Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mardi, 23 octobre 2012

BALZAC 1

Pensée du jour : « Toutes les colombes sont des Robespierre à plumes blanches ».

 

HONORÉ DE BALZAC

 

 

Il signa HORACE DE SAINT-AUBIN ces livres qu’on appelle aujourd’hui « romans de jeunesse ». Il devait tenir à la particule, parce que, dans son vrai nom, il s’est tellement peu fait à son absence qu’il a voulu à toute force l’ajouter. Son vrai nom ? HONORÉ BALZAC. Qui, aujourd’hui, songerait à l’en priver, de sa particule imaginaire ? 

 

HONORÉ DE BALZAC, donc. Mon premier contact avec ce monument de la littérature, je ne dis pas « française », mais universelle, remonte à mon adolescence, lorsque mon père se mit à acheter pour moi, mois après mois, chacun des 37 volumes qui constituent l’édition du Cercle du Bibliophile. Cette édition ne vaut certes pas celle, beaucoup plus scientifique (et beaucoup plus chère !), donnée par le Club de l’Honnête Homme, à peu près à la même époque. Mais enfin, je m’en contentais. Il y avait l’essentiel : le texte. 

 

Ce qui a sauvé BALZAC à mes yeux, c’est de n’être jamais devenu un objet d’étude au lycée. Il a évité le grand tort qu’on fait subir aux grands auteurs de tenter de les expliquer en classe. Il a évité le total discrédit injustement tombé sur CORNEILLE, dont monsieur LAMBOLLET avait eu l’idée lumineuse de nous faire étudier la pièce Cinna. CORNEILLE ne s’en est pas remis. C’est un tort, je sais, mais que faire ? 

 

Quelle idée, aussi, de faire travailler des gamins de douze ans (c’était en cinquième) sur une œuvre éminemment politique (le sujet : la clémence d’Auguste envers un comploteur) ? 

 

On ne dira jamais assez combien, à quelques exceptions près, l’enseignement de la littérature tel qu’il était pratiqué, je veux dire : en vue d’obtenir une note au baccalauréat, est un des moyens de dégoûter les jeunes de la littérature. Comment leur donner le goût de la lecture ? Je le déclare solennellement : je n’en sais fichtre rien ! Quant à moi, je l'ai gardé, cultivé, développé. 

 

BALZAC fut donc sauvé. VICTOR HUGO aurait pu l’être aussi. C’est certain, il y a Notre-Dame de Paris, Les Misérables, Quatrevingt-treize. Oui, il y a le fleuve poétique (« Ce que dit la bouche d'ombre », c'est dans Les Contemplations : « Tout vit, tout est plein d'âme »). Mais il fait aussi exprès de se rendre insupportable. Car il y a aussi l’enflure, le déluge des images (« le pâtre promontoire au chapeau de nuée »), et puis il y a le culte, que dis-je, l’idolâtrie de l’antithèse (vous savez, dans Ruy Blas, le « ver de terre amoureux d’une étoile »). 

 

Bon, c’est vrai, HUGO emprunte ce goût du contraste violent au CHATEAUBRIAND des Mémoires d’outre-tombe. Mais ce qui reste mesuré chez celui-ci, HUGO en fait un Everest. Et puis CHATEAUBRIAND, toujours dans les Mémoires, consent à la simplicité du style quand il s’agit de décrire la nature et de raconter son passage du Saint-Gothard. HUGO n’est jamais modeste. J’exagère, je sais. Alors disons qu'il l'est rarement. 

 

C’est donc sans y être obligé que j’ai lu toute La Comédie humaine, ou presque. J’ai commencé à faiblir quand sont sortis les volumes contenant les Contes drolatiques, des pastiches bien corsés et bien verts de la langue baroque de RABELAIS et BEROALDE DE VERVILLE, dans la veine des Fabliaux du moyen âge (curés pécheurs jamais repentis, adultères joyeux, …). Quant au théâtre et aux romans de jeunesse, s’il me reste un jour du temps, pourquoi pas ? 

 

La Comédie humaine, c’est déjà un morceau respectable en soi. Je n’ai pas vu le temps passer. Les Illusions perdues ? C’est passé comme un rêve. Rubempré, « plus léger qu’un bouchon [qui dansait] sur les flots », ballotté au gré des D’Arthez et des Lousteau. 

