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mercredi, 06 juillet 2011

VICTIME : UN METIER D'AVENIR !

SUITE ET FIN

 

Maintenant la notion de victime. Le grand René Girard en a beaucoup parlé. Il en a même fait le centre (ou le point de départ) de sa théorie. Il a commencé dans Mensonge romantique et vérité romanesque, continué dans La Violence et le sacré. Après, je l’ai abandonné. A partir de Des Choses cachées depuis la fondation du monde. Je dirai pourquoi.

 

Pour faire clair et court, dans tous les groupes humains, chacun ne désire qu’un objet déjà désigné comme désirable par un autre. C’est la notion de « désir mimétique ». Dès lors, s’ensuit une rivalité mimétique du désir. Cette rivalité se répand de proche en proche, par  « contagion », jusqu’à entraîner une « violence mimétique », qui augmente jusqu’à produire la « crise sacrificielle » : le groupe éprouve la nécessité de purger cette violence pour ne pas s’y autodétruire. C’est là qu’intervient la « victime émissaire », qui était de toute façon désignée pour ce moment. Par exemple un « bouc émissaire » chez les juifs de l’antiquité. On procède alors au rite du sacrifice, dans les formes, et la paix est alors restaurée, jusqu’à la prochaine fois.

 

Vous savez l’essentiel. J’avoue avoir été impressionné par ce livre, lu en 1977. Mais il m’a aussi « gonflé ». Girard est lui-même tellement impressionné par sa construction qu’elle devient la clé totale, qui ouvre toues les portes du mystère humain. Le dernier livre de lui (voir ci-dessus) que j’ai lu est une apologie du christianisme : il y soutient que la crucifixion de Jésus Christ est le premier sacrifice qui a échoué à restaurer la paix dans le groupe, les sacrificateurs se rendant compte que la « victime émissaire » n’était pas « émissaire », justement, mais innocente. Dès ce moment, l’humanité entre dans une ère nouvelle, promise au « salut ». Girard était mûr pour devenir professeur dans une université américaine. C’est évidemment ce qu’il a fait. Mais de tout ça, je retiens principalement que la victime, pour René Girard, a un statut d'une grande noblesse et dignité, et remplit une véritable fonction.

 

Car tout ça fait très intello. Redescendons un peu, et même beaucoup, à la hauteur des minuscules Sarkozy et Dati, qui n’ont aucune idée de ce qui précède, puisque l’œil fixé sur la seule prochaine échéance électorale. C’est net, pour brosser comme il faut le chien électoral, il est bon d’instrumentaliser la victime. C’est un « créneau porteur », comme on dit dans le marketing.

 

Parce que, quelque part, si personne ne se conçoit a priori comme un bourreau, tout le monde, quelque part, se sent un peu victime. « Quelque part au niveau du vrai cul. – Tu l’as dit bouffi ! » Cela crée une solidarité dans le malheur quotidien. Avec  Madame Michu, la voisine, ça fait un vrai sujet de conversation. Bon, c’est vrai que ce n’est pas le salon de Madame du Deffand. Mais la tendance est là : « C’est pas une vie la vie qu’on vit. – A qui le dites-vous, ma pauv’dame ! ».

 

Il y a, dans toute foule, une forme de solidarité spontanée avec la victime. Elle est prompte à crier « à mort ». Elle s’identifie facilement à la victime. A entendre les propos de taverne (ou « brèves de comptoir »), elle endosserait volontiers l’uniforme du bourreau.

 

C’est d’ailleurs pour ça que, dans les grands débats de société, il est souvent très pratique d’endosser l’uniforme de la victime. Pour jouer sur ce réflexe de solidarité spontanée. Présenter comme une grave injustice l’interdiction faite aux homosexuels de se marier en tant qu’homosexuels, cela permet de se poser en victime, et c’est très pratique.

 

Présenter l’Etat d’Israël comme victime de racisme et d’antisémitisme quand on le critique politiquement, c’est très pratique (voir, il n’y a pas si longtemps, le cas d’Edgar Morin). Présenter toute plaisanterie sur les femmes, les homosexuels ou les handicapés comme une atteinte  insupportable aux droits de ces personnes, elles-mêmes présentées comme des victimes (sexisme, homophobie et tout ça), c’est aussi très pratique.

