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lundi, 15 octobre 2012

SAINT AUGUSTIN ET L'IDENTITE NATIONALE

Pensée du jour : « Je me suis souvent repenti d'avoir parlé, rarement de m'être tu ».

 

SAINT ARSÈNE, anachorète (mort le 19 juillet 412)

 

 

Cette histoire d’identité nationale me fait penser à un passage de SAINT AUGUSTIN, qu’on trouve au Livre onzième des Confessions : « Qu’est-ce que le temps ? ». Il est bon, ici, de se référer à l’ancre de miséricorde (quel beau nom !) que représente ce texte. « Ce mot, quand nous le prononçons, nous en avons à coup sûr l’intelligence, et de même quand nous l’entendons prononcer par d’autres. Eh bien le temps, c’est quoi donc ? N’y a-t-il personne à me poser la question, je sais. Que, sur une question, je veuille l’expliquer, je ne sais plus ». L’identité nationale, c'est pareil : tant que personne ne vous demande rien, tout va très bien, madame la marquise. Posez la question ? Tout d’un coup, c’est la guerre.

 

 

 

Vous sortez votre carte, un point c'est tout. Et qu'est-ce qu'il en reste, de votre personne, sur le rectangle plastifié sévèrement concocté par la préfecture (franchement, ma photo, j'ai l'impression de sortir de l'identité judiciaire ; c'est d'ailleurs ce mot de "judiciaire" qui me pose un problème sur la définition de l'individu) ?

 

 

 

En quelque sorte, on pourrait dire que plus on creuse la question, moins on a des chances d'avoir la réponse. Allusion à une variante d'un adage célèbre, qui permet de comprendre l'intitulé de ma note d'hier : « L'identité nationale, c'est comme la confiture, moins on en a, plus on l'étale ». Oui, je sais, ça vaut ce que ça vaut.  

 

 

Il y a quelque chose de proprement génial dans la façon de SAINT AUGUSTIN de formuler la question. Comme dit MAX-POL FOUCHET dans un joli texte (je cite de mémoire) : « Saisir un papillon entre les doigts, c’est le détruire ». Il faut accepter que le papillon vive en dehors de nous pour qu'il reste un papillon. Pour qu’il ne finisse pas épinglé dans une boîte ou écrasé entre les pages d’un livre. Autrement dit : laisser la question sans réponse, pour laisser l'identité intacte.

 

 

Comme si la leçon, c'était ne pas poser la question "qui va là ?". Tu veux saisir le vivant, en croyant que tu en jouiras mieux, et tu finis comme un médecin légiste pratiquant une autopsie : il te reste un cadavre. Tiens, quel est le dingue qui a récupéré le cerveau d'EINSTEIN, qu'il a conservé dans le formol ? Ah oui, le docteur HARVEY. Il est bien avancé, le con ! Ah, on y a trouvé ensuite un grand nombre d' « astrocytes » et une proportion élevée de « cellules gliales » ? La « scissure de Sylvius » a une drôle d'inclinaison ?  Et alors ? Ça vous explique le génie de l'homme ?

 

 

C’est sûr que si je me contente d’exister, je n’ai aucun mal, jusqu’à ce que mort s’ensuive. Tant que je vis comme un pétoncle (et pourtant, sait-on ?). Mais dès que j’essaie de m’efforcer de m’élever sur l’échelle des vivants, forcément, ça se complique. L’identité nationale, c’est pareil.

 

 

Regardez juste un individu, quand il se met à se demander : « Qui suis-je ? D’où viens-je ? Où vais-je ? Où courge ? Dans quelle étagère ? », et les abîmes de réflexion du verre d’eau trouble dans lequel il se noie. PIERRE DAC avait coutume de répondre : « En ce qui me concerne personnellement, je suis moi, je viens de chez moi, et j’y retourne ». Il y a des philosophies plus complexes, n’en doutons pas. Les rayons des bibliothèques savantes sont encombrés des kilomètres de réponses que beaucoup de cerveaux fumants (fumeux ?) y ont déposées.

