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lundi, 05 novembre 2012

BALZAC 4 PAR MAUROIS

Pensée du jour : « L'homme se sent petit devant l'animal. Le rhinocéros le rend timide, le loup craintif, le chien de garde rapide. L'homme a pour le chat et le basset des indulgences qu'il n'aurait pas pour le sous-préfet le plus distingué ».

ALEXANDRE VIALATTE

 

J’ai rarement lu des biographies. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Peut-être parce que, pendant très longtemps, j’ai été hanté par le fantôme de Lagarde et Michard, augmenté du spectre de GUSTAVE LANSON, vous savez, « Untel, sa vie, son œuvre », les dates qu’il fallait enregistrer sans se poser de question, sans avoir besoin de comprendre. C’est vrai, ça, et c’est une vraie question : « Peut-on expliquer l’œuvre de CÉLINE par la vie de LOUIS DESTOUCHES [le vrai nom de CÉLINE] ? ». 

 

Peut-être aussi m’étais-je convaincu, en opposition avec le tandem imposé par cette grille de lecture « la vie et l’œuvre », que seule cette dernière méritait d’être cultivée pour elle-même, « œuvre » devant être comprise comme « œuvre d’art » ; et ce qui se passe pour les peintres devant se passer de la même manière pour tout artiste : ce qui reste accroché aux cimaises des musées, ce n’est pas la biographie de RAPHAËL ou de POUSSIN, ce sont leurs tableaux. 

 

Ce qui est sûr, c’est que nulle paroi étanche ne sépare le biographique du catalogue des œuvres : il faut bien que l’auteur, s’il est passé à la postérité, ait puisé la matière de ses livres ailleurs que dans l’imitation de ce qui s’est fait avant lui, sinon la postérité aurait préféré l’original à la copie, et il serait tombé dans l’oubli. 

 

C’est exactement ce qui s’est passé dans la peinture et dans la musique : dans les histoires qu’on en a rédigées, les historiens (parfois à tort) ne gardent que les principaux noms qui jalonnent la trajectoire de quelque chose qu’on appellera Histoire de la peinture et Histoire de la musique. Les épigones et les petits maîtres, ceux qui passent au second plan et que ne connaissent que les spécialistes, sont ceux qui, après coup, se révèlent n’avoir rien écrit, peint ou composé de vraiment neuf. 

 

Là, des biographies, j’en ai lu trois, coup sur coup. Je ne me reconnais pas. Comment se fait-ce ? Qu’est-ce qui m’a pris ? Mystère. J’ai commencé par celle de LOUIS-FERDINAND CÉLINE. J’en ai parlé il n’y a pas si longtemps. HENRI GODARD est sans doute celui qui connaît le mieux le bonhomme dans le monde contemporain. Il sait travailler. 

 

Son livre est horriblement documenté, et monstrueusement intéressant. Sans rien taire des côtés sombres de son personnage, de ses faiblesses, et pour tout dire, de sa folie furieuse et géniale, il livre les données d’une vie sans chercher à en dévoiler le mystère inentamable. Ma foi, je suis sorti de la lecture de ce pavé content de ma dépense (25,5 €, Gallimard, 2011, 530 pages à lire), pour ce qui est du rapport qualité / prix. 

 

La biographie de HONORÉ DE BALZAC par ANDRÉ MAUROIS (Hachette, 1965, 622 pages à lire, appendices compris, acheté 4 € au « Livre à Lili », rue Belfort, début octobre), m’a de nouveau projeté sur la planète BALZAC. Un continent, un océan, une planète, je ne sais pas au juste. En tout cas un bonhomme hors du commun, qui, curieusement, s’est très tôt considéré comme hors du commun, et surtout, n’a jamais, depuis l’adolescence, douté de son génie. 

 

Mais qui est devenu un génie à force de travail forcené, toujours poussé par l’urgence de payer ses dettes. Fascinant. C’est d’ailleurs un peu le reproche que je ferais à ANDRÉ MAUROIS, qui cède un peu, tout au long de son ouvrage, à la tentation de l’admiration pour une sorte de colosse d’énergie, et d’une fascination pour l’aspect « course de vitesse avec la mort » présentée par la vie de BALZAC. 

 

C’est en tout ca l’image qui s’en dégage. Sans que ce soit nuisible à l’exactitude, puisque, là encore, les faiblesses du personnage apparaissent en pleine lumière, sans rien ôter jamais à l’impression de puissance créatrice, qui en apparaît dès lors comme tant soit peu magique, pour ne pas dire extraterrestre. 

 

Ce que MAUROIS fait bien partager, et en cela, il faut lui savoir gré, c’est que La Comédie humaine n’est pas sortie de nulle part, et qu’en 1833 (BALZAC a 34 ans), c’est chez un écrivain expérimenté que l’idée prend naissance. Un projet gigantesque, démesuré à l’échelle d’un seul homme. L’esprit encyclopédique de la Renaissance s’appelait PIC DE LA MIRANDOLE. 

