vendredi, 16 août 2013
LE MONDE SELON LE JOURNAL DES VOYAGES
Je m’en voudrais de refermer cette malle où le Journal des Voyages a renfermé tant de trésors, et où se déploient, en un entremêlement indémêlable, le vrai savoir d’explorateurs intrépides et l’imagination parfois débridée de narrateurs et de dessinateurs « inspirés », – je m’en voudrais, disais-je, si je ne proposais, dans quelques bouquets de fin de fête, quelques fleurs spécialement choisies.
Aujourd'hui, un petit tour chez les Grands Singes, puis une petite escapade chez les Grands Nords. Autrement dit : qu'est-ce que l'anthropomorphisme ?
"GORILLES SE CONSTRUISANT UN ABRI"
CELLE-LÀ, JE LA TROUVE DELICIEUSE : JE RAFFOLE DES GORILLES (SURTOUT LES GORILLES SOURIANTS) CONSTRUCTEURS D'ABRIS. ON EN APPREND TOUS LES JOURS, AVEC LE JOURNAL DES VOYAGES.
LA SUIVANTE N'EST PAS MAL NON PLUS
"LES GIBBONS : ILS SE METTENT A QUATRE POUR TRANSPORTER LEURS MORTS"
JE SUPPOSE QUE C'EST POUR LEUR DONNER UNE SEPULTURE DECENTE ? MAIS TOUT DE MÊME, QUEL MAGNIFIQUE ENTERREMENT ! QUATRE CROQUE-MORTS. IL NE MANQUE AUX GIBBONS QUE LE CORBILLARD ET LA FAMILLE EN DEUIL.
CELLE-CI, IL FAUT L'EXPLIQUER : LE SINGE RIEUR A POUR HABITUDE, QUAND IL EN RENCONTRE UN EXEMPLAIRE, DE SAISIR L'HUMAIN PAR SES AVANT-BRAS (c'est ce que dit le Journal des Voyages), L'IMMOBILISANT AVANT DE LE DECHIQUETER A BELLES DENTS. LE MEC EN FACE N'A D'AUTRE SOLUTION QUE DE VÊTIR SES BRAS DE "MANCHETTES" DE BAMBOU, PUIS DE RETIRER SA MAIN POUR SAISIR SON POIGNARD PENDANT QUE L'AUTRE SE MARRE. ELLE EST PAS BELLE, MON HISTOIRE ? ELLE EST DANS LE JOURNAL DES VOYAGES DU 2 DECEMBRE 1883.
IL FALLAIT LE SAVOIR : LE SINGE A TÊTE DE CHIEN (CYNOCEPHALE, SI J'AI BIEN COMPRIS) N'A RIEN DE PLUS PRESSÉ QUE DE CHEVAUCHER UN PANTHERE ET DE LUI JETER DES ORDRES D'UNE VOIX GUTTURALE.
LE JOURNAL DES VOYAGES, 12 DECEMBRE 1886
SOURIEZ, VOUS ÊTES BOUFFÉ !
Je quitte les Tropiques pour le Pôle Nord, pour assister, en compagnie de quelques marins médusés par le spectacle, au très improbable combat entre un ours blanc et un morse. La légende prend soin de préciser que c'est une femelle, quand le naturaliste un peu informé sait fort bien que chez les morses, c'est exclusivement monsieur qui a les crocs remarquables (les canines, pour être précis).
"UN COMBAT SUR LES GLAÇONS : ELLE ENFONCE SES PUISSANTES DEFENSES DANS LES CHAIRS DE L'OURS"
ON TROUVE CETTE PHOTO EXCLUSIVE DANS LE JOURNAL DES VOYAGES DU 3 JANVIER 1886
Le récit, pas piqué des hannetons, souligne que le morse femelle est la mère du petit que le plantigrade vient de boulotter, et que la tribu morse s'est liguée contre lui, rassemblée en demi-cercle, laissant toutefois l'honneur et le plaisir de la terrible vengeance à celle qui en avait le plus le droit légitime. La digne mère s'avance solennellement et lui règle son compte. Le règne animal est plein de surprises, comme disait plaisamment Claude Darget, à l'époque de La Vie des animaux.
