samedi, 13 juin 2015
HONORÉ SOIT DEBUSSY 2
Résumé : je disais que le metteur en scène d'opéra semble n'avoir rien de plus pressé que de manquer de respect aux œuvres. Plus l'agression est « transgressive » ; plus le public est violé avec aplomb ; plus les connaisseurs s'interrogent sur la signification, et plus le metteur en scène jouit de la plénitude de son pouvoir. Je ne sais plus quel chef d'orchestre, trouvant la mise en scène par trop injurieuse pour le bon sens, avait abandonné les organisateurs à leur triste sort : voilà une attitude digne. Il faudrait apprendre à ces messieurs les metteurs en scène un minimum de modestie. Mais l'humilité n'est la qualité que de trop rares exceptions.
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Le monsieur qui "met en scène" fait le plus souvent le docte, le cuistre, le pédant. Son métier est de sinistrer les lieux où il passe, comme Attila. Plus il « dérange », plus il « surprend » le spectateur dans son « confort », plus il est content. Il se plaît à « briser les tabous ». La mode est à provoquer, à jeter le trouble, à inquiéter, à faire « bouger les lignes ». Ce qui a déjà été fait est à jeter à la poubelle. Le mot d'ordre général prend au pied de la lettre l'injonction de Baudelaire au dernier vers des Fleurs du Mal : « Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau ! ». Traduction en novlangue béotienne : n'importe quoi, pourvu que ça n'ait jamais été fait.
Il y a bien de l’arrogance dans cette façon pour le metteur en scène d’entrer par effraction dans l’univers d’une œuvre pour, a-t-il le front d'oser soutenir, en révéler les contenus potentiels, inaperçus jusqu'à son arrivée, et d’interposer entre cette oeuvre et le spectateur l’écran de la révélation (?) qu’elle a constituée, prétend-il, pour lui.
Il ne se rend pas compte que quand ça devient systématique, (la nudité sur scène, ou toute autre « transgression », jusqu'à l'ithyphallique, à l'urinaire et au fécal), cela devient un académisme, un conformisme d’un nouveau genre. A quelle audace transgressive faudra-t-il hisser la prochaine mise en scène pour briser le stéréotype nouvellement inventé ?
Ces propos acrimonieux m’ont été suggérés par le triste sort qui attend le Pelléas et Mélisande de Debussy, à l’opéra de Lyon du 8 au 22 juin, si j’en crois les propos de Christophe Honoré, metteur en scène. Je m’attends au pire, quand j’observe la photo retenue pour illustrer l’article paru dans la presse locale (Le Progrès, dimanche 7 juin).
Message du metteur en scène : "Faisons descendre les chefs d'œuvre de leur Olympe pour les réduire à notre dimension".
Honoré est très net : « Je fais le choix de l’expressivité, d’une certaine brutalité, dans une esthétique contemporaine. (…) J’installe l’action dans une sorte de friche industrielle, avec des ateliers désertés par les ouvriers, la misère qui rode [sic]. Au milieu, une grande famille bourgeoise ruinée, comme ces dynasties du textile ou de l’acier qui vivent dans le souvenir de leur âge d’or ». Ma foi, ça ou autre chose, après tout … Je me demande quand même, dans ce paysage industriel sinistré, ce qu’il a prévu de faire faire à Golaud, au tout début, qui est censé s'être perdu dans l’immense forêt, à la poursuite d’une bête qu’il a blessée, puis qui rencontre Mélisande. Y aura-t-il une fontaine obscure et profonde au fond de laquelle brille l’or ?
Ces questions n’effleurent pas, apparemment, le metteur en scène : « Je veux éclairer leurs désirs, non les sous-entendus de leurs sentiments ». Je cherche à comprendre la nuance. Christophe Honoré veut, voilà tout. L’idée ne l’effleure pas de mettre son savoir-faire, peut-être son talent, au service de l’œuvre de Debussy. C’est tout simple : il applique le slogan en vigueur de nos jours : « Je fais ce que je veux, na ! ».
Dans la même veine, quoique dans un autre domaine, j’entendais l’autre soir deux éminents niaiseux du Masque et la plume (Patricia Martin, Arnaud Viviant) tresser des couronnes de laurier à la dernière parution d’un certain Jean Teulé, Héloïse, ouïlle !, qui rebâtit à sa façon, si possible pornographique, la fameuse histoire d’Héloïse et Abélard (on comprend bien sûr le « ouille » du titre, quelle marrade, les poteaux !). L'injure est du même ordre.
Jean-Louis Ezine était le seul à partir en guerre contre cette réécriture obscène. Il vit encore dans l'ancien monde, où il arrivait que les hommes résistassent à la veulerie invasive. Voilà donc tout ce qu’un auteur à succès (il paraît qu’il en a, faut-il que les lecteurs soient devenus « des esprits errants et sans patrie ») est capable de tirer d’un chef d’œuvre de notre littérature : une turlupinade. Ezine n’a rien compris à l’époque : il faut briser les tabous, transgresser, se fendre la pipe. Ora pro nobis, euh non : priez porno.
