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dimanche, 14 avril 2019

LES NUISANCES DE L'INTELLIGENCE

A raccrocher latéralement à la série "Je hais les sciences humaines".

J'ai encore entendu hier matin les belles fadaises qui se colportent complaisamment dans les milieux intellos (je n'ai pas dit "intellectuels"). La plus comique en est sans doute une que l'on ne cesse d'entendre dans toutes les bouches autorisées (autorisées par qui ?), qu'il s'agisse de politiciens multirécidivistes, d'hommes de théâtre multilingues (Emmanuel de Marcy-Mota, invité hier sur France Culture), de journalistes multimédias, de politologues multidisciplinaires (Stéphane Rozès), de sociologues multicartes, d'historiens multicolores et autres psychosociologues multiculturels.  

La fadaise (faribole + calembredaine = marrade bien carrée) en question est la suivante : il faut reconstruire un Grand Récit (aux Français pour leur raconter l'unité de la France, aux Européens pour leur raconter l'unité de l'Europe, à l'humanité pour lui raconter l'unité de l'espèce humaine, ...). Il faut restaurer un Grand Mythe. Il faut réécrire une Grande Fiction. Dans quel but indubitablement noble ? Pour susciter une Grande Adhésion Collective des populations, pour "refaire société" et restaurer le "vivre-ensemble". Il faut ressusciter des attitudes mentales favorisant la vie dans des collectivités harmonieuses. Il faut rétablir l'harmonie perdue.

Mais mon pote, espèce de tête de pomme, tu n'as pas vu qu'il y a contradiction dans les termes ? Tu crois vraiment qu'on peut ainsi marier objet de savoir et objet de croyance jusqu'à ce qu'ils ne fassent "qu'un seul corps" ? Le simple fait que tu l'appelles toi-même "Grand Récit" prouve que c'est impossible : du haut de quelle chaire de commentateur-observateur extérieur ordonnes-tu aux responsables ce qu'ils ont à faire (et en passant : quel mépris pour le bon peuple, ce tas de gogos que tu vois juste bons à gober des boniments) ?

Tu ne sais donc pas qu'un mythe qui se sait mythe n'est qu'une poudre de perlin-pimpin ? Qu'un récit de fiction qui se présente en costume de fiction ressemble comme deux gouttes d'eau à un conte pour enfants qui fait passer un bon moment mais que personne de sérieux ne prend au sérieux ? Qu'un rite dont la raison profonde est dévoilée au grand jour est voué à l'échec ? Ce n'est pas du "Grand Récit", même "crédible", qu'il faut : c'est de la Vérité. 

Va réviser ton René Girard et sa théorie du bouc émissaire, pour qui la crucifixion de Jésus-Christ est le premier exemple de rituel primitif qui échoue pour cause de connaissance : « Nous avons tué un innocent ! », s'exclame la foule. Il n'y a plus de bouc émissaire si tout le monde sait la vérité sur le rôle qu'il joue. Le rite n'accomplit son rôle de pacification et d'unification du groupe que si ceux qui l'accomplissent ne savent pas pourquoi ils font ça comme ça et pas autrement. Pour avoir des rites efficaces, il faut être ignorant.

Nous sommes trop intelligents pour croire encore en quoi que ce soit : nous avons fait du savoir une idole. Le Savoir est devenu l'objet de notre croyance. Magnifique paradoxe qui rend l'équation insoluble. Il n'y a plus de "Vérité" à quoi attacher quelque chose qui ressemble à des certitudes. Il est même probable que l'effort infatigable et méticuleux des sciences humaines pour accéder aux racines authentiques qui fondent les sociétés soit pour quelque chose dans l'impossibilité d'établir quelque certitude que ce soit, puisqu'il n'y a de vérités que de croyances. Même les sciences dures, les sciences exactes, je veux dire les "vraies sciences", en dehors de "l'eau bout à 100°Celsius à 0 mètre", hésitent à proclamer : « Ceci est la Vérité ».

Plus la société se connaît, moins elle comprend ce qu'elle fait là. Plus elle explore ses fondements, plus elle sape ses fondements. Car tout, dans ce qui fait société, est arbitraire, convention, artifice. Tout ce qui fait société découle de l'art de la fabrication. C'est exactement la raison pour laquelle je n'éprouve que de l'aversion pour l'œuvre de gens comme Pierre Bourdieu ou Simone de Beauvoir : on peut dire, à propos de tout ce qu'a fait l'humanité depuis ses origines : « On ne naît pas humain, on le devient ». On peut d'ailleurs affirmer que, pour cela, il faut légalement 18 ans, du moins en France.

Aucune société n'est naturellement légitime, parce qu'aucune ne détient ni n'est fondée sur la Vérité. Chercher, comme ce fut la démarche de Michel Foucault, à dévoiler la Vérité pour fonder la légitimité d'une organisation sociale (gestion de la folie, de la délinquance, de l'anormalité, ...), c'est vouloir débarrasser le squelette qui fait la vraie vie de la société de toute la chair qui lui permet d'être, de vivre, de se mouvoir et d'aimer. En réalité, je me demande si le Graal de Michel Foucault ne fut pas d'apporter la preuve que toutes les institutions humaines sont arbitraires. Je pense qu'il ne faut pas être trop intelligent pour en convenir : les institutions humaines, société par société, culture par culture, civilisation par civilisation, sont évidemment le résultat complexe de conventions, de tradition, d'histoire, de localisation dans l'espace, de contexte environnemental, etc. Aucune société n'a des fondements naturels, toute organisation sociale découle des conditions artificielles qui l'ont constituée. Toutes les sociétés sont de ce fait arbitraires.

Je reviens à mon sujet. Il est vital pour le mythe qu'il soit objet de croyance aveugle et même de foi pour avoir des chances de remplir sa fonction qui est d'assurer l'unité du corps social. Il est mortel pour lui de se savoir croyance. Le fait pour un mythe, pour un rite social, pour n'importe quelle fiction de devenir un objet de savoir est le plus sûr moyen de le rendre totalement inopérant dans sa fonction concrète qui est de pacifier et d'unifier le corps social. Nous sommes devenus trop intelligents (et trop bêtes) pour "faire société". Savoir tout ça nous a ôté l'envie de "faire corps".