 

Et pourquoi est-ce très pratique de se poser en victime, demandera-t-on ? La raison est très simple à comprendre : parce que ça autorise la victime à demander réparation. Ben oui, aujourd’hui, si vous racontez en public une blague, même mauvaise, sur les femmes, les juifs, les Arabes, vous allez voir tous les rapaces et les hyènes de toutes les « associations de victimes » se jeter sur vous pour se partager votre cadavre. C’est une image.

 

Ces associations se nomment LICRA, FIDH, Osez le féminisme, Les chiennes de garde, la fédération « LGBT », etc. Et elles se jettent sur vous par tribunal interposé. Elles portent plainte. Parce qu’on a fait les lois que toutes ces « victimes » réclamaient depuis longtemps, et qui leur permettent de se porter partie civile. Le moindre pet de travers ne doit pas rester impuni. Le glaive de la justice doit frapper.

 

On demande (on obtient) réparation du préjudice subi. Ici, ce sera une affiche de publicité « portant atteinte à la dignité des femmes ». Là, ce sera un propos montrant une intolérable intolérance à l’encontre des juifs, des Arabes, des homosexuels (rayer la mention inutile en fonction du cas rencontré). Tout cela doit être assimilé à de la délinquance. Le coupable doit payer.

 

L’irremplaçable Philippe Muray dénonce très souvent ce qu’il appelle « l’envie de pénal ». J’appellerais cela une tendance à la « pénalophilie ». Des juristes très sérieux s’inquiètent même de la dérive que cette omniprésence des « victimes » potentielles fait planer à court terme sur ce que les journalistes et politiciens appellent vilainement « le » vivre ensemble. Cela s’appelle « judiciarisation » de la vie en société. Bon, en France, les avocats ne sont pas encore, comme c’est le cas aux Etats-Unis, à faire du porte-à-porte pour s’enquérir des « préjudices » dont vous avez été « victime ». Mais la tendance est là. 

 

Allez ! Foin de pessimisme ! En route vers le « meilleur des mondes ».

mardi, 05 juillet 2011

VICTIME : UN METIER D'AVENIR !

« Le premier des droits de l’homme, c’est le droit des victimes ». Voilà : c’est carrément du lourd. On prend le boulet en pleine gueule ! Et apparemment, ELLE était à jeun quand elle a proféré l’énormité ci-dessus. ELLE était « à jeun » et « en fonctions » qui plus est. Qu’on se le dise, « Liberté », « Egalité », « Fraternité », c’est de la foutaise. Soyons modernes, que diable ! Désormais c’est : « Priorité aux victimes ! ». Mais on peut être « à jeun », « en fonctions » et complètement frapadingue en même temps.

 

 

ELLE ? Si vous suivez ce blog, reportez-vous à ma note du 3 mai dernier   intitulée SAINTE RACHIDA SCHOLASTIQUE. Oui, c’est bien elle, RACHIDA DATI en personne. Celle de quelques lapsus mémorables. Et quand elle a prononcé la phrase citée ci-dessus, elle était « sinistre de la justice », elle-même sinistrée par ses soins. Vous me direz qu’en prenant ostensiblement parti pour les victimes, elle n’a fait que suivre la voie tracée par NICOLAS SARKOZY lorsqu’il était « sinistre de l’Intérieur ».

 

 

Bon, victime, je n’aime vraiment pas, mais alors pas du tout. Je sais par exemple et par expérience ce qu’on ressent quand la maison est cambriolée, vidée de tout un tas de choses qui, à force de constituer le décor quotidien, sans même parler de leur valeur, finissent par constituer une partie des personnes qui habitent là, et pour qui c’est aussi violent qu’une amputation. Pour les autres façons d’être victime, je ne peux qu’imaginer.

 

 

La loi française fait d’ailleurs une place à la victime. Cette place s’appelle « partie civile ». Et la partie civile peut être représentée au procès, quand il a lieu, bien sûr, c’est-à-dire quand l’auteur présumé des faits a été retrouvé et qu’il comparaît. Et si les faits ne peuvent évidemment pas être effacés sur l’ardoise, la victime, tout en restant victime, peut demander réparation du tort causé.

