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dimanche, 09 octobre 2011

LA BECASSE A UN OEIL DE LYNX

Bon, alors il paraît que j’étais parti à la chasse à la bécasse ? Tiens, à propos, la rengaine, vous la connaissez, non ? « L’curé d’chez nous s’en allait à la chasse, Avec son chien, son fusil je l’ai vu. En chemin il rencontre une bécasse, La vise au cœur et lui perce le … Curé d’chez nous s’en allait … etc … ». Sinon, je vous dirai la mélodie, ça fera passer le temps, disons au moins 1 minute 17 secondes.

 

 

Donc l’œil, on disait. Si je m’écarte encore de mon sujet, tenez-moi à l’œil et rappelez-moi à l’ordre. Alors, si on veut être précis, qu’est-ce que c’est, un œil ? Sans vouloir trop finasser, je dirais qu’à moi, il me sert à planter ma fourchette ailleurs qu’à côté du morceau de viande dans mon assiette.

 

 

Accessoirement, ça sert à deux ou trois choses essentielles : apercevoir sans en rien perdre la belle jeune femme en face (anecdote livrable avec certificat d’authenticité) juste au moment où, s’étant séchée après la douche, elle est obligée de traverser la pièce, toute fenêtre ouverte, pour attraper son soutien-gorge et sa culotte sur l’étendage, qu’elle avait oubliés de disposer à portée de main (ça n'est plus arrivé, promis) ; voir venir les ennuis de loin ; identifier les problèmes ; envisager les solutions d’un regard lucide et courageux ; chiper au nez et à la barbe des autres le sot-l’y-laisse oublié dans le plat ou deux billets de 10.000 quand on est caissier au Monopoly. Bref, des choses futiles, on en conviendra.

 

 

Dans le fond, l’œil, chez l’homme, n’est pas une nécessité vitale. Chez les oiseaux, c’est le contraire. S’il n’a pas l’œil, le volatile, tout simplement, il est mort. La preuve, c’est que chez les humains, l’aveugle est en général laissé en vie, jusqu’à ce que mort naturelle s’ensuive, évidemment, mais ça, c’est valable pour tout le monde. L’oiseau aveugle, c’est peut-être un bon titre de roman fantastique, mais dans la réalité, macache bono, si je peux me permettre. Réciproquement, il n’y a pas d’oiseau mort qui ne soit pas aveugle (maman m’a dit que la double négation, ça impressionne toujours). Mais il paraît que chez nous c’est pareil, quand on est mort, on ne voit plus rien. Ça me manquera.

 

 

Regardez n’importe quel oiseau, parmi ceux qui picorent au sol : sa tête n’arrête pas de bouger d’avant en arrière, de tourner dans tous les sens, de se baisser et de se relever. Epuisant, je me dis. Comparez avec la dame âgée qui fait la queue chez le charcutier : elle n’arrête pas de faire oui et non avec la tête et avec la main. Je me dis qu’elle doit être fatiguée en fin de journée, après avoir fait tant d’exercice. Quoi, maladie de Parkinson ? Pardon, je ne savais pas. Mais de toute façon, est-ce qu’elle n’est pas fatiguée quand même ?  

 

 

Ce qui est sûr, c’est que chez l’oiseau, ce n’est pas Parkinson, mais une nécessité vitale. Son œil, c’est sa vigie, sa sentinelle, son guetteur : c’est qu’il faut voir venir, dans ce métier. Une seconde d’inattention, et on est cuit. En fait, c’est la victime qui a besoin de voir venir. Parce qu’il faut savoir : chez les oiseaux, on est soit victime, soit bourreau. Le bourreau a en général le bec recourbé et très affûté au bout de son crochet : c’est l’instrument de torture, c’est l’arme radicale.

 

 

Eh bien chez le bourreau, les deux yeux regardent du même côté. Tiens, c’est drôle, chez l’homme, c’est la même chose. C’est que le rapace a besoin des deux yeux à la fois pour situer la proie avec précision (angle et distance). L’homme aussi a besoin de repérer la proie. C’est ce qu’on appelle la vision binoculaire. C’est le cas de la chouette chevêche (21 cm) et du noble circaète Jean-le-Blanc (65 cm). En fait, tous les rapaces, à l’origine, se sont entendus, et ont voté pour ce système. Ils ont été bien inspirés, c’était un bon calcul. Bon, leur angle de vue est un peu réduit (110 degrés chez la chouette), mais après tout on n’a rien sans rien, c’est ce qu’il faut se dire, non ?