Toute la démarche intellectuelle des sciences humaines vise à opérer le grand dévoilement de toutes les sortes de mécanismes qui ont servi de base à l'édification des sociétés. Cette seule ambition, qui fait du seul savoir l'ambition suprême, rend précisément obsolète tout ce qui ressemble à une croyance. L'intelligence rationnelle telle qu'on la voit à l'œuvre dans les sciences humaines agit comme un dissolvant miracle, comme un décapant surpuissant de tout ce qui était susceptible, dans les sociétés, de susciter l'adhésion de tous à un projet commun.

L'intelligence science-humaniste a détruit les conditions de l'avènement de toute collectivité homogène. Pour qu'il y ait un mythe efficace, un Grand Récit qui soit opératoire, il faut une autorité surplombante (religion, idéologie ou autre). Or il n'y a plus d'autorité surplombante. Car pour qu'il y ait une autorité surplombante à même de fédérer des peuples entiers, il n'y a que deux moyens : l'ignorance (sociétés primitives) ou l'assujettissement (la Chine populaire). Nous ne voulons aujourd'hui ni de l'une ni de l'autre.

Alors on me dira qu'il n'y a pas que ça pour expliquer le morcellement, la fragmentation des sociétés modernes en communautés fermées et jalouses de leurs "droits", et qu'il ne faudrait pas oublier la mise en compétition de tous contre tous sous la férule de l'économie triomphante et de la marchandisation de tout, la montée de l'individualisme, la réalisation de soi comme idéal ultime, et patati et patata.

Je suis bien d'accord, mais voilà ce que je dis, moi.

dimanche, 10 avril 2016

YVES MICHAUD ET LA BIENVEILLANCE 2

MICHAUD YVES.jpgLa deuxième menace qui pèse aujourd’hui, selon Yves Michaud, sur la démocratie, et pas seulement en France (l’auteur cite l’Espagne, l’Italie et la Grèce), c’est le populisme : « Le populisme s’exprime aujourd’hui de deux manières : des votes en progrès constant en faveur de partis nouveaux venus qui appellent à en finir avec la caste des partis installés et, dans le même temps, une forte abstention de la part de citoyens qui se désintéressent de la politique et "n’y croient plus" » (p.61). Il ajoute : (« … mais ça veut dire aussi que plus de 55% des citoyens ont déserté la politique ou adoptent des positions populistes », (p.62). Faire de l'abstentionnisme une manifestation de populisme me semble assez curieux.

Personnellement, je ne suis pas sûr que le mot "populisme", devenu peu ou prou un cliché en bonne et due forme, soit pertinent ou puisse être d’une grande utilité opérationnelle dans l’analyse. Car je crois que la menace qui pèse sur la démocratie est différente : pour se limiter au cas français, j’ai la conviction que le Front National et l’abstention sont, en avers et revers inséparables, le symptôme d’un seul mal, beaucoup plus profond : la déliquescence morale de la classe dirigeante en général et du personnel politique en particulier. Je ne connais pas assez la situation dans les pays voisins pour me prononcer.

C’est ne rien apprendre à personne que de dénoncer l’insane médiocrité d’une large majorité du personnel politique français, choisi par cooptation après contrôle méticuleux des allégeances, des servilités et des performances administratives, affligé d’une effrayante courte vue, obsédé par l’unique souci de sa réélection, soumis à toutes sortes d'influences inavouées et de pressions intéressées dans la prise de décision et, plus gravement, incompétent parce qu’incapable d’agir sur la réalité et sur la marche des choses pour le bien du plus grand nombre. S'ajoute à cela la frontière de plus en plus floue entre une "droite" et une "gauche", entre deux camps qui font semblant de s'opposer sur des "valeurs", qui se croient de ce fait tenus d'entrer dans des rôles obligés, ce qui les amène, une fois au pouvoir, à défaire ce que l'autre a fait et, le reste du temps, à théâtraliser leurs gesticulations.

Les politiciens, en désespoir de cause, se sont rabattus de l’action sur le discours, le fétichisme des mots, l’incantation et la "communication" (les fameux "éléments de langage"). Les politologues, politistes et éditorialistes peuvent ensuite tout à leur aise constater l'incapacité à proposer ce qu’ils appellent niaisement un « grand récit » (mythe national, si vous voulez). A partir du moment où vous désignez ainsi la nation, ce grand principe d’appartenance, d’identité et d’unité, vous montrez que vous n'y croyez pas un instant, vous conceptualisez et vous rendez impossible la narration d’un quelconque "grand récit", au motif que le moindre historien, soucieux d’historicité scientifique, aura beau jeu de pointer les insuffisances et l’incomplétude du récit proposé. Sans même parler des rivaux dans la conquête du pouvoir : quand on sait qu’on nous raconte une histoire, on attend, au mieux, de la littérature, en aucun cas de l’action politique. 

L’entité « FRANCE » (l’identité nationale des Français), si elle a une réalité, tient, pour une large part, de la fiction. Et cette fiction a besoin d’une volonté et d’une adhésion, c'est-à-dire avec une croyance, plutôt qu’avec un savoir estampillé par l’Université. Pour que cette fiction ait une chance d’être collectivement éprouvée en réalité, il ne faut pas être trop intelligent ou savant : parler ici de « mythe » ou de « grand récit », si c’est scientifiquement plus exact, c'est désigner tout le fictif de l'affaire ; c’est en soi dévitaliser la chose, en la renvoyant dans les antiquités primitives. Moi qui suis plutôt un "intellectuel" (à ne pas confondre avec "intello"), je crois ne pas méconnaître la force d'entraînement que constituent la croyance, la foi, l'adhésion.

Donner de l’autorité au savoir universitaire en la matière, c’est déjà une démission du politique : la politique n'est pas de l'ordre du savoir. Le responsable a-t-il le droit de confier les manettes à des "experts" ? La croyance, pour être efficace et valide, a besoin, sinon d’une adhésion unanime, du moins de ne pas être constamment un objet de débat ou de dispute entre doctes : René Girard dit avec force que le sacrifice, pour ressouder valablement le corps social, nécessite la pleine adhésion d’une croyance exaltée. Pour "faire société", il ne faut pas s'en remettre à l'intelligence pieds et poings liés. Je me demande si le problème dans lequel la France donne aujourd’hui l’impression de se dissoudre ne se situe pas à cet endroit. Il faut comprendre qu'il n'est pas nécessaire de tout comprendre pour établir les conditions de la "bonne vie en commun". 