 

Eh bien, HONORÉ DE BALZAC est exactement le Pic de la Mirandole du roman mondial au 19ème siècle. L’époque actuelle est, à cet égard, dans un lamentable et désolant état de rabougrissement (« Il vaut mieux être un éléphant qu’un rat … Qu’un rat bougri surtout », dit Obélix à la page 33 du Combat des chefs) pour comprendre la dimension quelque part surhumaine de BALZAC. Ce en quoi on ne peut que suivre MAUROIS dans sa dévotion à Prométhée (titre de son bouquin sur l’auteur : Prométhée ou la vie de Balzac). 

 

J’avais commencé mon pèlerinage à BALZAC par la lecture d’un pavé horriblement savant d’un grand universitaire (mais très lisible, malgré l’épaisseur) : Le Monde de Balzac, par PIERRE BARBÉRIS, Arthaud, 1973, 575 pages à lire, 10 € au « Livre à Lili », rue Belfort. L’auteur, qui a publié sa grande thèse Balzac et le mal du siècle en 1970 chez Gallimard, se donne pour tâche d’organiser  la lecture du monument monumental qu’est La Comédie humaine. 

 

Il a tout lu, correspondance comprise, de ce qui concerne l’œuvre (alors que MAUROIS met en valeur les Lettres à l’étrangère et autres lettres intimes, à valeur exclusivement biographique, quoique …), et offre au lecteur curieux, même débutant, des points de repère d’une robustesse à même d’impressionner. Je ne suis malheureusement pas sûr que ce genre d’ouvrage se prête à la diffusion en supermarché et au tirage de masse. 

 

Et pourtant, je remercie l’universitaire sérieux, car il me rend familiers les personnages de La Comédie humaine, qui sont autant d’avatars, finalement, de leur inventeur. Et pour dire combien certains ont acquis une existence plus vraie que la réalité, une anecdote suffira : à quelques jours de sa mort, BALZAC aurait déclaré à un proche : « Il n’y a que Bianchon qui pourrait me tirer de là ». Il faut savoir que Bianchon, c’est LE médecin de La Comédie humaine, qui fait des apparitions (fugitives ou marquées) dans un nombre incroyable des romans du cycle. Elle n’est pas belle, l’histoire ? 

 

Comme quoi, en définitive, ce n’est pas nul, de s’intéresser à la vie des grands auteurs. Oui, amende honorable, ça s’appelle. Vaut mieux tard que jamais, non ?

 

Voilà ce que je dis, moi. 

mercredi, 24 octobre 2012

BALZAC 2

Pensée du jour : « Quand Mannekenpis, Karachi ».

 

PROVERBE UZVARECHE

 

Variante uzvaro-bachkir : « Quand Saint-Sulpice, Mammamouchi ».

 

 

Ce qui hallucine aussi, dans la biographie de BALZAC (par exemple celle d’ANDRÉ MAUROIS, Prométhée ou la vie de Balzac, Hachette, 1965), c’est son énorme capacité à graver dans son disque dur, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, un décor des rives du Cher (Le Lys dans la vallée), les coulisses de la vie bourgeoise dans la ville d’Issoudun (La Rabouilleuse), les aléas industriels d’une imprimerie à Angoulême (David Séchard dans les Illusions), bref : une multitude de décors, de situations et de personnages qui lui farcissent la tête, comme autant de tiroirs qu'il n'aura qu'à ouvrir pour les en tirer pour rendre les mouvements de la vie dans ses livres.

 

Il porte en lui toute une société, dans sa diversité et sa multiplicité. C'est lui qui le dit. Et il faut le croire : les preuves sont là. Même si l'universitaire PIERRE BARBÉRIS (Le Monde de Balzac, Arthaud, 1973) relativise l'expression "toute une société". Il montre (démontre) que BALZAC s'intéresse tout particulièrement à l'aristocratie et à la bourgeoisie, ce qui fait déjà pas mal de monde. Il montre aussi que le peuple (le petit) est à peu près absent de La Comédie humaine. Moi, si je dis qu'il fallait bien laisser des sujets à EMILE ZOLA, vous serez d'accord avec moi, non ? 

 

Ce qui fascine par ailleurs, c’est que, mort à l’âge de 51 ans, il a eu moins de 20 ans pour écrire toute son œuvre : il a trente ans quand il publie Les Chouans, son premier « grand livre ». Il en a 48 quand il publie les derniers, La Cousine Bette, Le Cousin Pons, Le Député d’Arcis (inachevé). Ne parlons pas des innombrables lettres écrites quotidiennement. 

