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mercredi, 28 novembre 2012

AH, LES PETITS OISEAUX ! (fin)

Pensée du jour :

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"IDEOGRAMME PIETON" N°34

 

« Il faut faire le point de temps en temps.

Où va l'homme ? De plus en plus loin.

Mais il n'y va pas d'un seul coup. Il y va parfois même à regret. Disons qu'il y va par paliers, et de temps à autre par saccades. Avec des pauses, des reculs, des regrets et des temps morts. Il prend le loisir d'examiner ; surtout dans le Sud où la température s'y prête. C'est là qu'est née la civilisation. Et on se demande d'ailleurs ce que peut bien faire l'homme loin de ces mers tièdes où le marbre chaud permet de s'asseoir et de réfléchir ».

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

 

Supposons que l’ornithologue français discute du Pipit farlouse avec son homologue allemand : il y a tout lieu de douter que ce dernier entende le même psit-piit-piit. Et l’Œdicnème criard, que devient en italien son crou-i-i grinçant ? Certes la question n’est pas susceptible de gâter les relations internationales, d’autant plus que le volatile est d’une correcte laideur, mais je pose la question : « Que devient la Science ? ». Et quid en anglais du bas et rauque krikk-ac’h-ac’h de la Sterne de Dougall ?

OEDICNEME CRIARD.jpg

DIRE QUE CE TYPE VA SEDUIRE UNE FEMELLE POUR SE REPRODUIRE ! ...

(oedicnème veut dire : "jambes gonflées")

 

Et la question est d’autant plus térébrante pour le cerveau ordinaire que, enregistré sur bande magnétique, le dédévoui-tévoui (en français) produit par l’Hypolaïs est, hormis les variantes individuelles, le même dans tous les pays,  encore que l’Hypolaïs, en particulier la Polyglotte, soit une des meilleures imitatrices qui soient. Hormis les variantes individuelles, en effet : je me rappelle un coq enroué, tout juste capable de se réveiller lui-même, un autre incapable de chanter deux fois la même séquence, et un autre encore, qui s'arrêtait à la deuxième syllabe, un velléitaire quoi. Certes, mais le problème global demeure global.

 

 

Je ne demande pas l’impossible. Il ne saurait être question d’unifier les transcriptions du tsip-tseup-tsip-tseup du Pouillot fitis en français, en tchouvache et en uzvarèche (si cher au cœur d’ALEXANDRE VIALATTE). Et pour faire bonne mesure, en serbo-croate. Non, il faut rester raisonnable. Mais est-ce s’inquiéter à tort que de demander ce que devient en javanais, en telugu, en ourdou le doux hennissement du très élégant milan royal, vous savez, le hiou-hiou-hiouou qui charme les oreilles du randonneur ? Ah, on me dit qu’on ne le trouve pas dans ces contrées abandonnées des dieux. N’y pensons plus. 

MILAN ROYAL 1.jpg

LE MILAN ROYAL ? UNE IDEE DE LA VRAIE ARISTOCRATIE.

En quelle langue sont compris les kiouv-kiouv de notre Chouette Chevêche ? Le kooâc rauque et bref de notre Héron Bihoreau ? Le pu-ûp, ce petit cri flûté de notre Grand Gravelot ? Le lulludilulutillilu de l’Alouette lulu ? Les touik-touik étouffés du bécasseau sanderling ? Le ki-ki-ki du pic épeichette (qui ressemble comme deux gouttes d’eau, reconnaissons-le, au ki-ki-ki-ki du faucon crécerelle et au ki-ki-kit de la sterne naine) ?

 

 

Et moi qui m’attendris volontiers sur le pitsiou de la Mésange Nonnette ou sur les fantaisies de la Bergeronnette des Ruisseaux (tantôt un tschizzir aigu et métallique, tantôt un tsétsétsé assez sec, tantôt encore un délicieux tsui liquide et mélodieux), comment ma tendresse va-t-elle s’accomplir dans une traduction mal maîtrisée en ndébélé, en kikuyu, en gagaouze, voire (mais n’imaginons pas le pire) en auvergnat ?