C’est là qu’Yves Michaud, me semble-t-il, se trompe : « Qu’il s’agisse de l’identité des personnes, des groupes ou des choses, il n’y a pas de substantialité de l’identité. Toute identité est une construction et une fiction » (p.159). Tout à fait d’accord, et je viens de le dire. Malheureusement, le problème n’est pas là : pour être français, il ne suffit pas d’une carte d’identité, encore faut-il y croire, encore faut-il se sentir français. Malheureusement, ce n'est pas mesurable, et sans doute pas conceptualisable. Bien sûr, il est vain de tenter de lister les items qui constituent notre identité. L’identité est un tissu serré, en chaîne d’une foule de traits d’appartenance, en trame d’une foule de traits de différenciation, dont dix ans de psychanalyse écouent à faire l'inventaire. Il n'existe pas deux identités superposables.

Ce n’est donc pas à ce niveau qu’il faut chercher. Il suffit de se rappeler la foire d’empoigne à laquelle a donné lieu le débat sur l’identité nationale suscité en son temps par Nicolas Sarkozy, pour se rendre compte que, s’il est effectivement impossible de dessiner avec exactitude le portrait de l’identité française, les réactions exacerbées auxquelles le débat a donné lieu ont amplement montré qu’on touche, en abordant la question, à un point névralgique, absolument crucial. 

Et je me demande si ce point, loin d’être cantonné dans la sphère rationnelle, n’a pas quelque chose à voir avec – excusez le grand mot – l'ordre du « sacré ». L’identité française ne peut certes pas être définie en détail, mais constatons quand même qu’il ne faut pas trop y toucher, sous peine de se faire mordre : je n’interprète pas autrement la réaction outragée de Jacques Chirac, lorsque la Marseillaise avait été sifflée (par qui, on se demande) en préambule à un match de football opposant la France à l’Algérie. 

Et je me demande si le mal français ne prend pas sa source, précisément, dans le fait que l’idée française, l’identité française, l’idée de la nation française a déserté massivement l’esprit de notre classe dirigeante en général, et de notre personnel politique en particulier (Chirac étant l'exception). Nos élites à profil de premier-de-la-classe semblent ne plus y croire et avoir définitivement abandonné l’idée que les carrières politiques doivent être mises au service de quelque chose de plus grand que les hommes qui s’y engagent.

On peut bien ressortir du placard le moulin à prières pour en appeler aux mânes de De Gaulle. Il avait beau être de grande taille (1,92 m., si je me souviens bien), De Gaulle se considérait comme plus petit que la France. Il mettait la France au-dessus de lui. Qui est aujourd'hui à la hauteur de cette "petitesse" ? Donnez-moi une classe politique qui soit à cette hauteur-là, capable de modifier le réel dans un sens favorable aux hommes, et vous verrez le Front National repasser dans l'autre sens à la trappe dont il est sorti. Et les électeurs revenir aux urnes en masse.

C'est De Gaulle qui était dans le vrai.

Voilà ce que je dis, moi. 

A suivre ...

Note : oui, je sais, c’est moins un compte rendu du livre d’Yves Michaud qu’une réflexion suscitée par la lecture, ô combien stimulante, de Contre la Bienveillance

jeudi, 05 novembre 2015

NE PAS DERANGER

 

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Hommage à René Girard, qui vient de rendre son tablier, qui a fini par se résoudre à plier ses cannes. Je n'oublierai pas le choc tectonique que fut pour moi la lecture de La Violence et le sacré, d'une érudition ébouriffante. C'était dans les années 1970. Même si on peut être agacé par la prétention de l'auteur à donner à sa théorie du désir mimétique, et sur un ton de certitude péremptoire, une dimension tellement englobante que Freud, avec toute sa psychanalyse, pouvait aller se rhabiller.

mardi, 23 avril 2013

QUE FAIRE AVEC LE MAL ? (4)

 

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UN QUI L'A OUVERTE, SA GUEULE

(DESSIN DU REGRETTÉ PIERRE FOURNIER)

***

Je disais donc du bien de La Violence et le sacré, grand livre de René Girard, et je laissais entendre qu’ensuite, ça se gâtait. Mais on peut déjà faire un reproche à l’auteur, à propos de son maître-livre, c’est de ne pas se prendre pour  un flacon d'urine éventée. Franco de port, il ne vous l’envoie pas dire : sa théorie du désir mimétique et de la victime émissaire est tout simplement "révolutionnaire". Elle envoie à la poubelle, en même temps qu’aux oubliettes, toute la psychanalyse de Papa Freud.

 

Mieux : elle l’englobe ! Pour vous dire la supériorité de son « pouvoir heuristique », comme on dit à l’université, pour dire qu’une théorie parvient à expliquer d'un seul jet homogène un ensemble de phénomènes éparpillés, que l’état précédent des connaissances ne permettait d’aborder qu’en ordre dispersé.

 

Remarquez que j’avais demandé (c’était entre deux portes, il est vrai) au père Denis Vasse, psychanalyste renommé, ce qu’il pensait des travaux de René Girard. Il m’avait regardé, puis m’avait répondu (je cite de vieille mémoire et en substance) : « Mais c’est qu’il ne s’occupe de rien de ce que nous faisons ». Circulez, y a rien à voir ! Un partout la balle au centre.

 

J’aurais quant à moi tendance à me méfier davantage de Girard que de la psychanalyse, et pour une raison précise : avec, et surtout après la publication de Des Choses cachées depuis la fondation du monde, il a viré au militant chrétien. Je précise que Denis Vasse était prêtre jésuite, mais n'a jamais confondu sa foi avec les choses de la science. Je n'en dirai pas autant de Girard. Chacun fait ce qu’il veut, mais quand on est militant, cela jette un drôle de jour sur l’objectivité des savoirs établis à l’université, qui sont davantage faits pour enrôler les adeptes d’une croyance que pour former des esprits à la méthode scientifique.