 

 

Remarquez, il en est de même pour la nation : plus on cherche, moins on trouve. Moi je vais vous dire, comme je suis un peu simplet, j’ai besoin, soit qu’on m’explique longtemps, soit que je m’y mette, en me disant qu’on n’est jamais si bien servi que par soi-même. Commençons donc, si vous le voulez bien, par moi.

 

 

Enfin moi, je veux dire quelqu’un, n’importe qui, disons un individu. Regardons simplement (!) la carte d’identité : tu as ton nom, et puis tu as ton prénom. Avec ça, tu comprends tout, je te jure. Par ton nom de famille, tu te rattaches au groupe de tous ceux qui portent le même. Par ton prénom, tu te distingues. Et tu peux regarder tous les détails qu’il y avait autrefois sur la carte d’identité : date de naissance, lieu de naissance, signe particulier, etc…

 

 

Date de naissance ? Tu te rattaches (tu t’inscris dans une lignée) et tu te distingues (tu es le seul à être né ce jour-là). Lieu de naissance ? Tu te rattaches (ce qu’on appelle les racines ?) et tu te distingues (Lyon a un proverbe : « Tout le monde peuvent pas être de Lyon : il en faut ben d'un peu partout »). Signe particulier ? Tu te distingues (ou pas : « Signe particulier : néant »).

 

 

Je viens d'entendre STEPHANE ROZÈS (le ravi de la crèche qui croquait dans le fromage des sondages, et qui s'est promu penseur politique, ça fait aussi loufoque que FRANÇOIS HOLLANDE en président) tenir un raisonnement analogue au sujet de l'Europe : « Qu'est-ce qui rassemble les Européens ? Qu'est-ce qui les distingue du reste du monde ? ». Bravo coco !

 

 

Pour faire bref, l’identité personnelle, c’est un ensemble complexe de données, d’ « items » (c’est comme ça qu’il faut dire, c’est de l’anglais), les uns qui te rattachent, les autres qui te distinguent. L’appartenance et la différenciation. Mon esprit simpliste ne sort pas de là.

 

 

Un individu, c’est exactement ça : un ensemble d’éléments d’appartenance et de différenciation. Un tissu avec la continuité des fils de chaîne traversés par la succession des fils de trame. Tu le prends fil par fil : plus de tissu. Ne parlons pas des ciseaux. Dit autrement, l'individu est composé d'une infinité de traits verticaux et de traits horizontaux qui se croisent. Appartenance et différenciation.  Il est tissé de l'ensemble (radicalement indémêlable) de tout ce qu'il hérite, de tout ce qu'il fait, de tous ceux qu'il croise, etc.

 

 

On ne fait jamais la somme : on n’est pas dans l’arithmétique. Un individu, ça ne se calcule pas. La somme et l’arithmétique, c’est juste bon pour un système BERTILLON, le système anthropométrique, dont la seule finalité, à bien y réfléchir, est de nature POLICIÈRE : on ne peut pas se permettre de ne pas retrouver un coupable, s’il est passé entre les mains d’un commissariat musclé.

 

 

C'est la police qui accumule les traces de tous les individus qui lui tombent entre les pattes. Le prélèvement ADN actuel, qui accompagne toute garde à vue (800.000 par an, on croit rêver), n’est qu’un corollaire de cette logique de flicage de toute la population. Je note que l’individu (« libre et égal en droits » à tous les autres) n'est pas défini de la même manière par la Constitution ou par le Code de Procédure Pénale. C’est une curiosité. Mais après tout, je ne suis pas juriste.

 

 

L’individu n’est donc pas la somme des informations que la police a réunies sur lui. C’est une bonne chose. Pensez, si tel était le cas, il n’y aurait aucun besoin des tribunaux, il n’y aurait pas d’individualisation des peines, il n’y aurait que des ordinateurs. C’est un peu ce en quoi NICOLAS SARKOZY a tenté de transformer l’institution judiciaire (avec le système des « peines planchers » pour les récidivistes, système qui décervelle le juge et en fait un robot).