HUNEDOARA 4.jpg

"ET J'AI, DEUX FOIS VAINQUEUR, TRAVERSÉ L'ACHÉRON" (NERVAL)

(LAC DE CINCIS A HUNEDOARA, "Tota neinte", disait le flic qui nous envoyait à Gelari)

Quel Tchaghataï est à même d’attribuer notre célèbre trré trré trré trré à la Fauvette mélanocéphale ? Quel Oudmourte, notre tsic-tsic-tsic-tictic au Bruant des roseaux ? Quel Hottentot, notre krekreûkeurr, vous savez, cette espèce de grognement rauque, au Canard siffleur ? On nagerait dans l’obscurité dans le lac de Cincis à Hunedoara un soir de l’été 1990, ce serait bonnet blanc et corde à nœuds. Ce serait lune de miel et soleil vert. Ce serait jour de gloire et nuit blanche.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

mardi, 27 novembre 2012

AH, LES PETITS OISEAUX ! (2)

Pensée du jour :

RUPESTRE 4.jpg

"RUPESTRE" N°4

 

« Il y a aussi les dictionnaires, dernier refuge, suprême bastion du fantastique. Par exemple, cette édition (assez ancienne) de M. Larousse qui supprimait Napoléon. On y trouvait tout simplement : "Bonaparte : général né le tant, mort le tant". M. Larousse était contre l'Empire, il l'avait supprimé d'un trait. C'est un geste assez sympathique, qui prouve de fortes convictions. Il est vrai que Baudelaire n'était pas mieux loti : il avait droit à quatre lignes. Pour compenser, M. Larousse avait dix pages. Peut-être parce qu'il était moins connu ».

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

 

Je signale pour commencer que j'illustre la présente note des photos (ou dessins) correspondant aux 13 pièces (dans l'ordre, s'il vous plaît) qu'OLIVIER MESSIAEN consacre à ses animaux préférés dans son Catalogue d'oiseaux, augmenté de La Fauvette des jardins. CHOCARD DES ALPES (à droite)CHOCARD DES ALPES.jpg

 

 

LORIOT.jpgLORIOT Le bon peuple – ne parlons pas du jeune de banlieue dont l’essentiel de l’occupation consiste à assurer le coefficient d’occupation des cages d’escaliers et le soutien des murs écaillés et branlants de la cité – ne sait donc pas que, quand il entend des piet-piet dans l’aigu, il a affaire à un Traquet oreillard. On ne saurait le lui reprocher.

 

 

Mais saura-t-il mieux reconnaître la Barge à queue noire, en percevant, répétées et mélodieuses, des séries de rédo-rédo ? Ce n’est ni sûr, ni évident. Il voudra peut-être savoir que le kou-î sonore et mélancolique est le propre du Courlis cendré, et que le ouhoump-ouhoump-ouhoump (j’adore quant à moi cette exhalaison convulsive, cette bruyante vibration grave) ne saurait appartenir à nul autre qu’au Butor étoilé. Qui ne resterait ébaubi, voire abasourdi, face au kluit-uit-uit du Chevalier culblanc ? MERLE BLEUMERLE BLEU.jpg

 

 

TRAQUET STAPAZIN.jpgTRAQUET STAPAZINJ’ajoute que l’amateur ne saurait se tromper en attribuant au Cincle plongeur, non seulement le discordant tzett-tzett, mais encore le métallique clink-clink (qui n’est pas sans rappeler quelques souvenirs mitigés à l’électeur français, surtout s’il n’aimait pas SARKOZY), dès qu’il les entend. Le badaud reste pantois et ouvre de grands yeux émerveillés s’il apprend dans la foulée que le Cincle, pour se nourrir (larves de phryganes, nymphes de libellules, coléoptères aquatiques, …), réussit la prouesse de marcher au fond du torrent en se faisant plaquer au fond par la force du courant.CHOUETTE HULOTTEHULOTTE 5.jpg

 

 

ALOUETTE LULU.gifALOUETTE LULU Mais pour ma part, tout au moins en matière d'onomatopées ornithologiques, j’absous bien volontiers les spécialistes qui, le plus souvent bénévolement, consacrent tout ou partie de leurs loisirs à observer, écouter les oiseaux, à collecter toutes sortes de données et d’informations utiles à destination des autres spécialistes. Mais trêve de bavardage, et cessons de nous moquer.