 

Je ne prendrai comme exemple que Judith Butler, militante avouée de la cause lesbienne, avec sa théorie du « genre ». Soit dit par parenthèse, on peut s’étonner que les affirmations qui forment le socle du « genrisme », et qui enfoncent les vieilles portes ouvertes du vieux débat « nature / culture », aient contaminé aussi facilement autant de soi-disant bons esprits, dotés d'un soi-disant bon sens, lui-même soi-disant rassis.

 

On s’étonne moins quand on voit que la théorie du genre sert de drapeau à tous les militants de la « cause » homosexuelle : nulle objectivité là-dedans, mais une arme, et une arme aux effets dévastateurs, car son champ d’action est le langage lui-même, le sens des mots et la façon dont ils désignent les choses. Les adeptes, ici, obéissent au raisonnement : « Puisqu'on ne peut pas tordre les choses, commençons par tordre les mots ». Et on peut dire qu'ils ont réussi, au-delà de toutes leurs espérances, à les tordre, les mots. Regardez ce qu'ils font aujourd'hui, au nom de l' « ÉGALITÉ » !

 

Revenons à René Girard et à Des Choses cachées …. En dehors des salades que l’auteur commence à débiter sur la supériorité du christianisme, je garde de la lecture de ce gros bouquin le souvenir d’une idée qui me semble encore étonnante de pertinence : à observer les bases du christianisme à travers une grille de lecture « sacrificielle » (le rite religieux conçu et mis en œuvre pour expulser d’une communauté humaine la violence accumulée, dangereuse pour sa survie, en la déviant sur un seul individu), Jésus Christ apporte une innovation radicale.

 

Si j’ai bien tout compris, la mort du Christ sur la croix est le premier sacrifice raté, le premier sacrifice qui échoue à rétablir la paix dans la communauté dont il devait raffermir la cohésion. En tant que sacrifice humain comparé à tout ce qui s’est pratiqué et se pratique dans les sociétés, primitives ou non, la mort du Christ est un ratage complet. Le dernier des sacrifices humains, si l’on veut, du fait qu’il est le premier sacrifice inefficace. Et en même temps, il s’avère comme façon radicalement nouvelle d’envisager le Mal.

 

Un ratage, pour la raison très simple que la victime est reconnue et déclarée innocente, alors que la « bonne » victime est celle sur la tête de laquelle s’est concentré tout le Mal accumulé, et dont toute la communauté doit pouvoir dire qu’il était juste de la tuer, au motif qu’elle était coupable.

 

Le message du Christ, de ce point de vue, est clair : s’en prendre à un individu innocent, et croire ainsi expulser hors de soi le Mal,  c’est commettre une injustice, voire un crime. Ce n’est pas parce que vous tuez un homme (choisi ou non au hasard) que vous chassez le Mal de la communauté. A cet égard, je suis bien obligé de reconnaître que la base du christianisme constitue une avancée décisive sur ce qu’on appelle la « mentalité primitive ». Le Christ est le premier à dire que le Mal est au-dedans de chacun, et que pour le rejeter au-dehors, il faut s’y prendre autrement.

 

On dira ce qu’on veut, mais c’est un vrai Progrès.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

lundi, 22 avril 2013

QUE FAIRE AVEC LE MAL ? (3)

 

COLEO 28 APION.jpg

POEME :

IL EST PAS MIGNON,

MON PETIT APION ?

ET MON P'TIT MORPION,

IL EST PAS TROGNON ?

MORPION 2.jpg

(ceci est la photo d'un morpion accroché à deux poils)

***

La « confession à la chrétienne » fut pendant des siècles le moyen mis au point par l’Eglise catholique pour expulser le Mal hors de l’âme des individus (et je ne parle pas de la messe). Mais aujourd’hui, il y a bien peu d’Eglise catholique (trop de gens voudraient la voir disparaître, elle est d'ores et déjà réduite au rôle de "groupe identitaire" parmi d'autres), encore moins de confession chrétienne. La question se pose : que faire avec le Mal ?

 

Il ne faut pas se leurrer : aucune société ne peut ne pas se poser la question. La preuve, c’est que toutes se la sont posée. Quelques-unes fonctionnent encore avec des institutions dédiées à cette tâche : les Dogons, par exemple, malgré les assauts conjugués des touristes, de l’argent et des marchandises en plastique, maintiennent encore un arsenal de croyances destiné à maintenir l’ordre dans l’ordre du monde, et à le rétablir en cas de besoin par toutes sortes de procédures compliquées (voir les ouvrages de Germaine Dieterlen, et surtout les entretiens de Marcel Griaule avec Ogotemmeli dans Dieu d’eau, 1948).

 

Quand l’idée est venue aux hommes qu’il était possible de chasser le Mal, ils ont inventé tout un tas de gestes et de cérémoniaux : ils ont arraché le cœur d’un semblable, ils ont précipité un semblable dans le feu ou dans l’eau, ils lui ont fait subir toutes sortes de tourments. Le semblable en question s’est appelé la victime. C’est sur celle-ci que se concentraient tous les maux accumulés.

 

Il est couramment admis de désigner aujourd'hui la victime sous le nom de « bouc émissaire » : attaché au milieu du village, le dit bouc recevait toutes sortes d’ordures, les paquets de boue et de fange dont s’allégeaient les habitants, puis il était bouté hors du village, bien loin dans le désert. Il paraît que ça se passait chez les juifs de l’antiquité. Avouez que c’est mieux qu’un sacrifice humain, bien que le spectacle perde en palpitant, comparé à un bon vieux sacrifice juteux et saignant.

 

Mais un rite ne dépend pas de ce qu’on y fait ou du protocole auquel il obéit : il s’agit avant tout, pour le rite et son responsable (prêtre, sorcier, chaman, ...), d’être efficace. Si la population, après le cérémonial, est effectivement libérée de tout le poids de Mal accumulé, elle n’en demande pas plus, pour recommencer à vivre. Le rite a marché.

 

René Girard a écrit là-dessus un livre génial : La Violence et le sacré (1972). Je ne vais pas vous réciter tout ça, je vais vous le faire  en bref et en simplifiant. Grosso modo, pour désirer quelque chose, un individu doit attendre que ce quelque chose lui soit désigné par quelqu’un comme étant désirable : si A désire X, B a raison de désirer X à son tour. Peut-être parce qu'il voudrait bien être comme A. C’est ce que Girard appelle « désir mimétique ».

