mercredi, 28 novembre 2012
AH, LES PETITS OISEAUX ! (fin)
Pensée du jour :
"IDEOGRAMME PIETON" N°34
« Il faut faire le point de temps en temps.
Où va l'homme ? De plus en plus loin.
Mais il n'y va pas d'un seul coup. Il y va parfois même à regret. Disons qu'il y va par paliers, et de temps à autre par saccades. Avec des pauses, des reculs, des regrets et des temps morts. Il prend le loisir d'examiner ; surtout dans le Sud où la température s'y prête. C'est là qu'est née la civilisation. Et on se demande d'ailleurs ce que peut bien faire l'homme loin de ces mers tièdes où le marbre chaud permet de s'asseoir et de réfléchir ».
ALEXANDRE VIALATTE
Supposons que l’ornithologue français discute du Pipit farlouse avec son homologue allemand : il y a tout lieu de douter que ce dernier entende le même psit-piit-piit. Et l’Œdicnème criard, que devient en italien son crou-i-i grinçant ? Certes la question n’est pas susceptible de gâter les relations internationales, d’autant plus que le volatile est d’une correcte laideur, mais je pose la question : « Que devient la Science ? ». Et quid en anglais du bas et rauque krikk-ac’h-ac’h de la Sterne de Dougall ?
DIRE QUE CE TYPE VA SEDUIRE UNE FEMELLE POUR SE REPRODUIRE ! ...
(oedicnème veut dire : "jambes gonflées")
Et la question est d’autant plus térébrante pour le cerveau ordinaire que, enregistré sur bande magnétique, le dédévoui-tévoui (en français) produit par l’Hypolaïs est, hormis les variantes individuelles, le même dans tous les pays, encore que l’Hypolaïs, en particulier la Polyglotte, soit une des meilleures imitatrices qui soient. Hormis les variantes individuelles, en effet : je me rappelle un coq enroué, tout juste capable de se réveiller lui-même, un autre incapable de chanter deux fois la même séquence, et un autre encore, qui s'arrêtait à la deuxième syllabe, un velléitaire quoi. Certes, mais le problème global demeure global.
Je ne demande pas l’impossible. Il ne saurait être question d’unifier les transcriptions du tsip-tseup-tsip-tseup du Pouillot fitis en français, en tchouvache et en uzvarèche (si cher au cœur d’ALEXANDRE VIALATTE). Et pour faire bonne mesure, en serbo-croate. Non, il faut rester raisonnable. Mais est-ce s’inquiéter à tort que de demander ce que devient en javanais, en telugu, en ourdou le doux hennissement du très élégant milan royal, vous savez, le hiou-hiou-hiouou qui charme les oreilles du randonneur ? Ah, on me dit qu’on ne le trouve pas dans ces contrées abandonnées des dieux. N’y pensons plus.
LE MILAN ROYAL ? UNE IDEE DE LA VRAIE ARISTOCRATIE.
En quelle langue sont compris les kiouv-kiouv de notre Chouette Chevêche ? Le kooâc rauque et bref de notre Héron Bihoreau ? Le pu-ûp, ce petit cri flûté de notre Grand Gravelot ? Le lulludilulutillilu de l’Alouette lulu ? Les touik-touik étouffés du bécasseau sanderling ? Le ki-ki-ki du pic épeichette (qui ressemble comme deux gouttes d’eau, reconnaissons-le, au ki-ki-ki-ki du faucon crécerelle et au ki-ki-kit de la sterne naine) ?
Et moi qui m’attendris volontiers sur le pitsiou de la Mésange Nonnette ou sur les fantaisies de la Bergeronnette des Ruisseaux (tantôt un tschizzir aigu et métallique, tantôt un tsétsétsé assez sec, tantôt encore un délicieux tsui liquide et mélodieux), comment ma tendresse va-t-elle s’accomplir dans une traduction mal maîtrisée en ndébélé, en kikuyu, en gagaouze, voire (mais n’imaginons pas le pire) en auvergnat ?
"ET J'AI, DEUX FOIS VAINQUEUR, TRAVERSÉ L'ACHÉRON" (NERVAL)
(LAC DE CINCIS A HUNEDOARA, "Tota neinte", disait le flic qui nous envoyait à Gelari)
Quel Tchaghataï est à même d’attribuer notre célèbre trré trré trré trré à la Fauvette mélanocéphale ? Quel Oudmourte, notre tsic-tsic-tsic-tictic au Bruant des roseaux ? Quel Hottentot, notre krekreûkeurr, vous savez, cette espèce de grognement rauque, au Canard siffleur ? On nagerait dans l’obscurité dans le lac de Cincis à Hunedoara un soir de l’été 1990, ce serait bonnet blanc et corde à nœuds. Ce serait lune de miel et soleil vert. Ce serait jour de gloire et nuit blanche.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie, alexandre vialatte, littérature, humour, ornithologie, oiseaux, chants d'oiseaux, traduction