 

 

ROUSSEROLLE EFFARVATTE.jpgROUSSEROLLE EFFARVATTE OLIVIER MESSIAEN est un grand compositeur du 20ème siècle français. Pour apprécier pleinement l’incroyable chef d’œuvre que constitue son Vingt Regards sur l’Enfant Jésus (il est tout à fait possible de faire abstraction de l’Everest de foi catholique qui habite cet immense compositeur, avec par exemple les trois coups de gong en fa dièse majeur du "thème de Dieu" qui reviennent tout au long de cette composition titanesque de 2000 mesures !). Je n’aime pas tout, c’est sûr. La Turangalîla symphonie (prononcer, paraît-il, Touraneguelila) m’est difficile d’accès. Mais son Catalogue d’oiseaux vous transporte sur ses ailes, légères et puissantes tout à la fois. ALOUETTE CALANDRELLEALOUETTE CALANDRELLE.jpg

 

 

BOUSCARLE.jpgBOUSCARLE Il faut le savoir, OLIVIER MESSIAEN (fils de PIERRE, traducteur de SHAKESPEARE, éditions Desclée de Brouwer), a commencé et fini par la musique, mais il fut ornithologue, et un assez bon pour être considéré comme tel par les gens du sérail. Cela ne l'empêcha pas de savoir très tôt (et par coeur) la partition intégrale de Pelléas et Mélisande, dont il chantait de mémoire, devant ses élèves, tous les rôles, en s'accompagnant au piano. MERLE DE ROCHEMERLE DE ROCHE.jpg

 

 

BUSE 10 VARIABLE.jpgBUSE VARIABLE (photo jan scevcik) Il faut le savoir, il se promenait dans les bois, dans la campagne, dans la montagne – souvent en compagnie de sa future compagne, et interprète de prédilection,photographie,alexandre vialatte,littérature,humour,poésie,musique,olivier messiaen,oiseaux,catalogue d'oiseaux,loriot,yvonne loriod,traquet oreillard,merle bleu,vingt regards sur l'enfant jésus,peter hill,anatol ugorski,nicolas sarkozy YVONNE LORIOD, histoire d’autant plus délectable que le loriot (voir photo au tout début), tout au moins le mâle, j’espère que nulle femelle (loriot, s'entend) ne m'en voudra, est un oiseau magnifique –, pour identifier les chanteurs, mais aussi et surtout pour en noter la musique sur de grandes feuilles de papier réglé (des partitions vierges, quoi). TRAQUET RIEUR TRAQUET RIEUR 2.jpg

 

 

courlis cendré.jpgCOURLIS CENDRÉ MESSIAEN a une affection marquée pour le Merle noir : « Le Merle noir – le plus original et le plus complet mélodiquement des oiseaux chanteurs ». Il ajoute des choses étonnantes : « Comme il n’abandonne jamais ce qu’il a trouvé, à chaque printemps, il reprend les thèmes du printemps précédent, en y ajoutant de nouvelles productions ». On entend bien le « ravi », ce santon qui est en extase devant tout ce qu’il voit. MESSIAEN est en admiration devant le spectacle de la nature. Cet homme est né pour célébrer.