 

 

Aussi longtemps que rendre la justice consistera à organiser la rencontre, en partie imprévisible, entre, d’une part, les trois acteurs de l’institution (juge, procureur, avocat) et d'autre part un individu, j’aurai foi en l’espèce humaine. L’individu, que ceci soit dit une fois pour toutes, dépasse la somme des données qui le caractérisent. Cette phrase résume, en quelque sorte et sans me vanter, toute la philosophie humaniste.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.


 

dimanche, 29 avril 2012

LA POLICE QUI FAIT PEUR

Moi qui suis un honnête citoyen, je vous le jure, monsieur le commissaire, la police française me fait peur. Regardez ça, ils se mettent à manifester contre les juges. Et pourquoi, je vous le demande ? Parce qu’un juge s’est permis d’accuser l’un des leurs d’homicide volontaire. De meurtre, quoi. Et pourquoi, je vous le demande ? Parce que l’homme qu’il voulait arrêter ne voulait pas se laisser arrêter.

 

 

En un mot comme en cent, il s’enfuyait. Bon, il a fini par l’arrêter. Pas parce qu’il courait plus vite. Une balle dans le dos, c’est beaucoup plus efficace, parce que c’est beaucoup plus rapide (467 mètres / secondes pour une balle blindée de marque SJ, calibre 357 magnum, vous pouvez vérifier ; mais le policier était peut-être doté du Beretta 92 en calibre 9 mm parabellum, je ne sais pas). Vous auriez fait la même chose à sa place, non ?

 

 

La police française, le monde entier nous l’envie. Madame MICHÈLE ALLIOT-MARIE proposait même son aide à BEN ALI pour le faire bénéficier de son savoir-faire hors-norme dans les troubles de l’ordre public. Mais gare à ceux qui feraient mine de s’en prendre à elle. C’est ça, monsieur le commissaire, qui me fait peur.

 

 

Les juges de Bobigny l’ont appris à leurs dépens : ils n’ont pas compris que tuer dans le dos un suspect qui s’enfuit est un acte de légitime défense, les benêts. Blague à part, fini de rire, j’arrête de plaisanter. Car il y a de quoi se poser quelques questions sur le fonctionnement actuel de la police française. Il y a de quoi se demander s’il n’y règne pas une sorte de « culture de l’impunité ».

 

 

Y a-t-il des policiers français qui sont républicains ? Bien sûr que oui. Du moins pour ce que je peux en savoir, de loin et de l’extérieur. Mais prise collectivement, en tant que corps d’Etat bénéficiaire d’une formation spécifique, ayant appris à obéir au supérieur et recevant ordres et consignes de sa hiérarchie, la police française est-elle encore républicaine ? Je n’en suis pas sûr.

 

 

Le « délit de faciès » existe-t-il ? Oui. Les contrôles d’identité privilégient les peaux noires et basanées, et ça commence à se savoir, quelles que soient les dénégations des responsables policiers ou politiques, et celles des petits soldats de la base. Il est de notoriété publique que le vote « Front National » a des bases solides au sein de la police. Supposons un commissaire qui a besoin de « faire du chiffre », comme il en a reçu la consigne de Monsieur NICOLAS SARKOZY, dès qu’il a été sinistre de l’Intérieur.

 

 

Il lui suffit de faire interpeller par ses hommes quatre ou cinq types en « dreadlocks » portant un béret vert, orange et rouge : ce serait bien le diable si l’on ne tombait pas sur deux ou trois grammes de « shit », et voilà le « taux d’élucidation » qui grimpe en flèche (exemple puisé dans la réalité, c’est ce qu’on appelle la « politique du chiffre »). C’est tout bon pour la prime. Bon, on dira aussi que le type en dreadlocks avec son béret n’a qu’à ne pas porter l’uniforme du fumeur de joints, et qu’en quelque sorte il l’a bien cherché. Que c’est bien fait pour lui.