Parmi les curiosités animales que le Journal des Voyages offre aux appétits imaginaires du Parisien bourgeois, et malgré cela cultivé, j’espère que vous avez apprécié mes quelques pépites : quelques instantanés pris de la vie animale "authentique", quand celle-ci ne se déroule pas sous les climats cléments de l’Europe tempérée et civilisée. Autrement dit, dans les contrées encore inhumaines.
"Transformer le monde", a dit Marx. Je me demande parfois s'il n'aurait pas mieux valu continuer à l'imaginer.
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lundi, 22 avril 2013
QUE FAIRE AVEC LE MAL ? (3)
POEME :
IL EST PAS MIGNON,
MON PETIT APION ?
ET MON P'TIT MORPION,
IL EST PAS TROGNON ?
(ceci est la photo d'un morpion accroché à deux poils)
***
La « confession à la chrétienne » fut pendant des siècles le moyen mis au point par l’Eglise catholique pour expulser le Mal hors de l’âme des individus (et je ne parle pas de la messe). Mais aujourd’hui, il y a bien peu d’Eglise catholique (trop de gens voudraient la voir disparaître, elle est d'ores et déjà réduite au rôle de "groupe identitaire" parmi d'autres), encore moins de confession chrétienne. La question se pose : que faire avec le Mal ?
Il ne faut pas se leurrer : aucune société ne peut ne pas se poser la question. La preuve, c’est que toutes se la sont posée. Quelques-unes fonctionnent encore avec des institutions dédiées à cette tâche : les Dogons, par exemple, malgré les assauts conjugués des touristes, de l’argent et des marchandises en plastique, maintiennent encore un arsenal de croyances destiné à maintenir l’ordre dans l’ordre du monde, et à le rétablir en cas de besoin par toutes sortes de procédures compliquées (voir les ouvrages de Germaine Dieterlen, et surtout les entretiens de Marcel Griaule avec Ogotemmeli dans Dieu d’eau, 1948).
Quand l’idée est venue aux hommes qu’il était possible de chasser le Mal, ils ont inventé tout un tas de gestes et de cérémoniaux : ils ont arraché le cœur d’un semblable, ils ont précipité un semblable dans le feu ou dans l’eau, ils lui ont fait subir toutes sortes de tourments. Le semblable en question s’est appelé la victime. C’est sur celle-ci que se concentraient tous les maux accumulés.
Il est couramment admis de désigner aujourd'hui la victime sous le nom de « bouc émissaire » : attaché au milieu du village, le dit bouc recevait toutes sortes d’ordures, les paquets de boue et de fange dont s’allégeaient les habitants, puis il était bouté hors du village, bien loin dans le désert. Il paraît que ça se passait chez les juifs de l’antiquité. Avouez que c’est mieux qu’un sacrifice humain, bien que le spectacle perde en palpitant, comparé à un bon vieux sacrifice juteux et saignant.
Mais un rite ne dépend pas de ce qu’on y fait ou du protocole auquel il obéit : il s’agit avant tout, pour le rite et son responsable (prêtre, sorcier, chaman, ...), d’être efficace. Si la population, après le cérémonial, est effectivement libérée de tout le poids de Mal accumulé, elle n’en demande pas plus, pour recommencer à vivre. Le rite a marché.
René Girard a écrit là-dessus un livre génial : La Violence et le sacré (1972). Je ne vais pas vous réciter tout ça, je vais vous le faire en bref et en simplifiant. Grosso modo, pour désirer quelque chose, un individu doit attendre que ce quelque chose lui soit désigné par quelqu’un comme étant désirable : si A désire X, B a raison de désirer X à son tour. Peut-être parce qu'il voudrait bien être comme A. C’est ce que Girard appelle « désir mimétique ».
