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dimanche, 02 juin 2013

QUI EST NORMAL ?

 

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MAGNIFIQUE ET RECONNAISSABLE PORTRAIT EN PHOTOMONTAGE DU GRAND PHOTOGRAPHE

ERWIN BLUMENFELD.

***

 

Finalement, qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire, « normal » ? Qu’est-ce qui se cache dans la cave ou le grenier de ce mot pour que certains lui en aient tellement voulu qu’ils ont tout fait pour le faire disparaître, et qu’ils y sont à peu près parvenus ? Plusieurs réponses à ces questions. Pour ma part, j’en vois deux.

 

Pour la première, il faut se référer aux anciennes cartes d’identité, qui comportaient en fin de liste une rubrique intitulée « signe particulier ». Si vous n’aviez pas les yeux vairons, une bosse dans le dos ou une polydactylie, le fonctionnaire préfectoral remplissait la rubrique d’un seul mot : « néant ». Voilà ce que c’est, « être normal » : « signe particulier : néant ».

 

« Particulier », c’est ce qui se distingue de la masse, ce qui sort de l’ordinaire, ce qui est unique et ne ressemble à rien de connu. « Particulier » s’oppose donc à « général », terme qui renvoie à tous les éléments et les caractéristiques partagés par tous les individus composant une population. Voilà : « signe particulier : néant », c’est une autre manière de dire « tout le monde ».

 

Bon, ça, ça vaut quand on reste à distance, car c’est vrai qu’il suffit de s’approcher un peu pour voir que, même si « tout le monde » pourrait être « n’importe qui », ils se ressemblent trop peu pour qu’on puisse les confondre : « n’importe qui » ne ressemble pas à « tout le monde », quand on les regarde d’assez près.

 

Au fond, ce qui fait du mal à l’individu, c’est la question de la distance focale : au « grand angle », vous ne voyez que de la masse, au « téléobjectif », vous ne voyez que des individus, parfois même dans le détail. Je pense au fabuleux travelling vertical de Autant en emporte le vent, dans la rue principale de cette ville du Sud, qui part d’un gros plan sur un blessé étendu, et qui arrive au plan d’ensemble qui montre les milliers (centaines ?) de blessés alignés. 

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COMBIEN SONT-ILS ICI ?

DANS L'ISLAM, L'INDIVIDU EXISTE A PEINE, PUISQU'IL S'ABOLIT EN ALLAH. PENDANT CE TEMPS, L'OCCIDENT ENCORE CHRETIEN INVENTE LES DROITS DE L'HOMME : UNE INCOMPATIBILITÉ RADICALE. CHEZ LES CHRETIENS, EN CONSEQUENCE, PAS D'ATTENTAT-SUICIDE. ON M'OBJECTERA SAMSON ("que je meure avec les Philistins!"), MAIS SAMSON ETAIT JUIF.

Dans un « plan d’ensemble », l’individu cesse d’exister, car là c’est la statistique qui prend le pouvoir. Et quand on est dans la statistique, l’individu devient l’objet de mesures de mesure : de décisions officielles destinées à le « mesurer ». Et la principale mesure de l’individu dans la statistique consiste en un écart par rapport à la moyenne obtenue.

 

Tant que l'écart ne s'écarte pas trop de la moyenne tout va bien. Regardez les courbes figurant dans le "Carnet de santé" qui accompagne toute naissance : le petit grandit-il correctement ? Mange-t-il suffisamment ?  Remplacez le mot « moyenne » par le mot « norme », et vous avez des chances de comprendre l’enjeu caché du mot. Le mot "moyenne" beaucoup plus neutre, a supplanté le mot "norme". C'est bien sûr une immense avancée.

 

L’essence de la norme, en effet, est statistique. Prenez la taille moyenne des individus, leur poids moyen, l’envergure moyenne de leurs bras et la longueur moyenne de leurs jambes, leur tour de tête moyen, la pointure moyenne de leurs pieds et de leurs mains. Faites du « bertillonnage », comme on disait à l'époque où monsieur Alphonse Bertillon (1853-1914) inventa l'anthropométrie judiciaire.