MESSIAEN 4.jpg

Retour au Merle noir : « Ce qui peut caractériser le chant du Merle noir : c’est d’abord son registre médium (il est beaucoup moins aigu que beaucoup d’autres chanteurs) – ensuite sa tonalité colorée, joyeuse, où l’on trouve la tierce majeure, le mode majeur, et même l’hypermajeur (par exemple, do majeur avec un fa dièse) – enfin le sentiment mêlé qui se dégage de ses lignes mélodiques, tantôt moqueuses, ironiques, et d’une exubérante gaieté, tantôt calmes, paisibles, presque solennelles ». J’arrête là. Le Merle noir est devenu une « sonate » pour flûte et piano. FAUVETTE DES JARDINSFAUVETTE DES JARDINS.jpg

 

 

Mais il ne dédaigne aucune espèce. Son Catalogue d’oiseaux en comporte 13. Le pianiste ANATOL UGORSKI y joint La Fauvette des jardins (ci-contre). Mais où qu’on regarde dans la forêt des œuvres du maître, on trouve à tous les coins de rues des références au monde des oiseaux, et il n’y a pas ici la place pour tout énumérer. Et quand il se lance dans la composition d’un opéra, le seul, c’est un  Saint François d’Assise(l’ami des oiseaux), plutôt un oratorio qu'un opéra au demeurant, selon MICHEL FANO. Cela n'empêche pas JOSÉ VAN DAM d'y faire merveille.

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YVONNE LORIOD (LE GRAND AMOUR)

Bon, je ne vais pas ici résumer la vie de MESSIAEN (je ne parle pas de l’œuvre, ce dont je serais bien incapable). Le chrétien, ou plutôt le catholique, ne me dérange pas, bien que sa foi puissante imprègne absolument tout ce qu’il a composé, y compris les œuvres où s’exprime en filigrane un amour tout ce qu’il y a de "terrestre". Le sensuel ne lui fait pas peur. MESSIAEN ET PETER HILL.jpg

 

 

Le curieux lira avec intérêt le formidable et passionnant livre que PETER HILL (ci-contre, en compagnie du vieux maître) et NIGEL SIMEONE lui ont consacré (éditions Fayard, 2008 ; PETER HILL fut un élève passionné de MESSIAEN).

 

 

Comme quoi, les petits oiseaux, ça mène à tout, à condition de ne pas en sortir.

 

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

dimanche, 09 octobre 2011

LA BECASSE A UN OEIL DE LYNX

Bon, alors il paraît que j’étais parti à la chasse à la bécasse ? Tiens, à propos, la rengaine, vous la connaissez, non ? « L’curé d’chez nous s’en allait à la chasse, Avec son chien, son fusil je l’ai vu. En chemin il rencontre une bécasse, La vise au cœur et lui perce le … Curé d’chez nous s’en allait … etc … ». Sinon, je vous dirai la mélodie, ça fera passer le temps, disons au moins 1 minute 17 secondes.

 

 

Donc l’œil, on disait. Si je m’écarte encore de mon sujet, tenez-moi à l’œil et rappelez-moi à l’ordre. Alors, si on veut être précis, qu’est-ce que c’est, un œil ? Sans vouloir trop finasser, je dirais qu’à moi, il me sert à planter ma fourchette ailleurs qu’à côté du morceau de viande dans mon assiette.

 

 

Accessoirement, ça sert à deux ou trois choses essentielles : apercevoir sans en rien perdre la belle jeune femme en face (anecdote livrable avec certificat d’authenticité) juste au moment où, s’étant séchée après la douche, elle est obligée de traverser la pièce, toute fenêtre ouverte, pour attraper son soutien-gorge et sa culotte sur l’étendage, qu’elle avait oubliés de disposer à portée de main (ça n'est plus arrivé, promis) ; voir venir les ennuis de loin ; identifier les problèmes ; envisager les solutions d’un regard lucide et courageux ; chiper au nez et à la barbe des autres le sot-l’y-laisse oublié dans le plat ou deux billets de 10.000 quand on est caissier au Monopoly. Bref, des choses futiles, on en conviendra.