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Je continue : dans un groupe, à force que les gens désirent les mêmes choses, ils deviennent à la fois des rivaux et des répliques les uns des autres. Pendant qu'à force de rivaliser, le destin des rivaux est, à terme, de se foutre sur la gueule, à force de désirer la même chose, le destin des rivaux est de devenir mécaniquement semblables les uns aux autres. C’est ce que Girard appelle « indifférenciation violente ». J'espère que vous suivez.

 

A force de monter entre des individus rivaux, la tension finit par produire la violence. Et comme cette violence risque d’aboutir à l’anéantissement de la collectivité en tant que telle (cela s’est vu par exemple chez les Iks, nord-est de l’Ouganda), les sociétés, pour se protéger et se pérenniser, ont élaboré, au fil de l’histoire, des protocoles expérimentaux dont le seul but était d’empêcher le massacre généralisé. On a appelé ça des « rites ». Lorsque le potentiel de violence atteint le maximum supportable, un mécanisme (la « crise sacrificielle » de René Girard) se déclenche pour rétablir la paix entre tous. C’est le moment du sacrifice proprement dit.

 

Pour que le sacrifice ait lieu, il faut que quelque chose soit sacrifié. C’est parfois quelqu’un. Les Grecs appelaient ce quelqu’un le « pharmakon » (mot qui signifie aussi bien « poison » que « remède »). René Girard multiplie les références à des peuplades exotiques, où un roi était élu à l’unanimité, mais qui était à terme destiné à jouer le rôle du pharmakon : être un jour sacrifié. Et ça marchait (enfin, c'est ce qu'on dit) ! Le pauvre roi commençait par être sacralisé, honoré, mais il devait finir dans la marmite : être brûlé après avoir été adoré, c'est dur !

 

L’important était que se produisît un « unanimité violente » contre la victime désignée. Le sacrifice de la « victime émissaire » n’est efficace qu’à condition d’unanimité : le bouc émissaire, s’il réussit à concentrer sur lui seul toute la violence contenue et retenue jusque-là dans la population, à ce moment précis, tout va bien. Ite missa est. Deo gratias. Allez en paix, et revenez dans un an. Le rituel d’élimination du Mal a rempli sa tâche : maintenir la force du « vivre ensemble ».

 

On pensera ce qu’on veut de l’hypothèse de René Girard, mais je crois qu’elle mérite attention. Au fond, elle repose tout entière sur cette autre, qui veut que nulle personne humaine ne désire quelque chose qui ne lui ait pas été désigné auparavant comme désirable par quelqu'un d'autre. C'est plausible, mais ... 

 

Malheureusement ça se gâte ensuite.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

lundi, 19 novembre 2012

MAUVAIS GOÛT ET LIBERTE D'EXPRESSION

Pensée du jour :

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"SOUPIRAIL" N°6

 

« On s'occupe beaucoup de gagner du temps. A-t-on raison ? C'est autre chose. Tout le monde sait l'histoire du Chinois qui demandait au policeman le chemin de la gare : "Première à droite, deuxième à gauche, lui répondit le policeman. Mintenant si vous voulez passer par les petites rues, vous pouvez gagner vingt minutes." "Et qu'en ferais-je ? " demanda le Chinois qui se hâta lentement de passer par le plus long ».

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

 

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N°418 - 1978

HARA KIRI fut une grande revue du paysage français, de son n°1 (septembre 1960) à son n°291 (décembre 1985). Les moutures suivantes (jusqu'à la sixième !) ne furent que des survivances, d'abord portées par le Professeur CHORON (GEORGES BERNIER), qui s'éteignirent doucement, même si le titre paraît toujours. Les cibles préférées ? Le SEXE, la RELIGION, la RACE.

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CHARLIE HEBDO N°73 - 1972

Enfin pas exactement : je devrais dire tous ceux qui se prenaient très au sérieux sur chacun de ces sujets, autrement dit les militants dans leur ensemble, à commencer par les militants du SEXE (tout ce qui gravite autour du féminisme et de l'indifférenciation sexuelle), les militants de la RELIGION (là, ils s'en donnaient à coeur joie, que ce soit le croissant, la croix ou l'étoile), les militants de la RACE et des grands sentiments antiracistes, tiermondistes et masochistement universalistes. Et principalement sous l'angle de la BÊTISE qui en accompagne les manifestations dans les discours de ceux qui ont accès aux médias.

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N°179 - 1976 

Je me rappelle distinctement la publicité pour Hara Kiri diffusée à la radio (Europe 1) à une époque : « Si vous ne voulez pas l'acheter, eh bien volez-le ! ». C'était gonflé, mais ça ressemblait trait pour trait à l'esprit de la revue. Et puisqu'on parle publicité, c'est à l'équipe d'Hara Kiri qu'on doit ce slogan définitif, qui a le compact, le brillant et le tranchant de la pierre d'obsidienne : « La publicité nous prend pour des cons ! La publicité nous rend cons ! ». 

 

 

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1975

Pour donner une idée de ce que fut le ton Hara Kiri, et surtout ce qui en sépare l’époque de la nôtre, je me propose juste, aujourd’hui, de montrer quelques couvertures du mensuel (1ère et surtout 2ème génération), dans sa version initiale, et dans sa version hebdomadaire, qui s’y est substituée quand il a fallu remplacer dans l’urgence le défunt HKH (Hara Kiri Hebdo), étranglé pour cause de crime de « lèse-général-DE-GAULLE ».

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N°205 1978

 Posez-vous juste la question : combien y aurait-il de procès pour « diffamation, antisémitisme, islamophobie, outrage à la pudeur, incitation à la haine raciale, incitation à l'alcoolisme, incitation à la discrimination,  incitation à la violence, etc ... », si de telles couvertures étaient publiées aujourd'hui ?

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1977 

HKH 94 1970.jpgJ’imagine d’ailleurs que l’équipe de CAVANNA, CHORON et compagnie ont dû sacrément se fendre la pipe en conférence de rédaction, quand la formule assassine est sortie : « Bal tragique à Colombey : 1 mort ». DE GAULLE est mort le 9 novembre 1970. 

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N°203 1978

Or il faut savoir que le 1ernovembre 1970, une boîte de nuit a brûlé à Saint-Laurent-du-Pont (Isère), au milieu de la nuit. Bilan : 146 morts quand même, ce qui n’est pas négligeable et fit donc les gros titres.