Retour à Pelléas. Olivier Messiaen s’est vu offrir, par Jean de Gibon, quand il avait dix ans (en 1918, donc), une partition chant-piano de l’œuvre de Debussy. Quelque temps après, il était capable de la réciter par cœur dans les moindres détails. Pelléas et Mélisande a toujours constitué pour Messiaen une œuvre fondatrice.
Ce n'étaient pas ses débuts : « On venait de m'acheter des extraits de l' "Orphée" de Gluck, et je regardais le thème en fa majeur du grand air d'Orphée au premier acte, qui est probablement la plus belle phrase que Gluck ait écrite, quand je me suis aperçu que je "l'entendais". Donc j'avais l'audition intérieure - et je ne faisais de la musique que depuis quelques mois » (cité dans l'impeccable biographie de Peter Hill et Nigel Simeone, Fayard, 2008, p. 25). Il raconte aussi qu'étant enfant, il jouait pour son frère (par cœur) les pièces de Shakespeare en tenant tous les rôles.
Je me demande ce qu’il penserait des propos et des intentions de monsieur Christophe Honoré, metteur-hélas-en-scène de ce qui fut à ses yeux le chef d'œuvre absolu.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans MUSIQUE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique, opéra, lyon, opéra de lyon, christophe honoré, pelléas et mélisande, metteur en scène, philippe beaussant, la malscène, claude debussy, golaud, le masque et la plume, patricia martin, arnaud viviant, jean teulé, héloïse ouïlle, héloïse et abélard, jean-louis ézine, olivier messiaen, peter hill, éditions fayard, journal le progrès, baudelaire, les fleurs du mal, baudelaire le voyage
mardi, 27 novembre 2012
AH, LES PETITS OISEAUX ! (2)
Pensée du jour :
"RUPESTRE" N°4
« Il y a aussi les dictionnaires, dernier refuge, suprême bastion du fantastique. Par exemple, cette édition (assez ancienne) de M. Larousse qui supprimait Napoléon. On y trouvait tout simplement : "Bonaparte : général né le tant, mort le tant". M. Larousse était contre l'Empire, il l'avait supprimé d'un trait. C'est un geste assez sympathique, qui prouve de fortes convictions. Il est vrai que Baudelaire n'était pas mieux loti : il avait droit à quatre lignes. Pour compenser, M. Larousse avait dix pages. Peut-être parce qu'il était moins connu ».
ALEXANDRE VIALATTE
Je signale pour commencer que j'illustre la présente note des photos (ou dessins) correspondant aux 13 pièces (dans l'ordre, s'il vous plaît) qu'OLIVIER MESSIAEN consacre à ses animaux préférés dans son Catalogue d'oiseaux, augmenté de La Fauvette des jardins. CHOCARD DES ALPES (à droite)
LORIOT Le bon peuple – ne parlons pas du jeune de banlieue dont l’essentiel de l’occupation consiste à assurer le coefficient d’occupation des cages d’escaliers et le soutien des murs écaillés et branlants de la cité – ne sait donc pas que, quand il entend des piet-piet dans l’aigu, il a affaire à un Traquet oreillard. On ne saurait le lui reprocher.
Mais saura-t-il mieux reconnaître la Barge à queue noire, en percevant, répétées et mélodieuses, des séries de rédo-rédo ? Ce n’est ni sûr, ni évident. Il voudra peut-être savoir que le kou-î sonore et mélancolique est le propre du Courlis cendré, et que le ouhoump-ouhoump-ouhoump (j’adore quant à moi cette exhalaison convulsive, cette bruyante vibration grave) ne saurait appartenir à nul autre qu’au Butor étoilé. Qui ne resterait ébaubi, voire abasourdi, face au kluit-uit-uit du Chevalier culblanc ? MERLE BLEU
TRAQUET STAPAZINJ’ajoute que l’amateur ne saurait se tromper en attribuant au Cincle plongeur, non seulement le discordant tzett-tzett, mais encore le métallique clink-clink (qui n’est pas sans rappeler quelques souvenirs mitigés à l’électeur français, surtout s’il n’aimait pas SARKOZY), dès qu’il les entend. Le badaud reste pantois et ouvre de grands yeux émerveillés s’il apprend dans la foulée que le Cincle, pour se nourrir (larves de phryganes, nymphes de libellules, coléoptères aquatiques, …), réussit la prouesse de marcher au fond du torrent en se faisant plaquer au fond par la force du courant.CHOUETTE HULOTTE
ALOUETTE LULU Mais pour ma part, tout au moins en matière d'onomatopées ornithologiques, j’absous bien volontiers les spécialistes qui, le plus souvent bénévolement, consacrent tout ou partie de leurs loisirs à observer, écouter les oiseaux, à collecter toutes sortes de données et d’informations utiles à destination des autres spécialistes. Mais trêve de bavardage, et cessons de nous moquer.