 

Ah, du côté des femmes, Rubempré qui erre de la Bargeton à la Coralie, puis de La Torpille à la Maufrigneuse et à la Sérizy (mais ça, c’est dans Splendeurs et misères des courtisanes) ! On suit. Et on erre en sa compagnie, de la province profonde d’où il essaie de s’arracher jusqu’à son terrible suicide obscur (réussi, celui-là) à la Conciergerie, et des rêveries poétiques en compagnie de David Séchard aux sombres machination en compagnie de Carlos Herrera (alias Vautrin). 

 

Les deux grands BALZAC qui apparaissent dans La Comédie humaine, c’est bien sûr Rubempré et Rastignac. Je ne m’attarderai pas sur le fameux « A nous deux maintenant ! », que ce dernier lance au Paris illuminé qu’il voit du haut du Père Lachaise, où il vient d’être obligé d’emprunter pour payer les fossoyeurs qui ont enterré le père Goriot. Les filles de celui-ci ont eu l’obligeance d’envoyer leurs voitures (vides mais armoriées) à l’enterrement. 

 

On pressent la suite de la carrière d’Eugène dans la dernière phrase du livre (je parle du Père Goriot) : « Et pour premier acte de défi qu’il portait à la Société, Rastignac alla dîner chez madame de Nucingen ». Nuncingen, c’est le banquier dont BALZAC prend soin de rendre l’accent alsacien dans la graphie. Et dont la femme sera la maîtresse de Rastignac. Mais c’est vrai, Rastignac est moins sympathique et pitoyable que Rubempré. Ce dernier a trop besoin d’être aimé. Et Rastignac est trop cynique. 

 

Pourquoi je dis « les deux grands BALZAC » ? Est-ce que ce n’est pas évident ? Rastignac et Rubempré sont des émanations de BALZAC. Mais autant (non, bien davantage) que De Marsay, Maxime de Trailles, voire le dévoué et lucide avoué Derville. D’autres. 

 

N’y a-t-il pas encore de lui dans le banquier Nucingen, le calculateur et spéculateur sans scrupule ? Dans Birotteau, l’entrepreneur patient et honnête qui se fait plumer quand il veut changer d’échelle ? Ce qui hallucine, c’est la capacité de BALZAC à doter tous ses personnages de quelque part de lui-même, selon les aspirations ou les calculs qu’il a besoin de mettre en action.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

A suivre.

vendredi, 18 mai 2012

ELOGE DE MAÎTRE RABELAIS

Comme promis (« Compromis, chose due », disait COLUCHE en parlant des femmes), aujourd’hui, j’attaque Maître FRANÇOIS, alias ALCOFRIBAS NASIER. Bien sûr, que c’est RABELAIS. Que puis-je dire, au sujet de RABELAIS ? Si je disais que j’ai l’impression que j’ai du rabelais qui me coule dans les veines, je ne serais pas très loin de la vérité, mais ce ne serait sans doute pas très bon pour ma réputation (quoique …).

 

Pourquoi ? Mais à cause de la réputation de grand buveur devant l’éternel, qu’il traîne depuis toujours, pas complètement à tort, probablement. Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas sa lecture qui vous empêchera de passer à l’éthylomètre avant de prendre le volant. Tout ça pour dire que parmi les auteurs français que ma prédilection m’a amené à cultiver de préférence aux autres, je l'avoue aujourd'hui, c’est RABELAIS qui vient en tête.

 

En confidence et par parenthèse, je peux vous dire aussi que celui qui vient en queue s’appelle PIERRE CORNEILLE, mais ça, c’est dû à la longue malédiction qui a poursuivi ce malheureux génie depuis un épouvantable Cinna étudié en classe de 5ème, sous la férule de Monsieur LAMBOLLET, au lycée Ampère. J’imagine que c’était au programme. Je vous jure, Cinna à douze ans, il y a de quoi être dégoûté des mathématiques. Euh, j’ai dit une bêtise ?

 

« Prends un siège, Cinna, et assieds-toi par terre, Et si tu veux parler, commence par te taire ». Non, je déconne, ce n’est pas Auguste qui dit ça à Cinna, c’est nos esprits mal tournés d’élèves mal élevés qui brodaient. Forcément, c’est ça qui m’est resté. Mais ça doit être du genre de la « pince à linge » des Quatre Barbus et de la 5ème symphonie de BEETHOVEN.