 

 

Dans le fond, l’œil, chez l’homme, n’est pas une nécessité vitale. Chez les oiseaux, c’est le contraire. S’il n’a pas l’œil, le volatile, tout simplement, il est mort. La preuve, c’est que chez les humains, l’aveugle est en général laissé en vie, jusqu’à ce que mort naturelle s’ensuive, évidemment, mais ça, c’est valable pour tout le monde. L’oiseau aveugle, c’est peut-être un bon titre de roman fantastique, mais dans la réalité, macache bono, si je peux me permettre. Réciproquement, il n’y a pas d’oiseau mort qui ne soit pas aveugle (maman m’a dit que la double négation, ça impressionne toujours). Mais il paraît que chez nous c’est pareil, quand on est mort, on ne voit plus rien. Ça me manquera.

 

 

Regardez n’importe quel oiseau, parmi ceux qui picorent au sol : sa tête n’arrête pas de bouger d’avant en arrière, de tourner dans tous les sens, de se baisser et de se relever. Epuisant, je me dis. Comparez avec la dame âgée qui fait la queue chez le charcutier : elle n’arrête pas de faire oui et non avec la tête et avec la main. Je me dis qu’elle doit être fatiguée en fin de journée, après avoir fait tant d’exercice. Quoi, maladie de Parkinson ? Pardon, je ne savais pas. Mais de toute façon, est-ce qu’elle n’est pas fatiguée quand même ?  

 

 

Ce qui est sûr, c’est que chez l’oiseau, ce n’est pas Parkinson, mais une nécessité vitale. Son œil, c’est sa vigie, sa sentinelle, son guetteur : c’est qu’il faut voir venir, dans ce métier. Une seconde d’inattention, et on est cuit. En fait, c’est la victime qui a besoin de voir venir. Parce qu’il faut savoir : chez les oiseaux, on est soit victime, soit bourreau. Le bourreau a en général le bec recourbé et très affûté au bout de son crochet : c’est l’instrument de torture, c’est l’arme radicale.

 

 

Eh bien chez le bourreau, les deux yeux regardent du même côté. Tiens, c’est drôle, chez l’homme, c’est la même chose. C’est que le rapace a besoin des deux yeux à la fois pour situer la proie avec précision (angle et distance). L’homme aussi a besoin de repérer la proie. C’est ce qu’on appelle la vision binoculaire. C’est le cas de la chouette chevêche (21 cm) et du noble circaète Jean-le-Blanc (65 cm). En fait, tous les rapaces, à l’origine, se sont entendus, et ont voté pour ce système. Ils ont été bien inspirés, c’était un bon calcul. Bon, leur angle de vue est un peu réduit (110 degrés chez la chouette), mais après tout on n’a rien sans rien, c’est ce qu’il faut se dire, non ?

 

 

Attention, si vous remarquez que les yeux sont sur les côtés, c’est sûr, vous n’avez pas à faire à un rapace, vous avez à faire à une victime. Mettons un pigeon, parce que tout le monde ou presque est citadin aujourd’hui et qu’en ville, les pigeons pullulent, hélas pour les statues érigées sur les places publiques en l’honneur des inventeurs du métier à tisser mécanique et des généraux de l’Empire. Ce qui compte, ici, ce n’est pas le repérage des proies, c’est la détection des prédateurs. Autrement dit, il faut un angle de vue le plus large possible. Le pigeon ? 340 degrés, qu’est-ce que vous dites de ça ? Difficile de faire mieux, mais c’est possible, vous allez voir.

 

 

Très différents des nôtres, les yeux des volatiles : l’homme peut regarder « en face », la femme peut regarder « en coin », c’est d’ailleurs ce qui fait son charme. Et c’est vrai qu’à cet égard, l’homme est un gros bêta. La femme, en plus, peut à loisir faire semblant de ne pas regarder. Et ça, l’homme n’a toujours pas repéré le « truc », semble-t-il. Il lui reste encore à en apprendre, sur sa congénère.  