Je continue : dans un groupe, à force que les gens désirent les mêmes choses, ils deviennent à la fois des rivaux et des répliques les uns des autres. Pendant qu'à force de rivaliser, le destin des rivaux est, à terme, de se foutre sur la gueule, à force de désirer la même chose, le destin des rivaux est de devenir mécaniquement semblables les uns aux autres. C’est ce que Girard appelle « indifférenciation violente ». J'espère que vous suivez.
A force de monter entre des individus rivaux, la tension finit par produire la violence. Et comme cette violence risque d’aboutir à l’anéantissement de la collectivité en tant que telle (cela s’est vu par exemple chez les Iks, nord-est de l’Ouganda), les sociétés, pour se protéger et se pérenniser, ont élaboré, au fil de l’histoire, des protocoles expérimentaux dont le seul but était d’empêcher le massacre généralisé. On a appelé ça des « rites ». Lorsque le potentiel de violence atteint le maximum supportable, un mécanisme (la « crise sacrificielle » de René Girard) se déclenche pour rétablir la paix entre tous. C’est le moment du sacrifice proprement dit.
Pour que le sacrifice ait lieu, il faut que quelque chose soit sacrifié. C’est parfois quelqu’un. Les Grecs appelaient ce quelqu’un le « pharmakon » (mot qui signifie aussi bien « poison » que « remède »). René Girard multiplie les références à des peuplades exotiques, où un roi était élu à l’unanimité, mais qui était à terme destiné à jouer le rôle du pharmakon : être un jour sacrifié. Et ça marchait (enfin, c'est ce qu'on dit) ! Le pauvre roi commençait par être sacralisé, honoré, mais il devait finir dans la marmite : être brûlé après avoir été adoré, c'est dur !
L’important était que se produisît un « unanimité violente » contre la victime désignée. Le sacrifice de la « victime émissaire » n’est efficace qu’à condition d’unanimité : le bouc émissaire, s’il réussit à concentrer sur lui seul toute la violence contenue et retenue jusque-là dans la population, à ce moment précis, tout va bien. Ite missa est. Deo gratias. Allez en paix, et revenez dans un an. Le rituel d’élimination du Mal a rempli sa tâche : maintenir la force du « vivre ensemble ».
On pensera ce qu’on veut de l’hypothèse de René Girard, mais je crois qu’elle mérite attention. Au fond, elle repose tout entière sur cette autre, qui veut que nulle personne humaine ne désire quelque chose qui ne lui ait pas été désigné auparavant comme désirable par quelqu'un d'autre. C'est plausible, mais ...
Malheureusement ça se gâte ensuite.
Voilà ce que je dis, moi.
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vendredi, 29 juin 2012
HARO SUR LE CHIEN DE VILLE !!!!
LE CHIEN DE VILLE
Qu’on se le dise : j’aime les chiens. Plus que les chats, même, c’est vous dire. Le premier que j’eus dans mon voisinage était un Setter Gordon. Adorable. Il supportait tout, quand nous étions enfants. C’était chez mes grands-parents. Fool, il s’appelait. On lui adjoignit un peu plus tard Korrigane, une femelle Gordon également.
Les Gordon sont des chiens de chasse, résistants et courageux, paraît-il, mais Fool devait avoir subi un traumatisme car, lorsqu’il partit pour sa première chasse, il détala au premier coup de fusil, pas pour rapporter le gibier, mais pour mettre entre lui et l’arme le maximum de distance et le plus vite possible. Sa loi à lui, c’était la prudence.
Nous l’avons récupéré à grand-peine, à bonne distance. La sécurité n’a pas de prix. C’est sûr, le Setter Gordon est très bon pour le galop et l’endurance. Il est noir sur la majeure partie du corps et « feu » au museau, au poitrail et aux pattes, avec une petite tache de 2 cm² au-dessus des yeux.