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FICHE ANTHROPOMETRIQUE REALISEE PAR LA POLICE DU TSAR DANS LES ANNEES 1900-1910, CONCERNANT UN CERTAIN JOSEPH VISSARIONOVITCH DJOUGACHVILI, PLUS CONNU SOUS LE NOM DE

STALINE

Relativisez le résultat de vos opérations, en fonction du sexe des personnes (les dimensions masculines, quand on parle de moyennes, sont supérieures, au grand dam des associations féministes, certes, mais c’est comme ça, « c’est injuste et fou, mais que voulez-vous qu’on y fasse ? », c'est dans Le Bistrot, de Georges Brassens), et voilà : vous êtes en mesure de les habiller de pied en cap, pour l'hiver, pour l'été et pour les demi-saisons.

 

Que dis-je ? Vous définissez les normes non seulement de tous les habits, mais encore de tout le mobilier, tables, chaises, stylos, dans leur hauteur, leur longueur, leur largeur. Encore plus fort : vous calibrez toute l’architecture. Comment sont définies largeur et hauteur des portes et des étages des immeubles où nous habitons ? La    largeur des sièges de nos voitures ? C’est comme les dimensions de nos vélos et de nos smartphones : on a fait une moyenne des dimensions humaines. C'est la deuxième réponse aux questions du début.

 

Que ce soit injuste envers les personnes trop grandes ou trop petites, trop lourdes ou trop légères, c'est certain. Pensez seulement à la hauteur où est située la fente où on glisse les pièces pour un ticket de bus. Mais à qui s'en prendre de cette injustice ? Et puis, il existe des gens dévoués (appelons ça des compensations ?), comme le montre le mariage, en 2010 ou 2011, de Bao Xishun, berger de 236 centimètres, et de Xia Shujuan, Chinoise de 1,68 mètre. Certains diront peut-être cependant, à l'instar d'O. : « Ils sont fous, ces Chinois ! ».

BAO XISHUN BERGER 236 & XIA SHUJUAN 168.jpg

Moralité, le théorème est le suivant : est normal l’individu dont les dimensions ou les caractéristiques sont contenues dans la fourchette d’une moyenne établie scientifiquement, selon les lois statistiques. Conclusion logique : tous les autres peuvent à bon droit être considérés comme anormaux. Qu'est-ce que c'est, cette panique à l'idée de mettre le mot exact sur la chose ? Mon Dieu, vous osez appeler un chat un chat ? Quelle folle témérité, Dieu me damne et ventre saint-gris !

 

Tout dépend ensuite, évidemment, de la façon dont les gens et la société (pas la même chose) considèrent les anormaux et leur font une place. Car Georges Brassens (encore lui !) le chante très bien : « Mais les braves gens n'aiment pas que L'on suive une autre route qu'eux ». C'est un autre problème. 

 

Mais il n'y a aucune raison de se cacher derrière son petit doigt et d'appeler autrement qu'anormales les personnes qui crèvent les plafonds ou les planchers de la moyenne de la population, que ce soit par leur taille ou leur poids. Ou autre chose. Il y a tant de gens qui sont si fiers d'être HORS-NORME ! C'est tout à fait curieux, d'ailleurs. Pourquoi "hors-norme" est-il si flatteur ? Pourquoi "anormal" est-il si tabou ? Elles sont pas mignonnes, mes questions ? 

 

A bas l'euphémisme et autres précautions oratoires politiquement correctes ! Puisqu'il s'agit de gérer les populations (on est dans une société de masse, ce n'est pas moi qui le dis), il faut être exact et précis, et mettre sur la chose le mot qui la désigne. Partant de là, tout ce qui n'est pas dans la norme est anormal. Et je ne vois pas pourquoi il faudrait avoir honte de ça. Et de le dire.

 

Je sens que je vais encore me faire appeler Arthur !

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

lundi, 15 octobre 2012

SAINT AUGUSTIN ET L'IDENTITE NATIONALE

Pensée du jour : « Je me suis souvent repenti d'avoir parlé, rarement de m'être tu ».

