottes sont cuites et que c'est tout le système qui est à jeter à la poubelle.

 

Si tout ça n'est pas répugnant, c'est que c'est abject. Ou fétide. ou immonde. J'accepte même infâme.

 

Voilà ce que je dis, moi.