 

 

Chez les oiseaux, c’est beaucoup plus républicain, je veux dire égalitaire : tout le monde regarde à peu près « en face ». On n’a pas connaissance, par exemple, d’un oiseau qui loucherait : le strabisme est inconnu chez la gent aviaire. Pour une raison simple, c’est qu’elle est presque dépourvue des muscles oculomoteurs (c’est comme ça qu’on dit) qui permettent à nos chasses (nos calots, nos mirettes, si vous préférez) de pivoter, voire de vriller, comme ceux du loup dans la boîte de nuit où il mate le chaperon rouge, chez TEX AVERY. Rien que pour ça, je n’ai aucune jalousie envers les oiseaux.

 

 

Et pourtant si, je dois l’avouer, je suis jaloux de la chouette, de n’importe quelle chouette : je suis incapable de faire pirouetter ma tête, comme elle, sur 270 degrés. Bon, elle en est fière, eh bien je lui laisse. Je me rattraperai ailleurs. Autre chose dont je suis incapable : comprimer plus ou moins, comme le font couramment tous les oiseaux, mon cristallin pour qu’il accommode précisément, grâce à deux muscles « ad hoc »,  pour qu’il « mette au point » sur la chose regardée. C’est grâce à ça qu’aucun oiseau n’a jamais été obligé de porter lunettes ou lentilles de contact.

 

 

On a appris par les journaux que chouettes et faucons peuvent même agir sur la courbure de leur cornée. Mais globalement, je suis quand même bien content de ne pas être une chouette : je n’ai aucune envie de finir cloué sur une porte de grange. C’est vrai qu’elle non plus, j’imagine.

 

 

Je ne vous embêterai pas avec le « peigne », qui reste assez mystérieux, dont certains pensent qu’il sert, par une irrigation vasculaire accrue, à combattre l’éblouissement, d’autres à identifier des objets éloignés. On en est là. Je mentionnerai en passant la membrane nictitante, cette troisième paupière qui permet aux oiseaux de nuit d’atténuer l’éclat du jour, en même temps qu’elle nettoie l’œil  gratuitement et régulièrement. On ne saurait être mieux servi.

 

 

Venons-en à la bécasse, vous voyez que tout finit par arriver, même ce qui est annoncé. Je ne crains pas de le dire : c’est un oiseau attendrissant, non pas à cause de la scène infâmante dont GUY DE MAUPASSANT inaugure ses Contes de la bécasse, mais à cause de la « croule », ce curieux manège que les mâles font les soirs de mars autour du même « pâté de bois » (ben oui, ils n'ont pas de pâtés de maisons) en gonflant leur plumage, battant lentement des ailes et croassant des « croo », avant de siffler des « touissik ».

 

 

La bécasse possède une autre curiosité : ses oreilles sont placées en dessous de l’œil. Mais la vraie merveille qu’elle offre est la suivante : son champ de vision est SUPERIEUR à la totalité du cercle. C’est incroyable, mais c’est comme je vous le dis, soit dit sans nulle forfanterie de ma part. Environ 380 degrés. Texto. Ce résultat est indispensable à sa sécurité.

 

 

Pensez donc, quand elle enfonce son bec dans un sol humide à la recherche de vers de terre, elle est à la merci de qui passerait par là dans une intention mauvaise pour elle. Et ce qui rend possible ce résultat, c’est précisément l’emplacement des yeux : diamétralement opposés sur les extrémités latérales du crâne. J’explique : que vous regardiez la bécasse de face ou de dos, vous voyez nettement les yeux Vous apercevez exactement les yeux de la même manière, deux demi-sphères noires et brillantes qui protubèrent. Eh bien je vais vous dire : ça fait bizarre.

 

 

Voilà, vous savez tout. Ou presque. Enfin, pas loin.  

 

 

 

 

 

 

 

samedi, 08 octobre 2011

LES YEUX RETROVISEURS DE LA BECASSE

Je préviens tout de suite : on y viendra, à la bécasse, mais s’il vous plaît, laissez-moi le temps d’y arriver.