 

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LES DREADLOCKS DE BIG BOB MARLEY

(PAR OPPOSITION A LITTLE BOB STORY)

 

La police abuse-t-elle de la garde à vue ? Oui : quand on met en garde à vue, en un an (2010), 800.000 personnes, il est évident qu’il y a de l’abus. Les témoignages de cette femme de 80 ans, de ce médecin et de quantité d’autres individus le montrent. La Cour Européenne des droits de l’homme s’en est elle-même alarmée.

 

 

Le tutoiement systématique des « suspects » par les policiers est-il normal ? Non. Qu’est-ce qu’il perdrait, le prestige des policiers, s’ils pratiquaient une courtoisie minimale, un respect des personnes ? Si c’est aussi systématique, c’est bien qu’ils obéissent, qu’ils reçoivent l’ordre de tutoyer. Est-ce pour humilier d’entrée ? Un conditionnement ?

 

 

La « fouille à nu » (avec inspection de l’anus) systématique des « suspects » est-elle normale ? Non, et non seulement ça : elle est illégale (Maître KLUGMAN, avocat). Selon le même avocat, le menottage en garde à vue, largement banalisé, est lui aussi illégal (l’article 803 du Code de Procédure Pénale le restreint aux cas de danger pour autrui ou pour soi-même et aux risques de fuite).

 

 

 

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Et le délit d’ « outrage et rébellion » ? Parlons-en. Maître ANTHONY BEM, avocat, relève qu’en 2007, l’Observatoire national de la délinquance a compté 31.731 faits d’outrage à agents dépositaires de l’autorité ont été relevés. En 1996, il y en avait 17.700. Cela fait une augmentation de 79 % en une décennie. Le message envoyé aux « justiciables » est parfaitement clair. Je traduis en français courant : « Circulez ! Y a rien à voir ! ». Ou encore : « Viens pas m’embêter, ou je te mets dedans ! ».

 

 

Le délit d’ « outrage et rébellion » est en soi une trouvaille géniale, principalement parce que la libre appréciation en est laissée aux « agents dépositaires de l’autorité », et que, à cause de ça, la lutte est inégale, parce que les agents en question sont assermentés. Devant un juge, ça fait obligatoirement la différence.

 

 

Je n’appelle pas à la sédition, on aura compris j’espère. Je me demande seulement, modestement, si ne circule pas dans les rangs de la police nationale, inspirée par l’attitude de toute la structure hiérarchique, une sorte de culture de l’impunité et de la supériorité, qui élève une sorte de mur entre la population et les forces de l’ordre, comme si la population était a priori à considérer comme un ensemble de suspects en puissance.

 

 

Qu’est-ce qui, en dehors d'une « culture » interne, empêche les policiers d’avoir envie de se considérer eux-mêmes comme des membres, certes un peu à part, mais des membres à part entière, de cette population ? Qu’est-ce qui en fait des adversaires ? Qu'est-ce qu'on leur raconte, pendant leur formation, sur la population normale ? Qu'est-ce qui fait que la perception qu'on a de la police soit à ce point empreinte de brutalité ? Qu'est-ce qui fait d'elle une troupe de cow-boys dans je ne sais quel Far West ? Reçoivent-ils un enseignement de chevaliers blancs ? De justiciers ? De redresseurs de torts ?

 

 

 

Les deux candidats au fauteuil présidentiel rivalisent de salamalecs devant l'attitude putschiste des policiers manifestants. SARKOZY joue carrément les carpettes. HOLLANDE s'incline modérément, mais enfin il s'incline. Elle est belle, la République.

 

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VOUS TROUVEZ ÇA NORMAL ? 

 

Il est proprement ahurissant que des policiers manifestent, en uniforme et dans leurs véhicules professionnels, gyrophares allumés, sur les Champs Elysées, pour protester contre la décision d’un juge qui, sur la base d’une autopsie et d’un témoignage, dit que l’un d’entre eux a sans doute commis un « homicide volontaire » en logeant un balle dans le dos d’un homme qui fuyait.

 

 

Je signale d'ailleurs que le procureur de Bobigny a déclaré qu'il ne fera pas appel de la décision du juge d'instruction. Pour être respecté, il convient d’être respectable. Et de ne pas se croire tout permis.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.