 

SAINT ARSÈNE, anachorète (mort le 19 juillet 412)

 

 

Cette histoire d’identité nationale me fait penser à un passage de SAINT AUGUSTIN, qu’on trouve au Livre onzième des Confessions : « Qu’est-ce que le temps ? ». Il est bon, ici, de se référer à l’ancre de miséricorde (quel beau nom !) que représente ce texte. « Ce mot, quand nous le prononçons, nous en avons à coup sûr l’intelligence, et de même quand nous l’entendons prononcer par d’autres. Eh bien le temps, c’est quoi donc ? N’y a-t-il personne à me poser la question, je sais. Que, sur une question, je veuille l’expliquer, je ne sais plus ». L’identité nationale, c'est pareil : tant que personne ne vous demande rien, tout va très bien, madame la marquise. Posez la question ? Tout d’un coup, c’est la guerre.

 

 

 

Vous sortez votre carte, un point c'est tout. Et qu'est-ce qu'il en reste, de votre personne, sur le rectangle plastifié sévèrement concocté par la préfecture (franchement, ma photo, j'ai l'impression de sortir de l'identité judiciaire ; c'est d'ailleurs ce mot de "judiciaire" qui me pose un problème sur la définition de l'individu) ?

 

 

 

En quelque sorte, on pourrait dire que plus on creuse la question, moins on a des chances d'avoir la réponse. Allusion à une variante d'un adage célèbre, qui permet de comprendre l'intitulé de ma note d'hier : « L'identité nationale, c'est comme la confiture, moins on en a, plus on l'étale ». Oui, je sais, ça vaut ce que ça vaut.  

 

 

Il y a quelque chose de proprement génial dans la façon de SAINT AUGUSTIN de formuler la question. Comme dit MAX-POL FOUCHET dans un joli texte (je cite de mémoire) : « Saisir un papillon entre les doigts, c’est le détruire ». Il faut accepter que le papillon vive en dehors de nous pour qu'il reste un papillon. Pour qu’il ne finisse pas épinglé dans une boîte ou écrasé entre les pages d’un livre. Autrement dit : laisser la question sans réponse, pour laisser l'identité intacte.

 

 

Comme si la leçon, c'était ne pas poser la question "qui va là ?". Tu veux saisir le vivant, en croyant que tu en jouiras mieux, et tu finis comme un médecin légiste pratiquant une autopsie : il te reste un cadavre. Tiens, quel est le dingue qui a récupéré le cerveau d'EINSTEIN, qu'il a conservé dans le formol ? Ah oui, le docteur HARVEY. Il est bien avancé, le con ! Ah, on y a trouvé ensuite un grand nombre d' « astrocytes » et une proportion élevée de « cellules gliales » ? La « scissure de Sylvius » a une drôle d'inclinaison ?  Et alors ? Ça vous explique le génie de l'homme ?

 

 

C’est sûr que si je me contente d’exister, je n’ai aucun mal, jusqu’à ce que mort s’ensuive. Tant que je vis comme un pétoncle (et pourtant, sait-on ?). Mais dès que j’essaie de m’efforcer de m’élever sur l’échelle des vivants, forcément, ça se complique. L’identité nationale, c’est pareil.

 

 

Regardez juste un individu, quand il se met à se demander : « Qui suis-je ? D’où viens-je ? Où vais-je ? Où courge ? Dans quelle étagère ? », et les abîmes de réflexion du verre d’eau trouble dans lequel il se noie. PIERRE DAC avait coutume de répondre : « En ce qui me concerne personnellement, je suis moi, je viens de chez moi, et j’y retourne ». Il y a des philosophies plus complexes, n’en doutons pas. Les rayons des bibliothèques savantes sont encombrés des kilomètres de réponses que beaucoup de cerveaux fumants (fumeux ?) y ont déposées.

 

 

Remarquez, il en est de même pour la nation : plus on cherche, moins on trouve. Moi je vais vous dire, comme je suis un peu simplet, j’ai besoin, soit qu’on m’explique longtemps, soit que je m’y mette, en me disant qu’on n’est jamais si bien servi que par soi-même. Commençons donc, si vous le voulez bien, par moi.