 

Les merveilles du monde animal, on ne saurait s’en lasser. Pensez aux vingt chapitres qu’ HERMAN MELVILLE consacre à la description du grand cachalot dans Moby Dick. Pensez aux liens mystérieux que PIERRE MOINOT tisse entre l’humanité et les bêtes dans La Chasse royale ou Le Guetteur d’ombre.

 

Pensez à cette nouvelle posthume du magnifique LOUIS PERGAUD, La Rencontre (oui, le même qui a écrit La Guerre des boutons, assassiné en 1915 sur je ne sais quel champ de bataille, lors du grand suicide inaugural de l’Europe dans le petit matin glauque du XX° siècle), où deux jeunes garçons rentrent chez eux un soir de Jura couvert de neige, obstinément suivis, à dix mètres, par un drôle de « chien » qui, aux abords du village, n’a rien de plus pressé que de sauter en un clin d’œil sur Tom, le roquet détesté du détesté père Zéphyr, de l’égorger proprement et de l’emporter brusquement dans la forêt. C’était évidemment un loup. C’était en d’autres temps.

 

Personnellement, je suis aux anges lorsque j’entends, quelque part en l’air, le miaulement caractéristique de la buse variable ; lorsque, dans les hauts de la vallée d’Aspe, j’aperçois pendant quatre secondes le vol d’un percnoptère ; lorsque, du côté de Puy-Saint-Vincent, un circaète Jean-le-Blanc offre la surprise d’un passage à proximité ; lorsque, du fond des gorges du Verdon, j’aperçois le vol d’une quinzaine de vautours largement éployés au sommet de la falaise, posés sur un coussin d’air chaud.

 

J’aime ces surprises animalières : quand toi, perdu dans le massif du Pilat avec une carte que les bûcherons ont si méticuleusement saccagée que tu n’es plus en mesure de savoir où tu te trouves à dix kilomètres près, et que tu tombes nez à nez avec une biche qui te regarde fixement aussi longtemps que tu ne bouges pas un cil, mais « qui preste s’évanouit » (BRASSENS, « Les belles passantes »), dès que tu romps l’enchantement, parce qu’il faut bien bouger. Mais la biche, même un autre jour au-dessus de Crémieu, sur un sentier à peine dessiné, tu vois plus souvent son cul que ses yeux : peut-être ce qu’on appelle la « gentillesse » féminine ?

 

Je peux même te raconter la truite, dans ce qu’on appelle le « ruisseau de Chaumargeais » (à toi de trouver où ça se trouve), quand tu marches pieds nus dans la flotte et que, à chaque pierre qui « fait de l’ombre », tu t’arrêtes tout doux, tu te baisses tout doux, et tu passes tout doux les mains sous la pierre, le gras des doigts vers le haut. Quand le contact est soyeux, tu redoubles de douceur, comme un fétu qui suivrait le courant et qui effleurerait ce que tu as senti.

 

Tu mesures la dimension de la bête : une main tendre à la tête, une main tendre au ventre, tu crispes soudain les doigts, et tu jettes sur l’herbe, assez loin pour que, de son saut puissant, elle n’ait aucune chance de retourner à l’eau. Le soir, si tu t’es pas fait prendre, tu te régales : une poêle, les quelques jolies pièces de l’après-midi, la maille ou pas la maille, roulées dans la farine, un peu de beurre, que demande le peuple ?

 

Seulement un peu de bonheur. Tu peux aussi essayer dans la Cérigoule, ça marche aussi, mais elle est un peu large. Bien entendu, la « pêche à la main » est tout à fait illégale, prohibée, voire interdite, si ce n’est même proscrite. Parce que trop efficace et moins aléatoire, sans doute. Plus sûrement parce que tu n’as pas payé le timbre. Je vais te dire : « Attrape-moi si tu peux ! »

 

Regarde mourir un pic-vert, ça laisse également des souvenirs. Le fusil paternel résonne juste à côté de ton oreille : il a tiré ! Et tu vois l’oiseau tout d’un coup monter en flèche vers le ciel. Le fusil paternel te déclare : « Il a eu un plomb en pleine tête ». C’est sûr. Ça dure un instant seulement : après la flèche, la pierre, qui tombe verticale vers le sol. Au moins, tu n’as pas à chercher dans les broussailles. L’étonnant, une fois l’oiseau vert allongé sur la plaque de marbre : la langue ! Jamais vu une langue aussi longue, un peu dégoûtante au toucher. Bon, je sais bien que c’est très bête, de tuer un pic-vert.

