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samedi, 15 juin 2013

OBELIX ET LE PREJUGE NORMAL

 CECI EST UN POST-SCRIPTUM NORMAL.

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IL FAUT CONDAMNER OBELIX

 

Oui, il faut condamner Obélix. Rendez-vous compte : il est intolérant, il est xénophobe, il véhicule des stéréotypes. Il est sûrement homophobe, a force d'être normal. Aujourd'hui, il serait aussi islamophobe, ça fait bien dans le paysage des "phobies" de la modernité. Ben oui, Hergé était raciste, c'est bien connu, voyez Tintin au Congo.

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Le Congolais qui voulait faire judiciairement la peau à l'album africain de Tintin avait bien raison d'attaquer. On ne sait jamais, ça aurait pu lui rapporter gros. Les Juifs ont bien fait condamner la SNCF (soixante ans après !) en tant que responsable de convois de déportés. N'ont-ils pas droit, les Noirs, à leur tour, à quelque dividende substantiel ? Faut pas se gêner : la République déclarée coupable est tellement généreuse avec Bernard Tapie que tous les espoirs sont permis à ceux qui veulent empocher des dommages-intérêts, justifiés ou farcesques.

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 Avant de poursuivre, je précise que, selon moi, la série des Astérix a décliné de plus en plus vite après la mort de Goscinny en 1977, et la reprise par le seul Uderzo a fait atterrir nos Gaulois dans un marécage toujours plus niais. Je ne suis peut-être pas seul dans mon cas à constater cette niaiserie. Je crois bien que Le Combat des chefs est le dernier épisode sur lequel a travaillé le tellement fertile Goscinny (Dingodossiers, Le Petit Nicolas, Oumpah Pah, Lucky Luke, etc.).

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Si Goscinny et Uderzo s’étaient mis dans l’idée de mettre en scène la campagne puis le vote de la loi sur le mariage homosexuel, Obélix aurait sans doute été traité d’homophobe. Car il l'aurait sûrement prononcée, sa phrase fatidique : « Ils sont fous, ces ...» (je préfère m'autocensurer, on ne sait jamais).

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Et je n’ai pas trouvé mieux que notre tailleur de menhirs  pour synthétiser le message porté par la majorité silencieuse dans une formule choc, désormais célébrissime, y compris hors du petit monde des amateurs de Bande Dessinée. 

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Une petite phrase toute bête, qui commence obligatoirement par trois bande dessinée,humour,astérix,obélix,ils sont fous ces romainspetits mots, toujours les mêmes : « ILS SONT FOUS », obligatoirement suivie de la catégorie désignée à la vindicte populaire par l’épouvantable esprit de clocher qu’on peut voir répandu dans l’énorme panse de Français moyen du héros moustachu, parfois désigné comme « gros monstrueux » (Le Tour de Gaule), comme on sait : « … tombé dans la marmite de potion magique étant petit ». Il faut imaginer Obélix en béret et charentaises, la baguette sous le bras. Bon sang, mais c'est bien sûr : c'est Superdupont !

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La phrase fatidique que prononce rituellement le « gros monstrueux » s'accompagne d'un geste fatidique : l'index frappe la tempe, désignant l'état supposé lamentable de la substance grise logée derrière la paroi osseuse. De l'ordre, pour le moins, de la diarrhée cérébrale. Obélix est NORMAL. Guy Béart aurait-il pour autant chanté : « Obélix a dit la vérité, il faut donc l'exécuter » ?

 

J'espère que non.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

POST-POST-SCRIPTUM : J'aime beaucoup, dans certaines bandes dessinées, quand l'auteur glisse un minuscule détail que seule une lecture attentive permet de relever. Ainsi, dans Astérix aux Jeux Olympiques, voit-on page 29 deux fonctionnaires du "Bureau des inscriptions", dont l'un se réjouit de la décadence de Rome. Le petit détail se situe à l'arrière-plan, et consiste en un bas-relief montrant deux personnages en toge, la main posée sur la tête d'un taureau agenouillé.