 

 

Mais alors, puisque la loi définit le statut de la victime et prévoit le dédommagement, la question qui me vient est : « Pourquoi NICOLAS SARKOZY fait-il du bruit autour du mot ? ». La réponse est trop facile : parce que, pour être élu, il faut attirer le plus grand nombre, et que le plus grand nombre ne sait pas trop ce qu’il y a déjà dans la loi. Cela porte un nom vieux comme la démocratie : démagogie. Il s’agit de flatter. Donc de caresser dans le bon sens le pelage du bon chien qui va bientôt voter.

 

 

Alors, pourquoi RACHIDA DATI, maintenant ? Disons que, à part le fait qu’elle a des talonnettes A LA FOIS aux chaussures et à la mâchoire supérieure, rien ne la différencie du patron. C’est « copie conforme ».

 

 

Réponse au prochain numéro.

 

 

 

mardi, 24 mai 2011

ELOGE DE LA DISCRIMINATION

L'ETAT DES MENTALITES

 

Ce qui est grand n’est pas petit. Ce qui est bleu n’est pas vert. Ce qui est LÁ n’est pas ICI. Ce qui est loin n’est pas près. Ce qui est A n’est pas B. Ce qui est lourd n’est pas léger. Ce qui est dur n’est pas mou. Ce qui est vivant n’est pas mort. Ce qui est virtuel n’est pas réel. Ce qui est vrai n’est pas faux. Ce qui est devant n’est pas derrière. Ce qui est en haut n’est pas en bas. Ce qui est à gauche n’est pas à droite. Ce qui est jour n’est pas nuit. Ce qui est eau n’est pas terre. Ce qui est pointu n’est pas rond. Ce qui est lisse n’est pas rugueux. Ce qui est vertical n’est pas horizontal. Ce qui est pluie n’est pas soleil. Ce qui est chaud n’est pas froid. Ce qui est obscur n'est pas clair.

 

Bon, je commence à vous bassiner la cafetière, je sens. J’explique : je viens de faire une liste (minuscule) de discriminations, voilà. C’est une suite de 1 et 0 d’avant la logique mathématique, d’avant l’invasion par le numérique. Discriminer, ça veut dire faire la différence. Vous voulez un exemple ? On a entendu ça sur France Culture, le 24 mai 2011, au bulletin d’information de 7 heures. Ce n’est pas vieux. Un lieutenant colonel de réserve (français) analyse la nouvelle stratégie des forces internationales en Libye, qui consiste à y envoyer des hélicoptères de combat, forcément plus vulnérables que des avions. Ces hélicoptères, je cite : « permettent d’opérer une discrimination plus fine des cibles au sol ». C’est un spécialiste qui parle. Maintenant, je remonte un tout petit peu plus loin : le début de la "Genèse" dans la Bible. Qu'est-ce qu'il fait, Dieu ? Il sépare. Premier jour, il sépare la lumière et les ténèbres. Deuxième jour, le firmament sépare les eaux d'au-dessous des eaux d'au-dessus. Troisième jour, il sépare la Terre et la Mer. Quatrième jour, il sépare le jour et la nuit. Sixième jour, à son image, il créa l'humanité, en ayant soin de préciser : "mâle et femelle". Et après tout ce travail de séparation, il se repose. Si c'est pas de la discrimination, ça.

 

Le sort indigne qui est fait à ce noble mot de discrimination, le sombre destin qui est devenu le sien de nos jours devraient faire se dresser les cheveux sur la tête de ceux qui en ont, maladie contre laquelle je suis désormais vacciné. Comme d’autres termes dont j’ai déjà parlé (« phobie », « tolérance ») ou dont je parlerai (« racisme », « victime »), le temps présent range le bocal « discrimination » sur le rayon du Mal. A ce titre, il est intolérable, inacceptable, inadmissible. D’ailleurs, c’est fait : il est proscrit. Nous avons en effet, à présent, une H.A.L.D.E. La halde est un petit animal exotique, féroce, qu’on a introduit récemment sur le territoire français pour assurer la pérennité de l’espèce, paraît-il menacée. Une drôle de bestiole quand même. Mais il semblerait que cet effort louable ait été vain : elle est morte. Il est vrai qu’elle a été illico remplacée par un animal autrement imposant : on le nomme « défenseurdesdroits » (sic !).