 

La taupe, ce n’est pas mal non plus. Cela se passe dans « les marais ». Le jour est sec, le chemin et le soleil aussi, et les feuilles mortes aussi, qui commencent à crisser toutes seules les unes contre les autres. Bizarre. Tu t’es mis à l’ombre pour siroter ton breuvage. Le vélo est couché sur le bas-côté du chemin de terre. Tu es assis. Tu savoures la chose et le repos. C’est quoi, ces feuilles qui bougent ? Evidemment, tu vas voir, tu soulèves une feuille, puis deux, puis un paquet. C’est quoi, ce cylindre noir qui essaie de s’enfouir ? Mets-y les doigts ! Attention, ça mord et ça griffe. Incroyable, cette méchanceté ! Retournes-y, mais prudence.

 

C’est drôle, quand tu tiens la bête, le ventre en l’air : un museau de musaraigne, mais en moins long et en plus fort. Et des pattes comme des battoirs griffus, avec un dessous entre le rose et le gris. Bon, vous aurez beau insister, je ne dirai rien de ce qui arriva ensuite. Vous risqueriez de m’en vouloir. Sachez seulement que je m’intéressais fort à l’époque aux divers procédés de tannage des peaux. Ce que je peux parfaitement avouer, c’est qu’il n’y a pas plus doux sur terre que la fourrure de taupe, y compris la peau des filles, qui ont certes les griffes, mais même pas de la fourrure partout, et nulle part cette sorte de fourrure, à poils courts et droits, et d’une finesse inégalée.  Passons.

 

Puisqu’on est à la chasse, venons-en au moustique. Je n’ajouterai rien aux sempiternelles lamentations du touriste en vacances. Je pense aussi à une aventure de Lucky Luke : ce salopard de « poor lonesome cowboy and far away from home » introduit par le trou de la serrure un moustique dans la chambre d’hôtel d’Averell Dalton, qu’il doit affronter le lendemain. Au matin, celui-ci a le teint tellement verdâtre qu’il suffit d’une pichenette pour l’assommer. C’est vrai que ça rend la nuit impossible, le moustique. Mais il faudrait interdire cette déloyauté.

 

Moi, j’en avais régulièrement dans ma chambre, des moustiques. Heureusement, j’ai inventé une arme imparable. Quand vous aurez le temps, allumez une bougie. Intercalez-la entre la bombe insecticide et le moustique posé sur le mur en plâtre peint en bleu clair un peu pisseux. Laissez au moins vingt centimètres entre la bougie et la bombe. Appuyez. Pas longtemps. Relevez maintenant l’index, et observez : vous avez du mal à retrouver quelque trace que ce soit de la bestiole. Ben oui, elle a eu un peu trop chaud, quoi. Quoi, c’est dangereux ? Evidemment ! Où serait le plaisir de la chasse au chalumeau, je vous le demande ?

 

Bon, bref. Alors comme ça, mon sujet, c’était les oiseaux. Puisque j’en étais à la chasse, je signale que beaucoup d’espèces d’oiseaux distinguent à merveille le promeneur inoffensif et le chasseur armé d’un fusil. Vous vous baladez les mains dans les poches, vous avez des chances d’observer des vols presque normaux à proximité. Vous portez un grand bâton noir luisant et qui fait du bruit au creux du bras : vous ne voyez plus la queue d'un. Etonnant, mais c’est comme je vous le dis !

 

Il n’y a pas que le bec qui soit intéressant, chez les oiseaux. Voyez leur œil. Et tenez-le à l’œil jusqu’au prochain épisode.