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Les profils des deux compères, sont certes caricaturés, mais aisément reconnaissables et proches des originaux : Goscinny et Uderzo en personne. Le nom de chacun figure en "légende" du bas-relief, et des lettres grecques en phylactères sortent de leur bouche. Les noms sont ceux, évidemment, de Goscinny (ΓΟΣΚΙΝΝΥ) et Uderzo (ΥΔΕΡΖΟ).

 

Pour corser le tout, Goscinny dit, s’adressant à Uderzo : « Despote ! » (ΔΕΣΠΟΤΗΣ), tandis que celui-ci lui lance : « Tyran ! » (ΤΥΡΑΝΝΟΣ). Bon, c'est vrai que les deux mots grecs veulent d'abord dire « maître », et seulement ensuite « maître absolu », avec éventuellement le sens que nous leur avons donné, mais on ne va pas chipoter, hein !

 

Ce sont des petits plaisirs de gourmet qu'on a plaisir à partager : servez-vous, si par hasard vous n'étiez pas déjà avertis.

 

 

 

 

 

lundi, 05 novembre 2012

BALZAC 4 PAR MAUROIS

Pensée du jour : « L'homme se sent petit devant l'animal. Le rhinocéros le rend timide, le loup craintif, le chien de garde rapide. L'homme a pour le chat et le basset des indulgences qu'il n'aurait pas pour le sous-préfet le plus distingué ».

ALEXANDRE VIALATTE

 

J’ai rarement lu des biographies. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Peut-être parce que, pendant très longtemps, j’ai été hanté par le fantôme de Lagarde et Michard, augmenté du spectre de GUSTAVE LANSON, vous savez, « Untel, sa vie, son œuvre », les dates qu’il fallait enregistrer sans se poser de question, sans avoir besoin de comprendre. C’est vrai, ça, et c’est une vraie question : « Peut-on expliquer l’œuvre de CÉLINE par la vie de LOUIS DESTOUCHES [le vrai nom de CÉLINE] ? ». 

 

Peut-être aussi m’étais-je convaincu, en opposition avec le tandem imposé par cette grille de lecture « la vie et l’œuvre », que seule cette dernière méritait d’être cultivée pour elle-même, « œuvre » devant être comprise comme « œuvre d’art » ; et ce qui se passe pour les peintres devant se passer de la même manière pour tout artiste : ce qui reste accroché aux cimaises des musées, ce n’est pas la biographie de RAPHAËL ou de POUSSIN, ce sont leurs tableaux. 

 

Ce qui est sûr, c’est que nulle paroi étanche ne sépare le biographique du catalogue des œuvres : il faut bien que l’auteur, s’il est passé à la postérité, ait puisé la matière de ses livres ailleurs que dans l’imitation de ce qui s’est fait avant lui, sinon la postérité aurait préféré l’original à la copie, et il serait tombé dans l’oubli. 

 

C’est exactement ce qui s’est passé dans la peinture et dans la musique : dans les histoires qu’on en a rédigées, les historiens (parfois à tort) ne gardent que les principaux noms qui jalonnent la trajectoire de quelque chose qu’on appellera Histoire de la peinture et Histoire de la musique. Les épigones et les petits maîtres, ceux qui passent au second plan et que ne connaissent que les spécialistes, sont ceux qui, après coup, se révèlent n’avoir rien écrit, peint ou composé de vraiment neuf. 

 

Là, des biographies, j’en ai lu trois, coup sur coup. Je ne me reconnais pas. Comment se fait-ce ? Qu’est-ce qui m’a pris ? Mystère. J’ai commencé par celle de LOUIS-FERDINAND CÉLINE. J’en ai parlé il n’y a pas si longtemps. HENRI GODARD est sans doute celui qui connaît le mieux le bonhomme dans le monde contemporain. Il sait travailler. 

 

Son livre est horriblement documenté, et monstrueusement intéressant. Sans rien taire des côtés sombres de son personnage, de ses faiblesses, et pour tout dire, de sa folie furieuse et géniale, il livre les données d’une vie sans chercher à en dévoiler le mystère inentamable. Ma foi, je suis sorti de la lecture de ce pavé content de ma dépense (25,5 €, Gallimard, 2011, 530 pages à lire), pour ce qui est du rapport qualité / prix. 