Après une balade dans les champs ou les chemins, c’était la plaie : il fallait inspecter les oreilles attentivement, un vrai râteau à saletés diverses. La nuit aussi, c’était pénible, il n’aimait pas être enfermé dans l’enclos de sa niche, mais il finissait par se fatiguer d’aboyer. En dehors de ça, une crème de chien, adorable et charmant.
Il y eut d’autres setters gordon (Souska), mais aussi des cockers (Olaf, sale caractère, imprévisible et caractériel), un basset (Whisky) anodin et pitoyable, un braque allemand (Scud). Quand le général CHAMBE venait passer quelques jours chez son frère au retour de ses chasses au coq de bruyère, du côté de Champagny, il rapportait régulièrement le quatuor des plumes caudales caractéristiques du petit tétras. Mais surtout, il venait avec ses chiens.
ADMIREZ JUSTE LE SETTER IRLANDAIS
(il ne va pas tarder à se mettre en arrêt)
Il fallait anticiper, car la cohabitation était difficile, et il y eut des coups de dents de part et d’autre. Il y avait Zoom, un magnifique et ombrageux setter irlandais, dont j’hésitais à m’approcher, tant il veillait jalousement sur la sécurité de son maître, couché en travers de la porte de sa chambre. Celui, entre tous, que j’ai préféré était un griffon Korthals du nom de Brack (Braque ?).
VOILA, LUI, IL EST EN ARRÊT
Le point commun de tous ces animaux était le vaste jardin de mes grands-parents, où ils pouvaient s’ébattre et courir à leur gré (et au nôtre), fourrer leur nez dans tous les buissons à la recherche de lézards, et leurs griffes dans les taupinières.
J’aime donc les chiens. Y compris ce « golden retriever » (race aujourd’hui très à la mode, et souvent abâtardie), du nom de Théo, joueur et mélancolique, qui se met à revivre quand on le « cherche ». Il y a aussi cet épagneul français dont j’ai oublié le nom, qui n’avait pas de loi (donc pas de maître), mais que j’ai eu vite fait de « recadrer » discrètement et fermement : le chien comprend très bien un certain nombre de gestes, surtout cette race, qui mémorise fort bien. J’arrête là, on a compris ma phrase du début. J’aime les chiens. Si c’est à la campagne. Autrement, c'est non.
Bon, c’est vrai qu’en ville, on peut tolérer le chien, mais seulement du chihuahua jusqu’au caniche, en passant par le pékinois. Je dis qu’au-delà du caniche, pour le chien, la ville est un enfer. Posséder un chien, même de taille moyenne, quand on habite en ville, c’est de l’égoïsme. C’est même pire : du sadisme. Je plains sincèrement le dogue allemand qui « vit » dans un 40 m² du quartier, et auquel son « maître » consent à faire faire, deux ou trois fois par jour, le tour de quelques pâtés de maisons.
Quand on a vu une fois la gigantesque foulée du dogue allemand au galop, on pense obligatoirement à ce corbeau capturé, dont une vieille tante avait coupé à la moitié toutes les rémiges primaires pour qu’il tînt dans la cage d’un précédent et décédé canari. Ce corbeau puait comme cent diables. Je plains fort le sort du dogue allemand.
On m’a compris : la ville est un fléau pour le chien, y compris de taille moyenne. Faire de chiens fabriqués exclusivement pour le plein air des « animaux de compagnie » est détestable. C’est le vice de tous ceux qui croient caresser leur chien quand ils utilisent leur bête pour se caresser eux-mêmes, tout en se muant en tortionnaire.
A partir d’une certaine taille, le chien de ville est purement masturbatoire. Je ne dis pas qu’il ne faut pas se consoler comme on peut de quelque absence ou carence affective, mais s’il y a une injustice à l’égard des bêtes, c’est bien de les faire vivre dans un milieu pour lequel elles ne sont pas faites.