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N°1 - 23 NOVEMBRE 1970

Tout le monde aurait oublié le drame si une équipe d’hurluberlus n’avait eu l’idée de mettre en couverture de leur hebdomadaire contestataire une sorte de synthèse des deux événements, dans la formule ramassée désormais immortelle : «  BAL TRAGIQUE A COLOMBEY : UN MORT ».

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1979

Le dernier numéro de la revue Hara-Kiri Hebdo est donc sorti le 16 novembre 1970. L’équipe, pour remplacer aussitôt le titre défunt, se tourna vers le cousin – exclusivement consacré à la bande dessinée – Charlie (mensuel), lui accola le suffixe « hebdo », et le tour fut joué : l’aventure pouvait se poursuivre. On ne changeait rien.

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1980 : COLUCHE CANDIDAT A LA PRESIDENTIELLE DE 1981

L’équipe a pété des flammes pendant une vingtaine d’années. La plupart des membres en sont connus : CAVANNA le rital, REISER, mort trop tôt, GÉBÉ (GEORGES BLONDEAUX), CABU, WOLINSKI, DELFEIL DE TON, WILLEM et, last but not least, GEORGES BERNIER, alias Professeur CHORON. Il y avait aussi un certain PIERRE FOURNIER, qui mérite de rester dans les manuels d’histoire comme fondateur d’une revue fondatrice, j’ai nommé La Gueule ouverte.

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N°416 1978 WOLINSKI

Tous les « écologistes » actuels doivent, qu’ils le sachent ou non, quelque chose, d’une part, à RENÉ DUMONT, et d’autre part à PIERRE FOURNIER. Je salue la mémoire de cet homme, mort brutalement (si je me souviens bien), qui fut un élément moteur dans les débuts de l’écologie (que j’appellerai « combative » plutôt que « militante », une écologie de conviction, et pas encore de parts de marché électoral). Passons.

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N°248 1975 WOLINSKI

Moi, si on me demandait de résumer l’esprit Hara Kiri, je dirais « déconnade et provocation », d’un côté, et de l’autre « imagination et liberté ». J'ajouterais : « transgression», parce qu'à cette époque, le mot avait encore une signification.

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N°335 1977 REISER

L’éteignoir qui s’est abattu depuis deux décennies sur l’expression libre a creusé une sorte de « Fosse des Mariannes » entre les extensions policières (extérieures et intérieures) de notre présent et les effervescences de l’époque Hara Kiri.

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N°242 1975 GÉBÉ

Tout le « mauvais goût », c’est-à-dire tout ce qui a quelque chance de heurter la sensibilité bourgeoise, assimilée au conformisme le plus sourcilleux, constitue la pâture privilégiée de l’équipe Hara Kiri. Je passe sur le cynisme de CHORON, qui a profité de la naïveté des autres en ce qui concerne les affaires pour s’approprier la marque.

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N°303 1976 REISER (EN 2012, IL N'Y A RIEN A CHANGER)

Mais DELFEIL DE TON a raconté quelque part par quels détours malpropres CHORON, dans les débuts, se procurait l’argent nécessaire auprès d’une vieille et riche rombière, séances dont il avait la lucidité de revenir dégoûté. En matière de mauvais goût, CHORON était un connaisseur, un praticien, un expert. J’imagine que c’est à lui qu’on doit les pires « visuels » publiés dans la revue.

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N°266 1975

Le mauvais goût a, par bonheur, été rayé par la « Raison morale » de toutes les tablettes de toutes les publications illustrées offertes à l’appétit des chalands friands, obligés de se rabattre sur les « créneaux spécialisés » et autres ghettos, souvent payants, voire clandestins. Sans doute de façon à retrouver les joies de la transgression, j’imagine.

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N°366 "COMMENTAIRE", SI L'ON VEUT, DE LA VISITE DE SADATE A BEGIN EN 1977

C’est le tableau d’une époque qui fut. Et qui n’est plus. Qu’on se le dise, l’heure est à l’égalité de TOUS devant TOUT. RENÉ GIRARD, dans son analyse de La Violence et le sacré, fait de l'indifférenciation généralisée une étape préalable à la généralisation de la violence. S'il a raison, ça promet ! 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

samedi, 21 janvier 2012

ET UNE TÊTE DE ROI SAUCE GRIBICHE !

Résumé : la « décollation » (c’est comme ça qu’on dit) de LOUIS XVI a créé de l’irréversible. Je voulais évidemment marquer la date mémorable du  21 JANVIER 1793.

 

 

 

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UNE TÊTE DE LOUIS XVI 

 

Comment en est-on arrivé là ? On n’est pas au cours d’histoire. Mais il y a quand même un truc qui me frappe. Lors de la Révolution, les députés qui entendaient changer quelque chose à l’ordre des choses se sont assis les premiers dans la partie gauche de l’hémicycle. Ceux qui voulaient le conserver plus ou moins tel quel, dans la partie droite. C’est depuis ça qu’on parle de « droite » et de « gauche ». Je parle de l’aspect général, pas des détails, des nuances et des moments.

 

 

Tout le 19ème siècle a vu cet affrontement (1848, 1871, affaire Dreyfus, laïcité, …). Il ne faut pas s’imaginer que l’ordre ancien se laisse badibulguer sans résistance. Parce que 360 bonshommes, c’est un tout petit peu moins de la moitié des voix, mais ils ne vont pas sans regimber se laisser guillotiner par 361 régicides. Chez les loups, les vrais, on est bien plus avisé : le moins fort adopte rapidement la position de soumission. La Révolution n’a certes pas inventé la guerre sociale, mais elle l’a drôlement structurée, je trouve.

 

 

J’ai en effet l’impression que toute l’histoire récente (1789 en général et 1945 en particulier) de la France a dépendu de cet abîme creusé entre deux France antagonistes par ceux qui ont raccourci le roi en 1793. Comme si la Révolution avait définitivement crispé deux muscles dans un bras-de-fer éternel entre le bras droit et le bras gauche du même corps. Bon, on va dire que je suis en train d'inventer l'eau tiède. J'avoue, mais attendez la fin quand même.