 

 

Attention, si vous remarquez que les yeux sont sur les côtés, c’est sûr, vous n’avez pas à faire à un rapace, vous avez à faire à une victime. Mettons un pigeon, parce que tout le monde ou presque est citadin aujourd’hui et qu’en ville, les pigeons pullulent, hélas pour les statues érigées sur les places publiques en l’honneur des inventeurs du métier à tisser mécanique et des généraux de l’Empire. Ce qui compte, ici, ce n’est pas le repérage des proies, c’est la détection des prédateurs. Autrement dit, il faut un angle de vue le plus large possible. Le pigeon ? 340 degrés, qu’est-ce que vous dites de ça ? Difficile de faire mieux, mais c’est possible, vous allez voir.

 

 

Très différents des nôtres, les yeux des volatiles : l’homme peut regarder « en face », la femme peut regarder « en coin », c’est d’ailleurs ce qui fait son charme. Et c’est vrai qu’à cet égard, l’homme est un gros bêta. La femme, en plus, peut à loisir faire semblant de ne pas regarder. Et ça, l’homme n’a toujours pas repéré le « truc », semble-t-il. Il lui reste encore à en apprendre, sur sa congénère.  

 

 

Chez les oiseaux, c’est beaucoup plus républicain, je veux dire égalitaire : tout le monde regarde à peu près « en face ». On n’a pas connaissance, par exemple, d’un oiseau qui loucherait : le strabisme est inconnu chez la gent aviaire. Pour une raison simple, c’est qu’elle est presque dépourvue des muscles oculomoteurs (c’est comme ça qu’on dit) qui permettent à nos chasses (nos calots, nos mirettes, si vous préférez) de pivoter, voire de vriller, comme ceux du loup dans la boîte de nuit où il mate le chaperon rouge, chez TEX AVERY. Rien que pour ça, je n’ai aucune jalousie envers les oiseaux.

 

 

Et pourtant si, je dois l’avouer, je suis jaloux de la chouette, de n’importe quelle chouette : je suis incapable de faire pirouetter ma tête, comme elle, sur 270 degrés. Bon, elle en est fière, eh bien je lui laisse. Je me rattraperai ailleurs. Autre chose dont je suis incapable : comprimer plus ou moins, comme le font couramment tous les oiseaux, mon cristallin pour qu’il accommode précisément, grâce à deux muscles « ad hoc »,  pour qu’il « mette au point » sur la chose regardée. C’est grâce à ça qu’aucun oiseau n’a jamais été obligé de porter lunettes ou lentilles de contact.

 

 

On a appris par les journaux que chouettes et faucons peuvent même agir sur la courbure de leur cornée. Mais globalement, je suis quand même bien content de ne pas être une chouette : je n’ai aucune envie de finir cloué sur une porte de grange. C’est vrai qu’elle non plus, j’imagine.

 

 

Je ne vous embêterai pas avec le « peigne », qui reste assez mystérieux, dont certains pensent qu’il sert, par une irrigation vasculaire accrue, à combattre l’éblouissement, d’autres à identifier des objets éloignés. On en est là. Je mentionnerai en passant la membrane nictitante, cette troisième paupière qui permet aux oiseaux de nuit d’atténuer l’éclat du jour, en même temps qu’elle nettoie l’œil  gratuitement et régulièrement. On ne saurait être mieux servi.

 

 

Venons-en à la bécasse, vous voyez que tout finit par arriver, même ce qui est annoncé. Je ne crains pas de le dire : c’est un oiseau attendrissant, non pas à cause de la scène infâmante dont GUY DE MAUPASSANT inaugure ses Contes de la bécasse, mais à cause de la « croule », ce curieux manège que les mâles font les soirs de mars autour du même « pâté de bois » (ben oui, ils n'ont pas de pâtés de maisons) en gonflant leur plumage, battant lentement des ailes et croassant des « croo », avant de siffler des « touissik ».

 

 

La bécasse possède une autre curiosité : ses oreilles sont placées en dessous de l’œil. Mais la vraie merveille qu’elle offre est la suivante : son champ de vision est SUPERIEUR à la totalité du cercle. C’est incroyable, mais c’est comme je vous le dis, soit dit sans nulle forfanterie de ma part. Environ 380 degrés. Texto. Ce résultat est indispensable à sa sécurité.

 

 

Pensez donc, quand elle enfonce son bec dans un sol humide à la recherche de vers de terre, elle est à la merci de qui passerait par là dans une intention mauvaise pour elle. Et ce qui rend possible ce résultat, c’est précisément l’emplacement des yeux : diamétralement opposés sur les extrémités latérales du crâne. J’explique : que vous regardiez la bécasse de face ou de dos, vous voyez nettement les yeux Vous apercevez exactement les yeux de la même manière, deux demi-sphères noires et brillantes qui protubèrent. Eh bien je vais vous dire : ça fait bizarre.

 

 

Voilà, vous savez tout. Ou presque. Enfin, pas loin.