 

La biographie de HONORÉ DE BALZAC par ANDRÉ MAUROIS (Hachette, 1965, 622 pages à lire, appendices compris, acheté 4 € au « Livre à Lili », rue Belfort, début octobre), m’a de nouveau projeté sur la planète BALZAC. Un continent, un océan, une planète, je ne sais pas au juste. En tout cas un bonhomme hors du commun, qui, curieusement, s’est très tôt considéré comme hors du commun, et surtout, n’a jamais, depuis l’adolescence, douté de son génie. 

 

Mais qui est devenu un génie à force de travail forcené, toujours poussé par l’urgence de payer ses dettes. Fascinant. C’est d’ailleurs un peu le reproche que je ferais à ANDRÉ MAUROIS, qui cède un peu, tout au long de son ouvrage, à la tentation de l’admiration pour une sorte de colosse d’énergie, et d’une fascination pour l’aspect « course de vitesse avec la mort » présentée par la vie de BALZAC. 

 

C’est en tout ca l’image qui s’en dégage. Sans que ce soit nuisible à l’exactitude, puisque, là encore, les faiblesses du personnage apparaissent en pleine lumière, sans rien ôter jamais à l’impression de puissance créatrice, qui en apparaît dès lors comme tant soit peu magique, pour ne pas dire extraterrestre. 

 

Ce que MAUROIS fait bien partager, et en cela, il faut lui savoir gré, c’est que La Comédie humaine n’est pas sortie de nulle part, et qu’en 1833 (BALZAC a 34 ans), c’est chez un écrivain expérimenté que l’idée prend naissance. Un projet gigantesque, démesuré à l’échelle d’un seul homme. L’esprit encyclopédique de la Renaissance s’appelait PIC DE LA MIRANDOLE. 

 

Eh bien, HONORÉ DE BALZAC est exactement le Pic de la Mirandole du roman mondial au 19ème siècle. L’époque actuelle est, à cet égard, dans un lamentable et désolant état de rabougrissement (« Il vaut mieux être un éléphant qu’un rat … Qu’un rat bougri surtout », dit Obélix à la page 33 du Combat des chefs) pour comprendre la dimension quelque part surhumaine de BALZAC. Ce en quoi on ne peut que suivre MAUROIS dans sa dévotion à Prométhée (titre de son bouquin sur l’auteur : Prométhée ou la vie de Balzac). 

 

J’avais commencé mon pèlerinage à BALZAC par la lecture d’un pavé horriblement savant d’un grand universitaire (mais très lisible, malgré l’épaisseur) : Le Monde de Balzac, par PIERRE BARBÉRIS, Arthaud, 1973, 575 pages à lire, 10 € au « Livre à Lili », rue Belfort. L’auteur, qui a publié sa grande thèse Balzac et le mal du siècle en 1970 chez Gallimard, se donne pour tâche d’organiser  la lecture du monument monumental qu’est La Comédie humaine. 

 

Il a tout lu, correspondance comprise, de ce qui concerne l’œuvre (alors que MAUROIS met en valeur les Lettres à l’étrangère et autres lettres intimes, à valeur exclusivement biographique, quoique …), et offre au lecteur curieux, même débutant, des points de repère d’une robustesse à même d’impressionner. Je ne suis malheureusement pas sûr que ce genre d’ouvrage se prête à la diffusion en supermarché et au tirage de masse. 

 

Et pourtant, je remercie l’universitaire sérieux, car il me rend familiers les personnages de La Comédie humaine, qui sont autant d’avatars, finalement, de leur inventeur. Et pour dire combien certains ont acquis une existence plus vraie que la réalité, une anecdote suffira : à quelques jours de sa mort, BALZAC aurait déclaré à un proche : « Il n’y a que Bianchon qui pourrait me tirer de là ». Il faut savoir que Bianchon, c’est LE médecin de La Comédie humaine, qui fait des apparitions (fugitives ou marquées) dans un nombre incroyable des romans du cycle. Elle n’est pas belle, l’histoire ? 

 

Comme quoi, en définitive, ce n’est pas nul, de s’intéresser à la vie des grands auteurs. Oui, amende honorable, ça s’appelle. Vaut mieux tard que jamais, non ?

 

Voilà ce que je dis, moi.