 

 

Je n’en suis pas à dire « Embrassons-nous Folleville » (EUGÈNE LABICHE) ! Je ne suis même pas loin de penser que ce ne sont pas deux bras d’un même corps, mais attachés aux troncs de deux individus différents, qui revendiquent chacun la possession d’une seule identité : la leur. J’ai l’impression que, depuis la Révolution, c’est l’identité française qui est divisée et qui dit : « Ma main droite te caresse, et ma main gauche te gifle ».

 

 

Parce que la Révolution, ça a été drôlement indécis, si on regarde la durée, rien que depuis les Etats-Généraux jusqu'au 9 Thermidor : 5 ans. CINQ ANS ! Les « révolutionnaires arabes » qui la ramènent, c’est rien que des blancs-becs. On verra dans quatre ans, tiens, où ils en sont. Je me dis que les nôtres, c’est un peu comme des couvreurs qui, en zigouillant le roi et tout le paquet de sacré qui allait avec, auraient eux-mêmes fait tomber l’échelle avec laquelle ils sont montés sur le toit : pour redescendre sur terre, il ne reste plus qu’à sauter. Dans l’inconnu.

 

 

En 1793, l’échelle, c’est la tête du roi. C’est un raisonnement du genre « tout ou rien ». Du genre « pacte de sang » : tous complices, donc tous solidaires. Aucun rachat possible. Si c’est une faute, elle est inexpiable. Sinon, on appellera ça un « acte fondateur ». Un peu comme le meurtre rituel du roi chez les « primitifs », dont parle RENÉ GIRARD dans La Violence et le sacré. Le meurtre qui unifie tous les membres de la nation.

 

 

Sauf qu’ici, on est dans un schéma « mythe contre mythe ». La Révolution contre l’Ancien Régime. Le nouveau mythe (la République) n’a pas arraché les racines de l’ancien (le Roi), et pour cause : quoi que tu fasses, le second fait partie du passé collectif. Difficile de s’amputer ou de se déraciner soi-même. Comment unifier les contraires ? ALFRED JARRY a accompli l’exploit de cet oxymore réalisé (dans la ’pataphysique). Mais la gauche et la droite, ce n’est pas envisageable.

 

 

 

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ALFRED JARRY, INVENTEUR DE LA 'PATAPHYSIQUE

GRAVURE SUR BOIS DE FELIX VALLOTTON 

 

Que serait-il arrivé si le roi n’avait pas été décapité ? Là, tu m’en demandes trop. Peut-être que ses partisans, aidés de tous ses « cousins » couronnés d’Europe, auraient eu la peau des Révolutionnaires. Va savoir. Et on ne serait peut-être pas là pour en parler. Toujours est-il que, depuis, droite et gauche demeurent irréconciliables. Je sens que je vous apprends quelque chose, non ?

 

 

La seule solution, c’est de dissoudre. Quoi ? Mais précisément : la gauche et la droite, voyons ! S’il n’y a plus ni gauche ni droite, où sera le problème ? C’est comme le cercle de BLAISE PASCAL et de quelques autres qui l’ont précédé : le centre est partout, la circonférence nulle part. Dit autrement : tout est dans tout, et réciproquement.

 

 

Mais dis-moi au moins, blogueur patafiolé, dissoudre, pourquoi pas, mais par quel miracle ? Mais, cher lecteur, par le miracle de l’économie de marché, de la concurrence « libre et non faussée » et de l’Ecole Nationale d’Administration, que toutes les planètes habitées nous envient. Les révolutionnaires n’avaient rien compris. Ils croyaient que leurs idées devaient triompher, et ils étaient prêts à se faire étriper pour ça. C’est fini. Maintenant que MARX a définitivement perdu la bataille, et même la guerre, c'est fini.

 

 

Tu élimines les idées, autrement dit, tu fais de la politique sans politique, et tu apprends aux futurs politiciens à bien gérer, à bien administrer les affaires d’un pays. Tu les mets sur les mêmes bancs de la même école. Ils apprennent les mêmes choses, à s’apprécier, à se tutoyer. Tant que la « politique » ne s’apprenait pas à l’école, c’est sûr, le pire était à craindre, le pays à feu et à sang et tout ça.

 

 

On a remédié à cette tare : ils ont tous appris à « gérer » les affaires. C’est le service comptable qui est aux commandes. Elle est bien oubliée, la tête du roi. Elle ne peut même plus servir d'épouvantail. Elle est devenue, au sens propre, INSIGNIFIANTE. Et la droite et la gauche ont cessé d’être des adversaires, voire des ennemis, et ne sont plus que des rivales dans la conquête et la conservation du POUVOIR. La gestion a eu raison des idées politiques. Maintenant, "gauche" et "droite" sont de simples éléments d'un décor de théâtre.

 

 

La mort du roi LOUIS XVI, aussi longtemps que j’ai cru qu’on était en République, je l’ai fêtée dignement, commémorée fidèlement, célébrée pieusement, évoquée religieusement. Et joyeusement, s’il vous plaît. Avec le saucisson (ou la tête de veau gribiche) et le vin rouge républicains, s’il vous plaît. Et le bonnet phrygien de rigueur. Avec la fanfare, la clique et l’harmonie pour le « ça ira », « la carmagnole » et tout le saint frusquin.

 

 

Et puis voilà que, maintenant, je me demande ce qui m’arrive, je n’ai plus le cœur à ça. Fini, vidé de sa substance, le 21 janvier. Qu’est-ce qui m’arrive ? Me voilà comme GEORGES BRASSENS le 22 septembre : « Un vingte-deux septembre, au diable vous partîtes, et depuis, chaque année, à la date susdite, je mouillais mon mouchoir en souvenir de vous. Or nous y revoilà, et je reste de pierre, pas une seule larme à me mettre aux paupières. Le 22 septembre, aujourd’hui, je m’en fous ».

 

 

 

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Voilà, c’est arrivé. J’ai mis le temps, vous me direz. Certes. Je n’ai même plus envie d’aller me foutre de la gueule des royalistes et de leur messe commémorative, avec leur folklore, leur latin et leurs déguisements. La technique, la finance et le spectacle ont pris le pouvoir. Plus besoin des idées politiques. Et la mort de LOUIS XVI, aujourd’hui, je m’en fous. Et après tout, pourquoi pas royaliste ?