 

Mais c’est un travailleur prodigieux. Il épuise rapidement ceux qui se hasardent à lui servir de secrétaires. Aucun de ceux qu’il aura embauchés (dont JULES SANDEAU, un temps compagnon d’AURORE DUDEVANT, dite GEORGE SAND) ne résista longtemps au rythme inhumain que lui faisait subir BALZAC, qui se faisait réveiller à minuit pour travailler les 18 heures que la veille lui laissait. Pas tous les jours, j’imagine. Ce qui explique sans doute quelque peu sa fin précoce, compte non tenu des quantités astronomiques de café qu’il eu le temps d’absorber. 

 

Mais quand on regarde la vie de BALZAC, tout, absolument tout est étonnant. Lui qui n’est pas beau, à proprement parler, avec son corps rond et son nez bizarre, a eu toute sa vie l’art de mettre dans sa poche, puis dans son lit, les femmes qui lui plaisaient. 

 

A commencer par LAURE DE BERNY, respectable mère de famille de vingt-deux ans son aînée, et qui finit par céder à ses ardeurs. Bien lui en a pris : elle se révèlera une conseillère hors-pair dans le travail et la maturation de l’écrivain. Pas la peine de compter ses conquêtes féminines. Bon, c’est vrai qu’avec la duchesse de CASTRIES, il est tombé sur un bec : il ne faut pas exagérer. 

 

Après BALZAC et les femmes, BALZAC et l’argent. Ce qu’il désirait le plus âprement, c’était de faire fortune. Malheureusement, il n’avait pas la bosse des affaires, c’est le moins qu’on puisse dire. S’agit-il d’investir dans une imprimerie ? Banco. Mais comme il n’a jamais un sou devant lui, il emprunte. Quand l’entreprise se casse la figure, il a deux fois des dettes. S’agit-il d’investir dans des mines d’argent en Sardaigne ? Quand il s’avise de donner suite, c’est trop tard. Des actions dans les chemins de fer du Nord ? Elles baissent inexorablement. 

 

C’est sûr qu’en imagination, il a bâti des fortunes pharaoniques. A l’arrivée, les dettes s’accumulent. Il a les créanciers aux trousses. Il loue même (je crois que c’est à Passy) une maison qui s’ouvre sur deux rues différentes, au cas où. Et il n’est pas impossible que, s’il a écrit pour le théâtre (six pièces au total), c’est dans la perspective de se refaire un compte en banque présentable (il paraît que ce n’était pas faux). 

 

Ce qui est sûr, c’est que BALZAC a gagné des fortunes. Mais un vrai paquet de fric, tel qu’on n’en a pas idée. Ce qui est sûr, c’est qu’il aurait pu devenir riche, au sens où on l’entendait dans la classe à laquelle il appartenait, et plus encore dans celle à laquelle il voulait accéder. Et le pathétique, dans la vie de BALZAC, il se situe, à mon sentiment, exactement là. 

 

Parce que son problème, c’est quand même qu’il a laissé à son épouse polonaise des ardoises à foison, qu’elle semble avoir réglées (sur sa fortune personnelle) jusqu’au dernier centime. Mais le raisonnement de l’auteur se tenait. Il se disait : j’ai besoin des capitaux d’untel et untel. Je vais les convier à un repas pour en discuter. Si je veux leur donner envie d’investir, je ne peux pas faire le pingre. Soyons royal ! Et BALZAC, en cette matière, fut toujours royal. Mais jamais sur fonds propres. Toujours à crédit. 

 

Parce que l’un des mystères les plus hermétiques de la vie de BALZAC est là : plus le temps a passé, plus la vitesse s’est accélérée, et plus les dettes se sont accumulées. Quelle énigme, quand même ! C’est sûr que, s’agissant du luxe, il n’a jamais lésiné. Et il en connaissait un rayon, le bougre. Il se faisait faire des cannes à pommeau incrusté de pierreries, au point qu’il était connu pour ça dans les gazettes. 

 

Et le luxe, il voulait vivre dedans. Meubles, tableaux, tentures, tapis, vases précieux, rien n’avait de secret pour lui. Et tout ce qui coûtait le plus cher était bon. Il acheta même chez un antiquaire une commode ayant appartenu à MARIE DE MEDICIS. Peut-être l’a-t-il cru. Il achetait donc, à tout va, avant d’avoir l’argent pour payer. Ce qui renvoyait après tout à un chapitre de RABELAIS, auteur qu’il affectionnait particulièrement : « Eloge des debteurs et emprunteurs ». 

 

Et comment payait-il ses dettes ? En PISSANT DE LA COPIE. Aussi net et aussi brutal que ça. Je n’y peux rien. La Comédie humaine ? C’est tombé de la plume d’un tâcheron qui était obligé de pisser de la copie pour payer ses dettes. Surtout que plusieurs de ses bouquins, selon les mœurs du temps, lui furent achetés avant qu’ils fussent écrits. BALZAC, qu’on se le dise, est un homme du projet. Un homme qui se projette sans cesse dans le futur. Un futur forcément radieux et reposé. Mais HONORÉ DE BALZAC, qu’on se le dise, ne s’est jamais reposé.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

A suivre.