 

Mais foin de cours de zoologie : la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité, est (était) chargée de la Police des Droits. La principale difficulté, c’est le concours d’entrée. Le diplôme s’intitule « B. A. S. V. » : Brevet d’Aptitude au Statut de Victime. Et la refonte en Défenseur des Droits ne va pas faciliter les choses. Il ne suffit pas de se dire victime pour être admis dans le cénacle des victimes, en effet, de même qu’il existe aujourd’hui infiniment plus d’ « artistes » auto-proclamés que d’artistes véritables. Une sélection sévère s’impose (dans la déchetterie actuelle, on utilise le pléonasme « tri sélectif »). Un examen préalable et rigoureux décide si la personne est recevable au statut envié de victime (« envié » car – et c’est flagrant avec le sémillant Nicolas Sarkozy – il « ouvre droit à réparation ». Traduction : « Ça peut rapporter gros. »). Mme Diallo, que tout le monde connaît maintenant, n’est pas, en l’état actuel des choses, une victime de Dominique Strauss-Kahn, mais une plaignante (ben oui, puisqu’elle a porté « plainte » !). Mais j’y reviendrai une autre fois.

 

Discrimination, c’est la faculté humaine de démêler : le vrai du faux, le fait du droit, le réel du virtuel, l’homme de la femme, etc., je ne vais pas recommencer. Cela a beaucoup à voir, donc, avec la capacité de jugement. Sans discrimination, donc,  pas d’espèce humaine (je vais tout de suite à l’essentiel). L’histoire de l’humanité fourmille d’exemples qui montrent qu’être capable de discriminer a été indispensable à son évolution. Tiens, un parmi d’autres : pour nous, la couleur verte, c’est simple, sauf si tu es daltonien. Eh bien, dans le langage d’une tribu d’Amazonie dont j’ai oublié le nom (peut-être existe-t-elle encore), il y a deux cents (200) mots pour la signifier, pour les multiples verts observables dans la forêt, suivant le lieu, le moment de la journée, la plante, la qualité de la lumière, etc. Vous imaginez à quelle subtilité on peut parvenir pour évoquer deux cents nuances possibles d’une même couleur ? Essayez donc : vous en voyez combien de différents, des verts, quand les arbres, au printemps, commencent à pousser leurs feuilles à l’air libre ? Encore un : la botanique a un grand ancêtre, le suédois Carl von Linné (1707-1778), qui a passé sa vie à discriminer : il a dessiné des « arbres », avec des embranchements qui, au fur et à mesure de la description des plantes, se ramifient, pas à l’infini, mais presque. Même chose pour la zoologie évidemment.

 

Pour pouvoir s’y reconnaître dans ce monde, l’homme a donc eu besoin de classer ses éléments en leur donnant, à chacun, un nom différent. Allez, un dernier exemple pour la route : que serait aujourd’hui la divine informatique sans  discrimination ? Car qu’est-ce que c’est, une arborescence informatique, sinon un système de classement, de distinction et de hiérarchisation ? Je n’y peux rien : en zoologie, par exemple, vous avez l’ « ordre » (mettons les falconiformes chez les rapaces diurnes), puis vous avez les « familles » (mettons les accipitridés, chez les mêmes), ensuite vous avez les « genres » (mettons les aigles, pour faire simple), et puis vous avez les « espèces » (mettons l’extraordinaire milan royal, avec sa longue queue rousse échancrée). Et après les espèces, il y a les « individus » (d’une buse variable à l’autre, il reste des différences. Il faudrait dire : la différence fait de la résistance).

 

Hiérarchiser ! Le sale mot a été lâché ! Hiérarchiser, aujourd’hui, c’est proprement diabolique. C’est drôle : nous passons nos journées à hiérarchiser et à classer (ce que nous voulons faire ou ne pas faire, les informations qui nous intéressent ou non, les personnes que nous souhaitons voir ou ne pas voir, les livres que nous avons envie ou non de lire (je parle pour ceux qui lisent des livres), etc. On appelle souvent ça des « priorités.). Et avec ça, on nous donne des coups de marteau sur le crâne pour nous convaincre que c’est mal ? Mais c’est la schizophrénie à l’état pur, ma parole ! Hiérarchiser, c’est discriminer, et puis c’est nécessaire : est-ce qu’il faut aller à droite ou à gauche ?