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

 

mercredi, 06 juillet 2011

VICTIME : UN METIER D'AVENIR !

SUITE ET FIN

 

Maintenant la notion de victime. Le grand René Girard en a beaucoup parlé. Il en a même fait le centre (ou le point de départ) de sa théorie. Il a commencé dans Mensonge romantique et vérité romanesque, continué dans La Violence et le sacré. Après, je l’ai abandonné. A partir de Des Choses cachées depuis la fondation du monde. Je dirai pourquoi.

 

Pour faire clair et court, dans tous les groupes humains, chacun ne désire qu’un objet déjà désigné comme désirable par un autre. C’est la notion de « désir mimétique ». Dès lors, s’ensuit une rivalité mimétique du désir. Cette rivalité se répand de proche en proche, par  « contagion », jusqu’à entraîner une « violence mimétique », qui augmente jusqu’à produire la « crise sacrificielle » : le groupe éprouve la nécessité de purger cette violence pour ne pas s’y autodétruire. C’est là qu’intervient la « victime émissaire », qui était de toute façon désignée pour ce moment. Par exemple un « bouc émissaire » chez les juifs de l’antiquité. On procède alors au rite du sacrifice, dans les formes, et la paix est alors restaurée, jusqu’à la prochaine fois.

 

Vous savez l’essentiel. J’avoue avoir été impressionné par ce livre, lu en 1977. Mais il m’a aussi « gonflé ». Girard est lui-même tellement impressionné par sa construction qu’elle devient la clé totale, qui ouvre toues les portes du mystère humain. Le dernier livre de lui (voir ci-dessus) que j’ai lu est une apologie du christianisme : il y soutient que la crucifixion de Jésus Christ est le premier sacrifice qui a échoué à restaurer la paix dans le groupe, les sacrificateurs se rendant compte que la « victime émissaire » n’était pas « émissaire », justement, mais innocente. Dès ce moment, l’humanité entre dans une ère nouvelle, promise au « salut ». Girard était mûr pour devenir professeur dans une université américaine. C’est évidemment ce qu’il a fait. Mais de tout ça, je retiens principalement que la victime, pour René Girard, a un statut d'une grande noblesse et dignité, et remplit une véritable fonction.

 

Car tout ça fait très intello. Redescendons un peu, et même beaucoup, à la hauteur des minuscules Sarkozy et Dati, qui n’ont aucune idée de ce qui précède, puisque l’œil fixé sur la seule prochaine échéance électorale. C’est net, pour brosser comme il faut le chien électoral, il est bon d’instrumentaliser la victime. C’est un « créneau porteur », comme on dit dans le marketing.

 

Parce que, quelque part, si personne ne se conçoit a priori comme un bourreau, tout le monde, quelque part, se sent un peu victime. « Quelque part au niveau du vrai cul. – Tu l’as dit bouffi ! » Cela crée une solidarité dans le malheur quotidien. Avec  Madame Michu, la voisine, ça fait un vrai sujet de conversation. Bon, c’est vrai que ce n’est pas le salon de Madame du Deffand. Mais la tendance est là : « C’est pas une vie la vie qu’on vit. – A qui le dites-vous, ma pauv’dame ! ».

 

Il y a, dans toute foule, une forme de solidarité spontanée avec la victime. Elle est prompte à crier « à mort ». Elle s’identifie facilement à la victime. A entendre les propos de taverne (ou « brèves de comptoir »), elle endosserait volontiers l’uniforme du bourreau.

 

C’est d’ailleurs pour ça que, dans les grands débats de société, il est souvent très pratique d’endosser l’uniforme de la victime. Pour jouer sur ce réflexe de solidarité spontanée. Présenter comme une grave injustice l’interdiction faite aux homosexuels de se marier en tant qu’homosexuels, cela permet de se poser en victime, et c’est très pratique.

 

Présenter l’Etat d’Israël comme victime de racisme et d’antisémitisme quand on le critique politiquement, c’est très pratique (voir, il n’y a pas si longtemps, le cas d’Edgar Morin). Présenter toute plaisanterie sur les femmes, les homosexuels ou les handicapés comme une atteinte  insupportable aux droits de ces personnes, elles-mêmes présentées comme des victimes (sexisme, homophobie et tout ça), c’est aussi très pratique.

 

Et pourquoi est-ce très pratique de se poser en victime, demandera-t-on ? La raison est très simple à comprendre : parce que ça autorise la victime à demander réparation. Ben oui, aujourd’hui, si vous racontez en public une blague, même mauvaise, sur les femmes, les juifs, les Arabes, vous allez voir tous les rapaces et les hyènes de toutes les « associations de victimes » se jeter sur vous pour se partager votre cadavre. C’est une image.

 

Ces associations se nomment LICRA, FIDH, Osez le féminisme, Les chiennes de garde, la fédération « LGBT », etc. Et elles se jettent sur vous par tribunal interposé. Elles portent plainte. Parce qu’on a fait les lois que toutes ces « victimes » réclamaient depuis longtemps, et qui leur permettent de se porter partie civile. Le moindre pet de travers ne doit pas rester impuni. Le glaive de la justice doit frapper.

 

On demande (on obtient) réparation du préjudice subi. Ici, ce sera une affiche de publicité « portant atteinte à la dignité des femmes ». Là, ce sera un propos montrant une intolérable intolérance à l’encontre des juifs, des Arabes, des homosexuels (rayer la mention inutile en fonction du cas rencontré). Tout cela doit être assimilé à de la délinquance. Le coupable doit payer.

 

L’irremplaçable Philippe Muray dénonce très souvent ce qu’il appelle « l’envie de pénal ». J’appellerais cela une tendance à la « pénalophilie ». Des juristes très sérieux s’inquiètent même de la dérive que cette omniprésence des « victimes » potentielles fait planer à court terme sur ce que les journalistes et politiciens appellent vilainement « le » vivre ensemble. Cela s’appelle « judiciarisation » de la vie en société. Bon, en France, les avocats ne sont pas encore, comme c’est le cas aux Etats-Unis, à faire du porte-à-porte pour s’enquérir des « préjudices » dont vous avez été « victime ». Mais la tendance est là. 

 

Allez ! Foin de pessimisme ! En route vers le « meilleur des mondes ».