Il ne s’agit pas de dénoncer la possession de chiens « dangereux » (Rottweiler, Pittbull, Staffordshire Terrier, toutes races qui n’ont besoin que d’une « direction » douce et exacte, mais qui ne supportent pas l’imprécision, c’est-à-dire le manque de caractère), encore que certaines rencontres de hasard ne manquent pas de piquant, comme celle à laquelle je viens d’assister, entre une femelle berger allemand et un pittbull en mal d’amour.
Il s’agit de dénoncer la cruauté de pauvres gens qui se croient « maîtres » d’un animal qui, en réalité, les domine, et qui, en général, souffre de sa situation. Je suis par exemple désolé du sort que subit ce très beau chien, qui tient du setter anglais, et qui vit dans les 18 m² de la studette de son « maître », juste à côté de chez moi.
Le propriétaire de chien, en ville, de deux choses l’une, est soit une personne seule qui a besoin chez elle de la présence d’un être vivant (besoin de compagnie), et dans ce cas, il faut des chiens qui tiennent le minimum de place (allons jusqu’au caniche), soit une personne égoïste qui n’a aucune idée des besoins propres de la bête et ne pense qu’à sa propre satisfaction.
Je ne veux pas savoir combien de propriétaires sont vraiment maîtres de leur chien, ce que je sais, c’est que passer dans la rue et assister au spectacle du chien qui baisse le cul (vers le trottoir ou vers le caniveau, les deux se valent) pour en laisser échapper un cylindre coloré, tour à tour tirant sur le brun, sur le rouge (régime de carottes) ou sur le jaune, tour à tour compact ou mollasson, tour à tour abondant ou constipé, tour à tour énorme ou lilliputien, suivant la taille de la bête, est devenu un aspect rédhibitoire de la vie en ville.
C’est comme la fumée des fumeurs pour les non-fumeurs (et même pour eux-mêmes, paraît-il). Quelques possesseurs d’un chien se munissent d’un sachet qui permettra de faire disparaître l’objet merdique dans une poubelle : l’attitude est éminemment louable. C’est néanmoins une humiliation, à laquelle la plupart des « maîtres » refusent orgueilleusement de se soumettre.
Quelques-uns, même, se plantent arrogamment au milieu du trottoir pendant que l’animal défèque, et, du regard, mettent le passant au défi d’exprimer la moindre marque de dégoût ou de réprobation. Certains cacas de chiens constituent, à la limite, des insultes parfaitement préméditées.
Entre ces deux extrêmes, il faut bien dire qu’une écrasante majorité, sans doute pressée par le temps (le matin c’est le bus à prendre, le soir, c’est le J.T. à ne pas manquer), agit avec ce qu’on est bien obligé de qualifier de légèreté et de désinvolture.
Il reste, quoi qu’il en soit, au passant innocent à regarder où il met les pieds, en se bouchant le nez les jours de chaleur. Il faut le dire, LE CACA DE CHIEN EST UN ETRON, UNE MERDE. Avez-vous remarqué qu’on peut suivre à la trace certains passants, au nombre de pas qu’ils ont fait avec, collée à la chaussure, la crotte plus ou moins gluante d’un chien anonyme ? Quand obligera-t-on le propriétaire à tirer la chasse d’eau là où son chien a déposé sa merde ? Moi je dis que le plus tôt sera le mieux.
Est-il à ce point politiquement suicidaire de revenir à la taxe municipale sur la possession d’animaux domestiques ?
Vous qui habitez en ville, vous avez compris pour quelle raison je tolère le chien jusqu’à la taille du caniche, mais pas au-delà ?
Voilà ce que je dis, moi.
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samedi, 08 octobre 2011
LES YEUX RETROVISEURS DE LA BECASSE
Je préviens tout de suite : on y viendra, à la bécasse, mais s’il vous plaît, laissez-moi le temps d’y arriver.