 

 

Enfin moi, je veux dire quelqu’un, n’importe qui, disons un individu. Regardons simplement (!) la carte d’identité : tu as ton nom, et puis tu as ton prénom. Avec ça, tu comprends tout, je te jure. Par ton nom de famille, tu te rattaches au groupe de tous ceux qui portent le même. Par ton prénom, tu te distingues. Et tu peux regarder tous les détails qu’il y avait autrefois sur la carte d’identité : date de naissance, lieu de naissance, signe particulier, etc…

 

 

Date de naissance ? Tu te rattaches (tu t’inscris dans une lignée) et tu te distingues (tu es le seul à être né ce jour-là). Lieu de naissance ? Tu te rattaches (ce qu’on appelle les racines ?) et tu te distingues (Lyon a un proverbe : « Tout le monde peuvent pas être de Lyon : il en faut ben d'un peu partout »). Signe particulier ? Tu te distingues (ou pas : « Signe particulier : néant »).

 

 

Je viens d'entendre STEPHANE ROZÈS (le ravi de la crèche qui croquait dans le fromage des sondages, et qui s'est promu penseur politique, ça fait aussi loufoque que FRANÇOIS HOLLANDE en président) tenir un raisonnement analogue au sujet de l'Europe : « Qu'est-ce qui rassemble les Européens ? Qu'est-ce qui les distingue du reste du monde ? ». Bravo coco !

 

 

Pour faire bref, l’identité personnelle, c’est un ensemble complexe de données, d’ « items » (c’est comme ça qu’il faut dire, c’est de l’anglais), les uns qui te rattachent, les autres qui te distinguent. L’appartenance et la différenciation. Mon esprit simpliste ne sort pas de là.

 

 

Un individu, c’est exactement ça : un ensemble d’éléments d’appartenance et de différenciation. Un tissu avec la continuité des fils de chaîne traversés par la succession des fils de trame. Tu le prends fil par fil : plus de tissu. Ne parlons pas des ciseaux. Dit autrement, l'individu est composé d'une infinité de traits verticaux et de traits horizontaux qui se croisent. Appartenance et différenciation.  Il est tissé de l'ensemble (radicalement indémêlable) de tout ce qu'il hérite, de tout ce qu'il fait, de tous ceux qu'il croise, etc.

 

 

On ne fait jamais la somme : on n’est pas dans l’arithmétique. Un individu, ça ne se calcule pas. La somme et l’arithmétique, c’est juste bon pour un système BERTILLON, le système anthropométrique, dont la seule finalité, à bien y réfléchir, est de nature POLICIÈRE : on ne peut pas se permettre de ne pas retrouver un coupable, s’il est passé entre les mains d’un commissariat musclé.

 

 

C'est la police qui accumule les traces de tous les individus qui lui tombent entre les pattes. Le prélèvement ADN actuel, qui accompagne toute garde à vue (800.000 par an, on croit rêver), n’est qu’un corollaire de cette logique de flicage de toute la population. Je note que l’individu (« libre et égal en droits » à tous les autres) n'est pas défini de la même manière par la Constitution ou par le Code de Procédure Pénale. C’est une curiosité. Mais après tout, je ne suis pas juriste.

 

 

L’individu n’est donc pas la somme des informations que la police a réunies sur lui. C’est une bonne chose. Pensez, si tel était le cas, il n’y aurait aucun besoin des tribunaux, il n’y aurait pas d’individualisation des peines, il n’y aurait que des ordinateurs. C’est un peu ce en quoi NICOLAS SARKOZY a tenté de transformer l’institution judiciaire (avec le système des « peines planchers » pour les récidivistes, système qui décervelle le juge et en fait un robot).

 

 

Aussi longtemps que rendre la justice consistera à organiser la rencontre, en partie imprévisible, entre, d’une part, les trois acteurs de l’institution (juge, procureur, avocat) et d'autre part un individu, j’aurai foi en l’espèce humaine. L’individu, que ceci soit dit une fois pour toutes, dépasse la somme des données qui le caractérisent. Cette phrase résume, en quelque sorte et sans me vanter, toute la philosophie humaniste.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.