 

Alors aujourd’hui, ce qui prime, c’est la « lutte contre toutes les discriminations » ? « Bon sang, mais c’est bien sûr », disait Raymond Souplex à la fin des Cinq dernières minutes (à mes yeux le seul commissaire Bourrel qui soit, c’est vous dire mon âge). Mais au fait, qu’est-ce qu’on appelle ici « discrimination » ? Jean Yanne, dans un sketch célèbre, proclame sa haine des « routes départementales ». Là, on se rapproche du sens couramment donné à « discrimination » aujourd’hui. Cela veut dire que dans le pays de ce Jean Yanne de permis de conduire, il n’y a que des routes nationales, peut-être ? Bon, c’est évidemment le gag. Mais ça montre en douce que l’idée est tout simplement folle. Intraduisible dans les faits. C’est heureusement en vain qu’Hitler a essayé de purger la race aryenne des éléments juifs qui la corrompaient. 

 

Alors on peut bien rameuter des Vacher de Lapouge, des Gobineau pour introduire dans l’espèce humaine des hiérarchies fondées sur des critères vaseux, voire délirants, pour segmenter l’humanité en catégories homogènes qui seraient naturellement hiérarchisées (vous savez : « supérieur », « inférieur »). Il ne faut pas appeler ces tentatives haineuses et fondées sur la trouille et le fantasme du beau nom de « discrimination ». On a « ségrégation », par exemple, ou « apartheid », qui ont à peu près gardé la force de leur sens. Je ne mentionne pas « exclusion », tout à fait dévitalisé à présent.  

 

Georges Perec a écrit un petit livre intitulé Penser/Classer (Le Seuil) : si on ne classe pas, on ne pense pas : c’est le règne animal. Des allumés du bocal ont prétendu, il y a bien longtemps, exporter la théorie darwinienne de l’évolution dans le domaine social. Mais ces agités de la rampe, genre Spencer, ont allègrement confondu l’ « évolution » dont parlait Darwin avec le « progrès », cette marche inéluctable de l’humanité vers sa propre amélioration (rien que la notion de progrès, d’ailleurs, est aujourd’hui mal en point). Ils ont voulu transformer de simples « faits », produits dans leur lente et longue succession, en « lois », c’est-à-dire en principes devant guider l’action des hommes et des sociétés. Ils ont voulu ériger des « conséquences observables » en « objectifs à atteindre », avant même d’avoir analysé la subtilité des mécanismes mis en jeu dans l’extraordinaire grand mécanisme qu’on appelle l’évolution.

 

Je crains cependant que le succès du mot « discrimination » pour désigner divers « apartheids » ne soit dû à un mouvement irrésistible. Chose curieuse, en effet, il devient quasiment impossible de lutter contre certaines gangrènes du vocabulaire. D’un côté, vous avez les « différences », qu’il faut absolument respecter, sous peine d’atteinte à la sacro-sainte « tolérance ». D’un côté, donc, il faut « respecter les différences » (nous sommes devenus de constants et talentueux « respecteurs de différences » à tout crin). De l’autre, il ne faut pas faire de « discriminations », sous peine, évidemment, d’atteinte à la sacro-sainte « tolérance ».

 

Si les mots ont un sens, « différence » et « discrimination » sont strictement superposables. Alors je dis : il faudrait savoir. D’un côté, le mot d’ordre de « créolisation » du monde, l’appel vibrant, insistant au « métissage » culturel (melting pot, world music, tout est dans tout et réciproquement). De l’autre, des revendications d’ « identité » de plus en plus fortes, parfois violentes. il faudrait savoir : « créolisation », « métissage », c’est exactement le contraire de « différence », d’ « identité ». Vous ne trouvez pas ça bizarre ? Incompréhensible ? Abracadabrantesque ? Il y a de quoi vous rendre chèvre ! 

 

Si les mots ont un sens, si les mots dessinent les choses qu’ils désignent, il y a, quelque part par là, si je suis gentil, du bourrage de crâne, si je suis moins gentil, la mise en place d’un monde totalitaire, d’autant plus sournois qu’il s’est débrouillé pour susciter l’adhésion enthousiaste du plus grand nombre. Ça ne vous inquiète pas ? Ça ne vous rappelle aucun souvenir ?

 

Allez, comme disait le bon Jean-Jacques Vannier, « la vie est belle, et c’est tant mieux ».