ROUSSEROLLE EFFARVATTE OLIVIER MESSIAEN est un grand compositeur du 20ème siècle français. Pour apprécier pleinement l’incroyable chef d’œuvre que constitue son Vingt Regards sur l’Enfant Jésus (il est tout à fait possible de faire abstraction de l’Everest de foi catholique qui habite cet immense compositeur, avec par exemple les trois coups de gong en fa dièse majeur du "thème de Dieu" qui reviennent tout au long de cette composition titanesque de 2000 mesures !). Je n’aime pas tout, c’est sûr. La Turangalîla symphonie (prononcer, paraît-il, Touraneguelila) m’est difficile d’accès. Mais son Catalogue d’oiseaux vous transporte sur ses ailes, légères et puissantes tout à la fois. ALOUETTE CALANDRELLE
BOUSCARLE Il faut le savoir, OLIVIER MESSIAEN (fils de PIERRE, traducteur de SHAKESPEARE, éditions Desclée de Brouwer), a commencé et fini par la musique, mais il fut ornithologue, et un assez bon pour être considéré comme tel par les gens du sérail. Cela ne l'empêcha pas de savoir très tôt (et par coeur) la partition intégrale de Pelléas et Mélisande, dont il chantait de mémoire, devant ses élèves, tous les rôles, en s'accompagnant au piano. MERLE DE ROCHE
BUSE VARIABLE (photo jan scevcik) Il faut le savoir, il se promenait dans les bois, dans la campagne, dans la montagne – souvent en compagnie de sa future compagne, et interprète de prédilection, YVONNE LORIOD, histoire d’autant plus délectable que le loriot (voir photo au tout début), tout au moins le mâle, j’espère que nulle femelle (loriot, s'entend) ne m'en voudra, est un oiseau magnifique –, pour identifier les chanteurs, mais aussi et surtout pour en noter la musique sur de grandes feuilles de papier réglé (des partitions vierges, quoi). TRAQUET RIEUR
COURLIS CENDRÉ MESSIAEN a une affection marquée pour le Merle noir : « Le Merle noir – le plus original et le plus complet mélodiquement des oiseaux chanteurs ». Il ajoute des choses étonnantes : « Comme il n’abandonne jamais ce qu’il a trouvé, à chaque printemps, il reprend les thèmes du printemps précédent, en y ajoutant de nouvelles productions ». On entend bien le « ravi », ce santon qui est en extase devant tout ce qu’il voit. MESSIAEN est en admiration devant le spectacle de la nature. Cet homme est né pour célébrer.
Retour au Merle noir : « Ce qui peut caractériser le chant du Merle noir : c’est d’abord son registre médium (il est beaucoup moins aigu que beaucoup d’autres chanteurs) – ensuite sa tonalité colorée, joyeuse, où l’on trouve la tierce majeure, le mode majeur, et même l’hypermajeur (par exemple, do majeur avec un fa dièse) – enfin le sentiment mêlé qui se dégage de ses lignes mélodiques, tantôt moqueuses, ironiques, et d’une exubérante gaieté, tantôt calmes, paisibles, presque solennelles ». J’arrête là. Le Merle noir est devenu une « sonate » pour flûte et piano. FAUVETTE DES JARDINS
Mais il ne dédaigne aucune espèce. Son Catalogue d’oiseaux en comporte 13. Le pianiste ANATOL UGORSKI y joint La Fauvette des jardins (ci-contre). Mais où qu’on regarde dans la forêt des œuvres du maître, on trouve à tous les coins de rues des références au monde des oiseaux, et il n’y a pas ici la place pour tout énumérer. Et quand il se lance dans la composition d’un opéra, le seul, c’est un Saint François d’Assise(l’ami des oiseaux), plutôt un oratorio qu'un opéra au demeurant, selon MICHEL FANO. Cela n'empêche pas JOSÉ VAN DAM d'y faire merveille.
YVONNE LORIOD (LE GRAND AMOUR)
Bon, je ne vais pas ici résumer la vie de MESSIAEN (je ne parle pas de l’œuvre, ce dont je serais bien incapable). Le chrétien, ou plutôt le catholique, ne me dérange pas, bien que sa foi puissante imprègne absolument tout ce qu’il a composé, y compris les œuvres où s’exprime en filigrane un amour tout ce qu’il y a de "terrestre". Le sensuel ne lui fait pas peur.
Le curieux lira avec intérêt le formidable et passionnant livre que PETER HILL (ci-contre, en compagnie du vieux maître) et NIGEL SIMEONE lui ont consacré (éditions Fayard, 2008 ; PETER HILL fut un élève passionné de MESSIAEN).
Comme quoi, les petits oiseaux, ça mène à tout, à condition de ne pas en sortir.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie, alexandre vialatte, littérature, humour, poésie, musique, olivier messiaen, oiseaux, catalogue d'oiseaux, loriot, yvonne loriod, traquet oreillard, merle bleu, vingt regards sur l'enfant jésus, peter hill, anatol ugorski, nicolas sarkozy