 

Si, j’ai quand même retenu « Je suis maître de moi comme de l’univers », parce que je vous parle d’un temps où l’on apprenait par cœur. Je crois bien que c’est dans la bouche d’Auguste. Mais CORNEILLE m’a collé à la semelle gauche (il paraît que ça porte bonheur !), parce que plus tard, j’ai dû me farcir Sertorius, et puis Suréna, et ce traumatisme, franchement, je ne le souhaite à personne. Et je n’ai rien dit d’Agésilas et d’Attila : « Après l’Agésilas, hélas, mais après l’Attila, holà ! ». Même que ce n’est pas moi qui le dis, c’est BOILEAU, alors.

 

Résultat des courses, il m’est resté un automatisme : de même que Gaston Lagaffe éternue dès qu’on prononce le mot « effort », de même, dès que j’entends le nom de CORNEILLE, je bâille. Bon je sais, la blague est un peu facile, mais avouez qu’il fallait la faire, celle-là, et c’est d’autant plus vrai que ce n’est pas faux. Et puis si, par-dessus le marché, ça désopile la rate, on a rien que du bon.

 

Mais foin des aversions recuites – et injustes comme sont toutes les vendettas, et je ne vais pas passer ma vie à assassiner CORNEILLE qui, après tout, ne m’a jamais empêché de vivre, malgré des dommages monumentaux à mon égard, pour lesquels je n’ai jamais reçu d’intérêts –, revenons à RABELAIS. 

 

Le portrait ci-dessus est donné pour celui de RABELAIS en 1537. Il tranche avec tout ce qu'on connaît, et l'on est pris de doute. Pourtant, je me rappelle la collection de portraits accrochés dans un des bâtiments de La Devinière, la maison natale : beaucoup ressemblaient à l'officiel, de plus ou moins loin, il est vrai. Mais quelques-uns étaient de la plus haute fantaisie, faisant parfois de l'auteur une sorte de nègre.

 

Je ne vais pas refaire mon chapitre sur Lagarde et Michard, avec leur damnée tendance à tout tirer vers le sérieux, le pontifiant et l'asexué, bref, le SCOLAIRE (« ce qu’il faut savoir »), mais il est sûr que si on veut jouir de RABELAIS, c’est dans le texte qu’il faut aller. Et pour y aller, j’espère qu’on m’excusera, il faut avoir envie de jouir. C’est un aveu. Tant pis. J’espère qu’à mon âge, il ne me coûtera pas trop cher.

 

RABELAIS ? C’est ma respiration. C’est mon espace vital. C’est comme un socle. Je n’y peux rien, ça s’est fait malgré moi, comme ça, sans que j’y prête la main, c’est certain. RABELAIS m’a appris une chose : la JOIE est le centre nerveux, le cœur et le muscle de l’existence. Tout le reste est résolument secondaire, accessoire, décoratif, facultatif, marginal, subsidiaire, superfétatoire et, disons le mot, superflu. Ce que je trouve chez RABELAIS me ramène toujours à la JOIE.

 

Il serait d’ailleurs peut-être plus exact de dire que j’ai satisfait dans RABELAIS ce besoin d’éprouver la JOIE. C’est ce même genre de besoin vital qui m’a rendu récemment jubilatoire, proprement et absolument, la lecture de Moby Dick. Mais c’est vrai, je ne sais pas encore tout, et je ne suis pas sûr d’en savoir plus « quand fatale [sonnera] l’heure De prendre un linceul pour costume » (Le Grand Pan, GEORGES BRASSENS). 

 

C’est sûr, MONTAIGNE me touche, mais c’est un homme qui s’écoute. Beaucoup de passages plaisants, c’est sûr (je me suis efforcé d’en indiquer à plusieurs reprises ici même), mais il y a à mon goût trop de gravité chez MICHEL EYQUEM, petit châtelain de Montaigne. En comparaison, RABELAIS, je vous jure, existe concrètement, jovial et fraternel. Dès qu’il vous aperçoit, il vous invite à sa table. C’est une tout autre vision de l’humanité.

 

Une humanité qui converse gaiement autour d’une table couverte de plats ventrus et de flacons vermeils. Une humanité qui parle de la vraie vie, poétique et réelle, qui est forcément celle de tout homme. Poétique, parce que tout homme rêve et que tout rêve est poétique. Réelle, parce que lire les livres de RABELAIS est une excellente recette pour apprendre à renoncer sans regret à devenir maître du monde. Il y a tout ça, dans l’œuvre de FRANÇOIS RABELAIS.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Et ce n'est pas fini.