Les merveilles du monde animal, on ne saurait s’en lasser. Pensez aux vingt chapitres qu’ HERMAN MELVILLE consacre à la description du grand cachalot dans Moby Dick. Pensez aux liens mystérieux que PIERRE MOINOT tisse entre l’humanité et les bêtes dans La Chasse royale ou Le Guetteur d’ombre.
Pensez à cette nouvelle posthume du magnifique LOUIS PERGAUD, La Rencontre (oui, le même qui a écrit La Guerre des boutons, assassiné en 1915 sur je ne sais quel champ de bataille, lors du grand suicide inaugural de l’Europe dans le petit matin glauque du XX° siècle), où deux jeunes garçons rentrent chez eux un soir de Jura couvert de neige, obstinément suivis, à dix mètres, par un drôle de « chien » qui, aux abords du village, n’a rien de plus pressé que de sauter en un clin d’œil sur Tom, le roquet détesté du détesté père Zéphyr, de l’égorger proprement et de l’emporter brusquement dans la forêt. C’était évidemment un loup. C’était en d’autres temps.
Personnellement, je suis aux anges lorsque j’entends, quelque part en l’air, le miaulement caractéristique de la buse variable ; lorsque, dans les hauts de la vallée d’Aspe, j’aperçois pendant quatre secondes le vol d’un percnoptère ; lorsque, du côté de Puy-Saint-Vincent, un circaète Jean-le-Blanc offre la surprise d’un passage à proximité ; lorsque, du fond des gorges du Verdon, j’aperçois le vol d’une quinzaine de vautours largement éployés au sommet de la falaise, posés sur un coussin d’air chaud.
J’aime ces surprises animalières : quand toi, perdu dans le massif du Pilat avec une carte que les bûcherons ont si méticuleusement saccagée que tu n’es plus en mesure de savoir où tu te trouves à dix kilomètres près, et que tu tombes nez à nez avec une biche qui te regarde fixement aussi longtemps que tu ne bouges pas un cil, mais « qui preste s’évanouit » (BRASSENS, « Les belles passantes »), dès que tu romps l’enchantement, parce qu’il faut bien bouger. Mais la biche, même un autre jour au-dessus de Crémieu, sur un sentier à peine dessiné, tu vois plus souvent son cul que ses yeux : peut-être ce qu’on appelle la « gentillesse » féminine ?
Je peux même te raconter la truite, dans ce qu’on appelle le « ruisseau de Chaumargeais » (à toi de trouver où ça se trouve), quand tu marches pieds nus dans la flotte et que, à chaque pierre qui « fait de l’ombre », tu t’arrêtes tout doux, tu te baisses tout doux, et tu passes tout doux les mains sous la pierre, le gras des doigts vers le haut. Quand le contact est soyeux, tu redoubles de douceur, comme un fétu qui suivrait le courant et qui effleurerait ce que tu as senti.
Tu mesures la dimension de la bête : une main tendre à la tête, une main tendre au ventre, tu crispes soudain les doigts, et tu jettes sur l’herbe, assez loin pour que, de son saut puissant, elle n’ait aucune chance de retourner à l’eau. Le soir, si tu t’es pas fait prendre, tu te régales : une poêle, les quelques jolies pièces de l’après-midi, la maille ou pas la maille, roulées dans la farine, un peu de beurre, que demande le peuple ?
Seulement un peu de bonheur. Tu peux aussi essayer dans la Cérigoule, ça marche aussi, mais elle est un peu large. Bien entendu, la « pêche à la main » est tout à fait illégale, prohibée, voire interdite, si ce n’est même proscrite. Parce que trop efficace et moins aléatoire, sans doute. Plus sûrement parce que tu n’as pas payé le timbre. Je vais te dire : « Attrape-moi si tu peux ! »
Regarde mourir un pic-vert, ça laisse également des souvenirs. Le fusil paternel résonne juste à côté de ton oreille : il a tiré ! Et tu vois l’oiseau tout d’un coup monter en flèche vers le ciel. Le fusil paternel te déclare : « Il a eu un plomb en pleine tête ». C’est sûr. Ça dure un instant seulement : après la flèche, la pierre, qui tombe verticale vers le sol. Au moins, tu n’as pas à chercher dans les broussailles. L’étonnant, une fois l’oiseau vert allongé sur la plaque de marbre : la langue ! Jamais vu une langue aussi longue, un peu dégoûtante au toucher. Bon, je sais bien que c’est très bête, de tuer un pic-vert.
La taupe, ce n’est pas mal non plus. Cela se passe dans « les marais ». Le jour est sec, le chemin et le soleil aussi, et les feuilles mortes aussi, qui commencent à crisser toutes seules les unes contre les autres. Bizarre. Tu t’es mis à l’ombre pour siroter ton breuvage. Le vélo est couché sur le bas-côté du chemin de terre. Tu es assis. Tu savoures la chose et le repos. C’est quoi, ces feuilles qui bougent ? Evidemment, tu vas voir, tu soulèves une feuille, puis deux, puis un paquet. C’est quoi, ce cylindre noir qui essaie de s’enfouir ? Mets-y les doigts ! Attention, ça mord et ça griffe. Incroyable, cette méchanceté ! Retournes-y, mais prudence.
C’est drôle, quand tu tiens la bête, le ventre en l’air : un museau de musaraigne, mais en moins long et en plus fort. Et des pattes comme des battoirs griffus, avec un dessous entre le rose et le gris. Bon, vous aurez beau insister, je ne dirai rien de ce qui arriva ensuite. Vous risqueriez de m’en vouloir. Sachez seulement que je m’intéressais fort à l’époque aux divers procédés de tannage des peaux. Ce que je peux parfaitement avouer, c’est qu’il n’y a pas plus doux sur terre que la fourrure de taupe, y compris la peau des filles, qui ont certes les griffes, mais même pas de la fourrure partout, et nulle part cette sorte de fourrure, à poils courts et droits, et d’une finesse inégalée. Passons.
Puisqu’on est à la chasse, venons-en au moustique. Je n’ajouterai rien aux sempiternelles lamentations du touriste en vacances. Je pense aussi à une aventure de Lucky Luke : ce salopard de « poor lonesome cowboy and far away from home » introduit par le trou de la serrure un moustique dans la chambre d’hôtel d’Averell Dalton, qu’il doit affronter le lendemain. Au matin, celui-ci a le teint tellement verdâtre qu’il suffit d’une pichenette pour l’assommer. C’est vrai que ça rend la nuit impossible, le moustique. Mais il faudrait interdire cette déloyauté.
Moi, j’en avais régulièrement dans ma chambre, des moustiques. Heureusement, j’ai inventé une arme imparable. Quand vous aurez le temps, allumez une bougie. Intercalez-la entre la bombe insecticide et le moustique posé sur le mur en plâtre peint en bleu clair un peu pisseux. Laissez au moins vingt centimètres entre la bougie et la bombe. Appuyez. Pas longtemps. Relevez maintenant l’index, et observez : vous avez du mal à retrouver quelque trace que ce soit de la bestiole. Ben oui, elle a eu un peu trop chaud, quoi. Quoi, c’est dangereux ? Evidemment ! Où serait le plaisir de la chasse au chalumeau, je vous le demande ?
Bon, bref. Alors comme ça, mon sujet, c’était les oiseaux. Puisque j’en étais à la chasse, je signale que beaucoup d’espèces d’oiseaux distinguent à merveille le promeneur inoffensif et le chasseur armé d’un fusil. Vous vous baladez les mains dans les poches, vous avez des chances d’observer des vols presque normaux à proximité. Vous portez un grand bâton noir luisant et qui fait du bruit au creux du bras : vous ne voyez plus la queue d'un. Etonnant, mais c’est comme je vous le dis !
Il n’y a pas que le bec qui soit intéressant, chez les oiseaux. Voyez leur œil. Et tenez-le à l’œil jusqu’au prochain épisode.
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